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Travail, famille, Patrick

Patrick Mouratoglou à Wimbledon en 2015, © Art Seitz

C’est une drôle d’histoire que je vais vous raconter. Une drôle d’histoire, ça, oui. Voyez : j’aime le tennis. Vous aussi, j’imagine, sans quoi vous ne prendriez pas le temps de lire des articles écrits pour une revue de tennis. Et comme j’aime le tennis, il m’arrive plus souvent qu’à mon tour de regarder des vidéos de (rayez les mentions inutiles) : résumés de matchs / conférences de presse / compilations de points dingues / moments iconiques (alors, Steffi, tu m’épouses ou pas ?) / anciens matchs dramatiques. Au milieu de ce flux spécialement préparé pour moi par des algorithmes aux petits soins qui ont bien compris mon tropisme, est apparue il y a plusieurs mois une nouvelle catégorie : les conseils de Patrick Mouratoglou. Où l’on voit l’entraîneur le plus médiatique de France apprendre à ses poulains les secrets du coup droit ou du service kické aux cris de « good job », « that’s nice », « what a lovely match ! ». Jusque-là, rien d’anormal.

Pour tout dire, il m’est même arrivé de les regarder, ces vidéos, estimant avoir une sérieuse marge de progression quant à mon service kické que je ne suis jamais parvenu à mettre dans le court en 20 ans de pratique. L’algorithme, souhaitant bien faire, s’est mis en tête de m’en proposer davantage et voilà comment ma timeline Facebook est devenue le sanctuaire de Mouratoglou, bien aidée en ce sens par la perte progressive de tous mes amis de jeunesse dont les publications ne pouvaient plus lutter contre la déferlante Patrick. Jusque là, rien d’anormal pourvu que l’on considère la monomanie tennistique hors des termes de la psychiatrie.

Mais il y a eu comme un glissement. Session de nuit sur Roland-Garros : Patrick Mouratoglou commente au bord du court. Tsitsipás arrive en finale : Patrick Mouratoglou serre le poing en tribunes. J’ouvre comme tous les jours L’Équipe : Patrick Mouratoglou nous livre son analyse. Un glissement.

M’éloignant temporairement du tennis qui n’est pas à proprement parler un piège à filles, me voilà sur Tinder à jouer à oui ou non. Toutes les cinq photos : Patrick Mouratoglou. Swipe à gauche, il revient. Swipe à droite, il me parle. Et quand je « matche », je le sais, c’est lui qui me dit « good job », « that’s nice », « what a lovely match ! »

L’autre jour, je faisais l’amour (ne me félicitez pas, ça ne m’arrive pas si souvent), quand Patrick est entré dans la chambre pour redresser mon coup de rein. « Un peu plus de poignet » qu’il me dit ; « la force doit partir des jambes ». La fille n’a pas l’air de s’en émouvoir ; moi, sans doute troublé d’avoir été repéré par pareil observateur, j’en ai les jambes coupées. Patrick Mouratoglou me conseille de renforcer l’aspect mental dans mon approche tactique du sexe. Je n’ai pas revu la fille. Patrick, en revanche…

Au travail je m’efforce d’abattre correctement les tâches qui sont les miennes et dont je ne vous rebattrai pas les oreilles parce qu’elles ne sont pas intéressantes, même du point de vue financier. Ça roulait au son de la clim’ et de la machine à café quand quelqu’un s’est penché sur moi pour me donner quelques conseils quant à ma manière d’organiser mon Excel. Je me retourne : Mouratoglou. Je cligne des yeux : Mouratoglou. En créant des règles en amont et en organisant ma feuille pour conserver deux colonnes glissantes à gauche, je pourrais gagner 80 % de puissance. « Good job ». Ça tombait bien puisqu’en même temps que mon entretien annuel. Mais une fois dans la petite salle, pas de n+1 mais L’Équipe dans laquelle je pus lire une analyse concise et brillante de mes performances de l’année sous la plume de vous-savez-qui. Oui, j’avais perdu le dossier Brignard, mais nul doute que cet échec me permettrait de grandir, de devenir un meilleur employé — une fois la défaite digérée.

Après pareille semaine (du sexe, un entretien annuel : c’est déjà beaucoup quand on se met à vieillir), je me réjouissais à l’avance d’un dîner prévu samedi soir. J’y avais convié les rares amis qui me restent autour d’une côte de bœuf et de vin de Bordeaux. Rendez-vous 20 heures. À 18 heures, on sonne : Patrick. Est-ce que j’ai bien sorti la viande ? Les bouteilles, je les ai chambrées ? Et Patrick de me saisir la main au moment où je m’apprête à couper les patates en dés : le secret, c’est le transfert du poids du corps. L’énergie ne doit pas venir de l’avant-bras mais être transférée au couteau depuis les jambes dans un mouvement de bascule. J’ai cherché mes médicaments, mais je les avais déjà pris. Patrick me l’a confirmé : il tient un état des lieux de mes routines quotidiennes.

Quand mes amis sont arrivés avec un léger retard, Patrick leur a passé un savon : on n’arrive pas en retard sur le terrain. On ne rechigne pas à venir croiser le fer. Les rares amis qui me restaient n’ont plus l’air disposés à revenir dîner chez moi.

Et sur ma timeline Facebook, ça se ressent. Photos de vacances de Patrick, la nouvelle chanson de Patrick intitulée Good job, nice shot, Patrick sort un film inspiré de sa vie, Patrick pose en bikini sur la page, Patrick apparaît dans des mèmes…

Je me plains, je me plains, mais j’ai fini par le dater puisque Tinder m’y encourageait. Désormais, je me réveille tous les matins à côté de Patrick et ma vie est montée d’un cran : dans tous les aspects quotidiens, j’ai progressé comme jamais. J’ai cessé d’uriner de la main gauche pour mettre en valeur ma bonne main (jusqu’à 13 % de gouttes à côté en moins), le ménage n’a jamais été aussi bien fait depuis que j’ai amélioré la position de mon corps en passant l’aspi, je n’ai jamais été aussi en forme grâce à sa routine de coucher.

