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 Non, non, rien n’a changé…

© Ray Giubilo

… tout, tout a continué. Nous ne sommes pas en 1971 et la Guerre du Vietnam est bel et bien terminée, mais un œil distraitement jeté au journal télévisé du soir nous obligera à admettre que ces paroles n’ont malheureusement pas pris une ride. Et surtout, avoir une chanson des Poppys bloquée dans la tête en mode repeat pendant au moins 48 heures après avoir parcouru une bête chronique tennistique, ça n’a pas de prix, voyons. Ne nous remerciez pas, ça nous fait plaisir. Tiens, 48 c’est peut-être aussi le nombre de titres majeurs avec lequel Novak Djokovic finira sa carrière aux environs de l’an 2043, moyennant quelques déchirures abdominales, douleurs à la cuisse à la guérison miracle, disqualifications et autres expulsions du territoire en cours de route, histoire de laisser l’illusion d’une chance à ses faire-valoir. Et pourtant, le Serbe n’est pas uniquement le baobab qui cache une forêt d’arbustes rachitiques drôlement clairsemée en termes de continuité au sommet.

 

Car oui : tout, tout a continué malgré les apparences de changement véhiculées par la narration de Netflix et les quelques ajustements cosmétiques vendus comme des révolutions par les instances suprêmes de la petite balle jaune. Prenez le cinquième set se terminant par un super tie-break en 10 points (oui, Danielle, 10 points, pas 7) à Melbourne. On pourrait tout aussi bien jouer un set unique en 3 jeux no-ad gagnants avec un pierre-feuille-ciseaux en mort subite à 2 partout : à partir du moment où certains matchs démarrent après 23 heures en première semaine, le problème de l’équité sportive reste entier pour ce qui restera de celui qui s’en sortira et devra enchaîner. Oui, mais vous comprenez, on a toujours fait comme ça, dixit Craig Tiley, docteur honoris causa ès langue de bois. Tous aux abris, l’artillerie rhétorique lourde est de sortie.

© Antoine Couvercelle

On a toujours fait comme ça, en effet. Que dire de l’énième séjour à l’infirmerie du colosse aux articulations d’argile de Manacor ? On connaît l’histoire, c’est peu ou prou la même depuis 2005 : impasse sur le Sunshine Double, tornade de prédictions catastrophistes sur les Internets (laissons cela aux trolls de France et de Navarre, ils finiront bien par avoir raison sur ce point, à l’usure), retour poussif en pleine saison de terre battue et quinzième victoire à Paris, raquette dans une main, béquille dans l’autre, perfusion d’antidouleurs au changement de côté. Au passage, à l’instar de Dino Baggio (mieux vaut tard que jamais), un jour on se posera peut-être la question d’une nouvelle limite au niveau des produits autorisés ainsi que de leur danger sur le long terme, surtout lorsque l’un d’eux vous permet d’éliminer toute sensation dans l’un de vos membres pendant toute une quinzaine. Enfin probablement pas, on a toujours fait comme ça après tout.

Ne reste plus qu’à s’occuper de l’éléphant qui attend sagement dans un coin de la pièce depuis le début de cette chronique. On veut évidemment parler des vacances du pouvoir qui commencent à sembler éternelles sur le circuit WTA. Celles qui existeraient d’ailleurs également chez son équivalent masculin si ce qui est désormais un Big Two ne jouait pas les prolongations. True Detective, vous connaissez ? C’est ce que le tennis féminin est devenu depuis une petite dizaine d’années : une série dont chaque saison est un stand alone et met en scène un casting complètement renouvelé par rapport à la précédente. Le dernier épisode en date au moment de commettre ces lignes a été tourné à l’Open d’Australie avec la présence de seulement trois membres du top 20 en quarts de finale (plus qu’une en demi-finales) et celle encore plus parlante de deux anciennes détentrices du trophée en tout et pour tout au premier tour. Deux joueuses qui ont en plus réussi l’exploit de s’y affronter directement, la faute à leurs chutes respectives au classement. 

Les causes de ce vide intersidéral sont mul- tiples : le déclin puis la retraite (oui mais non, enfin peut-être pas) de Serena Williams, la santé mentale (à des degrés divers) de Naomi Osaka, Ashleigh Barty et Iga Świątek, les trois seules vraies patronnes potentielles que le tour a connues depuis. Et peut-être aussi les attentes immédiatement démesurées produites par une seule performance complètement improbable, notamment en Grande-Bretagne et au Canada, mais surtout en Hexagone (encore une donnée immuable depuis une certaine couverture de Tennis Magazine en février 1996) avec l’exemple récent de Caroline Garcia, qu’un seul automne prometteur a suffi à bombarder favorite (médiatique) Down Under avec le résultat que l’on sait. 

En ce qui concerne notre perpétuelle surprise suivant l’apparition quatre fois par année d’inconnues au bataillon dans le dernier carré d’un tournoi majeur (il va falloir finir par s’y faire), on pourrait encore citer le tristement célèbre « monstre » que Roger Federer disait avoir créé en 2008 pour l’expliquer. Celui qui nous a longtemps fait croire que trois cleptomanes en série qui escamotent toute l’argenterie de la création pendant presque 20 ans est de l’ordre de la normalité.

En espérant vraiment se vautrer lamentablement dans nos pronostics en trébuchant sur la doublure trouée de notre manteau de Nostradamus du pauvre, on vous annonce donc qu’au début du mois de janvier 2024, comme chaque année, on s’enthousiasmera sur la formidable saison du renouveau qui nous attend, avec en toile de fond cette fameuse prise de pouvoir de la Next Gen (jamais la Current Gen, la faute à la Forever Gen) que l’on prédit depuis des temps immémoriaux (c’est-à-dire très loin dans le Tsitsipassé pour ceux qui ne suivent pas). Et on aura probablement encore faux sur toute la ligne de fond de court. Non, décidément, rien n’a changé. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

Matija Pecotić

ou la folle histoire du « Tigre de Princeton »

En 2013 sortait au cinéma « Le Loup de Wall Street », le film de Martin Scorsese nominé aux Oscars mettant en scène Leonardo Di Caprio dans un rôle de trader sans foi ni loi. La même année, Matija Pecotić, 24 ans, à peu près l’âge de Di Caprio lorsqu’il débarque à Wall Street, il a d’ailleurs quelques airs de ressemblance, terminait son cursus universitaire à Princeton, l’une des huit écoles de la prestigieuse Ivy League aux États-Unis. En parallèle, puisqu’il est un jeune homme de beaucoup de talents, un surdoué, il devenait le premier tennisman à remporter trois années de suite (2011, 2012, 2013) le titre de meilleur joueur de l’année (Ivy League Player of the Year) parmi ces écoles. Anima Sana in Corpore Sano, comme on dit. La tête et les jambes. Quelques mois plus tard, Novak Djokovic faisait appel à ses facultés de gaucher pour l’échauffer avant d’affronter Rafael Nadal en finale de l’US Open 2013. En bref, l’avenir de Matija Pecotić semblait tout tracé. Bientôt, les projecteurs du circuit ATP. Et puis les aléas de la vie sont passés par là. La maladie, dans son propre corps, puis dans le monde entier, avec la pandémie, ont retardé ses rêves. Presque 10 ans plus tard, alors qu’il pensait en être descendu pour toujours, le train de son destin est repassé. Tombé au-delà de la 700e place mondiale (mais avec un classement protégé autour de la 330e), devenu entre-temps directeur financier en CDI dans une société d’investissement en Floride, Pecotić dépose une requête mi-février 2023 pour entrer dans le tableau de qualifications de l’ATP 250 de Delray Beach, situé à 30 minutes de ses bureaux de West Palm Beach. On ne sait jamais, sur un malentendu. Pour reprendre le prélude d’Eminem dans « Lose Yourself » :

Look, if you had one shot or one opportunity

To seize everything you ever wanted in one moment

Would you capture it, or just let it slip?

Le parcours de Matija Pecotić est une histoire de rédemption comme dans les films – un exemple parmi tant d’autres qu’il n’est jamais trop tard, que l’on n’est jamais trop vieux. Mais reprenons depuis le début…

 

Bons baisers de Malte

Né en 1989 à Belgrade (ex-Yougoslavie) de parents croates, Matija Pecotić déménage à Malte à l’âge de trois ans. Il vient au tennis sur le tard (après s’être essayé au handball, une passion qui lui restera), dispute quelques tournois nationaux sans jamais sortir de l’île. Jusqu’à 15 ans, il ne dispose d’aucun coach. De retour du travail, son père joue avec lui jusqu’à la tombée de la nuit. Ses parents sont stricts : le tennis, d’accord, mais tant que les résultats scolaires sont bons. Ceux de Pecotić sont excellents. Au lycée, il sort major de sa promo en sciences économiques et mathématiques. Il voit les choses en grand. Pecotić est le seul étudiant du pays (recensant alors 400 000 habitants) à passer son SAT, un test d’entrée aux meilleures universités américaines – ces dernières permettant de combiner études et tennis. Perfectionniste, il s’envole en Bosnie pour passer le test une deuxième fois et obtenir le score le plus haut possible. Classé à la 1046e place mondiale (il n’a alors disputé que trois tournois Futures dans sa vie), Pecotić se filme à l’entraînement et passe « trois jours à la Poste » – on espère qu’elle est plus efficace qu’en France – pour envoyer un DVD à toutes les universités de Division I. Parmi elles, 75 lui répon-dent. Il se déplace pour les visiter en personne. Son rêve américain prend forme. Pecotić finit par jeter son dévolu sur Princeton, où il espère simplement être titulaire dans l’équipe de tennis. Là-bas, dans l’intimité du New Jersey, il va devenir une légende.

© Beverly Schaefer / Princeton Men's Tennis

De Princeton à Flushing

Avec Billy Pate, le coach de l’équipe, arrivé un an après lui, la relation est fusionnelle. « Il m’a dit : “Je m’en fiche de qui tu es, on commence avec une page blanche. Tu dois prouver ta valeur.” J’ai pris ça comme un challenge personnel. Je voulais lui montrer, qu’il soit fier de moi. » Dont acte. Avant chacun de ses matchs, il sacrifie à deux rituels : celui d’imprimer une photo de son adversaire du jour sur une feuille A4, et d’écouter l’introduction de Mike Tyson avant son premier combat pour le titre mondial des poids lourds. Grand admirateur de Nadal, Pecotić se métamorphose en tigre – l’emblème de Princeton – dès lors qu’il revêt l’uniforme orange et noir. Une fois sorti du court, souvent en vainqueur, il barre la photo de sa victime d’une large croix rouge, comme celle d’un mis à prix dont il aurait décroché la récompense de capture. Chasseur de primes émérite, Pecotić amassera jusqu’à 22 succès consécutifs. Lors de sa saison senior, en 2012-2013, il atteint les 100 victoires en carrière, une barre mythique dans les rangs collégiaux. Personne ne l’avait franchie dans l’histoire centenaire de l’école. Numéro 2 du pays, le meilleur classement pour un joueur d’Ivy League depuis James Blake (Harvard) en 1999, Pecotić est élu pour la troisième année consécutive Ivy League Player of the Year ; contre les sept autres écoles qui composent ce prestigieux conglomérat, Pecotić achève son cursus invaincu. À 24 ans, fraîchement diplômé de l’une des quinze plus grandes écoles au monde, un matelas de sécurité doré, il est prêt à se laisser bercer par le chant des sirènes.

Comble du Nadalien et du destin, c’est Djokovic, futur adversaire de Nadal en finale de l’US Open 2013, qui va le faire définitivement changer de dimension. En quête d’un gaucher pour « imiter au plus près » le coup droit de l’Espagnol en guise de répétition générale, le n°1 mondial entre en contact avec Pecotić, dont les origines serbes facilitent la rencontre. Le Tigre de Princeton avale la petite heure de route qui le sépare de New York. Après la séance, au cours de laquelle il lui concède deux séries de tie-breaks, Djokovic confie à Pecotić être admiratif de son coup droit, « l’un des meilleurs au monde ». Hyperbole de politesse, sûrement. Il n’empêche que Pecotić est sur le toit du monde. 50 étages au-dessus des courts de Flushing Meadows. Jusqu’ici, tout va bien…

 

Life is a Beach

Début 2014, Pecotić se lance à fond dans l’aventure du circuit ATP, dont il grimpe les échelons presque aussi vite que ceux de la NCAA. En septembre 2015, il bat un certain Matteo Berrettini (6-7 7-6 6-2) en finale d’un tournoi Futures en Turquie. En octobre, il dispute sa première finale (perdue face à Dudi Sela) en Challenger. En novembre, à l’issue de sa deuxième saison en pro, il décroche son career-high : 205e. En janvier prochain, il rentrera directement dans le tableau de qualifications de l’Open d’Australie. Il n’est alors âgé que de 26 ans. Pour l’instant, la partie de Tennis Manager se déroule à merveille. On aurait presque envie d’en faire une sauvegarde, comme ça, au cas où…

Car l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage, il paraît. À quelques semaines de prendre l’avion pour Melbourne, Pecotić subit une intervention chirurgicale légère à l’estomac. Il attrape une saleté de bactérie – une infection au staphylocoque, 36 points au Scrabble – qui l’obligera à rester alité pendant huit mois. Il ne verra pas l’Australie avant l’année suivante, où il s’inclinera au premier tour des qualifications. Même sort à l’US Open et Wimbledon. À Roland-Garros, il passe un petit tour (contre le Français Grégoire Barrère, futur 70e mondial) avant de prendre la porte. Et de la claquer pour de bon. 18 mois après un début avorté à la saison qui devait le propulser dans le top 100, Pecotić tire un premier trait sur sa vie rêvée de joueur de tennis professionnel. Bien content de retomber sur son matelas doré, il se tourne à nouveau vers les études. De ce côté-là, tout ce qu’il touche se transforme effectivement en or : il passe son GMAT (examen d’entrée aux écoles de commerce) à l’été 2017 et décroche… Harvard. Pecotić est ce stud aux yeux clairs et aux cheveux ténébreux qui finit toujours avec la plus belle fille au bal de promo.

