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Sebastian Korda, une affaire de famille

Sebastian Korda, Masters Next Gen 2021, © Ray Giubilo

Fils de Petr Korda et Regina Kordová, anciens joueur et joueuse de très haut niveau, Sebastian Korda dispose depuis tout petit d’une relation privilégiée avec la balle jaune. Sur les traces de ses parents, le cadet de la famille avance avec précocité. Désormais pleinement installé dans le top 50 à seulement 21 ans, l’Américain enchaîne les grosses prestations et progresse à une vitesse folle. Dans l’ombre des jeunes prodiges – Carlos Alcaraz, Jannik Sinner ou encore Félix Auger-Aliassime – Sebastian Korda fait son chemin silence et pourrait bien être une des futures stars du tennis mondial. Retour sur la Korda Family et l’éclosion du petit dernier, Sebastian.

« Tel père, tel fils ! ». Une expression caractérisant bien la famille Korda. Même si, oui, c’est vrai, nous aurions aussi pu dire « telle mère, tel fils ! ». Sebastian Korda est aujourd’hui tennisman professionnel. Comme l’ont été son père et sa mère vingt ans plus tôt. A 54 ans, Petr Korda est toujours une légende du tennis tchèque. Ancien numéro 2 mondial et vainqueur de l’Open d’Australie 1998, il s’occupe désormais pleinement de la carrière de son fils. Regina, quant à elle, est aussi une ancienne joueuse professionnelle. Un peu plus en retrait dans les médias, elle a elle aussi joué un rôle majeur dans l’éclosion de son fils.

Aussi fou que cela puisse paraître, le tennis n’a pas toujours été une évidence pour le natif de Bradenton. Sans doute influencé par ses origines tchèques, à 5-6 ans, Sebastian décide de s’inscrire au hockey sur glace. Patins aux pieds, le jeune garçon impressionne malgré son jeune âge. Son équipe s’impose d’ailleurs rapidement comme une des meilleurs équipes jeunes de Floride. C’est à cette époque-là que l’Américain développe ses premières aptitudes physiques et forge son mental de winner. L’actuel 43ème mondial garde encore aujourd’hui de très bons souvenirs de cette époque où il a pu pleinement s’épanouir. Selon lui, avoir pu pratiquer d’autres sports que le tennis durant sa jeunesse est un véritable atout par rapport aux autres joueurs du circuit. « Mes parents sont incroyablement compréhensifs et ils nous ont en quelque sorte construits dès notre enfance, en nous laissant pratiquer beaucoup de sports différents et en nous permettant d’apprendre beaucoup de choses différentes et d’acquérir des compétences différentes, a-t-il expliqué pour Tennis Majors.  J’ai grandi en jouant au hockey, au tennis et au golf. Et je faisais aussi du karaté, donc j’étais un enfant très actif. Et cela m’a aidé à devenir le joueur de tennis que je suis aujourd’hui. Même avec mes sœurs, qui pratiquaient toutes des sports différents. Et c’était probablement l’une des choses les plus importantes pour nous. »

Petr Korda – Regina Kordová, la paire gagnante

En 2011, Petr Korda est entraîneur de Radek Štěpánek, une autre gloire du tennis tchèque. Fin août, les deux hommes se rendent alors à New York pour disputer le mythique tournoi de l’US Open. Pour l’occasion, Petr décide d’emmener avec lui son fils, afin de lui faire découvrir l’atmosphère d’un tournoi du Grand Chelem. Le jeune garçon, alors âgé de onze ans, prend un énorme plaisir à suivre les aventures de Štěpánek et son père. Une expérience unique pour le jeune homme qui développe pendant ces jours-là, une véritable passion pour le tennis et… Radek Štěpánek. « J’adore Radek Štěpánek, c’était mon modèle quand mon père le coachait. J’avais onze ans », a-t-il confié en conférence de presse début 2018.

Sebastian Korda, enfant, avec Radek Štěpánek à l'US Open, © Sebastian Korda, Instagram

Tout au long de la quinzaine, le jeune enfant est bluffé par l’ambiance des courts. L’atmosphère se dégageant du Arthur-Ashe marque le garçon à jamais. A tel point qu’à la fin du tournoi, il n’a plus qu’une idée en tête : jouer un jour l’US Open. De retour chez lui, Sebastian annonce à sa mère qu’il souhaite s’inscrire au tennis. Sa mère, ravie par la nouvelle, l’inscrit aussitôt. Il ne le sait pas encore, mais Sebastian vient de prendre une décision qui va bouleverser sa vie. A onze ans, il arrête le hockey sur glace et sa carrière de tennisman peut désormais débuter.

Aujourd’hui, personne ne peut nier l’importance de Petr Korda dans la destinée de son fils. Sans forcément avoir poussé son enfant à faire du tennis, de par son parcours et son métier d’entraîneur, il a indéniablement agi sur le choix de vie de Sebastian. C’est lui qui lui a fait découvrir les coulisses de ce sport, notamment lors de cet US Open 2011. Encore maintenant, Petr dispose d’une forte influence sur son fils. Pour Sebastian, Petr est plus qu’un père, c’est un modèle. C’est aussi par la même occasion son entraîneur, son « arme secrète » comme il aime le dire. Le jeune homme peut compter sur les conseils avisés de son papa et sur son expérience du haut niveau, un avantage que n’ont pas forcément les adversaires de l’Américain. Travaillant ensemble depuis quasiment les débuts de Korda junior, père et fils bossent d’arrache-pied pour atteindre le sommet et rien d’autres ! « Il est présent sur le circuit depuis très longtemps. Il est arrivé au sommet, a gagné un Grand Chelem et a entraîné quelqu’un qui a atteint le Top 10, alors il sait quoi faire, a-t-il détaillé dans des propos relayés par le site de l’ATP fin 2021. Les décisions difficiles qu’il prend semblent parfois faciles, alors je suis très reconnaissant de l’avoir à mes côtés ». Et naturellement, le travail commence déjà à payer puisque Sebastian gravit les échelons à une vitesse folle. A 21 ans, il est déjà en avance sur les temps de passage.

Si Petr Korda a eu une forte influence dans la réussite au haut niveau de son fils, Regina Kordová, un peu moins célèbre, a eu une place toute aussi capitale, si ce n’est plus. Depuis que l’Américain a commencé le tennis à l’âge de 11 ans, sa mère l’a toujours soutenu et cru en lui. C’est elle qui s’est chargée notamment de son éducation. Pendant que Petr faisait le caddie auprès de Jessica, une des deux sœurs de Sebastian pour ses débuts en tant que golfeuse professionnelle, c’est Regina qui a gardé Sebastian et Nelly – l’autre sœur, plus grande de deux ans. « La vie, c’était juste ma mère, Nelly et moi, a-t-il décrit pour Tennis Majors. Nous avons donc grandi ensemble et nous jouions tous à des jeux de société et faisions des puzzles. » Le jeune joueur garde encore de superbes souvenirs de ses parties endiablés. C’est durant celles-ci d’ailleurs que Sebastian développe son esprit de compétition. Perdre contre sa grande sœur est alors la pire des choses qu’il puisse arriver au jeune cadet de la famille à cette époque. De son côté, Regina profite de ses moments de loisir pour inculquer à ses deux enfants les valeurs de respect, de modestie et de bonne humeur, chères aux yeux de la famille Korda. Et cela se répercute aujourd’hui sur l’attitude exemplaire qu’a Sebastian aussi bien sur qu’en dehors du terrain. Toujours poli et souriant en interview, le tennisman fait déjà preuve d’une maturité déconcertante pour son jeune âge. Et certains devraient bien s’en inspirer…

L’influence de Regina sur son fils ne s’arrête toutefois pas là. C’est elle aussi qui construit le jeu de son fils lorsqu’il est plus jeune. Mère et fils multiplient les séances d’entraînement ensemble, accentuant les efforts sur la vision de jeu et la gestion des émotions, qui font aujourd’hui des forces du prodige américain. Des journées de partage que le jeune joueur n’a pas oublié. « Je me suis entraîné avec ma mère, a-t-il poursuivi, toujours pour Tennis Majors. Elle a en quelque sorte développé mon jeu jusqu’à ce qu’il devienne ce qu’il est aujourd’hui. Elle a construit ma technique et mes coups en fonction de la façon dont elle voyait mon jeu. Je pense qu’elle a eu une grande influence sur mon tennis, plus que n’importe qui. »

Sebastian Korda et l'une de ses deux sœurs, Nelly, entourés de leurs parents, Petr Korda et Kordová, © Sebastian Korda, Instagram

Une ascension fulgurante

Sebastian Korda débute donc le tennis lors de la saison 2010/2011. Il démarre les tournois par la même occasion et se fait rapidement remarquer. Le jeune garçon impressionne par sa hargne et sa technique au-dessus de la moyenne. Quelques années et entraînements plus tard, tantôt avec son père, tantôt avec sa mère, l’Américain commence à se faire connaître sur le circuit jeune après plusieurs performances remarquées. En 2017, le jeune joueur de 17 ans atteint notamment la finale du célèbre tournoi de l’Easter Bowl où il s’inclinera contre son compatriote Alafia Ayeni. La même année, c’est en double que l’adolescent brille avec cinq titres à son actif.

Vingt après après la victoire de son père à l’Open d’Australie, Sebastian Korda frappe son premier grand coup en 2018. Après de très bonnes performances l’année précédente, il confirme les espoirs placés en lui en s’emparant de son premier titre du Grand Chelem junior à Melbourne. Après un peu plus d’une heure de jeu, il vient à bout du Taïwanais Tseng Chun-hsin (7-6, 6-4) en finale. Un titre qui le place ainsi dans le cercle très fermé des vainqueurs de Grand Chelem junior aux côtés de joueurs comme John McEnroe, Roger Federer ou encore plus récemment Alexander Zverev. Désormais, le plus dur reste à faire pour le garçon du haut de son mètre quatre-vingt-seize. Il faut confirmer.

Si Sebastian Korda est déjà bien connu des experts, c’est définitivement en 2020 que le jeune joueur se révèle aux yeux du grand public. En mai, le garçon se déplace à Paris pour y jouer Roland Garros. Sur terre battue, le jeune Américain semble à l’aise. La preuve, il parvient facilement à atteindre le tableau final en s’extirpant d’Aslan Karatsev et Brayden Schnur. Toujours sans victoire sur le circuit ATP, l’Américain hérite de l’expérimenté Andrea Seppi au premier tour. En quatre sets, il parvient à prendre le dessus sur l’Italien (6-2, 4-6, 6-3, 6-3), signant par la même occasion sa première victoire sur le circuit professionnel. Quoi de mieux que de démarrer avec une victoire en Grand Chelem ?

En confiance après cette première victoire, Korda surfe sur sa bonne dynamique et parvient à éliminer le géant John Isner (6-4, 6-4, 2-6, 6-4). Une véritable prouesse pour le jeune homme de vingt ans que d’éliminer un adversaire aussi coriace que « Big John ». Avec ce résultat favorable, il s’affirme sur le devant de la scène et se fait même un prénom sur le circuit. Sebastian Korda n’est alors plus perçu seulement comme « le fils de … ». L’Américain parvient même à se hisser en huitième de finale, ne laissant aucune chance à Pedro Martínez (6-4, 6-3, 6-1) au troisième tour. En huitième, Korda fait face à un adversaire de taille : Rafael Nadal. Sans surprise, le miracle n’a pas lieu et l’Espagnol – idole de jeunesse de l’Américain – met fin au beau parcours du jeune athlète. « L’ogre de l’ocre » ne fait alors qu’une bouchée de la révélation du tournoi, avec une victoire en trois sets (6-1, 6-1, 6-2). A la fin du match, interrogé sur le potentiel de Korda, Rafa ne tarira cependant pas d’éloges sur le crack floridien. «Sebastian a un bon physique, un bon service et des coups fiables depuis la ligne de fond, analysera le Majorquin à l’issue du duel. Je pense que c’est un gars génial et un joueur complet. Sebastian a beaucoup de choses à accomplir dans les années à venir dans notre sport. Depuis que je l’ai vu jouer, j’ai toujours pensé qu’il avait une chance de devenir l’un des meilleurs joueurs du monde. Il a tout ce qu’il faut pour être définitivement au top. Bien sûr, les choses ne sont pas faciles, et il faut continuer à s’améliorer. Mais je suis convaincu que Sebastian sera un grand joueur. »

Fin 2020, Korda confirme sa bonne forme en remportant le challenger d’Eckental, le premier de sa carrière. De quoi le ravir totalement. « Je suis super content. C’était juste une semaine géniale. Ça a été un voyage pour arriver ici. Je suis assez content de la façon dont j’ai joué toute la semaine et c’est super d’obtenir mon premier titre professionnel. »

Sebastian Korda, enfant, et son père, Petr, © Sebastian Korda, Instagram

En 2021, Sebastian Korda continue sa progression fulgurante. Après avoir éliminé une nouvelle fois John Isner, le jeune tennisman atteint la finale du tournoi de Delray Beach. En finale, il est défait par le géant polonais Hurkacz. Quelques semaines plus tard, l’Américain prendra finalement sa revanche en remportant son deuxième challenger, à Quimper. Mais pour le garçon aux cheveux blonds, pas de quoi s’enflammer ! Même dans la victoire, il faut savoir rester humble. « Mon objectif après cette victoire est de continuer à pratiquer un tennis de qualité, à me renforcer physiquement et puis garder le sourire tous les jours, s’exprime-t-il alors, dans des propos relayés par la Fédération française de tennis. C’est un privilège de pouvoir jouer au tennis par les temps qui courent. » Un super état d’esprit qui sera à nouveau récompensé un peu plus tard dans la saison, en mai, lors du tournoi de Parme. Sur la terre battue italienne, le jeune prodigue remporte son premier titre ATP face au local – Marco Cecchinato. Grâce à ce succès, Sebastian fait son entrée dans le top 50 et devient par la même occasion le premier américain titré sur ocre en Europe depuis 2010. « C’est quelque chose dont j’ai rêvé. Je pensais vraiment que j’allais le faire à Delray Beach, et j’avais un peu le cœur brisé », confie-t-il alors devant les journalistes.