À l’heure où j’écris ces lignes, Patrick est penché sur mon épaule. Il a déjà tout relu, tout corrigé. Demain m’attend un programme pour muscler mon écriture. Je vous le promets : le prochain article sera mieux construit.

Patrick Mouratoglou, © Art Seitz

Mouratoglou Tennis Academy

Si le tennis avait son temple…

© Mouratoglou Tennis Academy

« Qui aime la jeunesse, aime la mer. » Les péripéties de sa vie d’écrivain ont souvent amené Tennessee Williams à quitter l’Amérique pour arpenter les avenues parisiennes. Sûrement a-t-il eu l’occasion de descendre plus au sud, sous le soleil méditerranéen… Et de sentir, en flânant sous les pins et les micocouliers, cette légèreté marine qui rajeunit l’esprit à coups d’iode et de vitamine D. 

Oui, « qui aime la jeunesse, aime la mer ». Et, quitte à s’autoriser des références un brin capillotractées… l’on pourrait souffler, en souriant, que Patrick Mouratoglou a, depuis des années, quelque chose en lui de Tennessee. 

C’est « la jeunesse » d’abord ! Cette jeunesse qui est au cœur de sa Mouratoglou Academy dès sa création, en 1996, sous le ciel capricieux d’Île-de-France. Et c’est « la mer », ensuite. Car lorsque s’est présentée l’occasion de déménager son institution déjà renommée dans le Sud, en 2016, à 15 minutes de l’aéroport international de Nice, il n’a pas hésité. C’est l’ocre et le soleil, la douceur à l’année, une piscine fameuse en forme de raquette, les cigales en hôtes musicales et le ressac des vagues… Un décor idyllique que Tennessee Williams n’aurait pas renié et qui ne demandait qu’une chose : devenir le paradis du feutre et du cadre cordé, de la glissade subtile et de l’amortie-lob, du coup gagnant et de la performance. Le temple de la petite balle jaune. 

© Mouratoglou Tennis Academy

Un temple où l’on joue

Le tennis est un monde parfois conservateur. Et, à l’heure de désigner son temple, journalistes et puristes évoquent aisément Wimbledon, son All England Lawn Tennis and Croquet Club, au vaste décorum et aux boiseries sinople. Pourtant, ce temple-ci paraît si élitiste… qu’il est plutôt un sanctuaire, un lieu de pèlerinage pour tous les amoureux du gazon ras, comme Roland-Garros peut l’être pour ceux de la brique pilée.

Alors, c’est quoi, un temple du tennis ? Pas la peine de disserter des heures ou de voguer de brainstorming en laïus didactiques : c’est là où se retrouvent tous les tennis du monde. À la Mouratoglou Tennis Academy, on joue. Tous les jours, à chaque heure… c’est un endroit qui vit et vibre au son des frappes de balles, du revers perfectible d’un gamin en train d’apprendre, au coup droit terrific de Serena Williams.

Il y a les pros, évidemment, la vitrine monumentale d’une académie assise sur des dizaines de succès planétaires. Serena, ses dix titres en Grand Chelem depuis qu’elle est coachée par Patrick Mouratoglou, qui n’imaginait pas que sa vie la mènerait des neiges du Michigan aux cyprès de Sophia-Antipolis. Novak Djokovic, qui vient régulièrement taper sur ces terres élégantes, et qui était présent pour l’inauguration du site en 2016. Andy Murray, qui en avait fait, cette année, un camp de base pour y préparer les prémices d’un retour, se retaper un moral, une santé. Sans parler de Grigor Dimitrov, Andy Murray, Lucas Pouille, David Goffin, Milos Raonic, Stan Wawrinka, ou les habitués de la tunique bleu-blanc-rouge, que l’on a pu croiser dans ses allées depuis deux ans.

Ce sont aussi des noms moins connus aujourd’hui, qui feront les gros titres demain : Alexei Popyrin, Jason Tseng, Cori Gauff, Stefanos Tsitsipas qui est, lui, déjà en haut de l’affiche… Des athlètes de 14 à 20 ans, qui ont atteint six finales de Grand Chelem en simple chez les juniors, en 2017 et 2018. Tous ont été repérés, supervisés et rassemblés au sein de la Team Mouratoglou afin d’y être accompagnés par Patrick et les meilleurs techniciens de l’Académie.

Une sentence bien connue le proclame : « Le sportif rêve son rêve, quand le champion le vit. » À l’Académie, on n’aime pas les chimères qui laissent des traces d’oreillers aux joues des paresseux. Alors ils sont 180 élèves scolarisés en tennis-études, âgés de 11 à 18 ans, qui côtoient chaque jour les champions et le monde professionnel. Cinq à 15 élèves par classe, une trentaine de professeurs français et anglo-saxons, un cursus de la sixième à la terminale, ainsi qu’un cursus international du grade cinq au grade 12… Et comme il n’est pas plus prévu de craquer sur une volée décisive au tie-break du troisième que de trembloter du stylo à l’attaque d’une dissertation, le taux de réussite au Bac et High School y est de… 100 %. Disons-le : tous ne deviendront pas pros, loin de là. Mais ils auront bénéficié d’une scolarité aux accents internationaux, dans un melting-pot de 35 nationalités, en profitant des vertus et des valeurs du sport. Certains intégreront ensuite les universités américaines partenaires, en profitant de bourses obtenues grâce à leur niveau de tennis : UCLA, University of California Berkeley, Pepperdine University… Eh oui, la Mouratoglou Tennis Academy est numéro un européen des organismes de placement dans les universités US!

