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Sparring-partner

© Ray Giubilo

CHAPITRE X – Ôtons le tiret

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As
Chapitre VI – Midinette
Chapitre VII – Claudio monte un peu court et se fait passer
Chapitre VIII – L’âme russe
Chapitre IX – Un petit coin bien arbitré

 

 

L’entrée du Tenniseum était barricadée. Tant pis pour les touristes. C’était là que, d’abord, mon flair m’avait conduit. Rebelote. Face au portail extérieur, je recompilais les faits, dans l’ordre supposé où ils s’étaient produits.

« Des rumeurs de dopage couraient sur Iejov.

Les entraîneurs de Belluci et de Iejov avaient été aperçus lors d’une conversation animée, ici même.

Belluci avait déclaré forfait en prétextant une blessure imaginaire.

Belluci avait vertement insulté Adam Stern lors d’un passage dans les vestiaires.

Pendant la pluie, la télévision avait été victime d’une coupure de courant temporaire. Peu après, Belluci avait été retrouvé mort, nu, au milieu le court central. Sa mort était due à un violent coup de raquette reçu sur le crâne. Son corps était bourré d’amphétamines.

Un ramasseur de balles avait intelligemment fait disparaître la serviette ayant servi à traîner le corps.

Le registre des cordages du jour du meurtre s’était volatilisé. Les éléments à disposition innocentaient Adam Stern.

Zach Butler avait évoqué une tentative de putsch organisée à son initiative au sein du Conseil des joueurs.

Iejov avait parié une coquette somme à trente contre un sur une défaite de Zach Butler. Et il avait vu juste.

J’avais été assommé dans le Tenniseum par un agresseur inconnu.

Le Tenniseum avait été mis à sac, des milliers de raquettes de collection cassées.

Cependant, Johnson, l’ancien sparring-partner de Iejov, était retrouvé mort dans la chambre jouxtant celle de son ancien patron. Tous les indices conduisaient à Iejov.

L’ordinateur de Iejov abritait des preuves accablantes concernant les pratiques dopantes du géant russe.

Claudio avait affirmé se trouver avec Iejov à l’heure du meurtre de Johnson avant de se rétracter.

Marion enquêtait du côté de l’arbitrage. Van der Bekerst, L’arbitre de la rencontre pendant laquelle Belluci avait été retrouvé mort mais aussi de la finale de l’an passé, parlait de Iejov, d’un problème, de sa peur de finir en prison et de questions insistantes.

Van der Bekerst m’avait laissé un mot sous-tendu de menaces.
Interrogé sur Butler, Iejov m’avait mis Knock out avec une raquette de tennis.

Butler avait disparu d’un seul coup après son élimination.
Une partie de l’enregistrement de Van der Bekerst avait été supprimé pendant que je dormais.

Marion est en danger. »

Mis à part l’arbitre et quelques éléments un peu éparpillés quoique facilement raccrochables au wagon, tout concordait avec la thèse de Racine. Dès lors, pourquoi ce malaise ? Comment débrouiller le fond de tous ces faits qui, pas plus seuls que réunis ne paraissaient signifier quoi que ce soit ? J’avais le sentiment que l’arbitre détenait la clé de l’énigme. De fait, Marion avait toujours raison. Moi, je manquais de hauteur.

C’est alors que je le vis.

Que les choses soient claires : j’avais une commotion cérébrale, des picotements permanents et une migraine carabinée ; je me trouvai dans la nuit noire à ressasser des faits sans queue ni tête et j’étais épuisé.

Que les choses soient claires : je ne suis pas fou.

D’abord ce fut la bourrasque : une grosse bourrasque d’air qui fit vibrer les branches. Puis le bruit, puissant, de plus en plus puissant, écrasant, même, le bruit ; un vrombissement grave, le claquement sec d’une manivelle, vrombissement, claquement, vrombissement, claquement, la bourrasque en tornade et du sable dans les yeux. Je portai mon bras en visière et, découvrant mon visage, je vis d’abord les roues, et puis, dessus les roues une carlingue amochée ; sur la carlingue, des câbles tendus en triangle, et au centre de ce triangle, alors que le bruit allait s’amenuisant, que le claquement sec prenait en pesanteur, les vrombissements amorphes, au centre du triangle : un casque et des lunettes de cuir. Et sous le masque et les lunettes, un homme à moustache épaisse et raie au milieu : Roland Garros. Sans tiret.

« Garros gorille » aurait hurlé Racine. Racine n’était pas là. J’étais seul et bien seul.

Nous restâmes suspendus comme ça, un moment, à nous regarder. Je pensais, d’ailleurs c’était logique, qu’une telle apparition impliquerait fatalement un conseil, tendance aphorisme littéraire pour rédaction de collégien ou rébus psychanalytique. Je passai en revue une série de poncifs à prononcer d’une voix vibrante :

« Prends de la hauteur. »

« Pour aller loin, il faut avoir un but. »

« Le vrai coupable est au fond de nous-mêmes. »

J’en passe et des moins bonnes. Non. Quand l’avion eut cessé d’émettre le moindre son, sans détourner ses yeux de moi, Roland (désormais je me permets de l’appeler par son prénom), me confia ceci d’une voix ORTF :

«  On va pas tortiller du cul trois heures, gamin. Quand un mec est costaud, il est costaud, quand il est burné, il est burné. Un mec costaud, ça gagne, c’est tout. Ca perd pas contre un gamin de dix-sept ans quand ça a le match en main. Remarque, j’y connais peau d’zob en tennis et d’ailleurs que ça m’intéresse pas grandement, “la psychologie” qu’on dit, la solitude du tennisman : la solitude, moi, j’ai donné sérieux, solide : le ciel, c’est tout bleu et c’est très long ; v’là autre chose, laisse-moi te le dire, que la pseudo-solitude de ces tapettes à visières et à foufounes jaunes et volantes. Mais moi, tu vois, les compet’s, je les ai pas perdues avant qu’ils se décident à me canarder. Un plus un, ça fait deux, gamin, c’est tout. Et six plus six plus six, ça fait jeu set et match : elle est là ton anomalie. M’est avis que ton problème, il est de l’ordre de la moralité : t’as les boules à l’idée d’accepter que y a embrouille avec ton petit chouchou. Voilà. C’est dit. Arrête de croire que les autres ont besoin de toi. Arrête de penser que tu es une éponge. Arrête de te voiler la face, nettoie le flou, merde ! »

Casque, lunettes, triangle, vrombissements, claquements, départ. Tenniseum. Plus que jamais, le lieu, désert et strié de barrières de police, s’esthétisait dans le noir gris nocturne d’une aura de film fantastique. Moi, je n’avais pas peur : une fois avalisée l’irruption, même ponctuelle, du grand chambardement dans le cours logique, implacable et insipide des choses, les douleurs au cortex, l’interdit, le danger, les impôts – la vie – n’ont plus tout à fait cours. J’étais comme drogué par un élan de plénitude apaisée – Marion me rabâche souvent que je suis aussi aventurier qu’un banquier au moment de délivrer un prêt, mais ce calme prenait là un tournant dangereusement bouddhiste. Idées vides : les arbres bruissaient et mon esprit avec. J’observai chaque parcelle de bois, chaque tuile, chaque grain saillant sur la surface en grès. Et puis, d’un pas dont la lenteur n’était pas étudiée, je pénétrai dans l’enceinte par une vitre fragile. Je savais très précisément ce que j’étais venu chercher. Je le savais depuis le départ, à vrai dire, depuis ce moment où, assommé ici-même, je n’avais pas voulu contredire Racine sur ses conclusions concernant l’arme du crime. Mais pour la première fois, les éléments que j’avais entrevus se raccrochaient en succession logique. Je traçai mon chemin à travers les couloirs éclairés de veilleuses, gagnai l’escalier, et, sous mes pieds, les bouts de verre amoncelés sur les marches rejouèrent en crunch mineur une symphonie pour sable cuit. Je retrouvai en l’état la grande salle d’exposition, raquettes en morceaux, graphite et bois en position de partouze, les boyaux en guise de latex ; et Belluci, figé, scrutait toujours le monde sans le voir, les traits étrangement vagues. Je m’approchai du portrait monumental – en réalité un transparent inséré dans un socle en métal, protégé par une plaque de verre de dix centimètres d’épaisseur et éclairé en contre-jour par des loupiottes. Des doigts, je suivais le contour des ombrages, cherchant, en m’approchant, à comprendre ce qui dans l’instantané ne collait pas. La lumière, sur la photo, arrivait de la droite, la ligne de la mâchoire se dessinait, précise, l’oreille se détachait ; mais alors les cheveux, pourtant semblablement éclairés par une lumière diffuse, se perdaient en un flou grisâtre, lequel se propageait jusqu’au seuil des arcades et avalait l’œil droit. Sur le front, des ridules régulières formaient un quadrillage presque invisible : une ombre dans la photo ; une ombre que rien ne projetait sur la rétine de l’objectif. Le socle, suspendu par deux épais câblages à environ deux mètres du sol, était adossé au mur le plus large. Mes mains descendirent le long des montants, jusqu’à révéler, sur ma droite, un léger décalage entre la fixation latérale et le fond. Je tirai légèrement vers moi, et la plaque – un rectangle de deux mètres sur 40 centimètres – s’affaissa. Je ne pus la retenir. Elle plongea au sol, se distordit, gronda, en un son de cloche perpétré par son propre écho. On aurait cru un rire rebondissant aux murs. Le rire de Belluci. Ignorant l’acouphène en devenir, je me hissai sur la banquette destinée aux gardiens et, tout juste à hauteur, j’inspectai l’intérieur du cadre gigantesque. Suspendue entre le tapis de LED et l’envers de la photographie, je trouvai une raquette. Belluci sommeillant à l’ombre d’une raquette. L’image valait ce qu’elle valait.

C’était là une raquette tout à fait spécifique. Un modèle Wilson courant dont l’équilibre de poids entre le manche et la tête avait été repensé au profit de la tête pour justifier d’une meilleure attaque en fin de frappe. Le manche, de taille épaisse, se recouvrait d’un grip usagé à faible densité absorbante, un modèle rare chez les professionnels. Un modèle du commerce, pour être plus précis. Le parechoc supérieur présentait un niveau d’usure en contradiction avec l’état général de la raquette. Des pointes noiraudes dignes de Manet décoraient le cœur d’une touche impressionniste. Du sang. Le cordage était cisaillé sur le bord gauche, sectionné par l’impact, ouvrant une brèche dans le triangle du A des initiales AS grisées sur le tamis.
Gagné par une peur sourde, j’arrachai l’instrument, sautai de la banquette où je m’étais hissé et entamai ma course vers la sortie.
Je n’avais encore rien décidé sur la suite à donner à cette découverte, tant sur le plan judiciaire que sur le plan moral. Quand on vit avec une idée, on ne renonce pas facilement à elle.

 

 

 

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© Virginie Bouyer

CHAPITRE IX – Un petit coin bien arbitré

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As
Chapitre VI – Midinette
Chapitre VII – Claudio monte un peu court et se fait passer
Chapitre VIII – L’âme russe

 

« Même modus operandi, un alibi qui ne tient pas, un mobile évident avec cette affaire de dopage, une récidive : un CV comme on n’en fait plus. Aujourd’hui, les meurtriers sont si minables ; des comptables, des assureurs, des petites gens aux petites idées sournoises ; ça, c’est du beau spectacle, une superproduction, bête à mourir. C’est magnifique. Nous avons notre coupable, Loisel ! Réjouissez-vous ! »

Je reprenais conscience, un médecin occupé à me suturer le crâne et, la douleur externe ne me suffisant pas, je devais qui plus est écouter les discours sémillants de Racine.

– Iejov est en prison. W.O. forfait, disqualifié, Iejov. Le Président russe donne dans la menace, il est question d’extradition. Que nenni ! Foi de Racine : j’aime garder mes trophées chez moi. En tous les cas, Ridgestone, son heureux adversaire est ravi. Je ne le connaissais pas, mais il est sympathique. A la télévision, bien sûr, il a fait bonne figure. Mais en privé, c’est différent. Surtout avec son chèque qui vient de doubler tout d’un coup. Charmant. Pour un Anglais. Ah ! Je me prends à aimer le tennis, Loisel, il faudra me donner des cours. Ce sera vous, et non pas votre ami Claudio. J’ai dû l’arrêter pour faux témoignage. Nous avons vérifié et son histoire de rendez-vous secret ne tient pas la distance. Lui non plus ne la tient pas. Il a craqué : je suis au courant de tout. Même de vos petits paris… Mais rassurez-vous, je ne dirai rien. Chacun met du beurre dans ses épinards comme il le peut ! Voyez-vous, moi je préfère la margarine.
– Alors, ça vous suffit ? Iejov est coupable et tout va pour le mieux ?
– Reprenons : voilà l’histoire. Belluci apprend que Iejov est une amphétamine humaine. Son oncle approche l’entraîneur de Iejov et menace de tout révéler. La Russie réplique. Les menaces fusent. Belluci se tourne vers les instances de l’ATP. Mais là-haut, on botte en touche. Belluci est dégoûté. Il s’imagine que Stern est au courant et l’insulte. Puis il décide de quitter le tournoi espérant que ses révélations, en dehors du jeu habituel de la compétition, obtiendront l’écoute qu’elles méritent. Iejov prend peur. Il propose à Belluci de négocier, le tue, lui injecte des produits stupéfiants pour détourner les soupçons de dopage sur le mort, organise la petite scène que l’on connait et raconte tout à Butler, en qui il a confiance.
– Butler ? (Aouch ! Combien de points de suture, encore ?)
– Plus que cinquante.
– Depuis sa défaite, Butler est introuvable. On le dit à Ibiza… Difficile d’y voir clair. Mais attendez, que je ne perde pas le fil. Butler, donc. Pas fou, Butler s’arrange pour quitter la scène avant qu’il ne soit trop tard. Il simule une blessure et perd un match imperdable. Iejov est au courant du stratagème et décide de parier sur Gambill – encore une erreur stupide. Mais avant de partir, Butler prépare une farce à Iejov. Il rencontre Johnson et lui propose de l’aider à se venger de son ancien patron. Le directeur de l’hôtel reconnaît l’avoir vu dans le hall. Butler récupère l’ordinateur personnel de Iejov et le remet à Johnson ! On a analysé le disque dur : vous verriez le nombre d’ordonnances et de prête-noms, on doit approcher de la consommation médicamenteuse annuelle d’un pays d’Afrique subsaharienne. Johnson, qui veut obtenir le maximum d’argent de Iejov, lui donne rendez-vous pour négocier. Iejov perd ses nerfs et assassine le pauvre gars. Puis il panique. Il comprend que ce meurtre nous ramènera irrémédiablement vers lui. Il décide alors d’accumuler les preuves à charge pour faire croire à une machination. A son idée – à la mienne aussi – le dopage vaut mieux que le double meurtre. A vrai dire, je ne crois pas Iejov capable d’avoir des idées. Je pense qu’il s’agit plutôt là d’une initiative de son entraîneur. Donc, la scène de crime est volontairement mal maquillée, et les deux poussent le vice jusqu’à laisser cette note laconique rédigé en anglais très approximatif. Tout accuse Iejov : il sera fatalement mis hors de cause. Son anglais n’est pas aussi catastrophique que ne le laissait présager le mot : c’est ça qui m’a mis sur la voie. Votre copain a bien failli nous mettre baba avec son faux témoignage. Heureusement que Iejov a fini par vous tabasser.
– Heureusement, oui. C’est vraiment le mot. Combien de points encore ?
– Quarante-cinq.
– Et Butler ?
– C’est un joueur. Il aime manipuler les autres. Il refera surface un jour ou l’autre et nous l’interrogerons. Mais je crois qu’il est bien trop malin pour revenir jamais ici. L’éternel blessé du mois de mai, vous voyez. La guigne, la scoumoune, la déveine, la viscosité ! On le verra à Wimbledon ou à l’US Open. En Australie. Des tournois loin, très loin de ma juridiction. A dire vrai, il n’est de toute façon pas même complice à proprement parler.
– L’arme du crime ? La raquette, je veux dire ?
– C’est le point noir. Iejov a dû s’en débarrasser et nous ne la retrouverons jamais.

Encore une fois, je gardais le silence sur ce point précis. Mais je ne cachais pas tout.

– Outre mon propre sort, il y a un point qui me chagrine dans cette histoire.
– Quoi donc ?
– L’arbitre. J’ai surpris, hier, une conversation étrange, mettant aux prises l’arbitre de la rencontre durant laquelle le cadavre de Belluci a été retrouvé ainsi qu’un interlocuteur inconnu. Ils ne parlaient pas Français, mais je crois qu’ils évoquaient le meurtre. Il était question d’un problème qui concernait l’arbitre au premier chef.
– Vous en parliez en délirant. Que disaient-ils ?
– J’ai la conversation. Elle est enregistrée sur mon téléphone. Mais je n’ai plus de batterie.
– Nous allons vous regonfler tout cela à bloc, et je suis sûr que toute cette histoire prendra du sens. Infirmière ?
– Je suis médecin.
– Pardon monsieur. Vous pourrez nous trouver un chargeur pour le portable de M. Loisel ?
– Sans faute, dès que j’aurai fini de lui recoudre la tête.

Ma vie durant, j’avais été ce « lui » pourtant présent dans la pièce.

– J’ai dormi longtemps ?
– Suffisamment pour rater toutes vos visites. Je ne vous croyais pas si bien entouré, Loisel, si bankable, si tendance, comme disent les jeunes. Si l’on excepte votre ami Claudio, retenu en prison par une sombre histoire de témoignage bidonné, ils sont tous venus vous voir : le directeur du tournoi, Michel Le Bas, Ambrozs Cerny, Adam Stern, les gens de France Télévision (je ne savais pas que vous aviez gagné les Petits As, dîtes donc ! Chapeau !), Laurent Rosol, qui joue en début d’après-midi mais a tout de même tenu à s’afficher avec vous, et bien entendu nous eûmes le plaisir de recevoir votre bonne amie laquelle, semble-t-il, a décidé de réintégrer une existence normale. Enfin, elle n’est pas restée longtemps. La vue du sang, sans doute. Vos « colocataires » – c’est comme cela qu’on dit ? – ont été prévenus, mais ils semblent avoir été retenus par une affaire annexe.
– Autant, malgré mes réserves je veux bien (Aouch !), vous suivre pour l’histoire de Iejov ; autant je ne crois pas une seconde que Marion ait jamais vécu une existence normale.
– Eh bien, il me reste à vous saluer, Loisel. Nous nous reverrons bientôt. Je compte sur votre témoignage dès que vous serez à nouveau sur pieds.
– Moi aussi, j’ai fini. Je vous laisse. Vous avez le câble et la télécommande est là.

