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Haut en couleurs !

Coupe Davis 2019, Madrid / © Ray Giubilo

Vus du ciel, les courts et leurs couleurs attirent l’Ɠil. Comme si une intervention divine avait colorĂ© ces rectangles que nous aimons tant. Incolores au commencement, les courts se parent d’un Ă©ventail de couleurs infini.

Alors que le tennis entamait, aux confins des annĂ©es 1990 une Ă©poque de transition stylistique, le vert monochrome dominait les courts en dur. Une dizaine d’annĂ©es plus tard, le bleu est venu envahir le ciment, particuliĂšrement sur le continent nord-amĂ©ricain. DĂšs lors, une identitĂ©, une marque de fabrique disparaissait au profit d’une autre. Mais voilĂ , la toute-puissante TV est entrĂ©e dans la danse, favorisant l’instauration de ce nouveau coloris.

Ces changements, on en retrouve les plus illustres exemples Ă  l’US Open et l’Open d’Australie quand naguĂšre les courts Ă©taient peints en vert. C’est en 2005 que Flushing Meadows dĂ©cide de franchir le pas. Et en 2008, c’est au tour de son Ă©gal australien. Depuis lors, une mode Ă©merge jusqu’à en devenir une coutume qui se pĂ©rennise. Lors de la saison 2019, parmi les soixante-quinze tournois ATP et WTA sur dur (outdoor et indoor confondus), seuls neuf d’entre eux ne possĂ©daient pas une dominante de bleuÂč. Aujourd’hui, qu’il soit ciel, cĂ©rulĂ©en ou nuit, le bleu renvoie indiscutablement Ă  cette surface rapide (qui, soit dit en passant, l’est de moins en moins).

La terre (battue) est bleue comme une orange

Exigeante physiquement, la terre battue est la surface lente par excellence. Au royaume de la glissade et des matchs au long cours, l’ocre fait figure de sacro-sainte couleur. Elle renferme en ses tons quelque chose du dĂ©sert, de la Provence et de la MĂ©diterranĂ©e, une explosion de couleurs chaudes. L’ocre est protĂ©iforme selon les saisons, sa provenance ou son exposition aux rayons du soleil. Neutre, Ă©nergique ou chaleureuse, la matiĂšre autant que la couleur renvoient aux origines. ConsidĂ©rĂ©e comme le premier pigment utilisĂ© par les hommes du PalĂ©olithique, elle apparaĂźt Ă©galement sur de nombreuses peintures abstraites, Ă©vocations d’atmosphĂšres brĂ»lantes. Telle une rencontre de Coupe Davis en terres latines.

C’est en 2012 que Ion Țiriac, alors directeur gĂ©nĂ©ral du tournoi de Madrid, dĂ©cida de bouleverser l’ordre Ă©tabli, Ă  une Ă©poque oĂč Suzanne Lenglen foulait, au grĂ© de ses tenues les plus innovantes, les courts en ocre. Le coloris habituel qui parait les terrains de terre battue depuis prĂšs d’un siĂšcle Ă©tait contestĂ©. L’indiscutable Ă©tait discutĂ©. De la terre bleue, une apparente Ă©lucubration Ă©tait dĂ©fendue corps et Ăąme par les dĂ©cideurs du tournoi. Outre les questions d’identitĂ© visuelle, c’est la perception de la balle amĂ©liorĂ©e de 28% pour les joueurs et 32% pour les spectateurs qui a justifiĂ© l’intronisation de ce bleu cobalt.

Au pays de l’ocre, le MutĆ«a Madrid Open dĂ©cida de jouer avec les nerfs des figures majeures du jeu, surtout ceux de Rafael Nadal, habituĂ© Ă  l’ocre ardent qui selon les nuances, tire sur le brun violacĂ©, le jaune et le marron rouge. Pour la plupart des joueurs et joueuses c’est le bleu qui pose problĂšme, pour d’autres, c’est son manque d’adhĂ©rence. Ils pointent le manque de stabilitĂ© lors des glissades, mais remettent-ils rĂ©ellement en cause la couleur ? « Je prĂ©fĂšre un bleu plus foncĂ©, peut-ĂȘtre mĂȘme le violet. Le contraste avec la balle jaune ressort bien mieux, c’est juste plus facile de se concentrer sur la balle », constate Kim Clijsters. Avant d’ajouter que les balles Ă  Roland-Garros « deviennent un peu plus orange » Ă  mesure que le match avance, ce qui les rend « difficiles Ă  voir (
) Je ne dirais pas que je prĂ©fĂšre un terrain en terre battue bleue, parce que ce ne serait tout simplement pas naturel. »

MĂȘme si la couleur vive de la balle tranche avec le bleu de la terre, et mĂȘme si le bleu se marie harmonieusement avec le gris mĂ©tallique des courts, il ne reprĂ©sente en rien les ambiances chaudes et passionnĂ©es des tournois de terre d’avril Ă  dĂ©but juin. MalgrĂ© l’interdiction de jouer sur de la terre battue bleue proclamĂ©e par l’ATP, Ion Țiriac ne perd pas espoir et souhaite revoir « sa lubie » dans un tournoi professionnel. 

 

ana ivanovic IV

Le gazon terre sacrée au vert indélébile 

Faut-il alors que le tennis reste inflexible ou doit-il s’ouvrir à de nouveaux horizons de pigmentation ?

Dans un article du New York Times de 2011, les joueurs sont partagĂ©s entre le respect des traditions et leur confort visuel. L’hĂ©gĂ©monie ancienne du gazon et sa couleur aussi indĂ©modable qu’irremplaçable, voient depuis quelques annĂ©es une prolifĂ©ration de teintes Ă©mailler les autres surfaces. Or, personne n’a encore eu la folle idĂ©e d’ajouter un colorant Ă  la surface vĂ©gĂ©tale. Son usage peu rĂ©pandu Ă  travers le monde et sur les circuits professionnels peut reprĂ©senter un rĂ©el frein. Tenter d’abimer la perfection d’un green anglais relĂšverait du sacrilĂšge. Imaginons un instant un court en gazon de couleur grenat au Queen’s (cela parait complĂštement improbable, je vous l’accorde). Outre les considĂ©rations techniques et morales, peu de joueurs iraient bousculer leurs repĂšres avant Wimbledon. Pourtant, certains mĂ©cĂšnes pourraient y voir un fabuleux coup marketing en coloriant un court de tennis sur gazon. La surface reine rappelle les origines du jeu et Wimbledon en est son symbole le plus Ă©clatant. Si l’on se rĂ©fĂšre au cercle chromatique, le contraste le plus faible entre deux couleurs se situe entre le jaune et le vert. Justifier l’ajout de colorant serait donc tout a fait acceptable mais on irait Ă  l’encontre du « naturel » Ă©voquĂ© un peu plus haut. Et ça, nous aurions pour la plupart, du mal Ă  l’accepter. 

Le faible contraste de la balle avec le gazon et surtout Ă  Wimbledon, dont l’atmosphĂšre de chaque court est plongĂ©e dans des nuances de vert, peut faire rejaillir les dĂ©faillances de l’Ɠil. D’autant plus quand le court est baignĂ© de lumiĂšre naturelle. Mais on doute fort que Wimbledon transige avec ses traditions ancestrales. Plus que jamais bastion du tennis conservateur, le tournoi londonien a bĂąti sa rĂ©putation de rĂ©sistant farouche au changement. En 2013, quand Roger Federer se prĂ©sente dans son jardin, le Centre Court, avec des semelles colorĂ©es, on le prie gentiment de ne plus reproduire ce qui pourrait ressembler Ă  un crime de lĂšse-majestĂ©. Au match suivant, ses picots orange vif laissent place au blanc vierge de la moindre once de couleur. A Wimbledon, on ne badine pas avec la tradition ! Il semble donc peu probable que le gazon et la terre battue soient confrontĂ©s Ă  des changements de couleurs Ă  l’avenir. Le poids des joueurs ferait forcĂ©ment barrage. À moins que


Roger Federer et ses semelles orange, Wimbledon 2013 / © Ray Giubilo

L’identitĂ© comme maĂźtre mot 

Rassurez-vous, les visions d’horreur prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©es ne sont dĂ©sormais qu’un lointain souvenir. En 2005, avant d’établir les couleurs que nous connaissons aujourd’hui, Arlen Kantarian, directeur gĂ©nĂ©ral de la USTA (United States Tennis Association, pendant amĂ©ricain de la FFT) avait envisagĂ©, dans un Ă©lan patriotique, de peindre les courts en bleu foncĂ© et rouge vif (avec les lignes blanches, ces trois couleurs auraient reprĂ©sentĂ© l’US Flag). Finalement c’est l’association du bleu au vert qui a Ă©tĂ© retenue pour les Masters du Canada, Cincinnati, Washington, Atlanta en plus de l’US Open. C’est ainsi que l’identitĂ© visuelle des courts de tennis nord-amĂ©ricains naquit. Du moins pour les tournois disputĂ©s de juillet Ă  septembre. Le reste de l’annĂ©e, une myriade de couleurs embellit les stades : du gris monochrome Ă  New-York, du bleu Ă  Delray Beach ou encore l’alliance du bleu roi au bleu cĂ©leste dans l’antre de l’équipe de football amĂ©ricain, les Dolphins de Miami.

