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Sparring-partner

© Dmitry Djouce, via Flickr : flic.kr/p/uKuXKA / CC BY 2.0 : creativecommons.org/licenses/by/2.0/

CHAPITRE VIII – L’âme russe

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As
Chapitre VI – Midinette
Chapitre VII – Claudio monte un peu court et se fait passer

 

 

Au centre des tribunes – aussi vides que mon palmarès – Lopez et Cerny s’apprêtaient à rentrer sur le court, ralentis seulement par les questions anglo-stupides d’un journaliste à tête de mouton. A l’autre bout du stade, la main lasse, je refermai sur moi la porte des toilettes. Dehors, des bruits d’eau, dedans, le calme un peu gêné et les odeurs. Trouver Marion. Eviter le directeur. Donc éviter Michel, dont j’avais pourtant besoin pour retrouver Marion. Pantalon baissé, ceinture rebondissant sur le carrelage. Casse-tête. Mal à la tête. On se calme et on boit frais. « Correction ». Ça ne voulait rien dire.

J’en étais là de mes pensées, inhibé par les bruits grouillants des usagers à gauche à droite – décidément, ça ne voulait pas. Des chasses d’eau vrombirent, rumeurs chassées par le souffle chaud des essuie-mains ultramodernes. Puis, quand enfin j’allais lâcher, une porte battante battit. J’accrochai en cours de route et malgré moi à une conversation téléphonique agitée, dans une langue inconnue qui ressemblait à du flamand. Je me contins comme je pus. Mû par une intuition divine, je décidai d’enregistrer les bruits de couloir avec mon téléphone. Je farfouillai en silence dans ma poche. A quoi cela pourrait-il servir ? Consonnesland. Je n’entendais qu’un bout de la conversation. L’homme parlait vraisemblablement d’un problème et de Iejov.

Ikzinde prblemn. Ikztinde problmn enikwl niet ommetehlpe. Alsikval, terwijldevalvanhet ATP toernooi, ikval, valjewevallen.

A mi-consonne, une erreur de manipulation me contraignit à stopper l’enregistrement pour en relancer un nouveau.

– Hetmeisjevroegmegrappigvragen. Ikriskerengevangenismetditverhaal. Bijvoorbeeld. Ze zwarebegrijpikniethoededingenopditpuntkonkrijgen. Ergernog, ikwildealleenmaarhelpen.
– Jehebtjewerkgedaan. Eneenbeetjemeer. Maarjehebtjewerkgedaan. Uhoeftgeenzorgente maken. Hetisu die is. Hetmeisjeisgeenonoverkomelijkprobleem. Dingenzijnnietzo hard vallen.
– Weverwijderenmemijnrijbewijs.
– Zie …

Pas très claire, cette histoire. En sport-études, pas question de flamand première langue. Batterie faible, batterie très faible : plus de batterie. Il s’arrêta de toute façon peu après, car le journaliste à tête de mouton – je reconnus sa voix – lui aussi faisait caca comme tout le monde. A peine entré chez les hommes, il se mit à s’exclamer s’exclamer d’une voix sponsorisée par Doliprane Doliprane.

– Basil ! My friend, Basil ! How do you do ? How do you do ? It’s a real, real great, great, match over there on the court ! On the court ! C’est incroyable, ce tournoi, incroyable ! Que d’émotions ! Vraiment ! A tout, à tout à l’heure au club ! Au club !

Et de se diriger vers la cabine jouxtant la mienne. J’entendis en Dolby Surround les efforts polyglottes du journaliste ainsi que des pas lourds au départ de l’inconnu. En hâte, je terminai mes petites affaires et me ruai vers la sortie, espérant secrètement apercevoir au loin la silhouette du Basil en question. Mais Basil avait été avalé par les badauds. Bon titre de série B. Je fis machine arrière. Dans les borborygmes de la tuyauterie, je retrouvai le citoyen du monde éclaboussé d’ablutions. Je lui tendis une main qu’il me rendit mouillée.

– Excusez-moi, cher ami. Auguste Loisel, sparring-partner !
– C’est vous notre coqueluche ? C’est vous ! Ah, ah ! Cher ami, quelle aubaine. Quelle aubaine. Alors, on investigue ? On renifle, on flaire la piste ?
– Dites-moi, je n’ai pu m’empêcher de surprendre votre conversation… Votre niveau d’anglais est très impressionnant, d’ailleurs, encore plus qu’à la télévision. Stanford ?
– Cambridge. Mais je perds, je perds ! C’est l’âge, que voulez-vous… Un homme devrait apprendre toute sa vie, ne pas se contenter de vivoter sur ses acquis. Qu’en pensez-vous ?
– C’est mon idée.
– Le tennis, vous le travaillez tous les jours, pour ne pas perdre, je suppose ?
– Et plus encore, évidemment.
– Quand on a gagné les Petits As, forcément.
– Je n’ai… Pour revenir à votre conversation. Qui était ce Basil que vous saluiez si chaleureusement ?
– Basil ? C’est the chairman* (en anglais dans le texte), le seul, l’unique. Un arbitre de classe mondiale. Et une douceur, avec ça. Une modestie. Un honnête homme ; il faut dire : formé en France ; cocorico ! Je le dis car la Belgique – c’est bien logique – le revendique comme l’un des siens. Une histoire de naissance ; de naissance, vous m’entendez ? Le pays du cœur contre le pays de fait : seul un e final et muet fait défaut à son nom pour qu’il ne soit, lui aussi, éligible à la légion d’honneur, comme nous. Je parle en toute confiance, sur ce terrain-là, et entre nous I have been approached ! Approached !
– Son nom de famille ?
– Van der Berckerst. Berckerst. Ersst. Ah ! Le flamand. Quelle langue !

En dessinant un cercle avec ses deux doigts pour mieux matérialiser la précision du dire, il faisait siffler ses sonnantes comme des serpents sur nos cerf-têtes.

– Oui, vraiment, seul le e lui manque. Il arbitre, en ce moment ?
– Il officiera demain.
– Merci, beaucoup Amiral. Seul le titre vous manque.
– C’est mon faible.

Je sortis des toilettes. Une piste ! Une piste, enfin ! Contaminé par cette manie de toujours s’y redire à deux fois, je fendis la foule en direction du court central. Je tournai et retournai les informations dans ma tête et cherchai le point d’ancrage avec cet indice : « Correction ».

« Correction ». Sur le court, il en était question. Cerny jouait le match de sa vie contre un Lopez impuissant. Placé en hauteur, juste sous la cabine des commentateurs, je devinais malgré la teinte de la vitre l’ennui qui les gagnait. Je crois que Cerny m’aperçut au changement de côté quand, du menton, il esquissa un signe amical. « Il m’a vu, les filles ! Les mecs : il m’a vu ! Moi ! » Midinette. J’étais sous le charme. Service Cerny à plus de deux-cent : « AHOUUUUTE », hurla le juge de ligne qui voulait sûrement dire faute mais avait été rattrapé par la peur de mourir. « Correction, the ball is good. Replay the point », statua l’arbitre de chaise.

« Correction ».

Basil Van der Berckerst chez les arbitres. Basil Van der Berckerst qui craignait un problème.

Marion chez les arbitres. Marion qui adorait les problèmes.

Un plus un égalent vite. Je quittai le court aussitôt, laissant Cerny voler de ses propres ailes vers une victoire inévitable.

Il existe deux types d’arbitres : les arbitres en polo rouge et les arbitres en chemise bleue. Deux classes sociales bien définies, écho Lacoste aux mondes qui séparent les coutumiers de la tribune présidentielle des visiteurs à bob Perrier. Tenus de croiser leurs homologues en rouge, les arbitres en bleu, pantalon crème et veste marine, poche revolver barrée d’un crocodile à échelle un, s’adressent à eux comme des patrons de groupes publics, quittant le confort spacieux d’un bureau avec vue sur Paris pour assurer une journée durant l’inspection bimensuelle des machines-outils dans leur usine de Louvain, s’intéressent à leurs ouvriers : comme à des choses transitoires, pratiques et malléables – en attendant l’essor de la technologie. Les uns trônent sur une chaise et disposent d’un micro avec lequel ils haranguent la foule. Les autres hurlent des onomatopées au hasard en agitant les mains. Autant de différences qu’entre un pilote de ligne et un aiguilleur du ciel.

Il me fallait choisir mon camp. Aborder les capés, c’était m’exposer à un dédain vaporeux ; entreprendre les sans-grades revenait à interroger la cinquième roue du carrosse. Avant de pénétrer dans le salon cosy, fauteuils cuir anglais et sourires entendus, j’essayai un instant de me mettre à la place de Marion. C’était elle, que je cherchais : nul doute que sa piste recoupait la mienne, d’une manière ou d’une autre. Comment s’y serait-elle prise ? Je poussai la porte vitrée.

– Bonjour, je souhaiterais obtenir des renseignements en vue d’un documentaire consacré à l’arbitrage, ce grand corps oublié sans lequel le tennis ne serait pas ce qu’il est. J’aimerais savoir comment approcher les plus grands arbitres mondiaux, pouvoir leur laisser la parole, qu’ils racontent leur expérience, leur pression, ce que représente aussi d’arbitrer sur un grand match. Basil Van der Berckerst, par exemple, je pense à lui spontanément.
– Ah, mais j’ai déjà vu votre collègue à ce sujet, hier. Je l’ai réorientée sur la Fédération. C’est encore le plus simple. Moi je ne suis qu’agent d’accueil, vous comprenez.
– Mon collègue ? Ma collègue, bien sûr ! Grande, brune, les yeux bleus et trop grands, l’air de n’avoir jamais commis la moindre crasse sur terre ?
– C’est elle.
– Et donc, vous l’avez renvoyée vers la FFT. Hmm… Je comprends. Que lui avez-vous dit d’autre ?
– Elle m’a demandé si elle pouvait visiter le pavillon, histoire d’avoir des repères pour un éventuel tournage. Je l’ai laissée farfouiller. Vous savez, on s’ennuie, ici. C’est pas tous les jours qu’ils viennent nous voir, les gens de la télé. Et puis elle est gentille votre collègue, ça se sent tout de suite, ça, la gentillesse.
– Donc les repères ont été pris. Bien. Très, très bien. Bien, bien, bien.

De la répartie, Auguste, de la répartie !

– Eh bien, tant mieux, très bien tout ça. Pas la peine, donc, que je me balade à mon tour, hein, puisque tout a été fait ? Non ? Hein ? Bien. Très… Hum. Très bien. Je vous remercie. Bonne journée. Alors, donc.
– En vour !
– En vour ?
– En vous remerciant. C’est plus convivial, comme ça, non ?
– Aur, dans ce cas.

Chou blanc, du genre de chou qui sert à faire des soupes quand il fait trente degrés. L’aigreur est humaine. En sortant du pavillon, mon attention fut capturée par un chuchotement directement issu d’un coin ombragé, sous un chêne bourgeonnant.

– Pssss…
– Pssss ?
– Vous êtes Auguste Loisel ?

La voix de Dark Vador imitée à la bouche.

– C’est votre vraie voix ?
– Vous cherchez des informations sur Basil Van der Berckerst ?

Je contemplai un instant la silhouette. Elle était familière, sous les lunettes aviator, la casquette et le polo rouge.

– Vous êtes un juge de ligne ? Un ou une, d’ailleurs, on ne sait plus très bien.
– Retenez bien ceci. Basil Van der Berckerst a arbitré deux matchs très importants au cours de l’année écoulée. L’un a fait basculer la hiérarchie mondiale. L’autre a vu la vie d’un homme basculer.
– Père Fouras ? C’est vous ? Ecoute Marion, ça commence à bien faire ces histoires.

Elle m’attira vers elle tout en continuant à chuchoter.

– J’ai retrouvé la serviette.
– Quelle serviette ?
– Celle qui a servi à traîner le corps de Belluci. La serviette. Celle que le ramasseur de balles a posée sur sa tête. La serviette pleine de sang, tu sais. Elle n’était pas pleine de sang après ; elle l’était déjà avant ! Un mort, ça ne saigne pas ! D’ailleurs, le ramasseur de balles a disparu. Rayé des registres. Une aubaine, cette photo. C’est notre seule piste. Donc, je reprends : on traîne Belluci sur la serviette avant l’interruption, via le carré des télévisions, en passant par le sous-sol. Là, quelqu’un d’autre prend le relai. On profite d’un moment général d’inattention – le feu d’artifice – pour glisser Belluci sous la bâche. Puis on repart comme si de rien n’était. Pourquoi ? Comment ? Parce qu’on pouvait être là, on devait, même, se trouver à cet endroit précis : rien d’anormal. Plus tard, on trouve le cadavre : la serviette qui a été utilisée pour traîner Belluci doit disparaître. Tu me suis ? Un ramasseur de balles la jette sur le corps et personne ne comprend rien. Moi, je commence à y voir clair, maintenant. Tout est clair, oui. Il me manque le mobile. J’ai mon idée. Mais je n’ai pas les preuves. Tu as trouvé l’arme ?
L’arme ? Je sais à quoi m’en tenir, mais je prends mon temps. Et Racine ? Il est au courant ? Non, bien sûr. Et toi, qu’est-ce que tu fais, déguisée en juge de ligne ?

– Je travaille, patate. Je travaille. Je rôde. Et j’arbitre, aussi, ce qui est très amusant. Les règles du tennis, c’est vraiment de la petite bière. Pour l’arme, dis : ils n’ont rien analysé dans les débris du Tenniseum ?
– Je vois qu’on a la même idée.
– Dis-le à Racine : il faut analyser, absolument. La preuve est là. – —- Johnson ? Ils ont arrêté Iejov ?
– Je te revois, un jour ?
– Ils ont arrêté Iejov ?
– Iejov devrait être relâché dans la journée. Je te revois un jour ?
– Relâché, mais pas tiré d’affaire. Le dopage.
– Je te revois un jour ?
– Ça a déjà fuité. C’est évident. C’est dangereux. Essaie de confronter Van der Berckerst. Il passera ici avant son match. Tu seras peut-être plus chanceux que moi.
– En attendant Berckerst, je te revois ? Un jour ?
– Peut-être.

Elle m’embrassa sur la joue et partit en soignant ses entrechats. Pour l’arme, je ne comptais rien dire à Racine. Une intuition. Un pressentiment.

Je me positionnai en faction. Tel un sioux sifflotant de guet sur la montagne, j’attendais l’arrivée de Basil Van der Berckerst.

J’en étais quitte pour la Belgique. Deux minutes plus tard, je tombais sur Michel Le Bas, dont le moral suivait implicitement la courbe de son nom.

– Bon dieu, tu es là ! Alors Iejov ?
– C’est-à-dire que…
– Je sais bien que ! Je sais. Je sais très bien que ! Partout, tu m’entends ? Le directeur te cherche partout ! L’inspecteur. Décrocher ! Il refuse ! Partout, qu’il te cherche.
– Michel, remets de l’ordre dans tes idées et dans tes phrases, je ne comprends rien.
– Imagine, un peu : un mort sur le Chatrier. Un mort dans un hôtel de renom. Des éliminations en pagaille. Le numéro trois mondial arrêté ! C’est inhumain de me faire ça, à moi, un vieux, je suis vieux, je vais crever. Je ne peux pas canaliser seul les angoisses du directeur, il faut m’aider mon vieux.
– Je croyais que c’était toi le vieux.

Yeux mouillés et slip itou.

– De l’esprit ? Tu fais de l’esprit ? A ce moment-là ? En ce moment, là, maintenant, ici ! Alors que le directeur me croit responsable de la mort de Johnson ? « Le Bas, qu’il me dit, Le Bas, les sparrings, c’est votre affaire et vous n’avez rien trouvé de mieux que de colloquer Johnson dans la chambre à côté de celle de Iejov ! » Il ne veut pas comprendre que ce n’est pas moi, que je ne connais pas Johnson et que Johnson ne travaillait pas sur le tournoi. Il ne veut pas. Il refuse. C’est Le Bas, le problème. Et le président de la fédération ! Furax, le président.
– Ne te tracasse pas, tu sais, Iejov n’a pas tué Johnson. Claudio témoigne.
– Alors celui-ci, il se range du côté de Johnson ? Mais c’est une association de malfaiteurs ! Rien n’est clair dans cette histoire, sauf le scandale ; tu imagines le scandale ? Le directeur de l’hôtel a appelé le directeur des affaires culturelles russes qui a appelé le directeur du tournoi. De directeur à directeur, je te laisse combler les vides ; la politesse, mais les relations, le protocole, mais les menaces, tu te figures bien. Le danger. Les ambassadeurs. Les ministres. Le protocole de Kyoto. Kyoto ? Ici ! A Roland !
– Emmène-moi voir le directeur si ça peut te rassurer.

Il agrippa mon bras et le serra entre ses doigts roides. Il avait peur que je ne m’enfuie. Je me sentais comme un visiteur d’hôpital auprès d’un parent condamné. Cependant, le tableau d’affichage consacrait la victoire en trois sets d’Ambrosz Cerny. Il existe des bonnes journées. Mon sourire déplut à Michel.

Dans le bureau du directeur, deux moustachus rougeauds de soixante ans, portant documentation des années soixante-dix et forçant leur regard pour lui donner de l’allant, refusaient de s’avouer vaincus.

– Puisque je vous dis que cela ne nous intéresse pas ! Nous ne sommes pas un club omnisports, nous ne faisons que du tennis, ici ! Vous voyez bien que je suis occupé !
– En s’affiliant à la Fédération française des clubs omnisports, Roland Garros entrerait de plain-pied dans le XXIe siècle ! Il disait ça avec son teint de photo jaunie.
– Pour vos bénévoles, ce serait un vrai plus, une vraie garantie sociale et sociétale ; sans compter sur votre crédibilité auprès des acteurs publics pour obtenir des subventions. Et puis, j’oubliais le plus important : l’assurance responsabilité civile des mandataires sociaux ! En cas d’accident, par exemple : regardez ce qui est arrivé à Belluga.
– Belluci.
– Oui. Regardez ce qui lui est arrivé.
– Mais… Mais il n’a pas eu d’accident, il a été assassiné ! Et puis je n’ai absolument pas besoin de subventions puisque je dépends de la Fédé de tennis, mais vous êtes fous, mais partez, enfin !
– Vous avez gagné : je vous laisse notre carte et de la documentation. Et ma ligne directe, c’est celle-là, là, celle qui est surlignée. Non, oui, voilà, attendez, je vous mets un coup de Stabylo dessus, là, voilà !
Mais je m’en fous de votre carte et de votre documentation ! Mais vous êtes qui ? Qui vous a laissé entrer ?