Voilà comment on se retrouve seul tout à coup. Des ferveurs de l’enquête, des matchs de légende, des clameurs de la foule, de l’appétit des joueurs, on passe soudain aux léthargies anxiolytiques, à la vue dégagée sur parc, aux râles dans le couloir, à l’appétit contrit par la bouffe d’hôpital. Le choc. J’allumais une chaîne d’information sportive pour connaître les résultats de la journée passée. Rosol en scène. « Allez Rosol ! » cela me faisait toujours autant rire. Un petit infirmier se présenta muni d’un chargeur adapté qui replaça mes petits oreillers et brancha mon petit portable. Je me laissai bercer par les images choisies des huitièmes de finale. Des tous petits matchs. Rosol ne jouait pas bien, son adversaire non plus ; quant à l’Uruguayen, à l’Argentin, au Coréen et à l’Américain qui devaient se faire face aléatoirement sur les trois courts dédiés, ils paraissaient se partager à quatre une inventivité moyenne. Résultats, pour les quarts : Gambill contre l’Américain, Stern face à l’Argentine, Mankelevic contre Ridgerstone et Rosol pour affronter Cerny. Sur les chaînes nationales, on diffusait le match de Gambill. Je décrochai, cherchant à faire le lien entre les évènements. Mais ma tête était trop molle, encore, pour fonctionner à plein régime. Changeant de chaîne, je tombais sur la rediffusion de la finale de l’an passé. Parfois, il vaut mieux revoir un film qu’on a aimé plutôt que de s’en gâcher d’autres à force d’aprioris.

Ce premier set de Stern ! Une maîtrise absolue. Un sens tactique magistral : peut-être le meilleur set de sa carrière pourtant riche en exploits. Passings en bout de course, lobs blanchissant la ligne, feintes d’amortis, balles fusantes glissées le long du couloir, un service imparable sur les points importants ; et puis la débandade, et puis tout se dérègle. L’explosion. Et ce regard perdu, ces yeux vagues, comme une acceptation de ce qui allait suivre. Public mutique : on achève bien les chevaux. Pour lui aussi, la solitude, d’un coup, captée au fil des plans par le réalisateur, s’attardant sur ses gestes dégingandés, sur cette combativité qui s’enclenche contre soi. Le rythme ne prend plus et l’image semble s’inscrire dans une autre temporalité, plus cotonneuse, un ralenti. On devine, presque tangible, la progression de l’aura, d’un côté à l’autre du court ; Belluci exulte, s’approprie tout l’influx, s’approprie tout le court, d’ailleurs on ne voit plus que lui. Au quatrième set, on ne sait plus si Paolo Belluci joue au tennis ou à la paume : il vient en tous les cas d’abattre le mur. Poignée de main franche, Stern retrouve de sa superbe, applaudit, félicite. L’arbitre aussi est distingué par un trophée assez triste.

Le speaker hurle. « Félicitations à l’arbitre de la rencontre, Monsieur Basil Van der Bersket ! »

On s’embrouille, on se débrouille. Mon téléphone, vite !

Racine : répondeur.

Marion : répondeur.

Claudio : Vous avez demandé la police ?

Racine : répondeur. Je rappelle. Il m’appelle en même temps, je rate son appel, nous nous appelons à nouveau simultanément, j’attends qu’il me rappelle et il en fait de même, cinq minutes passent, je l’appelle, il décroche.

– C’est un véritable roman initiatique pour vous avoir, Loisel. Que voulez-vous ?
– Vous pourriez passer me voir ?
– Ah non. Là, je remplis la paperasse. Enfin je supervise le stagiaire qui s’en occupe. La justice n’attend pas, vous savez !
– C’est important.
– Encore vos histoires d’arbitrage ? Nous avons tout le temps de tirer ça au clair demain.
– Je crois qu’il faudrait…
– Reposez-vous Loisel, vous me semblez bien agité.

Il raccrocha. Marion n’avait-elle pas parlé d’un match bouleversant la hiérarchie mondiale ? Je me levai, rassemblai les affaires éparses qui, de mémoire, m’appartenaient, et quittai la clinique en catimini. Ma tête me tournait et je n’étais pas sûr de pouvoir supporter un trajet en métro. J’alpaguai un taxi pour le commissariat. Depuis la banquette arrière, je pris part à un trio d’idées fixes : je continuais à harceler Racine. Lui s’entêtait à filtrer mes appels. Le chauffeur de taxi s’évertuait à me faire la conversation. Mais son accent à couper au couteau rendait nos échanges plus âpres encore que ceux opposant Lendl à McEnroe. Le chauffeur se renfrogna. Poussé par un élan romantique, il choisit un CD et poussa le volume. Le moribond de Brel. Chanson de circonstance.

– Lui, c’est le plus grand chanteur de notre pays, monsieur. Du vôtre aussi, d’ailleurs.

En calcul mental, je n’ai jamais brillé. Ma tête suturée n’aidait pas. Il me fallut bien cinq minutes pour associer les mots ensemble.

– Vous êtes belge ? Flamand ?
– Vous savez, Flamand, Wallon, moi je dis : ça ne veut rien dire. Moi je suis belge et voilà tout. J’aime la Belgique, j’aime Bruxelles et j’aime Anvers, j’aime Liège et j’aime Namur. J’aime le français, qui est ma langue de cœur, et le flamand, qui est ma langue d’adoption. On est ce qu’on est, et j’aime les Belges. Le reste, c’est de la politique.
– Vous aimez beaucoup de choses. Vous pourriez vous arrêter là pour me rendre un service ?
– Si je peux être utile…

Il alluma ses warnings et se gara sur un coin de rue. Je sortis mon téléphone et recherchai l’enregistrement dérobé à Van der Bersket.
Il s’agirait de me traduire. Vous allez voir. C’est très court et l’on entend mal.

– C’est du Flamand ?

J’envoyai la bande. Mais son contenu me semblait changé ; non, pas changé d’ailleurs : tronqué. Ni mention de Iejov ni évocation du problème. Ah ! Etais-je bête ? J’avais scindé, je m’en souvenais maintenant, l’enregistrement en deux. Je repris mon inspection virtuelle.

La première partie avait disparu.

– Attendez, attendez…

Rien à faire : disparue.

– En tous les cas, là, si ça vous intéresse vraiment, votre homme, il dit à peu près cela : que la fille lui a posé des questions insistantes, qu’il a peur de la prison et qu’il ne veut pas y aller, qu’il voulait simplement rendre service. Et alors, l’autre homme, on entend des bribes, celui qui a une voix plus aigüe, lui dit qu’il ne risque rien que la fille n’est pas un problème insurmontable, il dit. Et l’autre ajoute qu’il ne veut pas qu’on lui retire sa licence.

Je demeurai pensif un petit moment, puis repris mes esprits et remerciai le chauffeur. Tout compte fait, je descendrais ici. Comment avais-je pu perdre la première partie ? Ou plutôt : qui s’était chargé de l’effacer ? Et quand ? Et pourquoi ? Les informations de la bande n’étaient pas dénuées d’intérêt, mais en dehors de toute mention de Iejov ou des autres, elles ne constituaient pas une preuve.

Autre chose me chagrinait. L’homme de la bande se trompait, évidemment, en disant que la fille n’était pas un problème. La fille était un problème insurmontable. En recoupant la conversation et le contenu de la note, une seule conclusion s’imposait à mes yeux ; Marion courait un grand danger. J’avais perdu deux jours d’enquête et, désormais, sa survie reposait sur moi. Grand danger. Alerte générale, sirène de sous-marin. J’avais failli à ma mission de sparring. J’avais pris trop de temps pour moi.

J’avais besoin de réfléchir. De réfléchir vite et bien. Pour cela, j’avais besoin de calme. Impossible de rentrer chez moi : j’avais besoin de calme, vraiment. Depuis la place de la Concorde, je me mis à marcher droit vers Roland-Garros. La nuit tombait et les lumières, dansantes et jaunes, me frappaient la rétine comme des balles assassines.

 

 

La déesse Petra

Petra Kvitová, Wimbledon 2014, © Ray Giubilo

Le prénom Petra vient du grec « petros » qui signifie « pierre, rocher ». Bien que ces notions de dureté et de résistance prennent tout leur sens lorsque Petra Kvitová s’empare de sa raquette de tennis, surtout sur les terres vertes de Wimbledon, paradoxalement, son visage évoque quant à lui la douceur. Il y a en effet la douceur de sa peau, mais surtout celle de son regard. Un regard d’une telle impénétrabilité qu’il semble comme figé quelque part dans le temps, finalement, d’une telle simplicité qu’il fait jaillir le feu de la grâce. De la même façon que la femme représentée dans les grandes peintures de la Renaissance italienne, Petra est sereine, et de son iris couleur déesse elle fait fléchir les cœurs et les genoux des gens qui, par envie ou par mégarde, le rencontrent. 

Puis il y a cette lueur vive dans son bleu qui frétille impatiemment. Celle-ci contraste avec les ridules et les ombres prolongées sous ses yeux, stigmates du temps nous informant peut-être qu’elle s’est échappée d’un tableau de Botticelli vieux de 500 ans… Il émane d’elle la même pureté qu’on retrouve dans la célèbre œuvre picturale « La Naissance de Vénus », mais il y aussi chez la joueuse Tchèque, la détermination d’une grande guerrière. Il est vrai que sa structure physique athlétique,  sa fabuleuse puissance, sa longue chevelure blonde, ses grands yeux bleus ainsi que sa rage de vaincre ne sont pas s’en rappeler la déesse nordique Freyja, la première des Valkyries.

Jamais elle n’abandonne. Pour célébrer ses incroyables passing-shots en bout de course et autres jolis coups, elle serre souvent le poing en l’accompagnant d’un cri véhément tout en fixant le sol. Alors qu’elle regarde vers le bas, du haut de son mètre quatre-vingt-trois, elle oblige ironiquement ses adversaires à lever la tête vers les cieux, en direction de sa véritable demeure. Bien qu’elle soit démonstrative, elle n’est cependant jamais dans la provocation, pas d’œillades hautaines ou de grands airs vainqueurs. Elle garde toujours une attitude exemplaire, une attitude à la fois concernée par le jeu et les enjeux mais en même temps détachée de tous les éléments qui pourraient lui nuire. Comme peu de joueuses et de joueurs, Petra semble avoir parfaitement assimilé le concept nietzschéen de l’Amor fati – locution latine se traduisant par « l’amour du destin ». Avec cette extraordinaire sérénité et son intense présence, elle donne effectivement l’impression d’accepter son sort. Pour preuve, elle est tout aussi magnifique et son sourire tout aussi radieux dans la victoire comme dans la défaite. Parce que dans le fond, qu’a-t-elle à craindre, ne porte-t-elle pas au creux de sa main gauche les marques de son invulnérabilité ?

Petra Kvitová, Wimbledon 2015, © Art Seitz

 

Daniil Medvedev, la diagonale du fou :

du niveau Challenger début 2018, à presque 22 ans, au sacre de l’US Open 2021

 

Daniil Medvedev, roi de l'US Open 2021, © Ray Giubilo

En janvier 2018, à Playford en Australie, Daniil Medvedev joue son dernier tournoi Challenger, un mois avant de monter sur ses 22 balais. Un peu plus de trois saisons et demie plus tard, le voilà vainqueur de l’US Open et numéro 2 mondial. Un parcours inattendu tracé grâce à des transformations mentale, physique et tactique accompagnées, notamment, par Gilles Cervara.

Rectangle au sein duquel sont dessinés des cercles, la géométrie d’une plaque de cuisson n’a pas grand-chose à voir avec celle d’un terrain de tennis. Elle est, à la rigueur, bien plus proche d’un tracé de hockey sur glace. Pourtant, le court a un point commun avec cet appareil chauffant. Dès qu’on y pose le pied, il est capable de faire fumer les émotions des cocottes-minute les plus résistantes. Certains joueurs – aussi bien amateurs que professionnels – adorables au quotidien y voient leurs bouches se transformer en soupapes prêtes à cracher leurs furies pour évacuer la pression. « Je ne sais pas si je suis une gentille ou une bonne personne, mais dans la vie je suis très calme, explique Daniil Medvedev en conférence de presse de l’US Open après sa qualification pour la finale en 2019. En dehors du court, pour m’énerver, il faut vraiment faire quelque chose qui me rend dingue tout au long d’une semaine, comme venir frapper à ma porte d’hôtel tous les jours à 6 h du matin. En fait, je ne sais vraiment pas pourquoi tous mes démons ressurgissent quand je joue au tennis. »

Amis, Daniil Medvedev et Andrey Rublev se connaissent depuis l’époque des billes et culottes courtes. Tous deux Moscovites, le premier étant né en 1997, le second l’année suivante, ils grandissent en s’affrontant. Ils n’ont que 6 et 7 ans quand il se font face en tournoi pour la première fois. Alors hauts comme trois pommes, ils en font voir des vertes et des pas mûres à chacun de leurs duels. « Daniil jetait sa raquette, mais sans pleurer ou pleurnicher, raconte le plus jeune des deux lors d’un entretien accordé à Sports.ru. Au lieu de ça, il pouvait crier sur tout et tout le monde, y compris les arbitres. Il était fou à ce point. Il n’hésitait pas à dire à l’arbitre ce qu’il pensait de lui. Si quelqu’un passait simplement par-là, aux abords du court, il était capable de lui dire d’aller se faire voir. » S’il l’a joue Judas en balançant son compère, Rublev se crucifie également. « Moi, en plus de balancer aussi ma raquette, je chouinais et pleurais, ajoute-t-il. Il m’est aussi arrivé d’attraper une poignée de terre battue et de la manger. » Après avoir pleuré comme une madeleine, rien de tel qu’un bon sablé pour se remonter le moral.

En grandissant, la fameuse « gestion des émotions » est restée source de difficulté pour le surnommé « Danya ». Fréquemment, au détour de questions posées par les journalistes, le Russe se décrit comme « complètement fou » en se remémorant ses jeunes années. « Quand j’étais junior, j’avais beaucoup de problèmes avec mon attitude, a-t-il précisé, toujours à New York. Je n’allais pas jusqu’à me faire disqualifier, mais je prenais facilement des points et jeux de pénalité. Quand j’avais 14 ans, 16 ans, je pouvais m’embrouiller avec les entraîneurs de mes adversaires pendant les matchs, simplement parce que je pensais qu’ils applaudissaient mes doubles fautes ou autre. Je hurlais sur eux, ils hurlaient sur moi en retour et beaucoup disaient alors : “OK… Ce gars est complètement taré ! Il ne deviendra jamais un bon joueur de tennis.” » Quelques années plus tard, en 2017, « Daniil le fou », 21 ans, débarque à Wimbledon dans la peau du 49e joueur mondial. D’entrée, il s’offre le premier top 20 de sa carrière. Pas n’importe lequel. Stan Wawrinka, 3e du classement ATP. 

Puis, au deuxième tour, les vieux démons reviennent danser sous son crâne. Jusqu’à faire chauffer la piste de danse au point d’entraîner Medvedev vers l’enfer de ses propres affres. Sur les nerfs, battu 6/4 6/2 3/6 2/6 6/3 par Ruben Bemelmans malgré un break d’avance dans l’ultime manche, il dépasse un tantinet les bornes. Après avoir serré la pogne du Belge, il se dirige vers son sac et en sort un porte-monnaie. Sans mot dire, frustré par plusieurs décisions au cours de la rencontre, il jette des piécettes au pied de de la chaise d’arbitre sur laquelle est encore perchée Mariana Alves. « C’était stupide de faire ça, regrette-t-il ensuite en conférence de presse. J’étais frustré, et je ne voulais pas dire qu’elle était corrompue ou quoi que ce soit. Certes, pendant le match, j’ai eu l’impression que les décisions n’étaient pas en ma faveur (il a même demandé un changement d’arbitre, requête évidemment refusée par le superviseur). Mais ce n’est pas une raison. Les arbitres sont humains, ils peuvent se tromper. Moi aussi, en tant que joueur, je fais des erreurs. La seule chose à faire maintenant est de demander à ce qu’on veuille bien m’excuser pour mon comportement. » Ce geste lui vaut finalement une amende de 12 700 € sur ses gains de près de 65 000 €. 

Mais ce n’est pas au compte en banque que ce genre d’attitude lui fait le plus mal. La déception à son propre égard lui secoue les méninges et lui tord les boyaux. On l’imagine aisément ressasser la scène, front contre le mur, au cours d’une douche interminable après la partie. Parce que le bougre s’en veut, et ne se comprend pas. Comme s’il était étranger à lui-même. « À chaque fois que je me conduisais mal sur le court, je me posais seul avec moi-même (après le match), confie-t-il, toujours à Flushing Meadows en 2019. Je me disais : “Je ne suis pas comme ça dans la vie ‘normale’. Je n’ai pas envie de faire des choses de ce genre.” Donc j’ai beaucoup travaillé, dur, là-dessus et j’ai fait de gros progrès. Même si parfois je dérape encore un peu (sourire). » Sans ça, jamais il ne serait devenu, le 15 mars 2021, le premier joueur non membre du quatuor Nadal, Federer, Djokovic, Murray à intégrer le top 2 depuis le 25 juillet 2005. Une progression qu’il doit, entre autres, à son coach.

Gilles Cervara, une rencontre déterminante

À partir de 2014, Daniil Medvedev fréquente l’Elite Tennis Center de Cannes, fondée par Jean-René Lisnard et Gilles Cervara. « Il est arrivé au moment des vacances de Pâques, je crois, pour faire un essai, et c’est moi qui l’ai accueilli, j’ai fait son premier entraînement, nous détaille Gilles Cervara. Je ne le connaissais pas du tout, je n’en avais jamais entendu parler. Dans le club house, j’ai dû passer devant lui une ou deux fois sans savoir que c’était lui, parce que c’était un grand adolescent qui ne ressemblait pas du tout à un joueur de tennis. Je me souviens qu’il m’avait parlé de son coup droit, en me disant que c’était un peu difficile au retour quand il ne s’attendait pas à ce que ça arrive sur ce coup, qu’il avait du mal à s’organiser. » Dans les années qui suivent, le duo se forme au fil du temps passé à l’entraînement et sur différentes compétitions, alors que le coach français s’occupe de plusieurs joueurs à cette époque.