Il existe un Ă©vĂ©nement qui rassemble les lĂ©gendes (anciennes et actuelles) du jeu l’espace d’un week-end, un Ă©vĂ©nement oĂč on a vu Nadal et Federer disputer un match de double ensemble. La Laver Cup a permis de voir le court le plus noir jamais imaginĂ©. Entre la fin du Moyen Âge et le XVIIe siĂšcle, le noir n’était plus considĂ©rĂ© comme une couleur, Ă  l’instar du blanc. La rĂ©forme protestante et les progrĂšs scientifiques les avaient chassĂ©s du monde des couleurs. Sous l’impulsion de Rousseau et de Goethe, le vert et le bleu Ă©taient Ă  la mode. Le noir couvait dans l’ombre et attendait son heure. Au terme de la pĂ©riode romantique, le noir recouvre alors le cƓur des poĂštes du XIXe siĂšcle. Un autre artiste, deux siĂšcles plus tard, reconnaissable Ă  son revers Ă  une main, s’en empare pour accoler une identitĂ© Ă  « son » tournoi : Roger Federer a choisi l’élĂ©gance du noir, aux teintes grisĂątres une fois les projecteurs braquĂ©s sur le court. Le contraste frappant avec les lignes blanches plonge le court dans une atmosphĂšre inĂ©dite. En 2017, en marge de la compĂ©tition, Dominic Thiem reconnaissait ses difficultĂ©s Ă  distinguer la balle aux entrainements avant de plaider en faveur d’autres courts noirs lors de tournois ATP. C’est ainsi que les officiels de l’ATP 250 de New-York ont emboĂźtĂ© le pas en adoptant une pigmentation sensiblement proche de celle de l’exhibition par Ă©quipe. Mais les organisateurs de la Laver Cup l’assurent, il ne s’agit que d’une pĂąle copie du noir charbon utilisĂ© Ă  Prague, Chicago ou GenĂšve. 

La couleur des courts revĂȘt donc une importance fondamentale. Mais on peut pousser le dĂ©bat jusqu’à des paramĂštres souvent Ă©ludĂ©s. Quid de la luminositĂ©, de la couleur des panneaux publicitaires ou des siĂšges ? Certains sont sensibles Ă  des couleurs plutĂŽt qu’à d’autres. Ce n’est pas pour rien si les meilleurs joueurs se rendent suffisamment tĂŽt (s’ils en ont la possibilitĂ©) sur les installations des tournois. Pouvoir s’entraĂźner dans des conditions quasi-similaires Ă  celles de la complĂ©tion relĂšve d’un luxe, que seule une poignĂ©e de joueurs peut s’offrir. On comprend aisĂ©ment que Rafael Nadal arrive chaque annĂ©e le jeudi prĂ©cĂ©dent le dĂ©but de Roland-Garros, soit en gĂ©nĂ©ral cinq Ă  six jours avant son premier tour, avec au minimum six entrainements dans les jambes. Il est coutume de dire que les meilleurs sont souvent « prenables » lors des premiers tours : sont-ils rĂ©ellement moins performants en dĂ©but de quinzaine qu’à son terme ? Nul ne le sait. Ils n’ont gĂ©nĂ©ralement pas besoin de dĂ©ployer leur arsenal de guerre au dĂ©but pour s’imposer. Mais alors pourquoi sont-ils Ă©ventuellement accessibles pour des protagonistes aux ambitions en apparence modestes ? Diverses raisons entrent en ligne de compte. S’acclimater Ă  une atmosphĂšre, habituer l’Ɠil Ă  percevoir et rĂ©tablir des repĂšres sont des premiĂšres sources d’explication. Passer du dĂ©cor poussiĂ©reux de la brique pilĂ©e Ă  l’univers verdoyant qu’est le gazon en quelques heures, demande des adaptations d’ordre stylistique, tennistique et indĂ©niablement visuel. 

Des courts multicolores, de la terre battue bleue, des duos de couleurs improbables
 PrĂ©textant souvent un intĂ©rĂȘt vertueux, certains, par le passĂ©, ont osĂ© franchir des limites que l’on pensait infranchissables. Le tennis et ses valeurs conservatrices ont Ă©tĂ© bafouĂ©es mais jamais au point d’ĂȘtre complĂštement balayĂ©es. Peut-on imaginer dans un avenir proche un court irisĂ© de blanc, des lignes noires et une balle orange ? Pire, un logo publicitaire Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme des dĂ©limitations du terrain. Difficile de prĂ©dire de telles folies, le futur (et le mauvais goĂ»t) attendra.

Coupe Davis 2019, Madrid / © Ray Giubilo OPENING CEREMONY Photo © Ray Giubilo 2019

Âč Les tournois ne prĂ©sentant pas de bleu (ni Ă  l’intĂ©rieur des limites du court, ni en dehors) en 2019 :
ATP : Rotterdam (deux nuances de vert), New-York (monochrome de gris), ShanghaĂŻ (violet et vert), Bercy (vert et gris).
WTA : Osaka, Tashkent (vert et orange), Linz (deux tons de gris), Tianjin (violet et cert), WTA Finals (rose et gris).

Melle van Gemerden 

« Contrairement au tennis, l’art n’a pas de rĂšgles »

© Melle van Gemerden

« Je suis nĂ© en 1979 Ă  Amsterdam. J’ai battu Novak Djokovic au premier tour d’un Future en Hongrie quand il avait seize ans. J’ai ferraillĂ© avec une version un chouĂŻa moins zen du Swiss Maestro en double chez les juniors. J’étais au rendez-vous du deuxiĂšme tour de Wimbledon en 2006 avant de devoir abruptement mettre fin Ă  ma carriĂšre de joueur. J’ai travaillĂ© comme sparring-partner avec Ana Ivanovic alors qu’elle Ă©tait tenante du titre Ă  Roland-Garros. À cĂŽtĂ© de mes activitĂ©s de coach Ă  la FĂ©dĂ©ration nĂ©erlandaise de tennis, je revisite mes souvenirs liĂ©s au monde de la petite balle jaune Ă  travers des peintures que je publie sur mon compte Instagram. Je suis, je suis… ? » Si Julien Lepers nous avait posĂ© cette question dans la version Skype de Questions pour un champion qui finira bien par exister, confinement oblige, on avoue bien volontiers qu’on serait restĂ© sans voix. En fouillant dans nos archives mentales, aprĂšs avoir rapidement Ă©cartĂ© Richard Krajicek et Martin Verkerk, on serait peut-ĂȘtre tombĂ© sur Sjeng Schalken, Raemon Sluiter, Paul Haarhuis, Peter Wessels ou encore John Van Lottum. Tout en sachant qu’on Ă©tait probablement aussi loin du compte que Dustin Brown d’un quadruplĂ© Monte-Carlo – Madrid – Rome – Roland-Garros. Et ce n’est pas faute d’avoir Ă©tĂ© un Ă©lĂšve assidu, toujours assis au premier rang pour suivre les cour(t)s magistraux dispensĂ©s par les doctes professeurs de la planĂšte tennis depuis presque vingt ans. 

© Melle van Gemerden

C’était avant de rencontrer Melle van Gemerden. L’ancien numĂ©ro 1 hollandais au sourire communicatif nous accueille dans son salon de Marbella, dans le sud de l’Espagne. Reposez ce tĂ©lĂ©phone, aucune frontiĂšre n’a Ă©tĂ© franchie illĂ©galement et la distance sociale de rigueur (1766 km devraient faire l’affaire) Ă©tait bien entendu respectĂ©e puisque c’est bien via FaceTime que cette entrevue a eu lieu. « Faites comme chez vous » n’aura jamais pris autant de sens que ces derniers temps au moment d’accueillir des convives pour l’apĂ©ro. Il nous remercie de lui accorder un peu de notre temps, mĂȘme si on a la vague impression que les rĂŽles sont Ă©trangement inversĂ©s par la grĂące de sa politesse. Dans ce nouveau monde oĂč les simples prĂ©mices d’une Ă©bauche de contact physique accidentel au supermarchĂ© vous fait presque sursauter, la douceur de l’homme est pour le moins rafraĂźchissante.