Le directeur était en proie à une agitation six à sept fois supérieure encore à celle de Michel, digne d’une publicité radiophonique pour des soldes à l’hypermarché. Quand les deux hommes partirent, il se reprit un peu. Sur son bureau, une lettre anonyme rédigée en ces termes :

« On étouffe un contrôle et on ne contrôle plus rien. Mieux vaudrait que Iejov ne réapparaisse pas. »

– Rien du tout. Rien étouffé du tout, moi, rien. Du tout. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Iejov est condamné ? On lui a coupé la tête, on va la lui couper ? Qu’est-ce que j’annonce, moi ?

Il ne me parlait ni à moi, ni à Michel, ni à lui-même. Je crois bien qu’il s’adressait à Dieu – peut-être qu’il se le figurait à l’image de Jean Borotra, dans son panthéon personnel.

– N’annoncez rien. A priori, Iejov est innocent, du moins du meurtre de Johnson. Si la police ne veut pas vous répondre, c’est qu’elle n’a rien à vous communiquer. En attendant, pour cette histoire de lettre…
– Vous avez vu ?
– J’ai vu. Pour cette histoire de lettre, un conseil. Laissez faire les choses. Si Iejov devait être accusé publiquement, vous seriez l’une des personnes les plus protégées du scandale, de par votre statut. Et puis, ne vous faites pas d’illusions : que vous agissiez ou non, l’affaire sortira. Tout le monde est au courant. Allez, ne vous faites pas de bile. C’est la vie, ça va passer.

De sparring-partner, voilà que je virai psychiatre goguenard. Le téléphone sonna. Au même moment, la porte claqua bruyamment.

Disease the scandal. Disease not proper. Disease not the way Russian citizens are meant to be treated by French tournament. I protest. I have staid in prison the whole night. I am willing to step out of the tournament. I want excuses. I want excuses now.
– Mais bien évidemment, nos excuses éternelles, M. Iejov, c’est effroyable, effroyable ce qu’il se passe, ce qu’il vous arrive. Et la perte de cet être cher, qui plus est, effroyable, ils vous ont relâché ?

Iejov, avec sa barbe naissante et déjà drue, ses traits tirés, ressemblait à un Raspoutine de roman. La porte claqua à nouveau car l’entraîneur fit irruption. Du bout des doigts, il cherchait à ramener vers lui la lettre incriminante, la faisant glisser par à-coups.

– I now am willing to train. Now. I want a court and I want a partner to execute with me.

Le terme exécuter, dans sa forme peu idiomatique, me provoqua des picotis dans le nombril. Tous les regards se tournèrent vers moi. Le directeur enveloppa sa voix de pivoines enchanteresses.

– Right now, monsieur. Voici votre partenaire. Loisel, Michel, je vous laisse vous occuper de Monsieur Iejov, n’est-ce pas ?

Le principe même du malheur est que vous ne pouvez jamais lui échapper : vous pouvez courir, fuir, vous cacher sous un drap ou acheter des gris-gris, il se trouvera toujours une noix de coco pour vous tomber sur la tête, quand ce n’est pas une balle perdue ou un terrible secret de famille. Nous nous mîmes en route. Ce que j’étais fatigué ! Toujours au service des autres ! Auguste, passe-moi le sel ; Auguste, je peux copier sur toi ? Auguste, tu pourrais aller chercher ma mère à l’aéroport, à Beauvais ? Et moi ? Moi, je fonçai au vestiaire chercher du matériel, sous l’œil moitié-fermé, moitié-cramoisi, entièrement haineux de Sergueï Iejov.

Dans le vestiaire, j’avisais mon casier. Pour une raison obscure, la clé tournait à vide dans le petit caisson. Impossible d’ouvrir. Normal : c’était ouvert. Affaires sens-dessus-dessous. On ne m’avait pas volé mon short. Que pouvait-on chercher ? J’enfilai mon t-shirt à l’envers, mes chaussures au hasard, enlaçai mes lacets. Puis je me mis en train, hauts les jambes, plus haut encore, genoux sur le menton en une course ridicule. A chaque mouvement ma cuisse gauche me lançait, comme râpée, épilée même, par un objet tranchant. Je fouillai et trouvai une carte de visite. Au nom de Van der Berckerst, arbitre professionnel dépendant de l’ATP. Au milieu, un mot, griffonné au stylo rouge pour produire plus d’effet.

« Vous êtes raisonnable. Ne gâchez pas tout. D’autres pourraient en souffrir et vous, par contagion. »

Petit, je me souviens que mes parents avaient colloqué dans les toilettes un recueil d’énigmes et de rébus qui faisait la joie de mes heures sur le trône et le désespoir de mon frère, lequel trouvait systématiquement porte close et patientait en gémissant. Le niveau général du recueil était en dessous de tout : il vous rendait intelligent sans faire appel à vos neurones. Le mot glissé dans mon short de sport devait constituer le volume ultérieur, interdit aux enfants de moins de 160 de QI. Juste avant de sortir du vestiaire, je le fourrai à la va-vite dans ma poche. Iejov m’attendait. Il tapait du pied pour me le signaler. Sans un mot, nous partîmes pour un court extérieur. Je tripotai la carte, dans ma poche. A leur regard, je supposai que les badauds devaient y voir quelque chose de sexuel.

Pas chassés, pirouettes, effets de manche ; Racine au bord du court suivait la balle des yeux. Quand il l’aperçut, Iejov se mit à gronder en russe diverses insanités. Profitant de la protection tacite de la gigue policière, j’attendis une pause dans le rythme infernal imposé par le slave pour me pencher vers lui. L’air de ne pas y toucher, je lui dis, en anglais :

– Vous lui devez une fière chandelle à Claudio. C’est un ami, lui, vous savez ? Friend. Donnant-donnant, non ? On efface l’ardoise ?

Le regard qu’il me jeta introduisait la haine dans le chaos de son vide intérieur ; le big-bang à l’envers, un truc que les scientifiques mettraient quatre mille à décoder proprement.

– Je suis aussi ami avec Racine, l’inspecteur. Votre histoire d’ordinateur, là, ça pourrait générer des problèmes. Il y a des rumeurs, des lettres anonymes. Mais rien d’impossible à arranger. Je suis arrangeant, moi : la preuve : vous avez besoin d’un sparring, et hop ! Je me rends disponible. Je suis là. On impose, je dispose. Que vous a demandé Butler concernant Belluci et Stern ? Que savez-vous sur lui ? Comment saviez-vous qu’il allait perdre son match ?

Je livrai mon plus beau sourire pour accompagner ces paroles. C’est alors que je vécus les dernières secondes de Belluci dans leur version édulcorée, moins létales. Un gros coup de raquette envoyé en pleine gueule et un saignement corollaire qui jaillit de mon crâne. Je m’effondrai au sol, conscient, beaucoup trop conscient compte tenu de la douleur. J’en étais quitte pour les initiatives. Il faut savoir rester à sa place. En attendant les secours, je ne bougeai plus de la mienne, bien accroché au sol avec les yeux mi-clos.

 

Sparring-partner

© Art Seitz

CHAPITRE VII – Claudio monte un peu court et se fait passer

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As
Chapitre VI – Midinette

 

 

– De la discrétion ! Messieurs, je vous en prie !

Le hall était couvert d’empreintes boueuses. On suivait les semelles compensées à leurs traces : elles menaient toutes à l’ascenseur. Mobilisé en pleine nuit, un agent de ménage passait la serpillière derrière chaque nouveau policier dépêché sur les lieux. Le liftier se trouvait prisonnier d’un vortex vertical situé entre le rez-de-chaussée et le septième étage. Au fond, les fauteuils clubs du bar accueillaient des hommes d’affaires curieux, ayant troqué leurs fantasmes adultérins pour un voyeurisme criminel. Les bouteilles de whisky s’amoncelaient. Et, le concierge s’agitant :

– De la discrétion !

Racine et moi suivîmes attentivement la route tracée par ses collègues et montâmes jusqu’à la chambre où, au bout d’une corde, se balançait…

Malgré les contusions et la rigor mortis, je reconnus immédiatement Johnson, l’ancien sparring de Iejov. Celui-là même qui attaquait l’entraîneur en justice pour coups et blessures. Je ne savais plus si j’avais affaire au plaignant ou aux pièces à conviction.

– Vous voyez, Loisel : tout est en ordre.

Tout était en ordre : Johnson pendu au crochet d’un ventilateur mutilé, la chambre sens dessus dessous, un rideau arraché et la fenêtre ouverte. Rien, sinon le mot griffonné et abandonné sur le lit, ne laissait sa chance à la théorie du suicide : de manière évidente, les derniers mots de Johnson avaient dû être « ouille, ouille, ouille ».

La chambre était voisine de celle de Sergueï Iejov. Iejov et son entraîneur avaient immédiatement été arrêtés. Ils clamaient des innocences en russe. On attendait un interprète.

– Vous ne l’interrogez pas ?

Nous l’interrogerons en temps utile. Pour le moment, les indices, Loisel, les indices ; surveillez où vous mettez les pieds. Messieurs, si vous avez fini vos photos, vous pouvez récupérer le corps. Les empreintes, c’est bon ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, Loisel, mais j’ai du mal à croire au suicide.

– Que dit le mot ?

Il s’approcha du lit et, sans toucher au papier, lut :

I feel tire of me be alive.

– Oui. Bon. J’ai comme dans l’idée que l’assassin n’est pas bilingue en anglais. Tout de même, ce serait absurde de la part de Iejov et de son entraîneur de se débarrasser de Johnson précisément au moment où, Belluci mort, les soupçons s’orientent sur eux.
– Soit il est encore plus stupide que vous ne le supposiez, soit il est infiniment plus malin. Nous verrons. Je pense que l’important, c’est l’ordinateur. Non seulement celui-ci a disparu, mais on nous signale sa disparition. Le câble est encore branché et la pochette a été abandonnée sur le lit, de manière ostentatoire.

De fait, la pochette protectrice paraissait alanguie en une position peu naturelle ; elle se serait mise à miauler qu’on n’en aurait pas éprouvé un malaise plus saisissant.

– Voilà qui est central. Je ne m’étonnerais pas de retrouver très rapidement cet ordinateur, dans une poubelle des alentours, par exemple. Sergent ? Pouvez-vous mobiliser une dizaine d’hommes et vous mettre à sa recherche ?
– Inutile, monsieur, nous l’avons déjà retrouvé au milieu d’un tas de serviettes sales, dans la buanderie.
– Il faudra analyser son contenu. Qu’a dit le légiste sur les causes de la mort ?
– Hémorragie interne, monsieur. Qui s’est produite avant la pendaison. Sans doute la conséquence de la rosserie.
– Et l’heure ?
– Autour de 22h00.
– Il reste à vérifier les alibis de Iejov et de l’entraîneur. Mais je crois que nous approchons du dénouement.

Son dénouement n’impliquait manifestement pas Marion.

– C’est Johnson qui avait de lui-même réservé cette chambre ?
– Le concierge ne l’avais jamais vu jusqu’à ce soir. La chambre était vacante.
– J’aimerais dormir un peu.
– Vous êtes de ceux qui dorment, Auguste ? Vous n’êtes pas curieux ! Et l’ordinateur ? Vous ne voulez pas savoir ce qu’il cache ? Et l’interrogatoire ? Tous ces mystères ne vous excitent pas ? Moi qui m’apprêtais à vous laisser assister au menu des réjouissances… Mais rassurez-moi : vous avez compris que vous n’aurez plus à vous lever demain matin pour entraîner Iejov ? Cette fois-ci, je m’en charge moi. Alors, vous restez ?
– J’aimerais vraiment dormir un peu.
– Je n’y connais pas grand-chose en tennis, je le reconnais volontiers ; mais là, excusez-moi si j’emploie un terme désuet, mais vous jouez petit bras.
– Tenez-moi au courant pour l’interrogatoire. Bonne nuit, Racine.
– Je vous tiendrai peut-être au courant, peut-être pas.

Et il se dandina.

J’arrivai chez moi à quatre heures du matin. Le cauchemar prenait tournure : dans l’escalier, je croisai plusieurs voisins en chemises de nuit et bonnets consécutifs qui vociféraient en direction de ma porte. Je tournai la clef dans la serrure et trouvai mes colocataires entretenant une conversation agitée, les bouteilles vides s’entrechoquant dans les rares intervalles d’un ramdam de basses. Au milieu du parterre, hilare et rouge : Claudio.

– AU-GUSTE ! Pour Auguste, hip hip hips ?
– Hourra !
– Alors, Auguste : prêt à entraîner mon futur assassin ? Prêt à pactiser avec l’ennemi ? On change d’équipe, c’est ça ? On passe du côté obscur de la force ? On ne valide plus dans le bus ? On ne fait plus la queue à la sécu ? On broie des coccinelles à la semelle de ses Rangers ? On frappe des enfants et on les torture psychologiquement pour les faire culpabiliser d’avoir mal ? On promet à des immigrées hongroises mineures qu’elles obtiendront leurs papiers à condition de tapiner pendant quinze ans ? On fait manger Poppi à son fils parce qu’on a la flemme d’aller faire les courses ? On achète des tapis raflés par les nazis et on les revend aux juifs à leur sortie de Buchenwald ? On viole sa mère et on oblige son père à reconnaître l’enfant ? On…
– Iejov ne va pas te tuer et je ne vais pas non plus l’entraîner ; tu peux d’ores-et-déjà encaisser tout l’argent qui a été parié sur lui. Iejov et son entraîneur ont été arrêtés.

Dans un film noir ou dans tout autre lieu, l’annonce aurait imposé un silence que le visage fermé des protagonistes aurait chargé de sens. Pas là : sur fond vitaminé – I, I follow, I follow you – l’un de mes colocataires hurlait le mot « caca ».

– Bla, bla, bla : n’importe quoi, monsieur je-sais-tout. Et pourquoi Iejov aurait-il été arrêté, je te le demande ?
– Parce qu’il est soupçonné d’avoir assassiné Johnson. Et Belluci. Et d’être dopé. Et d’être un genre de tueur à gage.
– Johnson est mort ?
– Oui. Roué de coups puis pendu. Ne manquent que le poison et les balles. Et, je te le donne dans le mille, dans l’hôtel de Iejov, la chambre juste à côté. Je ne suis pas détective, mais…
– Comment il s’appelle ton policier, déjà ?
– Racine ?
– Oui, Racine : il faut aller le voir. D’urgence.

Joignant le geste à la parole, il fit l’effort de se lever et s’effondra tout aussitôt au pied du canapé violet. Sa chute fut accompagnée d’un torrent de rires irrationnels chez le parterre des vivants là ; moi-même, je fus éclaboussé par la marée.

– J’ai peur que ta déposition ne soit pas tout à fait prise au sérieux, Claudio. Ça peut attendre demain, peut-être ?

Ses ronflements me répondirent. Un instant, transporté par la fatigue, mon esprit se distancia de la scène et, comme omniscient, comme changeant de focale, je vis de l’extérieur, au grand angle, cette assemblée décadente, cet appartement résolument bourgeois avec ses plantes tropicales victimes de tabagisme passif, toutes ces bouteilles amassées, mes trois colocataires accumulant les maladresses alcoolisées, la musique trop forte et les murs qui tremblaient, et Claudio étendu par terre dont les ambitions successives l’avaient amené là, sur ce tapis trouvé à un coin de rue et trainé au cinquième ; je vis Belluci mort et Iejov en prison, je vis Stern, Butler, et puis je vis Cerny qui admirait Stern. Aux murs tournoyant, le Hall of Fame des tennismen, la visière vissée sur la tête, nous encadrait comme un jury. Tous nous contemplions la pièce et, pour une raison encore floue, cette vision m’inspira de la mélancolie. Alors j’attrapai une bouteille, bus à mon tour une rasade, et, dans une chorégraphie bizarre, je me mis à jouer au tennis sans raquette, sans balle et sans adversaire, essuyant mon front moite face aux spectateurs médusés lorsque je montai au filet. Enfin, après un smash en extension, je m’écroulai sur le sol, hilare et détrempé.

J’avais gagné.

Des applaudissements retentirent. Ce devait être le panthéon qui m’acceptait comme l’un des siens.

Ma vie était merveilleuse.

Les applaudissements retentissaient encore lorsque je m’éveillai. Ma vie était d’un coup nettement moins merveilleuse avec une migraine accentuée par les voix dissonantes : « Qu’elle est jolie madame Auguste ! » « Place ! Place pour madame Auguste ! » On s’agitait autour de moi. Le dépôt de mes yeux, d’ordinaire caca d’oie, se parait de petites perles noires. Je le sus aussitôt après m’être frotté les mirettes d’une main dont les extrémités puaient l’ammoniac. On m’avait maquillé, peinturluré, sali. « Vous faites chier quand même. » « Dis, mademoiselle, tu habites chez tes parents ? » « Dis, maman, tu m’emmènes voir tonton Racine ? C’est mercredi, je n’ai pas école. » C’était du Claudio tout craché. J’allais vers la cuisine, alléché par l’odeur du café. Claudio me jappait autour.

– Qu’est-ce que tu lui veux, à la fin, à Racine ? Ma voix tirait vers les aigus. Claudio n’était pas prêt d’abandonner le sobriquet maman.
– J’ai une information de la plus haute importance à lui communiquer.
– De la plus haute importance ? Tu veux lui parler de quoi ? De ce que Iejov est un méchant qui va t’arracher les boyaux pour s’en faire un cordage ? Tu veux que Racine l’interroge sur le contrat imaginaire placé sur ta gueule ? Tu veux l’accuser d’être un tricheur ?
– Froid.
– Pardon ?
– Non, je dis froid. Tu es froid, maman.
– Oui je suis froid ! Tu me maquilles pendant que je dors, tu m’empuantis avec un vernis à paillettes et tu t’attends à ce que je sois chaleureux ?
– Tu n’as pas compris. Tu es froid, rapport à tes hypothèses. Tu es froid, quoi, chaud, froid, on se réchauffe, tout ça ! Mais rien ne t’interdit de te réchauffer un peu.

Silence.