Dans le Massachusetts, le Croate, désormais 28 ans, ne peut s’empêcher de retoucher la raquette. Il se porte volontaire en tant qu’assistant-coach de l’équipe de tennis. Forcément, les papillons dans le ventre ressurgissent – au figuré, cette fois. La semaine de sa graduation, au printemps 2019, le stud part à Cancún pour un Spring Break à la sauce Pecotić. Un tournoi de tennis. Son premier en 22 mois. Qu’il gagne. Évidemment. Son deuxième diplôme en poche, Pecotić décide de remettre une pièce dans la machine. Un an à écumer de nouveau tous les tournois du monde, en recommençant tout en bas de l’échelle – il n’a plus de classement protégé –, d’abord les 15 000$, puis les 25 000$, puis les Challengers… S’il n’est pas top 250 d’ici mai 2020, Pecotić se promet de raccrocher. Pendant dix mois, il joue « le meilleur tennis de sa vie », de son propre aveu. Sa quatrième décennie entamée, celle des années 2010 dans le rétroviseur, il part en Europe début mars pour prendre part à un tournoi à Poreč, en Croatie, sur les terres de ses parents. Il passe les deux premiers tours mais ne disputera jamais le troisième. La pandémie de COVID-19 vient d’éclater. Pecotić est coincé de l’autre côté de l’Atlantique, loin de son pays d’adoption. Laissé à quai, encore. Chienne de vie. Sa folle remontée s’achève au 331e rang mondial. Le matelas doré est ressorti à la hâte. En attendant d’hypothétiques jours meilleurs, Pecotić se met en tête de gagner confortablement sa vie. Il signe chez Wexford Capital, une société de fonds spéculatifs et d’investissements immobiliers, dont une annexe est située en Floride, à West Palm Beach. Énième mise à jour de sa bio. « Life is a Beach. »

© Nicholas Estavillo / Tennis Panorama News

« Je peux poser mon après-midi ? J’ai match sur le circuit ATP. »

Mais l’histoire de Matija Pecotić est celle du T-1000 dans Terminator, analogie utilisée par Goran Ivanišević au sujet de Djokovic – « Vous savez, quand le gars liquide se fait tuer et ressuscite encore et encore. » Celle-ci s’applique pareillement à Pecotić. Il aime le tennis à en crever. Avant son « 9 à 6 » quotidien, il tape la balle avec son patron de 70 ans. Début 2021, avec l’aval de ce dernier, Pecotić repart à l’assaut des « Chal’ » tant que son classement le lui permet. En Floride, d’abord, puis en Europe, sur ses congés. Sur la terre battue de Umag, en Croatie, là-même où Carlos Alcaraz remportera son premier titre en juillet 2021, il reçoit une wild-card pour les qualifications en 2021 et 2022 ; les deux fois, il passe le premier tour avant de céder aux portes du tableau final (en 2022, il ne s’incline que 7-5 6-4 devant Corentin Moutet, 116e). Sa première expérience sur le circuit ATP continue de se refuser à lui. Et le temps passe, comme dans la chanson de Lukas Graham :

Once, I was 24 years old

Once, I was 28 years old

Soon, I’ll be 33 years old…

Pour finir 2022, « l’année du Tigre » dans le calendrier chinois, un signe, Pecotić reçoit une invitation pour participer – en tant que réserviste – à la nouvelle United Cup (compétition mixte inspirée de la Hopman Cup) en janvier 2023, à Sydney. Là-bas, parmi ses coéquipiers de l’équipe de Croatie, il côtoie Borna Coric, élu Comeback Player of the Year en 2022. Les deux échangent. Pourquoi pas lui ? Le mois suivant, du 13 au 19 février, un ATP 250 est organisé à Delray Beach, à 30 minutes de West Palm Beach. Avec dans le même temps un autre tournoi 250 à Buenos Aires et des Challengers à Cherbourg, à Chennai (Inde) et à Manama (Bahreïn), et surtout son classement protégé autour de la 330e place, activable sur une poignée de tournois, Pecotić a une toute petite chance de rentrer dans le tableau de qualifications. Le vendredi 10 février au soir, il s’inscrit sur la liste d’attente et dépose ses raquettes à corder. Le samedi matin, alors qu’il passe les rechercher pour aller jouer avec son patron, la superviseur le prévient qu’il « ferait bien de rester dans les parages ». Emoji clin d’œil appuyé. Trois minutes (!) avant le premier match, le dernier domino tombe : le Japonais Yosuke Watanuki, 112e mondial, vient de déclarer forfait, propulsant Pecotić dans le tableau pour y affronter l’Américain Stefan Kozlov, 222e. Au moment d’introduire Pecotić, le speaker, pas au courant du changement de dernière minute, appelle Watanuki au micro. Pecotić préfère en sourire. Son histoire, c’est celle du mec qui n’est jamais censé être là, toujours dans un temps de retard. Mais cette fois, pour trois minutes, il est à l’heure de l’alignement des astres. Il éclipse d’abord Kozlov (7-6 5-5, abandon), puis un autre Américain, Tennys Sandgren, 223e et double quart-de-finaliste à l’Open d’Australie en 2018 et 2020, dans le match pour le tableau final (3-6 6-3 6-2). À 33 ans, voilà Pecotić enfin à portée d’oreille du fameux chant des sirènes.

Pour ne rien gâcher, exactement comme il l’avait pressenti avant le tirage et confié à un ami, le genre de prédiction qui passe une fois sur 100, il hérite de Jack Sock – ancien n°8 mondial – au premier tour, lui assurant ainsi de jouer le mardi soir sur le central de Delray. « Vainqueur de Wimbledon en double, ancien top 10, vainqueur de Bercy en simple… Pour moi, c’est comme si c’était le match du titre », livre Pecotić. Une National 2 qui tire une Ligue 1 en souffrance en Coupe de France. Reste juste un dernier détail à régler d’ici mardi… « Patron, je peux poser mon après-midi ? La raison ? Je vais disputer mon premier match ATP. »

 

Djokovic : « On se voit bientôt sur le court, mon frère »

Son e-mail « All » envoyé – « d’habitude, c’est pour annoncer qu’on va chez le dentiste » –, la photo de Sock peut-être préalablement imprimée en format A4 et punaisée au-dessus de son bureau, Tyson dans les oreilles, Pecotić s’avance sur le Center Court de Delray Beach, d’une capacité de 8 200 personnes, pour le rendez-vous de sa vie, le bal des occasions saisies. Il est nerveux, voit les quatre premiers jeux défiler (0-4) sous les yeux de son patron, assis dans son box. Et de Venus Williams. Et de… Mike Tyson en personne, qui a élu résidence en Floride, et dont la fille de 13 ans est un espoir national. Alors, Pecotić enclenche l’œil du Tigre. Aux deuxième et troisième sets, il envoie tout valser (2-6 6-2 6-2) pour humilier Sock et devenir le deuxième joueur le plus âgé (33 ans et 7 mois) depuis 1990 à s’imposer sur le circuit ATP pour la première fois. Pecotić jubile, hausse les épaules, semblant ne pas y croire. Cela n’arrive pas qu’aux autres. En l’occurrence, cela n’arrive qu’à lui. Et cette fois-ci, le speaker a potassé. « De nombreuses personnes ici ignorent que vous avez un job à plein temps en dehors du tennis. Vous étiez sur Bloomberg [une chaîne TV couvrant l’actualité business] ce matin. Que vous faudrait-il pour devenir joueur de tennis professionnel à plein temps ? Une victoire de plus ? Le titre ? » Et Pecotić de répondre : « Je ne sais pas, je crois qu’il faudrait demander au public. Est-ce que je devrais me redonner une nouvelle chance ? » Leur réponse est sans équivoque. « Yeahhhhh ! » De retour aux vestiaires, Pecotić envoie un texto à son ancien coach de Princeton, Billy Pate : « House money xxx. » Trois croix pour ses trois adversaires battus. Comme à la belle époque.
Ne jamais oublier d’où l’on vient.

Du soir au lendemain, Matija Pecotić devient une star mondiale, une feel-good story d’ordinaire réservée aux affabulateurs de LinkedIn. La twittosphère s’embrase pour ce héros qu’elle ne connaissait pas au réveil ; Tennis TV compile une vidéo retraçant son parcours, qui restera épinglée sur leur compte pour le restant de la semaine. La défaite de Pecotić au deuxième tour contre le n°55 mondial Marcos Giron – un autre produit du système universitaire, les deux s’étaient d’ailleurs brièvement connus – est anecdotique (6-3 6-3). Entre-temps, il était retourné travailler, le mercredi, essayant tant bien que mal de se concentrer sur « une réunion de quatre heures balayant 43 projets différents ». La tête déjà ailleurs, on l’imagine. Le jeudi soir, son portable vibre encore : « @djokernole vous a tagué dans sa story ». La boucle est bouclée, 10 ans après. « Matija, mon frère ! Tu n’es pas encore fait pour la vie de bureau. On se voit bientôt sur les courts ;-) »

Un jour pas si lointain, il a déjà 33 ans, et nous sommes déjà en 2023, Pecotić dira stop. Pour toujours. Pour l’instant, qu’on se le dise : de retour sur les courts de ses premières amours, après trois longues années à fantasmer les chiffres du tableau de score à travers ceux de ses tractations financières, « Le Tigre de Princeton » is not f*cking leaving. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

Du tennis sur Netflix ?

Lumières, Caméra, Bénédiction

Break Point. Thanasi Kokkinakis and Nick Kyrgios in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023

Toudouuuuuuum ! En lançant sa nouvelle série Break Point – adaptation tennistique de l’immense succès Drive to Survive pour la Formule 1 – la semaine précédant l’Open d’Australie, Netflix avait tout prévu… sauf la glorieuse incertitude du sport, particulièrement espiègle dans l’univers de la balle jaune, faut-il croire. Toutes balayées avant même le tournoi, sur blessure, ou avant d’assumer leurs rangs de tête de série respectifs, les 10 têtes d’affiche triées sur le volet sont tombées sur l’autel de la « Netflix Curse » [la malédiction de Netflix], façon And Then There Were None, le roman policier d’Agatha Christie, laissant les potentiels néo-fans dépourvus de leurs feuilletons en développement alors même que le fer chaud était prêt à être battu. Erreurs de casting ? Sans doute, pour certains. Erreurs de contextualisation, de hiérarchisation des histoires ? Sûrement. Toujours est-il qu’en élargissant à l’horizon moyen-terme – une deuxième saison est d’ores et déjà en production –, l’investissement de Netflix dans le tennis est une bouffée d’air frais pour un sport asphyxié en septembre 2022 par la retraite de deux de ses quatre superstars du XXIe siècle, Roger Federer et Serena Williams, et dont les deux autres, Rafael Nadal et Novak Djokovic, continuent à 35 ans passés d’accaparer toute la bande passante et les titres en Grand Chelem. Quatre costumes de super-héros encore beaucoup trop grands pour la nouvelle garde, trop peu identifiable car pas assez starifiée, justement. Entre ici, Netflix… Le futur du tennis et le renouvellement tant attendu de son audience sont peut-être au prix de 8,99€ par mois – et de quelques traits de maquillage rouges et noirs sur la réalité.

 

Les histoires sont tout aussi (voire plus) importantes que le jeu

Défaisons d’entrée un lieu commun : le temps d’att-
ention des jeunes d’aujourd’hui serait en chute libre, rendant le produit tennis – lent par nature, et d’une durée inconnue à l’avance – incompatible avec son époque. Rien ne sert de persévérer, donc. Mais pourquoi pourraient-ils binge-watcher une série de 10 épisodes d’une heure, et pas un match en Grand Chelem de moitié moins ? Non, ce qui compte, ce sont les histoires : les « points d’entrée », sortes de petits pontons qui mènent tous à l’îlot central, celui des fans hardcore. L’important, ce n’est pas le sport en lui-même, ce sont ses protagonistes – et son environnement.

Liberty Media, l’entreprise américaine de médias ayant acquis la Formule 1 fin 2016, l’a bien compris en accordant un badge full access à Box to Box Films, la société de production de Drive to Survive, dès la saison 2018. Objectif : ouvrir à fond les vannes, en montrant l’envers d’un décor qui avait fortement perdu de son lustre depuis l’époque rouge vif Michael Schumacher/Ferrari (jusqu’en 2006), et en axant le storytelling autour des pilotes davantage que la course en elle-même, reléguée au second plan. À l’ère de l’influence, l’humain est roi. Interviews « confessionnal » sur fond noir, séquences sans filtre dans l’intimité des pilotes et des team principals, érigés en pièces maîtresses du jeu : Netflix (ré)invente un genre, celui de la télé-réalité de sport, où la course se gagne hors des chicanes et dans laquelle on se prend d’affection pour les participants indépendamment des vainqueurs.

Qu’importe si le sentiment d’authenticité est parfois faussé pour l’intérêt des bonnes feuilles de scénario écrites à l’avance, avec des rivalités créées de toutes pièces – Lando Norris et Carlos Sainz, meilleurs amis chez McLaren, l’ont appris à leurs dépens – pour maintenir le spectateur en haleine. Ce qu’a gagné Drive to Survive en popularité, elle a fini par le perdre en froissant Max Verstappen, héritier désigné au trône de Lewis Hamilton : pendant quatre saisons, le Néerlandais a pris la décision de ne pas se plier aux interviews, seul pilote de la grille dans ce cas (avant de faire son grand retour en 2022, une fois auréolé de son premier titre de champion). Conséquence fâcheuse, néanmoins : pour le climax de la saison 2021, décidée dans le dernier tour de la dernière course, à Abu Dhabi, Netflix n’a pu compter que sur la perspective du septuple champion du monde déchu… et celle du team principal de Verstappen, Christian Horner, bien plus à l’aise avec la surdramatisation.

La machine reste cependant bien huilée, et les chiffres sont éloquents : l’âge moyen des fans de Formule 1 a diminué de 36 à 32 ans entre 2017 et 2022 ; sur la même période, l’audience moyenne d’un Grand Prix aux États-Unis a doublé de 500 000 à 1 million ; la société de mesure d’audience Nielsen projetait début 2021 1 milliard de fans sous deux ans. Chez les Millenials (génération 1981-1996) et même la génération Z (1997-2012), il y a fort à parier que plusieurs de vos amis vous aient déjà parlé des beaux yeux de Charles Leclerc ou du sourire Colgate de Daniel Ricciardo, du siège éjectable de deuxième pilote Red Bull aux côtés de Verstappen, du cost cap (la limite de dépenses qu’une écurie peut effectuer en une année) mis en place en 2021 et enfreint dès l’année suivante par Red Bull, toujours eux, de la stratégie défaillante de Ferrari et Mattia Binotto, des perspectives de la future collaboration (cohabitation ?) entre Esteban Ocon et Pierre Gasly chez Alpine, etc.