Plus récemment, lors du dernier Open d’Australie, le jeune Américain a de nouveau montré toutes ses qualités – mentales et physiques. D’abord en éliminant sèchement le britannique Evans (n°22), puis en sortant Corentin Moutet au terme d’un match épique.

Nicolas Escudé, fan de la première heure

Un beau sourire, des cheveux blonds soyeux et un fair-play irréprochable, ce n’est pas une surprise de dire que Sebastian Korda dispose d’une fan base importante. Notamment, aux États Unis, où le jeune joueur est perçu comme l’avenir du tennis américain aux côtés de Taylor Fritz, Frances Tiafoe, Reilly Opelka, Jenson Brooksby ou encore Brandon Nakashima. En France, le jeune joueur compte également son lot de fans. C’est le cas par exemple du directeur technique national français, Nicolas Escudé, qui ne cesse de dire du plus grand bien du floridien. « J’aime tout chez Korda ! Je me régale chaque fois que je le vois jouer, a révélé l’ancien 17e mondial lors d’une interview accordée à L’Équipe. Ce gamin a tout. J’enlève le mental, parce qu’il est encore jeune, mais, pour le reste, c’est impressionnant. Ça va très vite des deux côtés, il a le service, le slice de revers, le revers à deux mains ultra-solide. Et surtout, il sent super bien le jeu. C’est le propre des tout meilleurs, ils sont les plus forts parce qu’ils sentent le jeu à la perfection. Lui a toutes les armes pour résoudre les problématiques qui vont se présenter à lui. Je crois qu’il se retrouvera un jour en position d’aller chercher un Grand Chelem. »

Andre Agassi, le joker de Las Vegas

Avoir un père ancien joueur de tennis peut parfois aider. En 2020, Petr Korda a eu une idée pour accélérer la progression de son fils – faire appel à l’un de ses anciens adversaires. Un certain Andre Agassi …

Que ce soit avec Novak Djokovic ou Grigor Dimitrov, la légende américaine a prouvé à multiple reprises ses qualités de coach. Petr Korda sait ainsi qu’Agassi pourrait permettre à son fils de franchir un nouveau palier. Il décide donc de le contacter. Après plusieurs échanges téléphoniques entre Sebastian et Andre, « Human Machine » propose au jeune joueur de venir effectuer un stage de préparation chez lui, à Las Vegas. Évidemment, il accepte immédiatement cette proposition. A Vegas, Korda retrouve alors Marcos Giron et Alexander Cozbinov, également conviés au stage. Lors de ces deux semaines, Sebastian se régale. C’est un véritable rêve pour lui de pouvoir échanger des balles avec Andre Agassi et Steffi Graf, monument au 22 titres du Grand Chelem partageant la vie de « Dede » . Une expérience qu’il n’est pas prêt d’oublier. « Mon père a en quelque sorte mis en place cette rencontre, a-t-il révélé en conférence de presse après sa qualification pour les huitièmes de finale de Wimbledon 2021. Il [Agassi] a été génial. Nous avons passé quatorze jours ensemble à Las Vegas. Il m’a accueilli dans sa famille. »

Pendant ce petit séjour, Korda noue une relation de proximité avec l’ancien numéro 1 mondial. Il devient en quelque sorte son protégé. Encore aujourd’hui, les deux hommes se contactent régulièrement et le coach américain épaule le jeune garçon, qui de son côté est à l’écoute de tous les conseils de ses pairs. « Nous sommes en contact presque tous les jours. C’est une personne géniale à avoir à mes côtés et je lui en suis très reconnaissant. » Nul doute que ce stage et l’accompagnement proposé par Andre Agassi a aidé Sebastian Korda à évoluer. Au sortir de ces deux semaines, Sebastian Korda ressort avec une idée claire en tête – prendre du plaisir sur le court, ce que lui a martelé son nouveau mentor. Le reste viendra ensuite avec le temps et l’entraînement.

Sebastian Korda entouré de Steffi Graf et Andre Agassi, © Sebastian Korda, Instagram

Sebastian Korda – Rafael Nadal, une affiche de rêve

Sebastian Korda est un 2000. Il a donc eu la chance de pouvoir suivre l’évolution des trois monstres – Rafael Nadal, Roger Federer et Novak Djokovic. Et chacun a sa préférence. Pour l’Américain, le choix est clair, c’est Rafael Nadal. En interview, le jeune tennisman ne s’est jamais caché et a toujours affirmé son grand amour pour le joueur espagnol. « Il est une des raisons qui font que je joue au tennis, a-t-il déclaré en conférence de presse à Roland-Garros en 2020, en amont de son don duel face à son modèle. C’est mon idole absolue. C’est un incroyable compétiteur. Il n’abandonne jamais sur le court. C’est à lui que je dois mon attitude, le fait de ne jamais rien lâcher. Quand je suis sur le court, j’essaie d’être comme lui. » Une passion si immense que Sebastian en est même venu à appeler son chat « Rafa » lorsqu’il était plus jeune.

Ainsi, quand le jeune Américain a eu l’occasion d’affronter l’Espagnol à Roland Garros, c’est comme si le rêve était devenu réalité. Malgré une lourde défaite, Sebastian garde un souvenir unique de ce match face au roi de la terre battue. « J’ai toujours dit, depuis que je suis petit, que mon idole était Rafael Nadal, plus que tout autre joueur, a-t-il raconté à Tennis Majors. Et j’ai toujours dit que mon rêve était de jouer contre lui à Roland sur le court Philippe- Chatrier. C’était un moment incroyable et je ne voulais pas manquer cette occasion unique de lui demander un t-shirt dédicacé de le remercier de m’avoir inspiré, ainsi que tant d’autres enfants du monde entier. J’ai le t-shirt accroché dans ma chambre. C’est un moment que je n’oublierai jamais. J’ai parlé avec Nadal après la rencontre pendant dix, quinze minutes. Et c’est un gars super gentil et d’un grand soutien. Et il m’a dit que j’avais le jeu pour devenir un très grand joueur. Et j’ai beaucoup appris de chaque match que j’ai joué et perdu. »

Sebastian Korda, enfant, avec Rafael Nadal, © Petr Korda

Nelly et Jessica, les autres stars

Attention, un Korda peut en cacher une autre. Ou deux. Si Sebastian excelle dans le monde du sport, c’est également le cas de ses deux sœurs – Jessica et Nelly. Toutes deux golfeuses professionnelles, les deux sœurs Korda sont des joueuses reconnus sur le circuit américain. Jessica, aujourd’hui âgé de 28 ans, détient cinq victoires à son compteur sur le circuit professionnel, dont l’Open d’Australie 2012. Nelly quant à elle, plus âgée que son frère de deux ans, est une des nouvelles prodiges de la discipline. Comme son frère, avec qui elle a partagé son enfance, et dont elle est très proche, Nelly est, elle aussi, un talent précoce. A  23 ans, la jeune femme a remporté son premier tournoi du Grand Chelem en juin 2021 avec le LGPA Championship, lui permettant ainsi d’obtenir la première du classement mondiale. Le sport est donc bien une affaire de famille chez les Korda !

Des parents et des sœurs au top de leur discipline, Sebastian Korda n’est pas en reste non plus. Le jeune cadet est bien parti pour suivre le même chemin de la victoire que semble emprunter l’ensemble de sa famille. Depuis 2017 et sa finale au tournoi de l’Easter Bowl, le bougre avance vite, très vite. De matchs en matchs, il progresse de façon fulgurante et s’affirme comme un danger sur le circuit. A seulement 21 ans et déjà ancré dans le top 50, le talentueux garçon incarne cette nouvelle génération américaine qui devrait sans doute faire parler d’elle dans les prochaines années. Bref, Korda, c’est le présent, le passé et le futur !

Sebastian Korda et ses deux sœurs, Jessica, à gauche, et Nelly, au centre, © Sebastian Korda, Instagram

Frères Ymer : l’héritage d’une maison, l’attente d’un fanion

Les frères Ymer, Elias à gauche et Mikael à droite, © Elias Ymer, Twitter

Étendards de la Suède lors de la dernière Coupe Davis, la menant même jusqu’en quarts de finale de la compétition, les marathoniens Elias et Mikael Ymer ont enfilé le bleu (et jaune) de chauffe pour (re)mettre leur bastion dans la course aux éloges.

Qui n’a jamais tapé la balle en famille ? Des échanges en dilettante après le déjeuner dominical à la partie de vacances improvisée sur le rectangle plus ou moins praticable du coin, où encore pendant les longues journées de confinement, on a tous invité (parfois de force) ses parents ou ses frères et sœurs à prendre la raquette. Certains, ont fait durer le plaisir : les sœurs Williams, les frères Zverev, Murray ou Melzer, tout comme Elias et Mikael Ymer, et ce n’était pas joué d’avance !

Leur père, Wondwosen, comptant parmi les dix meilleurs athlètes d’Éthiopie sur le 10 km,  est un des visages familiers sur la corne de l’Afrique. Abonné au Kenenisa Bekele Running Club, le paternel, ouvrier dans une entreprise laitière, est un coureur réputé du pays. Un homme à l’histoire inspirante. Grandissant sans son père, qui l’a quitté pour d’autres cieux à l’adolescence, il a mené une guerre au sens propre comme figuré le menant dans les dans les pays nordiques, plus précisément en Suède. Un nouveau départ symbolisé par une femme, Kemel, et deux descendances. Si Elias et Mikael ont d’abord suivi ses foulées, c’est finalement une autre route qui s’ouvre à eux, plus précisément celle de Skara en Suède, point de départ de leur nouveau passe-temps : le tennis.

Elias Ymer, © Art Seitz

Les petits ruisseaux font les grandes rivières. A 11 et 9 ans, ils forment la plus jeune paire de double titrée dans leur catégorie d’âge. Des joyaux bruts que va polir la Good to Great Tennis Academy. Sous la houlette de Magnus Norman, Nicklas Kulti et Mikael Tillström (ancien entraîneur de Gaël Monfils), les Ymer poursuivent leur progression : « Nous avons un excellent entraîneur mais il arrive un moment où vous avez besoin d’autres conseils, de personnes plus expérimentées pour vous entourer. Il était évident que nous allions là-bas », explique Mikael. Pour devenir une « gueule » qui compte dans le monde de la balle jaune, Elias prend le chemin de la Catalogne et confie son tennis dans les mains de Galo Blanco, l’ex entraîneur de Milos Raonic. Une collaboration fructueuse de huit mois pendant lesquels Elias se qualifie pour les quatre tableaux principaux de Grand Chelem et gagne son premier Challenger en Sicile.  Les années passent et l’aîné de la fratrie titille le Top 100 à l’été 2018, un cap symbolique que passera son petit frère en septembre 2019, comme premier Suédois à intégrer le Top 100 depuis Robin Söderling en 2011. Confiance quand tu nous tiens… s’en suit une participation aux Next Gen ATP Finals (meilleurs jeunes de moins de 22 ans) en fin de saison mais surtout une première finale à Winston-Salem en août 2021 et un 3e tour à Roland-Garros lors de ce même été.

« Le succès engendre le succès. A l’époque, nous avions Björn Borg, Wilander ou Edberg pour nous inspirer. Depuis, nous n’avons pas réellement de stars auxquelles on peut s’identifier. Le tennis était très présent dans les médias et je pense que beaucoup d’enfants en faisaient leur premier choix. J’ai moi-même commencé en regardant cette ancienne génération, il y avait toujours un Suédois que l’on pouvait suivre lors des tournois. », venant de la bouche de Robin Söderling. Il faut dire que sur la période 1980 – 1999, « le pays allongé » glane 16 Majeurs, fait 13 finales ou encore 22 demi-finales. Un bout de terre qui a vu défiler les leaders de la discipline, le tennis à la suédoise comme on le surnomme.

Robin Söderling et Elyas Ymer, © Robin Söderling, Instagram

Björn Borg (11 titres), Mats Wilander (7 titres), Stefan Edberg (6 titres), Thomas Johansson (1 titre), Magnus Norman (ex N.2 mondial), Robin Söderling (double finaliste à Roland-Garros), la liste est longue, on peut même lui gratter un nom : la perfection. Cette dernière a un vice : celle de la banalisation. Comme s’ils avaient trop bien fait. En remportant la Coupe Davis en 1997, à la maison face aux États-Unis, et 1998, à l’extérieur face aux Transalpins, date de leur dernière victoire, la Suède n’était « plus nominée dans les prix, car c’était la routine » pour reprendre les palabres de Jonas Björkman, ancien numéro un mondial en double.  

Double et maintenant triple chez les Ymer. Dans la lignée de ses deux aînés, « Rafael », nom plutôt familier mais si dur à porter dans le microcosme de la balle jaune, a rejoint ses frères sur le court. Décembre 2021, alors qu’on a quitté Stockholm et qu’on baigne dans l’actualité des matchs par équipes, « Rafa » remporte l’ITF J5 de Bergen en Norvège, à 15 ans, son premier titre chez les juniors, en ne perdant qu’un seul petit set. Des débuts toujours scrutés qui lui permettent de prendre le matricule 797 au classement mondial. Ne lui mettons pas la pression mais accordons lui tout de même de l’attention !