– Bon, des informations de la plus haute importance, alors…Tu as été témoin du meurtre ?
– Tu te réchauffes un tout petit peu. Mais vraiment un tout petit peu. – On est passé de Vladivostok à l’Islande.
– Tu as toi-même tué Johnson parce que tu n’as pas digéré la dérouillée qu’il t’avait mise aux qualifications d’Indian Wells en 2005.
– Tout schuss vers l’Alaska.
– C’est en Californie, Indian Wells. Je comprends que tu ne t’en souviennes pas, cela dit : tu es resté si peu de temps…
– Je n’ai que très peu de notions d’inuit, Captain Igloo. Pas assez pour comprendre la finesse de tes sarcasmes. Réfléchis au lieu d’étaler ta science, monsieur j’ai une Licence 1.
– J’ai un Master 2.
– Tu as une licence 1 et ensuite tu as dépensé la moitié de tes gains en carrière pour acheter un lamentable Master 2 auprès d’une obscure université belge.
– Tu sais qui a tué Johnson.
– Ah ! Là, la Californie, je veux bien à la rigueur. Mais, la Californie au mois d’avril ; et encore, un mois d’avril un peu frais, en dessous des normales saisonnières. Les gens se baladent en bermuda jaune et en pull.
– Tu sais qui n’a pas tué Johnson
– Branle-bas de combat ! On franchit le tropique du Cancer !
– Donc, logiquement, tu sais quelque chose sur Iejov. Alors : pourquoi ? Iejov n’a pas pu tuer Johnson parce que…
– Il n’a pas pu commettre le meurtre parce qu’il était avec moi. Et son entraîneur aussi. La voilà l’histoire.

Silence.

– Pourquoi tu ne m’as pas dit ça hier soir, imbécile ! Maintenant, les Russes ont passé la nuit en prison ! Tu imagines les implications ? Il va être disqualifié pour rien. Sans compter sur les représailles politiques. A quelle heure est prévu son match, demain ?
– Le match devait avoir lieu à midi. Mais je te rassure : il va pleuvoir aujourd’hui, tout sera décalé. Et je te rappelle que c’est toi qui n’as pas voulu me conduire chez ton copain le théâtreux hier quand j’en ai formulé la demande de manière on-ne-peut-plus claire.
– Mais parce que je pensais que tu racontais n’importe quoi ! Il fallait être clair, aussi.
– D’un autre côté, c’est tant mieux, parce que je vais monnayer l’information.
– Monnayer l’information ? Tu sais, Claudio, ce n’est pas parce que tu as un nom à consonance italienne que tu fais automatiquement partie de la mafia.
– Le pari, voyons. L’annulation du pari. La voilà notre bouée de sauvetage ! Mon témoignage contre ma vie sauve. Ça vaut.

Il acquiesçait. Son sourire, un peu fixe, ressemblait à s’y méprendre à celui d’un enfant sur le point d’étrangler le chat. L’ennemi intérieur. Difficile de savoir si Claudio n’inventait pas cette histoire de toute pièce dans le seul but de préserver sa vie.

– Je t’emmène mais tu te tiens bien.
– Oui, maman.

Comme je cherchais ma veste, je l’entendis s’esclaffer à l’autre bout du couloir.

– Tu y vas comme ça ? Tu n’es pas un peu trop habillé(e) ?
– Et nous voilà donc sous la pluie, en chemin vers le commissariat central, moi démaquillé à la va-vite comme une pute en pré-retraite et lui qui empestait l’alcool. Les écrans des cafés rediffusaient les images d’un double mixte pour spectateurs absents.
– Qu’est-ce que tu foutais avec Iejov ?
– Je négociais.
– Pour quel résultat ?
– Il me montra neuf doigts.
– Dix jours pour payer ?
– Dix heures.
– Et tu as dit quoi ?
– Merci, monsieur Iejov.
– Et l’entraîneur ?
– Il se tenait derrière avec ses lunettes de soleil, de façon à me faire comprendre que, si je ne coopérais pas, il ne se contenterait plus de se tenir derrière.
– C’était où ? A Roland ?
– Non. Dans un café, porte de Saint-Cloud. Un truc discret. Ensuite, je suis venu chez toi pour te taper, mais comme tu n’étais pas là, j’ai tapé dans le bar.
– Rassure-moi : tu as vraiment vu Iejov hier soir ? Tu n’inventes pas tout ça pour te tirer d’affaire ?
– Ce que j’aime chez moi, c’est la crainte que je t’inspire.

Nous arrivâmes au poste. A l’accueil, je réclamai l’inspecteur Racine auprès d’une gigue en habit bleu qui condamna du regard les vestiges de mon éphémère transsexualité. Racine, décidément, n’avait pas grand-chose à voir dans le ton ou l’habit avec le flic lambda. Surtout, sa bonne humeur tranchait avec les mines fermées du flic, de la fliquette, du plaignant, du prévenu, de la secrétaire, du directeur, des meubles et des ordinateurs. « Mais qui voilà ? Un revenant ! Vous vous êtes faite belle ! Et vous m’amenez un petit camarade de jeu, qui plus est. Ah, non, vraiment, c’est trop. (En aparté) Iejov est sur le point de craquer. Ça se joue entre lui et moi, maintenant. Le patron est tout prêt à céder aux pressions de l’ambassade. Synchronisation des montres : on remonte les Champs-Elysées. Métaphore sportive : voilà qui doit vous plaire. Enfin, n’en doutez pas, Racine battra Tchekhov. Pauvre, pauvre patron. Obligé de parler à un ambassadeur ; et sans cocktail, encore, sans petits fours, sans smoking : seulement un téléphone. Ah, la, la : la politique. Dans ma jeunesse, j’avais un oncle qui la maniait, la politique. Belle langue, beau geste, des idées et du nerf ! Ah, la, la ! Quel homme ! Un poète avec ça. Il faisait les marchés, et il trouvait ça beau. Il est mort d’un ulcère à trente ans. Depuis, je ne vote plus. Quel bon vent vous amène ? »

– Claudio, ici présent…
– Bonjour, Claudio. A votre teint : Modène ?
– Saint-Flour.
– Même latitude.
– Claudio, ici présent, a des informations sur le meurtre de Johnson.
Cela commence comme une blague de comptoir. Un Italien, un Russe, un Américain et un Français… L’un d’entre eux est assassiné. Vous la connaissez ? C’est charmant !
– Iejov n’a pas pu commettre le meurtre.
– Il a pu.
– Il n’a pas pu.
– Il était en capacité physique.
– A condition d’avoir un don d’ubiquité.
– Ce qui, chez les anciens, était perçu comme un des signes de l’omniprésence divine. Prenez Plutarque et son mythe de Timarque, par exemple : eh bien, Plutarque y fait figurer Aristéas de Proconnèse, disciple d’Apollon et corbeau de surcroa… Ah ! Ah ! Ah ! De surcroa ! Mais racontez-moi tout, mon jeune ami.

Claudio nous fixait sans rien dire, hébété par tous ces mots qu’il ne connaissait pas.

– Non, bah, rien, j’étais avec lui à l’heure du meurtre, quoi.

Nous allons voir ça. Si vous voulez bien m’accompagner. Etonnant que Iejov n’ait pas fait une seule fois référence à vous en dix heures de garde-à-vue, non ? Suivez-moi. Loisel, vous nous laissez ?
– Jean ?
– Je m’appelle Apollinaire.
– Comme Guillaume ?
– Voilà.
– Au temps pour moi. Je croyais que vous vous appeliez Jean. Dîtes, Guillaume, qu’est-ce que je dis, moi, au directeur du tournoi, à propos de Iejov ? Il pourra jouer ?
– Vous lui dites ce que bon vous semble.
– Bon, stratégie de l’évitement. Je vais me cacher. Et pour Marion ?
– Vous aimez les chasses au trésor, Loisel ?
– Comme-ci, comme-ça.
– Comme moi. En revanche, votre bonne amie les affectionne. Le dernier indice qu’elle a daigné me laisser étant « Correction », mon tour s’arrête ici. Je vous passe le flambeau. Quant à vous, Claudio : si vous voulez bien entrer dans cette toute petite pièce confinée à l’extrême pour que nous puissions discuter à bâtons rompus ! Ah ! Ah ! Ah ! C’est une image, nous avons abandonné ces méthodes il y a bien longtemps.

Abandonné dans le commissariat, ralenti dans l’agitation, je contemplai la petite porte derrière laquelle Claudio subirait une journée durant les calembours de Racine et j’éprouvai de la pitié. Je partis pour le stade.

 

Sparring-partner

Roland-Garros 2017, © Ray Giubilo

CHAPITRE VI – Midinette

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl
Chapitre V – Les Petits As

 

 

Mon premier réflexe fut d’appeler Racine. Comme je n’avais pas son numéro de téléphone, je commençai par l’appeler dans le vide, avec mes mains en guise de porte-voix, mais le regard des promeneurs me fit comprendre ce que la démarche avait d’incongru. Je téléphonai au standard de la police du XVIe arrondissement où l’on promit de transmettre ma requête. J’étais tout seul : Marion avait disparu, Claudio devait se terrer quelque part. J’étais seul à devoir relier les points, entre une fausse blessure, un cadavre, une blessure suspecte, un fichier manquant, une raquette mystérieuse, une affaire de dopage, un pari inconsidéré et mon visage, désormais connu de tout le tournoi, qui passait pour celui d’un fouineur. J’étais plongé dans une piscine à boules de problèmes et je savais que, tôt ou tard, une ombre invisible viendrait m’appuyer sur la tête pour que je m’y abîme – j’admets que se noyer au milieu de boules en plastique est assez coton, mais je gage que vous saisissez l’idée.

Comme si tout cela ne suffisait pas, Michel me convoqua à l’habituelle cahutte où, arrivé par un chemin nouveau, je le surpris en pleine partie de solitaire.

– En réalité, ton travail consiste réellement à coltiner des sparrings aux joueurs ? Tu ne fais rien d’autre ?

Il continua à jouer, la langue remontée en diagonale sur la lèvre supérieure, pointant jusqu’à l’orée de sa narine droite.

– Quand ils sont 128 dans le tableau final, c’est tout une gymnastique. Et puis tu te moques, mais sache que comme M. l’inspecteur a décidé de faire saisir toutes les raquettes usagées des joueurs du tournoi, j’ai passé ma journée à cavaler pour leur fournir du matériel.

Connaissant l’appétit de Michel pour les déplacements, j’imaginais volontiers qu’il avait délégué cette tâche à un stagiaire. Mais je me gardais de le dire.

– Plus sérieusement : Cerny, ce soir. Même horaire que Stern hier.
– J’ai, d’avance, une impression de déjà-vu.
– Il passe pour un gentil. D’ailleurs, j’y pense, en parlant de gentillesse : Iejov est revenu sur sa décision. Il n’est plus satisfait de son partenaire et veut te tester. Demain matin. Par contre, il ne veut pas s’entraîner ici. Il veut s’éloigner de l’agitation. J’ai réservé un court à la Chataigneraie, à Rueil. Tu as rendez-vous avec lui à huit heures devant son hôtel. Je te note l’adresse. Je suis quand même fort pour arranger des coups comme ça.

Je dus devenir blême, m’évanouir ou bien prendre dix ans le temps de cligner des yeux car quand je les rouvris Michel avait abandonné son solitaire pour me dévisager.

– Tout va bien, Auguste ? Tu as l’air fatigué.
– Si tu as un coca, ou autre, je veux bien. Je viens de réaliser que je n’avais pas pris le temps de déjeuner.
– Merde, quoi, Auguste, fais gaffe à toi ! Si j’envoie des sparrings en hypoglycémie sur les terrains on ne va plus me prendre au sérieux.

J’aime cette sollicitude qui ne camoufle pas l’égocentrisme.

– Oui, oui. Donne-moi un coca.
– Ça ira pour Cerny ? Dans d’autres conditions – si cet imbécile d’inspecteur ne faisait pas le forcing, par exemple – je trouverais quelqu’un d’autre. Tu as besoin de repos.
– Ça ira très bien. Ce n’est pas tant physique que moral. Je suis inquiet.
– A cause de tes combines avec Claudio ? Je t’ai déjà dit que je ne voulais rien entendre sur le sujet.
– Non, à cause de Marion. Elle a disparu. J’ai peur qu’elle se soit faite enlever ou, pire, que Racine l’ait mandatée en mission spéciale pour approcher Iejov. Il l’a laissé entendre.
– Je n’ai pas grande confiance en l’inspecteur Racine, mais je ne doute pas que la police sait ce qu’elle fait.

C’était une bonne phrase : courte, inutile, automatique, parfaitement vide de sens.

– Je vais me préparer pour l’entraînement.
– Ne traînes pas des pieds, comme ça, ce n’est pas Roland du tout comme attitude.

Je m’éloignai d’une dizaine de mètres. Jouer Iejov pouvait signer mon arrêt de mort. Ne pas me présenter aussi. La délocalisation de l’entraînement constituait une demande incongrue mais pour autant pas inédite. Toutefois, compte tenu de la situation… Peut-être la fatigue faussait-elle ma capacité d’appréciation : j’avais, d’instinct, le sentiment d’être en danger.

Numéro caché ; Racine.

– Alors, on vide son sac à la télévision ?
– C’était bien malgré moi.
– Peuh, peuh, peuh. « La télévision n’est pas faite pour être regardée, mais pour qu’on y passe ». Vous l’avez bien compris. Enfin, bravo, bravo : tout ça fait nos affaires.
– Je pensais que vous alliez m’engueuler.
– Mais non, mais non, je ne suis pas le croque-mitaine. Enfin, pas pour vous. Ils vont s’affoler, c’est très bien. J’ai saisi leurs raquettes, vous le saviez ? Ils ont rouspété, ils ont poussé des cris d’orfraie, mais ils n’ont pas eu le choix.
– Vous avez des résultats ?
– Rien. Mais ça, je me garderai bien de le leur dire.
– Dîtes-moi, Racine. Avez-vous envoyé Marion chez Iejov ? Parce que la plaisanterie commence à devenir longue, là.
– Absolument pas. Je vous le certifie. Pour ce que vaut ma parole…
– Alors où est-elle ?
– Demandez-le-lui.
– C’est bien le problème. Le sujet le désintéressait manifestement. Je joue Iejov demain. Je le fais la mort dans l’âme. J’aimerais être accompagné. Vous pourriez envoyer quelqu’un ?
– Vous êtes jeune, vous avez tout le temps de penser à la mort.
– Belluci aussi était jeune. Envoyez-moi quelqu’un.
– Nous ferons le nécessaire. Tenez-moi au courant.

Cette vague promesse suffit à soulager mes nerfs. J’étais de toute façon le jouet des stratégies pensées par les uns et les autres. Parfois, on casse son jouet, mais la plupart du temps on a à cœur de le préserver.

Je m’assis un moment devant l’écran géant, face au Chatrier et regardai sans passion la partie de Mankelevic. Ce type était cinquième mondial quand je commençais ma carrière. Il fallait de l’abnégation pour se maintenir à ce niveau à trente-huit ou trente-neuf ans. Le jeune Belge, plus talentueux mais trop inexpérimenté, commençait à céder face à l’œil du vieux sioux qui attendait le bon moment pour hausser son niveau de jeu. Le vent était en train de tourner. Passif, je vis en bas de l’écran défiler les résultats du jour. Le matin, après une interruption de douze heures, Lopez était finalement sorti vainqueur du duel de tous les traumatismes qui avait servi de cérémonie funéraire à Belluci. Amputé d’un jour de récupération, il affronterait Cerny, l’imitateur prodige, le lendemain. Charge à moi de préparer Ambrosz Cerny dans de bonnes conditions. Malgré sa détermination un peu exagérée à copier coûte que coûte les gestes d’Adam Stern, je voyais en Cerny une vie après la vie du plus grand joueur du monde, un héritage légué aux amateurs du beau jeu. J’avais envie qu’il gagne.

Je passai sur la table de soins. Une heure de massages plus tard, je retrouvai la forme un peu avant le Tchèque sur un le court n° 2. J’arrivai légèrement en avance pour me familiariser avec le terrain. Après inspection minutieuse, j’étais formel : c’était un court de tennis comme les autres et je commençai à trouver le temps long et à regretter d’être venu en avance. Quand Cerny fit son entrée, un peu en retard quant à lui, j’étais à moitié endormi sur le banc.

Cerny est jeune et son palmarès, balbutiant, le prémunit pour l’heure des excès du tennis-business. Son visage affiche des traces d’acné en bonne voie d’éradication. Dans son t-shirt rouge fourni par un sponsor tchèque, il parait frêle, quoiqu’élégant et bien bâti. Cette allure est probablement moins liée à son entrainement physique qu’à l’industrie textile tchèque qui n’a pas encore été frappée par la mode du lycra moulant. Son ton est simple et direct. Cerny me vouvoie. Il dégage une simplicité enviable. Je me vois à sa place, avec sa réussite, en huitième de finale et tout content de l’être, je me vois et j’espère me comporter comme lui.
Vous n’êtes pas là que pour taper dans la balle, si j’ai bien tout compris.

– Vous voulez parler de l’enquête ?
– Oui. Vous voulez me poser des questions avant ou après la partie ?
– Je ne veux pas vous poser de question. Cela ne fonctionne pas comme ça. Si vous avez envie de me dire des choses, libre à vous. Mais je ne suis qu’un sparring-partner. Je ne suis pas policier.

Il marqua un temps d’arrêt.

– Ils ont confisqué nos raquettes usagées. Vous savez s’ils ont trouvé quelque chose ?
– Non, ils ne me l’ont pas dit.
– Même sur les raquettes de Iejov ?
– Vous soupçonnez Iejov d’être pour quelque chose dans le meurtre de Belluci ?

D’un coup la bulle de peur, endormie dans la nébuleuse de mes sucs gastriques, remonta ses canaux à contre-courant pour venir former un petit ganglion du côté de ma glotte.