Enfin, ce temple du tennis ne serait pas un temple s’il ne s’adressait pas à tous. Car l’Académie a construit sa réussite internationale sur ses qualités de formation sportive : « Le coaching est notre cœur de métier », explique Patrick Mouratoglou. Ce sont ainsi 3 500 stagiaires qui ont foulé ses courts en 2018. Des stagiaires de tous niveaux, qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes, d’équipes, de débutants, de joueurs confirmés, sur une journée ou plusieurs mois… Ils viennent des quatre coins du monde, et certains profitent de quelques jours de détente au resort pour faire un stage en famille, tandis que d’autres veulent juste s’entraîner le temps d’un week-end. Tous se retrouvent, se rencontrent avec un point commun: la volonté de progresser et de saisir, vraiment, ce qu’implique une exigence sportive de haut niveau. Le challenge ? « Nous devons les découvrir, comprendre leurs personnalités et prendre les bonnes décisions pour les faire progresser dans un laps de temps parfois très court. »

© Mouratoglou Tennis Academy

Un temple où l’on voit

Mais un temple, ce n’est pas seulement l’endroit où tout le monde se rassemble autour d’une passion commune. C’est aussi le lieu où l’on voit, où l’on sent, où l’on prédit ce que sera demain. Son étymologie ? Le templum latin, cette pratique divinatoire des augures étrusques, il y a 2 000 ans. Alors, pour trouver ceux qui feront l’avenir du tennis, il faut chercher, observer, repérer. « Notre mission d’origine, notre ADN, c’est de guider des jeunes joueurs dans leur projet sportif et éducatif, afin de les aider à atteindre leur plein potentiel », confirme Patrick Mouratoglou.

C’est évidemment ce qu’il a fait avec Stefanos Tsitsipas, Cori Gauff, Alexei Popyrin et Chun Hsin, dit « Jason », Tseng, qui constituent aujourd’hui la Team Mouratoglou sur les circuits junior et pro. « J’ai créé la Team Mouratoglou pour superviser les joueurs en qui je croyais profondément », continue Patrick. « Après avoir aidé ces jeunes à réussir leur transition des juniors aux professionnels, le but de la Team est de leur permettre d’atteindre les sommets du classement. C’est un processus complet dans lequel je m’investis et que je trouve extraordinairement intéressant. » Pour Stefanos Tsitsipas, élu cette année Most Improved Player par ses pairs, c’est déjà champagne et cotillons : à 20 ans seulement, le Grec a fini l’année à la 15e place mondiale en ayant battu Djokovic, remporté son premier titre ATP à Stockholm, disputé une finale de Masters 1 000 à Toronto et soulevé le trophée des Next Gen ATP Finals à Milan, début novembre. Mais ses trois acolytes sont eux aussi des modèles de précocité ! Popyrin, 19 printemps, pointait au 621e rang mondial il y a un an… Il est aujourd’hui dans le Top 150.

Lire l’avenir du tennis en dénichant les champions de demain. Lire l’avenir du tennis en développant des méthodes d’avant-garde. Oubliez vos techniques de grand-mère pour déchiffrer les sachets de thé Lipton ou les 54 cartes de votre jeu Bicycle ! La divination de la Mouratoglou Tennis Academy n’est pas affaire de grigris maraboutés, mais d’une approche méthodologique issue d’années d’expertise et de réflexion. Un exemple? Depuis 20 ans, Patrick Mouratoglou affirme qu’il faut intégrer activement les parents du joueur ou de la joueuse dans son projet sportif, au sein de l’Académie. Aujourd’hui, c’est presque une évidence… Lui le mettait déjà en place à l’époque des fédérations allergiques aux projets personnels.

Car la méthode Mouratoglou prône le sur-mesure et la détection performante, plutôt que le travail de masse, souvent en vogue dans les circuits traditionnels. « Lorsque je démarre une nouvelle collaboration avec un joueur, je pars du principe que je ne sais rien », détaille Patrick, lorsqu’il s’agit d’expliquer ce qu’implique son suivi personnalisé. « Je démarre de zéro. Je recommence tout pour écrire mon propre livre. Mon métier consiste à aller à la découverte de l’autre, à comprendre ses problématiques afin de les résoudre. Je me dois d’être à l’écoute de mon joueur, de pénétrer dans son univers afin de comprendre comment il pense, ce qu’il ressent. Je suis dans un laboratoire au quotidien, et je fais très attention aux petits détails, car les petits détails peuvent faire de grandes différences. C’est une enquête de police permanente avec comme obsession, le résultat. »

Évidemment, favoriser l’éclosion des meilleurs implique de… leur proposer le meilleur. Rien ne vaut les yeux pour saisir l’ampleur du complexe créé à Sophia-Antipolis. À défaut, quelques mots un peu maigres qui contemplent, d’abord, la blancheur lumineuse de l’hôtel, avant d’apprécier l’ocre intense de cette cathédrale aux vitres rayonnantes, dessinant les contours d’un petit bout de paradis: 34 courts qui s’étendent sur 12 hectares d’ode à la performance, 17 en terre battue, 17 en dur, huit couverts, six connectés et équipés du système vidéo PlaySight pour optimiser l’analyse de son jeu… Une piste d’athlétisme pour la préparation physique, une zone de musculation couverte pour le haut niveau, quatre piscines, un terrain multisports, des salles de fitness, un centre médico-sportif ultra-moderne entièrement dédié à la rééducation et à la réathlétisation… Des chiffres qui donnent le tournis et des infrastructures qui font de cette académie LA référence européenne, leader devant celle… de Rafael Nadal.