2021 AUSTRALIAN OPEN Day 6 Mikael YMER (SWE) Photo © Ray Giubilo

Pour 2022, le self-made-man* accompagnera le clan Ymer. Des garçons qui ne font pas trop de bruit, mais qui souhaitent en faire auprès de la prochaine génération. Pour Mikael, « La chose principale, c’est d’être un homme du peuple, un homme bien ».  Dans l’attitude sur et en dehors du court. Mai 2020, en pleine pandémie de Covid-19, les frères Ymer s’associent à la Croix-Rouge suédoise et organisent une exhibition au Royal Swedish Tennis Hall de Stockholm. Une rencontre, certes à huis-clos, mais diffusée à la télévision et sur une plateforme pour un prix symbolique et un geste qui l’est tout autant, puisque les bénéfices ont été reversés à la lutte contre le virus. «  Je joue pour moi, ma famille, mon pays, mais aussi pour la prochaine génération. Je serais très heureux si je pouvais amener des enfants à poursuivre leurs rêves, d’y croire peu importe d’où ils viennent ».  Ända in i kaklet ! (endurance et persévérance) comme on dit là-bas !

 

Citation dernier paragraphe : émission Uncovered crée par l’ATP
Citation Söderling 4e paragraphe : propos recueillis par une radio publique suédoise

Citation Mikael 3e paragraphe : propos recueillis par le journal Dangens Nyheter
Photo de famille Ymer tirée du journal Dagens Nyheter (journal quotidien suédois)

Self-made-man* (terme anglo-américain) : Homme qui ne doit sa réussite matérielle et sociale qu’à lui-même

Novak Djokovic : « Prouver que je peux battre le plus de records possible »

© Ray Giubilo

Septième année assurée en tant que numéro 1 mondial, 37e Masters 1000, 6e sacre à Bercy… Lors de ce Rolex Paris Masters 2021, Novak Djokovic s’est offert de nouveaux records. Tel est son but, ce qui le motive pour jouer pendant encore plusieurs années.

S’il existait un numéro d’urgence pour les records battus, martyrisés, la sonnerie ne cesserait de retentir pour se plaindre d’un homme : Novak Djokovic. Jouant avec les lignes sur le court, le bougre modifie petit à petit celles du Guinness Book du tennis. Le 8 mars 2021, entamant la 311e semaine de sa carrière en tant que numéro 1 mondial, il dépossédait Roger Federer du statut d’homme ayant passé le plus de temps sur le trône de l’ATP. « Être historiquement le numéro 1 mondial est probablement l’accomplissement ultime de notre sport  », a-t-il répondu, en conférence de presse du tournoi de Paris-Bercy, à une question sur ses différents exploits. 

A ce moment, le Serbe venait de s’imposer en demi-finale, victoire qui lui permettait de laisser une empreinte encore un peu plus marquée dans l’histoire. En venant à bout d’Hubert Hurkacz (3/6 6/0 7/6), il s’assurait de terminer une année numéro 1 mondial pour la septième fois, en passant devant Pete Sampras et ses six saisons au sommet du classement. « Oui,  c’est un énorme accomplissement, j’en suis très fier, a-t-il expliqué en conférence de presse. Dépasser Pete, mon héros d’enfance, c’est incroyable. Finir l’année numéro 1 mondial demande un engagement total tout au long de la saison. »

En arrivant dans la capitale française – alors qu’il n’avait plus joué depuis la défaite en finale de l’US Open le privant du Grand Chelem et d’être le premier homme à remporter 21 Majeurs – passer devant Pistol Pete était son principal objectif. Plus encore que de s’offrir son 6e Bercy synonyme de 37e Masters 1000, deux records. « J’ai senti un énorme soulagement en atteignant ce but (terminer numéro 1 mondial en fin d’année pour la septième fois), le plus important de la semaine pour moi », a-t-il confié après la finale, d’une intensité folle, gagnée (4/6 6/3 6/3) face à Daniil Medvedev.

« L’histoire du tennis est ma plus grande motivation »

« Je voulais évidemment soulever le trophée, mais ça m’a permis d’être encore plus relâché aujourd’hui (dimanche), de ne pas m’emprisonner émotionnellement et mentalement dans un état d’esprit stressant où je ne suis plus capable de frapper libéré », a-t-il poursuivi. Parmi toutes ses performances les plus épastrouillantes, le Belgradois n’a pas voulu en mettre une au-dessus du lot. « Je ne veux pas faire ressortir un record plutôt qu’un autre, a-t-il expliqué. Je porte une grande estime à chaque accomplissement. J’essaie de rester conscient et reconnaissant du fait que je suis dans une situation très spéciale. »

« C’est difficile pour moi de saisir l’impact de ces records tant que je suis toujours en activité, a-t-il ajouté. Quand je prendrai ma retraite, je serai probablement capable de réfléchir un peu plus sur ce sujet et de les apprécier encore davantage. Tant que vous êtes en activité, vous êtes toujours concentré sur le prochain défi. Il y a toujours un nouveau but, un nouveau tournoi. Je n’ai donc pas vraiment le temps de profiter des succès, parce qu’il faut toujours tourner la page rapidement. » Et depuis quelques temps déjà, raquette en guise de plume, le Serbe s’est concentré sur un chapitre en lettres d’or.

« Tout au long de ma carrière, j’ai toujours été honnête en disant que l’histoire du tennis était ma plus grande motivation, a-t-il rappelé après la finale. L’objectif est de prouver que je peux battre le plus de records possible. J’aime battre des records, je suis très motivé pour continuer. C’est l’une des raisons principales pour lesquelles je continue sur le circuit professionnel. » L’âge avançant, pour y parvenir, le monument de 34 ans a mis une stratégie en place : jouer moins, en se consacrant essentiellement aux levées du Grand Chelem et aux Masters 1000.

« Il reste encore beaucoup d’années, j’aurai certainement l’opportunité de gagner d’autres Majeurs » 

Avec ce Rolex Paris Masters, il a joué douze tournois en 2021. Soit cinq de moins que Medvedev, son dauphin au classement, et seulement quatre en dehors des deux catégories les plus importantes. Deux ATP 250 chez lui à Belgrade, et deux pour les couleurs de son pays : l’ATP Cup et les Jeux olympiques. « Si vous comparez avec les autres joueurs, je n’ai pas joué beaucoup de compétitions cette année, je me suis concentré sur les plus importantes, a-t-il fait remarquer. C’est ce que je vais continuer à faire dans le futur. Cette année, ça m’a réussi. J’ai joué mon meilleur tennis en Grand Chelem (avec trois titres et une finale), c’est là que j’ai gagné la plupart de mes points. »

Un plan qu’il a prévu d’appliquer pour un bout de temps encore. « Il reste encore beaucoup d’années à venir, et j’aurai certainement l’opportunité de gagner d’autres titres du Grand Chelem, a-t-il déclaré. La situation est différente, je n’ai plus la jeunesse de Medvedev et des autres de sa génération, mais je me sens bien. Je suis motivé, et je veux continuer à progresser, encore. » En cas de fin de carrière où il ajouterait de nouvelles étoiles à sa constellation de triomphes, Djokovic imposerait encore un peu plus un respect de sa carrière dont il a parfois pâti par le passé, notamment aux yeux des adorateurs extrémistes de Rafael Nadal et Roger Federer.

« J’ai la sensation que les gens commencent de plus en plus à respecter ce qu’il a réalisé, parce qu’il continue à battre des records, s’est exprimé Daniil Medvedev après la finale de Bercy. A part les “haters”, qui ne sont pas de vrais fans de tennis, les gens commencent à voir ce qu’il a accompli et qu’il est capable de faire encore plus. C’est pour ça qu’on aime le tennis. Dix ans après sa retraite, quand les gens regarderont Wikipédia et verront son nom partout dans les records, ils verront que ce qu’il a fait était incroyable. » Si les records sont fait pour être battus, comme dit la fameuse maxime, Novak Djokovic fait partie de ceux qui sont nés pour les battre.

 

Benoît Paire, « prêt à faire de grands résultats en 2022 »

Benoît Paire, à Monte-Carlo en 2021, © Antoine Couvercelle

Après sa défaite au premier tour du Rolex Paris Masters, Benoît Paire a tiré un bilan très franc de sa saison, en dévoilant ses ambitions pour 2022.

Le cœur du fou est dans sa bouche, mais la bouche du sage se trouve dans son cœur.”

À en croire Benjamin Franklin, Benoît Paire serait proche de la folie. Pour dire ce qu’il a sur le cœur sans se soucier des conséquences – a fortiori dans un monde où les médias peuvent lui tomber dessus -, plutôt que de les garder au fond de lui. Après sa défaite au premier tour du Masters 1000 de Paris, le Français à la barbe broussailleuse n’a rien caché. S’il a chuté au classement en compilant 15 victoires pour 37 défaites depuis la reprise du circuit ATP en août 2020 et perdu 7 de ses 8 derniers duels, c’est parce qu’il a « glandouillé ».

« J’ai une explication au fait que l’année a été très difficile, a-t-il confié après sa défaite au premier tour du tournoi de Bercy face à Pablo Carreño Busta. Je me suis mis de la pression au retour du Covid (après l’arrêt du circuit de mars à fin juillet 2020 en raison de la pandémie). Je n’ai pas fait de préparation du tout pendant la coupure. Je suis resté chez moi, c’est tout ce que j’ai fait. » Avant cela, le natif d’Avignon était dans une bonne dynamique. 22e mondial, il sortait d’une finale Auckland début 2020 et d’une année 2019 marquée par deux de ses trois titres en carrière en simple sur le circuit principal – Lyon, Marrakech – et de deux huitièmes de finale, à Roland-Garros et Wimbledon, pour égaler ses meilleurs résultats en Grand Chelem.

“Je n’ai pas fait de préparation du tout pendant la coupure”

« J’étais dans une phase ascendante, qui a été cassée par ça (la pandémie), a-t-il poursuivi. Le fait de me retrouver sur le court, sans être aux niveaux physique et tennistique que j’espérais, ça m’a mis un petit coup sur la tête et je me suis mis trop de pression. Et ça continue. Plus je vieillis, plus je stresse sur le court. Ça devrait être l’inverse. Je ne sais pas pourquoi. Je pense que c’est dû à cette période où j’ai coupé, en ne faisant pas grand-chose. Je me suis dit : “Je reviens, je n’ai pas le niveau physique, et même pas le niveau tennistique.” Ça a déclenché du stress, à cause de la peur de ne pas retrouver le niveau. »

© Antoine Couvercelle

S’il a le « cœur dans la bouche », Paire l’a aussi sur sa raquette. Quand il entre de l’arène, il joue aussi pour le public. Et malgré le retour des encouragements, cris et applaudissements qui viennent tambouriner ses tympans, il peine à enchaîner les résultats. Un crève-cœur pour lui vis-à-vis de ses fans. « La tristesse », voilà ce qu’il a répondu quand on lui a demandé le sentiment qui prédominait après son élimination d’entrée à Bercy. « La tristesse de ne pas pouvoir donner assez à tous ces gens qui sont venus pour m’apporter énormément de soutien. Ça me fait chaud au cœur de pouvoir communier avec le public, avec des gens qui m’encouragent dès mon entrée sur le court. Je joue au tennis pour ça. » 

“Je suis triste de ne avoir le niveau suffisant pour rendre le public heureux”

« Pourquoi de la tristesse ? Parce que je sens que je n’ai pas le niveau suffisant, le niveau que j’espère pour pouvoir les rendre heureux », a-t-il détaillé. Bien que touché, le natif d’Avignon est loin d’être coulé. Positif et ambitieux, il sent qu’il en a encore dans les tripes pour réussir de bonnes performances la saison prochaine. « Le niveau revient à l’entraînement, a-t-il confié. Je me mets un peu de stress alors que finalement, cette saison, c’est pour préparer la prochaine. Maintenant, ce qu’il faut, c’est repartir sur de bonnes bases l’année prochaine, avec deux, trois semaines d’entraînement (en préparation) pour lancer une nouvelle dynamique. » En bâtissant notamment sur les bases de son éclaircie estivale.

« J’ai fait quelques bons résultats cet été (quarts de finale à Gstaad et Hambourg en juillet), j’ai fait quart à Cinci (Cincinnati, Masters 1000, en battant notamment Denis Shapovalov et John Isner), a-t-il rappelé. Ça me prouve que le niveau est là, et que je l’aurai à nouveau l’an prochain. Je reviendrai à Bercy, et je ferai de gros résultats. Je suis prêt à faire de grands résultats en 2022. » Et il voit encore plus loin. À 32 ans, il ne pense pas à la retraite.  « Il me reste encore quelques années, j’espère, et je vais essayer d’en profiter au maximum », a-t-il déclaré. Avec le retour des stades remplis sans limitation du nombre de spectateurs, Benoît Paire pourrait bien avoir assez de baume au cœur pour réussir quelques folies pendant encore plusieurs saisons. 

A condition, sans doute, d’une rigueur à l’entraînement impérative pour se maintenir au haut niveau quand l’âge commence à peser sur les cannes.

Benoît Paire, avec Adrian Mannarino à Monte-Carlo en 2021, © Antoine Couvercelle

 

Nadal : “Mon but est de jouer à Abou Dhabi en décembre avant l’Open d’Australie”

Rafael Nadal, lors de l'inauguration du magasin Tennis-Point Paris, © Babolat

Oui, Rafael Nadal était présent à Paris ce lundi 1er novembre, jour du début du tableau principal du Masters 1000 de Bercy. Non, pas de surprise de dernière minute, ce n’était pas pour participer au Rolex Paris Masters. Bien qu’ayant repris l’entraînement, l’Espagnol – qui a mis un terme à sa saison avant l’US Open en raison d’un pied gauche frappé régulièrement enquiquiné par le syndrome de Muller-Weiss depuis 2005 – a confirmé qu’on ne le reverrait pas en compétition officielle cette saison.