© Melle van Gemerden

Djoko, le coaching sauvage et le GOAT

Les souvenirs du joueur sont vivaces, mĂȘme si l’univers qu’il dĂ©crit est en stand-by depuis plusieurs mois, sans perspective d’avenir claire et une ligne de conduite aussi limpide que celle de BenoĂźt Paire dans un set dĂ©cisif. Qu’à cela ne tienne. Les anecdotes s’empilent Ă  un rythme aussi soutenu que les conquĂȘtes de Martina Hingis dans les annĂ©es 90 – on parle Ă©videmment de trophĂ©es, qu’alliez-vous imaginer ? Quand on lui dresse la liste des joueurs de renom qu’il a eu l’honneur d’affronter (Nikolay Davydenko, Juan Carlos Ferrero, Juan Martin Del Potro
), il nous coupe et nous annonce qu’il a surtout affrontĂ© (et battu) une version adolescente de Djokovic Ă  HĂłdmezƑvĂĄsĂĄrhely (Ă  vos souhaits !) en 2004. « Je me souviens bien que son entraĂźneur Ă©tait assis le long de la ligne et il le coachait sans arrĂȘt », s’amuse notre interlocuteur. Pas le temps de rebondir sur ce fait de match pour le moins croustillant qu’il embraye dĂ©jĂ  sur sa confrontation avec le GOAT Roger Federer, dans une autre vie (a priori en 1996 ou 1997). « Mon coach de l’époque m’a dit : “Ce gars sera numĂ©ro 1.” Il avait tendance Ă  perdre son calme en ce temps-lĂ , mais on le voyait dĂ©jĂ . En ce qui concerne Djokovic, c’était un bon joueur, mais je n’aurais pas pu prĂ©dire qu’il irait aussi loin. Quant Ă  Del Potro, il pouvait frapper des coups gagnants dans des positions qui vous faisaient dire qu’il Ă©tait spĂ©cial. » 

Lorsqu’on lui demande d’isoler le plus grand moment de sa vie de joueur, Melle hĂ©site. Il y a bien sĂ»r cette victoire au premier tour de Wimbledon en 2006, la seule de sa carriĂšre en Grand Chelem. Celle qui lui a permis d’atteindre son meilleur classement, pile 100e mondial. Cette consĂ©cration est toutefois assortie de douleurs dorsales qui l’ont empĂȘchĂ© de dĂ©fendre ses chances au tour suivant face Ă  Mardy Fish, ces mĂȘmes douleurs qui le forceront Ă  passer sur le billard Ă  plusieurs reprises et Ă  ranger dĂ©finitivement ses raquettes. Comme un symbole, alors qu’il avait atteint tous ses objectifs initiaux (« ĂȘtre top 100 et jouer des tournois du Grand Chelem »). « Ma carriĂšre s’est terminĂ©e exactement au moment oĂč tout cela est arrivĂ©, nous glisse-t-il. C’est pour cela que je dis Ă  mes joueurs d’avoir des objectifs Ă©levĂ©s. De ne pas s’arrĂȘter au top 100, de voir plus haut. » Il y a aussi cette premiĂšre qualification pour un tournoi majeur en 2005 Ă  Melbourne, « ce moment oĂč vous pouvez appeler vos parents au milieu de la nuit pour leur annoncer que vous vous ĂȘtes qualifiĂ© pour l’Open d’Australie. » Ou encore l’honneur de dĂ©fendre les couleurs de son pays en Coupe Davis et ce titre au Challenger de Scheveningen face Ă  Kristof Vliegen, toujours en 2005. 

On le branche sur sa retraite forcĂ©e. D’aprĂšs nos recherches, c’était en 2014. Le sympathique NĂ©erlandais fronce un sourcil. « Je me suis reconverti en sparring-partner en 2008  » Et soudain il comprend. « Le joueur avec lequel je travaillais (Thiemo de Bakker) nous inscrivait toujours comme Ă©quipe de double potentiellement Ă©ligible comme lucky loser. Nous avons fini par miraculeusement entrer dans le tableau principal d’un tournoi aux États-Unis (Ă  Houston), mais je ne jouais plus depuis longtemps. » Bien aidĂ© en cela par la description de notre hĂŽte, on imagine aisĂ©ment les visages des paires qui avaient omis de s’inscrire sur la liste des repĂȘchages, aussi dĂ©faits que l’équipe de France un jour de finale lilloise. Les deux compĂšres avaient mĂȘme opposĂ© une farouche rĂ©sistance au solide duo Krajicek/Venus ce jour-lĂ  (toute ressemblance avec des personnages autrement plus cĂ©lĂšbres existant ou ayant existĂ© serait Ă©videmment purement fortuite). MalgrĂ© cet Ă©pisode tardif, ce chapitre de la vie de Melle van Gemerden s’était donc bien refermĂ© depuis des annĂ©es en cet an de grĂące 2014, et ce malgrĂ© quelques tentatives infructueuses de retour Ă  son niveau de 2006. Il avoue d’ailleurs depuis lors un respect plus marquĂ© pour les Rafael Nadal de ce monde qui, tels des Sisyphe de la raquette, ont la force mentale de remonter la pente encore et encore aprĂšs de multiples blessures.

© Melle van Gemerden

Ana Ivanovic et les paparazzi dans les buissons

Si Melle van Gemerden est contraint et forcĂ© de dispenser ses enseignements Ă  ses ouailles bataves via Zoom en ces temps troublĂ©s, il n’en a pas toujours Ă©tĂ© ainsi. L’ancien joueur au tempĂ©rament offensif n’en est en effet pas Ă  son coup d’essai dans le coaching. Sparring-partner de l’ex-numĂ©ro 1 mondiale serbe Ana Ivanovic entre 2008 et 2009, il nous avoue que la vie de l’autre cĂŽtĂ© de la barriĂšre est autrement plus stressante, au-delĂ  de la tunnel vision dont un joueur peut parfois se contenter. « Une fois que votre joueur/joueuse est sur le court, c’est hors de votre contrĂŽle, la plupart du temps vous n’avez pas le droit d’intervenir », n’en dĂ©plaise Ă  certains acteurs et spectateurs de la finale de l’US Open 2018. « Quand vous faites partie de l’équipe d’Ana Ivanovic, vous mettez les pieds dans la partie glamour du tennis. Nous nous prĂ©parions pour l’Open d’Australie sans avoir dit Ă  personne oĂč nous allions et les paparazzi Ă©taient au courant. Ils Ă©taient lĂ , dans les buissons, ils prenaient des photos. Quand vous arrivez au plus haut niveau, ce n’est plus seulement du tennis, c’est aussi tout le cirque qu’il y a autour. » La premiĂšre levĂ©e du Grand Chelem de l’annĂ©e 2009 est aussi l’occasion pour lui de se rapprocher du clan de Fernando Verdasco, avec qui il commencera Ă  travailler aprĂšs le tournoi. « J’étais dans le stade lors de sa demi-finale face Ă  Nadal », nous raconte-il, les yeux encore brillants onze ans plus tard. Vous vous en souvenez certainement Ă©galement, c’était l’époque oĂč il fallait prĂ©texter un mal de tĂȘte soudain pour annuler un rendez-vous avec des potes et pouvoir rester scotchĂ© devant un match en cinq sets Ă©pique un vendredi aprĂšs-midi de janvier. Plus rien de tout cela ces mois-ci. Ni tennis, ni vie sociale trĂ©pidante.

Mais que fait donc notre homme aux multiples casquettes de ses journĂ©es de confinement, une fois ses vidĂ©oconfĂ©rences pĂ©dagogiques terminĂ©es ? Tel un Roger Federer au pays des tulipes, il allie tennis et art. InspirĂ© par le chantre du pop art britannique David Hockney, entre autres influences, il alimente son compte Instagram et son site Internet avec ses nouvelles crĂ©ations. « Je prends beaucoup de photos et ensuite je dessine sur ma tablette ou mon tĂ©lĂ©phone. J’essaie de montrer les diffĂ©rentes cultures et atmosphĂšres que je rencontre sur les courts du monde entier, reprĂ©sentĂ©es par des couleurs. Je peux le faire quand je veux. Pendant une interruption due Ă  la pluie ou encore si mon joueur est en train de se reposer. Je fais cela plutĂŽt que regarder la tĂ©lĂ©vision. » Il a dĂ©sormais encore plus de temps pour s’adonner Ă  son autre passion. « Contrairement au tennis, il n’y a pas de rĂšgles, cela fait du bien par moments », ajoute-t-il encore. Des rĂšgles, le marchĂ© de notre monde capitaliste en a toujours, mĂȘme en sous-rĂ©gime comme ces derniers mois. En tant qu’artiste indĂ©pendant, Melle Van Gemerden risque bien de payer son style de vie au prix fort si la situation sanitaire ne s’amĂ©liore pas bientĂŽt, comme tant d’autres travailleurs qui n’ont pas la chance de voir leur salaire mensuel tomber avec la rĂ©gularitĂ© des frappes du fond du court d’une icĂŽne suĂ©doise des annĂ©es 70. D’autant que, comme de plus en plus de voix influentes dans le milieu, l’Amstellodamois exilĂ© sur la Costa del Sol n’est pas trĂšs optimiste quant Ă  un retour du circuit Ă  la normale avant le dĂ©but de la saison 2021. Son inspiration artistique, hautement dĂ©pendante de ses expĂ©riences sur les terrains de jeu des quatre coins du globe, risque Ă©galement d’en pĂątir Ă  terme.

Avec lui, Il ne nous reste qu’à espĂ©rer que la caravane du tennis mondial puisse trĂšs bientĂŽt s’ébranler Ă  nouveau. Au terme de prĂšs d’une heure d’interview Ă  bĂątons rompus, Melle Van Gemerden, fidĂšle Ă  lui-mĂȘme, n’oublie pas de nous demander comment nous allons et comment nous gĂ©rons cette crise de notre cĂŽtĂ©. On met fin Ă  l’appel avec le sentiment d’avoir fait la connaissance d’un type bien. Quelques minutes plus tard, alors qu’on se demande dĂ©jĂ  par oĂč commencer ce portrait aux multiples facettes, on est interrompu par un « ding ! » sonore. En guise d’ultime clin d’Ɠil malicieux, l’Andalou d’adoption nous informe, capture d’écran Ă  l’appui, que le scalp de Stan Wawrinka fait aussi partie de sa collection. C’était le 29 avril 2002 en qualifications du tournoi Future d’Esslingen, sur terre battue. La seiziĂšme tĂȘte de sĂ©rie nĂ©erlandaise s’était imposĂ©e en deux sets face Ă  celui qui venait Ă  peine de fĂȘter ses 17 printemps. Exactement la moitiĂ© de son Ăąge actuel et une fraction du palmarĂšs qui l’accompagne. Personne ne lui avait encore dit que ses performances, tant en Grand Chelem qu’à l’apĂ©ro en live sur les rĂ©seaux sociaux, en feraient une lĂ©gende du tennis helvĂ©tique. Bref, si avec tout cela vous n’ĂȘtes pas prĂȘts Ă  participer Ă  Questions pour un champion 2020 : spĂ©cial distanciations sociales
 

© Melle van Gemerden
© Melle van Gemerden

The Meeting of

Melle van Gemerden’s Art and Tennis

© Melle van Gemerden

Melle van Gemerden like many ex-professional tennis players has stayed in the sport. He has however separated himself from that crowd by doing something utterly unique. Alongside his status as a coach to a younger crop of Dutch players, Melle explores a world of vibrant colours – in part inspired by rebel artist David Hockney – inserting tennis courts from various angles into iconic settings with trees, hills, fields and multicolour stands, thereby ensuring a new dynamic light is brought to the art of the sport. 