© Mouratoglou Tennis Academy

La terre où le champion devient un homme

Dans ce temple de la Mouratoglou Academy, celles et ceux qui veulent devenir champions apprennent d’abord à devenir des hommes et des femmes. « Nous ne formons pas uniquement des champions, mais des êtres humains avant tout. » C’est peut-être ça, le temple : un endroit où l’on se découvre. Une quête impliquant des valeurs morales fortes : la passion, l’excellence, l’ambition, l’écoute, la remise en question… l’esprit d’équipe !

Il n’est pas anodin que ce fameux team spirit, qu’on ânonne dans les sports collectifs, soit au cœur des principes de l’Académie. Dans un sport aussi individuel que le tennis, savoir bien s’entourer et développer une conscience collective, c’est s’offrir un petit supplément d’âme à l’ère du nombrilisme. C’est voir comment les autres travaillent, avoir l’envie de faire mieux, de faire plus. 

Des valeurs qui sont inscrites sur le fronton du temple : « Ambition. Travail. Et combativité. C’est ainsi qu’on devient un champion. » 

© Mouratoglou Tennis Academy

Dans les pas de Stefanos Tsitsipas

Dans la Team Mouratoglou, Stefanos Tsitsipas a vécu une progression en accéléré, cette année. Si 2019 devrait être la saison de la confirmation pour le Grec, elle pourrait aussi nous faire découvrir trois nouvelles pépites issues de l’Académie. Revue d’effectifs avec Patrick Mouratoglou.

 

Alexei Popyrin

Né le 5 août 1999 (19 ans)

Nationalité : Australien

Classement au 19/11/2018 : 149e 

Meilleur classement junior : 2e 

Titres en pro : 2 (1 Challenger, 1 Future)

Vainqueur de Roland-Garros junior en 2017

« Alexei Popyrin a le feu dans la raquette. Il possède le gabarit du joueur moderne : grand et léger. Il sert déjà à plus de 210 km/h et son coup droit fait des ravages. Il a beaucoup progressé cette année et je le crois capable de réaliser de très grandes choses car il a cette capacité à hausser son niveau de jeu lorsque c’est nécessaire. Quand il y parvient, il devient souvent intouchable. »

 

Chun Hsin « Jason » Tseng

Né le 8 août 2001 (17 ans)

Nationalité : Taïwanais

Classement au 19/11/2018 : 448e 

Meilleur classement junior : 1er  

Titres en pro : 3 (3 Futures)

Vainqueur de Roland-Garros et Wimbledon junior en 2018

« Jason Tseng est un phénomène. Comme il est petit et frêle, certains estiment qu’il ne possède pas les armes pour atteindre le plus haut niveau. Je pense pourtant qu’il est totalement à part. Il compense son gabarit par une intensité énorme dans chacune de ses frappes, une couverture de terrain impressionnante et une combativité inébranlable. Son service reste son coup le plus limitant et un travail technique est nécessaire pour en faire une arme. »

 

Cori Gauff

Née le 13 mars 2004 (14 ans)

Nationalité : Américaine

Classement au 19/11/2018 : 864e 

Meilleur classement junior : 1re  

Plus jeune no1 mondiale junior de l’histoire, à 14 ans et 4 mois

Vainqueure de Roland-Garros junior en 2018

« Coco Gauff est une immense athlète. Elle possède cette faculté de faire avancer la balle très vite, en s’appuyant sur une très grande puissance naturelle et une agressivité quasi permanente. En défense, elle est également impressionnante et sa vitesse de déplacement s’avère bluffante. C’est une gagneuse, une ambitieuse. L’enjeu, pour elle, consistera à polir sa technique pour éviter qu’elle ne devienne limitante. »

 

Article publié dans Courts n° 3, automne 2018.

Alex Gough « Regarder l’avenir avec optimisme »

Alex Gough, 2007 © PSA World Tour

Fondée en 1975, l’Association professionnelle de squash (PSA) est l’instance internationale chargée de l’organisation des tournois de squash professionnels sur les circuits masculin et féminin. Grâce à ses partenaires, elle a toutefois élargi son champ d’action en contribuant au développement du squash de plusieurs manières : visibilité (rendre ce sport le plus télégénique possible et accessible à un maximum de monde), prestige, technologie et engagement social. De quelle manière la PSA met-elle concrètement en œuvre ces projets ? Réponses avec son directeur général, Alex Gough.

 

Courts : Comment le squash a-t-il évolué en général à travers le monde ?

Alex Gough : L’univers du squash professionnel a connu une croissance spectaculaire au cours des dernières années, notamment aux niveaux du prize money et du nombre des nationalités représentées sur le circuit PSA World Tour. Nous avons aussi accompli d’importants progrès dans des enjeux qui nous tiennent à cœur tels que l’égalité et la parité hommes-femmes en matière de gains et d’accès à la pratique du squash. 

De plus, les contrats de diffusion avec les chaînes Eurosport Player, DAZN, BT Sport et Astro ont amplifié le rayonnement mondial du circuit professionnel et permis au squash de toucher un public encore plus large qu’auparavant. 

 

C : Ces changements se limitent-ils au circuit professionnel ?

A.G. : En réalité, la progression du squash dépasse les frontières du monde professionnel. Nous avons en effet signé un mémorandum d’entente avec la Fédération internationale de squash (WSF) dans le but de définir une vision commune pour l’avenir de ce sport à l’échelon mondial. 