« En général, on faisait un ou deux tournois ensemble, poursuit-il. Quand on se quittait, j’avais le sentiment, et je pense qu’il était partagé par Daniil, d’avoir bien bossé, dans une bonne atmosphère, avec un certain bien-être. A chaque au revoir, on se disait que c’était cool d’avoir passé ce temps l’un avec l’autre. » Résultat, les deux hommes se mettent  à travailler pleinement ensemble dans la foulée de l’US Open 2017. Quelques semaines après les montagnes russes de Wimbledon. « Sa victoire contre un joueur de très haut niveau comme Wawrinka signifiait quelque chose, explique Gilles Cervara pour le site de l’ATP en 2020. Mais je voyais que sa préparation manquait de cohérence. C’est ce dont on a discuté quand il m’a demandé d’être son entraîneur à temps plein. J’avais une vision claire sur ce qu’il avait besoin d’améliorer jour après jour, et j’ai construit une équipe autour de lui pour y parvenir. » Parmi celle-ci : Francisca Dauzet. Accompagnatrice professionnelle de la performance, comme elle aime qu’on la définisse.

 

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Si Gilles Cervara permet à Daniil Medvedev de progresser mentalement en lui relatant ses propres « dérapages » sur le court, Francisca Dauzet est d’une aide au moins aussi précieuse. « Elle m’a beaucoup aidé à comprendre comment je suis en tant que personne et ce que je dois faire sur le court pour être meilleur, rapporte  le natif de Moscou lors du Masters 1000 de Shanghaï en 2019. Avant, j’avais déjà des bons coups, mais je ne savais pas comment faire les bons choix aux bons moments. Dans l’équipe dont je suis entouré, tout le monde m’a aidé à comprendre ce que je devais faire dans le tennis. Autant sur l’aspect mental que physique. » Le 11 février 2014, jour de ses 18 ans, Daniil ne compte aucun point ATP. Que tchi. Il entre dans le top 500 à 19 printemps, avant d’intégrer le clan des 100 meilleurs joueurs du monde en novembre 2016, quelques semaines avant son passage à la vingtaine. Une éclosion, plus tardive que certains prodiges, qu’il doit à une prise de conscience.

« Quand j’avais 18 ans, je sortais un peu, relate-t-il en février 2020 dans le podcast Échange d’Eurosport. Tu es jeune, tu te dis : “OK, si je sors une fois par semaine, ça ne va pas changer grand-chose à mes résultats.” Mais, à un moment de ma vie, j’ai décidé que je voulais voir jusqu’où je pouvais vraiment aller. J’ai commencé à mieux manger, à me coucher plus tôt, à ne pas perdre d’énergie bêtement pendant un tournoi. Je suis vraiment devenu, entre guillemets, très, très ‘propre.’ Ça m’a beaucoup aidé. C’est l’une des décisions les plus importantes de ma vie. C’est une routine, un professionnalisme que j’ai décidé de mettre en place. Si je perds ça, je sens tout de suite que je suis un peu moins stable. » Moins gourmand au moment de passer à table, le Russe se met à déchaîner son appétit sur le court. Engloutissant les trophées comme le ferait un champion de concours du plus gros mangeur de hot-dogs, il se mue en ogre du circuit. Grâce, d’abord, à un échec au premier tour du Challenger de Playford pour lancer l’année 2018.

« Je me souviens très bien de ce match, nous répond Gilles Cervara. Il était tête de série numéro 1 et il perd (5/7 6/4 6/4 contre (Marinko) Matosevic, ancien top 100 (39e mondial en 2013) après avoir mené d’un set et un break (7/5 4/1). Il n’a pas eu une bonne attitude et s’est pourri la vie avec ça en se focalisant sur de mauvaises choses. Je n’ai pas eu de discussion avec lui juste après le match, je l’ai un peu laissé mariner avec ça et j’avais besoin moi aussi de sentir ce que j’avais à lui dire. Le lendemain, je lui ai expliqué ce qui m’avait marqué : je n’avais pas senti le feu en lui, comme s’il n’avait pas eu d’âme. Le mot “feu” avait ensuite été le leitmotiv de la tournée australienne. » Dix jours plus tard, à Sydney, en sortant des qualifications, Daniil Medvedev, 84e mondial, soulève son premier trophée sur le circuit principal. En se lançant plus solidement sur la voie de son identité de jeu. Celle d’une future locomotive du tennis capable de s’aiguiller vers de nombreuses tactiques pour faire dérailler ses adversaires.

Le junior qui tapait comme un sourd a recouvré l’ouïe

Plus jeune, il était habitué à « taper sur tout ce qui bouge », comme il le répète souvent. « Quand j’étais junior, mon coach de l’époque m’a dit que les professionnels ne frappaient pas plus fort que moi, raconte-t-il en conférence de presse à Miami en 2021. Quand vous êtes jeune, vous pensez devoir taper aussi fort que possible pour rivaliser. Parce que vous croyez que les pros vont cogner plus que vous. Mais ce n’est pas le cas, et ce n’est pas ce qui compte. Ce sont plein d’autres détails qui font la différence : tactique, stratégie, savoir choisir le bon coup au bon moment, ne pas craquer sous la pression. Rien que par rapport à 2018, je suis beaucoup plus mature dans mon tennis. » Habitué à cogner comme un sourd, il affine son ouïe dès le début de l’année sus-citée. Parmi les premières pierres, précieuses, servant à bâtir le mur Medvedev aux multiples stratagèmes, une nouvelle discussion avec Gilles Cervara lors de la tournée australienne. 

« Je ne l’avais jamais vraiment vu jouer en frappant tout, comme d’autres joueurs et lui-même me l’ont rapporté par la suite, se rappelle l’entraîneur. A New York (pendant l’US Open 2021), Wilander m’a dit que Daniil avait un peu le jeu de (Miroslav) Mecir. C’est exactement ça : tout en douceur et en placement. C’est ce qui m’avait marqué. Et pendant le tournoi de Sydney (en 2018), j’ai vu qu’il était aussi capable d’envoyer de gros coups. C’est à ce moment que j’ai eu une vision de l’assemblage de tous ces jeux. J’en ai parlé avec Daniil pour savoir s’il était d’accord avec moi, et c’était le cas. Ça m’a permis de constituer la construction de son identité et de ses différents jeux. » Dans les mois qui suivent, il remporte deux nouveaux titres – un deuxième ATP 250 à Winston Salem, puis son premier ATP 500 à Tokyo – et termine la saison au sein du top 20. Dès l’année suivante, il déboussole définitivement les observateurs les mieux aiguillés du tennis.

Daniil Medvedev, après la finale de l'US Open 2019, © Ray Giubilo

Personne, pas même lui, ne s’attendait à le voir enchaîner six finales consécutives entre juillet et octobre 2019. Une série royale couronnée, entre autres, de deux Masters 1000 – Cincinnati, Shanghai – et d’une finale épique perdue 7/5 6/3 5/7 4/6 6/4 en 4 h 51 face à Rafael Nadal à l’US Open. Bien que mené de deux manches et un break, il pousse le duel au cinquième round en démontrant d’incroyables qualités mentales, physiques mais aussi tactiques. Loin du junior envoyant des pions à tout-va, « Daniil le fou » s’avance désormais sur l’échiquier en roi de la stratégie. Un seul but : jouer de mauvais tours aux adversaires pour tenter de faire cavalier seul. S’il base ses forces sur un service létale et une couverture de terrain presque inhumaine lui donnant, du haut de son mètre quatre-vingt-dix-huit, des allures de poulpe géant dont les tentacules ratissent les moindres recoins du court, il est prêt à envisager tous les changements tactiques pour gagner. 

Certains joueurs n’ont qu’un plan A, lui veut avoir toutes les lettres de l’alphabet. « C’est vrai (je peux jouer différents types de tennis), répond-il en conférence de presse de l’Open d’Australie 2021. Parfois, je sens que je ne peux pas me contenter de défendre ou contrer, alors je dois jouer différemment. Certaines fois, il suffit de défendre et mettre la balle dans le court. D’autres fois, il faut aller au filet. Je n’ai pas de préférence, ça m’importe peu. Je veux juste trouver la façon la plus simple de gagner, c’est aussi simple que ça. » Une capacité qui ne naît pas par magie. « Évidemment, nous (avec Gilles Cervara) travaillons là-dessus à l’entraînement, pour avoir le plus d’armes possible dans mon jeu. Si vous voulez faire quelque chose en match alors que vous ne l’avez jamais pratiqué avant, vous n’y arriverez jamais. » Élève assidu, le Moscovite fait ses devoirs avec brio. Au point de s’attirer les félicitations des plus grands maîtres. 

« Il est capable de changer la dynamique d’un match quand le scénario n’est pas en sa faveur, constate Rafael Nadal lors du Masters 2019. Il peut réussir beaucoup de choses difficiles, très difficiles. Par exemple, contre Djokovic à Cincinnati (demi-finale 2019), il s’est mis à servir très fort en seconde balle (après la perte du premier set, Medvedev a notamment claqué cinq aces sur seconds services, avant de finalement s’imposer 3/6 6/3 6/3). Contre moi, en finale de l’US Open, il s’est mis à faire beaucoup de service-volée, il aussi lâché de nombreuses grosses frappes long de lignes dans des situations où il joue habituellement croisé. » Emberlificoteur génial, Daniil Medvedev peut complètement entortiller les méninges de ses opposants. Au point que ceux-ci passent ensuite de longs moments à essayer de dénouer les nœuds qu’il leur fait au cerveau. 

« Je n’ai rien compris à ce qu’il m’a fait » – Jannik Sinner

« Après un match, gagné ou perdu, j’aime comprendre ce qu’il s’est passé, explique Jannik Sinner en conférence de presse à Sofia fin 2020, après l’ouverture de son palmarès. Il n’y a qu’une fois où je n’ai pas réussi, c’était à Marseille contre Daniil Medvedev (défaite 1/6 6/1 6/2). À un moment donné, il a changé son jeu et je ne l’ai pas remarqué. C’était étrange, parce que je suis normalement assez conscient de ce qui se passe sur le court. Je suis allé me coucher sans réussir à savoir ce qu’il avait fait. J’ai eu du mal à trouver le sommeil. » Et ce n’est pas la seule particularité relevée par l’Italien à la chevelure de feu. « Sa balle est en quelque sorte ‘bizarre’, décrit-il lors d’un direct Instagram avec Karen Khachanov en juin 2020. Surtout avec son revers (à deux mains), il envoie presque un effet ‘backspin’. C’est très surprenant. Quand je suis sorti du court (après leur affrontement à Marseille), je me suis dit : ‘OK… Je n’ai rien compris du tout.’ »

« Ce revers, il l’a toujours eu, nous relate Gilles Cervara. Avant de l’entraîner à plein temps, je me souviens l’avoir vu réussir certains types de revers complètement anachroniques, semblant impossibles à faire, et m’être dit : ‘WOW ! Ça, ça ne s’apprend pas.’ Ça peut se développer, mais c’était déjà là. Daniil fait parfois des frappes sorties de nulle part, et je me dis alors que ça peut être un coup spécial, spécifique au joueur, à développer pour en faire une signature, et son revers en fait partie. Quelques autres joueurs ont cet effet ‘backspin’ en revers, je pense surtout à (Mikhail) Kukushkin. » Tenant de mieux en mieux les rênes d’un style à même de faire tourner ses adversaires en bourrique, Daniil Medvedev continue de galoper vers les sommets. Entre fin 2020 et début 2021, il enquille vingt succès consécutifs contre, entre autres, Raonic, Zverev, Djokovic, Nadal, Thiem, Rublev, Tsitsipás ou encore Berrettini. Bilan : trois sacres – Bercy, Masters, ATP Cup – et une deuxième finale de Grand Chelem.

Daniil Medvedev, US Open 2021, © Ray Giubilo

Là, bien que lancé à toute allure avec la confiance emmagasinée comme moteur, il est stoppé brutalement. Par une muraille. Novak Djokovic. Défaite 7/5 6/2 6/2 en 1 h 53. Si la défaite est dure à avaler, elle est vite digérée. Sans en oublier totalement le goût amer au moment de retrouver le Serbe sept mois plus tard. Après un quart de finale à Roland-Garros – où il n’avait encore jamais passé un tour -, un premier titre sur gazon (Majorque) -, un premier huitième de finale à Wimbledon et un quatrième Masters 1000 (Toronto), il se hisse jusqu’en finale de l’US Open. « Ce que j’ai retenu de ma finale contre lui à Melbourne, c’est que, même si je donne toujours le meilleur de moi-même, je n’ai pas eu la sensation de mettre tout mon cœur sur le court, exprime-t-il en amont du grand rendez-vous. Évidemment, j’en avais envie, mais quelque chose ne tournait pas rond pendant cette rencontre. C’est ce que je vais essayer de changer. Quel que soit le score, je vais faire monter la température, si je puis dire, et me donner encore plus qu’en Australie. » 

D’après Einstein, « la folie, c’est répéter les mêmes erreurs et espérer des résultats différents. » Bien qu’il se dise par moments encore un tantinet timbré sur le court, Daniil Medvedev apprend de ses erreurs. « Dans les vestiaires après le match en Australie, je lui ai dit que Novak Djokovic avait été très fort, mais que lui avait manqué de ce ‘feu’, nous révèle Gilles Cervara. Comme il avait extrêmement bien joué en quart et demie là-bas, il pensait peut-être avoir automatiquement le même niveau en finale. À mon sens, ça avait un peu obstrué le fait d’avoir le côté danger, inquiétude dans le bon sens du terme, pour se préparer à donner le meilleur de soi. Il a tiré les enseignements de ça. L’équipe, et notamment Francisca (Dauzet), l’a ensuite fait travailler là-dessus, puis de nouveau avant la finale à New York pour pouvoir être à un autre niveau. Pour moi, le début de match allait être révélateur du niveau auquel il serait sur la dimension mentale. Après le premier jeu, je me suis dit : ‘C’est bon, il est dans les rails et va jouer pour gagner. »

Breakant d’entrée, le gaillard de 25 ans prend les commandes et gère l’évènement en patron du Stadium Arthur Ashe. Triomphe 6/4 6/4 6/4 en 2 h 16, face à un Novak Djokovic quelque peu vidé émotionnellement – en larmes sur le court avant l’ultime jeu, touché en plein cœur par le soutien appuyé du public – et écrasé par le poids d’un possible premier Grand Chelem depuis Rod Laver en 1969. « Était-il à son meilleur niveau ? Probablement pas, analyse, lucide comme à son habitude, le nouveau roi new-yorkais après son couronnement. Il avait beaucoup de pression. Aurais-je été capable de le tenir s’il avait été à son top ? Nous ne le saurons jamais. Je suis juste heureux d’avoir gagné (sourire). La veille d’un match, nous parlons toujours tactique avec mon coach. En général, ça prend cinq, dix minutes. Quand j’affronte Novak, c’est plutôt trente minutes. Pourquoi ? Parce qu’il change chaque fois de tactique. Mon plan a fonctionné. J’ai pris beaucoup de risques sur ma seconde balle (comme à Cincinnati en 2019). Je savais que je ne pouvais pas lui donner de deuxièmes balles faciles, il se régale dessus. »

Vainqueur en Grand Chelem et personnalité à part

« Tactiquement, on était prêt à tout, nous confirme Gilles Cervara. Lors de ces fameuses trente minutes de discussion, on a balayé un grand nombre de situations pour clarifier le mieux possible les différents plans tactiques, et mentaux, à gérer. Même si on ne s’attendait pas forcément à ce que Novak vienne autant au filet. » Sur les 181 points de la rencontre : 47 montées tentées – 33 réussies – pour le surnommé « Djoker ». Soit 25,97 % des échanges joués à la volée. Une statistique d’une rareté rare (si ce n’est pas une première ?) pour lui. Une volonté poussée d’exploiter la position de retour très reculée de Medvedev ? Un aveu d’impuissance du fond ce jour-là ? Les deux ? « Seul Novak peut répondre à cette question », souligne Gilles Cervara. Qu’importe. Frais comme un gardon après un tournoi empoché en ne perdant qu’une manche, son protégé s’est lui senti comme un poisson dans l’eau sur le terrain. Au point de se prendre soudainement pour un saumon une fois sacré.

Après la balle de match, le Russe se jette au sol tel un poisson sautant hors de l’eau. Célébration, devenue iconique, bien connue des amateurs du jeu vidéo FIFA. « Ça, c’est ses délires de joueur de PlayStation, rigole Gilles Cervara. Je ne savais pas du tout qu’il allait le faire, mais ça m’a fait beaucoup rire (rires). » Une scène rigolote, unique, dénotant une personnalité détonante dans le tennis. Celle découverte, par le grand public, pendant l’US Open 2019. Enflammant les tribunes d’une fureur de huées après le fameux épisode du doigt d’honneur – “geste technique” réalisé de façon malicieuse, derrière sa tête, pour ne pas se faire pincer par l’arbitre –, il remet de l’huile sur le feu. « Merci à tous, votre énergie (les sifflets) m’a donné la victoire, lâche notre ‘Fingermanlors de l’interview sur le court. Plus vous me sifflerez, plus je gagnerai, merci ! » Là où beaucoup auraient tenté un discours d’apaisement classique – type : « Pardon, aimez-moi s’il vous plaît » -, Medvedev assume alors le costume caricatural de super-vilain. Rôle classique, finalement, pour un Russe dans un scénario de blockbuster américain. 

« La situation n’était pas facile, mais le plus important est que je suis resté moi-même, se souvient-il un an plus tard, en conférence de presse du Masters 1000 de Cincinnati. Même quand la foule n’exprimait pas vraiment de la joie envers moi, disons-le comme ça, j’ai continué à être moi-même. Je n’ai pas essayé de dire : ‘OK, désolé les gars, tout ça, ce n’était pas vraiment moi.’ Oui, j’ai fait des erreurs, je l’admets, mais ça fait partie de moi. » Dans les médias, souvent babillard, il tombe rarement dans la langue de bois. Il laisse ça aux Pinocchios. « Daniil a cette qualité de dire la vérité, confirme Gilles Cervara. Même si ce n’est pas toujours une bonne chose, dans le sens où ce n’est parfois pas le bon moment ou la meilleure façon de le faire. Mais il ne cherche jamais à blesser les gens. Il avance ce qu’il pense être sa vérité, en disant : ‘C’est ce que je pense, mais je ne dis pas que vous devez penser la même chose, c’est seulement mon point de vue. » 

Loin d’être barbant micro en main, l’orateur habile qu’il est sait comment assurer la poilade pendant des cérémonies de remise des trophées généralement rasoir. « Cette fois, je le dis d’une bonne façon, c’est grâce à votre énergie que j’ai pu me battre jusqu’au bout », sourie-t-il, tendant l’oreille vers un public conquis, lors de son discours plein d’auto-dérision après la défaite contre Nadal lors du fameux US Open 2019. Deux ans plus tard, même lieu, suite au triomphe face à Djokovic : « C’est le jour de notre troisième anniversaire de mariage avec ma femme, lâche-t-il. Pendant le tournoi je n’ai pas pu penser à un cadeau. Après la demie et ma qualification pour la finale j’ai d’abord pensé : “OK, si je perds, je vais devoir rapidement trouver un cadeau.” Ensuite je me suis dit : “Si je perds, je n’aurai jamais le temps de trouver un cadeau. Je dois absolument gagner !” Je t’aime Dasha. » Une facilité à s’exprimer devant des dizaines de milliers de personnes qu’il explique par son parcours en dehors du tennis.

