Banana story
Pour Court73
Traduit et adapté par Christophe Thoreau
Ce fruit, moelleux et sucré, est devenu un acteur clef sur le circuit. Histoires.
L’homme traverse la plantation. Il avance lentement mais avec détermination. Sous son bob couleur olive, on devine des yeux plissés. Ses vêtements sont modestes. Un pantalon marron et un tee-shirt gris anthracite à manches longues couvrent ses bras bronzés. Une tenue de travailleur. En dessous de la manche gauche, on aperçoit une longue cicatrice dans la paume de sa main. Il tient une machette. On croirait un personnage de la série Narcos. Mais il n’est pas là pour faire l’acteur.
L’homme s’arrête devant une grande plante verte, de deux fois sa taille. Des régimes de bananes recouvrent le tronc. L’homme soulève la machette et, d’un mouvement rapide et maîtrisé, coupe une grappe. Il la dépose ensuite sur un tapis roulant. Les bananes commencent alors leur long voyage. Premier arrêt : un entrepôt au sommet d’une petite colline où elle seront séparées puis lavées. Deuxième étape : le transport par camion frigo puis par cargo à une température de 13,5°, à fond de cale afin qu’elles ne murissent pas trop vite. Une fois arrivées à destination, les bananes seront envoyées dans un centre de maturation avant leur distribution. Sur les 4,35 millions de tonnes de bananes importées par les Américains chaque année… presque 66 000 terminent leur voyage sur les courts de l’US Open.
L’histoire d’amour entre le tennis et la banane remonte aux années 1960. C’est l’Australien Ken Rosewall qui lance la mode. Le champion de Sydney est capable d’en engloutir un lot entier au changement de côté. Vingt ans plus tard, Boris Becker fait également beaucoup pour la popularité de ce fruit cintré. Le jeune Allemand, en pleine ascension, en consomme avec une régularité impressionnante.
Septembre 1982. Martina Navrátilová s’incline en quarts de finale de l’US Open contre Pam Schriver. Une défaite inattendue et choc. L’Américaine, qui avait pourtant empoché la première manche 6/1, enregistre simplement sa deuxième défaite en 70 matchs. “Je ne suis pas amère, je suis très déçue”, explique-t-elle ensuite. Mais surtout, en perfectionniste maladive, elle veut dégoter le petit plus qui lui permettra d’atteindre totalement son potentiel (dont elle n’était pourtant pas si loin).
Sur la recommandation d’un ami, elle contacte le docteur Robert Haas, un nutritionniste spécialisé dans le sport. Haas, du genre radical, lui conseille de ne plus manger que deux aliments, pas très folichons si on ne se nourrit que de cela : des pâtes natures et des bananes. ”Après deux jours de ce régime, j’ai cru que j’allais mourir”, se souvient-elle. Mais elle tient le choc. Navrátilová a remporté 102 de ses 104 matchs suivants.
De nos jours, l’image des joueurs de tennis mordant dans une banane est d’une banalité folle. Il faut dire que d’une certaine manière, c’est le fruit parfait. Une banane ordinaire contient 111 calories de saccharose, de glucose, de fructose et une forte concentration de potassium, le tout dans une grosse centaine de grammes d’une chair agréable à mâcher et facile à digérer. Avaler une banane n’alourdit pas et fournit un regain d’énergie presque instantané. C’est important, lorsqu’on est censé servir à plus de 200 km/h, quelques secondes après s’en être mis quelques bouchées dans le gosier.
Pourtant, tous les joueurs n’en sont pas fans. Dans sa biographie, parue en 2008, Andy Murray explique qu’il considère la banane comme “un fruit pathétique”. Un point de vue inattendu et original. Mais cela n’empêche pas le Britannique d’en consommer, comme lors de son marathon victorieux contre Roger Federer à l’Open d’Australie 2013. L’Ecossais précise ne pas en aimer le goût mais la “trouve utile en raison de ce qu’elle contient.” Pas si pathétique, finalement.
La banane est parfois un fruit déroutant. Demandez donc à Denis Shapovalov et Alex De Minaur. Tous deux ont été filmés en train de lutter pour en éplucher une, le Canadien, furax devant tant de résistance, allant même jusqu’à la jeter au sol. Eh oui, parfois, la banane se mérite.
This win is bananas, B-A-N-A-N-A-S!#AusOpen @denis_shapo pic.twitter.com/pW3hPnzkmp
— #AusOpen (@AustralianOpen) January 15, 2018
Lors du dernier tour de qualification de l’Open d’Australie 2020, Elliot Benchetrit s’est lui retrouvé au cœur d’une embrouille avec l’arbitre à cause du long fruit jaune. La raison du différend ? Benchetrit avait simplement demandé à une ramasseuse de balles de lui ouvrir sa banane parce qu’il avait de la magnésie sur les mains. “En plus, ici, elles sont difficiles à ouvrir car il n’y a pas la queue, a expliqué l’intéressé après sa défaite au premier tour dans le grand tableau. C’est l’arbitre qui s’est enflammé tout seul et m’a dit qu’elle n’était pas mon esclave alors que ça ne lui posait pas de problème. Elle m’en avait même ouverte une au début du match.” L’échange entre les trois protagonistes, filmé, mais partagé sur les réseaux sociaux sans le son, a entrainé un buzz ridicule et injuste.
En remontant dans le temps, on trouve d’autres embrouillaminis liés à la banane. Le plus emblématique est peut-être celui qui a mis aux prises Félix Mantilla et Thomas Muster lors des Internationaux d’Italie 1998. Lors d’un changement de côté, Muster court jusqu’à son adversaire pour lui chiper sa banane et surtout la manger ! Après le match, Mantilla, défait, a refusé de serrer la main de son voleur.
Lors de l’US Open 2006, le père de Maria Sharapova brandit en deux occasions une banane à sa fille pour lui rappeler de continuer à s’alimenter. Interrogée sur cet épisode, qui aurait pu s’apparenter à du coaching, Sharapova (victorieuse de Justine Hénin en finale) n’a pas apprécié. “Ma vie ne se résume pas à une banane. Je suis assise ici en tant que championne de l’US Open, et le dernier sujet qui doit intéresser les gens est cette histoire.”
Exportée aux Etats-Unis à partir de 1876, la banane a conquis les cœurs et les estomacs. Le sport – le tennis en particulier – demeure le domaine qui a le plus influencé son existence. On peut dire de la banane qu’elle a été le témoin – et en partie le carburant – de grandes victoires et de quelques défaites également. Aussi délicieuse et calorique soit-elle, la banane ne peut pas tout faire toute seule !