Ensemble, nous travaillons à élaborer une stratégie mondiale ciblant entre autres les objectifs suivants : décrocher une place aux Jeux olympiques, gonfler les niveaux de participation, et favoriser le développement d’installations de squash en collaboration avec les fédérations nationales. 

 

C : Quelles sont les mesures concrètes prises en ce moment par la PSA en matière de prize money et de visibilité ?

A.G. : Le 1er mars, nous avons annoncé que les Championnats du monde 2019-20 de la PSA deviendront le premier tournoi de squash d’une dotation s’élevant à 1 million de dollars. Ce montant sera réparti équitablement entre les joueurs des tableaux féminin et masculin. Cela illustre la remarquable dynamique actuelle. 

De plus, le Windy City Open du mois dernier a acquis le statut de tournoi PSA World Series le plus rentable de l’histoire, fort d’une dotation totale de 500 000 dollars, répartie équitablement, alors que l’ensemble de nos sept tournois World Series, à une exception près, affichent un prize money équivalent au moment où je vous parle. 

L’ampleur des gains a atteint un record historique lors de la saison 2016-2017 grâce à une croissance de 5,2 % par rapport à la saison précédente. À ce jour, le circuit professionnel brasse en tout près de 6 millions de dollars en prize money et nous tablons sur des résultats très encourageants pour cette année, notamment en raison de la hausse de la dotation du Windy City Open. 

 

C : Comment évolue SQUASHTV ? 

A.G. : Depuis son lancement en 2010, la plateforme SQUASHTV n’a cessé de gagner du terrain, à tel point qu’aujourd’hui notre offre dépasse le cap des 500 matchs durant la saison. 

En 2017, nous avions déjà annoncé deux nouveaux partenariats prometteurs censés booster la qualité de nos services. D’une part, le projet interactiveSQUASH1 a permis de mettre au point un système de traçage en temps réel appelé « Mo Track », capable de mesurer des indicateurs tels que la distance parcourue par les joueurs ainsi que les aspects d’ordre tactique. 

Cette technologie a beau être toujours en phase de test, on se réjouit d’ores et déjà de ses possibilités car il s’agit du meilleur moyen de commercialiser le squash jamais inventé dans l’histoire. 

D’autre part, on s’est associé à une entreprise du nom de Sports Data Labs pour récolter des données liées au rythme cardiaque des athlètes, intégrées d’ailleurs lors de la diffusion du Windy City Open en février. Ces informations permettent de mettre en lumière les contraintes auxquelles sont soumis sans relâche nos joueurs sur le terrain, ainsi que toutes les qualités athlétiques requises pour devenir un joueur de squash professionnel digne de ce nom. 

Nous avons également entrepris de ne pas restreindre la SQUASHTV aux tournois du PSA World Tour cette saison, en couvrant par exemple les British Juniors et les British Nationals en 2018, et en filmant une partie des College National Team Championships en 2017, conformément à notre volonté de devenir le véritable QG du squash. 

 

C : En parlant de technologie, la PSA planche-t-elle sur des projets pour améliorer les conditions de jeu des joueurs ?

A.G. : L’idée, à terme, est de fournir aux joueurs les informations tirées du système «MoTrack». Il leur sera possible d’inférer leurs propres points faibles (de même que ceux de l’adversaire) et d’intégrer ces données à leur méthode d’entraînement. Toujours dans la même logique, ils auront également accès aux données biométriques de Sports Data Labs. 

 

C : Quid de la reconversion des anciens joueurs de squash professionnels ? Ont-ils accès à une formation spéciale ou à des cours de management ?

A.G. : L’été dernier, la Fondation PSA a acquis le statut d’association caritative officielle au Royaume-Uni. L’une des raisons ayant présidé à sa création est d’aider nos athlètes non seulement pendant leurs carrières professionnelles mais aussi après. 

À cet égard, la fondation a organisé une journée « carrières post-squash » lors de l’édition 2017 du Canary Wharf Classic, rassemblant des intervenants de domaines variés venus conseiller les joueurs pour mener au mieux la transition du squash professionnel à un schéma de carrière plus traditionnel une fois venu le temps de remiser leurs raquettes. 

Un autre événement du même type a vu le jour en novembre de l’année passée, cette fois à Hong Kong, visant à offrir aux joueurs des débouchés en matière d’enseignement et des opportunités de réseautage. 

Enfin, nous avons, toujours par le biais de la Fondation PSA, officiellement piloté la Squash University à Chicago, une plateforme d’apprentissage destinée à aider les joueurs à gérer leur carrière comme de véritables auto-entrepreneurs, en invitant des experts issus des milieux académique et entrepreneurial.

© PSA World Tour

C : Comment expliquez-vous la suprématie égyptienne tant du côté masculin que féminin ?

A.G. : Historiquement, l’Égypte a toujours marqué ce sport de son empreinte, grâce à des joueurs tels que F.D. Amr Bey, Mahmoud Karim et Abdelfattah AbouTaleb, vainqueurs du British Open – l’équivalent des Championnats du monde à l’époque  – dans les années 1930, 40 et 60.

Il a ensuite fallu attendre Ahmed Barada, l’ex-numéro 2 mondial, pour que l’Égypte renoue dans les années 90 avec les sommets, après sa fameuse finale à l’Al Ahram Open disputée en face des pyramides, un exploit réitéré en 1999 lors des Championnats du monde. 

Barada, de même que son successeur, le quadruple champion du monde Amr Shabana, a inspiré beaucoup de jeunes du pays. La génération égyptienne qui règne actuellement dans le haut du classement est la preuve vivante de cette émulation.

L’Égypte compte par ailleurs un nombre élevé de joueurs au niveau junior, avec pour conséquence une compétition féroce et un écrémage laissant uniquement les meilleurs atteindre le sommet de la hiérarchie, tout en affrontant des adversaires d’un calibre identique d’une semaine à l’autre. 

