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Noah, 1983 : le travail d’une vie

40 ans. Depuis son sacre à Roland-Garros en 1983, Yannick Noah est toujours l’unique français vainqueur d’un simple messieurs en Grand Chelem dans l’ère Open. L’occasion pour lui de raconter, dans un livre écrit avec Antoine Benneteau, son histoire. Celle tracée avec ses amis de toujours, pour traverser de grands moments de doutes et de joies, le racisme ordinaire, aussi, jusqu’à devenir hors du commun. Et unique dans l’histoire du tennis masculin tricolore. Parce qu’il a travaillé comme un acharné pour y arriver.

« Il (Mats Wilander, ndlr) m’a dit un jour que je lui devais tout : “Si j’avais fait l’inverse, c’est-à-dire gagné contre toi et perdu contre Leconte en 1988 (en finale de Roland-Garros, ndlr), tu serais à la rue, en fait. Tu ferais moins le malin, hein ?” C’est vrai, mais ça ne s’est pas passé comme ça… (rires) »

Dans 1983, écrit avec Antoine Benneteau et publié pour les 40 ans de sa victoire à Roland-Garros, Yannick Noah a livré cette anecdote de pensée uchronique. Une citation entrée dans la légende de tout ce qui a entouré son titre à Paris, glané face à Mats Wilander. Et comme dans toute belle histoire, le vrai s’est parfois mélangé au romancé. « Je connais cette rumeur (la citation, ndlr), mais ce n’est pas de moi, a déclaré le Suédois à GQ en 2016. Enfin je ne crois pas. Je crois que c’est Henri (Leconte, ndlr) qui colporte ça, mais bon… Ceci dit, ça reste une question intéressante. » Ce qui est sûr, pour faire dans le poncif, c’est que ce succès a totalement mis la vie de Noah sur une autre chemin.

Un voie qu’il n’a pas prise par hasard, au détour d’une promenade. Non. Il l’a tracée lui-même. Dès son enfance. En travaillant plus dur que les autres. Né à Sedan avant de grandir au Cameroun, pays natal de son paternel, à partir de ses 2 ans, le surnommé « Yann’ » est revenu en France à 12 printemps. Grâce à l’œil aiguisé du monument Arthur Ashe, qui, lors d’une tournée d’exhibitions en Afrique, est passé par Yaoundé en février 1971. « Arthur était très surpris de voir un petit métis jouer au tennis, parce qu’en fait tous les gamins qui jouaient à l’époque étaient blancs, s’est remémoré Noah dans son livre. J’étais le plus petit des participants. : les autres devaient avoir 15, 16 ans, et moi je n’avais pas plus de 11 ans. »

« Quand j’arrive sur le court, je l’entends qui dit : “Hé ! Le petit, il faut qu’il joue, là, a-t-il continué. Comme je touchais ma bille, dès que j’ai tapé ma première balle, les gens se sont mis à hurler. Arthur était tellement heureux : il avait découvert un môme en Afrique ! Je termine l’exhibition, et là, il me file sa raquette. À l’époque, la Head Arthur Ashe, c’était deux mois de salaire de mes parents. » Le lendemain, le petit Yannick, accompagné par son père, a filé à l’aéroport pour dire au revoir à son idole : « “Encore toi !” Il a attrapé le poster et a écrit : “To Yannick, I hope to see one day in Wimbledon”. » Sept ans plus tard, le « môme » jouait Wimbledon en double associé à son héros. Celui qui l’avait recommandé à Philippe Chatrier, alors président de la Fédération français de tennis, après sa visite au Cameroun.

Arthur Ashe (à gauche) et Yannick Noah à Wimbledon (© Art Seitz)

« Je me suis fixé un objectif : “Un jour, Sylvie, elle va me voir. Il faut que je me défonce.” »

Entraîné au tennis-études de Nice, le très jeune Noah a vite fait forte impression. « Patrice Beust (alors responsable du tennis-études de Nice, ndlr) m’avait prévenu : “Tu vas voir, Yannick est incroyable parce qu’il veut tout le temps jouer”, n’a pas oublié Patrice Hagelauer, devenu ensuite le coach de Noah à partir 1977, jusqu’en 1989 et son remplacement par Dennis Ralston… l’ancien entraîneur d’Ashe. “Tu termines le soir, à la nuit tombée, tu pars pour le vestiaire et lui, il est encore sur le court, il fait des services.” C’est aussi ce que j’ai constaté, je ne le forçais à rien, mais chaque fois qu’on terminait les séances, il continuait à s’entraîner. C’est un trait de caractère que j’ai pu noter très tôt, et qui a perduré tout au long de sa carrière : durant les tournois, en tournée, partout, tout le temps, il s’entraînait. Yannick était toujours le premier sur terrain et le dernier à le quitter. il voulait y arriver et faisait tout pour. »

En plus de ses ambitions de joueur de tennis, Noah a toujours su se trouver des motivations supplémentaires. Être remarqué des femmes, par exemple, comme il l’a plusieurs fois confié au cours de diverses interviews. En commençant par les filles, lors de ses jeunes années en Côte d’Azur. « Il y avait cette fille qui était inscrite au club, n’a-t-il pas oublié. Elle était trop belle pour moi, et j’étais hyper timide. Alors je me suis fixé un objectif : “Un jour, Sylvie, elle va me voir. Il faut que je me défonce.” Je me suis mis à m’entraîner tout le temps : le week-end, pendant que les autres étaient avec leurs parents ; le matin, en me levant plus tôt et en travaillant mon service tout seul pendant 45 minutes. Je me planquais pour qu’on ne me voie pas. Pareil : deux footings étaient programmés par semaine ; moi, en douce, quand la séance était terminée, j’allais courir. À la fin de la semaine, je m’étais entraîné environ 12 heures de plus que les autres. »

Service et physique, deux de ses points forts majeurs au cours de sa carrière. Tout sauf un hasard, et un peu grâce à Sylvie. « [Et un] jour, j’ai demandé à Sylvie si elle voulait jouer le mixte avec moi, a-t-il écrit. Elle a accepté. C’était cool. La motivation, on ne sait jamais d’où ça vient. Souvent tu joues pour faire plaisir à tes parents ou ne pas les décevoir. Et un jour, tu as envie d’exister. » Avant ces 20 ans, Noah a acheté « une maison dans l’Essonne avec un peu de terrain » pour « [s]’éloigner de Paris et tous ses pièges. » « Je me suis fait construire un court de tennis, une salle de gym, a-t-il détaillé. Personne ne faisait ça à l’époque. » La bâtisse en pierre, située à Nainville-les-Roches, est devenue son camp de base. Notamment avant Roland-Garros 1983.

Yannick Noah, dans les bras de son père, Zacharie, après son titre à Roland-Garros en 1983 (© Art Seitz)

« Franchement, je pense que, physiquement, ce n’était pas possible de faire ce qu’il a fait. » – Patrice Hagelauer, coach de Yannick Noah

« À l’entraînement, les efforts qu’il a fournis, c’était incroyable, a révélé Patrice Hagelauer pour les besoins du bouquin. Physiquement, il se donnait à fond. Quand on rentrait des entraînements, le soir, vers 17h30, 18 heures, il allait courir avec ses deux chiens encore une demi-heure, trois quarts d’heure, parfois même plus, dans les champs, comme ça. Puis il enchaînait avec des exercices physiques, des étirements. Ensuite, il s’enfermait dans le sauna. (…) Franchement, je pense que, physiquement, ce n’était pas possible de faire ce qu’il a fait. C’était impossible. Et très risqué. (…) Je n’avais qu’une peur, c‘était qu’il se blesse. (…) Alors, parfois, j’y allais mollo. Et Yann s’en rendait compte : “Mais qu’est-ce que t’as ? Fais-moi des lobs plus hauts, plus difficiles ! »

Comme à tout être humain, il est parfois arrivé à Noah de « déconner ». Même les machines ne sont pas infaillibles. Le 30 mars 1983, alors qu’il devait affronter Manuel Orantes à Monte-Carlo, Noah est sorti festoyer. Au point de rentrer à 5 heures du matin. « Ça va, je joue le vieil Espagnol, je vais lui mettre une branlée », croyait-il. Mais non. Défaite 2-6, 7-6, 6-3. Hagelauer en a été furibard. Non pas pour la défaite, mais par rapport aux objectifs et à la rigueur fixés en vue de RG. « On ne s’est pas engueulé, je me suis fait engueuler, a raconté Noah. Il avait raison. On avait commencé à se préparer (pour Roland-Garros) et à Monte-Carlo, j’ai déconné. (…) C’est drôle comme parfois des problèmes peuvent devenir des opportunités. Je pense que ça a été une vraie piqûre de rappel : non seulement j’avais déconné, mais en plus je risquais de perdre mon pote entraîneur. On était à deux dans ce projet et je le plantais. »

« C’est à ce moment-là, après la déconnade et l’engueulade qui a suivi, que j’ai fait ce que je n’avais jamais fait de ma vie, à savoir penser à un objectif, Roland-Garros, deux mois avant et tout le temps, a-t-il ajouté. Et je ne l’ai plus jamais fait après ! » Parce qu’après avoir gravi les sept marches de son ascension vers la gloire à « Roland », Noah avait atteint tous ses objectifs. « Gagner n’était plus une obsession, a-t-il expliqué. Une fois que tu as la bagnole qui va bien, une fois que t’as offert la bagnole à Hagel’, une fois que tu as offert une maison à ta mère, une fois que tu as gagné pour toutes ces raisons, pourquoi tu te réveilles le matin ? » Si dans certains pays, comme les États-Unis, la Suède, l’Australie ou encore la République tchèque, il fallait remporter plusieurs titres du Grand Chelem pour devenir le meilleur de l’histoire dans l’ère Open, en France, ce que le « Yann » avait accompli faisait déjà de lui le meilleur.

« Pour me faire un nom, devenir 10e mondial, c’était suffisant, a analysé, toujours dans le livre, celui qui s’est hissé jusqu’au 3e rang, en 1986. Il fallait que je batte Tulasne et Leconte, pas pareil (que dans d’autres pays, ndlr)… Quand j’ai gagné Roland, j’étais le dieu de la France. C’est cool, mais ce n’est pas facile d’aller t’entraîner quand tout le monde t’applaudit alors que toi, à l’intérieur, tu sais qu’aujourd’hui tu n’as pas assuré. C’était vraiment épuisant à l’intérieur. » Et aujourd’hui encore, quatre décennies plus tard, on continue de l’applaudir. Parce qu’il le mérite.

La « Carlosmania » s’invite à Paris

© Babolat

Le jeudi 25 mai, Babolat organise un événement insolite au Lagardère Racing Club pour promouvoir sa nouvelle gamme de raquettes dédiée aux très jeunes joueurs. Une trentaine d’enfants a eu la chance d’échanger des balles avec Dominic Thiem et Carlos Alcaraz, mais aussi d’être conseillés par Toni Nadal. 

Il est 15h30 au cœur du Bois de Boulogne. Au-dessus du Lagardère Racing Club, le ciel est bleu et le soleil scintille. Les tribunes du court central se remplissent à une vitesse folle. Adultes, adolescents, enfants. Tous se ruent sur les sièges disponibles autour du terrain encore vide. Pour l’instant, il n’est occupé que par du matériel de tennis : raquettes de toutes les couleurs, sacs, balles, cordages… Un groupe d’enfants, vêtu de Babolat de la tête aux pieds pour l’occasion, entre alors sur le court. Chacun choisi une raquette avant de se regrouper pour écouter les instructions. Lorsqu’on leur annonce que des joueurs professionnels sont sur le point d’arriver, les enfants se regardent et s’exclament. 