These recent creations of vivacity a la Hockney, just one of his series of prints, are a welcome contribution to the worlds of both tennis and art as the two collide gloriously. Additionally, these are dreary and challenging times and he has added a refreshing splash of inspiration and made us dream of tennis set in an altogether spellbinding and strange parallel dimension. 

Art like tennis is a part of Melle’s life and has been since his formative years, in which he grew up with his parents collecting artworks from the De Stijl movement and with a fascination for the surrounding neighbourhood architecture by Berlage, owing to his mother’s love of art and design. He was also introduced as a child to a more physical domain and the world of tennis by his father. Now the two passions have once again come together in a natural but startling union, flourishing entwined in a symbiotic relationship of great beauty, acknowledging the common traits of a tennis court and the aforementioned artistic movement and architectural influences. Melle’s wife is a freelance designer and artist, ensuring there is no doubt as to creativity being a huge part of his family’s daily life. He mentions Mondrian and several others, and you can see the influence, whilst still sensing something new and fresh in his modern-made craft.

© Melle van Gemerden

Hailing from Amsterdam, where his family resided near the museum square, and now based in Marbella, van Gemerden’s promising tennis career was hampered by a back injury that led to hernia operations and eventually put his time as a professional player to bed. He had attended Grand Slams (reaching round two at Wimbledon in 2006 before injury had struck) in a playing capacity and peaked as high as 100 in the world. While he now coaches – with his transition into coaching something he attributes to his good friend Sven Groeneveld – and has a positive impact on a new generation of hopefuls, he has always had further interests than those simply within the sport. His art works are faithful to the sport, whilst introducing several other inspirations upon him, branching out as he acquires the wisdom of life, always retaining the positive and resilient notion that the best is yet to come. He enjoys coaching, stating that it is a great feeling to aid players in winning, but his craft beyond the court shows an unexpected dimension to the sport that had remained previously hidden.

Tennis is structured, has algorithms and fixed rules; art is open and provides limitless opportunity to explore. This latest Hockney-influenced series was started when the lockdown kicked in and brings a strong sense of brightening gloomy and uncertain days. Hockney’s use of an iPad to make art, as well as many other tools, was an attractive proposition to van Gemerden, for whom it clicked that he as a travelling coach could work on his own new digi-scapes in between coaching sessions, matches, and in downtime for players. It was a revelation that he could make art on the go, and anywhere at all – surely the ultimate symbol of our times. Melle uses his iPhone and draws with his finger. Each image is a diary entry in Melle’s life, a collection of digitally bottled memories that are building into a fascinating oeuvre of the Dutchman’s work.

© Melle van Gemerden

It doesn’t end there, and if a tennis court can be imagined in a different way, perhaps floating in space, through a kaleidoscope of cracked magic, as the pages of a book, blossoming and ever transforming, then Melle can do it, and his numerous different series of artworks so far attests to that.

His ‘Fractured’ series focuses on the current state of the world and echoes with familiarity, having an immediate impact on the spectator. It almost moves before the eyes, broken shards of tennis courts representing life in an endless maze of obstacles. 

Melle is an affable man who talks freely about the two passions that he is now managing so well to combine. He possesses an excitement regarding the future and his desire to have a studio space in which to truly get his artistic hands dirty making sculptures and more traditional paintings. Melle’s art is striking, full of rich and classy angles, expanding the tennis universe. His blue eyes pierce me as we discuss his work briefly, making me think he can see through me to what lies behind my own face. Those same eyes have seen and fashioned a distinctly bright world in which tennis is set in a melded half-painting and half-cartoon dreamscape, a mind-blowing modern place. Melle is passionate, motivated and everything that has come before has constructed a valiantly fashioned contemporary artist with the lessons of tennis and the accompanying hardships aiding in contributing to his expedition into the art world. 

© Melle van Gemerden

A digital painter who then sets the works using archival ink on paper at a specialist printer in nearby Málaga, Melle has amassed over one hundred pieces of his vivid art, selling some to art collectors but otherwise retaining the secret of his creative foray until now. With the ‘Ode to Hockney’ series, van Gemerden’s work makes its exclusive premiere, reaching towards the planets of tennis and art from the very pages of their collective soul. 

For now, Melle’s designs are a perfect snapshot of a time and a place, memoirs of, if you will, the tennis courts of the world in all their special glory, be they at the lower level events or the more renowned venues and stadia of tennis. The prints take him back in time to tournaments and locations, each court part of the landscape of his own personal history. You get the feeling if he captured the same court on a different day, it too would look unique again, just as the contrasting moods of a person shift as we move through life and evolve and no two days are the same for us either.

Inspired by his peers in both art and tennis, Melle drops a quote from Romanian sculptor and painter Constantin BrñncuƟi that “simplicity is complexity resolved”. It is incredibly succinct and is perhaps the perfect encapsulation of the Dutchman’s work. Do not forget, he is just getting started! While Melle hopes the future holds further opportunities to expand into his own artistic sphere, he assures me that tennis will always be a part of his life. 

© Melle van Gemerden
© Melle van Gemerden

Le fessier de Rafael Nadal

© Antoine Couvercelle

La patrie, l’honneur, la libertĂ©, il n’y a rien : l’univers tourne autour d’une paire de fesses, c’est tout…” – Jean-Paul Sartre

Dans toute l’histoire de l’art et mĂȘme de l’humanitĂ©, chaque partie du corps a Ă©tĂ© doctement Ă©tudiĂ©e et compte assurĂ©ment ses admirateurs fĂ©tichistes, mais aucune d’entre elles n’a su faire l’unanimitĂ© et inspirer comme le fessier. En effet, ce dĂ©licieux objet du dĂ©sir aux formes saillantes et Ă  la rainure profonde est dĂ©sormais ancrĂ© dans notre culture. Pourtant souvent dĂ©fini comme obscĂšne par la bien-pensance, le derriĂšre fait aujourd’hui sensation dans les principaux musĂ©es occidentaux et autres lieux historiques : il y a les cuisses abondantes de la VĂ©nus de Milo au Louvre Ă  Paris, le derriĂšre athlĂ©tique de l’Hercule FarnĂšse au Museo Nazionale de Naples, Les Trois GrĂąces de Rubens au Prado de Madrid ou encore l’imposant Rafael Nadal Ă  Roland-Garros…

Ce dernier n’est certes pas constituĂ© de bronze ou de marbre, mais il exerce une telle domination aux Internationaux de France qu’il emprunte aisĂ©ment Ă  ces statues leur caractĂšre mythique et mystique, impressionnant, permanent et inextricable. Et leur attribut callipyge. Tout comme la mystĂ©rieuse VĂ©nus d’Ille de MĂ©rimĂ©e, c’est une sorte de statue qui se dĂ©place avec une agilitĂ© dĂ©concertante. Les jambes flĂ©chies, il glisse sur les courts laissant transparaĂźtre, sous son short paraissant trop petit, un fessier Ă  la courbure et Ă  la musculature incroyablement parfaite. Un fessier Ă  l’honneur lors de shooting photo pour les plus grands crĂ©ateurs d’aujourd’hui, de Giorgio Armani Ă  Tommy Hilfiger, bien loin de sa timiditĂ© habituelle on peut le voir poser Ă  demi-nu, prenant la posture du penseur d’Auguste Rodin exposant ainsi une part de son intimitĂ©. 

Une fondation rebondie, solide et parfaite pour l’ocre

Bien que l’aspect esthĂ©tique soit indĂ©niable, il est Ă  se demander si il ne cacherait pas un aspect autrement plus technique qui relĂšverait du domaine de la physiologie. Il est effectivement fort possible que cette caractĂ©ristique soit la fondation solide et parfaite permettant une Ă©mancipation supĂ©rieure de la pratique du tennis et plus prĂ©cisĂ©ment, la pratique du tennis sur terre battue. 

La surface orange est assurĂ©ment celle qui va le plus solliciter le bas de corps et plus particuliĂšrement le muscle le plus puissant, Ă  savoir le fessier dans toutes ses composantes. ParticuliĂšrement technique, nĂ©cessitant Ă  la fois glissades et ancrage au sol, elle fera appel aux grand et moyen fessier permettant la stabilisation – ou l’équilibre – mais aussi au petit, responsable du maintien du bassin. Ils sont les piliers sur lesquels reposent bien des mouvements : le balancement gĂ©nĂ©rant de la puissance Ă  partir de nos hanches, et principalement grĂące Ă  votre grand fessier mais aussi l’accĂ©lĂ©ration dans laquelle une extension de hanche puissante est impĂ©rative Ă  la mĂ©canique du sprint. Il y a Ă©galement le saut et la frappe. Rafael Nadal maĂźtrise tous ces mouvements mieux que n’importe qui.