 

C : La PSA étudie-t-elle l’évolution du nombre de joueurs à travers le monde ?

A.G. : Nous tenons régulièrement à jour le nombre de membres répertoriés internationalement, tout en cherchant à promouvoir ce sport à l’échelon mondial aux côtés de la Fédération internationale de squash. 

Grâce aux contrats signés ces dernières années avec les principaux diffuseurs au niveau mondial, nous jouissons désormais d’un ancrage solide dans presque chaque continent. 

Cette visibilité inédite permet de toucher de nouveaux téléspectateurs au sein de marchés jusqu’alors hors de portée, et d’offrir aux aspirants joueurs de nouvelles idoles et modèles d’inspiration. 

Notre organisme caritatif, la Fondation PSA, a aussi joué un rôle de premier plan dans le rayonnement du squash grâce au projet ReBound, qui consiste à distribuer matériel et équipements de squash usagés au profit de communautés urbaines défavorisées pour leur permettre de profiter des joies du squash. 

 

C : Quelle est la probabilité de voir le squash devenir un nouveau sport olympique en 2024 ?

A.G. : On a bon espoir qu’il se hisse enfin parmi les sports olympiques à Paris en 2024. Notre sport a d’ailleurs récemment bénéficié d’une superbe vitrine en apparaissant aux Jeux olympiques de la jeunesse à Buenos Aires en octobre (réservés aux jeunes athlètes âgés de 14 à 18 ans, ndlr). Il s’agit pour nous d’un signal très positif.

Le squash a participé à cet événement en tant que sport de démonstration et on estime à 25 000 le nombre de personnes qui ont assisté de leurs propres yeux aux performances prévues. Plus de 2 000 enfants ont participé aux séances d’initiation organisées au cours de la semaine, tandis que Christophe Dubi (le directeur exécutif des Jeux olympiques) a eu la gentillesse de monter sur le terrain et de s’essayer lui-même au squash.

De plus, nous avons lancé un projet avec la Fédération internationale du squash, baptisé SquashFORWARD et destiné à œuvrer pour les jeunes générations en leur donnant les moyens nécessaires pour devenir les artisans de l’avenir de ce sport. 

Autre raison de regarder l’avenir avec optimisme : le côté innovant de ce sport, comme l’atteste notre collaboration avec des partenaires tels que interactiveSQUASH et Sports Data Labs au cours des derniers mois afin d’améliorer la diffusion et l’image du squash. 

Sans parler des avancées réalisées dans la parité hommes-femmes aux niveaux du prize money et de l’accès à la pratique du squash. 

Cet été, nous avons publié des statistiques montrant une réduction de l’écart des salaires hommes-femmes à hauteur de quasiment un tiers par rapport à l’année précédente. On se réjouit également de la tenue en février du premier tournoi de squash doté de 1 million de dollars de gains à l’occasion des Championnats du monde organisés à Chicago, un montant qui sera réparti équitablement entre les athlètes masculins et féminins. 

© PSA World Tour

C : En ce qui concerne les autres fédérations de sports de raquette tels que le tennis, y a-t-il collaboration ou échange entre la PSA et l’ATP/la WTA par exemple ? 

A.G. : J’entretiens une bonne relation avec Mark Webster, le CEO de l’ATP Media, et on discute fréquemment des évolutions intervenant dans le monde du sport. 

L’ATP nous a déjà aidés en faisant part de son expertise relative au bien-être des joueurs et à l’ATP University. Elle a toujours répondu présent lorsqu’il s’agit de fournir des conseils, spécifiques ou généraux.

Nous avons aussi échangé avec la WTA en ce qui concerne le développement des athlètes, un choix payant puisque les informations obtenues ont grandement contribué à définir certaines de nos stratégies. 

 

C : Que pensez-vous du rassemblement des fédérations de squash, de tennis et de badminton au Qatar ?

A.G. : Notre sport y a indubitablement gagné. Depuis la fusion des différentes fédérations, le tournoi du Qatar Classic a atteint de nouveaux sommets aux niveaux de l’image et de la production. Comme annoncé récemment, les Championnats du monde 2019/20 de la PSA se dérouleront au Qatar en novembre prochain.

Je tiens à saluer le travail remarquable fourni par les organisateurs là-bas pour orchestrer un spectacle de classe mondiale. D’où notre impatience de travailler avec eux au cours des mois à venir. 

 

C : À partir de quel classement un joueur de squash professionnel peut-il vivre de son sport ?

A.G. : À force de travailler d’arrache-pied pour assurer à un joueur de squash professionnel une carrière viable et durable, on a réalisé des avancées sur deux fronts : la hausse du prize money et l’amélioration de l’accès à la pratique du squash tant pour les athlètes masculins que féminins sur le circuit de la PSA. 

Notre prize money de la saison pour la campagne 2017/18 a atteint le record de 6,42 millions de dollars, tandis que le joueur qui a remporté le plus de gains a engrangé près de 300  000 dollars en prize money seulement. 

On a aussi observé une nette hausse des gains pour les joueurs évoluant dans le top 100 et nos prévisions initiales pour le reste de la saison sont teintées d’optimisme. 

 

Interview publiée dans Courts n° 3, automne 2018.

Vis mon rêve américain

© Tim Casey

Vivre le rêve américain, c’est ce que beaucoup de facs américaines permettent aux étudiants étrangers qui souhaitent goûter à l’expérience US. Leur meilleure porte d’entrée ? Décrocher une bourse sportive afin d’entreprendre des études universitaires tout en continuant à pratiquer leur passion. Un système qui permet d’accueillir des joueurs de différents niveaux : du joueur régional à l’espoir du tennis mondial, plus de 1 200 universités américaines recrutent, chaque année, des joueurs susceptibles de renforcer leur équipe.