L’abondance de points d’entrée – superficiels ou techniques – pousse presque chaque semaine des millions de personnes en France (moi y compris, et c’est entièrement grâce à Drive to Survive) à monter le volume et à se retrouver au premier virage le dimanche après-midi. Pour Netflix, tous les îlots mènent à Rome (ou plutôt à Monza), comprenez aux hardcore fans.

Break Point. Ons Jabeur and her mother in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023
Break Point. Matteo Berrettini in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023

Dans le tennis encore plus qu’ailleurs, choisir, c’est renoncer… et se tromper

Forts de leur Queen’s Gambit sur l’asphalte, les stratèges de Netflix ont étendu leur échiquier en 2022 aux courts en dur, terre battue et gazon. On prend les mêmes ingrédients et on recommence… Mais le modèle F1 est-il seulement reproductible dans le tennis, infiniment plus disparate en lieux et en acteurs ?

Là où le paddock évolue en circuit fermé (sans mauvais jeu de mots), avec les 20 mêmes pilotes tout au long de l’année, les tours ATP et WTA emploient plus d’un millier de joueurs, dont plusieurs centaines de professionnels. Sur qui braquer les caméras, donc ? Raconter une bonne histoire oblige à suivre son protagoniste sur le temps long et à espérer qu’il obtienne un résultat qui se transforme en épisode dédié. Dès lors, avec une quantité de footage jusqu’à trois fois supérieure à la Formule 1, réduire le cercle à une quinzaine de joueurs est apparu comme une nécessité. Mais choisir, c’est renoncer… et se tromper. Puisque le Big 3 (Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic) et Serena Williams étaient selon toute vraisemblance inatteignables, tous travaillant par ailleurs sur leurs propres projets (ayant contacté leurs agents pour mon livre sur le Big 3, j’en sais quelque chose), Netflix a pris le pari osé de la jeunesse, misant sur celles et ceux censés prendre leur relève dans un futur de préférence proche.

Pour la première partie de saison (jusqu’à Roland-Garros) ont ainsi été castés, dans l’ordre d’apparition, les BFFs Nick Kyrgios et Thanasi Kokkinakis (épisode 1) ; les futurs ex-amants Matteo Berrettini – seul finaliste en Grand Chelem à l’heure du tournage – et Ajla Tomljanović (épisode 2) ; le numéro 1 américain Taylor Fritz ; les ex ou futures top 5 WTA Maria Sakkari (épisode 3), Paula Badosa et Ons Jabeur (épisode 4) ; et enfin les top 10 ATP Félix Auger-Aliassime et Casper Ruud (épisode 5). Doyens de cette joyeuse colonie de vacances : Kyrgios et Sakkari, 26 ans. La promesse de jeunesse est bien respectée.

(Arriveront dans la deuxième partie : Iga Świątek, Stefanos Tsitsipas, Aryna Sabalenka, Frances Tiafoe, et Sloane Stephens. À ce propos, pourquoi de ne pas avoir dévoilé les 10 épisodes en même temps pour délivrer le produit le plus fort possible en une seule fois ?)

(Deuxième aparté : le casting des consultants – Andy Roddick, Maria Sharapova, Patrick Mouratoglou, Courtney Nguyen – est excellent !)

Comme attendu, les séquences les plus mémorables sont celles qui se déroulent en dehors du court. L’humain en maître mot, toujours, et quatre grosses ficelles parfaitement tirées à la Being John Malkovich :

L’amour, avec Berrettini et Tomljanović , qui nous ouvrent leur quotidien de couple itinérant et les petits tracas qui vont avec – comment l’un peut-il gérer une interview en visio-conférence à 8h du matin quand l’autre a prévu une grasse matinée pour récupérer de son match de la veille ? –, tracas qui mèneront directement ou non à leur rupture (non évoquée par Netflix) quelques mois plus tard, et avec Jabeur, dont la conversation candide avec son mari sur son désir de devenir mère après sa carrière nous arrache quelques larmes ;

La polémique, avec Kyrgios, dépeint en éternel bad boy incompris, surtout par lui-même, qui trouve sa rédemption aux côtés de sa petite amie Costeen Hatzi et de son meilleur ami Kokkinakis (avec qui il remporte l’Open d’Australie en double), et avec Auger-Aliassime, bien malgré lui au centre d’un débat moral en marge de son huitième de finale à Roland-Garros : Toni Nadal, à la fois coach de FAA et « oncle de », aurait-il dû se mettre en porte-à-faux avec Rafa à l’heure d’un conflit d’intérêt qu’il avait miraculeusement réussi à éviter depuis trois ans ?

La vulnérabilité, avec Badosa, militante de la santé mentale, numéro 2 mondiale ayant fait appel à une psychothérapeute (comme Iga Świątek, la numéro 1) et dont on ne peut qu’admirer la fragilité face caméra, et Ruud, primo-finaliste en Grand Chelem pris dans un immense tourbillon – une immense Rafa – dans le couloir menant au Court Philippe-Chatrier quelques instants avant la finale de Roland-Garros, finale qu’il traversera comme un fantôme (Casper, vous l’avez ?) ;

Le succès/l’échec, avec Fritz, California Kid vainqueur sur une jambe de « son » Masters 1000 d’Indian Wells contre… Nadal – omniprésent dans la série sans jamais l’entendre une seule fois –, et Sakkari, candidate autodésignée au trône du tennis féminin, mais éternellement courte dans les grands rendez-vous.

Alors, oui, l’opération communication fait effet : on a envie d’aller déguster une assiette de charcuterie italienne chez les grands-parents de Berrettini à Rome ou un tajine chez la maman de Jabeur à Tunis, de revisiter les souvenirs d’enfance d’Auger-Aliassime à Montréal ou à Lomé, ou encore de passer 24 h dans la lumière de Badosa à Madrid. Surtout, par extension, on a envie de suivre leurs futurs exploits sur les courts… et c’est là que le bât blesse : un bon feuilleton, c’est un feuilleton que l’on prolonge dans le monde réel. Si le spectaculaire fiasco simultané du « club des 10 » en Australie relève davantage de la malheureuse coïncidence que d’une supposée malédiction, plusieurs personnages centraux du tennis en 2022 brillent par leur absence – au point de finir d’entacher la crédibilité de la série. Iga Świątek, d’abord, auteure de la plus longue série d’invincibilité chez les femmes au XXIe siècle (37 victoires) entre Doha et Roland-Garros, mais seulement suivie par les caméras de Netflix à partir de Wimbledon… Comment ne pas avoir rectifié le tir plus rapidement ? Carlos Alcaraz, ensuite, premier teenager n°1 mondial de l’histoire après son titre à l’US Open, dont le parcours exceptionnel pour décrocher son deuxième Masters 1000 à Madrid (victoires sur Nadal en quarts, Djokovic en demies et Alexander Zverev en finale), pourtant pressenti dès Miami, où il avait brillamment remporté le premier, est également passé sous silence. Quid de Ash Barty, reine partie à la retraite avec sa couronne après Melbourne, autre évènement majeur – si ce n’est l’évènement majeur – de la première partie de saison dont il n’est jamais fait mention, ou de Daniil Medvedev, brièvement devenu n°1 mondial fin février, et dont la finale perdue contre Nadal a eu un effet papillon incommensurable sur tout le reste de l’année ?

En tapant un peu à côté dans le choix des protagonistes, et en ne s’adaptant pas à la réalité du terrain tout en omettant (volontairement ?) de la contextualiser, Netflix commet un double péché aux yeux des néo-fans, qui découvriront tôt ou tard le pot aux roses et iront chercher ailleurs la matière sur les « vrais » acteurs principaux – ce que Full Swing, la petite sœur de Break Point sur le golf, a par ailleurs parfaitement réussi en suivant trois des quatre futurs vainqueurs en Majeur (Scottie Scheffler, Justin Thomas et Matt Fitzpatrick) en 2022.

Break Point. Paula Badosa in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023
Break Point. Felix Auger-Aliassime in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023

Full Swing, l’exemple à suivre

Il paraît néanmoins que c’est l’intention qui compte et que chaque petit mouvement en entraîne un autre, et si corrélation n’est pas nécessairement causalité, force est de constater que le tennis a connu un grand boom lors de l’Open d’Australie. Près d’un million de visiteurs – record absolu du tournoi – se sont pressés dans les allées de Melbourne Park ; les réseaux sociaux des joueurs ont profité du coup de projecteur, ceux de Paula Badosa en tête (+ 78 000 abonnés sur Instagram entre le 13 janvier, date de sortie de la série, et le 13 février, et cela sans même poser le pied à Melbourne pour cause de blessure) ; enfin, à titre personnel, pour ce que cela vaut, mes tweets ont connu un nombre record d’impressions sur l’ensemble de la quinzaine, plus de 20 millions, avec une viralité dépassant de loin le cadre habituel de « Tennis Twitter ». L’effet Netflix, sans aucun doute.

Pour ce papier, j’ai recueilli le témoignage de Tom, un Anglais de 22 ans qui, après avoir terminé Break Point, a commencé à suivre les comptes des « insiders » tennis et s’est abonné à Eurosport pour suivre l’Open d’Australie. Il me confiait avoir été particulièrement sensible à l’histoire de Ons Jabeur, indéniablement le coup de cœur de la série pour une majorité de personnes – Patrick Mouratoglou le théorisait très justement : la plupart des joueurs du circuit ont une personnalité singulière qui gagnerait à être mieux connue –, et captivé par la dramaturgie autour de Toni Nadal, preuve s’il en fallait que le monde du tennis n’est pas nécessairement ennuyeux, simplement mal raconté.

Pour les cinq prochains épisodes, de Wimbledon jusqu’au Masters de fin d’année, Tom m’a dit se réjouir d’avance des behind the scenes de Kyrgios à Wimbledon – une source interne me disait que des caméras l’avaient suivi pour une sortie mémo- rable en boîte de nuit après sa finale perdue contre Djokovic – et de « tout ce qu’il est possible d’avoir » sur Alcaraz (dont il a bien saisi qu’il était le futur du tennis), c’est-à-dire… pas grand-chose, n’ayant pas été interviewé. TL;DR : Netflix a beau exceller en storytelling, encore faut-il raconter les bonnes histoires, et ne pas (trop) s’éloigner de la vérité des courts…

Revenons donc à Full Swing. Là où Break Point se concentre sur une seule démographie (les jeunes ambitieux âgés de 22 à 26 ans), et cela sans réussir à attirer les meilleurs dans cette tranche d’âge chez les hommes (Stefanos Tsitsipas, Daniil Medvedev et Alexander Zverev), Full Swing prend le pari à mon sens bien plus intelligent de la diversité. Des jeunes loups, d’accord, mais les leaders (Scottie Scheffler, Matt Fitzpatrick, Collin Morikawa) ; des rookies qui débutent sur le tour (Mito Pereira, Sahith Theegala) ; des vainqueurs en Grand Chelem déjà affirmés (Dustin Johnson, Jordan Spieth, Justin Thomas) ; des personnages en marge du système par leur parcours de vie (Joel Dahmen, Tony Finau) ou par leur décision de quitter le PGA Tour pour la LIV League (Ian Poulter) ; enfin et surtout, Rory McIlroy, l’un des deux principaux visages du golf (avec Tiger Woods, dont l’historique est très bien contextualisé, à défaut de l’entendre directement en interview). Un casting cinq-étoiles qui délivre une image exhaustive du paysage du golf, quand la série sur le tennis donne l’impression d’une bulle artificielle où l’on n’a pas forcément de personnages auxquels s’identifier car « tous les mêmes », et où 50 % du travail d’information reste à faire par soi-même (sans même parler des scènes de tennis, qui tombent relativement à plat). Sublimer la réalité, oui ; la transformer, non.

Allez, assez parlé, je me mouille. Voici le casting de 15 joueurs que je réunirais pour la saison 2023 de Break Point (joueurs n’ayant pas été filmés en 2022, et en excluant Nadal/Djokovic) :

Jeunes ambitieux/rookies (23 ans ou moins) : Carlos Alcaraz, Elena Rybakina, Emma Raducanu, Coco Gauff, Holger Rune, Ben Shelton, Qinwen Zheng et Daria Kasatkina

Joueurs bien installés et dans différentes phases de leurs carrières (24-29 ans) : Daniil Medvedev, Andrey Rublev, Dominic Thiem et Caroline Garcia

Anciens vainqueurs en Grand Chelem vétérans (30 ans ou plus) : Victoria Azarenka, Andy Murray et Stan Wawrinka

(Indiscrétion : Caroline Garcia et Holger Rune sont d’ores et déjà suivis pour la première partie de saison 2023. Avec ou sans eux, amusez-vous à imaginer votre propre casting de 15 joueurs et joueuses, avec si possible des synergies entre eux !)

Malgré ces bémols, et un soufflé largement retombé à l’heure d’Indian Wells/Miami, l’arrivée de Netflix dans l’univers du tennis est indéniablement un grand pas en avant dans le traitement de ce sport. Tous les ingrédients sont là pour que ça fonctionne, c’est une certitude. Je ne fais pas partie du camp des pessimistes – ni sur l’avenir du tennis après le Big 3 + Serena Williams, ni sur la capacité de ce sport à attirer un nouveau public (si la Formule 1 et le golf m’ont conquis à travers Netflix, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas du tennis, un sport objectivement plus « sexy »). Reste donc à raconter de meilleures histoires, et plus diverses, pour multiplier les potentiels points d’entrée. Reste à mieux caster, en somme. Netflix, si vous cherchez quelqu’un… 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

« Battre Nadal sur terre battue, c’est le défi ultime du tennis »

© Ray Giubilo

À coups d’arguments percutants qu’ils s’envoient sur la caboche en cherchant le K.O. oratoire, bons nombres d’amateurs de tennis se castagnent quant à l’identité du G.O.A.T. Si le débat reste sans fin, celui en rapport avec le meilleur joueur de tous les temps sur terre battue laisse moins de place à l’incertitude. Pour la grande majorité, Rafael Nadal a mis la concurrence au tapis. Grâce à des aptitudes ayant fait de lui ce qui se rapproche le plus – sans l’atteindre, évidemment – de l’invincibilité sur une surface.