« J’ai étudié dans une bonne école à Moscou, l’une des meilleures de Russie, détaille-t-il après son succès à Bercy fin 2020. Mon truc, c’était plus la physique et les mathématiques. J’ai même fait une année dans une très bonne université russe. Je pense y avoir beaucoup appris, aussi en parlant aux gens. Il ne faut pas seulement savoir les choses, il faut également bien s’exprimer (lors d’un oral) pour que le prof’ vous donne une bonne note. C’est pour ça que je suis bon en interviews et discours, je crois. Et je pense que ça (ses études) m’aide aussi sur le court, parce que j’essaie vraiment de rendre fou mon adversaire. » Pour ce faire, le Moscovite, qui  « est avant tout un stratège réfléchi » comme le décrit Gilles Cervara, laisse aussi son grain de folie s’exprimer de temps en temps. Par des amorties inattendues, des services à la cuillère ou des gestes abracadabrantesques sur lesquels il fait parler sa magie créatrice, à l’instar d’un revers terminé complètement dos au filet à Rotterdam. « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière », disait Michel Audiard. S’il est désormais loin de la « folie » de ses jeunes années sur le court, Daniil Medvedev en a conservé quelques fêlures pour s’ériger en phare du tennis mondial.

Au service de sa majesté

Roger Federer, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

C’est lui qui le dit ! Federer aimerait « un mec à la James Bond » pour jouer son rôle en cas de biopic sur sa rivalité avec Rafael Nadal. Smoking impeccable pour l’un, mèche toujours bien rangée pour l’autre. C’est vrai que l’analogie est tentante entre le joueur de tennis le plus iconique de tous les temps et l’espion le plus emblématique du 7e art. Au-delà d’une classe naturelle similaire, on ne se hisse pas à ce rang sans des armes hors normes, permettant de déjouer les plans adverses. Pour Bond, une panoplie de gadgets dernier cri ; pour Federer, un service high-tech, l’une de ses armes de prédilection sur lequel ses rivaux se sont souvent cassé les dents. Décryptage, en quelques faits et gestes, pour comprendre les secrets du service de Federer.

 

1. L’homme au pistolet d’or

D’après les statistiques de l’ATP pour la saison 2021, et malgré un genou douloureux l’année de ses 40 printemps, Federer fait encore partie des 5 meilleurs serveurs du circuit aux côtés de John Isner, Milos Raonic, Reilly Opelka et Nick Kyrgios (figure 1). Si la présence de ces derniers en tête de ce classement n’est pas une surprise au regard de leur taille exceptionnelle, (le petit) Federer arrive en 5ème position alors qu’il leur rend 8 à 20 cm en taille ! Il devance même (le grand) Matteo Berrettini (1,96 m) et (le très grand) Kevin Anderson (2,03 m). Le Suisse ne doit pas sa réussite à sa taille mais à une main en or, digne de Goldfinger, lui assurant notamment une grande précision. Au cours de ces dernières années, Federer est le joueur le plus performant sur sa deuxième balle avec près de 60 % des points remportés après sa 2nde balle de service. Il est aussi très régulier avec moins de 2 doubles fautes en moyenne par match.

Figure 1

Enfin, il sert plus d’aces côté avantage : ce résultat témoigne de sa formidable capacité à bien servir lors des points importants (balles de jeux ou de break), ce qui lui a souvent Permis de tuer ses adversaires. Par contre, Federer n’est pas le joueur le plus puissant du circuit au service avec une première balle frappée en moyenne à 190 km/h. Le service le plus rapide de Roger a été flashé à 230 km/h en 2010 à Halle en Allemagne, une vitesse que ne renierait pas l’agent 007 au volant de sa célèbre Aston Martin dans Meurs un autre jour. Toutefois, la grande force du service de Federer ne réside pas tant dans sa vitesse mais plutôt dans sa précision. « Quand il joue très bien, c’est le coup qui fait la différence, analyse Mickaël Llodra. Il arrive à être très précis. Il peut toucher toutes les zones du carré de service. » Pourtant, Roger est loin d’être le plus grand joueur du circuit : comment se fait-il que toutes les zones du carré de service s’offrent à lui ?

 

2. Casino Royal

Tel un joueur de casino, visage illisible, masqué de sa fameuse « poker face », Federer est connu pour être le maître du masquage, ce qui a déstabilisé tant d’adversaires par le passé. « Roger peut faire chaque service avec le même lancer de balle, et avec une extrême précision, c’est pourquoi il est si difficile de jouer contre lui. Vous ne savez pas où la balle va aller, et là, tout à coup, il touche la ligne (…) Roger lance la balle en l’air, et vous guettez un signe, mais le lancer est le même, la position du corps est la même, où qu’il dirige sa balle. Et au tout dernier moment, Roger change et envoie la balle où bon lui semble ». Ces propos de Toni Nadal témoignent de l’extrême difficulté qu’ont ses adversaires à lire son service. Federer possède, en effet, cette capacité à réaliser un lancer de balle identique et à modifier l’inclinaison de sa raquette juste avant l’impact en fonction du type d’effet et de la zone souhaitée (figure 2) grâce aux actions de son avant-bras et de sa main, capables de faire tomber la foudre comme dans Opération Tonnerre.

Figure 2

3. Skyfall

Chez Federer tout part des jambes, et quand vous êtes au retour le ciel peut vous tomber sur la tête ! Techniquement, son service est un petit bijou qui mériterait sa place dans Les Diamants sont éternels. Son jeu de jambes est très souvent loué pour sa qualité de déplacements et son côté aérien en fond de court. Il en va de même au service. La performance du service du Suisse réside en grande partie dans l’action de ses jambes, véritable rampe de lancement pour se propulser vers l’impact. Au départ du mouvement, les appuis écartés lui fournissent une base d’équilibre importante. La flexion des genoux et des chevilles lui permet d’aller chercher énormément d’énergie dans le sol (figure 3).

Figure 3

Il exploite ensuite cette énergie lors de la poussée de ses jambes, tellement explosive qu’elle le fait très largement décoller du sol. Au service, la poussée des jambes se situe à un double niveau : genoux et chevilles. Beaucoup de joueurs présentent une extension explosive des genoux mais pas toujours des chevilles. La position caractéristique de Federer, pieds en l’air, pointes de pieds orientées vers le sol, témoigne de sa capacité à exploiter complètement l’extension de ses chevilles pour se propulser vers la balle (figure 4).

Figure 4

Sa poussée des jambes est si performante qu’il touche la balle à près de 3 m du sol, soit aussi haut que Milos Raonic, Kevin Anderson ou encore Juan Martin Del Potro pourtant bien plus grands que lui (figure 5). Federer semble planer au-dessus du court.

Figure 5

4. Rien que pour vos yeux

Esthétiquement, le service de Federer s’approche de la perfection. « Tout ce qu’il fait est beau, décrit Stan Wawrinka. Son jeu est une partition, c’est magnifique. » Pendant son lancer de balle, sa main gauche monte parallèlement à la ligne de fond de court. La position d’armé est atteinte pile au moment où il fléchit au maximum ses jambes : la synchronisation est parfaite ! Cette position d’armé est exemplaire (figure 6) : raquette en position haute, avant-bras perpendiculaire au sol, coude fléchi, lignes des épaules et des hanches inclinées, bras libre en direction de la balle. Ensuite, le rythme de sa frappe s’accélère et toutes les actions du corps s’enclenchent parfaitement les unes avec les autres jusqu’à violemment impacter la balle : poussée des jambes, descente de la raquette dans le dos pour la prise de vitesse, dévissage du tronc, descente contrôlée du bras libre, extension du coude, flexion du poignet, pronation de l’avant-bras et rotation interne de l’épaule.

Figure 6

En biomécanique, le service est très souvent assimilé à une chaine qui commence par l’action des membres inférieurs, se poursuit par celles du tronc et se termine par le bras qui tient la raquette. Federer coordonne parfaitement les différents segments et les nombreuses articulations de son corps grâce à un timing optimal qui permet un transfert d’énergie et une augmentation progressive de la vitesse de ses articulations depuis ses appuis jusqu’à sa raquette. Pour produire la vitesse la plus importante possible à l’extrémité d’une chaîne de segments (c’est à dire au niveau de la raquette à l’impact de la balle), il existe un principe biomécanique selon lequel les vitesses des différentes articulations du corps augmentent progressivement et s’additionnent, en quelque sorte, tout au long du mouvement. Le suisse respecte parfaitement ce principe (figure 7) lui permettant d’atteindre une vitesse de sa raquette estimée à près de 170 km/h en première balle au moment de l’impact. Visuellement, le geste du service de Federer donne une impression de facilité.

Figure 7

5. Mourir peut attendre

« Rodge est capable de s’arracher, de repousser ses limites comme très peu de joueurs, fait remarquer Yves Allegro. Mais parce qu’il ne le montre pas, parce qu’il se met minable avec la classe de James Bond, cela passe inaperçu .» Sa longévité exceptionnelle dans les hautes sphères du tennis mondial tient peut-être en partie à son efficience gestuelle. Fluides, rythmés et dépourvus de toute action inutile ou parasite, les mouvements de son corps au service semblent limiter sa dépenser d’énergie. Un maximum de performance pour un minimum d’énergie apparaît comme un autre secret de la légende Federer, toujours vivante. Alors que le Spectre de sa retraite approche, Federer, qui a annoncé devoir subir une troisième opération chirurgicale de son genou droit en août 2021, tente de repousser une nouvelle fois les limites, prce que Demain ne meurt jamais.

Tutti a casa

Italie - Espagne, Fed Cup 2018, © Ray Giubilo

L’Italia non cambia. Possono mancare i vaccini, possono chiudere le aziende, possono fallire tutti, ma lo sport è sacro, non si tocca. Durante il periodo più critico della pandemia, quando tutto il paese si paralizza e i contagi aumentano, nasce un nuovo gioco : Tutti a casa !

Sapientemente incastrato tra calcio e politica, il gioco viaggia veloce e sicuro sulla cresta dell’onda RAI. Riscuote un ampia partecipazione e qualche dovuta infrazione. Le modifiche successive e i numerosi decreti studiati alla luce della trasformazione istituzionale e digitale permettono agli italiani di vincere sempre o quasi, rispettando le regole imposte dal coprifuoco. L’importante questa volta non è arrivare primi sul divano migliore del salotto, ma essere presenti nella rosa dei papabili per attribuirsi il merito della vittoria. Insomma, il gioco premia cittadini e sportivi di ogni tipo disposti ad osservare le nuove regole. Regole che cambiano e consentono di ridistribuire equamente i posti migliori in classifica insieme alle mascherine disponibili.

Piccoli grandi maghi

Mentre a Genova le ragazze osano sfidare il vuoto giocando a tennis sui tetti della città, esplode in tutta Italia il nuovo tennis guidato da Jannik Sinner e Lorenzo Musetti. Un tennis rivisitato, a volte contagioso, fatto di amore e di speranza con qualche inevitabile delusione. Subito il primo risultato con il romano Matteo Berrettini nei quarti di finale di Roland Garros. Per arte e magia consumata, si rialza ancora la terra rossa francese della Porte d’Auteuil con il giovane e talentuoso Musetti. Poi sull’erba magica, un primo set di Berrettini contro Djokovic in finale a Wimbledon.

l’Italia si desta, sorride con Matteo e aspetta col cuore in gola, senza volerci credere troppo. La sera stessa torna in diretta il grande calcio italiano. Italia/Gran Bretagna, finale degli europei nello stadio inglese di Wembley. Il pallone vola e parte subito un attacco fulmineo diretto a sfondare la difesa azzurra. Partita sospesa sul pareggio ed interrotta dalla pubblicità con diciotto milioni di telespettatori su RAI 1 e un’ombra di dubbio che scende in campo, prima leggera e poi sempre più insidiosa. Altri calci di rigore dopo i tempi supplementari. Gli ultimi, decisivi. Si va oltre la mezzanotte Forza ragazzi ! Ma di cosa stiamo parlando, di calcio o di tennis ?

Matteo Berrettini, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

Il Bel Paese

Nessuna importanza. Contano i risultati anche se parziali, con molto entusiasmo in testa. Il nostro è un paese di tifosi non di sportivi. Sono pochi quelli che fanno sul serio e si allenano in modo continuativo durante l’anno. Si parla del 35% degli italiani. Una percentuale piuttosto bassa rispetto al resto dell’Europa, e che non riflette appieno l’impegno straordinario degli allenatori e dei giocatori. Spetta alla Federazione Italiana di Tennis (FIT) e calcio (FIGC), decidere sulla ripresa, sull’avvenire del paese e dello sport. La posta in gioco è alta. Si tratta di continuare ad essere bravi e rispettosi degli avversari, a giocare pulito per vincere insieme alla grande, così come riusciamo a farlo qualche volta in casa Italia. Se si parla di tennis, meglio forse con palle nuove questa volta. Con dieci giocatori ai vertici della classifica internazionale possiamo formare una vera squadra. Una squadra imbattibile. Ci siamo quasi e sembra davvero di giocare a pallone. Ma ancora una volta, è tutto da decidere.

Dopo Wimbledon, Berrettini si ritira. Soffre di una lesione alla coscia. Vorrebbe potere vincere su una gamba sola. Magari ce la farebbe pure. Suo malgrado è costretto a rinunciare. Così siamo giunti alle Olimpiadi di Tokyo a fine luglio di quest’anno, incerti e dimezzati ma sempre pronti a rischiare a cavallo di un nuovo gioco ormai popolarissimo: ‘Tutti a casa’! Lo stesso titolo del capolavoro cinematografico di Luigi Comencini che descrive la situazione dell’Italia dopo l’annuncio dell’armistizio dell’8 settembre 1943

Sogno di mezza estate

A Tokyo, dopo qualche fallo di piede, Fognini perde con Medvedev, la Giorgi stecca uno smash e perde a sua volta con Svitolina. L’Italia non si smentisce e il Bel Paese rinuncia alla medaglia. Lo sport, per gli italiani è sempre stato uno dei divertimenti preferiti. Un gioco a rischio. Quello di farci sognare ad occhi aperti. Un modo come un altro per riinventarci ogni giorno che passa. Il tennis è arte. Si tratta di una sfida continua, contro se’stessi e contro gli altri. Il calcio esprime una passione assoluta. Ci unisce per meglio dividerci. Tutto in perfetta sintonia con la grande storia del nostro paese. Risorgimento e Unità d’Italia, guerre d’indipendenza, spedizione dei Mille e presa di Roma.

Camila Giorgio, US Open 2016, © Ray Giubilo Photo Ray Giubilo

Naomi Osaka

Vaisseau spécial

Naomi Osaka lors de sa victoire contre Serena Williams en demi-finale de l'Open d'Australie 2021, © Ray Giubilo

Nous sommes sur le Court Philippe-Chatrier, le samedi 28 mai 2016. « Moi, la pression, je la bois », s’exclame une Timea Bacsinszky fort détendue au micro d’Eurosport. Cinq ans plus tard, la relation de Naomi Osaka avec la meilleure ennemie de tout athlète de haut niveau (la pression, pas Timea) semble avoir carrément tourné au vinaigre. On en veut pour preuve les fameuses « conférences de stress » (oui, c’est la 700ème occurrence de cette formule depuis juin, d’où les guillemets) qui ont mené à ses forfaits parisien et londonien cet été. A peine remise de sa gueule de bois tokyoïte, les larmes de la dernière relayeuse de la flamme olympique face à la presse de Cincinnati à la suite d’une question, pourtant aussi inoffensive qu’un coup droit de Benoît Paire dans un stade vide, n’auront rassuré personne. A l’instar d’Alexander Zverev dans l’enchaînement d’une pause toilettes adverse de vingt minutes, on avoue y perdre peu à peu notre latin. D’autant que – timing is everything paraît-il – la présence d’Osaka en couvertures de Time Magazine, Vogue Hong Kong, de l’édition spéciale maillots de bain de Sports Illustrated, de Women’s Health ainsi qu’à la baguette d’un numéro spécial de Racquet dans la foulée de ses déboires médiatiques estivaux sur le Vieux Continent avait de quoi laisser songeur le théoricien du complot qui sommeille en nous. On le laisse à sa grasse matinée pour l’instant puisqu’on imagine que ces publications étaient prévues de très longue date et que tout lien direct avec les incidents susmentionnés serait aussi fortuit que la présence d’un journaliste progressiste sur un plateau de CNews. 

 

Netflix & chill

Si comme nous vous avez l’impression d’avoir complètement perdu le fil, pas de panique : en effet, comme depuis mars 2020, Netflix a la solution à tous vos problèmes. A défaut d’une pression bien fraîche, c’est donc trois petits shots de rappel qui nous sont offerts par le documentaire sobrement intitulé « Naomi Osaka », en ligne depuis le mois de juillet (tiens, comme la nouvelle Barbie à son effigie). De quoi convaincre les détracteurs de la Nippo-Haïtienne de mettre de l’eau dans leur vin à son sujet après s’être envoyé ces trois tournées cul sec ? On a regardé le premier épisode pour vous pour en avoir le cœur net (bon OK, et après on n’a pas pu s’empêcher de jeter un œil à la suite quand même).

L’opacité aussi extrême que celle d’une stratégie d’invasion de l’armée américaine qui règne autour du personnage de Naomi Osaka est bien pratique : chacun peut l’interpréter à sa guise en l’absence de vérité communément admise. La réalisatrice new-yorkaise Garrett Bradley l’a d’ailleurs fort bien compris. Notre guide à travers les méandres du labyrinthe qu’est la personnalité de celle qui a également inspiré une héroïne de manga a une vision bien précise de son sujet, et elle prendra tous les raccourcis nécessaires pour nous l’imposer si besoin est. Selon la page Wikipédia du documentaire – aussi frugale qu’un repas de judoka avant la pesée – ce dernier se veut différent d’un résumé complet de la biographie… Wikipédia de la joueuse. D’après la même source, le récit qui nous occupe a plutôt vocation d’être une sorte de photographie d’une période de sa vie (2018-2020 en l’occurrence) sans en former un portrait définitif. Après avoir visionné le premier épisode (« Rise »), on se dit que Bradley aurait pu prendre la peine d’enlever le cache avant d’appuyer sur le déclencheur. Au terme des 113 minutes que dure l’entier de la série, on admet volontiers qu’un coin du voile a tout de même été soulevé.