 

Janvier 2009, j’ai 18 ans et avec mes quelques points WTA, certains coaches me conseillent de continuer sur le circuit pro, contrairement à ma maman, qui a toujours donné priorité aux études ! Je viens seulement d’entendre parler des opportunités de bourses pour partir aux USA. Après avoir été en contact avec cinq universités, et réduit mon choix à Duke et University of Florida (UF), j’ai rendez-vous avec le coach de UF à Roland-Garros. Quelques semaines plus tard, je prépare mes affaires pour traverser l’Atlantique et m’en vais vivre ce qui va s’avérer la plus incroyable expérience de ma vie…

Me voilà donc aux USA : les infrastructures me paraissent irréelles, un stade de football américain de plus de 90 000 places se situe au sein du campus ! Une semaine après mon arrivée, la première réunion officielle de l’équipe a lieu dans les vestiaires. Le coach nous explique sa vision, ses objectifs et ce qu’il attend de notre part… L’aventure tennistique peut alors commencer. Après avoir reçu un sac de voyage et un carton remplis de vêtements, un sac de tennis, des chaussures de tennis et de running, ainsi que six raquettes, je me dis que nous ne manquerons de rien !

Nous vivons une vie princière, mais à quel prix ? À l’encontre des idées reçues, la vie de student-athlete est plus exigeante qu’elle n’y parait : entre les sessions de fitness à 6h du matin, l’intensité des entraînements de tennis et la pression des matchs par équipe, le challenge est réel. Mais il en vaut vraiment la peine. En plus de l’opportunité de combiner son sport et ses études, l’expérience humaine est également enrichissante. Car toutes les personnes rencontrées et les amitiés créées, elles, n’ont pas de prix. 

© Tim Casey

Un tremplin vers le monde actif ou vers le circuit pro ?

Le circuit universitaire américain (NCAA) accueille plus de 480 000 student-athletes chaque année, tous sports confondus1. La plupart d’entre eux, américains ou étrangers, va terminer ses études, décrocher un diplôme, et commencer à travailler. En 2018, seulement 4,1 % des joueurs de baseball, de basketball et de football américain ont commencé une carrière professionnelle dans leurs sports respectifs. 

Néanmoins, le système mis en place afin de combiner études et sport de haut niveau reste le plus souvent un pari gagnant. Pour certains étudiants, il s’agit avant tout d’une garantie d’avoir un plan B si leur carrière sportive ne se déroule pas comme ils le souhaitent. Pour les autres, c’est l’opportunité rêvée de continuer à pratiquer leur sport dans un environnement optimal, le tout financé par l’université, tout en préparant leur avenir professionnel.

En tennis, deux anciennes joueuses universitaires sont actuellement dans le top 100 : Danielle Collins (42e à la WTA) et Jennifer Brady (70e  à la WTA). Danielle, la nouvelle star montante du tennis mondial, a terminé ses quatre ans d’études avant de se lancer sur le circuit WTA. « Ma famille n’avait pas beaucoup d’argent, donc si je pouvais recevoir une bourse, décrocher un diplôme universitaire et continuer à jouer au tennis, pourquoi choisirais-je de ne pas le faire ? »2 « Une année à University of Virginia (UVA) coûte plus de 50 000 $, et aller à l’université n’a pas de prix car nous y recevons un enseignement. Je ne veux pas juste être une joueuse de tennis. Je veux être prête pour ce qui m’attend après ma carrière sportive. Ça serait catastrophique d’être gravement blessée et de ne pas avoir de diplôme. De plus, faire partie d’une équipe est une expérience unique qu’une joueuse n’a pas l’occasion de vivre plus tard »3 explique Danielle. 

Chez les hommes, deux ex-universitaires se sont affrontés en demi-finale de Wimbledon cette année : Kevin Anderson et John Isner. À ces deux stars s’ajoutent quatre anciens joueurs universitaires figurant dans le Top 100 : Steve Johnson, Tennys Sandgren, Cameron Norrie et Mackenzie McDonald. 

Il fut un temps où les joueurs, les coaches et les parents étaient convaincus que participer au circuit universitaire américain signifiait l’abandon d’une carrière professionnelle de tennis. Aujourd’hui, ils prennent conscience que le sport universitaire constitue un véritable tremplin pour se lancer sur le circuit pro. Un raisonnement confirmé par de nombreux spécialistes : « 98 % des joueurs qui souhaitent devenir pro tireraient profit d’une carrière de tennis universitaire. N’ayant aucune garantie qu’un joueur ou une joueuse sera top 20 mondial, je pense que l’université aux USA est un super endroit pour devenir plus fort physiquement et mentalement »4 analyse Patrick McEnroe, ancien joueur professionnel et capitaine de Coupe Davis. John Isner a étudié 4 ans à University of Georgia (UGA) avant de se lancer sur le circuit ATP. C’est fort de cette expérience qu’il déclare que « devenir un joueur professionnel avant d’aller à l’université ne m’avait jamais traversé l’esprit. La décision à prendre était de choisir pour quelle université jouer. J’encourage les joueurs à participer au circuit universitaire avant le circuit pro : sachant que la moyenne d’âge dans le top 100 masculin est de 27 ans, les joueurs ont beaucoup de temps et se lancer sur le circuit ATP à 21 ou 22 ans n’est pas trop tard. »5

Steve Johnson, le joueur universitaire de référence de ma génération, a marqué l’histoire du College Tennis. En mai 2011, nous arrivons au championnat national à Stanford. Steve, qui termine sa troisième saison, a décidé de ne pas se raser la moustache jusqu’à la fin du tournoi. Vainqueur du championnat par équipe et en individuel, son slogan était clair : « Fear the Moustache ! » Avec une carrière universitaire unique en son genre, Steve reste à ce jour le meilleur joueur universitaire de tous les temps. Sacré champion quatre fois avec University of Southern California (USC) et deux fois individuellement, il détient le record du nombre de victoires d’affilées en simple : 72 ! Aujourd’hui sur le circuit pro, il est solidement installé dans le top 40. 