 

Vaincre le lion de Némée et son cuir impénétrable, terrasser l’hydre de Lerne et ses têtes repoussant au double ou encore capturer Cerbère, le gigantesque chien-monstre polycéphale gardant l’entrée des Enfers. Pour ses douze travaux imposés, Hercule a dû accomplir des tâches inhumaines ; une chance qu’il soit né demi-dieu. Un peu comme si on avait demandé à Nick Kyrgios de contenir son tempérament volcanique pour l’empêcher d’entrer en éruption après une erreur arbitrale, ou de louer le tennis de Casper Ruud. Si le héros grec passait du mythe à la réalité pour vivre à notre époque, on pourrait s’amuser à lui trouver un pensum à la hauteur de sa légende. Tenter de rivaliser avec le sens du trick shot et du spectacle de Kyrgios, par exemple. Plus ardu encore : devoir battre Rafael Nadal sur terre battue, a fortiori en trois manches gagnantes.

«Que ressent-on quand on affronte Nadal à Roland-Garros ? J’ai eu l’impression d’être perdu dans le Sahara, avec des dunes sans fin à l’horizon, sans eau ni nourriture. » En 2006, Kevin Kim, ancien 63e joueur mondial écrabouillé 6/2 6/1 6/4 au deuxième tour, avait lâché cette image après avoir vécu l’expérience d’un match contre le surnommé « Rafa » sur la brique pilée parisienne. Et encore, à cette époque, ce dernier était loin du monument, désormais statufié dans le stade de la porte d’Auteuil, qu’il allait devenir. Son mythe ne contenait alors qu’un seul chapitre. Au moment de ces mots, l’Espagnol, qui fêtait ses 20 ans le lendemain, ne comptait « qu’un » titre du Grand Chelem. Celui conquis dans la capitale française l’année précédente, dès sa première participation. Mais par ses résultats, il s’était déjà imposé en « ogre de l’ocre » à l’appétit gargantuesque.

Après sa défaite face à Gastón Gaudio à Buenos Aires en février 2005, il avait remporté onze des douze tournois disputés sur terre, en signant un quatre sur quatre en Masters 1000. Seul Igor Andreev, alias celui qui avait pour but de faire le moins de revers possible, était parvenu à le stopper, à Valence. Au fil des années, le natif de Manacor a écrit toute une anthologie d’exploits et records. Pas seulement sur les courts où ses chaussettes ont fini teintées d’orange. Il est entré dans l’histoire en étant bien plus qu’un spécialiste de ces terrains. Mais c’est sur ceux-ci qu’il a établi une domination sans précédent. À tel point que le battre sur le revêtement sablonneux est presque devenu une ligne de palmarès en soi, y compris aux yeux de ses rivaux les plus prestigieux.

© Virginie Bouyer

C’est difficile de gérer le lift de Nadal, ça demande un peu de temps pour s’y adapter

Novak Djokovic

« Battre Nadal sur terre battue, c’est le défi ultime du tennis », a affirmé Andy Murray lors de diverses conférences de presse. Une expression qu’il n’a pas été le seul à répéter. « Affronter Nadal sur ce court central de Roland-Garros où il a eu tant de succès, c’est le plus grand défi qui existe», a déclaré Novak Djokovic en 2021. «Sur terre battue, c’est quand même difficile de le bousculer et de marquer des jeux, avait analysé Stan Wawrinka après sa défaite 6/2 6/3 6/1 en finale de RG 2017. C’est moins frustrant de jouer contre Federer sur gazon, même si tu ne vas pas gagner non plus. » Avant celle de l’édition 2019, Dominic Thiem – qui a finalement connu un sort similaire à celui du Suisse, 6/4 6/3 6/2 – était allé un peu plus loin : «Jouer contre Rafa sur ce court, c’est toujours le défi ultime, l’un des plus difficiles à relever dans le sport en général.»

Avant ses premières glissades de la saison 2023, le Majorquin aux 22 titres du Grand Chelem affichait un bilan de 474 victoires pour 45 défaites sur ocre depuis ses débuts sur le circuit principal. Soit 91,3 % de succès d’après les données de l’ATP. Un record dans l’ère Open, devant Roger Federer, avec 86,9 % sur herbe, et Björn Borg, 86,1 % sur terre battue. Au meilleur des cinq sets – Roland-Garros, Coupe Davis, finales de Masters 1000 et ATP 500 jusqu’en 2006 –, il a établi un ratio encore plus épastrouillant : 137 duels gagnés, 3 perdus. Personne n’a fait mieux, évidemment. Les trois revers ayant eu lieu à Paris, face à Robin Söderling en 2009, puis Novak Djokovic en 2015 et 2021. Et, à la lisière du bois de Boulogne, il a gagné 112 rencontres. 97,4 % de réussite, donc. Le plus haut pourcentage de l’histoire dans un Majeur, devant Borg – qui a eu une carrière beaucoup plus courte – avec 96,1 % à Roland-Garros et 92,7 % à Wimbledon. 

Parmi les atouts forts qui lui ont permis d’avoir les cartes en main pour mettre le paquet sur terre battue : faire tourner la tête de cette pauvre boule de feutre jusqu’à la rendre folle. Agent matrimonial, le gaucher des Baléares a permis à la puissance et au lift de se rencontrer pour donner naissance à une lourdeur de balle inédite jusqu’à son arrivée au haut niveau. «Dès le premier point du match, il met tellement d’intensité, avec des lifts énormes, a expliqué Djokovic pour l’ATP en amont du Masters 1000 de Rome l’an passé. C’est difficile de gérer ses balles, ça demande un peu de temps pour s’y adapter.» Si un maître absolu du contrôle a lui-même confié avoir besoin de quelques jeux pour encaisser le « surlift » de Nadal, imaginez l’ampleur de la difficulté pour les autres. Le genre de tâche que seul « Tom Crouille dans Mission pas facile, facile », comme dirait Éric Judor dans H, pourrait accomplir.

Pour se rendre compte en passant à l’échelle du commun des mortels, un joueur non professionnel, bien qu’étant d’un très bon niveau, aurait toutes les peines du monde, voire de l’univers, à renvoyer un lift de Nadal gratté à intensité maximale. C’est ce qu’a vécu Olivier Carlier, chef de groupe tennis expert chez Babolat. «En novembre 2009, juste avant Bercy, Rafa est venu à Lyon pour un premier test du cordage RPM Blast, n’a pas oublié cet ancien 0 au classement français. Nous étions trois employés de Babolat à faire chacun une session de 20 minutes avec lui. J’ai joué contre des adversaires négatifs qui avaient un début de classement ATP, mais là, j’ai vraiment eu un sentiment d’impuissance totale. Les fois où il a vraiment lifté et mis de la puissance pour tester la corde, il m’as mis à deux mètres sans aucune difficulté. La balle giclait énormément. Je me sentais écrasé, avec une sensation de lourdeur dans la raquette. J’étais tout le temps acculé, en prenant la balle un peu derrière. J’ai un revers à une main, et de ce côté, c’était impossible. »

© Antoine Couvercelle

Il (Rafael Nadal) reste celui qui se déplace le mieux sur terre battue 

Roger Federer

Après d’autres essais lors des mois suivants, « le taureau », comme d’autres de ses collègues, a adopté le RPM Blast de Babolat. Un cordage axé puissance et effets lui apportant encore un peu plus sur ses aspects par rapport au Pro Hurricane Tour qu’il utilisait auparavant. D’après les données de Data Driven Sport Analytics que nous a fournies Fabrice Sbarro, analyste de la performance travaillant avec des membres du top 10 et du top 20, Nadal a desquamé les balles en leur faisant subir 2973 rotations par minute en moyenne, avec son coup droit, sur les trois dernières années. Seul Casper Ruud est davantage monté dans les tours, avec 3081 rpm. Matteo Berrettini (2893 rpm), Federico Delbonis (2886 rpm) et Félix Auger-Aliassime (2863) ont complété le top 5. En revers, l’ancien numéro 1 mondial est sixième de ce classement, avec 2183 rpm. Derrière Ruud (2353 rpm), Stan Wawrinka (2327 rpm), Marco Cecchinato (2310 rpm), Richard Gasquet (2221 rpm) et Stéfanos Tsitsipás (2200 rpm). Notons que seul le Norvégien est parvenu à passer devant les adeptes de la prise à une patte dans ce domaine.

Cette machine à laver en guise de coup droit, à en essorer ses opposants jusqu’à la dernière goutte de sueur, Nadal l’a aussi acquise grâce à une technique particulière. Un geste presque iconoclaste pour les puristes, dont l’homme qui l’a formé. «Je n’aime pas le coup droit lasso de Rafael, j’ai toujours préféré le style classique, a déclaré Toni Nadal lors d’une conférence à l’université de Vigo en mars 2019. Il a commencé à jouer de cette façon jeune, pour gêner les adversaires qui étaient plus grands que lui. Il a gagné des titres, et c’est pour ça que nous avons continué à utiliser ce coup. Mais je ne l’ai jamais prôné, je n’ai pas cherché à le créer. Si je pouvais choisir, je préférerais le voir frapper comme Federer. » Depuis, il n’a pas changé d’avis. 

«Si tu regardes Rafael à l’entraînement, il fait un coup droit classique, sans terminer en passant au-dessus de sa tête, nous a-t-il rappelé. Oui, je préfère ça. Mais, la vérité, c’est que, pour jouer à Roland-Garros (et sur terre battue), c’est bien de mettre plus de lift. Ce qui est plus facile à faire avec la gestuelle de Rafael. » Le fait d’être gaucher a aussi joué son rôle dans l’impact de cette arme au rebond giclant de façon inouïe sur le revers des droitiers. Un cauchemar sans réveil, au-dessus de l’épaule, pour ceux à une main. À deux mains, c’est une allonge moindre qui a pu poser problème sur les coups croisés fuyant vers l’extérieur grâce à l’effet latéral imprimé par Nadal en plus de son lift infernal. En outre, il a pu compter sur un petit plus technologique pour optimiser les effets. La raquette Babolat Aeropro Drive qu’il a commencé à utiliser à 17 ans a été conçue spécialement pour donner un coup de fouet supplémentaire à son lasso, comme relaté dans l’article Pure Aero : une raquette qui fait effet, publié dans Courts numéro 13.

«Il n’est pas le seul à donner cet effet latéral (qui, entre droitiers, tombe sur les coups droits), donné en frappant la balle un peu sur le côté (pour la “brosser”), nous a précisé son oncle. Ça permet de s’ouvrir un peu plus le court. Sur terre battue, on sait que le coup croisé est plus efficace que sur les autres surfaces. Alors tu essaies de le répéter très souvent, de le travailler pour le faire un peu mieux à chaque fois. » Pour devenir le « roi de la terre », le protégé de Carlos Moyà a pu s’appuyer sur un autre as dans son jeu. «Il reste celui qui se déplace le mieux sur terre battue, a analysé Roger Federer devant les journalistes à Indian Wells en 2018. Il sera sans doute pour toujours le meilleur joueur de l’histoire sur cette surface.» À l’heure de ses premières prouesses, il donnait l’impression de s’être échappé d’un jeu vidéo. En cheat mode, tant sa capacité à réussir des défenses inespérées semblait irréelle.

© Antoine Couvercelle

Rafa voit quand je vais faire une amortie, avant même que je tape 

Carlos Alcaraz 

En regardant le résumé de sa finale à Rome contre Guillermo Coria en 2005, par exemple, il a fallu vérifier que la vitesse de lecture n’était pas réglée sur « x 1,5 ». Voire 2. Une remarque valable également pour l’Argentin et ses gambettes capables de mouliner jusqu’à produire autant d’énergie qu’un champ d’éoliennes. Puis, au fil des ans, l’homme qui a relancé la mode des t-shirts sans manches a perdu en rapidité. Mais, bien qu’étant dans l’année de ses 37 balais en 2023, il a conservé une mobilité hors du commun. Grâce à son sens de la glissade sur ocre, son équilibre et son anticipation, ce qu’on a pris pour habitude d’appeler « l’œil ». Pour Tennis TV en février, Carlos Alcaraz, interrogé sur l’amortie, l’un de ses coups favoris, en a fait la constatation.

«Je dirais que Tsitsipás a été celui contre qui ça (l’amortie) a le mieux fonctionné, a-t-il répondu. J’ai gagné le point quasiment à chaque fois. En revanche, contre Rafa, et aussi Djokovic, ça a été compliqué de les surprendre. Je crois qu’ils le voient quand je vais faire une amortie, avant même que je tape. Ils sont toujours dessus.» De quoi continuer à briller sur la surface la plus exigeante physiquement malgré les aiguilles du temps tricotant inévitablement le linceul de sa carrière de joueur professionnel. Mais effets et mobilité n’ont pas été les seuls éléments sortis du lot pour expliquer son règne rouge. «C’est tout un ensemble, nous a détaillé “tio Toni”. Le coup lifté, la capacité à beaucoup courir pendant de nombreuses années, son aptitude à renvoyer la balle dans une mauvaise position aussi. Parce que, sur terre battue, elle n’arrive pas toujours de manière parfaite comme sur dur (faux rebonds, notamment).»

«Maintenant, Rafael court un peu moins, a-t-il poursuivi. Mais il dézone moins aussi (pour tourner autour de son revers). » Car, par rapport à ses premiers pas sur le circuit, il a su faire évoluer son jeu. Beaucoup plus percutant en revers, il n’a plus eu autant besoin de se décaler sur son coup droit. Un gain d’économie pour le jeu de jambes. Surtout, par rapport à ses deux premiers sacres à « Roland » – 2005, 2006 –, il est devenu plus offensif. Plus proche de sa ligne, davantage entreprenant, il a su se bonifier pour faire cavaler son opposant plutôt que l’inverse. «Si tu regardes bien, dès Roland-Garros 2008, tu peux voir qu’il n’était plus défensif, sinon il n’aurait pas pu gagner si “facilement” (aucun set perdu, 6/1 6/3 6/0 contre Federer en finale), ni s’imposer à Wimbledon dans la foulée, a ajouté Toni Nadal. En 2005, 2006, il l’était. Parce qu’il était jeune, pas encore totalement formé, il avait besoin d’améliorer ses coups. Federer aussi a su évoluer. Si tu as joué de la même façon pendant 20 ans, ça veut dire que tu n’as pas progressé.»