De l’ivresse du strass…

Le premier flash offert par ce chapitre initial nous conforte immédiatement dans l’utilisation du terme « personnage ». Telle une héroïne de fiction, la petite Naomi (3 ans) semble déjà avoir perdu le contrôle de son destin, orchestré par l’auteur de ses jours, qui se voit déjà écumer les courts du monde entier en Richard Williams haïtien accompagné de ses deux filles virtuoses de la raquette qui viennent de débarquer sur le ciment new-yorkais en provenance de… Osaka. Un premier frisson nous parcourt déjà l’échine après moins de 60 secondes, alors que Naomi déclare dans le plus grand des calmes : « I feel like a vessel », c’est-à-dire un vaisseau ou récipient utilisé pour une fonction particulière. On a connu des constats un chouïa moins cyniques de la part d’une jeune femme d’à peine 23 ans, des millions plein les poches et du potentiel à ne plus savoir qu’en faire. Mais à vrai dire ça tombe plutôt bien : c’est finalement assez proche de la thèse qui semble postulée par Garrett Bradley, à savoir que la ressortissante de l’archipel nippon est un produit dont le rôle est très précisément défini (par d’autres) : taper dans une balle à la puissance économico-médiatique infinie pour le restant de ses jours. La fonction zoom de l’appareil photo de la cinéaste est désormais verrouillée avec Naomi Osaka – et elle seule – en point de mire.

Fast forward jusqu’à Flushing Meadows, samedi 8 septembre 2018. Oui, on vous avait prévenus, il y a quelques menues ellipses – oh, 18 ans, trois fois rien – et tout ce qui ne va pas dans le sens de notre postulat de base est écarté avec autant de ménagement qu’un adversaire de Rafael Nadal en première semaine de Roland-Garros. La fameuse finale de l’US Open 2018 donc, vous vous souvenez ? Un match absolument sans histoires selon notre documentaire. Serena Williams est expédiée 6-2 6-4 en 79 minutes, la démonstration est conclue sur un service gagnant. Circulez, y’a rien à voir. Ah oui, quelques larmes de la gagnante et quelques sifflets du public pendant la remise des trophées. Normal après tout, elle vient de déboulonner son idole d’enfance devant un public acquis à la cause de cette dernière. Rien à voir avec le coaching illicite de Patrick Mouratoglou. Aucun rapport non plus avec le véritable psychodrame agrémenté d’insultes et de sanctions arbitrales qui s’est ensuite joué du côté américain du filet, et a purement et simplement gâché la fête de celle qui a vécu six des neuf premières années de son existence dans l’Etat de New York. Et puis surtout, on a décidé de ne parler que de Naomi Osaka et son statut, et on s’y tient. Pas question de laisser la réalité des faits, même lorsqu’elle concerne le comportement orchidoclaste d’une des championnes les plus titrées de tous les temps, mettre des bâtons dans les roues de notre angle de narration. Soit. Ça a le mérite d’être clair. Enfin sauf si vous découvrez l’actuelle numéro 3 mondiale pour la toute première fois via Netflix. Dans ce cas, on vous conseille d’aller faire un tour sur… ah ben tiens, Wikipédia. Histoire de former votre propre opinion sur les débordements qui ont eu lieu entre la favorite de tout un peuple et son adversaire, qui est parfois vue comme celle qui a malencontreusement tourné le dos à son pays d’adoption pour jouer sous la bannière japonaise malgré un métissage toujours très mal accepté au Japon ainsi qu’une maîtrise de la langue locale toute relative.

Naomi Osaka et Serena Williams, remise des prix de la finale de l'US Open 2018, © Ray Giubilo

Le même traitement est d’ailleurs réservé à Belinda Bencic, son bourreau au troisième tour du même tournoi l’année suivante. Osaka n’a perdu que contre elle-même, à cause du fait qu’elle est désormais au sommet du classement WTA, dans une position de « chassée » qu’elle a du mal à gérer. Le fait qu’une compétitrice s’était bel et bien présentée sur la ligne de fond adverse ce jour-là n’est qu’une péripétie. Après une succession de plans rapprochés sur notre protagoniste (qui semble être seule sur le court pendant de longues minutes), la caméra s’attarde presque par erreur sur sa rivale pendant une poignée de secondes avant de se laisser aller à un plan large sur la balle de match. La future double médaillée olympique a d’ailleurs laissé un souvenir tout aussi impérissable à Ellen DeGeneres, qui a déjà oublié son nom au moment d’accueillir sa victime dans son talk show quelques jours plus tard. Rideau.

… à la détresse du stress

Comme on se tue à vous le dire, Naomi est d’abord un produit. Le tennis est une chose, mais la pression (le terme est utilisé pour la première fois dès la sixième minute de l’épisode) semble venir d’ailleurs. Quand elle joue, elle se met « en mode robot », comme elle l’affirme elle-même. Quand elle sort du court, c’est une autre histoire. Micros, caméras, selfies, autographes, en veux-tu en voilà. Le membre de son entourage qui semble avoir le plus d’importance n’est d’ailleurs pas directement lié au terrain, mais bien au département vente de la petite entreprise Osaka. En effet, Stuart Duguid, son agent, est le premier à qui Bradley donne la parole à l’écran en dehors de la joueuse japonaise elle-même. On comprend très vite qu’il doit avoir pas mal de boulot pour gérer l’ampleur du phénomène lorsqu’un journaliste explique à Osaka en conférence de presse qu’une petite fille a fondu en larmes de joie à la simple vue de son idole. Au fait, vous a-t-on dit que Naomi était un produit ? Il se vend bien, mais que rapporte-t-il vraiment à la native du Pays du Soleil-Levant ?

Le tourbillon dans lequel nous entraîne le reste de l’épisode nous apporte paradoxalement nettement plus de clarté en ce qui concerne l’état d’esprit pour le moins troublé dans lequel doit actuellement se trouver notre championne. On y découvre une Naomi Osaka époustouflée par sa propre célébrité complètement disproportionnée pour une demoiselle tout juste sortie de l’adolescence (« an overnight superstar » selon son agent). Puis une Naomi Osaka quasiment forcée de prendre Coco Gauff (15 ans et seule autre joueuse – avec Victoria Azarenka dans une certaine mesure – qui semble jugée digne d’intérêt par la réalisatrice) sous son aile l’année suivante, comme si elle avait soudain rejoint la catégorie des vétérans spécialistes ès relations médiatiques (tiens donc !) d’un claquement de doigts. « We have to let these people know how you feel », explique Naomi à son adversaire en larmes après sa défaite, une sortie qui nous laisse pantois à la lumière de ses refus d’obstacles médiatiques récents. Et enfin, une Naomi Osaka dont les supporters principaux se nomment Kobe Bryant et Colin Kaepernick (excusez du peu) alors que dans le même temps la perspective de dormir loin de la maison familiale provoque encore chez elle des frayeurs de gosse. En termes de montagnes russes psychologiques, il y a effectivement de quoi griller autant de fusibles que l’électricien des stades qu’est Nick Kyrgios.

Bref, malgré la direction narrative limpide (et quelque peu lapidaire) prise par Garrett Bradley, même si on a clairement mis le doigt sur les causes de certains maux, on n’est pas beaucoup plus avancé en ce qui concerne notre décryptage de l’identité exacte de la plus grande joueuse asiatique de l’histoire. Et Naomi, qu’en pense-t-elle au juste ? Figurez-vous qu’elle ne semble pas y avoir réfléchi, tant son rôle (on y revient) semble toujours avoir été une sorte de fait accompli dans son esprit. Une dualité, pour être plus précis : « Be a champion or probably be broke ». Une nouvelle fois, la lauréate de quatre titres majeurs a perdu le contrôle de sa propre destinée, cette fois au profit de la pression de subvenir aux besoins d’une famille aux origines modestes. On croit soudain comprendre pourquoi la moindre question anodine en conférence de presse suivant une défaite prématurée a tendance à tout remettre en cause. 

« Who am I if not a tennis player ? » Difficile de faire mieux en termes de cliffhanger avant les deux épisodes suivants (« Champion Mentality » et « New Blueprint »). Spoiler alert : le produit Osaka devient soudain multifonctions et on continue de s’arracher les cheveux en se posant cette question : « Mais qui est vraiment Naomi Osaka ? » Wim Fissette, son nouveau coach, ne sera ni le premier ni le dernier à se gratter le crâne à ce sujet. A notre vaisseau spécial aux airs d’OVNI de continuer de tenter d’y répondre pour elle-même, entre allégeance familiale, appartenance(s) ethnique(s), linguistique(s) et culturelle(s) et star system pour donner une chance au reste du monde de la comprendre et de ne plus être tenté de lui lancer « your black card is revoked » à chaque infidélité à sa bannière étoilée adoptive. Tout cela commencera peut-être par un rejet de son fameux rôle de « vaisseau » (expression réitérée à plusieurs reprises par la principale intéressée après l’occurrence initiale mentionnée dans cet article) récipiendaire des attentes d’autrui. Un rôle qui va jusqu’à la conduire à demander à sa mère si avoir gagné deux tournois du Grand Chelem à son âge est un résultat « acceptable » au moment de souffler ses 22 bougies.

La réponse à toutes nos questions se trouve peut-être dans les velléités activistes qu’Osaka se découvre en pleine pandémie, messages masqués à l’appui. Ou pas du tout, qui sait, puisqu’elle nous dit elle-même « I feel like I’m too far down this path to even, like, wonder what could have been ». Trophée de l’US Open 2020 en mains, elle n’est toujours pas prête à nous livrer sa vérité sur un plateau d’argent. « What was the message that you got ? » nous demande-t-elle en écho à nos multiples interrogations. 

The end ?

Impossible de conclure ce texte sans mentionner les derniers mots prononcés par Naomi Osaka dans une pièce qui commence fort à s’apparenter à sa Room 101 personnelle. Un an s’est écoulé depuis son dernier triomphe en Grand Chelem. Presque deux mois après la sortie de son documentaire, la tenante du titre s’incline au troisième tour de l’US Open 2021 face à la jeune prodige canadienne Leylah Fernandez, 18 ans et 363 jours au moment des faits. Un match en forme de passation de pouvoir. Coïncidence ou pas, c’est aussi le jour où le vénérable et parfois incontinent Stéfanos Tsitsipás (23 ans) est également passé pour un vieux briscard sur le retour détrôné par la « Next Next Gen » (on fait confiance au département marketing de l’ATP pour dénicher un label un peu moins pourri) en la personne de Carlos Alcaraz, 18 ans et des nerfs de démineur chevronné. Non, il n’y aura pas de vanne sur le thème carcéral, passez votre chemin. Bref, on s’égare. Et ces derniers mots de Naomi aux médias dont on vous promettait la substantifique moelle alors ? « When I win I don’t feel happy. I feel more like a relief. And then when I lose, I feel very sad. I don’t think that’s normal. […] Basically I feel like I’m kind of at this point where I’m trying to figure out what I want to do, and I honestly don’t know when I’m going to play my next tennis match. » Quelque chose nous dit que sa prochaine conférence de presse devra d’abord avoir lieu en son for intérieur.

Naomi Osaka, remise des prix de la finale de l'US Open 2018, © Ray Giubilo

Le badminton à haut-niveau
Asie VS Europe

Un double mixte opposant l'Indonésie à l'Allemagne aux JO de Londres en 2012 / © Ian Patterson via Flickr : flic.kr/p/cHLtMq / CC BY 2.0)

1. Introduction

Dans un article du Monde intitulé « Du château de Badminton à Jakarta, le volant a conquis l’Asie », une joueuse indonésienne, Vita Marissa, affirme que « l’Indonésie en badminton, c’est un peu le Brésil en football ». La suprématie asiatique en badminton ne ferait aucun doute. D’ailleurs, en 2013, un reportage intitulé « Very Bad Trip » est diffusé sur Canal +. Il est consacré au badminton, laissant le spectateur bouche bée devant l’intensité des entraînements des jeunes Indonésiens, qui aspirent au plus haut niveau. Cette série de documentaires Intérieur Sport s’étale aujourd’hui sur 13 saisons et 214 reportages. Ils rendent compte du quotidien de sportifs de haut niveau au sein d’activités variées. Leur répartition en fonction des différents sports est d’ailleurs un indicateur intéressant de leur place dans l’univers médiatique français : s’il en existe 30 sur le football, un seul porte sur le badminton. Faut-il pour autant en conclure qu’en badminton, la France, et plus globalement l’Europe, n’ont pas leur mot à dire ?

Comme les autres sports de raquette, le badminton est une activité duelle, dans laquelle les participants (en simple ou en double) utilisent des raquettes afin d’envoyer / renvoyer un objet dans l’espace de l’adversaire, avec une recherche simultanée de continuité et de rupture. A certains égards, le badminton fait figure d’exception dans le paysage des sports de raquette : il est le seul à être pratiqué avec un volant, le plus rapide en termes de trajectoire du mobile (400 km/h en sortie de raquette), le seul à proposer une modalité de pratique mixte en compétition. Egalement, il connaît une place variable selon les cultures : sport national dans certains pays asiatiques, il est en voie de développement en Europe, loin derrière le tennis.

En prenant appui sur le reportage « Very Bad Trip » (2013), nous souhaitons dresser les grandes lignes de ce qu’est le badminton aujourd’hui à l’échelle mondiale, en montrant le mouvement qu’il a suivi, d’une hégémonie exclusivement asiatique, à la concurrence grandissante des pays européens. Plus encore, ce processus engage à un véritable dialogue culturel, qui participe de l’évolution du jeu vers un équilibre plus important entre les dimensions technique et tactique de cette activité sportive.

L’Indonésien Taufik Hidayat (champion olympique en 2004) / © Chewy Chua via Flickr : flic.kr/p/hSjge / CC BY-NC-ND 2.0

 

2. Le badminton : un sport asiatique avant tout

2.1. Les origines asiatiques du badminton

Nommé « badminton » en 1873, en référence aux officiers revenus des Indes et réunis dans le château du Duc de Beaufort, dans la ville anglaise de Badminton, ce sport est en fait une modernisation du « poona », un jeu indien qui se pratiquait avec une raquette et une balle légère (remplacé par un bouchon de champagne, auquel on attachait quelques plumes). Et après ce détour par l’Europe, c’est bel et bien l’Asie qui a retrouvé la mainmise sur ce sport, comme un juste retour des choses…

Fondée en 1934, la Fédération internationale de badminton a été créée avec l’objectif de gérer et de développer le badminton dans le monde, ainsi que d’édicter des règles du jeu. Son siège se situe en Malaisie, à Kuala Lumpur. Mais c’est aujourd’hui chez son voisin indonésien que le badminton constitue un sport particulièrement développé, un véritable art de vivre.

« Very bad trip » en est une illustration certaine. Les reporters y montrent que la pratique du badminton atteint même les villages de campagne. Nous découvrons une culture populaire, dans laquelle le badminton a pris racine. Taufik Hidayat, joueur indonésien ayant gagné la médaille d’or aux jeux olympiques d’Athènes (2004), se souvient : « dans mon village, il y avait un terrain vague juste derrière chez moi, c’est là que j’ai commencé. On prenait des morceaux de bois pour tracer des lignes, et on jouait, quand le soleil ne tapait pas trop fort ».

A haut niveau, le badminton revêt aussi une importance capitale. Les joueurs le pratiquent au Centre National d’Entraînement d’Indonésie à Kaharta. Jojo Suprianto (Entraîneur national) explique : « nos joueurs font la fierté de l’Indonésie. Certains sont même devenus des héros. Grâce au badminton, leur vie a totalement changé ». C’est notamment le cas de Taufik Hidayat, devenu une icône dans tout le pays. En suivant ses performances extraordinaires, le peuple indonésien s’est très vite identifié à lui. En Indonésie, le Badminton est une voie bien plus porteuse que le Football ou le Basketball. Symboliquement, il est « le seul sport ou les Indonésiens sont reconnus au niveau mondial. Notre réputation, c’est d’avoir un jeu plus souple, plus artistique. C’est pour ça qu’on nous admire », explique Sony Dwi Kuncoro, n°4 mondial en 2013.

Si l’Indonésie s’est imposée comme la terre du badminton entre 1992 et 2013 avec 18 médailles olympiques, elle n’est toutefois pas épargnée par la concurrence avec les autres pays asiatiques : « avant, l’Indonésie était devant la Malaisie, aujourd’hui c’est l’inverse. Peut-être que bientôt, ça va encore changer. Mais le plus dur, c’est de lutter contre la Chine car elle a beaucoup de joueurs », explique le Malaisien Lee Chong Wei, Malaisien, n°1 mondial. Effectivement, la Chine apparaît comme un redoutable adversaire à l’échelle Asiatique, avec un investissement conséquent de l’état, comme le souligne Juning Zhou, Chinois devenu l’entraîneur de l’équipe de France masculine de simple en 2006 : « le badminton est un sport très populaire. Les joueurs sont très connus. Par exemple, Lin Dan est arrivé l’année dernière à la deuxième place des sportifs chinois derrière l’athlète Liu Xiang en termes de revenus publicitaires. On peut les comparer aux stars du football ». Le badminton a fait son entrée officielle aux Jeux olympiques à l’été 1992, et 69 des 76 médailles décernées entre 1992 et 2008 ont été gagnées par des Asiatiques, ainsi que 23 des 30 médailles de 2012 et 2016. Finalement, toutes les médailles olympiques de badminton ont été remportées par des pays asiatiques (87,6%) ou européens (12,4%), mais l’Asie mène amplement puisqu’elle a décroché 7 fois plus de médailles que l’Europe. Les badistes chinois dominent largement puisqu’ils ont gagné 38,8% des médailles disputées et, surtout, ont remporté un peu plus de la moitié des médailles d’or (20 sur 39). Lors des JO de Londres (2012), les Chinois ont réalisé un grand chelem historique en remportant les 5 titres (simple hommes, simple dames, double homme, double dames, double mixte).

Le Chinois Lin Dan (champion olympique en 2008 et 2012) / © Chewy Chua via Flickr : flic.kr/p/hS9xf / CC BY-NC-ND 2.0

 

2.2. Répétition technique et dépassement de soi : les ingrédients d’une suprématie asiatique

Selon Taufik Hidayat (2013), il n’y a qu’une voie pour que l’Indonésie demeure le pays du badminton : « nous devons être plus disciplinés, avoir plus de rigueur à l’entraînement. Si nous y arrivons, peut-être que dans 4 ou 5 ans, il y aura quelqu’un comme moi, plus fort même, et il fera la fierté du pays ». « Very Bad Trip » nous propose à ce titre une immersion dans une académie de badminton à Gresik.