Si on l’on s’en rĂ©fĂšre Ă  l’infiniment riche et intemporel diagramme de « l’Homme de Vitruve » de LĂ©onard de Vinci qui a pour principale vocation de montrer Ă  travers la science et l’art, la perfection du corps humain et notamment de vĂ©hiculer l’idĂ©e que l’homme est le modĂšle gĂ©omĂ©trique idĂ©al pour l’architecture, on peut naturellement se poser la question suivante : et si la forme gĂ©omĂ©trique du derriĂšre de l’Espagnol Ă©tait le modĂšle idĂ©al Ă  la pratique du tennis sur terre battue ? Et si son fessier Ă©tait l’une des clĂ©s de son Ă©ternel succĂšs sur ocre ?

Rafael Nadal, Monte-Carlo 2021 / © Antoine Couvercelle

Gilles Simon :

touché par la grùce

 

Gilles Simon, Roland-Garros 2009 / © Ray Giubilo

Curieux et fascinant personnage que Gilles Simon… Bien qu’il soit un homme de son temps, il y a dans sa structure physique et sa façon d’ĂȘtre une force poĂ©tique, quelque chose d’absolument grand, vertigineux et intemporel que l’on ne retrouve que dans certaines Ɠuvres des arts picturaux. Sa grĂące naturelle, son teint pĂąle et dĂ©licat, ses cheveux chĂątains ayant tendance Ă  boucler, son regard profond intensifiĂ© par des yeux d’un insaisissable bleu clair tendant vers le vert, et son corps Ă  la structure et Ă  la musculature quasi-christique Ă©voquent effectivement quelques personnages mythiques reprĂ©sentĂ©s dans des Ɠuvres de la Renaissance. Fort d’une certaine finesse de corps et d’esprit, ses airs de vieil Ă©phĂšbe lui donne une fĂ©minitĂ© virile peu commune qu’on retrouve notamment de maniĂšre symptomatique dans les reprĂ©sentations androgynes de l’artiste Michel-Ange ; Ă  dĂ©faut d’ĂȘtre son amant, le Français aurait trĂšs bien pu ĂȘtre l’une de ses muses et lui servir de modĂšle.

Il est d’une incroyable beautĂ©, une Ă©trange beautĂ© qui s’affranchirait presque, surtout dans ses plus jeunes annĂ©es, des Ăąges et du genre. Une beautĂ© se rapprochant de la « perfection », oĂč du moins l’idĂ©e que s’en faisaient Michel-Ange ou LĂ©onard de Vinci. Ils la recherchaient constamment et arrivaient admirablement Ă  l’extraire dans quelques-unes de leurs Ɠuvres. Celle-ci est davantage flagrante lorsque Gilles Simon se dĂ©place sur un court de tennis et exĂ©cute certains de ses gestes. Il n’est pas un joueur dont le jeu repose sur la force ou la puissance, il est au contraire trĂšs agile et possĂšde une grĂące infinie que l’on remarque notamment dans ses dĂ©placements vifs et dĂ©licats nous donnant l’impression qu’il court sur nuage et qui nous renvoient lĂ  encore Ă  une certaine fĂ©minitĂ©, mais aussi Ă  des pĂ©riodes tennistiques bien lointaines.

Cette grĂące peu commune, on l’aperçoit Ă©galement dans son revers et ses fameux passings en bout de course, les gestes sont exĂ©cutĂ©s dans un tel relĂąchement, une telle prĂ©cision que pendant un temps trĂšs limitĂ© celui-ci semble s’allonger en mĂȘme temps que le geste, lui, se prolonge Ă  l’infini pour enfin se multiplier et atteindre une sorte d’état de grĂące d’une puretĂ© absolue. Une puretĂ© rare dans le geste que l’on peut comparer Ă  celle prĂ©sente dans les fresques ornant divinement le plafond de La Chapelle Sixtine. LĂ -bas aussi les bras se tendent continuellement, les poignets se relĂąchent pour effleurer du bout des doigts les cieux renfermant La RĂ©vĂ©lation.

Gilles Simon, Indian Wells 2013 / © Ray Giubilo Gilles SIMON (FRA) Photo Ray Giubilo

Santé, Benoßt !

Benoßt Paire, Wimbledon 2019 / © Antoine Couvercelle

Suite Ă  sa rĂ©cente tournĂ©e amĂ©ricaine, oĂč il a perdu pied psychologiquement, BenoĂźt Paire a Ă©tĂ© la victime d’un bashing Ă  rĂ©pĂ©tition. Ça suffit !

Tweets, podcasts, discussions sur zoom, commentaires ici ou lĂ , le tribunal tennistique du web s’est trouvĂ© une nouvelle tĂȘte de turc, pour ne pas dire un nouvel accusĂ© : BenoĂźt Paire, le dĂ©primĂ© de la COVID-19, dont la rĂ©cente feuille de rĂ©sultats ressemble Ă  s’y mĂ©prendre Ă  celle de l’Olympique de Marseille, son club de cƓur, en Ligue des champions. Mais plus que ses Ă©checs Ă  rĂ©pĂ©tition, c’est son dĂ©faitisme sur le court, doublĂ© de ses provocations sur les rĂ©seaux sociaux, qui a renforcĂ© l’ire de nos chers commentateurs numĂ©riques : “Il faut le suspendre”; “L’ATP doit lui infliger des amendes” ; “Son attitude est intolĂ©rable” ; “Son comportement nuit au tennis” ; “S’il n’y a pas d’envie mutuelle entre Paire et le circuit, qu’on l’éjecte” ; “Quand les jeunes voient que tu peux faire ça en toute impunitĂ©, ça me pose problĂšme”. “Il tombe dans l’indĂ©cence, il donne une mauvaise image du tennis” ; “Ce qui n’est pas normal, c’est de ne pas se battre.” Et patati et patata
 Pour les redresseurs de torts, qui l’ont en travers visiblement, c’est la rĂ©galade. Tirer sur une ambulance, quelle Ă©lĂ©gance
 Pour le sens de la nuance, on repassera. Bref


Assister ainsi Ă  la noyade d’un joueur, parce qu’il n’arrive pas Ă  gĂ©rer les contraintes liĂ©es Ă  la situation sanitaire, est surtout trĂšs triste. Pour BenoĂźt Paire, le dĂ©but de cette descente en enfer remonte au dernier US Open oĂč un contrĂŽle positif Ă  la COVID-19 l’a contraint Ă  un isolement de 15 jours dans sa chambre d’hĂŽtel. Une cassure dont il ne s’est jamais remis. Et parce qu’un malheur n’arrive jamais seul, en partance pour l’Open d’Australie, il s’est retrouvĂ© dans l’un des trois avions oĂč un cas positif a Ă©tĂ© identifiĂ©, entraĂźnant la mise en quarantaine stricte de tous les passagers Ă  l’arrivĂ©e. Nouvel enfermement. Et le sentiment de s’ĂȘtre fait mener en bateau par les organisateurs du tournoi.

Le moral dans les chaussettes mais avec l’espoir de respirer un peu mieux, BenoĂźt a ensuite pris la direction de l’AmĂ©rique. Du Sud pour commencer (Cordoba, Buenos Aires, Santiago),  Centrale ensuite (Acapulco), et du Nord pour finir (Miami). Cinq tournois, une seule victoire au compteur, et surtout des fins de match balancĂ©es, des prises de bec avec l’arbitre, des jurons, un crachat sur une marque, un air parfois hagard ou absent lors des changements de cĂŽtĂ©, et des bras levĂ©s comme s’il avait gagnĂ©, aprĂšs l’ultime dĂ©faite de cette tournĂ©e, comprenez, “ça y est, je suis libĂ©rĂ©â€. 

On avait surtout ici l’image d’un type malheureux, qui a tentĂ© de faire son boulot, certes mal – mais Ă  qui n’est-ce pas arrivĂ© ? – et, parce qu’il est quelqu’un de plutĂŽt sensible, il n’a pas supportĂ© les critiques des donneurs de leçons. D’oĂč, en rĂ©ponse, quelques provocations digitales comme le rappel du prize money global de sa carriĂšre – 8 554 816 dollars Ă  ce jour – avec ce commentaire : “Finalement, ça vaut le coup d’ĂȘtre nul.” 