Un constat partagé par Gasquet, qui s’est incliné 18 fois en autant d’affrontements face à Nadal. Record dans l’ère Open chez les hommes, à égalité avec le compère Gaël Monfils perdant de ses 18 duels contre Novak Djokovic ; cocorico ! «Nadal a eu cette force mentale de toujours chercher à progresser pour devenir de plus en plus complet, a analysé l’artiste du revers à une main dans son autobiographie, écrite avec Franck Ramella, sortie en 2022. Il y a six ou sept ans, je discutais avec Francis Roig, l’un de ses entraîneurs. Rafa avait un petit coup de mou, et Roig me disait : “C’est fini, Rafa ne gagnera plus.” Devant mon étonnement, il avait développé : “S’il n’arrive pas à avancer, à frapper la balle plus tôt, il ne gagnera plus un match.” Au fond de moi, je m’étais dit : “Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Il est fou ce mec…” Trois mois après, Nadal prenait vraiment la balle plus tôt. Il avait fait ce que je n’avais pas réussi à mettre en pratique.»

«Il faut s’améliorer sans cesse, même quand on est tout en haut, parce qu’avec le temps tu perds toujours quelque chose en chemin : un peu de fraîcheur, les jambes ne vont plus aussi vite, etc., a complété Toni Nadal. C’est ce que cherche à faire chaque joueur voulant rester au top pendant des années.» Une progression dans le jeu offensif ayant pour but, également, de ménager le pied gauche causant problème depuis les 18 printemps du neveu, et diagnostiqué plus tard comme atteint du syndrome de Müller-Weiss ? « Oui, nous a répondu le tonton. Mais, petit, il était déjà offensif, il prenait l’initiative, a-t-il continué. Puis il est arrivé sur le circuit très jeune, à 16 ans. Il devait affronter des personnes plus âgées, plus fortes physiquement, avec des jeux plus matures. Alors il a dû s’adapter. Il a dû courir davantage et a perdu un peu d’agressivité. Mais, quotidiennement, il a essayé de progresser. Et ça n’a pas été difficile de lui faire comprendre ça. Je lui répétais depuis qu’il était enfant : chaque jour, il faut faire plus. »

© Virginie Bouyer

Il faut s’améliorer sans cesse, parce que tu perds toujours quelque chose en chemin 

Toni Nadal

Sur une surface où se sont implantés les échanges longue durée, savoir construire le point s’est posé en qualité essentielle au succès. Ce que le quatuordécuple vainqueur de Roland-Garros –apprenons de nouveaux multiples grâce à lui – a intégré depuis l’époque où il avait encore une coupe au bol. «Si vous observez le numéro 10 mondial et le numéro 100 en train de s’entraîner, vous ne verrez pas forcément qui est le mieux classé, a-t-il observé dans son autobiographie rédigée avec John Carlin. En dehors de la compétition et de la pression qui l’accompagne, ils vont se déplacer et frapper la balle de façon très semblable. Cependant, il ne suffit pas de bien frapper la balle pour bien jouer, il faut aussi faire les bons choix, savoir s’il faut faire une amortie, frapper fort, en hauteur, en profondeur, à plat, couper ou lifter, et quelle zone viser. Depuis mon plus jeune âge, Toni m’avait beaucoup fait réfléchir sur les tactiques de base du tennis. »

«Si je faisais fausse route, Toni me demandait : “Pourquoi est-ce une erreur ?”, a-t-il révélé. Et nous en parlions, nous analysions mes erreurs en long et en large. Loin de chercher à faire de moi son pantin, il s’évertuait à me faire réfléchir par moi-même. Toni disait que le tennis était un jeu où il fallait synthétiser beaucoup d’informations très rapidement ; pour gagner, il fallait penser mieux que son adversaire. Et pour bien penser, il fallait garder son calme.» Si le mentor a planté la graine dans son esprit, il a fallu que quelqu’un d’autre l’arrose pour lui permettre de porter définitivement ses fruits. Et pas n’importe qui : l’homme qui, avant lui, détenait la plus longue invincibilité sur terre battue, avec 53 succès consécutifs. Une série qui a pris fin contre Ilie Năstase en finale du tournoi d’Aix-en-Provence 1977. Sur abandon, à 6/1 7/5 contre lui – c’était au meilleur des cinq rounds – pour protester contre le monstre à effets qu’utilisait le Roumain. « La raquette spaghetti », dont nous vous avons conté l’histoire dans Courts numéro 10.

«En 2004, Rafael a joué le tournoi de Sopot (où il a remporté son premier titre ATP), a raconté Toni Nadal lors d’un entretien accordé à Radio Villa Trinidad en 2020. Guillermo Vilas était là. Je suis allé le saluer et il m’a dit : “Je peux te dire quelque chose ?” Je lui ai alors demandé deux minutes de patience et j’ai couru pour aller chercher Rafael. Je voulais qu’il entende ce que Guillermo allait dire. Il lui a donné ce conseil : “Tous les joueurs du monde savent se déplacer latéralement sans aucun problème. Mais si tu fais une balle courte, une autre plus haute, une par-ci, une par-là, ils sont complètement déboussolés. Il faut varier un peu plus ton jeu.” Ça a été un moment décisif dans la carrière de Rafael. Certes, je lui avais répété ça quand il était petit, mais ça a eu beaucoup plus d’impact en venant d’un quadruple vainqueur en Grand Chelem (Roland-Garros et l’US Open en 1977, Open d’Australie 1978 et 1979).»

En partie grâce à ces paroles, l’élève a surpassé le maître en alignant 81 victoires de suite sur ocre entre sa défaite contre Andreev à Valence en 2005, puis celle contre Federer en finale du tournoi de Hambourg deux ans plus tard. Enfin, si Rafael Nadal a grandi au point d’être considéré comme le meilleur joueur de tous les temps sur cette surface, ça a été, aussi, grâce à un travail n’ayant rien à voir avec la technique ou la tactique. «Qu’est-ce qu’il faut pour être fort sur terre battue ? Une bonne mentalité, savoir souffrir, nous a affirmé Toni Nadal. Ça, c’est le plus important. » Sans cette caractéristique, impossible d’endurer, et de durer, sur la surface la plus exigeante physiquement. «Je me suis battu tellement dur pour gagner Roland-Garros une fois, et ce gars l’a remporté dix fois, a commenté Andre Agassi après la decima parisienne de Nadal en 2017. Il a poussé ce sport à un niveau complètement différent sur terre. Dix Roland-Garros… Vous vous rendez compte ? On croyait ça impossible, mais il l’a fait. »

Cinq saisons plus tard, il en avait quatre de plus. «Le plus grand exploit de l’histoire du sport en général », pour certains, à l’instar de Guy Forget dans Le Parisien. «Essayez de trouver, dans une discipline aussi populaire que le tennis, pas une qui compte 25 licenciés, un champion capable de gagner 14 fois le tournoi le plus dur de la planète, le truc le plus difficile qui existe. Il n’y en a pas. Quand Borg a gagné six fois, on disait que jamais personne ne ferait mieux. » Dans l’ère Open, chez les hommes, seuls Nadal et Borg ont gagné plus de trois fois porte d’Auteuil. À Wimbledon, quatre ont dépassé la triple couronne : Federer (8 titres), Sampras (7), Djokovic (7), Borg (5). Cinq à l’US Open – Connors (5), Sampras (5), Federer (5), McEnroe (4), Nadal (4) –, et trois à l’Open d’Australie qui était délaissé par les meilleurs du monde jusqu’au milieu des années 1980 : Djokovic (10), Federer (6) et Agassi (4). «Pour moi, il (Rafael Nadal) est au-dessus d’Ali, Pelé ou Jordan », a même lâché Forget. Pour contredire ou soutenir l’avis de l’ancien 4e de la hiérarchie planétaire, il faudrait comparer époques et sports différents, qu’ils soient individuels ou collectifs. Une enquête sans doute irréalisable, si ce n’est peut-être pour une personne. Un autre Hercule. Poirot. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

Le campus AvEdgers

NB : Mis à part Edge, les catégories intersectionnelles sont purement indicatives et n’engagent que leur auteur.

Nous avons, chez Courts, pris l’habitude de vous parler régulièrement d’Edge, qui nous permet de vous faire découvrir les coulisses du monde du tennis à travers leur modèle unique de « Players Development Agency ». Et comme toute saga qui se respecte, celle d’Edge va se bonifiant, multipliant les nouveaux personnages attachants dans des décors familiers où les infrastructures se renforcent pour offrir aux héros les meilleures chances de victoire finale. Une gradation qui culmine dans cet article avec la visite d’une planète inédite entièrement fabriquée en gazon londonien et l’irruption d’un nutritionniste-star dans le box des AvEdgers (j’ai vérifié, la marque n’est pas déposée). 

 

Bonmont à la menthe

À Halloween, on offre aux enfants et aux ados des bonbons. Sauf quand ces enfants et ces ados sont de futures stars du tennis et qu’on s’appelle Edge, auquel cas on troque le sachet de bonbons pour le cachet de Bonmont où l’on fait construire un terrain sur gazon pour aider tout ce beau monde à préparer la courte saison sur herbe qui sépare Roland-Garros de la tournée US. 

Ceux d’entre vous qui sont déjà partis en vacances « dans la famille des autres » savent qu’il existe en la matière deux jurisprudences : la jurisprudence « sortez-moi de là » qui consiste en une accumulation de moments de gêne qui vous feraient presque regretter votre propre famille ; et la jurisprudence « œil attendri » qui vous pousse au contraire à admirer les trésors de douceur déployés par les autres pour créer de l’entente et du bonheur durable. Étant entendu qu’Edge a choisi de mener sa mission dans une ambiance familiale, on ne peut qu’être ému de découvrir les efforts consentis chaque jour par les administrateurs-parents pour offrir aux joueurs et aux joueuses les meilleures conditions possibles pour s’épanouir sur et en dehors du terrain. 

 

Pack EDGE = Full Package

Nous avons déjà à plusieurs reprises évoqué le travail d’Edge, pépinière de talents et agence à part dans le monde du tennis qui mise sa chemise et son short sur une jeunesse choisie pour son talent, ses qualités humaines et sa détermination. Pour une jeune joueuse ou un jeune joueur, la rencontre avec Edge a tout du golden ticket de Willy Wonka : le coup de foudre acté, l’agence met à sa disposition toutes ses ressources et pas des moindres pour l’aider à progresser. Et comme Edge travaille avec les meilleurs : Fabrice Sbarro et Shane Liyanage à la statistique, Dieter Calle pour la personnalisation de raquettes, Rick Macci à l’entraînement, pour ne citer qu’eux… Il faut aussi ajouter désormais des figures du circuit qui ont rejoint le Board de Edge telles que Dani Vallverdu (représentant des coachs auprès de l’ATP, directeur des tournois ATP et WTA de Washington, entraîneur actuel de Grigor Dimitrov et auparavant de joueurs comme Stan Wawrinka, Andy Murray, Del Potro, Berdych…), les jeunes progressent dans le monde avec à disposition un deck Pokémon rempli de cartes rares. 

Un kilomètre à pied, ça use… 

Ce terrain en gazon vient donc s’ajouter à une collection d’atouts en pleine expansion et qui, sans exagération, se trouvent vraiment à portée de main. Inutile de disposer d’un hyperpropulseur pour profiter de l’écosystème Edge : les AvEdgers ont leur campus à Neuchâtel en Suisse Romande, le club de Bonmont se situe à moins d’une heure entre Genève et Lausanne et Swiss Tennis, la Fédération suisse, est à quelques dizaines de minutes de voiture. En réalité, le tableau du campus s’apparente à un diagramme de Venn dans lequel les cercles « pratique », « excellent » et « beau » convergeraient vers le mot Edge, au centre du schéma. Vous ne visualisez pas ? Laissez-moi vous montrer. 

Cette organisation en campus permet à Edge de rationaliser la foule de prestations proposées à son pool de joueurs et à ses clients. La base est en réalité constituée d’un ancien pensionnat de jeunes filles composé de deux vieilles et grandes maisons situées en bord de lac à La Neuveville et transformées en B&B avec court privé en terre battue et piscine.

Le lieu peut accueillir jusqu’à une douzaine de joueuses ou joueurs entre deux tournois en Europe, qui y profitent de tout le confort dans l’épicentre du tout tennis. Fabrice Sbarro, statisticien et en charge de la division Edge Analytics, est installé à quelques kilomètres. Lionel Grossenbacher, spécialiste de la préparation physique qui s’est occupé des meilleurs juniors suisses depuis de nombreuses années et collabore encore avec une des meilleures joueuses au monde, habite tout à côté. Olivier Bourquin, référence de la nutrition, de la respiration, du sommeil et de la concentration, qui conseille notamment des joueurs de l’équipe de France de football ou des athlètes olympiques, est un voisin. Si ça continue, je vais commencer à avoir du mal à trouver des périphrases pour dire que tout se situe dans un mouchoir de poche. Le problème, c’est précisément que ça continue : une spécialiste des analyses posturales et qui fournit des semelles sur mesure à tous les joueurs Edge après évaluation et tests détaillés rôde dans les parages. Dieter Calle, le plus grand expert de la personnalisation de raquettes pour les pros et habituellement basé en Belgique, se rend sur le campus pour rencontrer les joueuses et les joueurs et pratiquer les tests de customisation. Swiss Tennis, situé à un quart d’heure, propose des terrains où viennent les meilleurs joueurs du pays. Un autre quart d’heure et les joueurs peuvent bénéficier d’un partenariat exclusif avec une salle de sport. Je continue encore ? Le campus accueille un cordeur à demeure en lien direct avec Benoît Mauguin, l’expert en la matière le plus connu du circuit professionnel, inégalable dans le conseil aux joueurs, et qui est, de même qu’une physiothérapeute tout exprès dépêchée,présent sur chaque Grand Chelem pour gérer les raquettes de tous les joueurs Edge en plus de ses propres clients privés (plusieurs Top 10 ATP / WTA). Et comme si ça ne suffisait pas, Edge a noué des partenariats avec les clubs autour du terrain privé pour que les joueurs puissent s’entraîner sur tout type de surface quelle que soit la météo (indoor et outdoor) avec des sparrings classés entre la 200e et la 500e place mondiale ATP, sous l’œil aiguisé de Rick Macci qui assiste à certains entraînements à distance par visio. 

Si Edge était une bagnole, ce serait une berline spatiale toutes options. 

Imaginez le rêve pour ces jeunes athlètes qui peuvent venir en train, accéder à la cuisine facilement, se déplacer à pied, le tout sans perdre de vue le lac que la vallée domine. Ajoutez à cela un terrain en gazon véritable, et le Graal est atteint. 