Très tôt le matin, les enfants effectuent un réveil musculaire de type « shadow ». L’entraîneur leur demande de donner leur maximum, de ne pas rigoler, de rester sérieux. Une jeune fille de 9 ans raconte : « j’aimerais bien dormir plus mais je dois m’entraîner pour devenir une championne. (…) Ma maman, mon papa et ma maison me manquent. Mes parents ont bien voulu que je vienne ici. Ils m’ont dit que si mon rêve, c’était de devenir une championne, j’avais raison de partir ». L’après-midi, deux autres entraînements sont proposés, d’une durée totale de cinq heures. Au total, les enfants sont sur le terrain 30 heures par semaine. Dans ce contexte, le climat de concurrence est élevé. Un garçon de 15 ans explique : « je dois rester motivé. (…) Il y a de la concurrence dans le centre. On doit travailler et faire le maximum pour ne pas être renvoyés ».

Ces méthodes traduisent une conception particulière de l’entraînement du badminton. Koko Pambudi, responsable de l’Académie, exprime l’importance de la répétition et de l’effort pour créer des automatismes : « certains enfants n’arrivent pas à tenir la cadence. (…) Le badminton, c’est un sport de répétition. Si on ne le fait pas répéter quand ils sont jeunes, ils ne vont pas enregistrer. Tous leurs gestes doivent devenir automatiques ». Cette logique se prolonge au Centre National d’Entraînement d’Indonésie de Kakarta. L’entraînement commence par une prière tournée vers le culte du dépassement de soi et de la performance de haut niveau. La répétition technique, sous la forme de situations « multivolants », occupe une place majeure. En une heure, chaque joueuse frappe 700 volants. Selon Chiu Sia Liang (Entraineur national), « il faut forcer, c’est comme ça qu’on avance. Si je baisse l’intensité dès qu’elles sont fatiguées, elles ne vont pas progresser ». La discipline et la capacité à se dépasser sur la durée sont la base du succès : « je dois tester les limites de mes athlètes, savoir jusqu’où je peux les pousser et quand je dois arrêter. S’ils ne peuvent pas résister à ces efforts, ils ne doivent pas rester ici », détaille Joko Suprianto, entraîneur national.

Malgré tout, la place de ce travail technique est actuellement interrogée, en lien avec un constat partagé : aujourd’hui quand les joueurs étrangers affrontent les indonésiens, ils ne sont plus effrayés. Ils ne se disent pas que ça va être un problème, car ils voient bien que les résultats des Indonésiens ont un peu baissé : « peut-être qu’ils sont plus forts tactiquement en ce moment. Alors je dois changer des choses et continuer à apprendre. Il faut que je m’entraîne mieux et plus longtemps encore », confie Sony Dwi Kuncoro, joueur indonésien, 4ème mondial.

 

3. Le développement du badminton européen

3.1. La montée en puissance du badminton en Europe

En Europe, le Danemark s’inscrit également au plus haut niveau, en s’imposant comme la 4ème nation olympique (8 médailles dont une en or) et la 3ème nation aux championnats du monde (10 victoires finales). Ce pays nordique fait figure d’anomalie, pour des raisons abordées par le Danois Peter Gade (quintuple champion d’Europe), qui a été nommé directeur de la performance à la FFBad en 2015 : « la tradition a créé de grosses structures qui permettent de créer des champions. Les enfants commencent à 6-7 ans au Danemark, et avec les structures et les connaissances importantes acquises, on peut voir loin et les amener au haut niveau ». Avec des champions locaux qui ont montré la voie depuis les années 40-50, les générations de petits Danois se succèdent et produisent, à chaque fois, des joueurs parmi les meilleurs mondiaux. La concurrence, rude dès un très jeune âge, les aguerrit, et ils vont ensuite se mesurer aux champions asiatiques de leurs jeunes générations. Un simple cercle vertueux qui dure depuis longtemps, et qui trouve son apogée avec les performances aux JO de Viktor Axelsen en simple homme : médaille de bronze à Rio (2016) et médaille d’or à Tokyo (2021) face au chinois Chen Long. L’Espagnole Marín est aussi venue déjouer les statistiques, en s’imposant trois fois aux championnats du monde de 2014 à 2018, et en devenant championne olympique à Rio en 2016.

Depuis les dernières années, certains joueurs français, comme Brice Leverdez, se font remarquer sur la scène internationale. Chez les femmes, personne n’a encore vraiment pris la suite d’Hongyan Pi qui, en 2009, avait remporté une médaille de bronze aux championnats du monde. P. Limouzin, directeur technique national de la fédération de badminton, expliquait en 2016 que les badistes français évoluaient entre la 5ème et la 10ème place européenne, et aux alentours de la 15ème place mondiale par équipe. Aux championnats d’Europe de 2016, l’équipe de France masculine est même devenue vice-championne d’Europe. L’échelon européen constitue donc aujourd’hui le niveau dans lequel les meilleurs français sont en capacité de performer. Le nombre de licences est également en hausse, passant de quelques 18 550 licenciés en 1991 à 70 589 en 2000, puis 191 602 licenciés en 2016. Le badminton est désormais un sport reconnu, une occasion d’activité exigeante, attractive et motivante.

Une des explications de cet essor du badminton en France est lié au dynamisme de l’activité en éducation physique et sportive (EPS). En effet, le badminton y figure parmi les pratiques sportives les plus enseignées (94% des collèges, 96% des lycées, 94% des lycées professionnels en 2005). Les élèves sont par ailleurs nombreux à le retenir lors des épreuves du baccalauréat (44% des lycéens en 2003, et 50,77% en 2005). La progression est encore plus spectaculaire dans le cadre de l’association sportive scolaire. De 21 748 en 1990, le nombre de jeunes badistes atteint 94 121 licenciés dix ans plus tard, plaçant ce sport tout en haut des activités pratiquées. Finalement, « le badminton français peut être fier aujourd’hui de son histoire partagée avec le monde scolaire. Sa structuration son ambition fédérale sont imprégnées de ces relations qui font de ce sport une véritable pratique culturelle, qui ne se retrouve, avec une telle spécificité, dans aucun autre pays européen ».

Le danois Viktor Axelsen : champion Olympique (2021) / © Viktor Axelsen, Instagram

 

3.2. Une conception du jeu qui revalorise l’aspect tactique

Le badminton européen semble véhiculer une conception de l’entraînement alternative à celle des pays asiatique, plus équilibrée entre technique et tactique. B. Carème et P. Limouzin affirment qu’« on en revient aux origines de ce jeu qui est un acte tactique. En effet, on mesure maintenant les limites du technicisme. Certes, comme dans tous les sports, les apprentissages techniques, la condition physique, la préparation mentale sont indispensables, mais ils doivent être mis au service des problèmes à résoudre et à poser à l’adversaire. C’est le sens du jeu ».

En réponse, toutes les nations tendent aujourd’hui vers l’équilibre entre technique et tactique. Les asiatiques eux-mêmes, réputés pour aller très vite et taper très fort, se recentrent progressivement sur les aspects tactiques, après avoir vu leur domination contestée par le jeu danois notamment, qui les gênait considérablement d’un point de vue tactique. En France, Brice Leverdez explique : « quelles que soient les écoles de jeu, les Asiatiques ont toujours dominé. Ils ont réussi à changer leur style de jeu, désormais plus technique. Si on veut rivaliser, il faut développer cette notion de partie d’échecs et l’apport de la vidéo. L’acte tactique est notre seule chance d’exister ». Un constat partagé par Eric Silvestri (entraineur national) qui estime que techniquement et physiquement, les asiatiques sont imbattables. La seule solution qu’il voit est de « mieux former tactiquement, ce qui passe par la connaissance minutieuse de l’adversaire » . La part psychologique est aussi essentielle. Pour lui, c’est ainsi que les danois, par exemple, tirent leur épingle du jeu au niveau internationale, sans avoir la masse de pratiquants des asiatiques.

Finalement, à la culture du sacrifice total type « loi de la jungle » en vigueur dans les pays asiatiques, Peter Gade oppose son modèle danois « affectif et solidaire », et souligne qu’en ce qui concerne le badminton français, « le modèle danois peut s’adapter au nôtre alors que le modèle asiatique est trop différent ». Enfin, outre la confrontation Asie-Europe, des pays d’Amérique du Sud (Brésil en particulier) ou d’Afrique, commencent à émerger sur la scène mondiale.

Malgré tout, il y a peu de chance que l’hégémonie asiatique disparaisse dans les 10 prochaines années : culture, vivier, potentiel technique… l’écart est vraiment trop important même si ponctuellement, des victoires sont toujours possibles. Il faudra du temps pour que de nouveaux équilibres apparaissent à l’échelle mondiale, d’autant que ces dernières années, le badminton européen semble se cherche un second souffle. Par exemple, la fédération française de badminton s’est récemment inquiétée de taux de croissance des effectifs en berne. Même si l’EPS et le milieu fédéral marchent main dans la main, le chemin reste long pour que la France, et plus globalement les pays européens, soient susceptibles d’ébranler la suprématie asiatique.

L’Espagnole Carolina Marín (championne olympique en 2016) / © Singapore Sports Council via Flickr : flic.kr/p/eRJ3pU / CC BY-NC-ND 2.0)

 

4. Conclusion

L’état des lieux du badminton aujourd’hui révèle un glissement. D’un sport essentiellement asiatique, il en devient une activité pratiquée à l’échelle européenne, voire mondiale. Simultanément, d’une vision techniciste dominante dans l’entraînement asiatique s’ajoutent des préoccupations tactiques, impulsées par les Européens. Dès lors, le dialogue établi entre Asie et Europe, auquel viennent se mêler de nouvelles nations (Amérique, Afrique), enrichit le badminton en permanence.

D’ailleurs, dès le plus jeune âge, certains badistes français partent en Asie, jouent devant des milliers de spectateurs, dans des stades remplis. Ces expériences, comme un trait d’union entre les cultures, leur donnent à voir la diversité du monde et des conceptions de l’entraînement, tout en pratiquant le même sport. A plus haut niveau, Brice Leverdez projette même de rester en Asie entre les tournois pour s’entrainer là-bas. Bien qu’il connaisse leur style de jeu depuis dix ans, il aspire désormais à éviter le décalage horaire…

Un autre documentaire Intérieur Sport, intitulé « A la table des maîtres » (2013), relate le parcours de Simon Gauzy, champion français de tennis de table, qui part à la découverte des joueurs chinois, car le progrès passe par la confrontation à la culture asiatique, dominante dans les compétitions internationales. Sur ce point, badminton et tennis de table semblent partager une trajectoire commune, comme le soulignait en 2010 le président de la FF Bad, Paul-André Tramier : « avec le tennis de table, le badminton préfigure ce que sera la domination asiatique sur le sport. Ces pays vont truster la plupart des podiums ». En tous les cas, tenter de se projeter dans le futur nécessite de s’interroger en termes de culture et de valeurs, dans un dialogue entre Asie et Europe.

Qu’est-ce que le talent ?

© Antoine Couvercelle

Il arrive souvent de lire ou d’entendre des commentaires affirmant que le talent d’un joueur ou d’une joueuse de tennis est quelque chose d’inné qui ne demande qu’à être peaufiné. Bien que je sois parfaitement d’accord avec cette affirmation j’ai toujours trouvé la notion de « talent » utilisée de façon floue et aléatoire, certains en seraient dotés et d’autres pas. Le « talent » paraît complètement abstrait et alors on a tendance à le voir comme un je-ne-sais-quoi, une sorte de faculté inexplicable, en somme. Or, je crois qu’avec un peu de réflexion on peut arriver plus ou moins à déterminer les origines de ce que l’on appelle « le talent », et à le caractériser davantage que la simple définition qu’on peut trouver dans un dictionnaire, à savoir :  « Le talent : aptitude particulière, dans une activité. » Ou encore : « aptitude remarquable dans le domaine intellectuel ou artistique. »

Si l’on s’en tient à ces explications, nous pouvons en déduire que tout peut être sujet à être qualifié de « talent », il suffit seulement de se détacher dans une activité précise. En effet, même si l’on a tendance à percevoir le contraire, il est pourtant clair que le monde regorge de personnes talentueuses, il n’y a qu’à ouvrir la porte d’un restaurant pour découvrir les exquises créations de bons cuisiniers, tous les métiers possibles pourraient d’ailleurs  être cités, même le plus vieux. Nous pouvons aussi dénicher quelques génies de l’absurde, il suffit simplement d’ouvrir le livre des records pour se rendre compte à quel point l’humain peut se montrer créatif. D’aucuns n’y verront pas le moindre talent, pourtant le niveau d’absurdité et de créativité dont requièrent ces prouesses nécessite obligatoirement un certain talent… Parfois celui-ci est si grand et précurseur qu’il passe totalement inaperçu, incompris de tous. Un grand nombre d’artistes n’ont été reconnus par les critiques qu’après leur mort. C’était pendant plusieurs siècles extrêmement courant. « Ah ! Quel talent je vais avoir demain ! On va enfin jouer ma musique ! », ironisait le compositeur français Hector Berlioz alors qu’il était sur le point de mourir. D’ailleurs, il repose aujourd’hui dans un des lieux où le taux de concentration de personnes talentueuses est le plus élevé : le cimetière du Père Lachaise. Le talent est tellement présent que finalement, le plus talentueux d’entre nous serait celui n’en possédant pas.  

Une omniprésence dans notre quotidien que notre cerveau finira par trier et classer quasi-instinctivement selon une échelle particulière : celle du plaisir. En effet, plus le talent d’une personne est grand, visible et manifeste, et plus sa puissance purgatrice (la catharsis) est efficace et c’est évidemment pour cela que souvent les gens des arts et des sports lui sont directement associés. Naturellement, nous serons davantage passionnés par un athlète, un chanteur ou une actrice que par un physicien ou un chirurgien, non pas parce que ces derniers sont moins talentueux mais parce que leur talent incompréhensible (exigence intellectuelle trop élevée) ne donne pas accès au plaisir ; ce qui crée obligatoirement une distance, la personne ne pourra pas s’identifier malgré toute l’admiration qu’elle peut éprouver à leur égard. Tandis que dans le sport, le tennis par exemple, le pouvoir est populaire et donc l’identification facilement possible, et la transcendance du sportif visible et communicative : les émotions transmises sont donc primaires et la catharsis peut opérer beaucoup plus naturellement. 

Si le tennis de haut niveau abonde de talents en tous genres,  il existe aussi dans le tennis amateur des personnes que l’on peut considérer comme talentueuses, c’est d’ailleurs dans le tennis club que « le talent » a pu éclore et s’émanciper progressivement ! 


La stratification des talents

Le tennis club, véritable berceau des amateurs de la balle jaune, il voit naître et évoluer une multitude de personnalités tennistiques parmi lesquelles un échantillon va réussir à se détacher aux yeux des autres licenciés et entrer, ou pas, dans une dimension supérieure. Assurément, dans chaque club, il y a toujours un ou deux joueurs qu’on aime voir jouer plus que les autres, souvent leurs résultats en tournoi sont bons, très bons voire excellents, et lorsqu’ils parviennent à exécuter parfaitement un de leurs gestes signature au cours d’un match amical, nous nous extasions en les gratifiant d’un entraînant « bravo ! Magnifique » avant de penser à voix haute ou basse « quel talent… ». Ces amateurs en sont indéniablement dotés et celui-ci est d’autant plus visible et identifiable lorsqu’il est exercé au sein d’un groupe où ne pratiquent que les amateurs, c’est-à-dire dans les tennis clubs, le bas de l’échelle, le commencement. Une échelle composée de plusieurs strates dont le niveau croissant a tendance à laisser grand nombre de ces amateurs talentueux sur le palier. Effectivement, si ceux-là se détachent aisément au début, la suite est plus corsée. Le parcours est long. Plus on gravit des paliers, plus les exigences sont élevées. À tel point que le talent, jadis si perceptible, donne l’impression de se réduire, et parfois, lorsque le niveau est trop haut, il se fond et se confond avec celui des autres pour finalement former un mélange homogène de banalités. Et alors sur ce premier palier seulement une poignée de joueurs se démarquent, cependant, seul ceux au plus fort potentiel exploité progressent crescendo pour passer un à un les échelons, jusqu’à entrer dans le monde du tennis professionnel, le top 300,  200, 100, le top 50… puis le top 20, 10, et enfin pour les plus doués des plus doués, le top 5. 

En effet, si au départ, les écarts de niveau entre les joueurs sont moindres, ils ne cesseront de se creuser au fil des ans en raison d’une multitude d’éléments intrinsèques ou extérieurs au tennis. Mais aussi à cause des capacités innées ou acquises qui vont constituer ce que l’on appelle « le talent ».


L’inné : la chance, le corps et l’intelligence 

« Il y a des langages autres que des mots, un langage de symboles et des langues de la nature. Il existe des langages du corps. Et le combat de boxe est l’un d’eux. Un boxeur […] parle avec un contrôle de son corps qui est, dans son intelligence, aussi détaché, subtil et total que tout exercice de l’esprit. Il s’exprime lui-même avec de la vivacité, avec du style et du flair esthétique. La boxe est un dialogue entre les corps, c’est un débat rapide entre deux ensembles d’intelligences. » – Norman Mailer 

Le talent c’est en quelque sorte l’intelligence de l’esprit au service de celle du corps. C’est la capacité à évaluer la meilleure alternative face à un problème en fonction du but à atteindre puis la mettre à exécution, c’est en somme la traduction de son intention en actes. Cela rejoint ce que disait l’éminent psychologue britannique Frédéric Bartlett : « La condition essentielle de toute exécution que l’on peut dire talentueuse devient beaucoup plus manifeste si l’on considère un petit nombre d’exemples réels. Le joueur dans une partie de base-ball, l’ouvrier à son établi de travail, dirigeant sa machine et utilisant ses outils ; le chirurgien réalisant une opération ; le médecin prenant une décision clinique – dans tous ces exemples et dans d’autres innombrables que l’on pourrait tout aussi bien prendre, on constate un flux continuel entre les signaux que l’exécutant reçoit de l’extérieur et qu’il interprète, et les actions qu’il mène à bien ; puis il passe aux signaux suivants et aux actions suivantes, tout cela culminant avec l’achèvement de la tâche ou de la partie de la tâche, quelle qu’elle soit, qui constitue l’objectif immédiat […]. Une exécution talentueuse doit être constamment soumise au contrôle du récepteur et doit être initiée et dirigée par les signaux que l’exécutant doit choisir dans son environnement, en combinaison avec d’autres signaux, internes à son propre corps, qui lui parlent de ses mouvements au fur et à mesure qu’il les fait. »

Selon l’analyse de Bartlett, toute performance inclut un sens très aigu de la chronologie, chaque morceau de la série devant s’adapter au mouvement d’ensemble d’une façon délicate, pour lui le talent est une succession de mécanismes réfléchis et de ce fait quelque chose de parfaitement conscient. Le talent va donc exister dans la manière qu’on a choisi de se servir de son corps mais aussi dans la façon de le comprendre. 