– Je vais tout vous raconter. Je ne suis pas allé trouver la police parce que je ne suis pas sûr que ce soit lié à l’affaire et qu’habituellement je préfère ne pas me mêler des histoires des autres. Mais depuis que Iejov et Butler – le pauvre, d’ailleurs, vous avez vu ? – sont passés à l’offensive, je crois qu’il est important que certaines choses soient dites.
– Je vous écoute.
– Le jour de la mort de Belluci, Iejov était très agité. Je l’ai croisé le matin, avec son entraîneur. Ils discutaient en russe, une langue que je comprends sans pouvoir la parler. Ils n’ont pas fait attention à moi. Pour faire simple, il parlait d’un accord, passé avec Butler pour prendre le pouvoir sur le conseil des joueurs. Ce n’est pas une instance très importante, mais elle est prise en compte, tout de même, par l’ATP, pour décider des orientations futures, organiser les aménagements de calendrier, etc. C’est aussi un levier qui assure à ses représentants une protection politique, si vous voyez ce que je veux dire…
– Vous parlez du dopage ?
– Pour partie, oui. Donc Iejov évoquait cet accord. Et puis, de manière plus confuse, il s’est mis à parler de Belluci : « Il ne veut pas m’écouter. Il se moque de ce que je lui dis. » « Vas-y sans lui. », c’est ce que lui a répondu son entraîneur. Alors Iejov a dit quelque chose de très bizarre. Il a dit : « Butler pense que ma situation ne me le permet pas. Et lui, avec sa réputation tu penses qu’il se ferait rembarrer par tout le monde. Seul Paolo peut rendre cette affaire publique sans qu’on se moque de lui et faire tomber Stern. Mais pour ça, il faut qu’il nous écoute. » Et, après un silence, il a ajouté : « Cela dit, si Belluci disparaissait des écrans radars, le vieux n’aurait plus personne pour le soutenir. » Je crois que, là encore, il parlait d’Adam Stern. J’étais très surpris, parce que je tenais pour avéré, comme tout un chacun, que Iejov et Belluci se haïssaient. Je n’aurais jamais imaginé que Iejov puisse opérer une tentative de rapprochement.
– Donc Iejov et Butler auraient cherché à se servir de Belluci pour prendre la tête du conseil des joueurs, d’où ils auraient fait éclater une affaire à même de déshonorer Adam Stern ; devant le refus de Belluci, ils auraient décidé de le supprimer pour isoler Stern. C’est bien ça ?
– C’est vous qui le dites. Je ne cache pas mon amitié et mon admiration pour Adam. Je doute, le connaissant, qu’il puisse être l’objet d’une quelconque affaire. En revanche, des rumeurs de dopage ne cessent de courir sur Iejov qui aurait tout intérêt à jouir d’un protectorat que seul le contrôle du conseil des joueurs pourrait lui offrir. Il aurait très bien pu monter de toutes pièces une prétendue casserole et tenter de convaincre Belluci d’y souscrire pour renverser Stern.
– Et Butler, quel aurait été son intérêt ?
– Iejov est un imbécile. Le vrai patron des joueurs aurait été Butler. Il est fragile physiquement et milite depuis des années pour que les matchs de Grand Chelem se disputent au meilleur des trois sets. Il aurait disposé là d’une tribune adéquate.
– Sauf si Belluci s’était dressé sur son chemin.
– Voilà.
– Vous devriez aller raconter cette histoire à la police.
– Je croyais être en train de le faire.
– Ambrosz ?
– Oui ?
– J’aimerais vraiment que vous battiez Lopez, demain. On va s’entraîner sérieusement.
– Merci.

Je m’avançai sur le court, m’arrêtai, me tournai un moment vers lui.

– Vous ne trouvez pas que le jeu de Lopez est particulièrement ennuyeux et répétitif ?
– Et encore : vous, vous êtes dans le public, moi je dois le subir sur le court.

Après tant de sérieux, il ricanait comme un enfant.

Je le quittai à 21h30 en lui souhaitant bonne chance. Cette journée était interminable.

Il se mit à pleuvoir.

Cette journée était interminable et humide.

Roland-Garros désert, des hommes de ménage essuyaient les pavés, les écouteurs vissés à leurs oreilles. Il ne faisait pas encore tout à fait nuit, et nous n’en étions qu’aux tous premiers instants de la passation de pouvoir entre la lumière naturelle et les halos des lampadaires. Je me réfugiai sous les tribunes du Court n° 1 en attendant une accalmie. Un bruit de pas, venu du Tenniseum, attira mon attention. C’était une démarche familière et rapide que les flaques n’amortissaient pas, comme si le pied n’accrochait pas au sol – je reconnus aussitôt Marion. Et puis le bruit se résorba. J’appelai, à mi-voix.

– Marion ?

Pas de réponse. La pluie reprit de plus belle et mes appels suivants furent engloutis par les trombes s’abattant sans relâche sur le métal hurlant des tribunes. Trempé pour trempé, je délaissai mon abri pour retourner près du musée où j’espérai trouver Marion. Mais je ne trouvai rien, ni personne.

Le musée se présente comme une chaumière bâloise, enfin comme ce que je m’imagine lorsque j’entends – c’est rare, peut-être même n’est-ce jamais arrivé – l’expression chaumière bâloise. Sur quatre poutres teintes, une toiture à deux pans figure l’authenticité, c’est rustique mais très simple, très Roland dans l’esprit. Les tons, qui vont du marron rouge au marron bleu – je ne suis pas au fait des nuances de marron – rappellent incidemment la terre battue des courts. Planté au milieu des arbres, alors que la nuit, sans prévenir, avait la malice de tomber tout à fait, le Tenniseum m’apparut aussi rassurant qu’une hutte dans un sous-bois, hantée par une vieille femme qui prépare des potions dont on dit qu’elles font parler les chats – il doit bien y avoir des légendes de cet ordre. Les lumières éteintes, de l’extérieur seules les veilleuses permettaient de distinguer la disposition des collections. Les mains faisant ventouse et ombrelle à la fois, j’approchai mon visage de la porte et crac ! Je piétinai un bout de verre. En regardant à mes pieds, je vis d’autres bouts de verre, et, relevant les yeux, un carreau cassé. Indice, cause, effet : affaire classée. Je glissai ma main dans le pas de fenêtre et actionnai la poignée. La charnière grinça.

On devrait créer un écriteau : « Attention, charnière grinçante ».

Pourquoi, dans les endroits qui paraissent isolés du reste de la nuit, dans ces endroits où seule une curiosité déplacée nous pousse à faire abstraction de nos pressentiments, pourquoi, oui, pourquoi, faut-il toujours que les charnières grincent ?

La porte glissa et je suivis le mouvement. Le guichet abandonné, des allées blanches et vides, une atmosphère contemporaine. Sur les murs, la peinture brillante reflétait timidement le halo des veilleuses. Je me détendis un peu. A mi-voix, toujours : « Marion ? Tu es là ? » A mi-voix ou en hurlant, le silence me répondit. Je longeai un couloir constitué de panneaux de bois, sur lesquels par un jeu de lumières, se projetaient des silhouettes distordues de tennismen des années trente. Plus loin, un escalier rectangle comme un carré serpentait jusqu’au sous-sol. Au vu de la surface s’étalant devant moi, j’eus l’impression d’avoir découvert, derrière cette honnête façade paysanne, un laboratoire atomique secret.

Ici, tout était noir, les murs, les colonnades, le sol en dalles marbrées. J’extirpai mon portable et activai l’option lampe de poche. Pointée par le faisceau, une étrange sculpture de raquettes agrégées, et, à ma droite, dans une vitrine servant de porte coulissante, une centaine de raquettes de toutes les époques, disposées dans un désordre inhabituel. Au milieu de la pièce, un tourniquet garni de coussinets en cuir, noirs eux aussi, attendait le visiteur fatigué. Tout autour, asymétriques, les parois mobiles compartimentaient un espace où les visages des légendes vivantes ou mortes du tennis s’affichaient en noir et blanc comme autant d’ombres surgissantes. Placardé en énorme sur le mur le plus large, celui de Paolo Belluci était traversé par une épaisse voilée qui effaçait ses traits. Sa présence conférait à cette galerie de portraits des dehors de mausolée. L’instantané avait immortalisé Belluci en Joconde inversée : où que vous vous placiez, il ne vous regardait pas. J’éloignai la lampe. La soufflerie, discrète, envahissait les lieux de son ronronnement. Je fis le tour des pièces. Il n’y avait rien à signaler. J’avais laissé la fatigue travailler seule à la fabrication d’intrigues alambiquées. Marion n’était pas là et, si elle ne me répondait plus, c’est qu’elle avait ses raisons. Je décidai de rentrer. Je fis un pas en avant suivi, comme au pasodoble, d’un second dans le sens inverse. Quelque chose venait de me frapper : dans tout ce noir et blanc, un détail irradiait ; un petit liseré rouge qui faisait la jonction entre deux coussins de la banquette circulaire. Je m’avançai. Ce n’était pas un liseré, mais la tranche d’un livre et, en m’avançant plus, je compris que ce n’était pas non plus la tranche d’un livre mais celle d’un carnet ; si je m’étais encore avancé un chouïa, j’aurais pu établir avec certitude qu’il s’agissait du carnet de Marion.

Mais je ne m’avançai pas davantage car, soudain, la soufflerie se tut, les veilleuses s’éteignirent et, un instant plus tard, un fracas terrible, le bruit d’une étagère qui s’effondre et répand son contenu puis un coup sur la nuque, le visage de Belluci tournoie sur le plafond et me voilà par terre, endormi.

Trois fois Racine.

Deux fois Racine.

Une fois et demie Racine.

Racine, à l’envers.

Racine plus grand que moi.

Racine à ma hauteur.

– Vous vous intéressez à la photographie, Loisel ? En tous les cas, je vous donne raison. C’est horripilant tout ce monde aux horaires ouvrés. On fait la queue, on est bousculé, c’est inhumain. Tenez, je vais vous faire une confidence : moi aussi, quand une exposition attise ma curiosité, je force sa porte en pleine nuit. C’est plus commode.

Il avait l’air content de lui. Dans d’autres circonstances, peut-être aurais-je jugé à sa juste valeur la finesse de ses piques, mais j’avais terriblement mal à la tête.

– Donc la photographie, c’est acté. Mais les raquettes anciennes ? Vous vous y intéressez également ? Parce qu’il semble que quelqu’un s’y intéresse de près. C’est vous, tout ce tintouin ?

D’un geste il me désigna l’entrée de la pièce. La vitrine coulissante était en miettes, les raquettes brisées et leurs débris mélangés les uns aux autres.

– C’est quoi, ça ?
– Des raquettes. Cela ne vous rappelle rien ?
– Ah, si : Belluci, bien sûr.
– Le meurtrier sait qu’on ne trouvera rien, aucune trace, sur le matériel que nous avons collecté. Il imagine que nous ne tarderons pas à faire le rapprochement avec le musée où il a dissimulé l’arme du crime. Il prend les devants ; il retourne ici, de nuit, simule un cambriolage, récupère la raquette qui l’intéresse et créé cet amas pour nous faire perdre du temps. C’est une fausse piste, cela va de soi. Le meurtrier nous fabrique un puzzle de raquettes en espérant que nous allons envoyer tous les morceaux au laboratoire pour analyse et mobiliser des effectifs inutilement. Mais la raquette n’est plus là. C’est une évidence. Et cela lui laisse du temps pour s’en débarrasser une bonne fois pour toute.
– C’est assez malin.

Une idée me traversa, mais, quelle qu’en fut la raison, je n’en fis pas part à Racine.

– Ce qui ne m’explique pas ce que vous faisiez ici.
– Je cherchais Marion.
– De nuit dans un musée ?
– J’avais cru la voir passer. D’ailleurs…

Reprenant mes esprits, je désignai la banquette.

– Il y avait son carnet, ici, coincé entre les coussins.
– Je sais. Je l’ai là.
– Vous l’avez ? Je pensais que l’homme avait cherché à le récupérer avant moi. Que c’était la raison pour laquelle il m’avait attaqué.
Non, il ne s’intéressait pas à ça. Vous savez ce que j’ai trouvé, dans ce carnet ?
– Dîtes-moi.
– Le relevé des cordages. Le relevé manquant, vous vous souvenez ? – Il est là. Nous avons le détail de toutes les prestations.
– Eh bien ?
– Fausse piste, là encore. Le meurtrier ou l’un de ses complices l’aura subtilisé pour faire diversion. Le relevé ne nous avance pas davantage que la liste que nous possédions déjà.
– Mais, si la raquette provenait d’ici, et que nous avons donc affaire à un meurtre prémédité, ce relevé ou cette liste ne servent plus à rien !
– Détrompez-vous. Je n’ai jamais dit que la raquette provenait d’ici. J’ai dit qu’on l’avait cachée ici et qu’on avait pris peur. Notre meurtrier est forcément l’un des hommes cités sur cette fameuse liste.
– Il aurait pu faire corder sa raquette ailleurs.
– Non, encore une fois, car cela aurait sous-entendu une préméditation. Or, dans le cas qui nous intéresse, c’est exclu : un homme ayant prémédité son geste ne se serait pas emberlificoté dans un scénario aussi complexe. Il aurait tué, point final. Là, le meurtrier a été dépassé par son acte : il a échafaudé à toute vitesse un scénario plausible a priori : le dopage, la raquette, le relevé, le cambriolage. Il a imité la préméditation pour détourner les soupçons. Si nous trouvons le vrai mobile, nous trouverons le meurtrier. Que vous a raconté Tchernia ?
– Cerny ?
– Oui.
– Il m’a fourni un mobile convaincant.

Après avoir écouté l’histoire dans ses grandes largeurs, l’inspecteur acquiesça, satisfait.

– Voilà un excellent mobile. Nous allons creuser la piste. Butler est trop habile, il ne parlera pas ; mais nous pouvons coincer Iejov.
– Et Marion, vous pensez que l’assassin l’a kidnappée ?
– Si les assassins procédaient à des enlèvements, on les appellerait des ravisseurs.
– Vous voulez dire que…
– Je ne veux rien dire du tout.

Le téléphone de Racine vibra. Le réseau était chaotique. Racine, après avoir patiemment demandé à son interlocuteur de répéter toutes ses phrases plusieurs fois, promit d’accourir et raccrocha. Son visage s’était décomposé.

– Nous avons un mort de plus.
– Qui ?
– Je n’ai pas bien compris.
– Où ?
– Dans une chambre, à l’hôtel où Sergueï Iejov est descendu.

Tiens ! La soufflerie était rétablie.

– C’est une femme ?
– Je n’ai pas compris non plus.

Nous nous fixâmes l’un l’autre quelques secondes.

– Racine : avez-vous ou n’avez-vous pas envoyé Marion auprès de Iejov, ce matin ?
– Bon, d’accord : bas les masques. Je vous ai menti, mais c’était nécessaire. Et rien n’indique que ce cadavre soit le sien ! Donc, en l’absence d’éléments supplémentaires, je vous propose le statu quo. Sans rancune ? Je vous emmène voir le corps pour me faire pardonner ?
– Quelle heure est-il ?
– Minuit cinq. Presque l’heure du crime. Notre meurtrier n’est pas un ponctuel. Ah, ah, ah !
– Vous êtes toujours de bonne humeur ?

 

 

Plan de frappe avancé,

raquette à la traîne

Roger Federer, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

Si vous vous demandez comment Roger Federer peut fouetter la balle et envoyer des frappes rapides, lourdes et sûres sans donner l’impression de se fatiguer. La réponse est dans le relâchement et le fameux “lag”, qui n’a rien à voir avec une mauvaise connexion internet. Voyons ce que cache ce mouvement et comment le mettre  en pratique. 

Qu’il s’agisse de Federer ou d’autres joueurs professionnels, la crispation limite grandement les chances de performances au tennis. Car une grande vitesse gestuelle nécessite une grande élasticité. Il est question de biomécanique, et plus particulièrement de coordination entre les différentes parties du corps.  La vitesse de balle ne dépend pas seulement du poignet, du bras, ou encore du haut du corps. Elle résulte d’une  transmission coordonnée de l’impulsion prise au sol par les jambes.  

Il faut s’imaginer faire la vague, mais qui allant des orteils jusqu’au bout des doigts qui tiennent la raquette.  Pour qu’elle soit efficace, cette chaîne nécessite de la souplesse, et donc du relâchement. Et cela, qu’il s’agisse  de la rotation des épaules à la préparation, ou bien du balancement de la raquette par le corps à l’impact (façon  de parler, prenez soin de vos cadres). Car tout mouvement parasite ou toute zone de crispation sur le chemin  de cette impulsion va compromettre la vitesse gestuelle.  

Pouvant même entraîner un cercle vicieux chez le joueur en quête de puissance qui forcera davantage avec le bras pour compenser son manque de souplesse. 

Cela peut d’ailleurs avoir des conséquences physiques plus ou moins sérieuses. 

Il peut s’agir d’un manque d’endurance et d’une fatigue prématurée lors d’un match, mais aussi d’une exposition accrue à un risque de blessure. Federer a su préserver son corps à l’aide de sa souplesse, au point d’atteindre les quarts de finale de Wimbledon à près de 40 ans. 

Les fatigues chroniques peuvent se transformer en véritable blessures, à l’image du tennis-elbow pour ne citer  que lui.  

Alors que vous voyez votre agile adversaire partir avec le trophée sans avoir l’air de s’être foulé, vous vous dites en vous tenant le coude : « Mais y’a rien qui part avec cette raquette !!! ». 

Si vous êtes dans ce cas là, faites connaissance avec le “lag” avant de changer de matos.   

Le « lag », c’est quoi? Ce n’est pas l’ennemi numéro 1 des pros au premier tour, appelé « jet lag ». C’est tout simplement  le « retard », le « décalage » de la tête de raquette par rapport à la main précédant l’impact. Il est suivi par un  mouvement de fouet qui, additionné au transfert d’énergie par le corps, produit une vitesse de tête de raquette élevée. 

Nous parlerons ici du lag en coup droit à une main, mais il est aussi présent avec quelques nuances sur les autres coups. 

Roger Federer, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

Si vous n’êtes pas familiers avec ce concept, imaginez devoir jeter une balle le plus loin possible avec votre main.  Il est fort probable que vous vous retrouviez naturellement avec le coude devant la tête et la main derrière en  position d’armement. Vous bénéficiez alors de cet effet élastique qui part de l’épaule en passant par le coude qui se déplie, puis le poignet avant d’arriver aux doigts. C’est le principe de la « vague » évoqué précédemment.

Pourquoi est-ce important avec une raquette ? Parce-que cela augmente la vitesse de balle en réduisant l’effort, et donc la fatigue.  

Le poignet a une position de stabilité, qui lui permet de supporter des forces en étant relâché. La main forme alors un angle d’environ 90 degrés vers l’arrière. Et ce dès le déclenchement de la frappe.  

C’est cette position stable qui entraîne un retard de la tête de raquette. Cela implique d’avoir un plan de frappe suffisamment avancé pour envoyer la balle dans la bonne direction malgré l’angle d’ouverture du poignet. Posez votre main horizontalement sur un mur (qui représente la direction où frapper) et cherchez cet angle de poignet  de 90 degrés sans décoller la main (et sans vous faire mal). Voilà une idée de l’avancement du plan de frappe  optimal. Cela peut sembler contre-intuitif, mais il faut garder à l’esprit l’idée de « balancer » la tête de raquette.  Ce « lag » arrivera naturellement en étant relâché.  

L’erreur qui peut être commise en frappe de coup droit est de vouloir serrer la raquette après l’armement, dès le déclenchement de la frappe. Ce qui occasionne une grande perte d’élasticité et donc de vitesse gestuelle, de perte de puissance.  

En plus de ça, le manque de mobilité du poignet empêche des mouvements de brosse (pour lifter) ou de correction au contact de la balle.  

La durée de l’impact avec la balle est très réduite par rapport à la durée de la frappe (du déclenchement à l’accompagnement). Il est alors conseillé de serrer davantage le manche à ce moment précis si le besoin de stabilité  se fait ressentir. Et de relâcher immédiatement après pour l’accompagnement.  