S’il s’est rendu dans la Ville lumière, c’était pour illuminer l’inauguration du magasin Tennis-Point avec qui Babolat est partenaire du projet Tennis Is Us. Implanté dans le 17e arrondissement de Paris, le megastore s’est installé sur une surface impressionnante de 600m².

« Nous travaillons dur pour me donner une chance d’être prêt (pour l’Open d’Australie) » – Rafael Nadal

En présence notamment de Christian Miele (PDG de Tennis-Point) et Eric Babolat (PDG de Babolat), le tredecuple vainqueur de Roland-Garros a donné de ses nouvelles. « Je me sens mieux, a-t-il expliqué. Certains jours sont meilleurs que d’autres, mais je suis positif. Je m’entraîne 1h30 par jour.

« Je ne peux pas dire avec certitude quand je reviendrai (en compétition), on ne sait jamais ce qu’il va se passer, mais je peux dire que mon objectif est de jouer à Abou Dhabi (tournoi exhibition) en décembre (du 16 au 18), a-t-il ajouté. Le but est de jouer un tournoi avant d’entamer 2022. Nous travaillons dur pour que j’aille de mieux en mieux et me donner une chance d’être prêt (pour l’Open d’Australie). »

« Le tennis a besoin d’évoluer » – Rafael Nadal

Souriant, affable, le sourire généreux et le bon mot pour dérider le parterre de journalistes présent, le monument aux 20 titres du Grand Chelem a exprimé ses envies pour l’avenir du tennis. « Nous devons nous occuper des joueurs de tennis, et je ne parle pas des professionnels, a-t-il expliqué. C’est important de continuer à intéresser les gens à notre sport. »

« Donner envie aux jeunes de pratiquer le tennis, les attirer, ils sont le futur de notre sport, a-t-il poursuivi. Le tennis a besoin d’évoluer. Bien sûr, les traditions sont importantes, mais nous devons trouver un moyen d’attirer les gens, et notamment les jeunes. (…) Je pense que les joueurs les plus en vue sont responsables du tennis, en quelque sorte. » S’il est plus proche de la fin que du début de sa carrière, Rafael Nadal compte bien continuer à apporter à ce sport auquel il a déjà tant donné depuis ses premiers « Vamos ! »

Rafael Nadal, entouré notamment d'Eric Babolat (PSG Babolat) à droite, et Christian Miele (PDG Tennis-Point) à l'extrême gauche, © Babolat

 

Fedal, l’ultime harmonisation

Roger Federer et Rafael Nadal, demi-finale de Wimbledon 2019, © Ray Giubilo

Fedal. Au premier abord, on peut voir dans ce mot la simple contraction des noms Federer et Nadal, et pourtant, il suffit qu’on creuse un peu pour y découvrir toute la force poétique qui s’y cache. En effet, le mot « Fedal », en plus d’être la rencontre de deux légendes, c’est aussi et surtout l’alliance de deux styles mythiques diamétralement opposés, la combinaison de l’eau et du feu, du chaud et du froid ou encore le « yin et le yang » du célèbre concept de complémentarité de la philosophie chinoise. Même dans sa construction et sa phonétique, il sonne comme une douce musique. L’accord est parfait. « L’harmonie provient toujours des contraires… ». Si l’on suit l’idée du philosophe Philolaos, « Fedal » serait en somme, l’harmonisation tennistique ultime. Pour tous les passionnés de tennis, il n’y a pas de match plus alléchant qu’un Federer – Nadal, comment pourrait-il donc y avoir de lecture plus savoureuse que ce nouvel ouvrage ? 

« Il nous semblait incongru que personne n’ait eu l’idée de relater cette rivalité entre ces deux joueurs. »

L’anomalie est réparée. Co-écrit par Rémi Bourrières, ancien rédacteur en chef adjoint de Tennis Magazine et Christophe Perron, journaliste spécialisé dans le tennis depuis 2013, « Fedal » des éditions Flammarion, tout premier bouquin sur le sujet, revient en détail sur leurs quarante confrontations. 

Le livre se découpe simplement : quarante chapitres pour quarante matches. Et c’est donc in medias res que nous plongeons dans le récit, nous nous retrouvons effectivement, non sans une pointe de nostalgie, le dimanche 28 mars 2004 lors du 16e de finale du tournoi de Miami. À l’aube d’une des plus grandes rivalités de l’Histoire du sport. Puis, au fil des pages, nous nous délectons de ce voyage dans le temps. Nous passons notamment par ce qui est peut-être le match qui a forgé le mythe « Fedal », la finale de Rome 2006 et sa tragédie en cinq actes. Mais aussi par la finale épique de Wimbledon 2008 ou encore le spectaculaire et inattendu come-back synchronisé à l’Open d’Australie 2017. Puis il y a forcément le plaisir de la découverte de certaines pépites méconnues. Il y a d’ailleurs tout intérêt à lire ce livre dans l’ordre chronologique car on peut davantage se rendre compte de l’évolution psychologique (et tactique) des deux protagonistes et plus précisément décrypter le fameux complexe de Federer, ou encore analyser les points de bascule dans l’histoire de leur rivalité.

Rome 2013, finale | © Ray Giubilo

Le véritable tour de force réalisé par les auteurs est d’avoir réussi à extraire toute la substance émotionnelle essentielle de chaque match, l’âme en quelque sorte, tout en conservant l’entièreté de leur dramaturgie et de leur théâtralité. Épurer sans dénaturer. L’immersion est totale. C’est comme si l’on assistait au spectacle depuis les tribunes. Et c’est d’autant plus passionnant avec le regard différent que nous offrent les anecdotes intra ou extra tennis parsemées ici et là. Des anecdotes qu’on connaît, qu’on a oubliées ou qui nous avaient complètement échappées. Dans l’avant-propos on apprend par exemple que le début de l’idylle entre Nadal et Federer a eu lieu le 16 mars 2004, sous le ciel étoilé d’Indian Wells lors d’un match de double… En évoquant ce match des années plus tard, Yves Allegro, qui était associé à son ami et compatriote Roger, dira ceci : « Roger dit rarement qu’un jeune va être très fort avant de jouer contre lui en simple. Mais là, il m’a tout de suite affirmé “celui-là il va être très fort, et pas seulement sur terre battue”. » 

Le Suisse avait visiblement déjà senti venir le danger et malgré une entente aujourd’hui excellente entre les deux joueurs, à une certaine époque, ce n’était pas forcément le cas… « Everything’s all right, Toni ? », lançait avec ironie un Roger Federer très agacé par Toni Nadal, lors de la finale de Rome en 2006. L’émergence du jeune talent espagnol venu bousculer la suprématie suisse allait créer des tensions  : « Ils se sont toujours respectés, et se vouent mutuellement une grande admiration. Mais il y a eu de la friture sur la ligne, notamment au début des années 2010, lorsqu’il a fallu négocier avec l’ATP un nouvel agencement du calendrier. Nadal a égratigné Federer, sur son manque de combativité, son caractère un peu lisse. Federer, lui, a eu des mots durs sur le coaching supposé de l’oncle et entraîneur de Rafa, Toni Nadal », déclarait Rémi Bourrières en interview. 

Même si pour ce « Fedal », les deux auteurs ont privilégié pendant plus de trois-cents pages le caractère romantique de la rivalité, ils n’en ont pas oublié pour autant d’évoquer quelques chiffres. Les amateurs de statistiques seront servis puisqu’il y en a exactement quatre-vingts, toutes exposées en fin de chapitre sous forme de mémento. Inoubliables sont cependant les émotions ressenties pendant la lecture de cette espèce de radiographie fedalienne. À la manière de scientifiques spécialistes en tennis, Rémi Bourrières et Christophe Perron ont parfaitement su disséquer l’œuvre  monumentale que les deux légendes ont bâti sur plusieurs décennies. Ils ont intelligemment su récolter le précieux nectar dont on avait longuement laissé mûrir le fruit. Évidemment, même si les deux icônes sont toujours sur le circuit, nous en sommes au crépuscule de leurs carrières. Forcément, le livre nous apparaît un peu comme le Requiem de Mozart, une œuvre-somme, un véritable hommage dont on sort en se frottant les yeux mais aussi avec le sourire en coin et l’air fier et chanceux d’avoir assisté à quelque chose d’absolument unique. 

« Ne me quitte pas… Ne me quitte pas… On a vu souvent rejaillir le feu d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux », chantait Brel. En effet, maîtrisant l’art du contre-pied à la perfection, Rafael Nadal et Roger Federer pourraient à l’avenir nous offrir de nouveaux duels. N’omettant pas cette éventualité, les auteurs de « Fedal » ont prévu une nouvelle édition. 

 

L’Anvers du décor

Jannik Sinner, 2021, © Belga Photo / David Pintens / European Open

Habituellement coincé dans un embouteillage de tournois, l’European Open a profité de l’annulation de la tournée asiatique pour tirer son épingle du jeu. Grâce à son aura et sa position attractive au carrefour du Vieux Continent, la ville flamande est une destination prisée des globe-trotters du circuit. Remporté par le prodige Jannik Sinner, le tournoi d’Anvers a honoré une nouvelle fois sa réputation en réunissant un plateau de prestige pour 2021. Immersion en coulisses dans un des ATP 250 les plus appréciés de la planète tennis. 

Qu’il n’est pas simple d’exister dans un calendrier si dense en fin de saison ! Traditionnellement niché entre le Masters 1000 de Shanghai et les ATP 500 de Bâle et Vienne, le tournoi d’Anvers partage également ses dates avec Moscou et Stockholm, ses concurrents. Si la plus petite de ces trois villes est toujours parvenue à rayonner malgré cette importante effervescence, le réaménagement inédit de cette saison 2021 lui a permis de briller davantage. En effet, Covid oblige, la case Asie, déjà rayée en 2020, est une nouvelle fois passée à la trappe tandis que l’étape suédoise a été repoussée cette année au mois de novembre. 

Un casting cinq étoiles 

Devant ce calendrier allégé, les rescapés du virus ont ainsi pu attirer dans leurs filets un plus large éventail de stars. Si la Kremlin Cup a privé le tournoi belge du Top 10 mondial avec Andrey Rublev, local de l’étape, le casting XXL de l’ATP 250 d’Anvers n’avait rien à envier à celui de son homologue russe. Malgré les forfaits de taille de Dimitrov, Auger-Aliassime, Basilashvili, Carreño Busta, Norrie, Fognini et du tenant du titre Ugo Humbert, les organisateurs de l’événement avaient rassemblé sept membres du Top 20 avant que les premières balles ne fusent dans le complexe de la Lotto Arena. Bautista Agut, Opelka, Schwartzman, Sinner, Garín… Sans oublier également la relève avec la présence du talentueux Lorenzo Musetti et la surprenante révélation américaine de l’été, Jenson Brooksby. Et comme si ce n’était déjà pas assez, Sir Andy Murray, qui avait ému la planète tennis ici-même en 2019 en remportant le tournoi après son come-back, était aussi de la partie dans le rôle de la wild-card de luxe. « On aime bien avoir un mélange avec l’expérience de joueurs chevronnés comme Andy Murray et la fougue des jeunes talents de la Next-Gen comme Jannik Sinner. Les joueurs aiment jouer à Anvers et cela se traduit par un plateau d’une telle qualité. Au fil des éditions, notre tournoi prend de plus en plus d’ampleur. C’est évidemment une grande fierté », se félicite Dick Norman, directeur de l’European Open depuis 2018. 

Ancien joueur belge à la carrière honorable, le grand gaucher s’était révélé aux yeux du monde entier en 1995 sur le gazon sacré de Wimbledon. « J’étais lucky loser et j’ai atteint les huitièmes de finale à Londres en battant de grands joueurs comme Stefan Edberg, Pat Cash et Todd Woodbridge. C’était un super parcours complètement improbable », se remémore-t-il sourire aux lèvres. Celui qui a été 80e mondial à son top en simple s’est aussi illustré en double en fin de carrière en atteignant « la finale à Roland-Garros en 2009, l’année du sacre de Federer ». Après avoir raccroché les raquettes en 2013, Dick ne n’est pas détourné du monde du tennis. « Je suis resté dans le milieu et je suis encore régulièrement sur le terrain à entraîner et conseiller des jeunes. Puis en 2018, j’ai eu l’opportunité d’être directeur du tournoi d’Anvers et je l’ai saisie à deux mains. C’était l’occasion de croiser de nouveau mes anciens rivaux avec qui j’ai joué pendant de nombreuses années mais c’était surtout une grande fierté d’être à la tête d’un tel événement. »

European Open Director Dick Norman and CEO and Co-founder of Tennium Kristoff Puelinckx, © Belga Photo / Laurie Dieffembacq / Icon Sport / european Open

Anvers : les diamants sont éternels 

Si l’engouement autour d’Anvers est exceptionnel, il n’est toutefois pas une première dans son histoire. Les puristes et les anciennes générations se souviendront que la ville la plus peuplée de Belgique a longtemps rimé avec sommet du tennis mondial. « Anvers a toujours été une ville de tennis. Il y a une trentaine d’années se déroulait l’ECC (l’European Champion’s Championship) qui attirait les meilleurs joueurs de la planète », souligne l’ancien joueur professionnel. En effet, de 1982 à 1998, la cité flamande a séduit l’élite de la petite balle en promettant au triple vainqueur de l’épreuve – sur une période de cinq années consécutives – une raquette en diamants ! Exposé au sein de l’incontournable musée maritime aan de Stroom d’Anvers, l’objet de luxe, composé de 1700 pierres précieuses et de quatre kilogrammes d’or, était une véritable source de convoitises. Seul un homme, fondu dans un autre métal, le robot d’acier Ivan Lendl, couronné en 1982, 1984 et 1985, était parvenu à ravir le bijou géant estimé à 1,3 millions d’euros. Au cours de cette décennie, Ivan le Terrible trustera même à cinq reprises la compétition, faisant de lui le joueur le plus titré en terres flamandes. Outre l’imperturbable Tchèque, plusieurs autres légendes du tennis ont inscrit leur nom dans le panthéon du tournoi : John McEnroe, Goran Ivanišević, Richard Krajicek, Pete Sampras ou encore Michael Stich, tous d’anciens membres du Top 4. 