À l’écart de la foule, des groupes de jeunes déambulent dans les allées. Ils observent les différents courts et interrogent l’équipe Babolat : « Carlos Alcaraz viendra vraiment ? », « Sur quel court jouera Carlos vous pensez ? », « Vous savez à quelle heure Carlos Alcaraz arrivera ? » Les questions se multiplient au sujet du jeune prodige espagnol. 

Dans les gradins, l’enthousiasme n’est pas moindre. L’échauffement des enfants ne passionne pas le public. Tandis que les heureux sélectionnés frappent des coups droits et des revers, les spectateurs se questionnent sur l’arrivée des joueurs. Certains débattent sur les horaires : « C’est normal qu’ils soient en retard, ils préparent Roland-Garros » ; d’autres se réjouissent du moment qu’ils s’apprêtent à vivre. Un père tout souriant, assied ses deux enfants sur ses genoux. Il sort son téléphone avec une image de Carlos Alcaraz croquant le trophée de l’US Open. « Lui, c’est le numéro un mondial. Vous allez le voir tout à l’heure », dit-il en pointant du doigt le joueur de tout juste 20 ans. 

Après une quinzaine de minutes d’échauffement, les enfants s’arrêtent. On leur annonce alors l’arrivée de Toni Nadal. Ce dernier entre sur le court vêtu d’un polo et d’un survêtement bleu marine de la Rafa Nadal Academy. Il profite des questions de l’équipe Babolat pour taquiner son neveu : « Pour gagner un match de tennis aujourd’hui, il faut frapper la balle le plus fort possible et avoir une bonne technique. Surtout, n’imitez pas Rafael [Nadal], qui fait des choses trop compliquées ». Les enfants rient puis assaillent Toni de questions. Ce dernier sourit et rappelle son mantra : « La seule chose qui permet de gagner est le travail, pas le talent ».

© Babolat

Ce premier moment d’extase pour les enfants est suivi de longues minutes d’attente. Ils vident le court central pour aller courir. Tandis que l’oncle de Rafa discute avec les entraineurs du Lagardère Racing Club, le public se tait. Malgré le silence, l’excitation des spectateurs est bien palpable. Les têtes se tournent, les jambes s’étirent. Chacun attend de voir apparaitre le plus jeune numéro un mondial de l’histoire du tennis. 

Soudain, un brouhaha émane de la foule. Dominic Thiem et Carlos Alcaraz entrent sur le court. Les enfants restent bouche bée ; le public s’empresse de filmer ce moment unique. Les deux joueurs, sourire aux lèvres, frappent dans les mains des petits fans qui les entourent. L’Espagnol reste sur le central avec une partie des enfants tandis que l’ancien numéro trois mondial part sur le second court avec les autres. Le public ne se déplace pas. 

L’Autrichien joue avec une petite dizaine d’enfants à l’abri des regards. Seuls quelques membres de l’équipe Babolat et de rares fans l’ont suivi. Situé au milieu du court, il renvoie les balles frappées par ses jeunes adversaires. Dès que l’un des enfants joue un beau coup, il crie « Bravo ! ». 

Dans les tribunes du court central, l’ambiance est excitante. Les spectateurs s’imaginent à un match de tennis professionnel. Carlos échange des balles avec une fillette d’une dizaine d’années. À chaque coup réussi, le public s’émerveille. Le jeune espagnol profite du moment présent. Son sourire ne quitte jamais ses lèvres. Dès qu’un enfant frappe un coup gagnant, il s’esclaffe de rire et le félicite. 

© Babolat

Les deux champions finissent par jouer côte à côte sur le central. Les enfants défilent de l’autre côté du terrain. Ces derniers essayent de remporter le point tandis que les deux joueurs renvoient les balles avec douceur. Hannah, 9 ans, raconte : « C’est incroyable car c’est la première fois que je joue avec des grands joueurs. En plus, j’ai renvoyé pas mal de balles, j’ai carrément gagné le point ». Le public, excité de voir ces stars d’aussi près, en profite pour les acclamer. Des « Carlitos ! » et « Domi ! » s’échappent des gradins. Quelques enfants émerveillés parviennent même à démarrer des chants et des holàs. 

Chaque spectateur quitte les tribunes avec un air enjoué tandis que Carlos, Dominic et l’oncle Toni répondent aux questions des quelques journalistes présents. Peu importe l’interlocuteur, les interrogations à propos du numéro un mondial dominent. L’Autrichien l’annonce comme net favori à Roland-Garros tandis que le directeur de la Rafa Nadal Academy hésite avec Novak Djokovic : « Quand on est numéro un mondial, qu’on a gagné à Madrid, qu’on a gagné à Barcelone, on est favori. Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui peuvent battre Carlos – ce n’est pas facile. Je crois qu’il est favori avec Djokovic ». 

Comme à son habitude, le principal intéressé est demeuré modeste. Lorsqu’on lui demande comment il appréhende son statut de favori à Roland-Garros, il répond tout simplement : « Je ne pense pas être le favori. Une longue liste de joueurs, dont je fais partie, peuvent gagner le tournoi. Je vais essayer de m’amuser et de ne pas trop penser au titre. Je veux montrer mon meilleur tennis ».

À l’issue de cet après-midi ensoleillé, les spectateurs rentrent chez eux et les professionnels retournent Porte d’Auteuil. Le Grand Chelem n’avait pas encore commencé ; les espoirs étaient encore grands. Après trois jours de tournoi, Dominic Thiem et Félix Auger-Aliassime, l’élève de Toni Nadal, ont été éliminés. Pour le plus grand bonheur de ses supporters, Carlos Alcaraz, quant à lui, poursuit sa quête d’un deuxième titre en Majeur.

© Babolat

Feliciano López et sa boîte magique

© Nacho Martinez Castejon, CC BY -SA 2.0

C’est l’une des cathédrales de la terre battue, le tournoi qui emmène sur les hauteurs de Madrid avant de redescendre dans la capitale parisienne pour disputer Roland-Garros. Le Mutua Madrid Open est même fantasmé par Feliciano López, le directeur du tournoi, pour devenir le futur cinquième Grand Chelem. 

Pour cela, il faut remplir des conditions féeriques. Depuis quelques années, on assiste à plus de 657 mètres d’altitude au grand spectacle promis. À bout de forces, dans une ambiance ibérique à couper le souffle, le temps s’arrête et la magie prend place. 

En coulisse du tournoi madrilène, on retrouve Feliciano López tant bien avec une raquette au bout de sa main, qu’une cravate autour du cou. Mais pour sa dernière danse, il n’emmène pas avec lui la raquette sur le court et garde simplement son costume de directeur. Son plan est de mettre le tournoi au-dessus de tout, et jouer la vedette cette fois-ci ne lui donne pas envie. 

« Il était plus important de pouvoir travailler que de prendre un bain de foule, dont je n’ai pas besoin et dont je n’ai pas envie non plus. La chose la plus cohérente à faire était de travailler pour le tournoi avec le changement de format. Il y a beaucoup de défis à relever. » 

Bien sûr, si Feliciano López donne tant d’importance à son rôle de directeur, cela s’explique par un projet de plus en plus grandissant, avec des améliorations chaque année, pour atteindre le rêve im-possible d’amener Madrid à la hauteur de Roland-Garros et de toutes les autres levées du Grand Chelem. 

On évoque ici un tournoi qui, en 2025, prendra une toute autre envergure, qui s’immiscera sûrement à l’échelle du mythique Indian Wells, avec la sortie de terre d’un nouveau court d’une capacité intérieur de 10 000 places. De quoi pouvoir offrir deux matchs en simultané sur deux grands courts. 

Car pour un tournoi qui accueille en même temps un ATP Masters 1000 et un WTA 1000, il faut être au niveau. 

Mais qui dit évolution, amène sur la table le sujet d’une vraie volonté et demande de faire passer ce tournoi se jouant durant deux semaines (rares pour un Master 1000) à l’échelon Grand Chelem, utopique. 

Feliciano López , joueur-directeur unique 

Rares sont les joueurs à endosser un double costume de joueur et de directeur de tournoi. Feliciano López est d’ailleurs le seul tennisman en activité à diriger un évènement d’un statut aussi élevé qu’un Master 1000. À un échelon un peu plus bas, on retrouve, le français Jérémy Chardy, directeur du Challenger Terega Open Pau-Pyrénées. 

Avant d’atteindre cette place de choix dans la capitale, Feliciano López a rendu d’autres services au pays en glanant quatre Coupe Davis et, sur le plan individuel, deux titres importants sur l’herbe du Queen’s, son tournoi coup de cœur.

L’homme aux allures d’un bad boy a toujours été remarqué par son style unique en dehors comme sur le court. Gaucher, au revers à une main, il a aussi été propulsé sur le devant de la scène dans le monde de la mode, pour s’éclater loin du tennis. 

Dans les derniers moments de sa carrière, le spécialiste sur gazon voit la fin du chapitre arriver au bout de son nez. Lui qui a choisi ce moment pour essayer d’avoir le moins de coups de mou possible en repoussant ses limites jusqu’au bout du jeu. Le voici face à l’affrontement le plus difficile du sportif, l’éternel abîme. Pour son grand mérite, on parle d’un athlète d’une longévité record, qui a concouru longtemps sur le circuit professionnel, plus de 20 ans, et cela sans blessure sérieuse. 

© MArianne Bevis, CC BY -ND 2.0

En bonne transition, sûr de lui, sa position de directeur du tournoi l’aide à voir d’un bon augure les futurs défis du tournoi madrilène qui a conquis la ville, les entreprises et les institutions de prendre part à cet événement. En partie grâce au travail de Ion Țiriac, révolutionnaire dans le monde de la petite balle jaune. 

« Les fans attendent le mois de mai pour venir voir le tennis. Sans oublier que la mairie et tous les sponsors, à commencer par Mutua Madrileña et Damm, ont placé le tournoi à un niveau brutal, comparable à celui d’Indian Wells. Et Madrid a le thème social, toutes les entreprises d’Espagne veulent participer à l’événement. » – F.López 

Plein d’ambitions, il sait que sa comparaison avec Indian Wells sera plus réaliste en 2025 car Madrid aura les capacités d’un tournoi d’une telle envergure. Tout en incluant les mesures propres en matière de développement durable avec les défis énergétiques sans oublier l’orientation vers l’axe nord-sud, pour profiter du soleil sans subir les jeux d’ombres. 

L’évolution du nouveau terrain de jeu de Feliciano Lopez, le Master de Madrid. 

Débuté en 2002, ce tournoi, se disputait au départ en indoor à la Madrid Arena. À cette époque, aucune femme ne foulait ces courts. Deux décennies plus tard, le Mutua Madrid Open qui atteindra sa 21e édition en 2023 a bien participé à l’exposition du tennis espagnol, représenté par la génération Nadal et aujourd’hui par celle d’Alcaraz. 

C’est en 2009 que ce Masters 1000 a changera de dimension et prendra place à la célèbre Caja Mágica pour se disputer sur terre battue. Les rendez-vous à Madrid se feront dorénavant fin avril et plus en octobre, avec l’intégration du tournoi féminin. Cette première édition sera marquée par un Fedal qui tournera à l’avantage du Suisse. 

Mais il faudra peu de temps pour que le fantasque personnage du tennis, Ion Țiriac, propriétaire du tournoi, impose sa folie et offre l’édition 2012 sur une terre battue d’un tout autre type, la fameuse terre bleue de Madrid. Sans rapport avec la période bleue de Pablo Picasso, c’était un coup médiatique énorme qui aura beaucoup fait parler. Țiriac se défendait que cela devait permettre au public de mieux distinguer la balle, « una tontería », cela était surtout en référence au logo du sponsor Mutua Madrileña, pourvu de bleu. Sur le plan sportif, ce fut un échec et les joueurs, trouvant la surface trop glissante, s’en sont beaucoup plaints. Heureusement le retour à la norme s’est fait dès l’année suivante.