C’est une fraction de secondes difficile à se représenter, mais il est possible de travailler dessus. Avant d’arriver à ce niveau d’ajustements, il existe des exercices simples pour se familiariser avec le lag. 

Roger Federer, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

En voici deux particulièrement simples. Avant de s’y pencher, soufflez un bon coup, détendez-vous. Il est question de relâchement, donc rappelez-vous à quel point c’est amusant de jouer au tennis.  Le premier exercice est utile pour se familiariser avec le relâchement de la main.  

Il s’agit de limiter le nombre de doigts sur le manche pour ressentir la gravité que subit la raquette et s’en servir pour frapper le plus efficacement possible. 

Faire des échanges avec 2, 3 ou 4 doigts sur le grip limite la force que l’on a pour serrer le manche et amène naturellement à favoriser des trajectoires fluides pour la tête de raquette. Avant que l’on s’en rende compte, le relâchement du poignet occasionne le fameux « lag ». 

Le second sert à prendre conscience du retard de la tête de raquette.  

Il suffit de prendre une serviette (grande de préférence) à son extrémité, et de positionner ses pieds face au filet, les épaules tournées à 90 degrés côté coup droit. Les bras tendus et alignés (la serviette touchant presque le sol à cause de la gravité).  

A partir de cette position de départ, il faut effectuer une rotation en gardant les bras tendus et les pieds au sol.  Le but est d’essayer de frapper une balle imaginaire.  

Cet exercice force à allonger et à accompagner la frappe. Il rend plus palpable le poids de la tête de raquette. Et avant que l’on s’en rende compte, le plan de frappe (de l’extrémité libre de la serviette) est avancé. 

En somme, ce n’est pas ça qui vous donnera le coup droit de Federer, mais vous pourrez générer des effets beaucoup plus facilement, profiter d’un gain de puissance avec des efforts musculaires réduits. Ce qui représente une grande diminution du risque de blessures ou de fatigue chronique. Mais surtout plus de confort dans le jeu, amenant donc plus de plaisir et de performances. 

Seul bémol à cela, vous ne pourrez plus accuser votre tennis elbow de vous avoir fait perdre un match.

Roger Federer, Wimbledon 2021, © Antoine Couvercelle

Yonex

Soixante-quinze ans d’artisanat

© Yonex

Il était une fois l’histoire d’une raquette pas tout à fait ronde, venue d’une contrée très enneigée, sur la mer du Japon. Le fondateur de la marque nipponne YONEX, Minoru YONEYAMA nous a quitté, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. Il était l’âme de la fameuse raquette isométrique; aujourd’hui son fils Ben, ses deux petits-fils et filles Casey et Alyssa en assurent la pérennité.

Yonex, la marque bleue et verte. Bleue comme la mer jamais très lointaine, Verte comme la nature omniprésente des montagnes du département de Niigata ; nature peu clémente, immortalisée par le roman du prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata Pays de Neige. Dans ce froid et sous des tonnes de flocons Minoru YONEYAMA s’était forgé un caractère de battant et avait construit son empire mondial. Artisanat, innovation, marketing : Les trois piliers de la légende Yonex.

L’artisanat japonais se définit par le terme mono-zukuri : une attention délicate aux détails et à la finition, un respect des matières premières et de leurs producteurs, une tradition de père en fils.
Jusqu’à la première moitié du XXème siècle, le père du petit Minoru Yoneyama avait tenu, bon an mal an, une petite manufacture de sandales en bois. Minoru avait été témoin des déchirements familiaux autour d’un petit commerce voué à la disparition ; l’entêtement du père, le stoïcisme de la mère, un récit pas loin des Raisins de la colère. Il avait mesuré toute la difficulté de faire perdurer la tradition. Engagé de force dans l’armée japonaise lors de la deuxième guerre, il était revenu miraculé du front. Son père décédé, lui avait légué en 1946 un petit moteur de scierie. Minoru avait alors renoncé à ses rêves de voyage et créé une entreprise de flotteurs de filets de pêche en bois. Très vite maudit par l’évolution du marché, le plastique remplaçant le bois comme matériel de prédilection des pêcheurs, Minoru avait, sur un coup de tête et avec un flair de futur Tycoon, pris le train pour Tokyo où on lui avait parlé d’un marché de raquettes en bois. Il ne connaissait pas le monde du sport, encore moins celui alors en plein boom qui fait encore aujourd’hui la renommée de la compagnie : le badminton. Pari risqué, pari gagné, en un temps éclair.

La compagnie d’articles de sport Yoneyama était créée en 1957, très vite performante par la quantité de production et la qualité des raquettes, elle se lance dans le tennis en 1969. Le côté visionnaire et scientifique de Minoru c’était alors la T-7000, la première raquette au monde en aluminium. Sans arrêter la production des raquettes en bois, il cherchait déjà l’avantage, l’éclaire de génie afin de prendre les devants sur la concurrence.

Martina Hingis, © Ray Giubilo

Une des constantes de la philosophie de Minoru Yoneyama, malgré une grande curiosité pour l’étranger, était la fidélité au terroir. Il avait toujours refusé de délocaliser ses usines près des grandes agglomérations , gardant la maison mère dans les montagnes de ses ancêtres. Le Japon étant un pays ultra-centralisé, il ne rechigna pas à transférer les branches de la vente, du marketing et la direction à Tokyo mais garda sa pleine confiance aux ouvriers de sa région, les bonhommes de neige, comme il les appelait, pour leur sérieux et leur amour de l’artisanat qui aura toujours fait la force de sa marque. Encore aujourd’hui Yonex est une des rares marques de raquette qui ne produit ni se fournit en Chine. Ce qui est fou, c’est que ce petit homme aux grandes mains, Minoru, dont les larges sourcils et le grand sourire sont comme le climat de son pays, une éclaircie qui change vite en tempête, ait gardé jusqu’au dernier souffle une main de fer sur son royaume, apposant comme l’empereur qu’il était, le tampon sur le contrat d’une nouvelle star qu’approchait la marque ou sur la direction d’une campagne publicitaire.

C’était lui qui avait décidé de rembourser jusqu’au dernier sou les victimes de l’incendie de l’usine des débuts qui avait failli ruiner la compagnie et ravagé le village. C’était lui la décision de continuer comme gage de repentance et de confiance d’engager fils et petits-fils d’employés de la région dans ses usines. C’était lui la promesse d’être à la fois une compagnie dont l’identité resterait l’artisanat millénaire japonais tout en allant à la conquête du monde.

Minoru Yoneyama c’était un peu le René Lacoste japonais, grand homme d’affaire et aventurier, génie de l’intuition et des inventions. En 1974, afin de s’attaquer de plus belle au marché mondial, sa  marque Yoneyama Sports devint Yonex ; un autre coup de génie : il avait peur que le nom Yoneyama soit trop long pour les journaux, trop difficile pour les étrangers, il le coupa en deux Yone, et ajouta une touche de science-fiction avec la lettre symbolisant l’infini et l’innovation, le fameux x du x-factor

En 1981 après de nombreuses simulations, Minoru ouvrait sa première usine en Europe et lançait la fameuse raquette Isométrique, dont le tamis ressemble toujours à un octogone et non pas un cercle, mais dont le sweet-spot  légèrement en tête de raquette est plus large et donc  plus clément. Les théories c’est une chose, il fallait aussi convaincre les joueurs et joueuses. Mais Minoru n’était décidément pas un homme comme les autres, il voulait que les ambassadeurs de la marque Yonex soient comme lui : qu’ils prennent des risques, qu’ils aillent de l’avant, qu’ils représentent une personnalité forte sur et en dehors le court de tennis. Il avait un coup de foudre pour Bille Jean King, battante comme lui sur les courts, défenseur en dehors de la cause féminine avec brio. Elle était iconoclaste, comme sa raquette l’était.

Naomi Osaka, © Yonex

Minoru Yoneyama sauta dans un avion, obtint un rendez-vous, lui sortit le grand jeu, la laissa réfléchir tout en la bombardant de croquis, de projets, de lettres passionnées ; Billie Jean fini par signer en 1980 et les raquettes R-1 R-2 R-3 furent créées au nom de la championne. Dans la foulée il signa une jeune Tchécoslovaque du nom de Martina Navratilova, pour qui il avait alors la présence d’esprit de créer un nouveau prototype la R-7 . Minoru sentait qu’elle ne resterait pas longtemps dans l’ombre de son aînée BJ King. Elle remportait en 1982 à Roland-Garros le premier titre du Grand Chelem de la compagnie Yonex, puis l’année suivante les quatre tournois du Grand chelem, avec le nouveau bolide, la R-22, qui fut un succès mondial.

Minoru était un fou de travail, il était à l’usine, dans les bureaux de Tokyo, sur les tournois à l’étranger de badminton et de tennis ; il se lançait dans les clubs de golf et ne prenait jamais de vacances. « Il n’avait presque pas de vie privée, de vie de famille », selon son fils Ben.
Un stakhanoviste japonais typique, comme Tadao Ando l’architecte ou Masayoshi Son l’entrepreneur de Sony, des hommes durs mais passionnés, persuadés qu’il faut toujours évoluer, conquérir, mais jamais dans le conflit.

Il voulait rester près de ses usines et de ses joueurs. C’était un homme à taille humaine. Les années 90 furent de bons crus, avec la pépite nipponne Kimiko Date, le timide Sergi Bruguera et la petite fée Martina Hingis tous signés dans une fenêtre de quatre ans. Une fournée de champions qui assurait l’assise de la marque à l’international.

Aujourd’hui on marque les 25 ans de la finale historique Krajicek-Washington à Wimbledon 1996. Deux joueurs atypiques, deux forts caractères, à contre courant de la domination Sampras-Agassi.
Un tournoi où Krajicek fut intouchable. Il y eut une photo mémorable au filet avant la finale, où les deux raquettes Yonex près du corps des deux champions attirèrent tous les regards. [/vc_column_text]

Nick Kyrgios, © Yonex

Le fils Ben Yoneyama, hérita de la passion du père pour les champions au fort caractère. Quitte à passer sur des opportunités plus lisses, à l’approche du deuxième millénaire Yonex allait miser des grosses sommes sur des rebelles qui étaient censés inspirer la jeunesse japonaise un peu fade au goût de papa Minoru : le génial Marcelo Rios, le kid Llewton Hewitt furent deux étoiles filantes, qui annonçaient au XXIème siècle des contrats avec de nouveaux marginaux : Tomic ou Kyrgios.

Lleyton Hewit se souvient bien de sa sa première raquette Yonex : « J’avais dix-sept ans et j’essayais pleins de nouvelles raquettes. J’étais au Texas dans l’académie de John Newcombe et je tombe sur cette raquette un peu étrange. Je l’essaye, j’ai un incroyable feeling : de la puissance, un gros sweet spot. Sur mes retours de service, mon meilleur coup, elle était comme l’extension de mon bras. Finalement c’était une raquette assez classique, pour un jeu à plat, des revers coupé, des volées basses, même sans tuning l’équilibre était impeccable ». [/vc_column_text]

Lleyton Hewitt, © Ray Giubilo

Yonex a longtemps eu cette image de joueurs avec des revers à deux mains, à plat, millimétrés. Pourtant les joueurs qui représentent la marque évoluent. Comme le témoigne le fabuleux revers à une main du jeune Shapovalov, le coup droit fracassant du next-gen américain Tiafoe. Il y a aussi la pépite kazakhe Bublik, géant slave aux mains de virtuose. L’identité des iconoclastes de la famille YONEX perdure, Minoru aurait sans aucun doute approuvé. Il aurait même pardonné à Kyrgios son étiquette de bad boy, car le punk austral est un personnage attachant, finalement assez sincère, et surtout contrairement aux préjugés de girouette, très fidèle à la marque du soleil levant.

Si les stars masculines ont décuplées ces dix dernières années, pour beaucoup d’amateurs de tennis en occident, Yonex a toujours été une marque de femmes. Les deux Martina, Aranxta Sanchez, Monica Seles, Mary Pierce, Ivanovic, Kerber. Aujourd’hui encore, c’est surtout Naomi Osaka que l’on voit faire les titres des médias du monde entier.

Stan Wawrinka, © Antoine Couvercelle

L’homme de la révolution au masculin c’est Stan Wawrinka, c’est lui qui est le vrai pari gagnant de ces vingt dernières années. Lui qui a eu un coup de foudre pour la Yonex alors qu’il ne s’attendait plus du tout à du changement, au milieu de sa carrière : « je l’ai prise en main et j’ai eu un sentiment de contrôle total. Pour moi, le contrôle avait toujours eu une grande importance dans mon jeu, de même que la polyvalence, qu’il s’agisse de contrôler les échanges en slice et spin d’un point de vue tactique ou encore en utilisant la puissance pour dicter le point. La résistance du matériel ainsi que la constance entre tous les modèles me permettaient d’emblée d’allier puissance et contrôle. » Stan gagna dans la foulée son premier trophée du Grand Chelem, en Australie. Alyssa Yoneyama s’en souvient : « il nous avait demandé des réglages précis par rapport aux sensations de son coup droit. Il voulait plus d’effet sans perdre le feeling initial de contrôle, nos spécialistes ont planché jour et nuit sur ce projet ». Minoru Yoneyama, le grand-père d’Alyssa n’était plus aux commandes, mais c’était bien une anecdote dans la pure tradition de l’artisanat et du dévouement nippon de Yonex.

Aujourdh’ui au Japon Yonex est la deuxième plus grande marque de sport derrière Asics, un autre patron légendaire et visionnaire, contemporain de Minoru Yoneyama le fameux Kihachiro Onitsuka. Yonex fête ses soixante-quinze ans en 2021 et continue à grandir à son rythme. Il reste des terres sauvages, comme l’Europe, où l’implantation dans des grands pays de tennis comme l’Angleterre ou l’Italie n’a pas encore vraiment réussie, faute d’avoir trouvé les bons partenaires. Une chose est sûre, la marque ne quittera jamais les montagnes de Niigata, la neige, la mer, le bois, feront toujours partie de l’équation, comme Minoru Yoneyama, aujourd’hui au ciel l’a toujours voulu.

Gordon and Alfie

The Last Five Years in Their Own Words

LONDON, ENGLAND - JULY 09: Gordon Reid of Great Britain (R) and Alfie Hewett of Great Britain (L) celebrate victory during the Men's Wheelchair Doubles Final against Stephane Houdet of France and Nicolas Peifer of France on day twelve of the Wimbledon Lawn Tennis Championships at the All England Lawn Tennis and Croquet Club on July 9, 2016 in London, England. (Photo by Julian Finney/Getty Images/LTA)

After storming to victory in the Roland Garros doubles final and claiming their 11th Slam title together Gordon Reid and Alfie Hewett became the most successful all-British doubles partnership at the Grand Slams. And this year at Wimbledon they’ll celebrate five years since winning their first in that impressive run, as well as it marking five years since Reid won the first ever Wimbledon men’s open division wheelchair tennis singles title.

We take a trip down memory lane with Team Heid and look at their highlights, lowlights and the developments they’ve seen at the Championships over those years.

ON BREAKING THE RECORD

Me personally I think it’s quite difficult to compare records in the past with now and also then the able-bodied side and the wheelchair side of tennis, so for me the most pleasing thing is that me and Alfie are creating our own records, bringing home the trophies one by one and winning together.” – Gordon Reid on becoming the most successful all-British doubles partnership at the Slams

ON HOW THINGS HAVE CHANGED

GORDON:I think there’s just a bit more weight placed on the wheelchair event, it’s become a little bit more highly respected and there’s more interest in it. If you think back to 2016 our doubles final and my singles final were played on Court 17 and it wasn’t really an event it was just kind of another match. Whereas now we’re playing those finals on Court 3, it’s packed out and it’s live on TV and there’s a bigger deal made out of it which is exactly where we want to be moving forward.

LONDON, ENGLAND - JULY 10: Gordon Reid of Great Britain lifts the trophy as he celebrates victory during the Men's Wheelchair singles final against Stefan Olsson of Sweden on day thirteen of the Wimbledon Lawn Tennis Championships at the All England Lawn Tennis and Croquet Club on July 10, 2016 in London, England. (© Julian Finney/Getty Images/LTA)

FUNNIEST MOMENT

ALFIE:For me it’s Court 3 again and we’re playing in the final and there’s Gordy’s lot in one corner and my lot in the other one and they are just chanting at each other. My grandma was absolutely going for it so it was quite funny to watch.”

GORDON:Yeah I don’t know which year it was maybe 2017 or 2018 there’s a clip of us winning the match point and then the camera pans to my friends and family in the crowd and my best mate is just having a full on hug with the stewardess.

Britain's Gordon Reid celebrates beating Sweden's Stefan Olsson to win the men's wheelchair singles final match on the last day of the 2016 Wimbledon Championships at The All England Lawn Tennis Club in Wimbledon, southwest London, on July 10, 2016. / AFP / JUSTIN TALLIS / RESTRICTED TO EDITORIAL USE (© JUSTIN TALLIS/AFP/Getty Images/LTA)

FAVOURITE MOMENT

GORDON:For me it’s got to be when I nearly snapped Alfie’s back at the end of our first doubles final. It was a big moment for both of us. Our first Grand Slam together, our first Wimbledon title there was so much on that match and it was such a close one – that was a really special one.

ALFIE:Court 3 and being there on that big stage for a couple of finals that has to be up there too. It’s rare for us to be playing in those sorts of matches and feeling like we’re in the limelight. It was a whole new level.

Britain's Alfie Hewett (L) and Gordon Reid (R) celebrate beating France's Stephane Houdet and Nicolas Peifer in the final of the men's wheelchair doubles on the thirteenth day of the 2016 Wimbledon Championships at The All England Lawn Tennis Club in Wimbledon, southwest London, on July 9, 2016. / AFP / LEON NEAL / RESTRICTED TO EDITORIAL USE (© LEON NEAL/AFP via Getty Images/LTA)

MOST CONTROVERSIAL MOMENT

ALFIE:I know I’ve blasted a few balls at Henman Hill but that’s not very controversial is it?

GORDON:It’s got to be when Stefan Olsson fell out of his chair and got his racket passed to him by the ball kid. Yeah it looked good on the highlight reels but technically we should have won the point.

LONDON, ENGLAND - JULY 12: Alfie Hewett of Great Britain, partner of Gordon Reid of Great Britain plays a backhand in their Men's Wheelchair Doubles Semi-Final match against Stephane Houdet and Nicolas Peifer of France during Day eleven of The Championships - Wimbledon 2019 at All England Lawn Tennis and Croquet Club on July 12, 2019 in London, England. (© Clive Brunskill/Getty Images/LTA)

WORST MOMENT

GORDON:Me personally probably going out first round in the singles in 2017. Obviously after winning the title the first year and then going in to defend and falling at the first hurdle it was tough.”