Enfin, comment ne pas associer la ville d’Anvers à sa française préférée Amélie Mauresmo ? Avec son incroyable triplé réalisé consécutivement en 2005, 2006 et 2007 aux « Proximus Diamond Games », nom du tournoi féminin apparu en 2002, la championne tricolore a imité Ivan Lendl en ajoutant la raquette de diamants dans son armoire à trophées. Cette page glorieuse du tennis anversois a également été marquée par ses héroïnes locales comme le rappelle Dick Norman. « Kim Clijsters a remporté le tournoi en 2004 après avoir échoué contre Venus Williams en finale l’année d’avant. Justine Henin s’est imposée également en 2008. Ce sont de superbes souvenirs qui ont marqué le public d’Anvers. »

Amélie Mauresmo, et Ivan Lendl avec leurs raquettes de diamants, © European Open

Kristoff Puelinckx : l’homme derrière le succès d’Anvers 

Disparu du circuit depuis 1998, le tournoi masculin renaît de ses cendres en 2016 sous l’impulsion d’un homme : Kristoff Puelinckx. Après avoir monté en 2006 la société Delta Partners, spécialisée dans les secteurs des télécommunications et des technologies, le businessman à succès s’est aperçu du potentiel infini des médias. « J’ai vu l’émergence des plateformes numériques et de la numérisation des contenus, en particulier dans le domaine du sport. Cela m’a semblé être une grande opportunité. Désireux de me lancer dans un autre projet entrepreneurial, je me suis engouffré dans cette voie et je suis rapidement arrivé au tennis », détaille-t-il. Passionné mais visionnaire avant tout, le Belge fait la connaissance en 2015 de Sébastien Grosjean, autre acteur fortement engagé dans sa discipline. « Nous avons décidé de créer l’entreprise Tennium avec une vision simple : construire une plateforme globale intégrée où nous organisons des tournois de tennis. » synthétise le Gantois. Le duo ne perd pas de temps puisqu’il rachète la même année les droits et la date de l’ATP 250 de Valence pour l’installer à Anvers. «Quand nous avons récupéré le tournoi, nous avons cherché différents pays et différentes villes pour l’organiser. Il y a toujours eu une forte tradition de tennis en Belgique, plus précisément à Anvers. Beaucoup de clubs gravitent autour de la ville. De plus, les gens ont encore de bons souvenirs des raquettes de diamants. Je pense notamment à Justine Henin et Kim Clijsters qui ont marqué les esprits en disputant des matches mémorables. » Empreinte de son héritage tennistique prestigieux, la municipalité flamande a rapidement encouragé la démarche. « Nous avons eu très vite le soutien du maire, Bart De Wever, un homme politique bien connu dans la région. Il nous a tendu la main dès le début et s’est montré favorable au projet. Cela a évidemment aidé à nous convaincre de venir ici il y a maintenant six ans », recontextualise Kristoff Puelinckx. 

Pari réussi donc pour le propriétaire du tournoi qui n’oublie pas de mentionner que son entreprise Tennium n’est pas uniquement derrière le succès de l’European Open. « Nous sommes également à la tête du tournoi de l’ATP 250 de Buenos Aires et du 500 de Barcelone. Cette année, nous avons élargi notre spectre en organisant activement des événements autour du tennis féminin. Nous avons mis en place l’ITF 80 000 de Valence qui se tenait en septembre et nous avons lancé deux tournois WTA en Amérique du Sud. L’un à Buenos Aires la première semaine de novembre et l’autre à Montevideo la troisième semaine du mois. Une grande première en Uruguay. »

Si elle excelle dans le management de tournois, la plateforme fondée par Kristoff Puelinckx s’investit également pour ceux qui y participent. Avec d’un côté l’expérience de champions, désormais sur la pente descendante, comme Feliciano López, Tommy Robredo ou encore Richard Gasquet, et de l’autre, la fougue des jeunes promesses danoise Holger Rune (123e), belge Zizou Bergs (186e) ou andorrane Victoria Jiménez Kasintseva (1ère mondiale chez les juniors), Tennium a fait le choix de l’éclectisme et de la complémentarité dans ses profils. « Nous représentons une cinquantaine de joueuses et joueurs de tout âge avec des progressions différentes. Nous leur proposons une large gamme de services avec notamment la mise en place d’un staff et d’un soutien financier si nécessaire », explique son fondateur. 

Accueil grand luxe 

Si le tournoi d’Anvers a retrouvé une place dans le calendrier mais surtout ses lettres de noblesse, ce n’est évidemment pas le fruit du hasard. « Anvers dispose d’un emplacement stratégique en Europe. Il est facile depuis n’importe quelle ville de se rendre en Belgique. C’est un avantage pour les joueurs de limiter les voyages, parfois éprouvants », éclaire le directeur du tournoi Dick Norman. Un constat partagé par son propriétaire Kristoff Puelinckx qui loue également les qualités relationnelles de son acolyte : « C’est une organisation très conviviale. Dick et sa femme ont une approche très familiale avec l’équipe présente. Il y a un effectif important en place ici qui est très proche des joueurs. Cela donne beaucoup d’attachement et d’attention à l’European Open. Je pense que cette touche personnelle rend le tournoi d’Anvers différent de beaucoup d’autres sur le circuit. » Avec une « équipe dévouée autour de 300 personnes » où fourmillent bénévoles, hôtesses, arbitres, personnel de nettoyage et de sécurité ou encore chauffeurs de taxis, les participants de l’European Open sont choyés le temps d’une semaine. « Je pense que cela donne un caractère spécial au tournoi et que les joueurs ont appris à l’apprécier. Certains sont très fidèles et reviennent chaque année. Ils sont sensibles à cette touche personnelle, à cette attention portée et au fait que l’on prenne soin d’eux », explique le leader de Tennium. 

Grâce à son rôle de recruteur de l’ombre, Anvers peut également compter sur son ambassadeur de luxe, Sébastien Grosjean, pour ferrer de gros poissons. Dans les colonnes du quotidien belge « La Libre », l’ancien 4e mondial était revenu en détail en 2019 sur sa mission : « Je fais en sorte de renseigner un maximum les joueurs sur les qualités du dispositif ici à Anvers et d’être attentif à leurs besoins. Cela se travaille évidemment en amont tout au long de l’année ». Inévitablement, le Marseillais est à l’origine de la « french touch » qui imprégne le tournoi depuis sa réinsertion dans le calendrier en 2016. Les statistiques le démontrent puisque ce sont les tricolores qui s’y sont le mieux illustrés. Quatre finales sont à noter côté Frenchy : Richard Gasquet (victorieux face à Schwartzman) en 2016, Jo-Wilfried Tsonga couronné en 2017 contre le même Argentin, Gaël Monfils défait en 2018 par Kyle Edmund puis Ugo Humbert titré en 2020 face à Alex De Minaur. Responsable également en grande partie des venues de Stan Wawrinka et Andy Murray lors de l’édition 2019, Sébastien Grosjean est un intermédiaire privilégié avec les acteurs du circuit grâce à son expérience d’ancien joueur. Un processus de recrutement explicité par Kristoff Puelinckx : « Grâce à Seb, entre autres, nous avons une relation plus large avec beaucoup de joueurs du monde entier ainsi qu’avec leurs agents. Nous avons de très bons liens avec eux. Nous entamons des conversations très tôt et nous sommes en mesure de convaincre les joueurs de venir ici. Ils savent qu’ils seront bien pris en charge à Anvers. En résumé, c’est un mélange d’une bonne réputation sur le circuit et de relations solides avec les joueurs. » Grâce à sa toile tissée aux quatre coins du globe, la marque Tennium sait se montrer convaincante. « Les autres tournois que nous organisons sur le circuit ainsi que notre réseau en tant qu’agents de joueurs nous aident grandement dans le processus. Il est bon de ne pas avoir seulement un tournoi local mais d’être un acteur mondial. Cela donne beaucoup plus de poids au moment de parler à des agents et des joueurs. Cela vous positionne donc très différemment. »

Si l’organisation de l’European Open est à la pointe, ses infrastructures le sont également. Un des autres arguments qui expliquent la notoriété de l’événement. « Nous sommes dotés d’une superbe salle, la Lotto Arena, qui peut accueillir 5000 spectateurs. Le public l’adore. Il n’y a que des places de qualité et il est impressionnant de voir les joueurs de si près », se réjouit Dick Norman. Les fans belges ne sont pas les seuls à avoir adopté ce court central intimiste. Les stars du circuit s’y sentent également à l’aise en proposant un tennis d’une extrême qualité. En effet, depuis sa réinsertion dans le calendrier ATP en 2016, le Palais des Sports d’Anvers a été le théâtre de nombreuses parties de haut-vol et d’images inoubliables. Encore présentes dans les esprits, les larmes d’Andy Murray de 2019 en font partie. Après deux opérations à la hanche et une retraite qui semblait inexorable, le guerrier britannique avait renoué avec le succès en triomphant de Stan Wawrinka au terme d’une finale époustouflante. Cette année, l’Ecossais a repoussé une nouvelle fois ses limites dans une Lotto Arena qui lui sied décidément à merveille. Malgré sa hanche métallique, l’ancien numéro un mondial a remporté un bras de fer titanesque de 3 h 45 au premier tour contre Frances Tiafoe (7-6, 6-7, 7-6). Un marathon dantesque inscrit dans le Hall of Fame de cette saison 2021, comme étant le match le plus long de l’année sur le format deux sets gagnants.

A l’inverse, l’ouragan Jannik Sinner n’aura pas traîné sur les courts d’Anvers pour remporter le cinquième titre de sa carrière. En mode rouleau compresseur, la pépite italienne a martyrisé tous ses adversaires lors de sa semaine belge avec sa puissance de frappe phénoménale. Aucun set perdu en route et une finale maîtrisée de A à Z contre un Diego Schwartzman impuissant, repoussé dans les bâches par les coups de boutoir de l’Italien (6-2, 6-2). A seulement 20 ans, l’élève de Riccardo Piatti, désormais 11e mondial, se repositionne dans la course à la qualification pour le Masters. 

Autre fait marquant de cette édition 2021, le retour complètement impromptu de Xavier Malisse sur les courts ! Huit ans après sa retraite, le Belge, reconverti dans le coaching, a dépoussiéré ses raquettes pour jouer aux côtés de son poulain Lloyd Harris en double. « Nous trouvions l’idée sympa de former cette paire originale entre un coach et son élève. On a surpris pas mal de gens avec cette wild-card ! » confie Dick Norman, fier du petit buzz créé par la nouvelle. 

 2021 : un nouveau rebond  

Si le public a répondu présent pour ce cru 2021, les organisateurs de l’événement n’avaient pas eu la même chance dans l’ultime ligne droite la saison dernière. « En 2020, nous avions fait l’effort de rendre le tournoi possible malgré la pandémie mondiale, sans savoir si l’on prenait des risques financièrement. Nous étions parvenus à rassembler du public en début de semaine puis le gouvernement belge a pris la décision de fermer la porte aux spectateurs à partir du stade des demi-finales. C’était un gros coup dur. Au lieu de l’apothéose attendue, nous avions eu droit à une ambiance morose en fin de tournoi », raconte Dick Norman. Avec le recul, le Belge préfère s’amuser de cette mésaventure qui aura permis à l’une de ses filles de repartir avec un petit cadeau du gentleman Grigor Dimitrov. « Elle regardait les demi-finales dans les loges VIP puisqu’il n’y avait pas de public. A un moment, elle a reçu un service de Dimitrov dans le visage. La balle avait rebondi très haut et était passée au-dessus des bâches. Elle a été surprise plus qu’autre chose mais cela n’a pas empêché Grigor de s’excuser en lui offrant son poignet-éponge au changement de côté. Elle l’a toujours. C’est un super souvenir. » 

Si l’anecdote fait sourire maintenant, c’est aussi parce que les organisateurs ont pu survivre à la menace Covid cette année. Avec un budget avoisinant les « 3 millions d’euros », l’ATP 250 d’Anvers, comme n’importe quel événement sportif d’ampleur internationale, compte évidemment sur sa billetterie pour rentabiliser son investissement. « Le prix de nos places a augmenté cette année. Les billets représentent environ 15% de nos recettes. C’est une part importante de revenus mais ce n’est pas la plus grande », détaille Kristoff Puelinckx. En effet, si la partie la plus lucrative se situe au niveau du sponsoring, les droits TV ne sont également pas en reste. « Ils se sont complètement envolés avec la démocratisation d’Internet et de ses plateformes. De plus en plus de fans suivent des matches depuis Tennis TV. C’est une source de revenus importante pour le tournoi », souligne Dick Norman. Et ce n’est pas celui qui a anticipé cette explosion il y a une dizaine d’années qui le contredira : « L’une de mes hypothèses de départ était que toute cette activité allait croître considérablement avec l’émergence des plateformes numériques. Les gens dépensent de plus en plus d’argent dans du contenu premium. J’ai supposé que ça allait faire grimper les droits médiatiques comme nous le voyons dans le football. Et c’est ce qu’il s’est passé. » 

Avec pas moins de 40 diffuseurs retransmettant la compétition dans 121 pays différents, la couverture médiatique de l’European Open dépasse largement les frontières du Vieux Continent. « Nos droits médias sont passés d’environ 15% à environ 25% aujourd’hui. C’est exponentiel », affirme le fondateur de Tennium. Une formidable résonnance mondiale pour le tennis belge et le tournoi d’Anvers qui n’en finissent plus de grandir. 