 

Chez eux, l’herbe est plus verte

De Neuchâtel à Bonmont, il y a donc moins d’une heure de voiture. Et à Bonmont, grâce à Paul Reardon, un spécialiste passionné, Edge vient, nous le disions, de construire un terrain en gazon naturel aux côtés des autres terrains en gazon synthétique déjà implantés. Et pas n’importe quel terrain : le type de gazon, les poteaux, l’ensemble du court est importé d’Angleterre et rigoureusement identique à ses homologues de Wimbledon. De là se pose bien sûr la question de l’entretien : une question beaucoup plus simple qu’il n’y paraît lorsque l’on sait que le club de Bonmont est avant tout un club de golf. Demander au greenkeeper (le formidable Benoit Jaymes) d’entretenir un court en gazon, c’est demander à Rachmaninov de jouer Chopsticks (mais si, vous savez, le morceau que même les gens qui ne savent pas jouer de piano savent jouer et qui fait Ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti… ti ti ti Ti ti (ad lib)) : voilà un court qui sera donc bien entretenu et exclusivement réservé aux partenaires choisis par Edge. 

Un terrain d’exception qui ne servirait dès lors que quelques jours par an à des Happy Fews ? Le plan est, bien sûr, encore plus ambitieux : pour faire vivre le terrain et le club, Edge va en effet organiser sur ce terrain un tournoi exhibition chaque année entre Roland-Garros et le début de la saison sur herbe. Certains des plus grands joueurs et joueuses du monde ont déjà donné leur accord pour participer à l’événement qui a de quoi séduire : le club de golf, qui comporte une abbaye authentique, est situé en hauteur avec vue sur le lac et le Mont Blanc et est adossé à un Relais & Château vieux de mille ans (le château, du moins). S’entraîner dans des conditions similaires à celles de grands tournois dans un lieu paradisiaque à l’écart des gêneurs et non loin de chez soi ? Voilà une proposition qui s’étudie même quand on a l’habitude de partir en vacances dans la famille des autres. 

Sans doute déjà un aperçu du scénario du prochain film.  

 

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.

Top 15

À votre service !

15 publicités qui jouent sur le double sens du mot « service »

Depuis le temps que je collectionne les réclames qui ont un rapport avec le tennis, j’ai pu observer toutes sortes de façons créatives, spectaculaires, artistiques ou humoristiques de faire référence à notre sport. Mais s’il y a quelque chose qui revient plus souvent et avec autant de régularité qu’un coup droit de Djokovic, c’est bien les pubs qui jouent sur la polysémie du mot service. Ce jeu de mot passe-partout nous est resservi à toutes les sauces, et ne craint pas de jouer en double. Je ne sais pas si c’est toujours gagnant, mais certaines sont In(imitables), d’autres sur la ligne (de crête) ou carrément Out(dated). Petit passage en revue d’images publicitaires que j’ai pu prendre dans mes filets.

Compagnie aérienne australienne Qantas
« Love that service »
1950’s, Australie
Qantas joue le doublé du double sens puisque les termes « love » et « service » sont tous les deux utilisés dans le champ lexical tennistique. On notera que le champion de l’époque n’est pas super fit.

Federal Trucks
« Perfect service »
1940/1950, États-Unis
Ils nous vendent un « service parfait » mais l’image montre pourtant un service à deux balles ? (Voir dans la main de la pinup.)

Booth London Dry Gin
« Add friends and serve »
1975, États-Unis
Le seul Gin qu’on pouvait apercevoir sur des courts de tennis avant le fameux short d’Agassi. 

Ice Tea Tender Leaf
« Fast serve!… and the winner every time »
1963, États-Unis
Sans doute ce que l’on appelle servir au thé ?

VAT 69 Gold Scotch Whisky
« Before I found VAT69 Gold, I thought I’d never perfect my serve »
Extrait du texte : « Maintenant tout le monde admire mon service, à la fois sur
le court et en dehors »
1976, États-Unis
Pas étonnant qu’il ait du mal, à servir avec une Dunlop Maxply de presque 400 grammes probablement plus vieille que son Whisky. Je ne sais pas si elle est faite du même bois que celui utilisé pour les tonneaux, mais une raquette cordée en boyaux dans une pub de tord-boyaux, fallait oser.

Swift’s Sherbet Pink Lemonade
« Cool serve »
On note qu’il y a d’entrée un second service… et qu’à cette époque, il est systématiquement effectué par la femme.

Bière Tuborg
« Tuborg verte. Bonne ouverture, bon service, bonne détente »
1985, France
Malgré le nom, rien à voir avec Björn Borg (puisque c’est une bière danoise), même si les petits poignets éponge mis en scène à côté de la bouteille rappellent étrangement ceux de la star suédoise !

Liqueur Bols
« Serve Tennis Bols! »
Extrait du texte : « Quand vous refaites le match sur le bord du terrain, servez-vous une Bols, c’est la meilleure chose à faire ! »
1981, États-Unis
Il semblerait toutefois que Monsieur Bols se soit trompé de type de fraise pour jouer Wimbledon.

Kellogg’s Crunchy Nuts
« Serving suggestion »
2013, Royaume-Uni
Le fameux service à la cuillère ! Manque de bol, c’est quand même difficile de gagner un match avec ce genre de coup (et de matériel).

Bière Michelob
« How to put a little more on your serve »
1975, États-Unis
Dans la gamme des coups jamais vus, je vous présente le service « chopé » !

Bière 1664 de Kronenbourg
« 1-6 6-4. Blanc to serve »
2019, Suède
Avant le 3e set, on connaissait la pause pipi, mais pas la pause picole !
Heureusement, il s’agît d’une bière sans alcool.

MetLife Assurances
« Metlife means service »
1994, États-Unis
Sur le court il faut souvent se battre comme un chien.
Et ça commence souvent dès le service !

Champagne Lanson
« The perfect serve »
2013, Royaume-Uni
Pour une éventuelle traduction française je proposerais : Lanson la balle en l’air… avant de servir. 

Michelob Light
« Nine of the best serves in tennis »
1980, États-Unis
Revue de champions américains dont hélas les 3/4 sont aujourd’hui tombés dans l’oubli. De là à dire que leur jeu manquait de saveur comme cette bière, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas.

Slazenger
« Served at Wimbledon »
1976, Royaume-Uni
Et voilà une petite quinzième, je crois que maintenant la coupe est pleine. Ce n’est pas le visuel qui a déteint, les balles étaient bien blanches à cette époque.

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.

The AvEdgers campus

NB: With the exception of Edge, the intersectional categories are purely indicative and commit their author only.

At Courts, we’ve made a habit of talking to you regularly about Edge, which allows us to take you behind the scenes of the tennis world through this agency’s unique Player Development Model. Edge’s saga – like all good sagas –  is becoming more thrilling by the day, with new and evermore engaging characters in familiar settings, and enhanced facilities to offer them the best chances of success. Its latest twists include the creation of a “London-made” grass court and the appearance of more world-class experts in the AvEdgers’ box (I checked, the brand isn’t registered). 

 

From Sugar-Coated Candy to a Grass-Coated Court 

At Halloween, it’s traditional to give our children bags full of candy. But if those kids are future tennis stars and your name is Edge, forget the candy and provide them with a grass court instead, to help them prepare for the short season on grass between the French Open and the US Tour. This is exactly what has happened at the Bonmont Club.

Those of you who’ve vacationed with other people’s families know that there are two possible reactions: the “get-me-out-of-here” reaction, which consists of an accumulation of embarrassing moments where you almost come to miss your own family; and the “soft-eye” reaction, which consists in admiring the treasures of gentleness used by others to create understanding and lasting happiness. As Edge has clearly opted for the second alternative, we can’t help but be moved when we discover the efforts the agency makes on a daily basis to offer its young athletes the best possible conditions to flourish on and off the pitch.

 

The Full “Pack-Edge”

On several occasions in the past, we’ve mentioned the work undertaken by Edge as a talent incubator. Unique in the world of tennis, this agency is putting its own money where its mouth is to help develop individually each of the players it carefully selects. For budding champions, meeting Edge is love at first sight, not unlike Willy Wonka’s golden ticket. The agency puts its best people at their disposal to help them progress rapidly: Fabrice Sbarro and Shane Liyanage for statistics; Dieter Calle for racquet customization; and Rick Macci for training, to name but a few. And with the recent addition as Board Members of familiar faces on the professional Tour such as Dani Vallverdu (ATP coaching representative, director of the Washington ATP/WTA tournaments, current coach of Dimitrov and former coach of Wawrinka, Murray, Del Potro, Berdych, among others), youngsters the world over can progress with a Pokémon game full of rare cards.

Assets Within Easy Reach 

The grass court is the latest in an ever-growing collection of assets which, without exaggeration, are all within easy reach. You don’t need a hyperdrive to enjoy the benefits of the Edge ecosystem: the AvEdgers have their campus in Neuchâtel, in the French-speaking part of Switzerland; the Bonmont Club is less than an hour’s drive away, between Geneva and Lausanne; and Swiss Tennis is just a dozen minutes by car. The image of the campus isn’t unlike a Venn diagram where the circles “practical”, “excellent” and “beautiful” converge on the word Edge located at the center. If you’re having trouble picturing what I’m talking about, the illustration below might come in handy.

This campus-style organization enables Edge to streamline the many services it offers to its players. The heart of the structure is a former girls’ boarding school, made up of two large old houses by the lake in La Neuveville, converted into a B&B with its own a private clay court and swimming pool. It can accommodate up to a dozen players travelling between tournaments in Europe, who enjoy the comfort of a home at the epicenter of tennis; Fabrice Sbarro, statistician and head of the Edge Analytics division, lives just a few kilometers away; Lionel Grossenbacher, a specialist in physical preparation who has looked after Switzerland’s top juniors for many years and still works with one of the world’s best players, lives next door; Olivier Bourquin, a leading authority on nutrition, breathing, sleep and concentration, who, among other athletes, advises members of the French soccer team as well as numerous Olympic athletes, is also a neighbor.

If this list goes on, I’m going to have a hard time finding periphrases to say that everything is within the reach of a handkerchief. But it does go on: a specialist in postural analysis, who supplies custom-made insoles to Edge players after thorough evaluation and testing, is in the area; Dieter Calle, a leading expert in racket customization for the pros, usually based in Belgium, visits the campus when necessary to meet players and carry out customization tests; as mentioned, Swiss Tennis is less than a quarter of an hour away, and its facilities include courts where the country’s stars train. And a dozen minutes away, players can take advantage of an exclusive partnership with a gym. Should I continue? On campus is a permanent stringer in direct contact with Benoît Mauguin, the best-known expert on the professional Tour, who advises players like no one else and who, together with a specially seconded physiotherapist, is present at every Grand Slam to look after the rackets of Edge players, in addition to those of his own private clients (several Top 10 ATP/WTA players). And as if that weren’t enough, Edge has entered into partnerships with clubs around the campus so its players can train indoors and outdoors, on all surfaces and in all weather conditions, with sparring partners ranked between the 200th and 500th spots in the ATP hierarchy, under the watchful eye of Rick Macci, who can attend training sessions via videoconference. 

If Edge were a car, it would not doubt be a full-option large-space sedan. 

It’s easy to imagine how delighted Edge’s young athletes are to be able to come by train, access the kitchen easily and get around on foot, all without losing sight of the lake that the valley overlooks. Add to that a real grass pitch and you soon realize that they’ve reached the Holy Grail. 

 

Greener Grass at Home

In Bonmont, less than an hour’s drive from Neuchâtel, a passionate specialist named Paul Reardon has built a natural grass pitch specially for Edge, located alongside the existing synthetic pitches. And not just any pitch: the entire court has been imported from England and is an exact match of its Wimbledon cousins, including the turf, net and posts. Moreover, considering that the Bonmont Club is first and foremost a golf club, maintenance isn’t an issue. Asking legendary greenkeeper Benoit Jaymes to maintain a grass court is like asking Rachmaninov to play Chopsticks blindfolded, a piece that even people who’ve never seen a piano before can master. So we can expect an immaculately maintained court, reserved exclusively for Edge’s selected partners. 

Will this exceptional court only be used a few days a year by a happy few? The plan is way more ambitious. To keep the court alive, Edge plans to organize an exhibition tournament every year between Roland Garros and the start of the season on grass. Some of the world’s best players have already agreed for 2024 to take part in the event which has a lot going for it: the golf club, which features an authentic abbey, is set high up overlooking the lake and Mont Blanc, and backs onto a thousand-year-old castle run today by the Relais & Château chain. Training under conditions similar to those of major tournaments, in a heavenly location, far from the hustle and bustle but not far from home? Now, that’s a proposal worth thinking about, even if you’re used to vacationing with other people’s families. 

Undoubtedly, a preview of the next film’s script. 

Carlos Alcaraz

le sourire comme joker

© Antoine Couvercelle

« Why so serious? » Plus qu’une citation, cette phrase, tirée de The Dark Knight, est une définition. Celle de l’éthique d’un Joker magnifié par Heath Ledger et ses mimiques puisées dans les entrailles de l’incarnation, à la frontière de l’aliénation où bien des génies n’ont aucun mal à tromper la vigilance de leurs douaniers intérieurs censés jouer les garde-fous. « Je me suis enfermé seul dans une pièce pendant six semaines, et je me suis mis à marcher comme un fou pour trouver la posture, la démarche, la voix (du Joker), a déclaré l’acteur, mort avant la sortie du film d’une overdose accidentelle de médicaments afin de lutter contre sa dépression. Et j’ai fini par arriver à ce tordu. (…) Ce temps entre “action” et “coupé”, c’est ce qui compte vraiment. Ce que je donne de ma vie pour cette expérience, comment elle en est affectée, tout ça est sans importance. » 

Bien qu’étant à des années-lumière du Joker, son « Why so serious? (Pourquoi cet air si sérieux ?) » colle parfaitement à Carlos Alcaraz. Pas pour les mêmes raisons, évidemment. Le prodige de la raquette n’abhorre pas par tous ses pores une humanité dont il exècre le sérieux et les règles, au point de vouloir la plonger dans un chaos plus grand qu’un face-à-face entre Nick Kyrgios et Alexander Bublik. Mais, comme la némésis de Batman, l’Espagnol refuse de se prendre au sérieux. Et il a toujours le sourire. Un large sourire, communicatif, bien réel. Celui de la joie de vivre, comme un yin au yang de celui, sadique, tracé par cicatrices et maquillage sur le visage du Joker. Outre son tennis, son physique et sa gestion des émotions – évoqués dans l’article Carlos Alcaraz : apprenti ténor sans barreaux publié dans notre numéro du printemps 2021 – cette large risette compte parmi les marchepieds qui lui permettent d’atteindre les sommets.