C’est à partir de 2019 que Feliciano López prend les commandes en tant que directeur du tournoi, après avoir appris aux côtés de Manolo Santana, figure du tennis espagnol des années 60. 

Mais c’est en 2021, que le tournoi, après s’être aguerri, à changer de dimension en instaurant deux semaines de luttes pour s’arracher le trophée Areté qui signifie en grec l’excellence dans le sens d’agir avec succès, de parler et de penser. 

À Madrid, rien n’est limité et tout est une question d’oser, pour atteindre son succès. La Caja Mágica, conçue par l’architecte français Dominique Perrault et qui se traduit par « la boîte magique », à tout pour suivre ce destin. 

« L’idée était d’avoir un tournoi le plus ressemblant possible à un Grand Chelem et je crois qu’on y arrive. L’ATP s’en est rendu compte que les Masters 1000 de deux semaines sont les bijoux de la couronne. C’est la plus grande étape que nous avons faite en tant que tournoi et la suivante est de continuer à grandir. » – F.López 

Rien ne devrait arrêter l’ambition et la folie de Feliciano López dans cette quête de créer un nouveau Majeur. Cela ne fonctionnera peut-être pas, mais la Caja Mágica ne cesse de grandir. Passé d’un tournoi de 56 à 96 joueurs et de 8 à 12 jours de compétitions, cela ressemble de plus en plus à un tournoi du Grand Chelem.

Roger Federer and the Modern Crisis of Masculinity

Roger Federer, Open d'Australie 2017 (© Ray Giubilo)

My earliest memory of crying—sad tears, not just a reaction to a stubbed toe or twisted ankle—is July 6th, 2008. It starts like many of my painful memories: a netted Roger Federer forehand.

Federer’s opponent that day, the young, capri-donned Rafael Nadal, walked towards the baseline of Wimbledon’s Centre Court at 9:16 PM London time. From my couch in Oregon, I inhaled sharply, then caught my breath. Eight time zones away, I couldn’t risk derailing Federer’s focus.

Nadal wiped the sweat from his face, bounced the ball six times, and tossed it into the fading Centre Court light. Federer blocked the serve with his forehand, sending a looped return up the line to Nadal’s backhand. Nadal’s response landed short to Federer’s forehand, like an errant chess move inviting checkmate. I let my eyes drift up the screen, anticipating a crisp winner. But Federer’s forehand caught the net. The ball fell to the grass, Nadal collapsed in victory, and my nine-year-old heart broke for the first time.

I watched the entire seven-hour Wimbledon spectacle that day: two rain delays, five sets, and countless flicked passing shots. After hanging on every point, every locked rally, and every bathroom break, I surrendered to a wave of uncontrollable emotion. I laid down on my bed and cried.

My tears quickly triggered another emotion. Shame. I had just crumpled beneath an unspoken burden of my young manhood. The men around me never cried—what was I doing? I wiped the tears away and returned to the living room, just in time to see a cardigan-donned Federer lift his runner-up trophy to a crowd of cheers and camera flashes.

Slowly, my heart recovered from the Wimbledon final. I tried to be productive in my mourning, using the heartbreak as on-court fuel to train harder. Federer, like always, provided the underlying blueprint for my practice sessions and tournament matches. “Federer practicing in Hamburg 2008 – ground strokes” blanketed my YouTube watch history. I spent hours with a ball machine emulating half-volley drop shots. I even briefly transitioned to a doomed—albeit not from a lack of devotion—one-handed backhand. Grand Slam seasons wore on, and soon the 2008 Wimbledon loss marked nothing but a brief scene in the video montage of Federer’s career. I kept playing tennis, graduated college, and still never really cried.

Last September, I turned on the Laver Cup to witness Federer’s final match: doubles alongside Nadal, his closest rival throughout a 24-year career, and the man who beat him at Wimbledon 14 years earlier. Reporters billed it as a lighthearted send-off. Federer, coming off a series of right knee surgeries, wasn’t fit for anything beyond the Laver Cup’s two-out-of-three set, third-set tiebreaker format.

The match itself ultimately induced more anxiety than closure. Nadal’s grueling run at the US Open erased any hope of compensating for Federer’s knee. Neither man’s legacy hung in the balance. After a 2-hour, 12-minute struggle, time edged out the Swiss-Spanish partnership just as much as their Team World opponents, Jack Sock and Frances Tiafoe. I straightened up and grabbed the remote as the teams shook hands, bracing myself for Federer’s last moments on court. I never expected the most vivid scene of the event, and to me, Federer’s career, to quietly occur off-stage on Team Europe’s changeover bench.

Waiting to give his post-match interview, Federer broke down sobbing. At first softly, and then almost uncontrollably. Nadal started crying alongside him. The two men, epochal rivals of their sport, and by all societal standards, icons of athleticism and masculinity, sat holding hands as decades of emotion washed over them. They embraced the moment together, sobbing on the bench as Elle Goulding sang Still Falling for You to clips of Federer’s greatest wins. It was an unscripted moment of vulnerability, physical affection, and positive male friendship—rare in popular culture, and virtually unthinkable in professional sports. As a young man in today’s society, it was everything.

© Antoine Couvercelle

Men don’t cry. I internalized that unspoken maxim, even at nine. And despite my personal growth—therapy, close male friendships, and positive role models—I was shocked to see Federer’s public display of vulnerability. The subconscious parameters of my masculinity still flashed red. Healthy male friendships rarely reach mainstream celebration. Physical touch or affection between two straight men? Even less so—unless it’s a punchline or homophobic trope.

Federer’s retirement tugged at the desperate need for positive masculinity in today’s society. Men, especially young men, face a barrage of toxic masculinity at work, in school, and most recently, online. I struggle to name a male TV character from my childhood, even one, whose strength—and often, implied worth—rested in emotional intelligence or sensitivity. The boundaries of traditional masculinity prohibit displays like Federer and Nadal’s embrace. But misogyny, emotional detachment, and physical violence? Just open Tiktok and wait. Today’s algorithms privilege the Andrew Tates over the Roger Federers.

Unfortunately, sports perpetuate this masculinity crisis. I played tennis competitively for almost 10 years growing up, and never questioned why throwing my racquet or screaming obscenities was tolerated over crying. If you cried, you were invariably a “pussy.” On-court outbursts, smashed racquets, even self-inflicted violence rarely elicited more than an eye roll. In a sport so characterized by emotion, full of highs and lows, loneliness and elation, suffering and solace, why do we accept so few displays of masculinity?

Here, the professional circuit bears a responsibility; the starkness of Federer’s vulnerability also serves as a grim reminder of the state of masculinity on the ATP Tour. Rage is an implicitly accepted language, spoken through on-court outbursts that often precede physical violence. Nick Kyrgios, the popular No. 21-ranked Australian, violently broke two racquets at the 2022 US Open after losing to Russia’s Karen Khachanov. The Guardian, writing about the incident, described Kyrgios as “fiery”. Not unprofessional or violent—just fiery. Two rounds early against Benjamin Bonzi, he attacked his player’s box from the court, shouting, “Go home if you’re not going to fucking support me.” His “firey” brand of masculinity works. Kyrgios is now the star of Netflix’s new tennis docu-series, Break Point. Violence, rage, and past abuse allegations (assault charge against Nick Kyrgios was dismissed February 3, 2023, after he pleaded guilty to pushing ex-girlfriend Chiara Passari) notwithstanding, he remains one of the most popular figures in professional tennis.

Commentators, often women, have voiced concern about such on-court violence. After Jenson Brooksby threw his racket at last year’s Miami Open, inadvertently crashing into the feet of a nearby ball boy, former players like Caroline Wozniacki and American legend John McEnroe called for more accountability. Similar voices criticized Alexander Zverev’s violent battering of the umpire’s chair at last year’s Mexican Open.

But why do we only speak up when on-court violence inadvertently impacts a fan or court attendant? The silence endorsement, even media romanticization, of smashing racquets, cursing umpires, and screaming at fans is a signal to young boys watching at home: as long as your violence is self-inflicted, it remains an acceptable way to express yourself—on and off-court.

Masculinity is in crisis. Boys today desperately need examples of manhood removed from traditional archetypes of violence, aggression, and social domination. We need role models who show can strength in vulnerability, men who understand the importance of physical affection and deep, emotional friendship. We need men like Roger Federer.

Break Point

© Netflix

Comme dans Drive to Survive, les caméras du docu-série Break Point sont pointées sur les athlètes et le scénario suivi explore leurs pressions quotidiennes, leurs faiblesses, mais aussi leurs motivations et leurs forces à travers certains tournois majeurs de l’année 2022.

Il ne faut pas s’attendre à du arty façon The French ou du consistant à la HBO, la série est évidemment formatée à la Netflix. Rythme filmique soutenu, séquences au ralenti façon blockbusters et mécanique bien huilée basée sur un algorithme savamment étudié. Le ton est introspectif et légèrement romancé, axé sur les joueurs/ses et leurs ressentis et non pas sur le jeu. Le docu flirte parfois avec les codes de la télé-réalité. Ce qui ne fait que confirmer que la cible principale des producteurs est le jeune public plus ou moins néophytes.

L’angle adopté est effectivement celui de l’intime et de la vulnérabilité. On est, de façon très privilégié, plongé dans les coulisses du monde tennistique. Alors que ce genre d’images se font rares, nous avons droit, ici, à des discussions et des moments très privés d’avant ou d’après-match. Des moments de doutes extrêmes très touchants, c.f. Ajla Tomljanovic qui, complètement dépitée après une lourde défaite, confie à son équipe que ce sport la fait tellement souffrir qu’elle en arrive à remettre toute sa carrière en question au point de songer à l’arrêter.

La santé mentale, longtemps tabou dans le monde du tennis, est de plus en plus ouvertement abordée. Sans être aussi doctement disséquée que dans l’excellent Breaking Point, le documentaire Netflix sur l’Américain Mardy Fish, elle est évoquée ici à plusieurs reprises. Notamment dans le premier épisode centré sur Nick Kyrgios mais aussi celui avec Paula Badosa. La joueuse espagnole, bouleversée, nous révèle au cours d’une réunion avec sa team qu’elle se bat contre des états dépressifs depuis de longues années.

L’épisode 2 est mon préféré. On en apprend davantage sur Matteo Berrettini, son histoire et sa personnalité. Son humilité, sa timidité, son charme et son naturel illuminent l’écran et émeuvent, d’autant plus lorsqu’on le voit en Italie avec sa famille. Beaucoup de tendresse.

On y suit en parallèle le parcours de sa petite amie de l’époque, Ajla Tomljanovic, lors de l’Open d’Australue. Chose intéressante puisqu’on y apprend davantage sur les avantages et les inconvénients d’une relation amoureuse entre tennisman et tenniswoman.

Le court passage sur Rafael Nadal dans le même épisode est à mon sens le moment de grâce du documentaire. Introduit par Kyrgios (lol) qui le compare à un dieu, magnifier par le choix des images, les angles avantageux et les ralentis… On croirait voir une apparition divine – chargée d’histoire et d’un fort pouvoir orgasmique. Plus globalement, le charisme et la pertinence des champions apparaissant furtivement apportent du relief, avec tout particulièrement les passages “punchlinesques” de Maria Sharapova.

© Ray Giubilo

« Même les champions qui quittent le court après une défaite se demandent s’ils sont assez bons, lâche, par exemple, la Tsarine. Mais il faut affronter ce sentiment. C’est l’intérêt de ce sport. Une recherche constante. On veut savoir qui on est, jusqu’où on peut aller. »

Les créateurs ont intelligemment utilisé les différents acteurs secondaires : Maria Sharapova et Andy Roddick, les vieux sages. Rafa Nadal, personnage mystique, mi homme, mi dieu, dans l’ombre, il finit par prendre toute la lumière et devenir un personnage central. Même l’entraîneur Patrick Mouratoglou qui n’apparaît que trente secondes dans l’épisode 5 fait mouche (en la prenant) en taclant sans vergogne tonton Toni Nadal (pour changer). Sûrement la séquence la plus piquante de la série.