 

Sparring-partner

© Ray Giubilo, 2021

CHAPITRE XII – Sparring-partner

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As
Chapitre VI – Midinette
Chapitre VII – Claudio monte un peu court et se fait passer
Chapitre VIII – L’âme russe
Chapitre IX – Un petit coin bien arbitré
Chapitre X – Ôtons le tiret
Chapitre XI – C’était il y a un an, un siècle, une éternité

 

Courageux comme un français, Rosol avait perdu son match, en nage comme de bien entendu malgré la diffusion massive, fraîcheur nature, d’ « Allez Rosol ! » depuis les tribunes. La finale attendue aurait lieu entre le maître et son disciple, entre Adam Stern et Ambrosz Cerny. Pendant trois jours, j’avais évité les travées de Roland Garros, préférant à l’impact des balles le tonnerre en sourdine de mes colocataires. Ma décision était arrêtée depuis longtemps déjà.

Je suis un sparring-partner ; faire-valoir, c’est tout un métier ; il est difficile d’y exceller. Il faut savoir fixer son niveau un cran en dessous de celui des autres. Quand je brille, c’est à l’image de l’or jaune ceinturant un diamant de trente centimètres de large. Il n’en a jamais été autrement et cela ne changera jamais. Mes accélérations de coup droit ne sont belles que parce qu’elles embellissent le contre de l’adversaire. J’ai besoin de la lumière des autres pour exister un peu ; si on me la retire, je deviens un répétiteur sans texte, un mollusque dans une coquille grise ; il faut me trouver des modèles. Mais il faut que ces modèles soient reconnus aussi par d’autres, qu’ils portent une signification – un modèle qui ne dit rien de soi, c’est un vortex intérieur, l’acceptation du néant, le vide. Trouvez-moi des modèles et je serai quelqu’un. Je n’en demande pas davantage.

Avant, je disposais de deux modèles ; l’un est mort et l’autre l’a tué. J’ai besoin d’un nouveau modèle.

Ce matin, j’ai entraîné Stern. Il ne savait pas que je savais qu’il savait que je savais. Stern a été très courtois. Il m’a félicité pour mon rétablissement ainsi que pour mes performances. « Tu joues quand même facile top 100, quand tu t’y mets. » On a les compliments qu’on peut.

J’ai hésité, pendant deux heures, à sortir mon petit traité de paix : des confessions pré-remplies auxquelles manquait une simple signature, avec conservation discrète soumise à contreparties : fin de carrière, défaite finale. Mais je voyais bien ce que cette stratégie avait de pervers : truquer le match de Cerny aurait fait du Tchèque un gagnant ; certainement pas un modèle. Je voulais un général en tenue d’imperator et non pas sa copie au musée Grévin.

J’ai hésité, pendant ces mêmes deux heures, à viser Stern au visage, au genou, à la cheville, pour qu’il ressente physiquement le sentiment de trahison qui m’étreignait en repensant aux émotions boursouflées de tromperie que sa fin de carrière m’avait fait vivre.

Je ne l’ai pas fait.

Et puis : Stern joue admirablement. Toutes mes pensées se sont brouillées. Au sortir de l’entraînement, oui, tout était remis en cause.

En tribunes, sur le Chatrier, je retrouvai Marion, Claudio et l’inspecteur Racine, venu assister en civil au dénouement de la quinzaine. Claudio était en attente de procès ; Racine ravi d’avoir bouclé son affaire ; Marion me scrutait d’un œil ironique. Les joueurs pénétrèrent sur le court sous des applaudissements sans fin. Alors le temps se dilata et le speaker, au ralenti, énuméra les palmarès ; le premier aurait tenu dans la poche revolver du second. On observa une minute de silence en l’honneur de Belluci. Puis l’arbitre relâcha sa montre. Les joueurs échangèrent des balles molles. Leurs techniques mimétiques créaient une impression troublante, celle d’une vision supérieure, dans cet état proche de la zone où, parfois, l’alcool nous emmène. La chaleur s’intensifiant, l’atmosphère devint terreuse. Regard ironique de Marion, frottements de mains moites chez Racine, registres de paris pour Claudio. Des vibrations partout chez moi.

Premier set : Stern. Deuxième set : Cerny. Troisième set : Cerny. Quatrième set : Stern.

Et le cinquième set fut pour moi.

 

 

 

Sparring-partner

© Ray Giubilo, 2017

CHAPITRE XI – C’était il y a un an, un siècle, une éternité

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As
Chapitre VI – Midinette
Chapitre VII – Claudio monte un peu court et se fait passer
Chapitre VIII – L’âme russe
Chapitre IX – Un petit coin bien arbitré
Chapitre X – Ôtons le tiret

 

 

Mon téléphone vibra ; un accent à trancher au fil à couper la frite.

– M. Loisel ?
– C’est moi.
– Basil Van der Beckerst, juge-arbitre international rattaché à…
– A l’ATP. J’ai bien reçu votre carte. Comment on enchaîne ? Vous me passez Marion qui me dit qu’elle va bien, que vous la traitez correctement, nous nous donnons rendez-vous dans une ruelle sombre pour procéder à un échange et vous m’abattez ?

Je me voyais déjà le chapeau vissé sur la tête dans un trench avec mon pétard.
– Que nenni ! N’allez pas vous imaginer des choses aussi sombres, mon bon monsieur. Je n’ai aucune intention, foi de Beckerst, de vous tuer. Quant à cette Marion, ma foi, elle pose beaucoup de questions mais je suis homme à résister à la pression.
– Je vous écoute, alors.
– J’ai une histoire à vous raconter. Il était une fois… Cela commence un peu comme cela. Je vous tiens pour un homme raisonnable. Je suis sûr que vous l’apprécierez.
– Je suis très raisonnable.
– Bien. Passez-me voir. Je suis installé aux Trois Obus, Porte de Saint-Cloud. Je vous y attends. Je porterai…
– Un ensemble polo Lacoste bleu et des chaussures blanches. Une raie impeccable. Je me doute. Je suis un peu de la maison, moi aussi.
– Je porterai un t-shirt des Hell’s Angels. Il faut savoir faire relâche.

Rebelote : on m’appelle et je me rends disponible. La place de la Porte de Saint-Cloud fait partie de ces endroits qui, s’ils venaient à être rayés de la carte, n’hériteraient pas de plus d’une manchette dans les journaux – sauf peut-être dans Onze Mondial. Un conglomérat de taxis, d’erreurs urbanistiques, de grands ensembles et de goûts douteux. Ici vivent les presque immensément riches. On fait cent mètres vers Exelmans et l’on retrouve la douceur olivâtre du seizième valant son pesant de pèze ; ce n’est pas très sympathique, mais ça a le mérite d’être calme. Sur la place, en bordure du périphérique, au carrefour des destinations qui balayent du sud à l’ouest, on se sent loin de tout, des autres et de soi-même. Je le sais, j’y ai vécu. Ou peut-être était-ce le goût amer que me laissait ma découverte qui venait chafouiner mon moral.

Aux Trois Obus, ancien bar de quartier reconverti en standard de bistro parisien kitchouille peint aux couleurs des Pays-Bas, la terrasse était vide. Ce devait être cette proximité colorimétrique qui avait conduit le Flamand à choisir ce café pour y tenir salon. A la carte tout est maison ; on ne sait pas de quelle maison il s’agit.

Van Berckerst était attablé sur une banquette au fond de la salle. Le papier peint rosé l’était moins que son teint et son t-shirt des Hell’s Angels lui moulait la bedaine comme une ficelle son rôti. Il sirotait un diabolo fraise en mangeant des cacahouètes à pleines poignées. J’allais le suivre dans cette voie, mais l’ambiance conciliabule reprit le dessus.

– Un whisky, s’il vous plaît.

J’ai horreur du whisky. J’allais passer l’heure à venir à réprimer des moues amères en râpant ma langue sur mes incisives, tout ça pour avoir voulu me donner un genre.

– Bon. Bon. Par où commencer ? Nous allons commencer il y a treize ans, si ça vous convient.
– J’adore les histoires d’il y a treize ans.

Pour ce dialogue un peu long, je préfère vous épargner l’accent belge.

– Tant mieux. Donc : il y a treize ans, un type déboule sur le circuit depuis son Allemagne natale. Il a le charisme d’une huître. Toute sa vie, il n’a fait qu’une seule chose, n’a su faire qu’une seule chose, et cette chose c’est jouer au tennis. A l’époque, j’étais jeune arbitre et je tournais sur les circuits secondaires. Je le connaissais bien ce type, nous avions sympathisé, et je le trouvais très prometteur.
– Ce type, c’est Adam Stern, c’est ça ?
– Bien sûr, mais à l’époque ce n’était que le petit Allemand. Donc, nous avions sympathisé. Mais si vous saviez le nombre de jeunes joueurs prometteurs qui ne percent jamais… Je ne me faisais pas trop d’illusion. A l’époque, le circuit était dominé par les grands Américains et par quelques figures transparentes qui apparaissaient au plus haut niveau, avant de disparaître comme Casper le fantôme. La domination américaine n’en finissait plus. Je me voyais mourir avant que quelqu’un ne bouscule la hiérarchie. Je m’en ouvrais d’ailleurs assez facilement auprès des joueurs, toujours sur le circuit secondaire. Et notamment après de notre Allemand, qui partageait mon point de vue.
– Le tennis de l’époque ne lui convenait pas ?
– Il y voyait déjà la fin du tennis offensif – on parle de la fin du tennis offensif depuis 1966, c’est vous dire. Il avait des idées très précises, très enthousiastes sur son sport. Il n’avait pas encore un physique suffisamment solide pour exister vraiment, mais on sentait qu’il pouvait être l’un des grands théoriciens du jeu, quelqu’un qui marquerait son époque par son style et sa vision. Encore une fois, ce pouvait être une impression trompeuse : Thierry Champion, en son temps, m’avait fait un effet similaire. Vous voyez un peu le décalage. En tous les cas, pour notre Allemand, cela se cantonnait pour l’heure aux tournois Challenger où il n’avait pas à forcer son talent pour renverser des Nord-Coréens qui espéraient pouvoir s’enfuir de leur pays. Mais nous avons connu une ascension commune.
– Vous voulez dire confraternelle ?
– C’était le seul mot qui me venait pour décrire un retour d’ascenseur dans une ambiance conciliabule.
– Oui et non. Ce n’est pas aussi simple. Toujours est-il que sa première apparition en Grand Chelem, la première invitation dont il a fait l’objet, a été concomitante à mon premier arbitrage sur le circuit principal. Ce n’est pas rien, cela créé des liens.
– Vous l’aviez arbitré ?
– Non, pas son match. Mais cela nous a donné l’occasion de partager nos impressions, de confirmer nos intuitions.
– Venez-en au fait.
– Oui, oui, oui. Cette année-là à Roland-Garros, notre ami décide d’accentuer son penchant offensif ; il affronte le tenant du titre, américain, évidemment, et le joue à la hussarde. Il monte, première, deuxième : il monte. Retour, il monte. Il gagne. En face, le type ne comprenait rien. Il était deuxième mondial. Depuis dix ans. Et il perd, en trois sets, tout d’un coup. Je comprends que l’Allemand n’est pas comme les autres. Je comprends qu’il va réussir à imposer sa vision aux autres.
– Bref vous êtes en admiration.
– Je suis en admiration. Il finit par perdre en quarts…
– Je m’en souviens, oui.
– Mais il gagne Wimbledon l’année suivante. Il gagne Wimbledon en battant le numéro 1 mondial. C’était phénoménal. Là, il devient Adam Stern, celui que le public connait. Il n’est plus le petit Allemand. Et cette finale, c’est moi qui l’ai arbitrée. C’était sa première et la mienne aussi.
– Vos destins étaient liés, en quelque sorte.
– Oui, mais nous avons choisi de nous éloigner. Pendant les années qui ont suivi, nous avons cantonné nos relations à quelques dîners épisodiques, toujours en présence de tiers. Nous avions peur que cette ascension conjointe ne nous porte préjudice. Ces précautions m’ont freiné dans ma carrière : combien de finales j’ai refusées pour ne pas avoir à l’arbitrer lui ! Il faut dire qu’il en a disputé, des finales ! Je ne tiens même plus les comptes. En tous les cas, ce qui était prévu a fonctionné. La jeune génération s’est mise à l’imiter, avec un succès fluctuant – mais tout de même : par sa seule technique, il avait réussi à influer sur l’évolution de son sport. Peu de champions peuvent en dire autant.
– Et humainement ?
– Il n’avait pas changé ! Il déteste perdre, comme tous les champions, mais il restait ce théoricien un peu flegmatique que les relookeurs successifs, financés par ses sponsors, n’ont jamais réussi à altérer. Sa réussite, c’était celle d’un surdoué universitaire des échecs, pas très à l’aise avec les filles, qui se rend compte soudain que sa passion est de loin plus importante que les moqueries dont il peut faire l’objet. Il devenait solaire ! Toujours avec une distance ironique, pour lui-même et pour les autres. Il trouvait ridicules les efforts des anciens pour se maintenir alors qu’ils n’avaient rien compris à l’évolution du jeu. Il restait fidèle à lui-même, pas très travailleur, très cérébral, très gestionnaire dans ses matchs, un peu sur courant alternatif, parfois, mais appliqué. Pour tout. Et les années ont passé avec comme trait commun sa domination intraitable, et le jeu a commencé à évoluer. Et il s’en est rendu compte.
– C’est-à-dire ?
– L’an dernier, quelque chose a changé en lui. J’en veux pour preuve qu’il a repris contact avec moi. C’était à l’Open d’Australie. Son discours avait un peu changé. Les percées de Iejov et de Bulter, au cours des années précédentes, lui avaient foutu un coup au moral, je crois. Il ne peut pas saquer ces mecs. Pas tant humainement, mais sur un terrain. Pour lui, ils n’ont rien compris au tennis, à l’attitude. Ce sont des feux de paille. A cet Open d’Australie, le dernier grand tournoi qu’il a remporté, contre Iejov en finale, il était anxieux. Il n’avait pas envie de les jouer. Jamais, même si nous nous étions éloignés, je ne l’avais vu ne pas avoir envie de jouer. Il adore jouer. Les chiens ne se lassent pas d’aller chercher la balle. Et je sentais que, face à ces mecs-là, il ne doutait pas du tout de la victoire – il doutait du plaisir.
– Oui, ça n’a rien d’extraordinaire, des types qui te font déjouer il en existe des centaines, à commencer par les gros serveurs.
– C’était autre chose. Il venait de dépasser la trentaine, et il s’interrogeait sur l’avenir. Comme je le disais, il avait trouvé lamentable l’attitude des Américains qui s’accrochaient à leurs petits titres, plusieurs années après sa prise de pouvoir, des titres qu’ils allaient gagner dans des tournois où lui ne s’alignait pas. Il y voyait une forme de petite mesquinerie, quelque chose d’assez bas… Allez comprendre ! Et je crois qu’il avait très peur de faire la même chose. Mais l’antipathie que ces mecs lui inspiraient était plus forte encore. Il se disait : « Adam, est-ce que tu es sûr d’avoir raison ou bien est-ce que tu es en train de devenir tonton grognon, le type qui rechigne à accepter le monde tel qu’il est devenu simplement parce que tu as peur de mourir avec le monde que tu as connu ? » Il était très cérébral, vraiment. Et c’est alors que surgit Belluci, qui vient de fêter ses vingt ans.
– Oui, il fait un huitième à cet Open d’Australie, non ?
– Il va en huitième. Il perd contre Iejov assez difficilement. Et Stern est dans le public. Et là il se passe quelque chose de très fort pour lui. Une révélation : Belluci ne joue absolument pas comme lui – absolument pas, il distille de grosses frappes liftées du fond du court, jouant avec une intensité permanente, contrairement à Adam qui est toujours branché sur courant alternatif. Mais Stern sent que lui aussi a cette vision, ce sont les termes qu’il avait employés, je m’en souviens clairement. La même vision que j’avais senti chez Stern quand il n’avait que dix-neuf ou vingt ans.
– C’est quoi cette vision ?
– C’est une idée englobante, un pari sur l’évolution du jeu. Et Belluci l’avait, Stern en était convaincu. Pendant le match, il me disait n’avoir vu que lui. Iejov était simplement une entité brumeuse de l’autre côté du court. A la sortie du match, Stern est allé féliciter Belluci. Il lui a dit des mots qu’il n’a jamais voulu me répéter. Mais je sais que, de cette discussion, est née l’amitié relative qu’on leur prêtait dans les médias. Lui aime à prendre ses distances quand il évoque Paolo. Mais en réalité, il était fasciné par sa foi. Belluci n’envisageait jamais la défaite. Même à vingt ans. Ce gamin était programmé pour gagner. A la loyale, qui plus est. Il n’avait pas la gagne, il avait la grâce. Mais il lui manquait le déclic pour y croire tout à fait. Jusqu’alors, il se vivait en victime.
– Tout ça ne nous explique rien sur la mort de Belluci.
– Je vais y venir. Tout le monde, pour essayer de comprendre cette mort, a regardé le court central pendant le match soporifique entre Lopez et Gonzalez.
– Ah, ils vous emmerdent aussi ?
– Oui, profondément.
– Quel soulagement, la victoire de Cerny sur Lopez !
– Je ne vous le fais pas dire.
– Lui, il a du potentiel.
– J’espère. Je ne suis pas sûr qu’il ait le feu sacré. En réalité son revers est une merveille, mais il a des progrès…