 

Je gagne parce que je souris

Carlos Alcaraz 

 

Certes, le surnommé « Carlitos », compétiteur acharné, ambitieux, qui veut continuer à marquer son sport, a parfois des gestes d’agacement, de frustration quand le scénario d’un partie ne s’écrit pas comme il le souhaite. Mais, dans ces situations, il est fréquent de le voir sourire après un point spectaculaire. Peu importe que celui-ci soit perdu, y compris à un moment important du duel. Même dans les pleurs, ses zygomatiques font de la gymnastique. Exemple avec la finale du Masters 1000 de Cincinnati. Après un combat de 3h39 d’une intensité dantesque, à en être éprouvé rien qu’en étant spectateur, le natif d’El Palmar s’incline contre Novak Djokovic. Totalement vidé de son énergie, éreinté, il fond alors en larmes, tête dans la serviette, sur son banc avant la remise des trophées. Et pourtant, même à ce moment-là, sa bouille finit par s’animer d’un sourire lumineux. De quoi aider à faire passer une défaite dure à avaler. Une force après, avant et pendant les matchs.

« Je gagne parce que je souris, déclare-t-il en conférence de presse suite à sa victoire contre Taro Daniel au deuxième tour de Roland-Garros en 2023. Le sourire est, pour moi, la clef de tout. Le plus important, c’est de prendre du plaisir, profiter. C’est pour ça que je souris tout le temps. » Parfois, évidemment, le stress peut prendre le dessus.

© Antoine Couvercelle

C’est dans ces instants que le plus jeune numéro 1 mondial de l’histoire du tennis s’efforce de se dérider. « La première manche a été vraiment dure pour moi, j’étais très nerveux, confie-t-il après sa victoire 7/6³ 6/4 6/4 contre Holger Rune en quart de finale de Wimbledon 2023, où il glane quelques jours plus tard son deuxième titre du Grand Chelem en s’offrant le monument Djokovic en finale. Je ne contrôlais rien. J’ai réussi à gagner ce set, et ça a été un peu un tournant pour gérer mes émotions. Crier après l’avoir remporté m’a énormément aidé à évacuer la nervosité pour commencer à vraiment profiter du match. Sourire est, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, la clef de tout pour moi. »

 

S’il (Carlos Alcaraz) est heureux et relâché, il voit les choses plus clairement 

Juan Carlos Ferrero 

 

Dans le chef-d’œuvre Joker, Joaquin Phoenix, oscarisé pour son interprétation du personnage principal, lâche cette phrase : « Ma mère me dit tout le temps de sourire, de faire bonne figure. » Voilà un autre point commun entre le joueur sujet de cet article et l’ennemi de Bruce Wayne. Ou, plus précisément, son futur antagoniste. Au moment de ces mots, le Joker est encore Arthur Fleck, homme en pleine descente aux enfers qui prête attention aux paroles d’une maman qu’il finit par étouffer avec un oreiller. Pour Alcaraz, s’ils ne sortent pas de la bouche maternelle, les conseils soufflés à son oreille sont les mêmes. « Juan Carlos (Ferrero, son coach) me dit toujours que je dois passer un bon moment sur le court, explique-t-il après sa victoire contre Stéfanos Tsitsipás à l’US Open 2021, sa première contre un top 3, à 18 ans. Avec le sourire aux lèvres, je joue mieux. » 

 

Deux jours plus tard, lors d’une interview publiée sur le site de l’ATP, Juan Carlos Ferrero donne plus de détails : « Je lui dis de ne pas être tendu pendant un match, de profiter de ce qu’il se passe. S’il est heureux et relâché, il voit les choses plus clairement qu’en étant tendu et nerveux. » Une méthode qui n’a rien d’universel. Chaque joueur a sa propre personnalité. En prenant l’exemple de Björn Borg et son faciès neutre immuable, comme figé dans les glaciers éternels de Scandinavie ; pas besoin de sourire pour écrabouiller son époque. Concernant Alcaraz, il s’agit surtout d’entretenir sa nature. Ne pas perdre ce qui fait l’une de ses forces depuis ses plus jeunes années. « Il était déjà en “contrat”, si on peut dire, avec Babolat depuis ses 10 ans et la première fois que je l’ai vu personnellement, avec mon équipe, il avait 13 ans, nous confie Jean-Christophe Verborg, directeur de la communication internationale et chargé de superviser les détections chez Babolat. Et il était déjà comme ça petit. »

© Antoine Couvercelle

L’importance des proches

« Lors du dernier tournoi des Petits As où je suis allé, il y a trois ou quatre ans, j’avais comparé l’attitude des jeunes avec celle de Carlos au même âge, continue-t-il. Beaucoup regardaient leurs pieds et avaient l’air un peu tristes sur le court, alors que Carlos avait, déjà, tout le temps la banane. C’est ce qui m’a toujours marqué chez lui, au-delà de son engagement. Il est heureux. Et ce qui émane de lui, c’est le côté naturel de cette attitude. On n’a pas l’impression que c’est travaillé. Évidemment, il a très envie de gagner, il est compétiteur, mais on sent que s’il perd, ce n’est pas grave. Il arrive tout de suite à relativiser. C’est vrai que Carlos a ce petit truc en plus, le sourire. Il est gai. Même quand il perd, ou qu’il fait une énorme faute un peu grossière, il se marre, il dédramatise. C’est ce qui fait aussi que les gens l’adorent. » 

Un état d’esprit, un plaisir du jeu qu’il parvient à maintenir, la plupart du temps, au-dessus de l’enjeu aussi grâce à ses proches. « À Wimbledon (en 2023), par exemple, j’étais juste à côté du box (pendant la finale notamment), nous relate Jean-Christophe Verborg. Je n’ai pas pu être là lors de sa demi-finale de l’US Open (perdue contre Daniil Medvedev), mais mon bras droit, Seth McKinley, y était, et m’a dit que dans le box les proches n’étaient pas tristes. Bien sûr, ils étaient déçus pour Carlos, mais ce n’était pas : “Oh mon dieu, qu’est-ce qui se passe ?!” Il n’y a jamais de dramatisation dans son entourage, et je pense que ça l’aide aussi. Parce que son entourage est bienveillant, ce qui contribue au fait qu’il ne se mette pas la pression. Je ne veux pas parler à sa place, mais c’est vraiment ce qu’il dégage. »

 

Je me suis dit que je voulais implanter ça (sourire comme Carlos Alcaraz) dans mon jeu

 Stéfanos Tsitsipás 

 

« Je l’ai toujours dit, les parents, et notamment les mamans, ont un “rôle” assez spécifique, complète-t-il. Je prête souvent attention à ça. Et on voit le sourire, la bienveillance qu’elle (la mère de Carlos Alcaraz) a pour son fils, c’est : “Je suis là sans te mettre la pression.” Ses parents ont toujours été présents avec l’esprit : “On sait que tu fais ce que tu peux. Nous, on t’accompagne”. Je ne les ai jamais vus s’énerver, stresser pendant un match. Et vous le savez aussi bien que moi, on voit beaucoup de parents se mettre dans des états impensables au bord des terrains, en colère ou ultra stressés, quand leur enfant perd. » Ce bonheur de jouer est également reconnu comme une carte maîtresse par joueurs et joueuses. Au point de voir le fiston de Carlos Alcaraz Gonzalez – oui, père et fils ont le même prénom – et Virginia Garfia Escandón comme une source d’inspiration. Même pour des rivaux arrivés sur le circuit avant lui et ayant quelques années de plus au compteur.

« Je me suis entraîné avec “Carlitos” l’autre jour, et je lui ai lancé un “Merci” sans raison apparente, déclare Tsitsipás, battu cinq fois en autant de joutes avec Alcaraz au moment de l’écriture de ces lignes, devant les journalistes après son premier tour à Roland-Garros en 2023. Je ne sais pas s’il a compris ou non. Je lui dois beaucoup, parce qu’il est une véritable bouffée d’air frais sur le circuit. Il est tellement compétiteur, et toujours avec le sourire. Je pense que ça l’a beaucoup aidé à grandir en tant que joueur. Il a l’air de prendre beaucoup de plaisir. En fin d’année (2022), je me suis dit que je voulais implanter ça dans mon jeu. Les joueurs se concentrent peut-être davantage sur des trucs plus techniques ou autres que sur cet aspect. Je l’admire pour qui il est. J’ai la capacité d’être ce genre de personne, j’y crois vraiment. Si j’ai l’air plus joyeux et heureux quand je joue, c’est aussi grâce à lui. »

 

Je me suis dit : « Si Carlos sourit alors qu’il a la pression d’être censé gagner, je peux au moins le faire dans des situations où je ne suis pas favorite » 

Coco Gauff 

© Antoine Couvercelle

Presque une déclaration d’amour. D’après un scoop rapporté par Serge le mytho, Paula Badosa, avec laquelle le Grec étale son idylle sur les réseaux sociaux, en aurait même été jalouse jusqu’à interdire formellement à son Adonis de partager les vestiaires avec l’Espagnol après un entraînement. Pourtant, pas de quoi en vouloir à son tourtereau, le protégé de Ferrero fait cet effet à bien d’autres collègues de l’ATP et de la WTA. « À Cincinnati (en 2023), Carlos a perdu un set à chaque rencontre (il a été finaliste), rappelle Coco Gauff devant la presse après le deuxième tour de son parcours victorieux à l’US Open, son premier sacre en Grand Chelem. Il ne jouait clairement pas à son meilleur niveau, et pourtant, contre “Hubi” Hurkacz par exemple, alors qu’il était mené, qu’il a même sauvé une balle de match (dans le deuxième set), il continuait à sourire. »

« Je me suis dit : “S’il sourit alors qu’il est numéro 1 mondial, qu’il a toute cette pression et est censé battre Hubi sur le papier, je peux au moins le faire dans des situations où je ne suis pas favorite, comme contre Iga (Świątek, qu’elle a battue, en demi-finale à Cincinnati, pour la première fois en huit duels) ou Aryna (Sabalenka, qu’elle a ensuite vaincue en finale à Flushing Meadows)”, poursuit ce jour-là l’Américaine de 19 printemps. J’ai beaucoup appris de cette joie, et j’ai voulu en mettre aussi dans mon jeu. Parce que j’ai beaucoup de joie en moi, mais j’avais l’impression de l’enfermer quand je jouais. Maintenant, je m’amuse, je souris, je ris, et je pense que ça rend le tennis plus plaisant à regarder. » Autre atout, involontaire, du grand sourire d’Alcaraz, c’est qu’il est désarmant. Ce qui suit n’est qu’un simple avis de l’auteur : regarder l’adversaire avec un visage radieux après un rallye perdu a le pouvoir de lui ôter un peu de sa rage de vaincre. Qui aurait envie de hurler « COME ON ! » à la face de quelqu’un envoyant un beau sourire amical et communicatif ?

« Souris, parce que ça embrouille les gens », lâche le protagoniste dans Joker. Évidemment, celui qui est aussi appelé « Charly » ne cherche pas à emberlificoter les méninges de son opposant. Ce n’est pas calculé. Mais, par exemple, en visionnant son troisième tour de l’US Open 2023 contre Dan Evans, on remarque que ce dernier, véritable machine à brandir bruyamment le poing, n’a pas cette réaction attendue après le gain de points épiques. Alcaraz le regardant rigolard dans la foulée de certains échanges, le Britannique « dopé » à la gnaque, comme embrouillé par cette réaction, répond alors de façon inhabituelle pour lui. En se marrant également, sans célébrer de manière ostentatoire. Vil cachotier, le rédacteur de ce papier vous cache depuis plusieurs paragraphes la deuxième partie d’une citation donnée plus haut – « Ma mère me dit tout le temps de sourire, de faire bonne figure… » – en réalité étendue de : « …elle m’a dit que j’avais une mission dans la vie : mettre du rire et de la joie dans ce monde. » De quoi trouver une autre similitude entre Fleck et Alcaraz.

Lorsqu’il entre dans l’arène, le natif de la Communauté valencienne, outre gagner et prendre du plaisir, a un autre objectif principal : régaler spectateurs et téléspectateurs. « Oui, j’aime faire le spectacle, déclare-t-il lors de l’interview sur le court après son succès contre Alexander Zverev en quart de finale à New York en 2023. Je joue aussi pour que le public prenne du plaisir. J’essaie de faire des coups différents, qu’on a moins l’habitude de voir, des amorties, des volées… Je veux donner le sourire aux gens. » Miné par ses problèmes, Arthur Fleck, à l’écran, finit par sombrer sous les traits du Joker et son sourire maquillé. « Si la vie te semble si mauvaise, ne te rebelle pas. Deviens fou », clame-t-il dans le film éponyme de 2019. En ne cessant jamais de garder un sourire, authentique, Carlos Alcaraz s’est lui rendu la vie belle. Et sur le terrain, ce sont bien souvent ses concurrents, malgré leur envie de se rebeller, qui en deviennent fous. 

 

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.

FILA

50 ans sur les courts

Traduit par Mathieu Canac

Björn Borg, FILA Brand Ambassador  © Fondazione FILA

Pierluigi Rolando. C’est entre la fin des années 1960 et le début de la décennie suivante que ce jeune designer a commencé à pointer le bout de son nez. Sortant tout juste de l’échec d’une entreprise textile, Rolando a décroché un rendez-vous avec Enrico Frachey, l’un des fondateurs de FILA dans sa version moderne. Le « Docteur », comme il était surnommé, avait un plan : transformer l’entreprise de production de sous-vêtements, qui produisait des métiers à tisser à son origine, en une marque internationale de vêtements de sports. « Viser de nouveaux horizons », voici la ligne directrice donnée par Frachey à Rolando.