Le mordant (et la polémique) est indéniablement ce qui avait le plus contribué au succès de Drive to Survive avec la mise en avant des tensions entres pilotes et leurs (parfois exagérées) rivalités. En manque-t-il généralement dans le tennis pour en jouer ou n’ont-ils pas voulu en jouer ? Ou peut-être s’agit-il simplement de paresse scénaristique ?

Il y a évidemment quelques défauts, notamment le travail de contextualisation qui est un peu fainéant : on ne parle pas de la blessure de Nadal lors de la finale d’Indian Wells, on n’explique pas les nuances essentielles sur la question de l’égalité salariale… Ou encore, dans l’épisode 2 sur Ajla Tomljanovic, quand on présente Paula Badosa, sa future adversaire, on nous informe que l’Espagnole vient de gagner le tournoi précédent sans nous préciser qu’elle a éliminé l’Australienne dans la foulée.

Autre bémol : la mauvaise traduction des sous-titres. Un fait assez symptomatique de la plateforme Netflix. Ça aurait pu être anecdotique s’il s’agissait seulement de quelques fautes de frappe, malheureusement elles sont bien plus problématiques. « Roland » écrit avec deux « l », le nom des joueurs est écorché, on confond parfois également quelques  règles du jeu essentielles du tennis. Des petits détails qui peuvent embrouiller le public peu connaisseur qu’on veut initier à ce sport – détails qu’on espère réglés dans les prochains épisodes.

Malgré ça et le caractère parfois monotone et répétitif de certaines séquences, je trouve le résultat plutôt satisfaisant mais aussi intéressant et novateur dans l’angle d’approche et dans le traitement égalitaire hommes/femmes. Conclusion : même si la série est construite et calibrée pour séduire les néophytes, je conseille aussi Break Point aux adeptes du tennis, ne serait-ce que pour découvrir un bon nombre de révélations inédites d’athlètes qui ne sont habituellement pas mis en avant.

Nick Bollettieri
A Huckster Who Knew Nothing About Tennis Reinvented Tennis Training

Bollettieri Nick IMGACADEMY
Nick Bollettieri, dans son académie à Bradenton en Floride en 2022 (© Art Seitz)

There comes a point about seven minutes into the 2018 Showtime documentary, Love Means Zero, when the often-smug, yet never-say-die tennis coach Nick Bollettieri — sitting amid the ruins of the Colony Beach and Tennis Resort in Sarasota, Florida — explained the relentlessness of his pursuit. “My father said: ‘If you ain’t nobody, ain’t nobody gonna to talk about you.’

It was possibly a strange thing for an esteemed tennis coach to say, a man who earned a spot in the International Tennis Hall of Fame without ever playing a professional tennis match. But if anything, Bollettieri, who died on Sunday, December 4, 2022 at the age of 91, craved attention — and fame. His throughway came via the children of the rich and the otherwise preoccupied elites of Gulf Coast Florida.

I did things nobody thought of. I broke the rules of taking kids away from their parents, and brought them to an academy – the first one in the world. If I didn’t break those rules, I don’t believe tennis would be where it is today“, he says, naming the pros who came through the Colony and then the Nick Bollettieri Tennis Academy during the 80s and 90s: Andre Agassi, Monica Seles, Jim Courier, Aaron Krickstein, Mary Pierce. “Come on, let’s keep going baby! My Serena, my Venus, Anna Kournikova, Maria Sharapova, Tommy Haas… if you take all the students, I think there’s about 180 grand slam high notes…

Baby, I don’t know half of what most coaches know about pronation, turning hips and shoulders, the dynamics of the stroke, centrifugal force. Shit, I don’t know any of that.

All I know is that I wanted to be a winner and with winners.

At age 12, I wanted to be a winner, too. Sitting in my bedroom in Tulsa, Oklahoma following a day of private school, a tennis lesson and/or a drilling session, plus a fitness routine, then dinner, homework and 60 pushups before bed, I would read Tennis Magazine — then the only American tennis publication left standing — where Bollettieri was the “instruction editor” and absorb his bits of advice for my game. “Hit and exaggerate the follow through“, Nick would advise on my backhand. “Wrap that racquet around the opposite shoulder at the end, baby“, he would tell me on my forehand. I volleyed from the forehand with two hands so I would turn my body appropriately, “to direct the oncoming ball without increasing the power.

Andre Agassi, Nick Bollettieri
Andre Agassi et Nick Bollettieri (© Art Seitz)

By the time I was 16 and Jennifer Capriati was 16, however, I knew that I would never have the moxie or the makings of a pro player. The best I could hope for was a practice spot on a university tennis team, which I gained for a year in 1994. But, Nick… Nick kept on going.

Born and raised in Pelham, New York, to Italian parents, Nick Bollettieri played football at Pelham Memorial High School and attended Spring Hill College in Mobile, Alabama, where he first picked up a tennis racquet. Dodging the Korean War, Bollettieri nevertheless enlisted in the U.S. Army’s 187th Airborne Division. “The paratroopers were a volunteer division services. Why did I want to do that?, Bollettieri said in a 2015 motivational speeches. I wanted to be with a group that expected nothing else but the best.” Still he flunked the exam for the Naval Air Corps, but acceded to the advice of his father and enrolled in law school at the Univeristy of Miami in 1956 and kept a side job as a tennis instructor on the North Miami Beach tennis courts for $1.50 an hour. Bollettieri often came to law classes donning his tennis gear, to which the dean replied that he should “come dressed as a lawyer“, until his last day when he said “Dean, I have a few words for you.” After he handed over his books, Bollettieri said, “this is not for me.” Afterward, he called his father and told him he “would be one of the best coaches in the world.” His father replied, according to Bollettieri, “Son I will support you in everything you do, but you are responsible for the result.

All it took was one kid — that’s all Bollettieri needed. Some may have thought Jimmy Arias with his windshield-wiper, wide-Western forehand would have propelled the 47-year-old to tour fame. But it was Brian Gottfried, a skinny Jewish kid born in Baltimore, Maryland who landed on Bollettieri’s courts in the mid-1960s that helped launch the coach’s career. Bollettieri took his protégé all over the Southeast to play tournaments, to find better players from whom he could learn and to land on courts where Bollettieri could teach his brand of motivation. “Tales of the militaristic nature of life at Nick’s academy abound. I know that turns many people off, wrote Peter Bodo for Tennis Magazine. The way I see it, Nick’s borderline harsh, discipline-based program brought something new to the soft and — let’s face it — bourgeoise sport of tennis. And the espirit d’corps he instilled in so many players, for so many years, played an enormous part in their success.

Gottfried was Bollettieri’s start. While he was ascending to No. 3 in the world, Bollettieri started to bulid his empire. First, at the prestigious Port Washington (N.Y.) Tennis Academy, a northern tennis factory that counts Vitas Gerulaitis and John McEnroe as its prized students. Then, in 1978 Murf Klauber of the The Colony Beach Hotel and Tennis Resort hired Bollettieri as its director of tennis. He got busy recruiting, bringing in a core group of students from around the country: Anne White, Jimmy Arias and Kathleen Horvath and Carling Bassett soon joined.

Anna Kournikova, âgée de 10 ou 11 ans, avec Nick, Nick Bollettieri
Anna Kournikova, âgée de 10 ou 11 ans, avec Nick et Nick Bollettieri (© Art Seitz)

Bollettieri financed his school with the sons and daughters of the bourgiousie, who stayed at the Colony, while his better, scholarship players lived at Bollettieri’s house, where, in exchange for cleaning floors with tooth brushes and picking up cigarette butts around the hotel, among other things, they learned the Bollettieri way. When his growing cadre of students outgrew Bollettieri and a good friend, Mike DePalmer Jr., bought a tennis club on 75th Street in Bradenton and a motel to house them.
Luck struck twice when Andre Agassi, another rebellious child of immigrants, landed on one of Bollettieri’s Palm-tree lined courts in 1983. After seeing Agassi play for 30 minutes, legend has it that Bollettieri tore up the check Agassi’s father gave him for three months’ room and board — all the Agassi family could afford. By that time, Prince and Head racquets had come calling and Bollettieri had moved from the Colony to a 40-acre former tomato lot in nearby Bradenton. Nike came calling next, and the rest is a reflection in Bollettieri’s oversize Oakleys. Despite eight marriages, estranged children, financial boom-and-busts and a few grudges held by a few of his former protegees, including Agassi, Bollettieri, at age 86, hardly acknowledged the wreckage, even when it surrounded him in Love Means Zero.

By 2004, the Colony Beach and Tennis Resort was in financial trouble and no number of new owners could save it from abandonment, squatters, teenage graffiti taggers and finally, the wrecking ball in 2018. I saw it first hand, by then a 42-year-old journalist and aging player who climbed over the fence after a match at the nearby Longboat Key Tennis Center. I would take photos and write an essay about Bollettieri’s last days at the Colony and the sale of his academy to the sports agency, IMG — the closest I ever got to Nick’s secret sauce. The great still turned up at the occasional Slams and in instruction videos for the International Tennis Hall of Fame, which inducted him in 2014, but wasn’t as omnipresent as he once was. “God and a few of the mafia gave a message to get Nick in“, Bollettieri jokes on camera. But being there is one thing: it’s my obligation to help people to get to another level of play.” Still, “being there” might rank as the Bollettieri’s life achievement — his own defiant “f-you” to anyone who ever told him “no.

Nick Bollettieri, entouré notamment de Jelena Jankovic (deuxième en partant de la gauche), Tatiana Golovin et Andreï Medvedev (les deux à droite), © Art Seitz

Some wondered if Nick Bollettieri might ever die — his energy endless, his skin seemingly incapable of decay. “If you look at Nick’s history, Nick does not look back, I just go forward, he says in Love Means Zero. I want to come across loud and clear. I did not think about things. I did not think of the ramifications, whether negative or positive, or neutral… I’ve never thought about being loved. What I think about: ‘Did I help you in life, did I give you a direction?

Sometimes, a person may not love you, but if you’ve made an impact on your life, that’s success, too.

But by August 2021, Bollettieri was in hospice care, mostly bedridden. Tommy Haas flew in from New York to see him, and Gottfried, Arias, Anne White, Robert Seguso, Carling Bassett-Seguso, Dick Vitale, and even Agassi, the player who shunned him for years, were in contact Bollettieri even autographed racquets for charity events he would never attend.

Upon word of his passing, the tributes came rolling in over Twitter, Instagram and Facebook. Even in his afterlife, however, Bollettieri just moved on, unapologetic for anything. On his official Instagram page, the announcement of his passing was one quote: “The mindset of champions is very simple. I don’t accept second place.

 

Agassi – Medvedev 1999

Les princes de la ville

Andre Agassi
Andre Agassi (© Art Seitz)

Il y a des naissances qui durent plus longtemps qu’un seul instant, des renaissances qui mettent des années à arriver. Pour moi, Andre Agassi a été le fruit de la première ; pour lui-même, il a accompli la seconde. 

Pour ma génération, Andre Agassi n’a jamais été « le Kid de Las Vegas ». Je ne l’ai jamais vu porter un mini short rose fluo sous un short en jeans, ni arborer une longue crinière blonde qui, des années plus tard, s’est révélée être une perruque. Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, Agassi, c’est cet homme pressé, aux sourcils froncés, au pas rapide, au jeu rigoureux. 