Nous nous regardâmes.

– Bon. Tout le monde a scruté le court central pendant le seul fait intéressant du match : la découverte du corps. Les questions étaient les suivantes : par où le cadavre a-t-il été traîné, qui sont les suspects, quel est le mobile, pourquoi ce feu d’artifice… Mais il fallait regarder sur ce même court un an auparavant. C’est là que tout s’est joué. Et ce jour-là, j’y étais moi aussi.
– La finale ?
– La finale.
– Elle se déroule en deux temps.
– Vous allez comprendre. Vous allez tout comprendre. Le tournoi commence et Stern a survolé la saison, comme d’habitude. Mais au fil des matchs, il sent que Iejov et Butler commencent à prendre une nouvelle dimension. Leur physique s’améliore, leur mental également. Stern sent que son totem lui échappe.
– Son totem ?
– L’invincibilité, la crainte qu’ont les autres au moment de pénétrer sur le court pour l’affronter. La certitude de gicler en douze petits jeux. Ce totem-là. Butler et Iejov ont des gri-gris pour le contrer. Et ils augmentent la dose d’onguent chaque jour. D’ailleurs, le public ne s’y trompe pas. Il n’est plus aussi unanime derrière Stern. On entend des voix discordantes. La lassitude. L’habitude. Stern n’est pas un imbécile, il le sent. Mais il se refuse à laisser la place à Butler et Iejov qu’il méprise. Surtout qu’il soupçonne Iejov de se doper.
– Il a des preuves ?
– Non, mais les sportifs savent bien qu’il est impossible de gagner une telle masse musculaire en six mois au seul bénéfice de séances de fitness. C’est alors qu’il monte un plan. Toute la quinzaine, je me suis efforcé de le dissuader. Mais Adam est une tête de mule. Souvenez-vous des premiers tours. Stern ne semble plus en jambes. Il abandonne un set à un qualifié australien au premier tour, accepte de ferrailler deux tie-breaks contre Rosol au deuxième, et ainsi de suite jusqu’aux quarts.
– Les quarts où il joue Butler.
– Oui, et vous remarquerez que, là : tout revient, tout est en place et le match est plié en trois petits sets. Au tour suivant, c’est Iejov qui s’y colle. Rebelote, trois sets secs. Comment expliquer ces montagnes russes ?
– Vous avez-vous-mêmes dit qu’il était inconstant…
– Mais non ! Il préparait sa sortie, enfin ! Il déjoue de lui-même les premiers matchs pour donner aux commentateurs l’impression d’une fin de règne. Son but était de continuer comme ça jusqu’en finale. Mais….
– C’est pour cela que, lorsque je l’ai entraîné, il me semblait qu’il ne faisait même pas l’effort d’aller chercher les balles…
– Exactement. Il fallait que tout le monde croie à sa méforme et il ne doutait pas que vous iriez le répéter sur tous les toits. Mais il n’a pas accepté d’abandonner le moindre set à ses vrais rivaux. Trop de mépris. Il avait peur que cette petite victoire ne leur donne trop de confiance, malgré la défaite inévitable. Vous comprenez ? Stern sait qu’il ne peut pas perdre. Il le sait, c’est en lui. Il ne doute jamais de lui-même, c’est ce qui fait sa force. Et on en arrive à la finale.
– Belluci aussi a eu un parcours chaotique…
– Oui. Adam regardait tous ses matchs, disséquait tout son jeu, la peur au ventre. Il est trop moral pour avoir songé à acheter les matchs de Paolo, alors il lui faisait confiance. Il ne manquait jamais d’aller le féliciter, à chaque tour. Mais ce huitième de finale contre Mankelevic arraché au cinquième par Belluci aurait tout aussi bien pu tuer Stern. Je ne l’avais jamais vu dans cet état. Il hurlait ! « Fous-lui bas sur le coup droit, bordel ! » Il hurlait dans tout l’hôtel.
– Comment se fait-il que vous ayez assisté à cela ?
– Parce qu’il m’avait mis dans la confidence pour son plan et que je passais tous mes moments de libre à essayer de l’en dissuader.
– Quelle était la finalité ?
– Laisser gagner Belluci, évidemment ! Organiser une passation de pouvoir selon ses termes. Fabriquer le nouveau Stern en surclassant Iejov et Butler.
I- l pensait que cette victoire en finale suffirait à faire de Belluci un leader ?
– Il le savait.
– Et vous avez arbitré la rencontre.
– Et j’ai arbitré la rencontre. J’en connaissais le score avant même de grimper sur la chaise.
– Le score, à ce point-là ?
– Cela fait partie des jeux de Stern. Il est tellement sûr de lui qu’il annonce parfois le score de ses matchs avant de les jouer.
– 1/6 6/2 6/3 7/5.
– Dans le mille.
– Vous n’avez donc pas eu à tricher ?
– Il m’a simplement spécifié qu’au début du deuxième set, une occasion de break devait lui être refusée sur une balle bonne mais jugée longue. J’avoue m’être exécuté.
– Ce qu’on a appelé le tournant du match.
– Les journalistes avaient leur narration ! Mais si vous regardez bien, vous verrez que Stern ne sait pas mal jouer. Quand on connait l’histoire, on se rend compte qu’il vendange volontairement. Ses gestes ne sont pas naturels.
– D’où cette impression de gêne, de malaise pendant le match.
– Comme si l’enchaînement des points ne suivait pas une courbe logique. Et Belluci ?
– Belluci n’en savait rien. Et c’est bien là le problème. Belluci était très fier. Plus encore que ne l’est Stern. Belluci était très fou. Plus encore que ne l’est Stern. Et désormais Belluci est très mort ; plus encore que ne l’est Stern.

La suite se comprend d’elle-même. Butler voit le match et comprend ce qu’il s’est passé. Il en parle à Iejov avec qui il décide de s’associer pour faire chanter Stern et prendre le contrôle du conseil des joueurs. Stern, en retour, évoque le dopage de Iejov. Statu quo. Mais s’ils ne peuvent faire plier Stern, les deux hommes pensent pouvoir retourner Belluci. Butler ne veut pas être mis en avant. Il charge Iejov d’approcher Belluci. L’épisode se déroule par entraîneurs interposés. Paolo apprend l’histoire et interroge Stern. Les hommes s’invectivent. Belluci prend la décision de quitter le tournoi. Il compte faire une annonce publique. Il veut arrêter sa carrière. Belluci est humilié. Sa sincérité effraie Stern. Il panique : tout son travail risque de s’effondrer, le sacrifice auquel il a consenti pour l’avenir de son sport n’aura servi à rien et sa figure tutélaire, jetée aux orties, fera de l’urticaire et perdra tous ses titres. Dans un mouvement brusque, Stern assomme Belluci. Mais Belluci n’est pas assommé ; il est mort. Il faut agir vite : Stern appelle Van Berckerst qui charge un ramasseur de balles de récupérer des médicaments à la pharmacie du stade. On annonce de la pluie : peut-être l’occasion de fabriquer un faux grandiose. Ils injectent les produits dans le corps de Belluci pour faire croire à une affaire de dopage. A la faveur d’une interview, Stern arrache les câbles des caméras latérales. Van Berkerst s’occupe de récupérer le corps avant l’entrée des joueurs et le tasse sous une serviette en bordure de court. La pluie s’annonce et l’arbitre impose tout de suite l’arrêt du jeu. Il glisse le cadavre sous la bâche sans que personne ne s’en aperçoive : les travées sont vides et l’attention de tous attirée par une détonation. Un feu d’artifice ? Un pétard donné par Stern à un enfant « pour faire une farce ». On ne retrouvera pas l’enfant au milieu des milliers d’autres. Stern est appelé ailleurs et, pour lui, l’histoire s’arrête là. Van Berkerst, complice par amitié, a toute latitude pour faire disparaître les registres des raquettes, ce qui détourne les policiers de la piste en leur donnant une importance tacite. Mais, de nouveau, Butler soupçonne le déroulé des évènements. Il s’en ouvre à Iejov. Iejov ne fait plus confiance à Butler, il veut jouer seul. Son intelligence, toujours supérieure à celle d’un bouquetin, le pousse à retourner voir Stern pour le faire chanter. Que veut-il ? De l’argent, une victoire arrangée, je n’en sais rien. Stern réagit – bal tragique au Ritz : Johnson mort et Iejov arrêté. Butler n’est pas bien téméraire : il a pris peur et s’est enfui. Stern se lance dans une ultime manipulation en dissimulant l’arme du crime dans le Tenniseum. Il m’assomme au passage et jette de la poudre aux yeux des enquêteurs en mettant en scène un autodafé de raquettes. Puis il vient me voir à l’hôpital et supprime l’enregistrement.

Mais Van Berkerst prend peur et me raconte tout.