Non mais franchement, qu’on lui foute la paix, Ă  Benoit Paire ! Un joueur de tennis mĂšne sa carriĂšre comme il l’entend et ne doit Ă  rien Ă  personne. Il ne s’est jamais vraiment entraĂźnĂ© ? Et alors ? C’est ainsi qu’il a atteint le 18e rang mondial et gagnĂ© trois tournois ATP. Son hygiĂšne de vie est contestable ? Qu’est-ce que ça peut faire si sa constitution le lui permet. Il pĂšte les plombs Ă  la premiĂšre contrariĂ©tĂ© et balance des “la chaaaaatte qu’il a
” À qui n’est-ce jamais arrivĂ© de s’énerver sur un court, de mal se comporter ? Il y a finalement du BenoĂźt Paire en chaque joueur de tennis amateur. BenoĂźt, c’est un joueur de club ultra-douĂ©, Ă©garĂ© sur le circuit ATP. Et puis, surtout, lorsqu’il joue, il y a de la joie, des frustrations (ah, ce satanĂ© coup droit), des cris, des coups de tennis qui ne sont pas dans le manuel, des cagades aussi, bref, des Ă©motions, de la vie ! Mais si vous prĂ©fĂ©rez suivre un Roberto Bautista Agut – Kevin Anderson, libre Ă  vous. S’il faut bannir l’uniformitĂ© dans le jeu, rĂ©jouissons-nous aussi d’avoir encore sur le circuit quelques personnalitĂ©s qui marchent parfois en dehors des clous. 

Ce qui fait le carburant de Paire, c’est aussi le public. Cette Ăąme sensible aime Ă©pater la galerie et recevoir de l’amour. Dans le monde d’aujourd’hui, les tribunes sont vides, tout comme les players lounges. Alors oui, il ne se sent plus Ă  sa place. Mais il ne l’a pas volĂ©e. Si Paire peut disputer ces tournois, c’est grĂące Ă  son classement, consĂ©quence de bons rĂ©sultats passĂ©s. Les dollars qu’il a remportĂ©s cette annĂ©e (150 000 Ă  ce jour), il ne les a donc pas volĂ©s. D’oĂč quelques jalousies, notamment parce que Benoit a bĂ©nĂ©ficiĂ© du gel du classement ATP pour cause de pandĂ©mie, ce qui lui a permis de se maintenir dans le top 30 malgrĂ© son absence de performances probantes. LĂ  encore, il n’est pas responsable d’une dĂ©cision qui a profitĂ© Ă  tous les joueurs. Mais que ses dĂ©tracteurs chĂ©ris se rassurent, si Benoit ne se reprend pas, son classement finira par chuter avec les consĂ©quences que l’on sait, le dĂ©gel dĂ©finitif du classement masculin devant intervenir cet Ă©tĂ©, Ă  priori. Paire est actuellement 160e Ă  la Race. On devrait le revoir Ă  Monte-Carlo, Ă  partir du 10 avril. 

La seule fois oĂč l’on peut considĂ©rer que Paire est sorti du cadre, c’était lors des JO de Rio. En Ă©quipe de France, il ne joue plus seulement pour lui, Ă©videmment, il a des devoirs. Mais de cette sortie de route, il a appris. Et lors de son passage en Coupe Davis, bien entourĂ© par Yannick Noah et ses potes, il fut absolument exemplaire. En dehors comme sur le court. Preuve qu’il sait Ă©voluer. Et aussi s’excuser comme il l’a fait rĂ©cemment auprĂšs du comitĂ© d’éthique de la FFT, qui s’était Ă©mu de son comportement Ă  Buenos Aires. Un comitĂ© dans son rĂŽle, mais Ă©galement comprĂ©hensif, puisque le joueur français n’a pas Ă©tĂ© sanctionnĂ©. La FFT plus souple et ouverte que nos petits procureurs on line, ça aussi, ça mĂ©rite d’ĂȘtre soulignĂ© ! Allez, Ă  la tienne, Benoit !

Stefan

le gentleman chic

Par Louis Castellani

Traduit par Christophe Thoreau

© D.R

Calme, contrĂŽlĂ©, mesurĂ©. Cheveux blonds, yeux bleus, bronzage permanent. Sympathique, discret, courtois. Un SuĂ©dois sans prĂ©tention, au charme tranquille et Ă  la parfaite maitrise de l’anglais. Et une fidĂ©litĂ© de toujours Ă  Adidas et Wilson -encore aujourd’hui –  l’exemple de la relation parfaite dont rĂȘvent toutes les marques. Le parfait contraire de son meilleur ennemi, Boris Becker. Stefan Edberg ou le “gentleman player”, chouchou des jeunes femmes aux grands-mĂšres.

Mais au-delĂ  du caractĂšre ou de l’apparence, Edberg Ă©tait surtout et avant tout un joueur portĂ©e vers l’attaque, la vraie. Fut-il SuĂ©dois, il n’a pas suivi les traces de ses compatriotes Björn Borg et Mats Wilander, champions de la guerre d’usure en fond de court, rois-es dĂ©fense, cadors de la contre-attaque. Non, Edberg Ă©tait le prince du tennis offensif. Un maestro du service-volĂ©e. Un gĂ©nie de la filiĂšre courte dont la premiĂšre pierre Ă©tait ce grand service “kickĂ©â€ qui lui donnait Ă  la fois du temps pour se ruer au filet, et bien souvent, des retours exploitables pour distiller, souvent de maniĂšre chirurgicale, sa premiĂšre volĂ©e. 

Et puis il y avait aussi ce revers Ă  une main, modĂšle d’élĂ©gance et de fluiditĂ© avec lequel il pouvait maitriser son adversaire, soit en slice, soit en le recouvrant. Affronter Edberg, c’était Ă  peu de chose prĂȘt la mĂȘme chose -ou le mĂȘme calvaire- qu’affronter John McEnroe. Aucune violence mais un supplice quand mĂȘme, lĂ©tale.   

À certains Ă©gards, Edberg n’était pas si gentleman que ça. Il  en a “tuĂ©â€ des adversaires ce SuĂ©dois vif comme l’éclair au filet, les mettant sans cesse hors de position, donnant l’impression qu’ils Ă©taient lents et vulnĂ©rables. 

Sa fameuse cĂ©lĂ©bration -le poing serrĂ© Ă  hauteur du genou-, Ă©tait une claque au visage du type se trouvant de l’autre cĂŽtĂ© du filet. Il ne le faisait pas par provocation -la spontanĂ©itĂ©, ça se ne commande pas !- mais ça pouvait ĂȘtre pris comme tel.

Edberg, 41 titres en simple dont six du Grand Chelem et quatre victoires en Coupe Davis avec la SuÚde. Et, évidemment, une place de numéro un mondial. En simple, tout au long de sa carriÚre, il a remporté les trois quart de ses matches (801 victoires, 270 défaites), un ratio trÚs élevé. 

Vingt ans aprĂšs le dĂ©but de sa retraite tranquille en SuĂšde, Edberg s’est mis au squash, et devinez quoi, il est devenu un trĂšs bon. Et puis 2014, un autre gentleman player, dans une intuition gĂ©niale, a appelĂ© Ă  ses cĂŽtĂ© notre gentleman suĂ©dois. Vous l’avez compris, Roger Federer a demandĂ© Ă  Edberg de venir l’épauler afin de dĂ©velopper un jeu plus agressif, de raccourcir les points, alors que Roger entrait dans sa trentaine. 

Vous voulez passer vingt minutes d’exception sur YouTube ? Alors retrouvez la sĂ©quence oĂč on les voit taper ensemble, Wilson en main, sur un court d’entraĂźnement d’Indian Wells. C’est la quintessence du «tennis chic». Le rythme avec lequel ils frappent le balle, de façon mĂ©tronomique, est fascinante. Et rappelez-vous, Federer s’entraĂźne alors avec son idole devenu donc son entraĂźneur. Nul doute que le Suisse exauçait-lĂ  l’un de ses rĂȘves de gosse. 

© D.R

C’est lors de leur collaboration que Federer a apportĂ© quelques modifications Ă  son jeu dont l’une des plus spectaculaires fut le “SABR” (Sneaky Attack By Roger, autrement dit Sournoise Attaque par Roger), lorsqu’il avance soudainement vers la ligne de service pour prendre la balle en demi-volĂ©e et se ruer au filet. D’autres l’ont copiĂ© depuis, mais jamais avec le mĂȘme panache ou la mĂȘme efficacitĂ©. 

C’est aussi lors de leur collaboration que Federer a changĂ© de raquette. Les deux hommes ont appris leur mĂ©tier avec des Wilson Pro Staff Ă  petit tamis (les 85 et 90 soient 215 cm2 et 228 cm2) et partageait un mĂȘme avis : la terre battue, oĂč le rebond est plus haut, Ă©tait la surface la plus compliquĂ©e pour eux (Edberg, comme Sampras qui a utilisĂ© la mĂȘme raquette, n’a jamais gagnĂ© Roland Garros ). 

Sous la direction d’Edberg, Federer a donc aidĂ© Wilson Ă  dĂ©velopper une Pro Staff plus moderne avec un tamis Ă©largi (626 cm2). Le passage de Federer Ă  ce nouveau modĂšle -popularisĂ© sous le nom de Wilson Pro Staff RF97 Autograph- a fait vibrer le monde du tennis. Disons-le : cette Pro Staff revisitĂ©e fait dĂ©jĂ  partie des raquettes emblĂ©matiques. 

L’influence du discret suĂ©dois sur le jeu de Federer fut donc une Ă©vidence : Federer s’est mis Ă  pratiquer un tennis plus direct, plus agressif, on pourrait mĂȘme dire rajeuni d’une certaine façon, avec un revers au rendement nettement amĂ©liorĂ©.