Mon histoire avec lui coïncide avec mon amour pour le tennis et, si je devais lui donner une date, ce serait celle-là : le 6 juin 1999. Mettons de côté la parodie de lui que j’ai incarné, quelques mois plus tôt, une Pro Kennex à la main, dans la salle de mon école maternelle d’alors, et dont je ne découvrirai que bien plus tard qu’elle n’était qu’impossible : la faute à un ton de cheveux trop clair, je n’aurai jamais sa barbe naissante de trois jours, la faute à une implantation malicieuse, il n’aura déjà plus alors la tonne de cheveux que j’arbore encore aujourd’hui.

Ce dimanche-là, à Roland-Garros, Andre rencontre Andreï. Physiquement, les deux hommes ne se ressemblent pas : quinze centimètres et une fameuse différence de démarche les opposent. Mentalement, les deux hommes se ressemblent plus qu’il n’y paraît. Mais, surtout, les deux hommes vivent une carrière en écho. Après avoir côtoyé les sommets – certes, plus pour l’Américain que l’Ukrainien – la bascule a été abrupte. Au classement du 10 novembre 1997, Agassi est 141e joueur mondial ; je viens d’avoir cinq ans, et je dois être en train de triturer une de mes nombreuses petites voitures sur le tapis du salon. Au classement du 31 mai 1999, Medvedev est tout juste 100e. Et moi, je suis bien devant mon téléviseur. 

Quelques semaines avant « Roland », Medvedev, à seulement 25 ans, a croisé Agassi, 29 ans, à Monte-Carlo. L’Ukrainien vient de se faire sortir par le tout jeune Ivan Ljubičić au premier tour, et n’a pas gagné deux matchs de suite depuis le début de l’année. Il pense à raccrocher définitivement, et se confie sur son mal-être. Alors Andre lui explique, le coache, trouve les mots justes. Andreï repart pour un tour : c’est fois, c’est pour lui.

Andre Agassi
Andre Agassi (© Art Seitz)

Quand il arrive en ville, Andreï est seul sur son trottoir. Il a onze titres, certes, dont trois fois Hambourg, mais n’a plus rien gagné depuis tout pile deux ans, et une seule demi-finale en Grand Chelem, à Roland déjà, contre l’immense Sergi Brugera, mais il y a six ans… déjà.

Quand il arrive en ville, André est sur le trottoir opposé, mais ils marchent sans doute ensemble. Mal dans sa peau, mal dans son tennis, mal dans son corps, Agassi est revenu dans le top 10 l’année précédente, mais manque de constance. Pire, il révèle une face de lui que l’on ne lui connaissait pas : après sa séparation avec sa femme, il est disqualifié du tournoi de San José pour avoir insulté un juge de ligne. Sa préparation de Roland Garros n’est pas à la hauteur et il abandonne même de la défunte « World Team Cup » à Dusseldörf en plein milieu du premier set de son premier match.

Mais il y a Roland, et des déclics ; pour Andreï, sans doute qu’il arrive dès le deuxième tour. Pete Sampras. Pistol Pete est un shérif, certes, mais pas le shérif de cette ville-ci. Son heure, à lui, arrive dans un mois : ici, sur l’ocre parisien, il n’est rien. Et Pete connaît un de ces jours qu’il connaîtra tant : « this is painful to watch », comme dit le commentateur d’Eurosport. Le numéro 2 mondial est battu et, après un énième retour bloqué dans le filet, s’avance vers l’échafaud de la poignée de main finale. Andreï, lui, célèbre tout en retenue : ce n’est qu’un deuxième tour. 

En 1997, deux ans plus tôt, Guga, alors crinière bouclée, l’avait emporté en huitièmes de finale sur un Andreï top 20, en deux jours et en cinq sets : on connait la suite pour le brésilien. Un tour plus tard, en 1999, c’est pourtant bien Andreï qui terrassera saint Guga. 7/5-6/4-6/4. « Tout rentre » et, cette fois, Andreï célèbre. En demi, il sortira Fernando Meligeni, « l’autre » brésilien, en quatre sets d’une bagarre intégrale. Mais comme pour un « autre » match, personne ne s’en souvient.

À l’époque, il faut s’en souvenir, il n’y a pas 32 têtes de série, mais 16, dont moins de la moitié arrivent cette année-là en deuxième semaine. 

Andre, sur sa route, croise la route du meilleur classé encore en lice en huitièmes de finale : Carlos Moyà. La vraie tête de gondole, c’est lui. Des frappes sèches, un jeu multi-surfaces, une volonté de fer, mais un adversaire, et un combat. Quand le soleil décline sur Paris, le roi Charles aussi. Sur la balle de match, on ne sait pas si André s’excuse pour son lob involontaire ou s’il ne croit pas à ce qu’il vient de réaliser. Il restera la formalité de l’Uruguayen Filippini et, dans une demi-finale perturbée par la pluie, l’inoxydable Slovaque Hrbatý.

L’exploit semble presque inimaginable à l’heure actuelle : les quatre demi-finalistes de ce Roland-Garros 1999 sont respectivement 14e, 30e, 54e et 100e joueurs mondiaux. 

Puis, au septième jour fut le dimanche.

Andre, selon la légende, s’est laissé aller à descendre une bouteille de vodka trouvée dans le minibar de sa chambre parisienne la veille de la finale. Pour conjurer le sort qui l’a vu s’incliner deux fois déjà à ce stade de la compétition sur l’ocre de la porte d’Auteuil, contre Andrés Gómez neuf ans plus tôt, contre Jim Courier huit ans plus tôt. Les deux fois, il avait résisté avant de courber l’échine. Wimbledon, c’est fait depuis 1992, l’US Open depuis 1994, l’Open d’Australie depuis 1995. Mais Roland se refuse à lui : alors, c’est sa dernière chance.

Est-ce cela qui le paralyse ? Sans doute. Andreï, lui, ne se pose pas de questions. Sa balle avance vite, elle est lourde. Il retourne les deux pieds dans le terrain. Il y a cette balle de triple break, déjà : même lorsqu’il veut avancer, Andre doit reculer, capituler. Ace. 19 minutes, 6-1 Medvedev. Éclair dans le ciel parisien, et interruption de la partie.

Ça va aller, il va revenir réveillé par cette pluie revigorante, gonflé à bloc par les mots et l’engueulade de Brad Gilbert, son coach, qui s’en prend au matériel des vestiaires. Ce n’est pas le cas. 6-2 Medvedev. Peut-on parler de lutte, de combat ? Cela fait à peine une heure que les deux hommes sont sur le terrain, et le rêve de André s’éloigne peu à peu de lui, comme un mirage auquel on a cru trop longtemps. Les statistiques sont là, implacables ; 28 fautes directes, 0 balle de break. André passe littéralement à côté de son histoire.

Peu à peu, le médicament Gilbert fait effet. Il pleut à nouveau, mais André n’en a cure. S’il doit s’accrocher, c’est maintenant ou jamais. Peut-être que de l’autre côté du filet, Andreï comprend la portée de l’exploit qu’il réalise, peut-être que ses jambes se raidissent. Peut-être qu’il entend que les « Andre » qu’on entend dans le public ne s’adressent finalement pas tout à fait à lui, depuis le début sans doute. Il avance, mais sa balle ne lui répond plus comme au début. Quand il comprend que le passing de revers de Medvedev s’arrête dans le filet, sur la balle de break pour faire 4-2, Andre saute. Un petit saut, concentré. Come on. Mais Andreï débreake. 4-4.

De mes six ans, je ne fais que percevoir cette réalité au travers du prisme de la possible défaite d’Andre. De l’impossible défaite. Non, il doit gagner, c’est écrit.

Curieux comme le score d’un match reflète rarement sa dynamique. À 4-4, Andre fait deux doubles fautes, dont une à 30 partout ; s’il perd ce point, Andreï va servir pour le match. Pour le tournoi. Pour Roland-Garros. Andre frappe fort, dans le replacement d’Andreï, et monte à la volée. Selon lui, « cette volée aurait pu partir n’importe où » ; elle partira sur la ligne, où il n’y a pas grand-chose à faire que la remettre mollement dans la raquette de l’adversaire. Andre tient, surutilise un de ses coups fétiches, le revers court croisé, et prend son service. « Je n’étais qu’à quatre points de prendre un set », dira-t-il : quatre points qu’il prend d’une traite, comme on ferait le ménage, comme ça, c’est fait. 

Il n’y a pas de show, pas d’encouragement. Andre est en mission. Il marche, il pense, il frappe. Comme un moteur au bord de l’explosion, Andreï, lui, pétarade ; il y a des coups magnifiques, et de grosses erreurs. Ce quatrième set est un modèle de la rigueur qui a fait d’Agassi celui qu’il est pour moi : aucune balle de break concédée, à peine cinq fautes directes, un seul et unique break. Dehors, le monde gronde, la foule parisienne chauffe avec le soleil revenu. Deux sets partout, et Andre court vers sa chaise, sans un regard pour l’adversaire. Tout a déjà changé. Agassi ! Medvedev ! La foule crie, désormais. 

Beaucoup l’ont sans doute oublié, mais ce jour-là, Andreï a une balle de 2-0 dans le cinquième set. Que se serait-il passé ? Ce ne serait que mystère. Parce qu’à 2-2, c’est bien lui, Andreï, qui fissure et sort un coup droit beaucoup trop long. Come on ! Cette fois, Andre brandit le poing vers son adversaire. À 5-3, Andre obtient trois balles de match. Une première, sur laquelle Andreï sert un ace ; une deuxième, qu’il vendange ; une troisième, où le service de l’Ukrainien tient encore. Les balles lèchent les lignes. 

5-4. Qu’y a-t-il dans la tête d’un homme à ce moment précis ? Dans Open, son autobiographie, Agassi dira plus tard des joueurs de tennis qu’ils sont des « fous qui se parlent à eux-mêmes ». Sans doute son esprit doit-il ressembler à celui de la foule du Central, dont certains crient des inepties, mais dont beaucoup demandent simplement le silence. Le retour d’Andreï n’avait pas besoin de déjà sortir des limites du court pour qu’Andre comprenne, sa raquette en l’air, les bras levés, les yeux déjà embués. 

« Quand le troisième set a commencé, il n’était pas encore le meilleur joueur de la décennie. Maintenant, c’est un des plus grands », dira Medvedev en conférence de presse.

Pour écrire un match d’anthologie, il faut être deux ; pour écrire un exploit, on peut être seul. 

La suite de l’année d’Agassi sera magistrale. Titre à Washington, à l’US Open, à Bercy – faisant de lui le seul à avoir fait le doublé Roland-Bercy, finale à Wimbledon, à Los Angeles, aux Masters – toutes perdues contre Pete Sampras, demis à Montréal, Cincinnati, Stuttgart. Il terminera l’année à la 1re place mondiale et, dans la suite de sa carrière, gagnera encore trois fois l’Open d’Australie et sept Masters 1000 – dont un doublé Indian Wells-Miami en 2001 – avant de s’arrêter après l’US Open 2006.

La renaissance de Medvedev, elle, aura fait long feu. Les points glanés lors de ce Roland lui permettront de réintégrer le top 50, mais son espoir s’amenuisera de mois en mois au gré des blessures et des défaites au premier tour. Las, après une ultime victoire à Saint-Petersbourg contre un top 10, Tommy Haas, puis une défaite contre Stefan Koubek, il mettra un terme à sa carrière à la fin de l’année 2001. 

Ce dimanche 6 juin 1999, je suis tombé amoureux du tennis, sans doute pour toujours. Un bon arc narratif ne peut pourtant se contenter d’une seule composante ; Andre, ce week-end-là, est aussi tombé amoureux. Mais ça, c’est une autre histoire.