– Oui, d’ailleurs, pourquoi me racontez-vous tout ?
– Parce que, pas plus que vous, je ne sais ce qu’il serait moral de faire. J’aime Adam Stern et j’aime le tennis. J’aimais aussi Belluci et j’aime la justice. Iejov est un tennisman moyen, un homme violent et un tricheur. Il mérite peut-être aussi la prison. Mes priorités s’entrecroisent. Pour moi, le plus sûr est d’en rester là ; d’autant que, partie prenante à plus d’un titre, un vague instinct de préservation me pousse à garder ma langue. Je vous laisse donc toute latitude pour décider de ce qu’il faut faire. Je vous l’ai dit : je vous tiens pour quelqu’un de raisonnable.
– Habituellement, on prend les décisions pour moi. Il est rare que je sois consulté.
– C’est sa rareté qui fait la valeur de la chose.

Avant de me confier l’avenir de mon idole et du sport qu’il pratique, on aurait quand même pu commencer par le menu du jour ou la couleur du papier peint, histoire de m’habituer un peu.

Van Berkerst s’éloigna et je commandai un deuxième whisky que je bus en grimaçant légèrement moins. J’entendis une voix, cherchait Roland Garros au plafond et trouvait une chevelure brune à la table de devant.

– J’ai tout dans la boîte. On est riche.
– Marion, pourquoi es-tu là ?
– Je suis Van Berkerst à la trace depuis trois jours. Je suis devenue experte en filature. Alors, la midinette, pas trop déçue par Justin Bieber ? Finalement Patrick Bruel a mauvaise haleine ?
– Marion, cette décision me revient. Elle m’a été confiée. Garde la bande tant que tu veux, mais laisse-moi décider pour une fois. Je veux dire, c’est sacré, là.
– Sacré, sacré ! Je te savais pas catho. Tu veux une Fortune Ostie pour guider ton choix spirituel ? Et puis en plus si tu étais devenu catho, tu te précipiterais chez Racine. Non, vraiment Auguste, c’est une mine d’or ! On pourrait en faire un livre d’investigations ! On ne va pas passer à côté de ça quand même… Sans compter la somme d’informations que ça représente pour ma thèse.
– Marion, pour une fois…
– Pour une fois quoi ?
– Pour une fois laisse-moi décider.
– Mais décider de quoi ?
– De ce qui est bien ou mal, de ce qu’il faut faire ou non, de ce qui convient ou ne convient pas, du film que l’on va voir ou de l’horaire du dîner. Laisse-moi décider.
– Mais si tu te trompes toujours ?
– C’est que j’ai mes raisons.
– Je te laisse le temps qu’il te faut – je suis plutôt relax, comme fille. Mais tu as intérêt à prévoir une argumentation béton pour me convaincre du bien-fondé de ta décision – dont, soit dit en passant, tout le monde connait déjà la teneur.

De l’art d’orienter les choix des autres.

 

 

 

Montre tes faiblesses, tu seras un champion…

Mardy Fish, US Open 2012, © Art Seitz

Untold : the Breaking Point, le documentaire consacré à l’histoire de Mardy Fish, dont la carrière a basculé dans l’angoisse et la dépression, fait écho aux problèmes de santé mentale également soulevés par Naomi Osaka cette année. Des témoignage précieux qui ont contribué à lever un tabou : oui, les champions ont le droit d’assumer leur vulnérabilité. C’est même à ça, finalement, qu’on les reconnaît.

Elle a longtemps été enfouie, y compris par le principal intéressé. L’histoire de Mardy Fish, cet ancien joueur américain parvenu au 7ème rang du classement ATP en 2011, avant que sa carrière ne bascule dans le vide à la suite d’une violente crise de panique survenue juste avant d’affronter Roger Federer en huitième de finale de l’US Open 2012, est désormais mondialement connue depuis la sortie, en septembre, d’un documentaire intitulé “The Breaking Point”. Réalisé pour Netflix par les frères Way, le film, volet tennistique de la collection Untold (L’Envers du sport en français), a connu un vif succès en s’articulant autour d’un thème majeur en 2021 : celui de la santé mentale.

De santé mentale, pendant les trois premiers quarts d’heure d’un film qui dure 1h19, alimenté par quelques savoureuses images d’archives et un rythme parfaitement ciselé, il n’en est pourtant pas tellement question. On y retrace le début de parcours quasiment idyllique de Mardy Fish, depuis le cocon d’une famille aimante jusqu’à ses premiers pas en tant que joueur professionnel, au début du XXIè siècle. On devine que le natif du Minnesota a certes connu quelques moments de tension au sein de la bétaillère à champions de Saddlebrook, le centre d’entraînement national de la Fédération américaine, un lieu davantage réputé pour son ultra-sélectivité que pour sa convivialité. Mais pas plus que tant d’autres avant lui. Et puis, Mardy a fait partie des élus. Sa voie semblait alors tracée. Son horizon sans nuage.

Andy Roddick, l’ami, le frère et néanmoins rival

Quand on le voit ensuite croquer avec gourmandise dans ses premières années sur le circuit, on peine à croire que le virus du doute puisse s’être instillé dans son esprit. Fish est jeune, beau, il a les cheveux longs, des amis à la pelle, et traîne son sourire Colgate aux quatre coins du monde sans donner l’impression de se laisser écraser par la pression inhérente à son métier. Oh, une petite ombre au tableau, peut-être : un rapport assez complexe avec Andy Roddick, son ami, quasiment son frère, avec qui il a été formé à Saddlebrook et chez qui il a même vécu pendant un an durant son adolescence. Les deux jeunes hommes s’adorent. Mais ils n’en restent pas moins des rivaux. Ils n’ont pas la même éducation, non plus. Andy, dont les interventions tout au long du film se dégustent comme des bonbons, a été élevé à la dure par un père rigoriste. Il a le cuir plus naturellement épais qu’un Fish qui dit ne pas comprendre la mentalité très “marche-ou-crève” animant la plupart de ses collègues de travail.

Pendant plusieurs saisons, Fish va ainsi évoluer dans l’ombre de Roddick. Et l’on saisit vite ce paradoxe qui s’empare de lui entre son envie irrépressible de le détrôner, et son désir plus ou moins conscient de s’y calfeutrer. Tout compte fait, les années de Fish passées dans le sillage confortable de son meilleur ennemi sont les meilleures. Sans forcer outre mesure son talent, il s’offre quelques coups d’éclat tout en laissant à Roddick la lourde responsabilité de porter sur ses épaules – certes larges – le poids écrasant des attentes d’un tennis américain à la recherche de sa splendeur passée.

Mardy Fish (à gauche), Luke Jensen (au centre) et Andy Roddick (à droite) en 2001, © Art Seitz

Tout bascule lorsque Fish décide de prendre radicalement sa carrière en mains à la tournure des années 2010. Il engage un préparateur physique à temps plein (Christian LoCascio, lui aussi très présent dans le film), s’achète un caisson hyperbare, perd 14 kilos et met les bouchées doubles à l’entraînement. Il devient un autre homme, un autre joueur. Et “explose” lors de l’été 2010 où il atteint son “objectif ultime” : battre enfin Andy Roddick, après neuf échecs d’affilée. Il le bat même deux fois en un mois. Cette (double) victoire est plus qu’un symbole : elle est aussi un tournant, puisqu’elle va propulser Mardy Fish jusqu’à la place de n° 1 américain en 2011, année à l’issue de laquelle il va se qualifier pour le Masters. Son Graal. Son chant du cygne, aussi. 

La toute première crise, une nuit, à Miami…

Car c’est précisément à partir de là que les ennuis commencent pour Mardy Fish. A l’orée de la saison 2012, le joueur se retrouve aveuglé par les lumières des projecteurs soudainement braquées sur lui. Il ne l’assume pas. Il perd son élan et se retrouve accablé par des critiques qui dénoncent plus globalement le déclin du tennis US, mais qui se cristallisent forcément sur lui. L’une d’entre elles le touche particulièrement : elle émane de Patrick McEnroe, son capitaine de Coupe Davis, au sortir d’une défaite en quart de finale à Miami. C’est là que “la chose” arrive pour la première fois : après une soirée passée à lutter contre une irrépressible montée de stress, l’Américain est victime d’une effrayante crise de tachycardie qui le conduit tout droit à l’hôpital, où il subit une intervention chirurgicale.

Diagnostic du corps médical : défaillance électrique du système cardiaque. Mais l’on comprend que le problème est bien plus profond, étroitement lié à l’état émotionnel dégradé du joueur (et de l’homme). Un problème  qui ne va faire qu’empirer jusqu’à atteindre un point de non-retour à l’US Open 2012 où Mardy, assailli de bouffées d’angoisse et d’idées noires, se retrouve dans l’incapacité de disputer son huitième face à Roger Federer. Toute l’Amérique attendait ce match programmé en prime-time. Fish n’a pas pu. Censé être son heure de gloire, cet US Open 2012 marquera la fin symbolique de sa carrière, même s’il tentera de la prolonger, sans succès. Clin d’œil de l’histoire, il a aussi été le dernier tournoi en simple d’Andy Roddick. Coïncidence, vraiment ?

Avec le recul, il est facile de comprendre que Mardy Fish n’a pas supporté de se retrouver sur le devant de la scène, quasiment dans l’obligation de gagner tous ses matches, avec le couperet permanent du regard des autres au-dessus de sa tête. Il n’était pas fait pour ça, tout simplement. Il a voulu l’être, pourtant. Mais il n’a pas réussi. Il a été cet Icare qui a voulu voler trop près du soleil. Et qui a fini par se brûler les ailes.

“Ironiquement, c’est le fait de montrer ma faiblesse qui a contribué à mon rétablissement.” – Mardy Fish

Cela dit, les problèmes de Fish ne se sont pas arrêtés avec sa retraite. Petit à petit, l’ancien quadruple finaliste en Masters 1000 a basculé dans ce que l’on peut ouvertement appeler une dépression, dont il dit d’ailleurs devoir encore lutter aujourd’hui contre les réminiscences, qui surviennent pas vagues. Sauf que maintenant, il connaît la parade : s’en ouvrir aux autres. À un moment donné de sa vie, il n’a pas eu le choix : “Si je n’avais pas trouvé des gens autour de moi pour me soutenir, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui”, dit-il. Ça fait froid dans le dos.

En parler, Mardy Fish se l’est pourtant longtemps interdit, brimé comme tant d’autres par l’injonction sociale faite aux champions d’être, en quelque sorte, des super-héros. Et donc de masquer leurs faiblesses à tout prix. Or, comme il le dit en conclusion du documentaire : “Ironiquement, c’est le fait de montrer ma faiblesse qui a contribué à mon rétablissement.” C’est là-dessus, peut-être, que son témoignage s’avère le plus précieux. Et fait écho au tabou brisé cette année par Naomi Osaka sur la santé mentale des sportifs : oui, même les immenses champions ont des failles, comme tout le monde. Mieux même : ils sont en droit de les afficher. Voilà qui prend à contre-pied le message longtemps véhiculé – volontairement ou non – selon lequel un champion est un être de perfection qui ne connaît ni le doute, ni l’angoisse. Un message non seulement faux, mais sans doute aussi dangereux.

Mardy Fish, US Open 2011, © Art Seitz

Comme Mardy Fish, chacun d’entre nous a sûrement eu l’occasion de le vérifier un jour : ce sont dans les moments les plus difficiles de la vie, ces moments où l’on se retrouve totalement mis à nu, que l’on reçoit le plus de manifestation de soutien. Parce que ce sont probablement dans ces moments que l’on est le plus vrai, le plus soi, sans la petite couche de superficialité que nous mettons tous plus ou moins dans nos rapports sociaux en temps normal. Ce qui nous touche et nous rapproche, finalement, ce sont nos imperfections. Ce qui nous rend plus fort, ce serait donc de les assumer.

La fin d’un mythe sur le champion parfait

Maintenant, s’il était indispensable de briser ce silence sur la santé mentale, il ne faudrait pas non plus que l’on en arrive à faire un amalgame trop vite fait entre tennis et dépression. Dites-nous si on se trompe, mais il ne nous semble pas que l’on trouve davantage de problèmes de santé mentale dans ce milieu que dans la vie de tous les jours. Mais c’est vrai que le tennis est souvent reconnu comme l’un des sports les plus difficile sur le plan mental, pour des raisons qui vont bien au-delà de sa médiatisation : elles semblent plutôt inhérentes à sa nature.  

Le tennis est un sport de “fou”, dit-on, parce qu’il a ce don de laisser l’athlète totalement seul et vulnérable face à ses failles. Pire : celles-ci lui rejaillissent en pleine figure, parce que ce sport, qui est une affaire de précision, de concentration, d’instinct et de confiance en soi, l’oblige à devoir trifouiller dans les méandres de son cerveau reptilien. Bien plus qu’une affaire de coup droit ou de revers, le tennis est avant tout un strip-tease de ses propres faiblesses. Tôt ou tard, la moindre d’entre elles se paiera cash, sous la forme d’une gestuelle qui va s’effriter, de jambes qui vont flageoler, de petits fléchissements ça et là qui provoqueront l’inéluctable défaite. C’est l’affaire d’un joueur lambada comme d’un joueur professionnel. Mais ce dernier, lui, doit gérer tout ça avec en plus un jugement d’autrui exacerbé, en mondovision, le tout dans une exigence de travail et de résultat que beaucoup ne soupçonnent pas. On peut comprendre que beaucoup préfèrent s’en détourner.

Tout cela, il fallait finir par le dire, l’expliquer, le montrer. C’est ce qu’ont fait chacun à leur manière Mardy Fish et Naomi Osaka, certes en égratignant plus ou moins volontairement, au passage, une profession (la presse) qui ne saurait être considérée comme la seule responsable de ce système, loin s’en faut. Malgré tout, leur témoignage ouvre la porte à un profond changement dans les années à venir sur la manière dont nous considérons et jugeons les plus grands champions. Avec en prime une formidable morale à l’histoire : ils sont des êtres humains comme les autres, finalement. Ni plus, ni moins.