Le corps et l’intelligence sont une structure physique et une aptitude naturelle que chaque humain obtient de façon innée, cependant, bien que ces deux éléments soient améliorables ou perfectibles, au départ il y a bien évidemment des personnes mieux équipées que d’autres. Effectivement, là où le hasard ou la chance va jouer un rôle fondamental, c’est dans la répartition de ces éléments : «l’injustice » et « l’inégalité » intrinsèque de l’existence (la naissance, cette grande loterie…) va indubitablement profiter à certaines personnes, tant sur le plan physique qu’intellectuel. Et si l’on s’en tient à cette logique, Federer, Nadal et Djokovic seraient actuellement les meilleurs joueurs de tennis, mais bien que très talentueux ne seraient peut-être pas les plus talentueux. Ou alors, s’ils s’avéraient être les plus talentueux, ils bénéficieraient grandement de caractéristiques physiques extraordinaires et de leur détermination purement génétique. 

Jean-Paul Loth distinguait le talent pour un coup spécifique du tennis. Il s’insurgeait ainsi qu’on puisse dire que Karlović n’avait pas de talent alors que, selon lui, il a un grand talent pour le service. Certes son service est excellent… mais c’est peut-être passer un peu vite sur la taille de Karlović (2m11), sans laquelle il lui serait impossible de servir aussi bien. Un joueur d’un mètre 75 qui aurait le même talent que Karlović pour le geste de service n’en tirerait pas grand avantage et personne ne parlerait de son talent dans cet aspect spécifique. Dans ce contexte, comment faire abstraction de la taille de Karlović (l’inné) pour mesurer son talent au service ? C’est impossible.

© Antoine Couvercelle

On peut aussi s’attarder sur Novak Djokovic et son incroyable souplesse lui permettant de glisser presque ventre à terre pour réussir des coups de défense dans les positions les plus insensées. « C’est quelque chose qui n’est pas dans les livres d’apprentissage du tennis. Je dois un peu ça à Spider-Man. J’ai passé pas mal de temps avec lui ces dernières années, il m’a aidé pour les étirements (…). Neuf joueurs sur dix n’essaieraient probablement pas la même chose, surtout sur gazon », a-t-il déclaré en conférence de presse après sa demi-finale de Wimbledon face à Denis Shapovalov. Il poursuivait en essayant d’expliquer plus sérieusement le pourquoi de son extraordinaire aptitude. « Je suppose que c’est l’une de mes caractéristiques authentiques, un mouvement sur lequel je me suis entraîné toute ma vie, sur toutes les surfaces. Je pense que ça a beaucoup à voir avec le ski, notamment pour la souplesse des chevilles. C’est en quelque sorte une habitude de glisser pour faire un coup. » 

Il dit juste. Les raisons qui lui ont permis d’exceller dans cet exercice sont bel et bien les entraînements et la pratique du ski mais aussi ce qu’il appelle une « caractéristique authentique ». Sans cette caractéristique physique innée, il n’aurait très certainement pas pu se permettre toute cette gymnastique abracadabrantes même en s’étant entraîner durement. Jannik Sinner, qui a pratiqué le ski toute sa vie et à haut niveau et qui s’entraîne comme un forcené, est très loin de maîtriser la glissade comme le fait Djokovic. L’Italien n’a tout simplement pas la force singulière du serbe, oui parce que lorsqu’on parle d’aptitude particulière on parle plus précisément de singularité. Que seraient devenus Roger Federer sans sa grâce, Ivo Karlović sans ses deux mètres onze, Serena Williams sans sa puissance, Gustavo Kuerten sans sa joie ou John McEnroe sans son irrévérence ? « Il n’y a pas d’excellence sans singularité », a dit le philosophe Charles Pépin.


L’acquis : une question d’entraînement et d’envie

« Je suis convaincu d’une chose : le talent, ça n’existe pas. Le talent, c’est avoir l’envie de faire quelque chose. Je prétends qu’un homme qui rêve tout d’un coup de manger un homard, il a le talent à ce moment-là. Dans l’instant… Il a le talent pour manger convenablement un homard. Pour le savourer convenablement. Et je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve, c’est le talent ! Et tout le restant, c’est de la sueur, de la transpiration. De la discipline. » – Jacques Brel

L’envie est en grande partie responsable du talent. L’envie de faire du tennis son métier, l’envie de se lever tous les matins avec la passion au creux de la poitrine et le désir insatiable de progresser afin d’atteindre des objectifs pour s’en fixer de nouveaux. En effet, le talent c’est aussi l’envie. C’est avec ce moteur que les joueurs/ses vont essayer de trouver les solutions pour améliorer leur technique, leur condition physique, leur mental et leur tactique : leur jeu de façon plus générale. 

Le sportif, lorsqu’il évolue à haut niveau, se doit de travailler et de maintenir notamment une forme physique irréprochable tout simplement parce que c’est indispensable.  Effectivement, dans le monde du tennis professionnel, là où chacun a déjà des bases solides, le physique en est peut-être la pierre angulaire, dans le sens où c’est ce critère qui va permettre aux autres de vivre – voire de s’émanciper – il va en quelque sorte faire office de bouclier protecteur et permettre ainsi une meilleure pratique. 

Lorsque j’évoque les autres critères je parle principalement de la technique, de la tactique et du mental, comment aller loin dans une compétition, ou comment devenir un monstre du tennis sans les protéger ? C’est simplement impossible… L’exemple de Federer est peut-être le plus frappant car cet homme, qui est – à juste titre – vu comme un génie de son sport pour sa technique sans égal, est à mon sens aussi un monstre physique. Les experts seront d’accord mais la plupart des gens ont tendance à l’oublier – d’ailleurs il est certain que le physique est le critère auquel on l’associe le moins en général. Vous me direz que c’est un peu sa faute aussi puisqu’il est de ces êtres touchés par la grâce et dont la grâce du toucher et de déplacement donne une impression de légèreté et de facilité qui nous font ainsi oublier, ou en tous cas mettre au second plan, son incroyable puissance physique. Malgré tout son bagage technique, il est indéniable que sans un travail lui permettant d’exploiter la totalité de son potentiel (ou la quasi-totalité puisque la perfection n’existe pas) physique, il n’aurait pas atteint un tel niveau tennistique et stylistique, encore moins aussi longtemps. Le perfectionnement physique protège le joueur/la joueuse, dans le sens le plus évident il va protéger de la blessure et deuxièmement, protéger le jeu (et le style) en étant totalement à son service. Si on a un toucher exceptionnel mais pas le physique qui permet de produire son jeu sur la durée d’un match, d’un tournoi, c’est peine perdue. Prenons l’exemple de Richard Gasquet, un joueur dont la main est à juste titre toujours vantée, dont souvent le manque de punch et d’endurance l’a fortement pénalisé en le faisant quitter prématurément un tournoi…  Son arme principale s’effaçait peu à peu et il avait malheureusement tendance à ne plus exister face à des joueurs qui ,eux, possédaient ce physique. La question qui se pose est la suivante : lors de ses jeunes années pouvait-il perfectionner son physique en améliorant quelques points précis (hygiène de vie, endurance, musculation…) ou avait-il déjà exploité le maximum de son potentiel ? 

A force d’entraînement acharné, un certain nombre de sportifs/sportives vont arriver à développer une sorte d’instinct. À ce sujet, une joueuse d’échecs hongroise disait qu’il était très important de faire travailler sa mémoire dès le plus jeune âge pour développer ce fameux sixième sens, l’instinct. Dans ce sport intellectuel, il y a des millions voire des milliards de combinaisons possibles, il est donc humainement impossible de toutes les retenir… Cependant, à force de s’exercer dès le plus jeune âge, encore et encore, son cerveau a fini par enregistrer un nombre incroyable de coups et de combinaisons jusqu’au point de savoir très précocement ce que tel ou tel coup allait engendrer. Son cerveau analysait tout tellement vite qu’elle n’avait presque plus besoin de réfléchir, ça devenait instinctif, ce qui en a fait une joueuse d’exception.

On peut faire l’analogie avec le tennis, sport dans lequel la mémoire, la répétition et la capacité d’analyse sont très importantes. Certains joueurs vont évidemment mieux apprendre et assimiler les gestes et de façon plus rapide, et ça dès les premiers entraînements. Les gestes ou les choix tactiques d’ailleurs… Au point de sentir et ne plus vraiment réfléchir, ainsi développer  ce fameux instinct. Un instinct qui sera particulièrement visible dans l’exécution du coup parfait, par exemple dans un passing en bout de course de Rafael Nadal ou une amortie de Roger Federer, dans le moment de grâce pur.

© Antoine Couvercelle

Charles Pépin sur le moment d’excellence dans un coup de raquette :  « C’est lorsque le joueur est là tout entier. Totalement présent. Avec toute son histoire, tout son passé, tous ces talents, toutes ses faiblesses, ses victoires et ses échecs. »

Paradoxal est le moment de grâce. Il s’agit d’être là tout entier, dans un état de concentration maximale, mais c’est en même temps un moment d’abandon total dans lequel on ne pense plus mais l’on ressent, un moment purement intuitif. Des années de travail intense pour arriver à maîtriser le lâcher-prise, passer tout son temps à essayer d’apprendre comment désapprendre, c’est finalement la poursuite essentielle d’un sportif de haut niveau.


L’exploitation maximale de ses capacités 

« Deviens ce que tu es. » – Friedrich Nietzsche

Si un joueur a déjà exploité de façon optimale toutes ses ressources intellectuelles et physiques alors on peut le considérer comme extrêmement talentueux, à l’échelle de son propre potentiel. Il n’y a que ça qui compte lorsqu’on veut jauger le talent d’une personne, savoir si celle-ci a donné le meilleur d’elle-même et non le comparer avec celui de quelqu’un d’autre. Lorsqu’on s’attarde par exemple sur un joueur comme le japonais Kei Nishikori, on s’aperçoit très vite qu’il est plein d’envie et de volonté et qu’il essaye sans relâche de fournir le maximum de son potentiel. C’est un joueur avec des armes redoutables, un merveilleux revers, un jeu de contre incroyable, des facilités en retours, une vélocité et une rapidité rare tant dans l’exécution du geste que dans la course, etc… Il a montré une régularité phénoménale en se maintenant pendant plusieurs années dans le top 10, c’est incontestablement un joueur d’exception. Seulement, si l’on regarde son palmarès on constate malheureusement qu’il n’est pas très fourni, il n’apparaît aucun titre majeur, ni Grand Chelem, ni Masters 1000.  Et pour cause ; la concurrence fut et est toujours exceptionnelle, les trois monstres que sont Djokovic, Nadal et Federer se sont partagés la quasi-totalité des grands titres pendant plus d’une décennie, sans oublier les excellents Murray et Wawrinka qui ont su parfois tirer leur épingle du jeu.

Très peu de joueurs ont pu rivaliser avec eux et Kei fait partie de cette poignée, il a su les faire vaciller voire les faire flancher mais il n’a su le reproduire continuellement. Effectivement, bien qu’il ait des armes redoutables, face à des joueurs de ce calibre, ça ne suffit pas ! Il présente quelques faiblesses majeures, qu’on pourrait qualifier de fatales arrivé à un certain niveau d’adversité : son service ainsi que son manque de puissance, lesquels découlent de son gabarit assez moyen (1m78 pour 74kg). Les quelques joueurs cités plus haut mesurent tous aux alentours de 1m85, soit un peu plus, soit un peu moins et possèdent une belle musculature. Il est évident que ce n’est pas le seul critère qui les différencie, mais il est fort possible que cette caractéristique soit la fondation solide et parfaite qui permette une émancipation supérieure de la pratique du tennis. S’ajoute à cela un physique très fragile (une carrière constamment et tristement entachée par les blessures) et il n’a aucune chance face à eux, quelque soit la grandeur de son talent. 


L’essentiel n’est pas dans cette conclusion fataliste mais dans l’humanisme qui s’y cache. 

Roger Federer au sujet de sa rivalité avec Rafael Nadal : « Nous avons partagé tellement de moments forts sur et en dehors du court que nous avons noué une forme d’amitié. Plus nous vieillissons et plus je me rends compte de l’importance de “Rafa” dans ma carrière. Il restera toujours mon rival ultime. Et même si j’étais déjà numéro un quand il est arrivé, il m’a aidé à progresser, à devenir un meilleur joueur. »

L’adversité est un élément essentiel quant au dépassement de soi. Si tous ces grands joueurs n’avaient pas eu un niveau d’adversité aussi exceptionnel ils n’auraient certainement pas pu exploiter tout leur potentiel. Pour Aristote, cette adversité c’est aussi de l’amitié. Dans son ouvrage Éthique à Nicomaque il dit que pour « actualiser sa puissance », à comprendre comment exploiter tout son potentiel, il faut rencontrer une occasion de le faire. Pour lui, est un « ami » toute personne qui permet l’actualisation de cette puissance. Charles Pépin reprend quant à lui le concept d’Aristote en associant l’amitié à la relation joueur/entraîneur : « Lorsque vous avez un entraîneur qui permet à un joueur d’actualiser sa puissance, ce n’est en réalité pas lui qui apporte la puissance et qui développe l’autre, c’est plutôt la relation qu’il va instaurer avec l’autre qui va le développer. Autrement dit ce n’est pas l’entraîneur qui permet au joueur d’arriver à sa propre perfection mais c’est la relation qu’il sait instaurer avec le joueur qui va permettre son développement. »

Maintenant que nous savons comment arriver à notre plein potentiel, la question qui se pose est la suivante : quand savons-nous que nous progressons, que nous atteignons progressivement notre plein potentiel, quel est l’indicateur ? 

Encore une fois, Aristote répond de façon absolument géniale : selon lui ce qui va permettre de jauger un niveau, c’est le plaisir que la personne prend à l’acte. Le degré de compétence est donc directement proportionnel à l’intensité du plaisir. En conséquence, si vous travaillez par exemple votre coup droit sans plaisir, c’est que vous n’êtes pas encore parvenu au degré de compétence que vous souhaitez. Par contre si le geste est fluide, glissant avec allégresse, cela traduit forcément une sorte de satisfaction, de plaisir, et donc une certaine compétence. C’est peut-être ça le talent finalement, lorsque toutes les compétences sont acquises, lorsque le sentiment de plaisir prédomine le plus souvent le sentiment de frustration, lorsque l’entrave de l’immaîtrise laisse place à la liberté de la maîtrise, lorsque votre singularité peut enfin et pleinement s’exprimer.

© Antoine Couvercelle

Du badminton au parabadminton :

la double vie de David Toupé

De nombreux sports adaptés ont vu le jour et se sont développés depuis le début des années 2000. En France, le sport pour les personnes en situation de handicap est un phénomène historiquement récent, qui s’est progressivement institutionnalisé avec la création en 1964 de la Fédération des sports pour les handicapés physiques, puis en 1971 de la Fédération française du sport adapté.
En 2020, le parabadminton fera une entrée historique aux Jeux paralympiques. Cette discipline a vu le jour en 1990, alors que des joueurs allemands en fauteuil roulant ont décidé d’adapter les règles du badminton classique pour vivre ses dimensions ludiques et dynamiques. Dans certains pays frontaliers, comme les Pays-Bas et la Suisse, quelques adeptes de parabadminton ont alors émergé. Les premiers championnats européens se sont mis en place. L’année suivante, une « commission handicap » a été créée et un plan d’action a vu le jour en France, avec l’objectif d’intégrer les sportifs handicapés dans les créneaux valides existants.
Selon A. Marcellini(1), d’ingénieux systèmes de classification fonctionnelle ont progressivement été élaborés, consistant à classer les sportifs non plus par type d’atteinte (paralysies, amputations, troubles du contrôle moteur…), mais selon une équivalence fonctionnelle dans la tâche sportive considérée. Dans le cadre du parabadminton, six catégories ont été définies(2).
C’est notamment sous l’impulsion de David Toupé que le parabadminton s’est développé et s’est structuré en France. Ancien sportif de haut niveau en badminton et kinésithérapeute de formation, il est devenu paraplégique à la suite d’un grave accident de ski. Moins d’un an plus tard, il a débuté le parabadminton, puis s’est reconverti dans ce sport. Aujourd’hui âgé de 43 ans, après avoir été champion de France à de nombreuses reprises, plusieurs fois champion d’Europe et du monde dans la catégorie « Wheelchair 1 », il a accepté de nous rencontrer pour nous raconter son parcours, de ses premiers coups de raquette en tant que jeune joueur valide, à ses nouvelles ambitions paralympiques. Retour sur la double vie de ce champion d’exception !