Steffi Graf et Andre Agassi, Roland-Garros 2009
Steffi Graf et Andre Agassi, Roland-Garros 2009 (© Ray Giubilo)

Gilles Simon,

le « génie » qui était devenu un « laborieux »

Gilles Simon, lors de ses adieux à Roland-Garros en 2022
Gilles Simon, lors de ses adieux à Roland-Garros en 2022 (© Virgnie Bouyer)

Voilà, c’est fini, comme dirait un chanteur de Téléphone. Après trois derniers matchs – dont deux victoires épiques face à Andy Murray et Taylor Fritz – à Bercy, Gilles Simon a tiré le voile sur sa carrière professionnelle. Celle d’un joueur dont le style de jeu a souvent fait parler, avec une vision extérieure passant d’un extrême à l’autre.

Prenez un objet blanc. Regardez-le avec des lunettes à verres verts, il vous paraîtra vert. Regardez-le avec des lunettes à verres rouges, il vous paraîtra rouge. Pourtant, il n’a pas changé. Gilles Simon est cet objet. Un joueur-objet (en tout bien tout honneur, évidemment). Au fil des années, son jeu, s’il a évolué et progressé, est resté basé sur les mêmes atouts. Mais la façon de le décrire est passée d’un extrême à l’autre. En guise de verres à couleurs changeantes : sa progression au classement. « Ce mec est un génie », s’était enthousiasmé Guy Forget, après la victoire épastrouillante de l’intéressé, alors 123e mondial, au deuxième tour de l’Open d’Australie 2006 face à un Tomáš Berdych 23e et en pleine ascension après son sacre à Bercy deux mois plus tôt. Une citation rappelée par « Gillou » dans son livre, Ce sport qui rend fou. « On me répète ça lors de ma conférence de presse, a ajouté le Français. J’ai 21 ans, je ne suis pas encore dans les 100 premiers… Si j’avais été un génie, on l’aurait su avant. »

« C’est le premier tournoi qu’il (Guy Forget, capitaine de l’équipe de France à l’époque) me voit jouer, n’avait pas hésité à lâcher Simon lors de cette conf’ à Melbourne. L’opinion des gens varient en fonction du moment où les gens viennent me voir jouer. » Ce jour-là, exténué par neuf matchs consécutifs – titre Challenger à Nouméa, qualifications du Majeur australien, et premier tour en cinq sets et 4h13 contre le champion olympique Nicolás Massú -, le natif de Nice avait appliqué une tactique visant à ne pas se mettre davantage dans le rouge physiquement. « (Après le duel contre Massú) il avait fallu me porter pour que je regagne le vestiaire, a-t-il confié dans son bouquin. Contre Berdych, j’ai mis très peu de rythme dans mes frappes en lui imposant énormément de variations, avec des schémas de points très courts quand je ne voulais plus d’échanges – j’attaquais sur retour de service, par exemple – puis très long pour créer des changements de rythme. (…) Un service-volée à l’occasion. »

« Deux ans plus tard, on me définit comme un ‘laborieux ‘ » – Gilles Simon

Peut-être étaient-ce ces quelques venues au filet qui avait tapé dans l’œil de Forget, apôtre du jeu vers l’avant. Puis, au fil des ans, le cap’tain s’est mis à faire les gros yeux. Simon était presque devenu un hérétique par rapport à sa propre vision du tennis. Le « génie », terme d’ailleurs souvent galvaudé de nos jours, était rentré dans sa lampe ; la lampe laissée, et oubliée, au fin fond d’une caverne. Bien que de plus en plus fort, Simon, aux dires de beaucoup, était devenu un poussif. « Deux ans plus tard (après la victoire contre Berdych en 2006), alors que je suis classé dans les dix premiers mondiaux, le discours a complètement changé me concernant et j’entends sans arrêt pour me définir les mots ‘besogneux’, ‘laborieux’, ‘il court et il ramène la balle dans le court, voilà…’ En fait, ce talent (terme dont il explique par ailleurs à quel point il est difficile à définir), j’ai réussi à le perdre en rentrant dans les dix, c’est-à-dire en jouant mieux. (…) Cela, vous en conviendrez, n’a aucun sens. »

Le fond du tennis de Gilles Simon n’avait pas changé. Le contexte, si. Quand vous êtes le petit Poucet classé au-delà du 100e rang faisant dérailler un top 20, vous êtes encensé pour votre malice tactique. Quand vous êtes un top 10 qui bat un top 20 de la même façon, en se montrant maître de la stratégie pour faire manquer l’adversaire, vous êtes soudainement « chiant à voir jouer ».  Fin 2020, « CNN », comme il est est surnommé  – « parce qu’il ne la ferme jamais (rires) », a révélé Jo-Wilfried Tsonga -, avait été questionné par GQ sur une éventuelle date de retraite en tête. « Non, je ne sais pas, avait-il alors répondu. On ne s’arrête pas ! Je vais vous faire chier avec mon jeu de merde pendant 15 ans (rires) ! » Finalement, les 15 ans « hyperbolés » ont été en deux saisons réelles avant de tirer sa révérence. Certes, les amateurs de tennis-champagne n’ont sans doute pas pétillé en suivant ses rencontres. Chacun ses goûts. Mais d’autres ont pu continuer à prendre leur pied en le voyant évoluer. 

« Il a fait dérailler tous les joueurs » – Richard Gasquet

Regarder une joute de Gilles Simon, c’est comme suivre une partie d’échecs. Certains vont trouver ça ennuyant à mourir, aussi bon pour la sieste qu’une étape de plaine du Tour de France. D’autres, en revanche, vont se prendre de passion pour l’observation de la tactique. Chercher à comprendre, décrypter, ce que le quart de finaliste de l’Open d’Australie 2009 et Wimbledon 2015 veut mettre en place pour exploiter les faiblesses de son opposant. Quand on n’a pas le physique de Thor – ou de son équivalent argentin, connu sous le nom de Juan Martín del Potro – pour envoyer des coups de marteau en coup droit et des aces à la pelle, il faut bien trouver d’autres moyens de gagner les points. « Il a fait dérailler tous les joueurs, a rappelé Richard Gasquet en conférence de presse  Bercy. Très dur à jouer, grosse condition physique, beaucoup de talent à droite et à gauche pour taper la balle (une qualité de frappe très ‘propre’, très peu de fautes de centrage). Il se sert de la puissance de l’adversaire. Il a été un très gros joueur. Très dur à manœuvrer pour tout le monde. »

Nadal, Federer, Djokovic, Murray, Wawrinka, del Potro, Medvedev, Thiem, Hewitt, Roddick… Tous se sont pris les pieds dans les fils du maître emberlificoteur au moins une fois. Sur le terrain les acteurs de ce sport voient, ressentent des pans de matchs moins évidents à percevoir de l’extérieur. « C’est grâce aux spectateurs qu’on peut vivre de notre passion, a répondu le désormais retraité de bientôt 38 ans devant les journalistes après son ultime match à Bercy. Ils viennent, ils paient leurs places : s’ils trouvent le match ennuyant, ils ont tout à faire le droit de le dire, c’est la base. Par exemple, quand je fais un match contre Andy (Murray), c’est vrai que, pour les gens, il ne faut pas qu’on se joue trois fois (sourire). Mais il y a une dimension tactique et, l’air de rien, une maîtrise qui est colossale pendant le match, mais invisible parce que ce n’est pas hyper impressionnant. Mais les balles sont ralenties comme il faut, elles touchent les zones qu’il faut. C’est très difficile et ça demande une grande maîtrise. Peut-être plus que frapper fort en cadence, mais ce style paraît toujours plus impressionnant. »

« Je pense que c’est le joueur qui m’a le plus appris » – Félix Auger-Aliassime

« Quand ça joue bam-bam, et que tout d’un coup l’un des deux touche une bonne zone, c’est plus spectaculaire et c’est facile de comprendre (pourquoi le joueur en question a fait le point, alors qu’il est souvent moins facile de savoir comment l’un a fait rater l’autre). Si je joue Daniil (Medvedev) ou Manna (Adrian Mannarino), vous allez vous faire chier, c’est certain. Mais pour moi, en tant que joueur, ce n’est pas moins intéressant. Mais je comprends totalement (l’avis des gens). Quand Jo (Tsonga) sert à 220 km/h et explose la balle en faisant un smash sauté, moi aussi je trouve ça fantastique. C’est juste que je ne sais pas le faire (il en a tout de même réussi un contre Taylor Fritz au deuxième tour à Bercy, #GillouLeModeste). J’attache beaucoup d’importance à ce que dit le public. Et sur les connaissances du jeu, le fait de comprendre ce qu’il va se passer sur le terrain, je fais plus confiance aux autres joueurs du vestiaire. Ils connaissent bien les contraintes et difficultés d’affronter tel ou tel type de jeu. » 

Des collègues qui ont pu s’inspirer de ses qualités. À l’instar de l’un des plus prometteurs. Félix Auger-Aliassime, l’homme qui a mis un terme à sa carrière longue de 18 années sur le circuit principal. « J’ai connu Gilles en 2018, 2019 quand je suis arrivé sur le Tour, a confié le Canadien de 22 printemps au micro d’Eurosport à l’issue de la cérémonie d’adieux. Je pense que c’est le joueur avec lequel j’ai le plus appris sur le tennis, que ce soit par rapport à ce qu’il se passe sur le court ou en dehors. En 2020, je me souviens qu’on a passé deux semaines de suite à Cologne dans une bulle. Presque tous les dîners et déjeuners, on discutait à l’hôtel. » Outre la science tactique, les qualités de vitesse et d’endurance, Gilles Simon, c’est aussi un œil exceptionnel. L’un des meilleurs relanceurs de sa génération, et plus globalement de l’histoire. En atteste sa position au classement du pourcentage de jeux gagnés en retour.

« J’ai peut-être vécu les plus belles émotions de ma carrière » – Gilles Simon

Depuis 1991 et la comptabilisation des statistiques par l’ATP, Simon est 56e avec 26,66 % – deux rangs devant Roger Federer, un derrière Daniil Medvedev – d’une hiérarchie dominée par Guillermo Coria (36,19 %), Rafael Nadal (33,57 %), Alberto Berasategui (32,34 %), Novak Djokovic (32,14 %) et Diego Schwartzman (32,06 %). Parmi les joueurs encore en activité, dix seulement devancent le Tricolore aux mollets de coquelet dans ce domaine. Voyant le jeu plus tôt que la majeure partie de l’humanité, il est capable d’être sur des balles inatteignables. Et pour tirer les passings une fois sur celles-ci, il a sa qualité de main. Pas celle dont on entend communément parler, pour glisser des amorties ou caresser des volées. Celle pour donner un coup de poignet habile à bout de bras, en bout de course, parfois en prise marteau, pour trouver une zone et un angle défiant les lois de la physique. Et ça, c’est spectaculaire ; des frappes pouvant faire entrer en éruption les publics les plus éteints. 

À Bercy, pour sa dernière danse, comme à Roland-Garros au printemps, « Gillou », dans le cadre de sa fin de carrière, a mis feux aux tribunes. Au fil de victoires épiques : contre Carreño Busta sur l’ocre de la porte d’Auteuil, face à Andy Murray puis Taylor fritz sur le dur intérieur du 12e arrondissement. En clôture de bal, s’il n’a pas réussi à faire valser un Félix Auger-Aliassime qui a enchaîné un quinzième succès consécutif, il a de nouveau eu droit à une communion mémorable avec le public. De celles qui font chaud au cœur. « Avec ce dernier Roland-Garros et ce dernier Bercy… Des gens vraiment adorables auraient voulu que je gagne le tournoi, mais ce n’était pas vraiment l’objectif (rires), a déclaré Gillou lors de son discours final. Le but, c’était de prendre du plaisir, vivre des émotions. Et j’ai vécu des émotions incroyables, peut-être les plus belles de ma carrière. Merci à tous ! » D’après Boris Vian, « n’importe quel objet peut être un objet d’art pour peu qu’on l’entoure d’un cadre. » Dans le contexte de ses adieux, Gilles Simon le « joueur-objet » a eu droit à une sortie d’artiste. Un artiste du déplacement, de la combativité et de la tactique. Ciao, et merci, l’artiste.