La collaboration entre Edberg et Federer a pris fin de maniĂšre Ă©lĂ©gante en 2015. AprĂšs avoir accompli ce qu’il avait en tĂȘte, le SuĂ©dois est retournĂ© lĂ  oĂč il se sent le mieux, Ă  l’abri des regards. Stefan, les camĂ©ras et le grand orchestre du circuit, trĂšs peu pour lui. Une apparition ici ou lĂ , de temps Ă  autre, suffit Ă  son bonheur. C’est la “Edberg touch”

Quelle trace a laissĂ© Edberg dans l’histoire de ce sport ? Il y aurait beaucoup Ă  dire mais on peut peut-ĂȘtre rĂ©sumer l’affaire en mettant deux Ă©lĂ©ments en Ă©vidence, qui, d’ailleurs, ne s’appliquent pas qu’au tennis. 

Le premier : laissez vos qualitĂ©s et votre talent parler Ă  votre place. Dans l’ùre Open, Edberg, avec Steffi Graf cĂŽtĂ© fĂ©minin, ont Ă©tĂ© les deux plus beaux exemples Ă  suivre ce prĂ©cepte. 

Le deuxiĂšme : les mecs sympas ne finissent pas forcĂ©ment Ă  la derniĂšre place. Allez, mĂ©ditez un peu cette phrase, et pensez Ă  sa signification profonde. N’est-ce pas l’hĂ©ritage que nous devrions tous aspirer Ă  laisser derriĂšre nous ? 

Banana story

Par Bogusz Topolnicki

Pour Court73

Traduit et adapté par Christophe Thoreau

© court73.substack.com / Bogusz Topolnicki.

Ce fruit, moelleux et sucré, est devenu un acteur clef sur le circuit. Histoires.

L’homme traverse la plantation. Il avance lentement mais avec dĂ©termination. Sous son bob couleur olive, on devine des yeux plissĂ©s. Ses vĂȘtements sont modestes. Un pantalon marron et un tee-shirt gris anthracite Ă  manches longues couvrent ses bras bronzĂ©s. Une tenue de travailleur. En dessous de la manche gauche, on aperçoit une longue cicatrice dans la paume de sa main. Il tient une machette. On croirait un personnage de la sĂ©rie Narcos. Mais il n’est pas lĂ  pour faire l’acteur.

L’homme s’arrĂȘte devant une grande plante verte, de deux fois sa taille. Des rĂ©gimes de bananes recouvrent le tronc. L’homme soulĂšve la machette et, d’un mouvement rapide et maĂźtrisĂ©, coupe une grappe. Il la dĂ©pose ensuite sur un tapis roulant. Les bananes commencent alors leur long voyage. Premier arrĂȘt : un entrepĂŽt au sommet d’une petite colline oĂč elle seront sĂ©parĂ©es puis lavĂ©es. DeuxiĂšme Ă©tape : le transport par camion frigo puis par cargo Ă  une tempĂ©rature de 13,5°, Ă  fond de cale afin qu’elles ne murissent pas trop vite. Une fois arrivĂ©es Ă  destination, les bananes seront envoyĂ©es dans un centre de maturation avant leur distribution. Sur les 4,35 millions de tonnes de bananes importĂ©es par les AmĂ©ricains chaque annĂ©e
 presque 66 000 terminent leur voyage sur les courts de l’US Open.

L’histoire d’amour entre le tennis et la banane remonte aux annĂ©es 1960. C’est l’Australien Ken Rosewall qui lance la mode. Le champion de Sydney est capable d’en engloutir un lot entier au changement de cĂŽtĂ©. Vingt ans plus tard, Boris Becker fait Ă©galement beaucoup pour la popularitĂ© de ce fruit cintrĂ©. Le jeune Allemand, en pleine ascension, en consomme avec une rĂ©gularitĂ© impressionnante.

Mansour Bahrami entouré d'Henri Leconte, Gene Mayer et Paul McNamee à Roland-Garros / © Art Seitz

Septembre 1982. Martina NavrĂĄtilovĂĄ s’incline en quarts de finale de l’US Open contre Pam Schriver. Une dĂ©faite inattendue et choc. L’AmĂ©ricaine, qui avait pourtant empochĂ© la premiĂšre manche 6/1, enregistre simplement sa deuxiĂšme dĂ©faite en 70 matchs.  “Je ne suis pas amĂšre, je suis trĂšs déçue”, explique-t-elle ensuite. Mais surtout, en perfectionniste maladive, elle veut dĂ©goter le petit plus qui lui permettra d’atteindre totalement son potentiel (dont elle n’était pourtant pas si loin).

Sur la recommandation d’un ami, elle contacte le docteur Robert Haas, un nutritionniste spĂ©cialisĂ© dans le sport. Haas, du genre radical, lui conseille de ne plus manger que deux aliments, pas trĂšs folichons si on ne se nourrit que de cela : des pĂątes natures et des bananes. ”AprĂšs deux jours de ce rĂ©gime, j’ai cru que j’allais mourir”, se souvient-elle. Mais elle tient le choc. NavrĂĄtilovĂĄ a remportĂ© 102 de ses 104 matchs suivants.

De nos jours, l’image des joueurs de tennis mordant dans une banane est d’une banalitĂ© folle. Il faut dire que d’une certaine maniĂšre, c’est le fruit parfait. Une banane ordinaire contient 111 calories de saccharose, de glucose, de fructose et une forte concentration de potassium, le tout dans une grosse centaine de grammes d’une chair agrĂ©able Ă  mĂącher et facile Ă  digĂ©rer. Avaler une banane n’alourdit pas et fournit un regain d’Ă©nergie presque instantanĂ©. C’est important, lorsqu’on est censĂ© servir Ă  plus de 200 km/h, quelques secondes aprĂšs s’en ĂȘtre mis quelques bouchĂ©es dans le gosier.

Pourtant, tous les joueurs n’en sont pas fans. Dans sa biographie, parue en 2008, Andy Murray explique qu’il considĂšre la banane comme “un fruit pathĂ©tique”. Un point de vue inattendu et original. Mais cela n’empĂȘche pas le Britannique d’en consommer, comme lors de son marathon victorieux contre Roger Federer Ă  l’Open d’Australie 2013. L’Ecossais prĂ©cise ne pas en aimer le goĂ»t mais la “trouve utile en raison de ce qu’elle contient.” Pas si pathĂ©tique, finalement. 

La banane est parfois un fruit dĂ©routant. Demandez donc Ă  Denis Shapovalov et Alex De Minaur. Tous deux ont Ă©tĂ© filmĂ©s en train de lutter pour en Ă©plucher une, le Canadien, furax devant tant de rĂ©sistance, allant mĂȘme jusqu’Ă  la jeter au sol. Eh oui, parfois, la banane se mĂ©rite.

Lors du dernier tour de qualification de l’Open d’Australie 2020, Elliot Benchetrit s’est lui retrouvĂ© au cƓur d’une embrouille avec l’arbitre Ă  cause du long fruit jaune. La raison du diffĂ©rend ? Benchetrit avait simplement demandĂ© Ă  une ramasseuse de balles de lui ouvrir sa banane parce qu’il avait de la magnĂ©sie sur les mains. “En plus, ici, elles sont difficiles Ă  ouvrir car il n’y a pas la queue, a expliquĂ© l’intĂ©ressĂ© aprĂšs sa dĂ©faite au premier tour dans le grand tableau. C’est l’arbitre qui s’est enflammĂ© tout seul et m’a dit qu’elle n’était pas mon esclave alors que ça ne lui posait pas de problĂšme. Elle m’en avait mĂȘme ouverte une au dĂ©but du match.” L’échange entre les trois protagonistes, filmĂ©, mais partagĂ© sur les rĂ©seaux sociaux sans le son, a entrainĂ© un buzz ridicule et injuste.

En remontant dans le temps, on trouve d’autres embrouillaminis liĂ©s Ă  la banane. Le plus emblĂ©matique est peut-ĂȘtre celui qui a mis aux prises FĂ©lix Mantilla et Thomas Muster lors des Internationaux d’Italie 1998. Lors d’un changement de cĂŽtĂ©, Muster court jusqu’Ă  son adversaire pour lui chiper sa banane et surtout la manger ! AprĂšs le match, Mantilla, dĂ©fait, a refusĂ© de serrer la main de son voleur.

Lors de l’US Open 2006, le pĂšre de Maria Sharapova brandit en deux occasions une banane Ă  sa fille pour lui rappeler de continuer Ă  s’alimenter. InterrogĂ©e sur cet Ă©pisode, qui aurait pu s’apparenter Ă  du coaching, Sharapova (victorieuse de Justine HĂ©nin en finale) n’a pas apprĂ©ciĂ©. “Ma vie ne se rĂ©sume pas Ă  une banane. Je suis assise ici en tant que championne de l’US Open, et le dernier sujet qui doit intĂ©resser les gens est cette histoire.” 

ExportĂ©e aux Etats-Unis Ă  partir de 1876, la banane a conquis les cƓurs et les estomacs. Le sport – le tennis en particulier – demeure le domaine qui a le plus influencĂ© son existence. On peut dire de la banane qu’elle a Ă©tĂ© le tĂ©moin – et en partie le carburant – de grandes victoires et de quelques dĂ©faites Ă©galement. Aussi dĂ©licieuse et calorique soit-elle, la banane ne peut pas tout faire toute seule ! 

The Banana Saga

 

 

L’article original, en anglais, est disponible sur court73.subtrack.com.

Chris Evert

une lĂ©gende d’influence

Par Ros Satar

Traduit par Christophe Thoreau

© Art Seitz

Quelles joueuses, aujourd’hui, peuvent lĂ©gitimement s’inscrire dans les traces de Chris Evert, qui symbolisait Ă  la fois Ă©lĂ©gance, grĂące et une dĂ©termination de fer ? Soyons honnĂȘtes, une poignĂ©e seulement. 