 

Le choix du badminton : une première vie entre action, rencontres et compétitions

Un sport d’action

Sensibilisés aux travaux sociologiques qui montrent le poids de la socialisation des parents dans le devenir sportif des individus, c’est sans surprise que nous questionnons David Toupé sur son milieu familial. Un tel parcours devait forcément s’expliquer par ce biais… Dans son cas, les relations entre le milieu familial et son parcours n’ont rien d’évident. Ses parents n’étaient pas des sportifs compétitifs : « Mon père était routier, je ne le voyais que le week-end, et ce n’était pas pour faire du sport. » En revanche, ils lui ont transmis le sens de l’action, qui n’a cessé de le mouvoir, en sport et ailleurs : « On était actifs, on n’a jamais passé des vacances au bord de la plage à mettre la serviette et à attendre que ça se passe. On a toujours fait de la rando, on a toujours marché. » Le sport est devenu pour lui « une religion » : « Je suis quelqu’un de porté sur l’action, j’ai besoin de faire des choses. »
Si le badminton s’est imposé, notamment par rapport à d’autres sports comme le tennis, c’est notamment pour ses caractéristiques énergétiques : « J’ai eu le choix avec le tennis mais une fois que j’ai gouté le bad, le tennis m’a vite saoulé. Je pense que si tu n’as pas une bonne technique d’entrée de jeu, la balle ne rentre pas dans le court. » David a besoin de « taper dans un volant », considérant que son « meilleur partenaire d’entraînement » est le mur de sa maison, tant il aime y jongler, enchainer les jeux de jambes, alterner les frappes hautes et basses. Invité à préciser ce qui génère un tel plaisir de pratiquer, David évoque l’effort, le jeu, l’action de ce sport qui l’accompagnera toute sa vie : « Je pense que c’est l’effort, encore aujourd’hui. Si je suis sur une séance uniquement technique, je peux en sortir un peu frustré si je n’ai pas eu l’impression de m’être un peu dépassé. Ce sentiment, je l’ai toujours eu. »

 

L’importance des rencontres

Outre les caractéristiques du badminton, c’est pour des raisons sociales que David s’adonne avec passion à ce sport. Membre d’un club déjà « bien organisé », il découvre un entraineur « très humain » qui apparait comme un « papa » : « Je crois que c’était dû à l’engagement qu’il mettait dans les entraînements, sa pédagogie… En plus, pour l’époque, il avait une grande connaissance. Il a été prof d’EPS et, rapidement, il a passé des diplômes fédéraux. » Pour résumer, cet entraîneur fait preuve d’un « mélange de connaissances, de pédagogie hyper humaine et très portée sur le joueur. Il était présent tout le temps, on se sentait accompagnés. » Conclusion de David : « Quand quelqu’un est là, qu’il y a une confiance réciproque, je suis un mort de faim à l’entraînement. »
En plus d’un entraîneur, le badminton a amené David a rapidement faire des rencontres qui restent encore aujourd’hui particulièrement importantes : « J’ai eu la chance de tomber sur des gens qui sont encore mes amis et qui font même partie de ma famille. » Par exemple, il raconte qu’à chaque compétition, les déplacements sont fondateurs d’un sentiment d’appartenance au collectif : « C’était assez exceptionnel, ce club. Quand on allait au championnat de Bretagne, on se déplaçait en car : il y avait dix titres à aller chercher et on revenait avec neuf sur dix. Ce sont des souvenirs assez marquants, c’est tout le club qui se déplaçait. Donc j’ai eu la chance de découvrir le badminton dans un club qui était vraiment familial. »

Des premiers résultats à l’intégration de structures de haut niveau

Très rapidement, David connait ses premiers résultats en badminton. S’entraînant avec des joueurs plus âgés que lui, il progresse très vite face à des joueurs de sa catégorie : « Les autres avaient deux ou trois ans de plus que moi, donc on se tirait la bourre à l’entraînement. Du coup quand tu reviens dans ta catégorie tu performes. »
Avec un style de jeu alliant explosivité et technique, il rivalise avec des joueurs d’un gabarit plus important, notamment en double : « J’étais un joueur plutôt explosif, je faisais 1 m 68 mais j’avais quasiment 90 cm de détente sèche… et puis je faisais partie des joueurs techniques avec une bonne main, je mettais le volant où je voulais même face à des grands gaillards. Donc je compensais avec une bonne main et avec la vision du jeu. »
Il grimpe alors les échelons, jusqu’à intégrer des structures de haut niveau : « Championnat de Bretagne, championnat de France… Tu es repéré, tu entres dans l’équipe de France minime… Et après, directement à Paris, au CREPS. Ça été la première section pôle espoir en France, à Chatenay-Malabry. On était trop jeunes pour rentrer à l’INSEP. Et puis ensuite, à l’INSEP, tu pars pour un mois et demi parce que tu ne rentres pas tous les week-ends, ça coûte cher et tu es en compétition tous les week-ends. En plus, c’est une époque où il n’y avait pas encore de téléphone portable… »
Il passe ensuite dans la catégorie « sénior », subissant la concurrence de nombreux autres sportifs : « Je suis entré dans une génération où il y avait des jeunes talentueux avec en plus une politique de développement avec l’extérieur : il y avait des bulgares qui sont venus pour s’entrainer à l’INSEP, ils ne sont jamais partis et ils ont été naturalisés au bout de 3 ans… Si tu ne fais pas tes preuves en deux ou trois ans, terminé, le wagon est passé ! » Cette concurrence amènera David à quitter l’INSEP en 1998.

 

L’accident : un moment de bascule entre deux vies

Un accident qui coupe l’herbe sous le pied d’un champion ? 

Subissant la concurrence, David s’est trouvé écarté de l’INSEP en 1998 : « Il y a eu un choix de sélection à un moment donné. On m’a dit “on ne peut pas te garder à l’INSEP, il y en a quatre devant toi”, en plus en double tu es la cinquième roue du carrosse. » En effet, il était plus facile de percer pour les joueurs de simple, qui ne pouvaient « compter que sur eux-mêmes, avoir un accompagnement de leur club, de leur région ». Par un processus de sélection, les entraineurs faisaient « ce qu’ils voulaient des joueurs, des paires ». David exprime alors avoir connu de « belles paires » mais n’avoir pas été « autorisé à jouer avec eux ».
Lorsqu’il arrête l’INSEP, David a 21 ans, suit des études de kiné, et n’a pas l’intention de « s’acharner sur le bad ». Si la première année de ses études était dédoublée, lui permettant de s’entrainer assidument, les années suivantes ne l’étaient plus et comportaient de nombreux stages. Il dit avoir, en plus, « retrouvé la vraie vie », au sens où à l’INSEP, « tu es coupé du monde, tu vis dans un cocon, tu es dans quelque chose de très refermé sur lui-même ». Pour autant, il n’arrête jamais vraiment de pratiquer, s’impliquant notamment dans son club, en Nationale 1 : « Je continue à m’entraîner pour la N1 parce que je suis quand même encore en N1 avec le club. Je n’ai jamais quitté quand même… Je continue à concilier les tournois de temps en temps, les interclubs. C’est l’occasion de rester dans le circuit avec les copains. »
C’est en 2003 que David subit un grave accident de ski, qui constituera un moment de bascule vers une autre vie. Sur son lit d’hôpital, il réalise tout de suite l’étendue des lésions, ce qui lui a permis de ne pas être maintenu dans le faux espoir de pouvoir remarcher un jour : « Mon sujet de mémoire en tant que kiné, c’était sur un enfant paraplégique D8. Bingo, même niveau lésionnel. Donc je savais à quoi m’attendre. Je savais où étaient les limites. Je n’étais pas surpris : si ma jambe bougeait, je ne me disais pas que j’allais pouvoir remarcher. Je savais que c’étaient des réflexes. »
Après plusieurs semaines d’alitement, la découverte du fauteuil est une étape marquante pour David, qui entrevoit déjà de nouvelles perspectives : « Les trois semaines les plus longues de ma vie, c’est quand j’ai été alité. Un des plus beaux jours de ma vie, c’est quand j’ai posé mon cul sur un fauteuil : j’ai compris que c’était mon nouveau meilleur ami. » La rééducation elle-même est apparue comme salvatrice, d’autant que David ne manquait pas d’y ajouter certains défis : « La rééducation, c’était déjà de l’activité physique, et j’étais dans le défi. Quand on me disait que c’était dur de conserver l’équilibre, je leur disais “vas-y, amène-moi le ballon”. Et quinze jours après, je faisais mon truc. C’est aller chercher ses limites. » De façon assez déconcertante, un processus de résilience semble s’être opéré de façon relativement naturelle, dès les suites de son accident : « Je ne me suis pas vraiment posé de question en fait, pour moi c’était naturel : c’est-à-dire que tu tombes et que tu te relèves, voilà. »

 

La découverte du parabadminton : un nouveau souffle à la convalescence

Dans sa reconstruction, David connaît nécessairement des moments difficiles, notamment en lien avec le contexte de l’univers hospitalier : « Je ne suis pas en train de dire que c’était simple, notamment l’hôpital, les blouses blanches. On t’explique qu’on a viré les jeux électroniques, les billards, pour mettre deux lits parce que c’est plus rentable. La réalité du quotidien, c’était ça. Et puis je n’ai pas minimisé les moments où tu te dis “je peux plus faire ça ni ça”. »
Dans ce quotidien éprouvant, le parabadminton apparait comme une nouvelle alternative. En rééducation, David voit des joueurs pratiquer le badminton en fauteuil, réalisant que même paraplégique, il était possible de pratiquer ce sport : « Ah non mais pour moi, ce n’était pas possible, ça n’existait pas ! » Le transfert entre sa carrière vécue en tant que joueur valide et cette nouvelle vie se réalise à tâtons, et non sans frustration. En particulier, le parabadminton oblige David à reconstruire son style de jeu : « J’ai posé mes fesses dans un fauteuil pour essayer, sans être convaincu. J’avais plutôt un jeu assez aérien, je m’éclatais à aller haut. À ce moment-là, il y avait ce côté explosif en bad, dans tous les sens du terme : devant, derrière et en haut. En fauteuil, je ne peux être explosif que devant et derrière. Ce qui m’apportait de la frustration, c’est ce côté aérien que je ne pouvais plus ressentir. Le filet devient haut, et le smash n’existe plus. » Il a ainsi fallu apprendre à jouer presque contre-nature : « Le style de jeu, il se retrouve, mais ça me joue des tours. Si je smash aujourd’hui, je me fais contrer, donc la tactique est différente. Je ne dirais pas que je joue contre-nature, mais il a fallu changer plein de choses. »
En s’appropriant progressivement cette nouvelle pratique, David connait aussi des difficultés à compenser le rôle habituellement joué par chaque partie du corps. Sans abdominaux, il s’aperçoit que pour faire un contre-amorti, « le petit orteil, il bosse ». Il lui faut apprendre à se déplacer sur des volants éloignés en manipulant le fauteuil. Malgré ces difficultés, il confie s’être rapidement fait happer par le jeu. Les composantes qu’il affectionnait dans le badminton avant son accident se retrouvent dans le parabadminton : « C’est un nouveau jouet. Je me suis fait rattraper par certains aspects de la pratique, l’apprentissage, les aspects techniques. » Avec l’expérience, le parabadminton s’impose comme une opportunité de rencontres et un moyen d’évoluer en accord avec ses valeurs : « Je rencontre des gens exceptionnels. À la fin du match, une fois qu’on s’est serré la main, les gens viennent te voir et ils te disent “là c’est bien ta petite roulette mais essaie de la lever un peu, et ton dossier est un peu tendu”. Le mec est en train de me donner des conseils pour que la prochaine fois, je le bouffe quoi… La solidarité est juste exceptionnelle. C’est ça qui m’a fait aller dans le parabad. »

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Une deuxième vie

Le développement du parabadminton comme cheval de bataille

Porté par un entourage très présent et une diversité d’éléments l’amenant sur le chemin de la résilience, David rebondit, jusqu’à considérer qu’il n’a pas de raison d’aller mal : « Un entourage hyper présent, des potes. À l’hôpital, à tour de rôle, il y avait trente personnes dans ma chambre. J’ai beaucoup reçu à ce moment-là. Et puis pas particulièrement de problème financier. Je n’avais pas d’argument pour dire que ça n’allait pas. C’est tout ce parcours qui m’a permis cette résilience. »
C’est particulièrement sa volonté de développer le parabadminton qui constitue un moteur de sa vie après l’accident. Il se renseigne, se rend compte qu’il existe une Fédération internationale, des championnats d’Europe, des championnats du monde, et que l’activité est déjà relativement développée : « J’ai pris conscience qu’on pouvait jouer au badminton en fauteuil, mais qu’il n’y avait rien en France ! Et là, ça été mon côté “révolté” : ce n’est pas possible, il y a le parabad qui existe, et il n’y a rien en France ! J’ai pris la mesure de me dire que si moi je n’y allais pas, si moi je ne le faisais pas, ça ne se ferait jamais… J’ai senti une envie de donner ce que j’avais pu recevoir. »
Progressivement, David rencontre des personnes exprimant elles aussi le souhait de pratiquer malgré leur handicap. Avec elles, il structure le parabadminton à un niveau local, en commençant dans le Sud-Ouest : « Heureusement j’avais des contacts à Toulouse et il se crée alors des échanges avec la ligue. En 2012, je rencontre d’autres personnes qui arrivent au parabad. Là, je me dis que soit j’arrête, soit on crée une association de joueurs et on essaie de faire avancer les choses. Donc on a créé une association, FRAP (France Parabadminton), et ça a servi aussi à développer la discipline. »

 

Le parcours d’un combattant

Le développement du parabadminton ne se fait pas sans encombre. Dès son retour dans son club, David se rend compte que rien ne permet aux sportifs en situation de handicap de s’adonner à la pratique : « Je débarquais dans une région où le parabadminton n’existe pas. Il n’y avait pas d’entraineur, alors quand ils ont vu un mec en fauteuil débarquer… “Coucou, il y a moyen de jouer au bad ?” (rire). »
En fait, toute démarche entreprise pour développer le parabadminton en France met davantage de temps que David ne pouvait l’imaginer : « Ça a duré douze ans, quand moi je me disais qu’en deux ou trois ans on pourrait mettre certaines choses en place. » Plusieurs obstacles ont freiné le développement du parabadminton : « La DTN (direction technique nationale) m’avait donné carte blanche, donc je suis arrivé avec un plan d’action. Mais on te dit “c’est compliqué quand même”. Ben non, ce n’est pas compliqué ! » Des ambiguïtés existaient également entre les missions de la Fédération de badminton et de la Fédération handisport. La première considérait que c’était à la deuxième de gérer le parabadminton, et la deuxième se concentrait surtout sur les sports déjà paralympiques.
David se heurte aussi au manque de temps disponible pour développer le parabadminton. Il passe des diplômes d’entraineur pour intervenir et pour comprendre le système, pour « faire avancer les choses de façon plus efficace, plus cohérente », mais en parallèle, il fonde une famille et construit sa maison. Selon lui, c’est à travers la pratique et des performances que le développement du parabadminton se fait de façon plus soutenue : « J’ai compris comment on déplaçait un fauteuil – pour la raquette, j’avais la précision : ça me permet d’avoir quelques médailles pour la visibilité et ça suffit. Parce que j’ai compris que si tu n’as pas de médaille, on n’en parle pas. C’est ça qui m’a fait aller vers la compétition. »

 

Le parabadminton aux jeux paralympiques : une étape ultime

Selon David, l’entrée du parabadminton dans la grande famille des sports olympiques change beaucoup de choses : « Reconnaissance, moyens, développement… Comment dire, tu passes d’une micheline à un moteur de Formule 1. Pour atteindre tes objectifs, il n’y a pas mieux. S’il y en a ne serait-ce qu’un seul qui, au lieu de rester chez lui, va venir s’éclater au bad, c’est super. Le but ce n’est pas de multiplier, mais de donner les infos. L’évidence du sport santé, l’évidence du sport adapté, ce n’est pas une évidence économique. Malheureusement si tu n’es pas paralympique, ce n’est pas que tu n’existes pas, mais tu n’as pas de reconnaissance. Moi je ne cherchais pas la reconnaissance à tout prix, mais plutôt de pouvoir dire que oui, le badminton est adapté. Le fait que ça passe aux Jeux, c’est un booster hallucinant. »
David obtient alors des moyens pour pouvoir réellement s’entraîner et tenter de venir concurrencer des nations qui ont depuis longtemps investi des moyens dans ce sport : « J’ai obtenu un détachement. C’est devenu mon boulot. Depuis que c’est passé aux Jeux, je suis passé de trois entrainements par semaine à deux entrainements par jour. Et je suis détaché à 80 % pour m’entrainer, alors qu’avant, c’était en plus de mon boulot. Ça fait dix ans que les autres sont déjà dans ce modèle professionnel. On a dix ans de retard sur la Corée, par exemple. »
Il se projette nécessairement sur la suite, affirmant que l’obtention d’une médaille par l’équipe de France constituerait un gage de développement sans précédent : « Ça serait un méga booster si on ramenait une médaille : elle ne sera pas dans le salon, mais elle permettra de dire qu’on a fait le job. Après, tu ne peux pas penser qu’à ça, tu ne seras peut-être pas qualifié, tu seras peut-être blessé. Mais il faut essayer ! ». Rendez-vous est pris aux jeux paralympiques de Tokyo en aout 2021 pour encourager l’équipe de France Parabadminton.

La double vie de David Toupé montre que le sport, notamment à haut niveau, peut considérablement améliorer l’acceptation sociale des personnes en situation de handicap. D’ailleurs, celles-ci se sentiraient sportives avant de se considérer invalides(3), jusqu’à être heurtés par le fait que la presse cherche à positiver l’image du sportif handicapé. Le rappel au handicap est souvent présent, comme si le sport pratiqué ne pouvait se définir qu’à partir de l’état de la personne(4). À un niveau plus amateur, une enquête intitulée « Handicap, incapacité, dépendance » a révélé qu’un tiers des personnes de 5 à 74 ans déclarant une déficience pratiquent une activité physique régulière. Parmi ces personnes en situation de handicap qui vivent à domicile, 46 % (soit trois millions de personnes) pratiquent en association sportive ordinaire, pour seulement 14,3 % de ceux qui vivent en institution(5).
Malgré tout, dans l’ouvrage Handicap : silence on discrimine, Anne Kerloc’h(6) a affirmé que les loisirs arrivaient en première position des pans de la vie qui discriminent, sans doute parce que la législation protège a minima les discriminations dans les transports et les situations professionnelles. L’existence même d’évènements sportifs de grande envergure rassemblant diverses communautés (les Gay Games, par exemple) traduit le besoin éprouvé par les minorités de se faire entendre, sans doute parce que le contexte sportif ne leur accorde pas une place à la hauteur de leurs attentes(7). Si le développement du sport adapté est en marche, la route est encore longue pour que chaque individu porteur d’un handicap après un accident puisse être accompagné pour trouver, comme David Toupé, les ressources de se construire une seconde vie tout aussi épanouissante que la première.

⦁ Marcellini, A. « Les savoirs des sciences des activités physiques et sportives », in Gardou, C. Handicap, une encyclopédie des savoirs. Des obscurantismes à de Nouvelles Lumières. Éditions Érès, 2014.
⦁ (1) « Wheelchair 1 » (WH 1) : joueurs en fauteuil ne disposant pas d’équilibre du tronc (sans abdominaux) ; (2) « Wheelchair 2 » (WH 2) : joueurs en fauteuil ayant un équilibre du tronc normal ou proche de la normal (avec abdominaux) ; (3) « Standing Lower » (SL 3) : joueurs marchant ou courant avec un boitement dû au handicap ou amputés d’un membre inférieur (amputation fémoral) ; (4) « Standing Lower » (SL 4) : joueurs marchant avec une légère mollesse due au handicap ou amputés d’un membre inférieur (amputation tibiale), mais se déplaçant de manière fluide ; (5) « Standing Upper » (SU 5) : joueurs limités dans la fonction de base du membre supérieur, ou amputé d’un membre supérieur ; (6) « Short Stature » (SS 6) : joueurs debout de petite taille (maximum 145 cm pour les hommes et 137 cm pour les femmes).
⦁ Page, S. J., O’Connor, E., & Peterson, K. “Leaving the Disability Ghetto. A Qualitative Study of Factors Underlying Achievement Motivation Among Athletes with Disabilities”, in Journal of Sport & Social Issues, 25(1), 40–55, 2001.
⦁ Compte, R., « Sport et handicap dans notre société : un défi à l’épreuve du social », in Empan, 79(3), 13-21, 2010.
⦁ Compte, R., op. cit.
⦁ Kerloc’h, A., Handicap : silence on discrimine, APF/Le Cherche Midi, collection « Documents », Paris, 2005.
⦁ Héas, S., « Des sports toujours discriminants pour les personnes vivant avec un handicap aujourd’hui ? », in Alter, 6(1), 57-66, 2012