Human After Ball

Robot DARwin-OP, de Virginia Tech Robotics (© NASA Kennedy, via Flickr - flic.kr/p/mbiNvM -, CC BY-NC 2.0)

D’un terrain à construire et installer soi-même, avec piquets pour le filet et raquettes à peine cordées, à l’émergence des nouvelles technologies révolutionnaires, comme les robots ramasseurs  de balles ou les drones entraîneurs, le tennis a connu, depuis deux siècles, une évolution conséquente. Si l’humain était depuis toujours au cœur de cette pratique dont les ancêtres remontent à l’antiquité, la course à la performance peut aujourd’hui interroger sur la place qu’il prendra désormais sur les courts dans les années à venir. 

De l’art de la balle  

« Quelques jeunes gens, partagés en deux camps, chassent de l’un à l’autre une boule faite de cuir, grosse comme une pomme, sur un terrain bien uni ou du moins qui a paru convenable aux joueurs. Sur cette balle, qui est comme le prix de la lutte et qu’on place au milieu, ils courent au galop, chacun tenant à la main une baguette de moyenne longueur, terminée par une large courbure dont le milieu est fait de cordes à boyaux desséchées et entrelacées comme un filet. » Cinnamus, écrivain du XIIe siècle et secrétaire particulier de l’empereur byzantin Manuel Ier, nous rapporte dans son ambitieuse Histoire, l’existence d’un jeu de balle pouvant s’apparenter, anachroniquement parlant, au tennis des temps modernes, auquel s’adonnaient avec ferveur les romains de l’époque du bas-empire. Cette activité, qui semblait rudimentaire de par sa forme et approximative de par ses règles, était, si l’on en croit les nombreux écrits en étant rapporteurs, appréciée de tous. Mais, surtout, loin d’être l’unique en son genre ; balle céleste, balle commune, jeu du harpiste… En allant voir du côté des Grecs, là aussi, le constat d’une omniprésence du loisir à descendance sphérique est sans appel. 

Homère, avec son Odyssée, s’en faisait d’ailleurs le témoin : « Ils prirent une belle balle couleur de pourpre qu’avait faite l’habile Polype ; l’un la lança vers la blanche nuée en se renversant  en arrière ; l’autre, bondissant, la saisit habilement avant qu’elle retombât à terre. » Le  médecin grec Galien, dans son traité de La petite balle, un porte-parole : « Les joueurs luttent à qui relèvera la balle, ce qui fait éprouver le plus de labeur, au point de fatiguer la tête et le  cou, ce sont les nombreux renversements et les efforts multipliés qu’on fait pour saisir la  balle. »

Le territoire hellénique semblait même avoir, déjà, son Jean-Paul Loth local, répondant au nom  de Damoxène : « Un jeune homme de dix-sept ans jouait à la balle ; il était de Cos, or cette île  ne semble produire que des dieux. Lorsqu’il tournait les yeux vers les assistas, soit qu’il prît la balle, soit qu’il la livrât, tous en même temps nous applaudissions. L’élégance de son jeu, sa tenue, sa grâce, tout enfin, quoiqu’il dit ou qu’il fit, était parfait en lui. Je n’ai jamais rien entendu de si charmant, je n’ai jamais vu une telle grâce. »

Toutes ces bribes d’histoire, aussi lointaines soient-elles, mettent en évidence un attrait  incontestable pour les jeux de balle, qui n’en sont alors qu’à leurs prémices, primitifs et non institutionnels.  

Si, quelques années seulement après eux, le jeu de paume se révèle être le premier véritable ancêtre de notre sport actuel, introduisant l’existence du filet mais aussi de la raquette après y avoir joué durant des siècles à main nue ou revêtue d’un gant en cuir, il faut attendre Walter Wingfied, major anglais de l’armée coloniale des Indes, pour voir apparaître l’appellation  brevetée de « lawn-tennis » en 1874, rebaptisée « Sphairistiké », soit « l’art de la balle ». En grec,  évidemment. Là encore, le caractère artisanal et « home-made » du jeu est indéniable. Ce dernier  consistait en effet à monter soi-même un court de tennis, pliable et à installer sur gazon, le tout organisé dans une sorte de mallette à transporter. Piquet, bandes, balles, raquettes et filet, aucun  détail n’était négligé.  

Si cette introduction semble tout droit sortie d’un manuel de l’histoire sportive de l’antiquité  jusqu’à nos jours, elle permet de mettre en évidence l’évolution radicale qu’a connue le tennis en quelques décennies seulement. Si la balle n’était, à l’époque, rien sans l’humain, il est  aujourd’hui difficile de ne pas penser à prétendre l’inverse. L’arrivée des nouvelles technologies bouleversent les règles du jeu, à tel point que les sens qui nous composent, ayant permis de mettre au point cette activité physique et intellectuelle qui traverse le temps, sont  progressivement remplacés par toutes sortes d’intelligences artificielles. Ou quand l’objectif  remplace l’œil. Les robots, les jambes et les drones, les raquettes, voire le cerveau. 

Le faucon et le renard  

Si, tout au long des XIXe et XXe siècles, le tennis a mué à travers les dimensions de son terrain, les surfaces qui le composent, les outils qui le façonnent, c’est bien le joueur, l’arbitre, le  spectateur et les officiels qui ont permis sa folle ascension parmi les sports comptabilisant le plus  d’adeptes, atteignant aujourd’hui 1 milliard de supporters. Les récentes innovations, tendant progressivement à réduire drastiquement le rôle de l’humain sur un terrain, soulèvent de nombreuses questions. 

La plus ancienne et la plus implantée de ces dernières est sans conteste le Hawk-Eye. Créée en  1999 par le scientifique britannique Paul Hawkins et rachetée en 2012 par la firme multinationale Sony, c’est en 2006 que cette technique d’arbitrage révolutionnaire basée sur un système informatique est validée par la Fédération de tennis des Etats-Unis, ainsi que l’ATP et la WTA  pour apparaître, dans un premier temps, sur les courts de certains tournois d’Amérique du Nord.  L’œil du faucon vient notamment survoler les terres du Masters 1000 de Miami en mars 2006, puis, le 28 août de cette même année, à l’occasion de l’US Open, Mardy Fish devient le premier  joueur à mordre à l’hameçon du Hawk-Eye en Grand Chelem. 

Auparavant, la décision d’un point gagnant hésitant s’effectuait à la discrétion de l’arbitre, lequel pouvait parfois demander l’aide de Cyclops, un système utilisé pour la première fois en 1980 à Wimbledon. Cet ancêtre imprécis du Hawk-Eye permettait de déceler uniquement les balles sur la ligne de service et n’était pas proposé sur toutes les surfaces. Un peu discriminatoire, donc. 

Désormais, l’arbitre peut donc être contesté par les joueurs, remettant ainsi une partie de son libre jugement à l’œil d’un rapace virtuel. Cette technologie de haute précision vient alors mettre fin aux coups d’éclats, parfois mémorables et délicieux, des sportifs contre les décisions  arbitrales. Mais ces incidents font aussi le jeu des technologies, souhaitées par de nombreux  champions réclamant davantage de précision. Novak Djokovic s’exprimait à propos du Hawk-Eye  en ces termes : « La technologie est tellement avancée de nos jours, je ne vois pas pourquoi nous devrions maintenir les juges sur le court. Tous les tournois devraient être équipés de cette technologie ».

Novak djokovic, Alexander Zverev, Roland-Garros 2019)
Novak Djokovic, vérifiant une marque face à Alexander Zverev à Roland-Garros en 2019 (© Art Seitz)

D’autres, comme Roger Federer, y étaient cependant beaucoup plus réticents. « Je ne pense pas  que ce soit fiable à 100 %, je vois toujours des résultats incompréhensibles. » Rafael Nadal semblait, lui, naviguer entre deux eaux. « C’est certain que la technologie existe, mais bientôt nous ne serons que les deux joueurs sur le court. Je pense qu’il est important d’y maintenir de la présence humaine. » Ces propos corroboraient alors ceux du président de la WTA, Larry Scott, qui prétendait que le système du Hawk-Eye permettrait de « s’assurer que les annonces [soient] exactes, sans perdre l’élément humain des officiels sur le terrain ». Mais, là encore, la course effrénée au progrès technologique vint mettre à mal ces déclarations.

En 2020, avec l’épidémie de Covid-19 et les restrictions en découlant, le Master de Cincinnati, tout comme l’US Open ou le Masters de Londres, se sont disputés sans juges de ligne, se basant exclusivement sur la technologie du Hawk-Eye. Mais à l’heure du déconfinement et de la reprise de la saison, la question du retour des officiels a suscité de fortes interrogations. S’ils ont choisi de convier le public aux matchs en 2022, les organisateurs de l’US Open ont cependant décidé de maintenir l’absence totale des juges de ligne. Le tournoi Next Gen ATP Finals, qui récompense les huit meilleurs joueurs de moins de 22 ans de l’année, en plus de ne pas convier les juges sur ses courts, en est même venu, de ce fait, à redessiner entièrement les contours des terrains de jeu esthétiquement connus depuis des décennies. Les couloirs ont ainsi été effacés et les règles du jeu ont été adaptées, répondant aussi à la demande télévisuelle et publicitaire : les sets ont été disputés en 4 jeux gagnants, le tie-break à 3-3 et le point décisif joué à 40-40, réduisant alors radicalement le temps passé des joueurs dans l’arène, mais aussi des  téléspectateurs devant leur télévision. Enfin, à l’ère du coronavirus, notons également la décision des organisateurs de l’Open 13 de Marseille de 2021 de disposer 1000 spectateurs en plastique,  représentés par de vraies photographies de supporters triés sur le volet. Si pour certains le silence est d’or, l’effervescence des aficionados du tennis dans les stades semble irremplaçable pour d’autres, peu désireux, on le comprend, de faire face à un public en carton. 

En outre, l’arrivée d’une nouvelle technologie, Foxtenn, vient là aussi redistribuer les cartes de l’arbitrage vidéo. Au tournoi ATP de Metz, en 2014, le faucon semble pour la première fois menacé par le renard. L’Espagnol Javier Simon propose en effet d’aller plus loin encore qu’un  simple « in » ou « out » lors de la vérification d’une possible faute, afin de s’adapter à l’évolution rapide des joueurs, des surfaces, des performances, mais aussi des technologies. Son système prévoit d’installer une quarantaine de caméras autour des courts, de façon à capturer chaque moment en haute définition à raison de 3000 images par secondes, contre 150 pour son possible futur ancêtre, permettant ainsi de reproduire l’impact de la balle tout en délivrant aussi les images réelles de ses trajectoires. A l’essai depuis 2019 et utilisé dans quelques tournois comme celui du Masters 1000 de Madrid en 2021, Foxtenn semblerait s’imposer doucement mais sûrement comme la relève de l’arbitrage virtuel. 

Mais alors, quel avenir réserver aux arbitres de chaise ou aux juges de ligne ? Feront-ils toujours partie du paysage tennistique dans cinq ou dix ans ? Rien ne semble plus incertain, puisque la  présence de certains androïdes rôdant autour des courts de tennis se fait de plus en plus  insistante.  

Si les robots lanceurs de balles existent déjà sur le marché depuis de nombreuses années, permettant ainsi d’assurer un entraînement aux joueurs solitaires déjà empreints de technique et les dispensant d’un coach, les ramasseurs de balles pourraient eux aussi se voir menacés par un certain Tennibot. Inventée par une société américaine dont le concept s’est fait connaître en 2018, cette petite machine parvient à capter les balles disséminées sur le terrain grâce à  l’intelligence artificielle, lesquelles s’engouffrent ensuite sous une sorte de trappe. Pouvant être  pilotée à distance par les joueurs grâce à une application mobile, elle ne se déplace cependant qu’à une vitesse d’environ 2 à 3 km/h. Pour l’instant. Il lui faudra donc réaliser de gros progrès techniques pour espérer concurrencer la rapidité et l’agilité des petits « ballos ».  

