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Fedal, l’ultime harmonisation

Roger Federer et Rafael Nadal, demi-finale de Wimbledon 2019, © Ray Giubilo

Fedal. Au premier abord, on peut voir dans ce mot la simple contraction des noms Federer et Nadal, et pourtant, il suffit qu’on creuse un peu pour y découvrir toute la force poétique qui s’y cache. En effet, le mot « Fedal », en plus d’être la rencontre de deux légendes, c’est aussi et surtout l’alliance de deux styles mythiques diamétralement opposés, la combinaison de l’eau et du feu, du chaud et du froid ou encore le « yin et le yang » du célèbre concept de complémentarité de la philosophie chinoise. Même dans sa construction et sa phonétique, il sonne comme une douce musique. L’accord est parfait. « L’harmonie provient toujours des contraires… ». Si l’on suit l’idée du philosophe Philolaos, « Fedal » serait en somme, l’harmonisation tennistique ultime. Pour tous les passionnés de tennis, il n’y a pas de match plus alléchant qu’un Federer – Nadal, comment pourrait-il donc y avoir de lecture plus savoureuse que ce nouvel ouvrage ? 

« Il nous semblait incongru que personne n’ait eu l’idée de relater cette rivalité entre ces deux joueurs. »

L’anomalie est réparée. Co-écrit par Rémi Bourrières, ancien rédacteur en chef adjoint de Tennis Magazine et Christophe Perron, journaliste spécialisé dans le tennis depuis 2013, « Fedal » des éditions Flammarion, tout premier bouquin sur le sujet, revient en détail sur leurs quarante confrontations. 

Le livre se découpe simplement : quarante chapitres pour quarante matches. Et c’est donc in medias res que nous plongeons dans le récit, nous nous retrouvons effectivement, non sans une pointe de nostalgie, le dimanche 28 mars 2004 lors du 16e de finale du tournoi de Miami. À l’aube d’une des plus grandes rivalités de l’Histoire du sport. Puis, au fil des pages, nous nous délectons de ce voyage dans le temps. Nous passons notamment par ce qui est peut-être le match qui a forgé le mythe « Fedal », la finale de Rome 2006 et sa tragédie en cinq actes. Mais aussi par la finale épique de Wimbledon 2008 ou encore le spectaculaire et inattendu come-back synchronisé à l’Open d’Australie 2017. Puis il y a forcément le plaisir de la découverte de certaines pépites méconnues. Il y a d’ailleurs tout intérêt à lire ce livre dans l’ordre chronologique car on peut davantage se rendre compte de l’évolution psychologique (et tactique) des deux protagonistes et plus précisément décrypter le fameux complexe de Federer, ou encore analyser les points de bascule dans l’histoire de leur rivalité.

Rome 2013, finale | © Ray Giubilo

Le véritable tour de force réalisé par les auteurs est d’avoir réussi à extraire toute la substance émotionnelle essentielle de chaque match, l’âme en quelque sorte, tout en conservant l’entièreté de leur dramaturgie et de leur théâtralité. Épurer sans dénaturer. L’immersion est totale. C’est comme si l’on assistait au spectacle depuis les tribunes. Et c’est d’autant plus passionnant avec le regard différent que nous offrent les anecdotes intra ou extra tennis parsemées ici et là. Des anecdotes qu’on connaît, qu’on a oubliées ou qui nous avaient complètement échappées. Dans l’avant-propos on apprend par exemple que le début de l’idylle entre Nadal et Federer a eu lieu le 16 mars 2004, sous le ciel étoilé d’Indian Wells lors d’un match de double… En évoquant ce match des années plus tard, Yves Allegro, qui était associé à son ami et compatriote Roger, dira ceci : « Roger dit rarement qu’un jeune va être très fort avant de jouer contre lui en simple. Mais là, il m’a tout de suite affirmé “celui-là il va être très fort, et pas seulement sur terre battue”. » 

Le Suisse avait visiblement déjà senti venir le danger et malgré une entente aujourd’hui excellente entre les deux joueurs, à une certaine époque, ce n’était pas forcément le cas… « Everything’s all right, Toni ? », lançait avec ironie un Roger Federer très agacé par Toni Nadal, lors de la finale de Rome en 2006. L’émergence du jeune talent espagnol venu bousculer la suprématie suisse allait créer des tensions  : « Ils se sont toujours respectés, et se vouent mutuellement une grande admiration. Mais il y a eu de la friture sur la ligne, notamment au début des années 2010, lorsqu’il a fallu négocier avec l’ATP un nouvel agencement du calendrier. Nadal a égratigné Federer, sur son manque de combativité, son caractère un peu lisse. Federer, lui, a eu des mots durs sur le coaching supposé de l’oncle et entraîneur de Rafa, Toni Nadal », déclarait Rémi Bourrières en interview. 

Même si pour ce « Fedal », les deux auteurs ont privilégié pendant plus de trois-cents pages le caractère romantique de la rivalité, ils n’en ont pas oublié pour autant d’évoquer quelques chiffres. Les amateurs de statistiques seront servis puisqu’il y en a exactement quatre-vingts, toutes exposées en fin de chapitre sous forme de mémento. Inoubliables sont cependant les émotions ressenties pendant la lecture de cette espèce de radiographie fedalienne. À la manière de scientifiques spécialistes en tennis, Rémi Bourrières et Christophe Perron ont parfaitement su disséquer l’œuvre  monumentale que les deux légendes ont bâti sur plusieurs décennies. Ils ont intelligemment su récolter le précieux nectar dont on avait longuement laissé mûrir le fruit. Évidemment, même si les deux icônes sont toujours sur le circuit, nous en sommes au crépuscule de leurs carrières. Forcément, le livre nous apparaît un peu comme le Requiem de Mozart, une œuvre-somme, un véritable hommage dont on sort en se frottant les yeux mais aussi avec le sourire en coin et l’air fier et chanceux d’avoir assisté à quelque chose d’absolument unique. 

« Ne me quitte pas… Ne me quitte pas… On a vu souvent rejaillir le feu d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux », chantait Brel. En effet, maîtrisant l’art du contre-pied à la perfection, Rafael Nadal et Roger Federer pourraient à l’avenir nous offrir de nouveaux duels. N’omettant pas cette éventualité, les auteurs de « Fedal » ont prévu une nouvelle édition.