« Frachey, qui était à ce moment-là devenu Enrico pour moi, avait remarqué que le tennis était en train de devenir un marché intéressant pour de nouveaux types de vêtements. Tacchini venait juste de lancer une ligne pour le tennis, en s’appuyant sur son expérience de joueur de haut niveau dans ce sport, a expliqué Rolando. On a décidé de confectionner une collection tennis, et ça a été le début d’une aventure extraordinaire qui nous a emmenés au firmament du plus grand succès planétaire de tous les temps. »

Voilà comment Rolando a fait entrer le logo FILA dans l’histoire du tennis, avec la « White Line », un style italien durable pour les vêtements de sport haute performance. La compagnie a alors déniché deux joueurs, Paolo Bertolucci et Adriano Panatta – étoiles montantes du tennis transalpin –  pour porter ses vêtements siglés FILA®. De quoi associer son image à celle de champions, et initier le monde à la stratégie marketing aujourd’hui connue comme la sponsorisation. « Le produit était là. Le logo était là. La seule chose qui manquait, c’était l’émotion pour connecter le produit au consommateur, a écrit Marco Negri, qui était à l’époque vice-président de la Fondazione FILA Museum, comme indiqué dans le livre Tutti in FILA de Pierluigi Rolando. Le fait que les vêtements de sport soient portés par les meilleurs joueurs a engendré une réaction particulière chez les consommateurs. Comme si, en les portant, ils avaient l’impression d’être “dans la peau” de leurs idoles. »

En 1911, Giovanni Fila, menuisier, s’était trouvé une nouvelle clientèle : les tisserands locaux qui avaient besoin de faire réparer leurs cadres. En découvrant les perspectives et profits offerts par l’industrie textile, il eut alors une idée : lancer sa propre entreprise dans cette branche. Ainsi naquit Fratelli Fila®. Une usine de filage de laine cardée et peignée, la plus typique et répandue parmi les fabricants du Nord de l’Italie au début du XXe siècle. En 1926, la famille a commencé à produire des sous-vêtements pour hommes, femmes et enfants, avant d’élargir sa palette aux vêtements à la fin des années 60. Cette expansion a permis à FILA de grandir et prospérer malgré les turbulences sociales de l’après-guerre, les changements politiques, ainsi que les innovations techniques et économiques révolutionnant l’industrie textile.

Mais le patriarche Giovanni Fila n’aurait jamais pu imaginer à quel point sa marque deviendrait iconique. En 1973, après cinq décennies de développement, FILA s’est lancée dans une nouvelle direction pour faire irruption dans le monde du sport avec sa « White Line » comme collection tennis– la discipline qui lui a permis de se catapulter vers une renommée planétaire. Et la société ne s’est pas arrêtée là. En plus d’ajouter de la couleur et le logo « F-Box » rouge et bleu marine à un monde du tennis qui ne jurait jusque-là que par le blanc, FILA a transposé son esprit de l’air du temps aux vêtements de montagne, de natation, de golf et autres sports. « Les compagnies ont des traits communs avec les humains. De la même façon que les humains, les compagnies naissent avec un ADN spécifique qui, contrairement à celui de l’Homme, peut changer au cours de leur existence », a écrit M. Frachey. Dès lors, pionnier et leader dans le sportswear moderne, FILA a continué à créer. De l’Australie jusqu’aux États-Unis, plusieurs monuments ont porté la marque italienne en accomplissant certains des plus grands exploits sportifs de l’histoire : Björn Borg et ses cinq titres consécutifs sur le gazon londonien de 1976 à 1980 ; Reinhold Messner et sa légendaire ascension du Mont Everest en solo et sans apport d’oxygène ; Ingemar Stenmark et son doublé doré – slalom, slalom géant – lors des mondiaux de Garmisch-Partenkirchen en 1978.

© Fondazione FILA

La naissance d’une tenue iconique.


Pierluigi Rolando – l’homme qui allait réinventer FILA – est né à Ronco, commune proche du siège de FILA implanté à Bielle, et a grandi à Turin, ville pour laquelle il nourrissait à la fois de l’amour et de la haine. Résultat, quand il a été temps pour lui de poursuivre ses études, il a choisi de s’exiler en Angleterre, à l’Université de Leeds, où il a appris non seulement l’ingénierie textile, mais aussi les émotions se cachant derrière la mode grâce au concept des « mood boards ». À la fin des années 1960, « Docteur » Frachey et le petit-fils de Giovanni, Giansevero Fila, ont convié Rolando à un entretien. Après quelques échanges d’amabilités, ils lui ont immédiatement demandé s’il savait comment faire un tricot à partir d’un ensemble d’échantillons de sous-vêtements. En répondant « oui », il a décroché le job. 

En 1968, la famille Fila a décidé de scinder l’entreprise en deux groupes, le majoritaire comprenant Maglificio Biellese MABY, spécialisé dans les sous-vêtements. Mais Maglificio Biellese a rapidement connu une forte baisse des ventes en raison du changement de mode de vie et des goûts. MABY a dû s’adapter aux nouvelles tendances. Giansevero Fila, co-leader avec son père Ettore, a nommé de nouveaux dirigeants extérieurs au cercle familial. L’un d’eux a été chargé de mettre en place une stratégie d’évolution au milieu de cette difficile période de transition : Enrico Frachey.

Frachey et Rolando ont passé de longues heures à réfléchir pour imaginer des croquis, des sessions à deux cerveaux complétées d’interminables discussions sur la façon d’appliquer les concepts. Il y avait une demande pour un survêtement, un article qui trouverait place dans chaque garde-robe – de sportif ou non –, à porter après le travail, pour se détendre, ou même afin de ressembler aux champions vus à la TV et dans les magazines. Le survêtement allait devenir ce pont entre le sport et les loisirs.

« On avait remarqué que le tennis était en train de devenir un marché intéressant pour de nouveaux types de vêtements. Tacchini venait juste de lancer une ligne pour le tennis, grâce à son expérience de joueur de haut niveau. Aux États-Unis, le sport était en train de devenir très répandu sur le marché vestimentaire, et aussi dans celui de la chaussure, a écrit Rolando dans son livre Tutti in Fila. Lors de mon enfance à Bielle, j’allais au club de tennis à côté du stade de foot. Je jouais avec mes amis d’enfance… Enrico a convaincu Giansevero d’envisager l’entrée sur ce marché qui avait beaucoup de potentiel. » 

Rolando a utilisé les machines existantes pour créer une ligne au sein de laquelle sous- vêtements, polos, shorts, survêtements ou encore pulls formaient un ensemble grâce à un schéma de couleur basé sur la dichotomie négatif/positif ; les couleurs claires en dessous, les sombres au-dessus. « On a compris ça aux États-Unis, et plus précisément en Californie, où les gens avaient tendance à éviter le plus possible le blanc parce que c’était trop lumineux pour les caméras de télévision…
C’était probablement une bonne idée de mettre de la couleur 
», a écrit Rolando. Rolando a dessiné des polos avec un ton de couleur très léger comme base, et quelque chose de plus prononcé au niveau du col et des ouvertures des boutons-pression : un blanc éclatant avec un col bleu marine et un bouton-pression rouge, ou un blanc écru avec la même combinaison. Pour le bleu clair ou le vert clair pastel, Rolando a choisi un contraste avec une couleur plus sombre et intense – ce schéma étant ensuite répété sur les autres vêtements.

Concernant le survêtement, Rolando s’est inspiré de la Garde royale anglaise et des pingouins pour ajouter une touche d’élégance. « Nous nous sommes servis des premiers (cités) pour reprendre les chevrons rouges impeccables des manches ; et des seconds parce qu’avec leur queue de pie, ils sont à la hauteur de l’élégance de quiconque, a écrit Rolando dans Tutti in Fila. Au fil des ans, j’ai remarqué que les pingouins et les merles ont une élégance naturelle grâce à leur coloration, un noir ou une couleur sombre sur le dessus et le dos, des couleurs plus claires sous les bras et le devant du corps. Ces caractéristiques, comme les chevrons, m’ont immédiatement aidé à conceptualiser le premier survêtement qui allait passer du sportswear au streetwear. »

La révolution ne s’est pas arrêtée là. Le logo « F-Box » avait besoin d’être modernisé : Sergio Privitera, un responsable marketing, a montré à l’équipe un « F » divisé en deux, avec la barre supérieure du F en rouge, et détachée du corps de la lettre bleu marine – les couleurs à la mode du moment. Après le succès de la « White Line » en Italie grâce à Paolo Bertolucci et Adriano Panatta, FILA s’est tournée vers l’étranger. 

 

FILA traverse l’Atlantique

Dès ses premiers pas, la « White Line » de FILA est devenue extrêmement populaire aux États-Unis, bien que Panatta y soit assez inconnu. Le marché américain a été séduit par une collection qui apportait quelque chose de nouveau, du sportswear avec une touche fashion. À cette époque, un jeune Suédois était en train de gravir les échelons du tennis « en se servant de sa raquette comme d’une massue, a écrit Rolando. Tout le monde voulait avoir un morceau de Björn Borg. » Frachey avait déjà attiré Borg dans son écurie avec un contrat sponsor signé lors du MIAS de 1975, et avait été chargé de travailler sur une nouvelle collection pour le surnommé « Iceborg ». Rolando a alors dû trouver comment imprimer sur des tricots tubulaires, ce qui revenait à « tatouer un boa constrictor pendant qu’il bouge ! » 

Dans toutes ses créations, Rolando a fait un clin d’œil au passé, à l’histoire, en y alliant quelque chose de nouveau, d’actuel. Il s’est par exemple inspiré de l’équipe de baseball des Brooklyn Dodgers des années 1920 et 1930, dont la tenue était ornée de simples rayures devenues le symbole de son joueur le plus célèbre : Babe Ruth. Rolando a pris les mesures précises de ces rayures, et a choisi de les imprimer uniquement d’un côté pour faciliter la fabrication en série. En s’imposant cinq fois à Wimbledon, Borg a emmené le sportswear FILA vers les sommets. Grâce à ce changement dans le vêtement de sport, FILA a produit plus de cinq millions d’exemplaires de polos emblématiques.

En 1981, Borg a pris une première retraite, à 26 ans. FILA n’en était alors qu’à ses débuts. Dans le tennis féminin, un joueuse australienne aborigène est arrivée sur le devant de la scène : Evonne Goolagong. FILA est parvenue à un accord pour l’avoir sous contrat, et lui a offert un look évoquant la réserve naturelle de Burcina, située sur les communes de Bielle et Pollone dans le Piémont, qu’elle adorait. L’Argentin Guillermo Vilas était doté d’un physique robuste, imposant, que Rolando a mis en valeur par deux motifs rayés horizontaux, en bleu marine ou rouge, sur les côtés du maillot, tout en couvrant le haut avec du bleu marine ou du rouge. En 1987, Boris Becker a rejoint FILA, suivi de Monica Seles qui a créé sa propre ligne avec des hauts fleuris et des jupes pastel en 1993. Après le retour sur le circuit de Jennifer Capriati, FILA l’a sponsorisée à partir de 2001, et a prolongé son contrat de trois ans suite à ses deux titres du Grand Chelem cette année-là (Open d’Australie, Roland-Garros). Et la Belge Kim Clijsters a rejoint FILA juste avant de remporter son premier Majeur, lors de l’US Open 2001.

© Ray Giubilo

FILA fait son entrée dans la chaussure de sport

En 1983, FILA a décidé de se diversifier une fois de plus en confiant à l’usine de chaussures Lario un contrat pour la fabrication du premier prototype FILA : une sandale rouge et bleu marine. De là, FILA a créé sa basket Original Tennis en cuir blanc, avec des bandes rouges et bleu marine sur le côté, et un petit FILA F-box sur la languette. Aux États-Unis, FILA a accordé une licence artistique aux designers Kevin Crowley et Jack Steinweis pour créer la Take, la Targa et la Tennis 88 – un dérivé de l’Original Tennis. FILA s’est ensuite tournée vers Grant Hill, alors star montante des Detroit Pistons, franchise NBA, pour se lancer dans le basketball et vendre près de deux millions de Grant Hill 2. Très vite, FILA s’est trouvée dans la cour des grands, concurrençant Nike, Adidas et Reebok.

De nouvelles collaborations ont suivi. En utilisant les rayures du maillot de Borg, FILA a lancé le polo BB1 dans des couleurs allant du rose au jaune en passant par le bleu marine et le vert. La veste de survêtement Settanta – la classique, en bleu marine, les bandes blanches sous les bras et sur les flancs, les rayures rouges au niveau de la ceinture et des poignets, et le col style baseball – que l’ambassadeur FILA Björn Borg portait par-dessus ses rayures dans les années 1980 se vend encore par millions. Avec Brook Brothers, FILA a sorti le t-shirt Milano Fit Performance Fun avec un col boutonné, des manches contrastées, et un corps design de couleur. La collection FILA x Brandon Maxwell a croisé les couleurs classiques de FILA, le bleu marine et le rouge, et celles plus vives de Maxwell, le rose et le rouge, pour un ensemble formé d’une jupe évasée et d’un haut deux pièces avec fermeture boutonnée ne s’étendant que sur un quart du polo en descendant du col.

Loin de se contenter de partenariats avec des joueurs de tennis, FILA s’est lancée dans le soutien de grands tournois tout autour de la planète, comme Indian Wells, Newport, Cincinnati, Tokyo, Pékin, l’Open du Canada ou encore Buenos Aires. Lors de l’édition 2023 d’Indian Wells, FILA a exposé des pièces de sa riche histoire, y compris des tenues issues de la Fondazione FILA Museum de Bielle, à la boutique de la société sur le site de la compétition. FILA y a également présenté la collection « Tie Breaker » donnant un nouveau look de printemps à ses joueurs : Barbora Krejčíková, Karolína Plíšková, Reilly Opelka ou encore Diego Schwartzman.

Une liste dont a fait partie le monument Ashleigh Barty, qui a pris sa retraite début 2022 alors qu’elle trônait encore sur la WTA. En étant sacrée reine de Wimbledon en 2021, la surnommée « Ash » avait rendu hommage à sa compatriote Evonne Goolagong-Cawley, première femme aborigène australienne couronnée sur le gazon londonien. Tout au long de son parcours, Barty a porté une jupe à motifs floraux faisant référence aux fleurs brodées et aux ourlets festonnés qui ornaient celle de Goolagong en 1971. Quand Leo Borg, fils de Björn, a choisi de rejoindre le giron FILA, il a opté pour une nouvelle version des rayures vintage – cette fois horizontales – comme pour s’inscrire dans la lignée paternelle tout en marquant sa différence. 

Alors que FILA fête ses 50 ans dans le tennis, la société continue de jeter un œil vers le passé pour construire le futur et lancer, au fil des saisons, de nouveaux produits repoussant toujours les limites de la performance et du style. « FILA est une marque qui est restée fidèle à elle-même, et ce sont toujours ces marques qui perdurent le mieux, estime Reilly Opelka, joueur membre de l’écurie FILA. J’adore le survêtement, je pense qu’il est iconique. Quand je vais à Milan pour la Fashion Week, c’est la seule pièce de tennis que je mets dans ma valise. J’aime son héritage. » 

 

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.

© Ray Giubilo