ALFIE:Well I’ve not reached a singles final so that’s a difficult one. 2019 was a pretty rough one though. Obviously losing the doubles final and getting pretty torn apart in the singles by Gustavo Fernandez in the semis, it was definitely one to forget.

LONDON, ENGLAND - JULY 12: Alfie Hewett and Gordon Reid of Great Britain celebrate in their Men's Wheelchair Doubles Semi-Final match against Stephane Houdet and Nicolas Peifer of France during Day eleven of The Championships - Wimbledon 2019 at All England Lawn Tennis and Croquet Club on July 12, 2019 in London, England. (© Clive Brunskill/Getty Images/LTA)

BEST POST-MATCH CELEBRATION

ALFIE:Oh the third set tie-break against Gustavo and Shingo (Kunieda) in the doubles semi-finals, well it was both years really but there was one of the years, I think it might have been 2017, and I’ve never screamed so loudly after a match. It was just so tight and could have gone either way. I think I popped a vein I screamed so hard and in the pictures you can see it just bulging.

GORDON:I’ll always remember the push from Court 17 to the media centre after I’d won the singles title in 2016. I had about ten of my friends just walking by me, singing songs and pouring champagne over my head so I turned up to the press conference absolutely soaked and stinking of champagne.

Sparring-partner

© Les Petits As

CHAPITRE V – Les Petits AS

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne
Chapitre IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl

 

 

Le maquillage professionnel, c’est quelque chose. Ça n’a rien à voir avec la chirurgie esthétique ou les déguisements de Cherokee ; une jolie fille vous applique des poudres magiques et vous devenez vous, en mieux. Butler pénétrait au même moment sur le Lenglen pour son match contre Gambill – on entendait les échos des applaudissements tandis que le présentateur annonçait l’arrivée du quatrième mondial – et j’éprouvai une forme de honte à l’idée d’abandonner Claudio pour ce qui serait sans nul doute sa dernière heure et demie de vie consciente. Oui, j’éprouvais une sorte de honte, mais elle était largement compensée par les massages de tempes administrés par la maquilleuse.

A 16h55, j’entrai sur le plateau. Je suis plutôt vieux jeu, concernant le sport en général et le tennis en particulier, mais beaucoup moins vieux jeu que France Télévisions. Si j’admire l’offensive, je ne me répands pas en commentaires désobligés sur la disparition « tellement préjudiciable » du « tennis d’attaque » et sur le « manque cruel de variations dans le tennis contemporain ». Déjà, parce que je demande à voir McEnroe monter à la volée face aux fusées de Iejov ; ensuite parce que les variations se pratiquent plutôt en position d’attaque, et confère ma remarque précédente ; et puis parce que c’est comme ça : le tennis a changé. Je fus par conséquent surpris de constater que ce que je prenais pour de l’ameublement sonore en période creuse nourrissait hors antenne les conversations des journalistes, consultants et commentateurs présents autour de moi. Ainsi s’achevait leur conversation au moment où l’ingénieur du son, une sorte de nain claudiquant, s’ingéniait, les mains dans mes poches, à dissimuler les fils du micro-cravate dont il m’avait gratifié.

– Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, Arnaud. Je ne me réjouis évidemment pas de la disparition de Belluci. Ce que je dis, par contre, c’est que ça ouvre le tableau pour les attaquants. Tu es le premier à dire que ce serait beau de voir un attaquant remporter Roland-Garros. On ne peut pas dire que Belluci variait beaucoup, quand même : pan dans la balle, bim, bam, boum, ping, bang bang, pan, boum, vraoum, badibadaboum, pim, pam, prouuuuuuh, on recommence, puis à nouveau ; et au premier qui craque. Stratégiquement, on a vu plus excitant.
– Ce que tu ne comprends pas c’est que les attaquants, sur terre, arrêtent d’attaquer. Ça ne change rien. Regarde Stern : au début de sa carrière, il montait sans arrêt au filet ! Et aujourd’hui ? Nada – Nichts. Belluci, Iejov, Butler et tous les autres ont fait évoluer le jeu : les joueurs ont peur d’être pris pour des cibles. Mais je t’assure que, partout ailleurs, les gens s’en réjouissent ! Il n’y a qu’en France – et un peu en Angleterre, mais on ne va pas se mettre à être d’accord avec les angliches – qu’on regrette ce jeu-là. Ailleurs, plus ça tape fort, plus c’est physique et plus ça fait d’audience.
– Peut-être somme nous en train de devenir des dinosaures.
– Pourquoi crois-tu que les chaines privées internationales veulent obtenir les droits ? Avec les montants qu’elles proposent, elles espèrent pouvoir jouir de l’influence nécessaire pour orienter la programmation et peser sur le jeu, le rendre toujours plus court, plus dense, plus spectaculaire. Nous, on est protégé parce qu’on est en phase avec la direction et la fédération, mais pour combien de temps ?
– Bon, déjà, on peut se rassurer : un mort sur le tournoi, on le saura, ça fait de l’audience. Ah, tiens, parlant de ça, bonjour. Auguste, c’est ça ? Excusez-moi, je ne vous connais pas, je suis plutôt sur le cyclisme, habituellement ; mais le tennis, c’est passionnant ! Hein ? Arnaud ? Tu connais monsieur ?
– Oui, on s’est croisé, aux Petits As : tu avais gagné en 1997 ou 1998, c’est ça ?
– Non, c’est Simon Perreau qui a gagné les Petits As. Moi, je t’ai joué en Interclubs, en 2000. J’avais perdu, je te rassure, c’est peut-être pour ça que tu ne t’en souviens plus.
– Si, je m’en souviens très bien ! Tu jouais pour Garches !
– Non, pour le TCP.
– Ah oui, oui, c’est ça. C’est ça…. Tap, tap, tap sur la table centrale.
– Et vous accompagnez donc la police sur l’enquête ?

« Antenne dans deux minutes ».

– Je tourne comme sparring, sur le tournoi, et l’inspecteur Racine se sert de mon réseau pour obtenir des informations dans un cadre un peu officieux. Mais peut-être vaudrait-il mieux ne pas en parler, afin de ne pas compromettre ma position.
– Ah ! Sparring ? C’est bon, ça ! Vous avez joué Belluci, cette quinzaine ?
– Je suis même la dernière personne à avoir joué avec lui.
– Sensationnel ! On va en parler, d’accord ? Message reçu, pour l’enquête – il prit une voix de robot : Motus et bouche cousue.

Arnaud, autrefois fine fleur du jeu d’attaque, éclata de rire. Mariana, l’ancienne joueuse reconvertie speakerine, failli s’étouffer dans ses gloussements. On se serait cru dans un dépôt-vente avec tous ces anciens, sur qui le maquillage agissait comme une couche de vernis réhabilite un meuble. De la Terrasse, je dominai tout le stade, et ma vue s’étendait sur les canopées du bois de Boulogne. Les bobs et les panamas se déplaçaient, solitaires, dans les allées, petits points blancs et verts dessinant dans le ton des impressionnistes une chorégraphie gentiment bourgeoise. Ce que j’aime Roland-Garros !

Je penchai la tête sur ma droite : 4/0 pour Butler, service à suivre. Jusque-là, tout allait bien.

« Trois, deux, un… »

– Bonjour à ceux qui nous rejoignent sur France 2 et rebonjour à tous ceux qui nous ont suivi depuis France 3. De très belles rencontres à jouer, encore, ici à Roland-Garros où Zach Butler, le Canadien, joue en ce moment même son compatriote Gambill, qu’on connait moins. Et c’est bien parti pour le quatrième mondial, n’est-ce pas, Patrice ?
– Oui, très bien parti même si Butler vient de se faire une petite frayeur sur une glissade mal négociée à l’instant, permettant à son adversaire de reprendre l’un des deux services de retard qu’il avait abandonnés plus tôt dans ce premier set. 4/1 pour Butler qui dispose toujours, donc, d’un break d’avance.
– Merci Patrice. On reviendra vous voir très vite, sur ce court Suzanne Lenglen. Alors on vous rappelle, tout de même, les qualifications d’Adam Stern et de Sergueï Iejov pour les quarts de finale de Roland. Tous les grands sont bien sûr présents, même si ça n’a pas été facile pour Stern, aujourd’hui, Mariana.
– Oui, en effet, beaucoup de vent et des conditions de jeu un peu lourdes qui ont ralenti Adam Stern aujourd’hui. Peut-être aussi était-il perturbé par le maintien du tournoi suite à la mort de Paolo Belluci lui, qui, d’après ce que j’ai appris, avait plaidé pour une suspension. Enfin, il est qualifié et c’est l’important.
– On va revenir sur ce qui est évidemment la grande affaire de ce Roland 2015 avec notre invité, Auguste Loisel, ancien joueur et dernier sparring, comme on dit ici à Roland, à avoir tapé la balle avec Paolo Belluci. Mais d’abord un mot, peut-être, Arnaud, sur la victoire de Iejov, très impressionnant aujourd’hui.
– Oui, Mariana l’a dit, hein, autant Stern ne semblait pas dans son assiette sur le court tout à l’heure, autant on a retrouvé un Sergueï Iejov très déterminé, bien sur ses appuis, très convainquant dans son jeu d’attaque et quasiment indébordable en défense. Pour moi, Iejov est en train de devenir le favori de ce tournoi au vu de ce qu’il a pu nous montrer aujourd’hui.
– Et puis, à suivre, le vétéran, toujours là : Mankelevic, qui jouera Berst. On se souvient qu’il avait été finaliste ici en 2001, et il est encore au niveau, ça fait plaisir de voir ainsi des joueurs qui aiment leur sport et le défendent. Mais on va tout de suite revenir sur la mort suspecte de Paolo Belluci et sur la suite des évènements qui se sont déroulés depuis hier avec vous, Auguste. Alors on a beaucoup hésité, au niveau de la direction sur le maintien ou non du tournoi, et il a finalement été décidé de ne pas suspendre. C’est, évidemment, une décision controversée, mais on ne va pas s’en plaindre puisque ça nous permet, malgré les circonstances, d’avoir et de voir, surtout, du beau jeu. Auguste, vous êtes donc sparring-partner, expliquez peut-être aux téléspectateurs en quoi cela consiste.

Ce n’était ni la première, ni la dernière fois qu’on me le demandait.

– Et vous avez donc joué Belluci le matin de sa mort. Comment était-il ?
– Il était très compétitif, très impliqué.
– Vous avez été surpris d’apprendre qu’il était blessé ?
– Extrêmement surpris, oui. Il m’avait paru plus fort que jamais. Je continue à douter de cette blessure. À mon sens, cet abandon mystérieux est à mettre en relation avec les évènements qui ont suivi.
– Auguste, on se connait un peu…

C’était Arnaud qui parlait. On ne se connaissait pas.

– Je sais que tu es très proche de la police, sur ce dossier, et que tu sondes un peu les joueurs pour elle. Qu’est-ce qu’ils te disent, quand tu les approches ? Moi, je les trouve quand même marqués. Je ne sais pas si c’était une si bonne idée de maintenir le tournoi.

Le mal était fait.

– Je… Marqués, non, pas forcément marqués. Secoués, oui. Mais c’est aussi là qu’on voit ceux qui ont le truc, le virus, la gagne.
– C’est-à-dire ?
– Des mecs comme Butler, par exemple, ne se laissent pas déstabiliser du tout par ce genre d’évènements. Il y voit une vraie opportunité pour lui d’accrocher un Grand Chelem. Enfin, je crois.

Tout le monde était mal à l’aise. Comment rebondir là-dessus sans risquer la diffamation ?

– Auguste, on va un peu revenir sur votre nouveau métier. C’est vrai qu’on connait bien les cadors du circuit et qu’on ne se fait pas trop de soucis pour eux à la fin de leur carrière…
– Ah ça, non ! s’exclama Mariana, hilare.
– Oui, en général, de ce côté-là, ça va : mais le tennis ce n’est pas que dix ou vingt personnes. Même le trois-centième mondial, aujourd’hui joue très, très bien. Quel a été votre meilleur classement à vous ?
– Quatre-cent vingt-six.
– Voilà. Et donc c’est pour tous ces professionnels de l’ombre une vie de voyages aussi, mais également de galères et quand vient le jour de la retraite, ce n’est pas forcément évident, comme ça de se reconvertir. Racontez-nous.

J’estime votre mémoire suffisante pour ne pas recommencer.

– Eh bien, merci beaucoup Auguste Loisel d’être passé sur la terrasse pour nous parler de Belluci et bien sûr de vous ; et puis on vous souhaite le meilleur dans votre nouvelle activité. Avant de se quitter, un pronostic, pour la victoire finale ?
– Oh, le pronostic du cœur, Adam Stern !
– Merci beaucoup.
– Merci à vous.

Et tout de suite on retourne sur le Suzanne Lenglen où Zach Butler grimace, Patrice.

« Oui, il grimace un peu. Butler a été convainquant pour remporter la première manche, 6/2, mais depuis c’est une autre histoire sur ce court Suzanne Lenglen où le Canadien a bien du mal à trouver ses repères face à ce diable de Gambill. Et c’est maintenant au tour de Gambill de… »

– Désolé, on n’a pas trop été intrusif, hein, sur la police ? Simplement pour rassurer un peu les téléspectateurs.
– Non, non, ne vous inquiétez pas. Je m’inquiète pour deux.

Un homme prêt à assassiner le numéro 1 mondial en plein milieu d’un court n’hésiterait sans nul doute pas une seule seconde à me trucider s’il m’imaginait sur ses traces. Désormais, j’étais une proie facile et identifiée. Cette idée me ramena à Marion. Son silence commençait m’inquiéter sérieusement ; pourtant, quelque chose au fond de moi me retenait de courir après elle – la fatigue peut-être. J’attendis un changement de côté pour rejoindre Claudio qui se rongeait les sangs. Il répondit à une question que je n’avais pas posée.

– Non, non, pas de break, heureusement. Mais il rame sur son service ! Il ne pousse pas du tout sur les jambes. Il est vraiment à la peine. Et en face, Gambill ne joue pas particulièrement bien, c’est d’autant plus frustrant. Non, je la sens mal.

« 0/15 »

– Je croyais que rien ne pouvait entamer ton optimisme.
– Tu ferais mieux de prier avec moi.

« 0/30 »

– Tu es croyant, toi, maintenant ?
– Qui t’a dit que je priais Dieu ?

« 30/A »

– Tu vois, mes prières marchent ! Il revient à 30A.

« Jeu, monsieur Butler ».

Cinq partout, deuxième set. Butler avait déjà sauvé trois balles de break sans parvenir à s’en procurer une seule.

– Je n’ai toujours pas retrouvé Marion.
– Je te promets de t’aider à la chercher dès que Butler en a fini. – D’ici là, je vais souffrir en silence et attendre, attendre encore, pour faire pénitence de ma vie de déBAUCHE !
– Quitte à raconter n’importe quoi, tu pourrais avoir l’obligeance de ne pas accorder ton volume sonore à ton excitation. Quoiqu’il arrive, on en rediscutera, mais je crois que c’est la dernière année où je marche, pour les paris.
– Ce qui veut dire que tu renonces à ta part, SUR LES TRENTE MILLE ?!!!
– Tu as bien renoncé à retrouver jamais l’usage de tes rotules.

Butler venait de se procurer une balle de break, la première du set. Malgré moi, j’étais pris par l’enjeu et, penché en avant, les jambes crispées et les mains jointes, je formulais des réponses machinales sans quitter le court des yeux. Jusqu’à la libération, enfin !

« Jeu, monsieur Butler ! »

Les supporters de Zach Butler, des filles entre deux âges pour le plus gros d’entre eux, se levèrent d’un bond et applaudirent à tout rompre au son de leurs vivas. Dans une minute trente, leur protégé servirait pour mener deux sets à rien, autrement dit, plier le match. Le poing serré devant ses lèvres épaisses, Butler regagnait son banc avec une vigueur retrouvée.

– Il est mieux, là. Bien mieux.

L’ascenseur émotionnel par lequel était passé Claudio était de marque allemande, robuste et fonctionnelle. Sa peau était devenue étrangement diaphane, une peau de nymphette grecque dans une peinture style Renaissance. Des gouttes perlaient de ses cheveux noirs.

– Je crois que je ne me sens pas bien.
– Je le crois aussi, Claudio. C’est de sentir tes rotules alors que tu pensais ne plus jamais les revoir. Ca fait un choc.
– Je ne me sens pas bien, vraiment.
Je lui aspergeai un peu d’eau sur le crâne et, récupérant un bob sur un strapontin laissée libre, je le lui enfonçai tant bien que mal par-delà sa tignasse. Il n’avait plus même la force de se défendre.

« Time. »

Butler se mit en jambes, fit craquer son cou en se dirigeant vers le fond du court. D’un mouvement de menton, il réclama sa serviette au ramasseur de balles, s’épongea consciencieusement le front, récupéra trois balles, en jeta une, puis deux, rangea l’autre dans sa poche, se tourna vers un deuxième ramasseur et répéta l’opération ; il fit volte-face vers la ligne, jeta par habitude un œil de l’autre côté du filet où tout semblait en ordre. Gambill en position, il se mit à servir.

« 15/0 »

Zach Butler se contenta de mimes pour faire comprendre au corps des ramasseurs qu’il exigeait qu’on lui rende la même balle. Superstition gagnante.

« 30/0 »
Service gagnant.

« 40/0 »

Il finit sur un ace. Mais en plus du bruit sourd de la balle bien centrée, de l’impact chuintant de cette même balle fusant sur la terre sèche, du souffle du public trop longtemps retenu et des applaudissements subséquents, on entendit un petit son aigu, un son de cartilage qui devient cartilages, de tendon détendu, un hurlement, puis le désordre d’une chute. Butler, couvert de terre orange, s’étalait de toute sa longueur sur le sol, sa jambe tordue à 150 degrés sous ses fesses, ses mains sur son genou droit.

Dans l’expectative générale, Zach Butler se contorsionnait de douleur.

Claudio ne disait rien. Il baissait la tête.

– Quand je parlais de tes rotules, c’était pour rigoler, tu sais. Je ne voulais pas…
– T’occupe. J’aimerais que tu me laisses seul, là. Je dois réfléchir.