Parlons sport pour commencer. Le palmarĂšs de l’AmĂ©ricaine parle de lui-mĂȘme: 18 titres en simple en Grand Chelem, trois en double, et une place de numĂ©ro un mondiale en fin d’annĂ©e de 1975 Ă  1978 avant 1980 et 1981. Evert fut aussi, avec Martina Navratilova, l’une des hĂ©roĂŻnes de la rivalitĂ© les plus durable, sinon la plus emblĂ©matique de l’histoire du jeu. 

La petite Chris a commencĂ© le tennis trĂšs tĂŽt et a rapidement montrĂ© des dispositions exceptionnelles. A tel point qu’elle signe ses dĂ©buts en Grand Chelem Ă  16 ans, Ă  l’US Open 1971. La jeune Evert Ă©tait alors sur une incroyable sĂ©rie de 46 victoires consĂ©cutives, Ă  la fois en juniors et en « pro », lorsqu’elle s’incline finalement contre Billie-Jean King en demi-finales.

Ce ne fut donc pas une surprise de la voir, deux ans plus tard, se hisser en finale Ă  Roland Garros et Wimbledon. Tout comme il fut dans la logique des choses qu’elle s’y impose dĂšs l’annĂ©e suivante. Evert fut Ă©galement la premiĂšre numĂ©ro un mondiale du classement informatisĂ©e de la WTA, le 3 novembre 1975. 

Conseil d’ami : ne commencer pas Ă  Ă©numĂ©rer les exploits ou les records de l’AmĂ©ricaine, c’est la migraine assurĂ©e. Allez, trois chiffres parmi des dizaines d’autres tout de mĂȘme. Evert a atteint -au minimum- les demi-finales de 148 des 149 tournois du Grand Chelem qu’elle a disputĂ©s en seize ans de carriĂšre. Unique ! Et que dire des 125 matches de suite sans dĂ©faite sur terre battue, une performance enregistrĂ©e entre aoĂ»t 1973 et mai 1979. Evert, c’était Ă©galement sept titres Ă  Roland-Garros. Un total que seul Rafael Nadal rĂ©ussira Ă  battre, en 2013.

Mais il est en revanche impossible de passer Ă  cĂŽtĂ© de sa rivalitĂ© avec Martina Navratilova. Au milieu des annĂ©es 70, Ă©poque oĂč elle dominait le tennis fĂ©minin de la tĂȘte et des Ă©paules, Evert avait clairement le dessus sur sa meilleure ennemie, remportant 23 de leurs 30 premiers affrontements. Mais au fil des annĂ©es 1980, Navratilova a perfectionnĂ© son jeu, vers l’avant notamment, s’est endurcie physiquement, Ă  une Ă©poque oĂč, Ă©galement, le rendement des raquettes commençait Ă  s’amĂ©liorer. Et au terme de leurs
 80 duels, c’est Navratilova qui a terminĂ© avec l’avantage dans ce tĂȘte-Ă -tĂȘte de reines : 43-37. Et 10-4 si on tient compte des seules finales du Grand Chelem.

© Ray Giubilo

Une « terrienne » au sang froid unique

Evert a Ă©tĂ© la joueuse de fond de court de son temps, avec une longueur de balles et un choix des zones sans pareil. Son style dĂ©fensif, son impeccable jeu de jambes et sa capacitĂ© Ă  commettre un minimum de fautes directes lui ont permis d’exercer un joug sans pareil sur son Ă©poque. Son calme et sa formidable capacitĂ© de concentration lui ont valu le surnom par les anglo-saxons de « Ice Maiden » (la dame de glace).

Et maintenant ? Cette mĂšre de trois garçons, dont les commentaires Ă  la tĂ©lĂ©vision sont rĂ©guliĂšrement saluĂ©s, aime, par petite touche -et avec Ă©lĂ©gance forcĂ©ment- apporter aux championnes d’aujourd’hui son regard forcĂ©ment avisĂ©e sur leur carriĂšre. Comme lorsqu’elle prend en 2006 l’initiative d’écrire une lettre ouverte Ă  Serena Williams l’invitant a bien prendre conscience de « sa place dans l’histoire de ce sport ». TĂ©moin, Ă©galement, sa rĂ©vĂ©rence devant une Naomi Osaka toute juste sacrĂ©e Ă  l’US Open dans des conditions rocambolesques, ou encore son tweet Ă  l’attention d’une Donna Vekic dĂ©semparĂ©e aprĂšs une dĂ©faite en finale Ă  Nottingham en juin dernier. Mais l’AmĂ©ricaine, qui fut une active prĂ©sidente l’association des joueuses au sein de la WTA (de 1975 Ă  1976 puis de 1983 Ă  1991) avait dĂ©jĂ  montrĂ©, en plein coeur de sa carriĂšre, son intĂ©rĂȘt pour les autres.  

Avec le temps, Evert est donc devenue une main chaleureuse sur l’épaule de celles qui rĂȘvent de lendemain qui chantent. A la fois pour celles qui n’ont plus qu’une marche ou deux Ă  franchir pour assoir encore plus leur grandeur. Comme pour celles qui commencent tout juste Ă  collectionner les titres Grand Chelem. Ou enfin comme celles qui, plus simplement, commencent Ă  s’affirmer sur le circuit. Evert, l’icĂŽne qui fait l’unanimitĂ©.

Stefan

The Classy Gentleman

© Ray Giubilo

Calm, controlled, measured. Blond hair, blue eyes, permanently bronzed skin. Likeable, understated, courteous. An unassuming Swede with a quiet charm and perfect English. Always with Adidas and Wilson even today-a sponsor’s dream. The perfect foil to his nemesis Boris Becker. Mothers and grandmothers loved him. A “gentleman player.”

But underneath all that was in fact a tennis player of quite remarkable tactical aggression. He didn’t play tennis by trying to win a baseline war of attrition like other Swedish players such as Björn Borg and Mats Wilander, the defensive kings, the counter-punchers. 

No, Edberg was the prince of offensive tennis. A serve and volley maestro. A fast-court fast finisher. That huge kicking serve of his devised purposefully to draw a short or high return from his opponent so that he could spring into action with a first, surgical volley. And then there was that single-handed backhand. It was a thing of such fluid beauty, with which he could either goad an opponent with slice or laser the ball with topspin. Playing Edberg was much like playing John McEnroe: death by one thousand cuts. No vulgar hammer blows but the opponent covered in his own blood. 

In some ways, he was therefore not a gentleman player at all. Edberg killed off opponents with quick points, making adversaries look slow, out of position and vulnerable. That knee-bent, clenched-fist celebration he broke into was a smack in the face to the guy on the other side of the net. It wasn’t intended to be of course, but it was. We saw it many times on his way to a track-record that includes 41 singles titles with 6 Grand Slams and 4 Davis Cup wins for Sweden. He was World Number 1. In total he won 3 of every 4 singles matches he played. 

Then fast forward twenty years from his quiet retirement in Sweden where he became a seriously good squash player. In 2014, in what was yet another stroke of genius by the other “gentleman player” Roger Federer, Edberg’s services were called on to help him develop a more aggressive game with shorter points as Roger entered his thirties. Watching them hit together, swinging their Wilsons on the practice courts of Indian Wells, is the best twenty minutes you’ll ever spend on YouTube. It is the epitome of “classy tennis”. The rhythm with which they hit the ball together is mesmerizing and metronomic. And remember, Federer is practicing with his boyhood idol who had become his coach-the stuff of Roger’s childhood dreams no doubt.

It was in their time together that Federer made some changes to his game. He introduced us to the “SABR”, the “Sneak Attack By Roger” when he suddenly advances to the service line for a snatched return of his opponent’s serve. It was an all-new tennis stroke. Others have since copied it but never with the same panache or effectiveness.

© D.R

More significantly though, it was also in their time together that Federer switched to playing with a new racket. Both men had learned their craft using Wilson Pro Staff rackets with small 85 and 90 square inch head sizes, and both men had found high-bouncing clay courts the most challenging surface (Edberg, like Sampras who used the same racket, never won Roland Garros). Under Edberg’s stewardship, however, Roger helped develop Wilson’s Pro Staff lineage by specifying a more modern 97 square inch head size for his new signature racket. His switch to what became known as the Wilson Pro Staff RF97 Autograph had the tennis world chattering and it is already in the bracket of iconic tennis rackets. The quiet Swede’s hidden influence was visible for us all to see as Roger was then able to ramp up his own brand of aggressive tennis, rejuvenated and with an improved, even more reliable backhand for good measure.

When the Edberg/Federer coaching relationship came to an elegant end in 2015, having accomplished what he set out to do, the Swede returned to the place where he seems most comfortable, out of plain sight. No cameras, no fanfare, just the occasional appearance here and there. How very “Edberg” of him.

So what’s his legacy? There is a lot to say about that but perhaps it can be distilled into two very important codes which don’t just apply to tennis.

First, let your skills and talent do the talking, not your mouth. In open era tennis, Edberg, with Steffi Graf from the women’s game, are best-in-class examples of players who followed that code.

Second, nice guys don’t always finish last. If you unpack that sentence and think about what it really means, it’s the legacy we should all aspire to leave behind.