Plus récemment encore, l’idée de l’utilisation du drone dans la nouvelle pratique du tennis, bien que ponctuelle et partielle, fait elle aussi son chemin. Le Drone-ovic, sorti en 2016 en hommage à Novak Djokovic promet aux fervents admirateurs du Serbe de s’entraîner comme leur idole grâce à son système d’envoi de balles spécialement conçu pour perfectionner son smash. Jo-Wilfried Tsonga, retraité des courts depuis Roland-Garros, a quant à lui quelques projets en tête pour son après carrière. Le Français entend bien démocratiser l’utilisation du drone lors des entraînements, afin, dit-il « d’aider les coaches à récolter des données très précises, qui peuvent être déterminantes dans la progression de nos jeunes joueurs et de joueurs plus confirmés ». Il collabore actuellement avec le constructeur français Parrot pour mettre au point et développer cette technique.  

Si cette course à la performance technique et technologique est bel et bien lancée, l’avenir de l’humain sur le court de tennis n’a quant à lui jamais été aussi fragile. En viendra-t-on à remplacer les joueurs eux-mêmes par des petits bijoux d’intelligence artificielle ? Ce ne sont  certainement pas les deux RG Robot, humanoïdes venus taper la balle lors de l’édition 2016 de Roland-Garros, qui diront le contraire. Loin, très loin encore de faire des étincelles à coups de raquette magique, nul doute que leurs concepteurs allemands Kuka et Schunk mettront tout en œuvre pour les perfectionner dans les années à venir et, qui sait, les faire un jour soulever un  trophée ?

Un peu de silence, les joueurs sont prêts. Et alors ?

Federer fans Miami 2008
Des fans de Roger Federer à Miami en 2008, © Art Seitz

Le fameux débat du GOAT, un instant tué par Rafael Nadal, est plus vivant que jamais au lendemain du 7ème sacre de Novak Djokovic à Wimbledon. 22-21-20. Pas besoin de vous faire un dessin, vous savez qu’on ne parle pas des mensurations de Diego Schwartzman. Nous ne nous épancherons pas plus là-dessus puisque tout et n’importe quoi (surtout n’importe quoi d’ailleurs) a déjà été tweeté au sujet de Sa Très Gracieuse Majesté la subjectivité. Il y a bien plus important. Dimanche 10 juillet, c’est Nick Kyrgios qui nous a soufflé une problématique autrement plus sérieuse et quantifiable au moment où il perdait la deuxième manche par la faute (absolument, c’était l’unique facteur) d’une brave dame accusée d’avoir ingurgité « environ 700 verres » pour expliquer son état second. Une théorie du complot de plus en plus populaire prétend même qu’il s’agissait de Kate Middleton, ne pouvant supporter que les mimiques du Prince George lui volent la vedette une seconde de plus. Dans ce monde aseptisé qu’est devenu le circuit à l’ère du code de conduite, quand Kyrgios, Paire ou encore Ostapenko ne sont pas sur le terrain, c’est bien sûr dans les tribunes qu’il faut aller chercher l’essence perdue du tennis. Petit hit-parade des locataires de sièges en plastique les plus décalés de l’histoire récente.

Tiens, c’est rigolo ça : vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi le tennis était le seul sport (avec le billard, les échecs et la lecture en bibliothèque peut-être) dont les acteurs principaux sont proprement incapables d’exercer leur profession si le silence le plus absolu ne s’abat pas sur leur lieu de travail avant le moindre lancer de balle ? Comment se fait-il qu’une manchette, un slap shot, un penalty ou encore un lancer franc puissent être effectués proprement sous un concert de sifflets alors que le moindre pet de mouche (dont la déflagration est certes décuplée par les micros des télévisions) peut faire sortir un joueur de tennis de son match ? Tout cela prête évidemment à rire (sous cape, l’échange est engagé), mais il arrive tout de même que des éléments extérieurs perturbateurs d’une magnitude un chouïa supérieure défraient la chronique de la petite balle jaune.

« Madam, you’re delaying everything »

Pas de rain delay à Melbourne, la faute au toit et à l’été australien généralement torride et désespérément sec. Et pourtant le liquide coule tout de même à flot pendant la quinzaine, la température aidant. En 2021, c’est Nadal qui a fait les frais de l’humeur orageuse d’une spectatrice s’étant probablement fait servir plus qu’un doigt d’éthanol au cours de la journée (on imagine que Kyrgios aurait un nombre de verres plus exact à proposer, mais on n’y était pas). Tournoi du Grand Chelem oblige, c’est de son majeur qu’elle a salué l’Espagnol avant de se faire remettre à l’ordre par la sécurité.

Du plomb dans l’aile

Si à Wimbledon Rufus le Faucon vole dans les plumes du moindre pigeon intempestif, ce n’est pas le cas partout. Il n’est ainsi pas rare de voir un chat traverser le court à Moscou, à Rome ou à Istanbul ou de se retrouver nez à nez avec un iguane à Miami. Vous l’aurez compris, les spectateurs ne dénouent pas toujours les cordons de leur bourse pour prendre place dans les gradins. Mais attention, le vol (en rase-motte) ne paie pas. Jouer l’homme en double, par contre… Une hirondelle des antipodes l’a appris à ses dépens, fusillée par un coup droit de Michaël Llodra (avec deux ailes, si vous cherchiez encore un truc mnémotechnique) lors d’une demi-finale franco-française de l’Open d’Australie en 2002. Llodra et Santoro en profiteront pour clouer le bec de la paire Boutter-Clément et atteindre le septième ciel d’une finale majeure. Quand on dit qu’il faut faire des sacrifices pour atteindre le plus haut niveau…

« Excuse me, sir ? Monsieur ? S’il-vous-plaît ! »

A Monte-Carlo, même un an avant le début de la pandémie, on ne rigole pas avec les mesures d’hygiène. Ou alors on sait se montrer passif-agressif lorsqu’un match dure trop longtemps à son goût, c’est selon (au Rolex Masters, on ne plaisante pas avec les horaires). Toujours est-il que le 14 avril 2019, un premier tour très accroché entre Borna Ćorić et Hubert Hurkacz s’est trouvé interrompu en plein jeu par l’intervention en tribunes d’un membre (visiblement accrédité) du service d’entretien du stade armé d’un seau et de multiples balais et autres chiffons. En plus d’avoir toutes les peines du monde à localiser le lieu exact du sinistre, notre brave concierge ne semblait comprendre ni l’anglais ni le français d’un arbitre de chaise au bord de la panique. Voilà qui fait tache sur un Rocher qui a connu des anecdotes plus reluisantes. Malheureusement, l’histoire ne dit pas si notre intermittent du spectacle d’un jour a pris une brossée en coulisses. Ćorić, quant à lui, finira par briller jusqu’en quarts de finale cette année-là, battu par un Fognini à la recherche de son lustre d’antan.

« It can’t be that good ! »

La phrase est signée Frances Tiafoe au cours de son premier tour face à son compatriote Mitchell Krueger au Challenger de Sarasota en 2017. Le score est de 6-3 3-2 0-15 (Josh Levin, dans les colonnes de Slate attire notre attention sur le fait que le score de « love-fifteen » n’est pas innocent dans ce contexte) quand ce qui est d’abord identifié comme le son d’une vidéo pour adultes retentit dans le stade floridien. Que nenni. Après quelques minutes d’embarras général, il s’avère que les ébats sont bien réels et proviennent d’un appartement voisin dont les locataires avaient également prévu une night session, avec fenêtre (ouverte) sur court. Comme quoi l’antichambre (à coucher) du circuit ATP est aussi capable de provoquer son lot d’émotions. Le climax de ce paragraphe revient à Josh Levin qui en conclut que les deux hommes n’ont pas été particulièrement dérangés par ce « tennis interruptus ».

Winning streak 

Si la mode actuelle est à la fixation de certaines extrémités corporelles au bitume ou même au poteau soutenant le filet du Court Philippe-Chatrier, cela n’a pas toujours été le cas. Pas de colle rapide pour les activistes d’il y a une vingtaine d’années, et nul besoin d’acétone pour les déloger puisque c’est le plus souvent dans le plus simple appareil que ces agitateurs se présentaient sur le court. Comme Jimmy Jump avait fait figure d’exception lors de la finale de Roland-Garros 2009 quand il avait tenté – tout habillé – de coiffer Roger Federer d’un chapeau traditionnel espagnol, nous nous concentrerons sur le cas plus traditionnel de Melissa Johnson. Et quoi de plus traditionnel que prendre le Temple du tennis pour cible ? En 119 ans d’histoire, jamais Wimbledon n’avait connu de streaker avant la finale de 1996 entre Richard Krajicek et MaliVai Washington (croyez-le ou non, cela s’est reproduit à plusieurs reprises depuis). Melissa Johnson, serveuse de son état (voilà qui ne s’invente pas), a corrigé cette anomalie avec un véritable ace sur le Centre Court cette année-là. C’est vêtue uniquement de son tablier forcément d’un blanc immaculé que la demoiselle de 23 ans à l’époque a choqué la Royal Box. Elle passera le reste de la finale au poste et son employeur lui demandera ensuite de rendre son… enfin de présenter sa démission.

« How much money do you have ? »

Certains spectateurs ont un sens de la tradition encore plus aigu que Mlle Johnson puisqu’ils décident de passer devant Dieu avant de songer à se dénuder. En effet, lors de cette même édition 1996 de Wimbledon, un incorrigible romantique décidait de demander Steffi Graf en mariage au beau milieu de sa demi-finale contre Kimiko Date (une foule de jeux de mots plus misérables les uns que les autres se bousculent dans notre esprit, ne nous tentez pas). L’occasion pour l’Allemande de montrer qu’elle n’est pas seulement la plus grande joueuse de simple de l’histoire, n’en déplaise à Margaret Court et Serena Williams, mais qu’elle se défend plutôt pas mal non plus en termes de répartie. « How much money do you have ? », lance-t-elle à son admirateur éperdu. Si Andre Agassi était dans les environs du stade ce jour-là, il n’est pas étonnant que la réponse l’ait poussé à se tenir coi pendant 5 ans avant de tenter lui-même sa chance, lui qui venait de perdre au premier tour du tournoi et s’apprêtait à plonger jusqu’à la 141ème place mondiale 16 mois plus tard…

« What did you say you lost ? »

Les spectateurs en live c’est sympa, mais si le covid nous a appris une chose, c’est bien que les stades pleins, c’est surcoté. L’important c’est quand même qu’on puisse voir les matches depuis son canapé, si possible à portée d’avant-bras du frigo. L’arbitre de chaise ne perdait donc pas le nord au moment où la caméra principale du duel de l’année (voire du siècle) entre Emil Ruusuvuori et Mikael Ymer au troisième tour du tournoi de Miami 2021 décidait de partir en vrille. En effet, les 17 fans (à vue de nez) présents en tribunes ne semblaient pas représenter suffisamment de parts de marché pour continuer à jouer sans tenir compte de l’audimat potentiellement stratosphérique drainé par cet affrontement au niveau planétaire. C’est donc 3 minutes (ce qui n’est jamais qu’un cinquième d’une pause toilette serbe à deux sets à zéro en sa défaveur) de hiatus qui ont été offertes aux deux protagonistes de ce derby nordique. La détermination du Finlandais à battre son collègue suédois (« il ne passera pas l’Ymer », l’aurait-on entendu maugréer) est néanmoins restée intacte puisqu’il finira par s’imposer en trois manches, le tout retransmis en direct et en mondovision bien sûr.

À ce qu’on dit, l’été sera chaud. Ne passez pas à côté de l’occasion de vous rafraîchir.