Oiseau de mauvais augure, je croassais sans y toucher. Claudio assistait, impuissant, au spectacle désolant du genou brisé de Butler qui allait briser sa vie. Tandis que je remontai les marches pour sortir de l’enceinte, seul spectateur à ne pas me repaître du spectacle de l’humiliation souffreteuse (arrivée du kiné, arrivée du médecin « Jeu, set et match Gambill », poignée de main à l’horizontale), le relent aux lèvres, je me mis à pouffer de rire par bouffées salvatrices, je pleurai littéralement de rire, je m’asphyxiai, suffoquai de rire, en pensant à toute l’absurdité de cette situation et à ses conséquences, plus absurdes encore. Et je me demandai comment le clan Iejov avait pu prévoir un tel scénario et s’ils n’avaient pas cherché, en pariant auprès de Claudio, à prendre le contrôle sur moi. Et je riais, je riais, je riais pour étouffer ma peur.

Roger et moi

Wimbledon 2018, © Ray Giubilo

Je ne sais pas si je suis mégalo, mais il m’arrive parfois de penser que Roger Federer et moi partageons une (petite) histoire. Une histoire de gazon. J’ai en effet eu la chance de commenter, pour la télévision française, tous les sacres du Suisse sur ses terres de Wimbledon. De 2003 à aujourd’hui, et jusqu’à demain j’espère, on s’est croisé et on se croisera encore.

Je n’étais pas un fan de la première heure de Federer. Par méconnaissance. Je m’étais éloigné du circuit entre 1999 et 2002 et j’avais à peine ouï dire qu’un jeune Suisse doué avait battu Pete Sampras sur son propre gazon en 2001. Je ne suis revenu à Wimbledon qu’en 2003 et si j’avais dû faire un pronostic cette année-là, j’aurais cité Hewitt, Henman ou Roddick. Mais pas Federer, c’est certain. La grande affaire était plutôt, selon moi, le retour improbable de Philippoussis qui avait gâché mon plaisir en battant Grosjean en demi-finale. En fait, Federer n’est devenu mon favori que le dernier jour et j’étais un peu opportuniste sur ce coup-là, avouons-le. En revanche, tout m’avait plu lors de cette finale : ce sourire presque enfantin de Roger juste avant de rentrer sur le court, lorsque le steward récupère les sacs des deux finalistes ; ce passing de revers lifté réussi de volée à mi-court, à 2/0 dans le second set (regardez-la sur YouTube, c’est un bonheur) ; ce regard énamouré de Mirka, que je trouve ravissante, vers son champion ; et surtout, pour la première fois, Federer qui tombe à genou après le dernier point. Je dois bien avouer que ce qui m’impressionne le plus à ce moment-là, alors que je découvre réellement Roger, c’est son revers. J’y vois tellement d’élégance et une telle fulgurance ! Avez-vous par ailleurs remarqué qu’il s’agit, à ce jour, de la dernière finale messieurs à Wimbledon avec deux revers à une main ?

Wimbledon 2003, Roger Federer s'impose face à Mark Philippoussis et remporte son premier titre du Grand Chelem, © Ray Giubilo

Un an plus tard, tout a changé. Il est no 1 mondial et on entre de plein pied dans les années de sa domination exclusive. La finale 2004 est à mes yeux l’une des plus belles. Face à lui, Andy Roddick, l’incarnation du Ricain moderne, combo réussi d’Agassi et de Courier, agrémenté d’une jolie propension à venir au filet, la casquette vissée sur le crâne. Cette finale peut décider qui va prendre le pouvoir sur le circuit masculin. C’est la violence et la puissance du nouveau monde face à la finesse et la vitesse de la vieille Europe. Les frappes de Roddick sont d’une violence folle et la vitesse de déplacement de Federer est hallucinante. Plus Andy frappe fort, plus Roger court vite : personne ne veut céder un pouce de terrain. À l’usure, c’est Roger qui s’impose. Il me semble que son émotion, alors, est plus forte encore que l’année précédente.

La rivalité entre Roddick et Federer pour la première place mondiale n’existe plus l’année suivante. Ils sont en finale tous les deux, mais il n’y a pas de suspense tant il paraît évident que Federer évolue à un niveau supérieur. Je découvre également, lors de cette finale 2005, un homme qui peut pleurer et exposer sa fragilité. Car ce titre fait suite à deux défaites en demi-finales à Melbourne et à Roland-Garros. Il n’a donc pas encore décroché de titre majeur cette année-là. Une forme de doute s’est peut-être installée chez lui et cette victoire le déleste d’une pression qui pèse, déjà, sur ses épaules. Mais la magie ne s’est pas envolée, et le soulagement est réel : il n’y a pas de honte à le montrer ! (On revivra ensuite ces moments particuliers lorsque Rod Laver lui remet le trophée à Melbourne, en 2007, puis lors de sa défaite en Australie face à Nadal, en 2009, ou encore pendant l’hymne suisse pour sa victoire de 2009 à Roland-Garros, et enfin à l’occasion de son 20e trophée du Grand Chelem, à Melbourne en 2021.)

Le voilà donc no 1 mondial, additionnant les titres du Grand Chelem. Ce qui ne peut donc pas durer, parce que la nature en général et le sport en particulier ont non seulement horreur du vide, mais encore plus des dominations trop écrasantes. Un grain de sable, ou un grano de arena si vous préférez la version espagnole, s’introduit alors dans cette si belle mécanique. Rafael Nadal n’a peur de rien ni de personne, et surtout pas de Federer. Il l’a déjà montré à Miami lors de leur premier face à face, en 2004, en battant le tout récent no 1 mondial. Depuis, il est devenu roi lui aussi : le roi de la terre battue. Un sceptre confirmé justement en 2006 avec une victoire sur Federer en finale à Paris. Nous voilà entraînés dans une trilogie fabuleuse : de 2006 à 2008, les deux hommes vont s’affronter à chaque fois en finale à Roland-Garros puis à Wimbledon.

Retour sur le gazon londonien, donc, et une image me marque dès le premier jour : pour affronter Richard Gasquet, le tenant du titre entre sur le Centre Court avec un magnifique blazer écru doté d’un écusson personnalisé. Un hommage à une époque où le tennis se pratiquait avec élégance. Tout son tournoi est d’ailleurs à cette image. Aérien, léger, étourdissant et toujours avec classe afin de retrouver Rafa en finale. Son exact opposé. Cheveux longs, t-shirt sans manche et short jusqu’au genou. Mais si Nadal reste le même taureau que partout ailleurs sur la planète, son parcours exemplaire jusqu’en finale l’a peut-être grisé et il décide d’attaquer sa finale vers l’avant, en venant au filet, enchainant parfois derrière son service. Il veut battre Federer chez lui, en pratiquant un tennis contre nature… et se fait lourdement taper sur les doigts : 6/0 dans le premier set. Le message est reçu, retour aux fondamentaux, l’Espagnol attend Federer un mètre derrière sa ligne et n’hésite pas à le travailler en férocité sur son revers. De quoi faire le break et mener 5/3 dans le deuxième set, puis 3/1 dans le tie-break. Avant finalement de céder aussi le deuxième set. Je vois le visage de Federer se crisper après ce set où il a tout le temps marché sur un fil. Comme si se matérialisait chez lui le fait que cet espagnol est tout simplement son poison, sa cryptonite : celui qui a le jeu idéal pour le contrer et qui devient une équation impossible à résoudre pour le Suisse. C’est plutôt étonnant de tirer une telle conclusion alors qu’il mène deux sets à rien, mais c’est ce que je ressens à ce moment-là. Sûrement parce que j’ai la même crainte en mon fors intérieur. C’est après cette finale que, pour la première fois, j’ai trouvé le gazon très peu usé près du filet. La confirmation arrive dès le troisième set, remporté au tie-break par Nadal. Avec un peu plus de réussite, c’est lui qui pourrait très bien être en tête deux sets à un. Un premier coup de semonce.

Suivi du second, un an plus tard. Roger est toujours le patron et Rafa lui mord toujours les mollets. Il mène 8/4 dans leurs face à face. Je l’avais dit à l’antenne : « Roger Federer est le meilleur joueur au monde et Rafael Nadal est plus fort que lui. » C’est aussi l’époque où on personnalise les équipements des joueurs avec des thermobags personnalisés et des chaussures où figure le palmarès. C’est joli. Comme la tenue pantalon et blazer de Federer. C’est très marketing également. Mais la vérité se lit sur le court et, plus que jamais, Nadal entraine Federer dans un combat âpre, même sur gazon. Deux manches partout après trois heures de jeu. L’atmosphère est particulière car jamais Federer n’a été poussé dans un cinquième set en son jardin, alors qu’il joue pour l’histoire : il peut égaler les cinq titres de Björn Borg à Wimbledon et ses onze titres du Grand Chelem. Le Suédois est d’ailleurs assis dans la Royal Box, très élégant dans son costume bleu. La luminosité du court elle-même est différente car on a commencé les travaux pour accueillir le toit sur le central, en retirant les parties hautes du court qui protégeait le public de la pluie. Ce Centre Court est du coup plus lumineux que jamais. C’est presque trop beau. Presque trop bien écrit. Le scénario est parfait sauf qu’il ne plait pas à Rafa. L’Espagnol est le premier à avoir des balles de break dans le cinquième set, à 1/1 puis à 2/2. Je sens le public qui retient sa respiration car Federer reste son chouchou. Moi aussi je stresse. Et Guy Forget, qui commente avec moi et qui aime la tradition, n’ose imaginer que le scenario rêvé puisse être chamboulé. Le fil sur lequel Federer joue ce dernier set semble plus ténu encore que l’année passée, mais ce jardin est son jardin d’Éden et c’est lui qui arrache la victoire. Sur le smash victorieux, il s’effondre encore sur le court. Lors de la tournée des médias qui conclut habituellement la journée du vainqueur, Roger Federer arrive dans le studio de Canal+ fatigué. Il n’est pas exubérant. Il est soulagé. L’attente entre les records qui l’attendaient et le challenge toujours plus exigeant que lui impose Nadal ont eu raison de ses forces. Mais il reste le patron. On peut résumer en disant que le proprio des lieux est fatigué mais heureux.

Un état d’esprit bien différent en 2008. Certes, il est no 1 et il arbore en entrant sur les courts un gilet en laine avec un pantalon blanc très chics. Mais ce qu’on ne voit pas, c’est le mental, beaucoup moins fringant. Aucun titre majeur gagné pour le moment et seuls Estoril et Halle figurent à son palmarès. Pire, Nadal lui a mis une fessée en finale à Roland avec un 6/0 dans le troisième set. L’Espagnol a gagné leurs trois derniers duels depuis la finale jouée un an plus tôt ici, ne lui laissant en tout et pour tout qu’un seul set.

La finale que tout le monde attend a bel et bien lieu. Les deux premières manches sont pour moi un calvaire, avec l’impression que seule la couleur du court a changé et que la finale de Roland-Garros se poursuit : le premier break réussi par Nadal fait suite à un air-shot du Suisse ; la balle de première manche est un long échange « coup droit Nadal, revers Federer » qui se conclut par une faute de Roger ; cinq jeux perdus de suite dans le deuxième alors qu’il mène 4/1 et une vilaine faute de revers sur la balle de set. À l’époque, les deux clans sont encore assis l’un derrière l’autre dans la loge des joueurs et tout le clan Federer est prostré, portant les lunettes noires (sauf le papa) comme un jour de deuil. Jamais leur champion n’a réussi à remonter deux sets de retard en finale de Grand Chelem. Il gagne tout de même le troisième set au tie-break et accroche Nadal jusqu’au tie-break du quatrième. La finale tourne alors au sublime à 7/7. Nadal a laissé passer une balle de match et d’un passing extraordinaire, il en récupère une autre. 8/7. Puis c’est Federer qui se découvre un passing de revers long de ligne en bout de course. Deux coups merveilleux. Et deux balles de match non transformées par Nadal. Et deux sets partout. Et une cinquième manche de bonheur. Avec, ironie de l’histoire, Federer qui est le premier à avoir une balle de break, comme Rafa l’année précédente. Avec aussi la pluie qui s’est invitée toute la journée, imposant plusieurs interruptions. La luminosité qui baisse, les flashs qui crépitent dans les tribunes… J’apprendrai plus tard de la bouche de Pascal Maria, l’arbitre de chaise, que la finale aurait été interrompue à cause du manque de lumière à huit partout. Nadal breake à sept partout et s’impose finalement 9/7. L’ambiance est folle car le public sait qu’il a assisté à une finale d’anthologie. Moi aussi, évidemment, mais mes sentiments sont mitigés. Je l’avais vu venir cette victoire de l’Espagnol. Elle était presque écrite après ses deux précédentes finales où il s’était approché un peu plus du Graal à chaque fois. Je suis déçu, certes, mais soulagé un peu également de ne pas avoir vu le Suisse balayé en trois sets. Et je sens que la première place mondiale échappera à Federer bientôt également – ce sera d’ailleurs le cas à l’issue des JO au mois d’août suivant.

Il y a toujours des petites histoires dans la grande histoire. Ce dimanche soir, après avoir réalisé nos dernières interviews et quitté le stade avec l’équipe de Canal+, il est 22 h passées quand on se dirige vers la pizzéria de Wimbledon Village pour aller diner. Évidemment, elle est bondée et la seule solution est de commander à emporter. On patiente tranquillement sur le trottoir quand arrive une grosse Mercedes noire qui se range devant le restaurant. En sort Tony Godsick, l’agent de Federer, qui vient récupérer une dizaine de pizzas. De quoi imaginer que, pour une fois, la fin du tournoi de Wimbledon pour le clan Federer n’est pas si différente de la nôtre.

C’était le dernier Fedal à Wimbledon avant onze ans. La fin d’une époque. Mais pas la fin de mon aventure commune avec lui puisque dès l’année suivante, il retrouve la finale, sans Nadal forfait, et avec en plus le Grand Chelem en carrière en poche après son titre à Roland. C’est sa septième finale de suite sur le gazon londonien et il retrouve son vieux pote Andy Roddick qui est à une volée haute réussie d’avoir une balle de 2 sets 0… mais il la rate et s’incline 16/14. Le Suisse redevient no 1 mondial et il dépasse Pete Sampras en devenant le premier joueur de l’histoire à gagner un quinzième titre du Grand Chelem. La marque Serge Blanco, avec un XV comme logo, était l’habilleur officiel de Canal+. Lorsque Federer vient faire le tour des popotes médiatiques après sa victoire, il pénètre dans notre studio et me voit avec un polo tout blanc juste orné d’un XV doré sur le cœur. « Ah ouais, c’est sympa ça », dit-il. Il apprécie l’attention mais c’était surtout un concours de circonstance. En revanche, il n’a pas voulu qu’on échange nos polos. Je me glisse après en salle de presse pour la conférence du vainqueur et je l’entends expliquer que, même si le match fut très serré, il était confiant lors ce cinquième set interminable. Il raconte que, alors, chaque jeu de service gagné le rapproche du titre puisqu’il sert en premier. En regardant ses yeux, j’y vois que ça n’est pas de la forfanterie. Et cette confiance en soi explique une grande partie de ses succès.

Roger Federer après sa balle de match victorieuse contre Andy Roddick en finale de Wimbledon 2009, © Art Seitz

Les éditions 2010 et 2011 m’apprennent une chose : il faut aussi s’habituer à la défaite. Après sept finales d’affilée, il y a deux chutes en 1/4, dont une contre Tsonga alors qu’il mène deux sets à rien. J’ai la sensation que l’histoire est un peu derrière lui et, d’ailleurs, même Rafael Nadal est battu en finale par Djokovic. Pour la première fois depuis 2002, c’est une année vierge en titre du Grand Chelem pour le Suisse. Et puis un petit jeune est en train de faire rêver l’Angleterre. Andy Murray parvient presque à convaincre les Anglais qu’ils peuvent oublier leur amour pour un Federer moins souverain et jeter leur dévolu sur un fils de la couronne. Même s’il est écossais. Alors oui, il dépasse Henman et atteint la finale 2012, il transforme Henman Hill en Murray Mound et la princesse Kate et sa sœur Pippa sont venues le voir en finale, mais il est encore trop tôt pour déboulonner l’idole. Federer décroche son septième titre, son premier en Grand Chelem depuis un an et demi, et il récupère la première place mondiale. Décidemment les dieux du gazon sont bons avec lui. Ils lui permettront même de revenir sur le site un mois plus tard, pour décrocher l’argent aux Jeux Olympiques. C’est un bel été londonien pour Roger : un titre, une médaille olympique… qu’il paye cher l’année suivante avec une élimination dès le second tour face à Stakhovsky. Soit un tour de mieux que Nadal. Leur histoire commune à Wimbledon semble d’ailleurs s’arrêter là, avec quelques cruelles désillusions à venir pour l’Espagnol qui ne croisera plus la route du Suisse avant 2019. Moi aussi je fais une pause dans ma bromance avec Federer. Les droits TV changent de main en France et, pour une fois, je regarde à la télé Federer s’incliner devant Djokovic. Les rôles se sont inversés. Le patron, c’est désormais le Serbe, à Wimbledon comme sur l’ensemble du circuit. Et Federer est dans la position du chasseur, toujours un peu trop court. Idem en 2015 alors que je reviens sur le site. Comme quoi, au cas où j’avais un doute, je ne suis pour rien dans ses succès… ou ses défaites. Et c’est étonnant de ressentir, aussi bien chez mes confrères que dans le public, cette affection qui grandit pour le Suisse, car on se dit qu’il court après un titre qui ne viendra plus. Et on s’interroge même de savoir si chaque Wimbledon auquel il participe n’est pas le dernier. C’est même un chant du cygne qu’on lui prédit après sa défaite en 2016 contre Raonic. Il chute au propre comme au figuré en se retrouvant les quatre fers en l’air dans le cinquième set.

Mais Wimbledon et Federer, c’est une histoire longue, une épopée. Avec différents cycles. L’éclosion contre Sampras, le sacre de 2003, le règne ensuite, puis l’éloignement avant la longue marche vers la résurrection de 2017. Comment appeler autrement cette année incroyable après six mois sans jouer, ce sacre pour son retour à Melbourne avec un tennis à nouveau aérien à 36 ans. J’ai souvenir d’un parcours londonien où je ne le vois jamais trembler. Pas un set perdu et les différentes générations qui passent à la trappe, que ce soit Zverev, Dimitrov ou Raonic. 2016 est définitivement derrière lui. Et au bout du tournoi, ce que personne n’avait réussi jusque-là : être sacré huit fois dans le temple du tennis. C’est beau, c’est historique, mais pour moi le plus remarquable est ce retour aux bases de son jeu, plus agressif, plus direct, plus tourné vers l’avant. Fini les longs rallyes que lui ont imposé Nadal puis Djokovic. Certes, il y a peut-être un petit peu moins d’instinct et de légèreté que lors de son retour six mois plus tôt à Melbourne. Ici, il est à nouveau attendu, mais cette résurrection est aussi un splendide voyage vers le passé flamboyant de ses premiers titres.

Roger Federer sacré à Wimbledon en 2018, © Art Seitz

Je pensais donc qu’on avait tout vu et tout vécu, Roger et moi. Qu’on pouvait laisser s’éteindre tranquillement la bougie et s’en aller paisiblement, comme en 2018 avec ces balles de match non converties contre Anderson. J’avais laissé mon acolyte de BeInsports choisir son quart de finale et il avait choisi celui du Suisse. J’avais regardé tranquillement les deux premiers sets et je commentais un autre quart lorsque Federer s’effondra, et je n’ai pas souvenir d’avoir été plus effondré que cela. On se fait à tout. N’avait-il pas lui-même quitté Nike pour Uniqlo ? Je ne faisais pas partie des puristes outrés…

Alors imaginez ce flash d’amour qui nous a tous frappé en 2019. Jacques l’a si bien chanté : « On a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux. » Cette année-là, Roger à 38 ans. Pour le tennis professionnel, il n’est pas vieux… c’est limite un grand-père ! Il a fait demies à Roland-Garros, battu par Nadal bien sûr, pour son retour et peut-être, se dit-on, pour sa dernière sur la terre battue parisienne, puis il a gagné dans son jardin de Halle… mais il n’a pas joué de finale de Grand Chelem depuis Melbourne 2018. Et Djokovic semble si fort. Moi je n’y crois pas, je suis même tendu comme un arc avant la demi-finale contre Rafa. Onze ans qu’ils ne se sont plus joués ici, depuis cette finale qui avait déchiré le cœur du Suisse. Mais Roger a retrouvé son mantra d’avant Nadal. Il charge sabre au clair, peu importe cet Espagnol qui veut rentrer dans sa tête et le coincer dans les cordes du ring du Centre Court. Federer est redevenu le patron des lieux et expulse Nadal pour se hisser en finale. Face à Djokovic, qui lui a pris les clefs du lieu avec déjà quatre titres. Quel plaisir de voir Roger Federer arpenter à nouveau le Walk of Champions, ce parcours qui mène les finalistes dans les couloirs du All England Lawn Tennis and Croquet Club. Ils passent devant les photos des anciens champions, puis descendent l’escalier pour passer devant le trophée et le tableau des anciens vainqueurs, passent sous la Royal Box et pénètrent sur le Centre Court. Avec une réalisation formidable de la BBC qui permet aux téléspectateurs de s’immerger un peu plus dans l’histoire de ce sport.

Car on parle de l’histoire du tennis avec cette finale. Pour ce que représente ces deux champions, parmi les plus beaux palmarès du tennis. Pour l’histoire personnelle de Federer avec ce tournoi et celle qu’est en train d’écrire Novak Djokovic qui a su se hisser au-dessus de Federer et Nadal sur le court. Les spécialistes ont dit de cette finale qu’elle était à la hauteur de celle de 1980 entre Borg et McEnroe et de celle de 2008. Franchement je ne sais pas quoi dire. Il y a des séquences sublimes, mais aussi un Djokovic emprunté parfois, un Federer maladroit dans les tie-breaks. Surtout, il y a un stade plein à craquer, qui stresse et qui vibre à l’unisson avec les deux acteurs. Très largement en faveur de Federer d’ailleurs, comme partout dans le monde. C’est cela qui me frappe le plus, le public du Centre Court ou d’Aorangi, cette butte où se masse des milliers de spectateurs qui n’ont pas de billet pour le court et qui regardent la finale sur l’écran géant du stade, qui profite tellement de chaque seconde du match, des rugissements du Serbe et des « Kom jetzt ! » du Suisse.

Moi aussi j’ai vibré comme un fou et, oui, j’ai cru toucher la plénitude du doigt lorsque Federer a ces deux balles de match dans le cinquième set. En les revoyant, j’ai encore des frissons et je ne peux pas croire qu’il ait fini par perdre ce match. La victoire de Djokovic a été, de fait, une terrible frustration. Non pas parce que je n’apprécie pas Djokovic, je loue au contraire cette force surhumaine qui a été la sienne de s’imposer devant Federer et 15 000 spectateurs qui rêvaient de voir le Suisse encore sacré chez lui. Cette performance en soi est fabuleuse. Mais j’étais déçu comme l’enfant qui écoute un conte de fée et qui ne peut se résoudre à une triste fin. Le pire, ce fut peut-être le lendemain quand, en voyant la feuille de stats, je découvrais que Federer était devant Djokovic dans toutes les catégories et qu’il avait gagné quatorze points de plus sur l’ensemble du match. 218 à 204. Mais, en revanche, il avait perdu les trois tie-breaks 21 à 12. Il n’y a que le sport pour proposer de tels scénarios.

Mais notre histoire à Wimbledon, à Roger et moi, ne peut pas se terminer là-dessus. À l’heure où j’écris ces lignes, il est prévu qu’on se retrouve le 28 juin prochain. Et une chose est certaine : on ne sera pas très loin du Centre Court.

 

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Leo Borg

L’ombre du père

Leo Borg, Roland-Garros juniors 2021, © Virginie Bouyer

Nom : Borg. Prénom : Leo. Signe particulier : tente sa chance dans un sport que papa a dominé (11 titres du Grand chelem) et, plus encore, révolutionné et popularisé. Rien que ça. C’est dire le poids reposant sur les épaules du jeune Leo, et l’ampleur du défi représenté.

« Est-il seulement scruté pour de bonnes raisons ? Je pense qu’il a des défis à surmonter qui ne sont pas tout à fait justes pour un jeune joueur. » Difficile de donner tort à Mats Wilander quand on constate, le temps de trois matchs disputés dans le tableau junior de Roland-Garros 2021, à quel point le jeune Leo Borg, alors 23e mondial de la catégorie à 18 ans, suscite la curiosité. Le jour de son entrée en lice dans le tournoi du Grand Chelem parisien, il était même le seul junior à connaître les honneurs d’une programmation sur le Court 14 (quatrième court du complexe par ordre d’importance)… et il y avait du monde dans les gradins pour énumérer les traces flagrantes d’hérédité – les cheveux longs, la blondeur, les traits du visage, le revers à deux mains, et même le sponsor (Fila).

Ainsi va la vie de Leo Borg depuis son plus jeune âge. Il faut dire que le jeune Suédois n’a pas choisi la facilité en choisissant de pratiquer le sport dont son père est une légende, champion au palmarès XXL (6 Roland-Garros, 5 Wimbledon) et, plus encore, véritable rock star ayant démocratisé à lui seul le tennis au point de déclencher des émeutes dans les allées du vénérable All England Lawn Tennis and Croquet Club. Et dans la famille, « nous avions bien conscience de ce que cela signifiait quand, à 10 ans, Leo nous a vouloir devenir joueur de tennis, assène sa mère, Patricia. J’en ai pleuré. Cela me faisait peur. Nous avons essayé de le pousser à s’investir dans un autre sport pour qu’il ne soit pas comparé à son père. C’aurait été beaucoup plus facile. »

Quand la cocotte-minute explose aux Petits As

Quant à papa Björn, toujours aussi discret, ayant pris de la distance vis-à-vis de l’emballement perpétuel autour de lui, il a suivi. Ni père étouffant, ni coach contrarié, encore moins ex-star en recherche d’attention : « Je lui souhaitais juste de faire ce qu’il aime. Il s’est avéré que c’est le tennis. Mais c’est vrai qu’il n’était pas préparé à tout ça. »

« Tout ça », c’est par exemple ce qui l’attendait quand, sorti d’un cursus national s’étant résumé à un mano a mano avec Mans Dohlberg pour le statut de n° 1 de chaque tranche d’âge, vint le temps de se frotter aux rendez-vous européens. « Quand il a joué les Petits As (au barnum médiatique impressionnant par son statut officieux de plus grand tournoi du monde des moins de 14 ans, ndlr) en 2017, il a été mitraillé par les photographes et il a même fallu organiser une conférence de presse pour canaliser l’intérêt, se souvient son entraîneur Rickard Billing. Ça a été trop pour lui, il a ‘lâché’ lors du deuxième match. »

Wilander : « La plus grande faveur qu’on puisse lui faire est d’arrêter de parler de lui et le laisser travailler dans son coin. »

« Le fait d’être ‘le fils de Björn Borg’ est à double tranchant, confirme une autre légende suédoise, Mats Wilander. D’un côté purement matériel, il ne joue pas sa survie financière sur le circuit ; en outre il recevra facilement des invitations sur les tournois à cause de son père… » Effectivement, celles-ci ne manquent pas depuis ses débuts. Pour de bonnes raisons ? Non classé à l’ATP, il obtient ainsi des wild-cards aux Challengers de Bergame et Pau l’année passée en guise de galop d’essai chez les professionnels – sans passer par la case Futures donc, ni résultats étincelants en juniors. Rebelote il y a quelques semaines à Marbella, coup sur coup en Challenger et en qualifications d’ATP 250. Bilan des quatre matchs joués à ces hautes altitudes : beaucoup d’exposition médiatique, mais aucun set remporté, et 13 jeux marqués. On pourra dire que c’est formateur… ou entendre raisonner en écho les propos de ces nombreux jeunes surexposés en leur temps (Ryan Harrison, Donald Young, Quentin Halys…) estimant avec le recul que ce tapis rouge déployé prématurément dans leur cursus les a desservi plutôt qu’autre chose.

« C’est un bonus d’être le fils d’un grand champion, mais cela contribue aussi à créer des obstacles, poursuit Wilander. Pour être honnête, je pense que la plus grande faveur qu’on puisse lui faire est d’arrêter de parler de lui et le laisser travailler dans son coin et à son rythme. » Car prise avec du recul, en faisant abstraction du patronyme encombrant, la courbe de progression du jeune Leo, si elle n’est pas foudroyante, n’a rien d’infâmante. En Tennis Europe puis compétitions ITF de jeunes, Leo Borg n’a jamais été « le » meilleur. Mais il n’a jamais été totalement largué non plus. Jusqu’à rattraper le wagon de tête in extremis, en mars, à la faveur d’une tournée brillante en Amérique du Sud, culminant par un titre dans un tournoi important (Grade 1) à Porto Alegre et récompensée d’une percée jusqu’aux portes du Top 10 junior (12e). Et à Roland-Garros, ses deux matchs gagnés avant de céder sur le fil, au tiebreak du dernier set, face au n° 1 mondial, ont plutôt laissé une belle impression, pas tant d’ailleurs sur le plan du jeu – mais, soyons honnêtes, combien de juniors sortent du lot par leur tennis de nos jours ? – que par ses qualités de « matcheur », dur au mal sur le court. Comme dit joliment son père, « Leo a de la discipline et du cœur. »

Leo Borg, Roland-Garros juniors 2021, © Virginie Bouyer

Leo Borg : « Avant il m’arrivait de me dire que j’aurais préféré que les gens ne sachent pas qui est mon père. Mais c’est ok maintenant. »

Bref, Leo Borg n’a rien d’un touriste du tennis. Capitaine de l’équipe suédoise de Coupe Davis, Robin Söderling en est convaincu : « En termes de jeu, Leo n’est pas encore là pour prendre une place. Mais s’il continue à bien travailler ainsi il est certainement l’un des deux, trois joueurs les plus intéressants à intégrer dans le groupe à moyen terme. » Alors s’il ne sera jamais papa – mais telle n’a jamais été son ambition – Leo Borg trace sa route, un peu plus dans la lumière que de raison, mais en ayant appris à composer avec : « Je comprends qu’on fasse le parallèle avec mon père mais je ne pense pas aux comparaisons que les gens peuvent faire et je veux juste suivre mon propre chemin », débite-t-il en accéléré, habitué à répondre à cette question de l’héritage.

Il concède toutefois : « J’ai su très jeune que mon nom de famille attirait l’attention. Cela m’a coûté cher au début de mon parcours mais maintenant j’arrive beaucoup mieux à le gérer. Je dois faire avec. Avant il m’arrivait de me dire que j’aurais préféré que les gens ne sachent pas qui est mon père. Mais c’est ok maintenant. » Quelle autre option que s’en accommoder, de toute manière, quand même le hasard d’une annonce de casting très vague, annonçant rechercher des adolescents à l’aise raquette en main, l’a amené il y a quelques années à incarner les jeunes années de son père le temps d’un film (Borg/McEnroe, Janus Metz Pedersen, 2017) !

Travail, famille, Patrick

Patrick Mouratoglou à Wimbledon en 2015, © Art Seitz

C’est une drôle d’histoire que je vais vous raconter. Une drôle d’histoire, ça, oui. Voyez : j’aime le tennis. Vous aussi, j’imagine, sans quoi vous ne prendriez pas le temps de lire des articles écrits pour une revue de tennis. Et comme j’aime le tennis, il m’arrive plus souvent qu’à mon tour de regarder des vidéos de (rayez les mentions inutiles) : résumés de matchs / conférences de presse / compilations de points dingues / moments iconiques (alors, Steffi, tu m’épouses ou pas ?) / anciens matchs dramatiques. Au milieu de ce flux spécialement préparé pour moi par des algorithmes aux petits soins qui ont bien compris mon tropisme, est apparue il y a plusieurs mois une nouvelle catégorie : les conseils de Patrick Mouratoglou. Où l’on voit l’entraîneur le plus médiatique de France apprendre à ses poulains les secrets du coup droit ou du service kické aux cris de « good job », « that’s nice », « what a lovely match ! ». Jusque-là, rien d’anormal.

Pour tout dire, il m’est même arrivé de les regarder, ces vidéos, estimant avoir une sérieuse marge de progression quant à mon service kické que je ne suis jamais parvenu à mettre dans le court en 20 ans de pratique. L’algorithme, souhaitant bien faire, s’est mis en tête de m’en proposer davantage et voilà comment ma timeline Facebook est devenue le sanctuaire de Mouratoglou, bien aidée en ce sens par la perte progressive de tous mes amis de jeunesse dont les publications ne pouvaient plus lutter contre la déferlante Patrick. Jusque là, rien d’anormal pourvu que l’on considère la monomanie tennistique hors des termes de la psychiatrie.

Mais il y a eu comme un glissement. Session de nuit sur Roland-Garros : Patrick Mouratoglou commente au bord du court. Tsitsipás arrive en finale : Patrick Mouratoglou serre le poing en tribunes. J’ouvre comme tous les jours L’Équipe : Patrick Mouratoglou nous livre son analyse. Un glissement.

M’éloignant temporairement du tennis qui n’est pas à proprement parler un piège à filles, me voilà sur Tinder à jouer à oui ou non. Toutes les cinq photos : Patrick Mouratoglou. Swipe à gauche, il revient. Swipe à droite, il me parle. Et quand je « matche », je le sais, c’est lui qui me dit « good job », « that’s nice », « what a lovely match ! »

L’autre jour, je faisais l’amour (ne me félicitez pas, ça ne m’arrive pas si souvent), quand Patrick est entré dans la chambre pour redresser mon coup de rein. « Un peu plus de poignet » qu’il me dit ; « la force doit partir des jambes ». La fille n’a pas l’air de s’en émouvoir ; moi, sans doute troublé d’avoir été repéré par pareil observateur, j’en ai les jambes coupées. Patrick Mouratoglou me conseille de renforcer l’aspect mental dans mon approche tactique du sexe. Je n’ai pas revu la fille. Patrick, en revanche…

Au travail je m’efforce d’abattre correctement les tâches qui sont les miennes et dont je ne vous rebattrai pas les oreilles parce qu’elles ne sont pas intéressantes, même du point de vue financier. Ça roulait au son de la clim’ et de la machine à café quand quelqu’un s’est penché sur moi pour me donner quelques conseils quant à ma manière d’organiser mon Excel. Je me retourne : Mouratoglou. Je cligne des yeux : Mouratoglou. En créant des règles en amont et en organisant ma feuille pour conserver deux colonnes glissantes à gauche, je pourrais gagner 80 % de puissance. « Good job ». Ça tombait bien puisqu’en même temps que mon entretien annuel. Mais une fois dans la petite salle, pas de n+1 mais L’Équipe dans laquelle je pus lire une analyse concise et brillante de mes performances de l’année sous la plume de vous-savez-qui. Oui, j’avais perdu le dossier Brignard, mais nul doute que cet échec me permettrait de grandir, de devenir un meilleur employé — une fois la défaite digérée.

Après pareille semaine (du sexe, un entretien annuel : c’est déjà beaucoup quand on se met à vieillir), je me réjouissais à l’avance d’un dîner prévu samedi soir. J’y avais convié les rares amis qui me restent autour d’une côte de bœuf et de vin de Bordeaux. Rendez-vous 20 heures. À 18 heures, on sonne : Patrick. Est-ce que j’ai bien sorti la viande ? Les bouteilles, je les ai chambrées ? Et Patrick de me saisir la main au moment où je m’apprête à couper les patates en dés : le secret, c’est le transfert du poids du corps. L’énergie ne doit pas venir de l’avant-bras mais être transférée au couteau depuis les jambes dans un mouvement de bascule. J’ai cherché mes médicaments, mais je les avais déjà pris. Patrick me l’a confirmé : il tient un état des lieux de mes routines quotidiennes.

Quand mes amis sont arrivés avec un léger retard, Patrick leur a passé un savon : on n’arrive pas en retard sur le terrain. On ne rechigne pas à venir croiser le fer. Les rares amis qui me restaient n’ont plus l’air disposés à revenir dîner chez moi.

Et sur ma timeline Facebook, ça se ressent. Photos de vacances de Patrick, la nouvelle chanson de Patrick intitulée Good job, nice shot, Patrick sort un film inspiré de sa vie, Patrick pose en bikini sur la page, Patrick apparaît dans des mèmes…

Je me plains, je me plains, mais j’ai fini par le dater puisque Tinder m’y encourageait. Désormais, je me réveille tous les matins à côté de Patrick et ma vie est montée d’un cran : dans tous les aspects quotidiens, j’ai progressé comme jamais. J’ai cessé d’uriner de la main gauche pour mettre en valeur ma bonne main (jusqu’à 13 % de gouttes à côté en moins), le ménage n’a jamais été aussi bien fait depuis que j’ai amélioré la position de mon corps en passant l’aspi, je n’ai jamais été aussi en forme grâce à sa routine de coucher.

À l’heure où j’écris ces lignes, Patrick est penché sur mon épaule. Il a déjà tout relu, tout corrigé. Demain m’attend un programme pour muscler mon écriture. Je vous le promets : le prochain article sera mieux construit.

Patrick Mouratoglou, © Art Seitz