© Tim Casey

Un budget astronomique

Le budget d’une université américaine – qui peut atteindre plus de 100 millions de dollars par an – permet aux institutions d’investir tant dans les infrastructures que dans le staff et le recrutement d’athlètes. 

Les infrastructures colossales, quelque peu intimidantes à première vue, permettent ainsi aux joueurs d’évoluer dans des conditions optimales. Il en va de l’espace personnel dans un vestiaire commun muni de plusieurs douches, aux canapés ou à la salle de musculation et de soins, jusqu’au stade pharaonique : rien, absolument rien n’est laissé au hasard. 

Aux USA, dépenser un budget astronomique afin de devenir la meilleure équipe universitaire et remporter des titres nationaux, voilà qui ne semble pas tout à fait fou : les universités avec de bons résultats sportifs attirent non seulement les bons athlètes, mais également les autres étudiants. En effet, ces derniers suivent de près les performances des équipes de leur université, et ils aiment aller les encourager, fiers d’étudier dans une institution qui est bien classée dans différents sports. Après un super championnat national de basketball en 2013, les candidatures à Florida Gulf Coast ont augmentées de 27,5 %. Un résultat similaire a été constaté à Lehigh University en 2012. 

Dans les universités les plus renommées, les stades se remplissent régulièrement lors de rencontres des sports les plus populaires aux USA tels que le football américain et le college basketball. De bonnes performances lors des Bowl Games et March Madness, championnat national des deux sports respectifs, provoquent un réel engouement au sein des universités et dépassent les frontières du campus : les matches sont retransmis à la télévision et sont suivis par l’ensemble des amateurs de la discipline. 

Avec un salaire pouvant atteindre les six chiffres, dans les meilleurs programmes tennistiques, les universités se donnent aussi toutes les chances d’attirer un excellent head coach, l’un des éléments les plus importants pour devenir une Power House. Le coach est responsable de former son staff qui comprend, pour les mieux lotis, un coach assistant, un coach bénévole, un kiné et un team manager.

Au salaire de ce staff, le département athlétique doit également prévoir le budget pour les bourses des joueurs et des joueuses. En offrant une bourse complète, l’université prend à sa charge le loyer, les déplacements en compétition, les nuits d’hôtels et les repas, sans oublier le matériel tel que les sacs de voyages, sacs de tennis, raquettes, cordages et vêtements… Difficile de se plaindre dans de telles conditions !

Alors d’où ce budget provient-il ? Tout d’abord les universités génèrent différentes rentrées d’argent directement liées à ces activités : la vente des tickets pour certains sports tels que le football américain, le basketball et le baseball. Ensuite il faut compter avec les dons de boosters qui sont souvent des anciens de l’université. Puis il y a les droits de la télévision et du streaming. Enfin s’ajoutent le minerval des étudiants partiellement ou non boursiers, ainsi que le soutien des différents sponsors. À titre d’exemple, en 2017, University of Texas a généré de cette manière plus de 214 millions de dollars de revenus !

 

Un sport individuel ou un sport d’équipe ? 

À la faveur de son caractère collectif, le college tennis, incomparable avec le circuit pro, fait du tennis un véritable sport d’équipe. Le tennis, souvent perçu comme un sport individuel, y développe une toute autre dimension, plus humaine et plus altruiste. Les joueurs et les joueuses représentent désormais leur équipe et les enjeux s’en trouvent forcément différents. Car les étudiants et les étudiantes partagent durant ces quelques années plus qu’un sport : les entraînements de tennis et de fitness, bien entendu, mais aussi les voyages, les activités organisées par l’université et bien d’autres choses encore. Ils passent beaucoup de temps ensemble et deviennent naturellement plus que des teammates. Dans ces moments-là, gagner son match demeure bien entendu important, mais la victoire de l’équipe prime désormais. Le fait d’enfiler l’uniforme de son équipe et de s’aligner face à son public aux côtés de ses coéquipières procurent  un agréable sentiment de fierté. 

 

Un diplôme universitaire reconnu ou sous-estimé ?

Nombreux sont les étudiants étrangers que j’ai entendu critiquer le système universitaire américain. Souvent décrit comme plus ou trop facile, on se gardera de comparer des conceptions si différentes de l’enseignement. Peut-on d’ailleurs affirmer en Europe que nous avons de meilleurs ingénieurs, de meilleurs docteurs ou de meilleurs dentistes, pour ne citer que certains métiers ? 

Et puis, n’oublions pas qu’en tant que student-athlete, trouver une stabilité entre les études, le sport et la vie sociale relève bien souvent du challenge. Les universités en ont bien conscience, et mettent à disposition un centre académique et des conseillers afin de mettre en place un programme de cours adéquat qui se combine avec la saison de tennis. Des tuteurs sont également disponibles pour chaque branches et aident les étudiants à assimiler toute la matière avant les examens. Un système qui permet aux athlètes d’être aussi performants sur le plan académique. 

 

La meilleure décision de toute ma vie

Neuf ans après être arrivée à University of Florida, et avec un bachelier en finance et deux NCAA Championships en poche, je peux vous l’assurer : partir faire mes études aux USA était la meilleure décision de toute ma vie. Depuis, j’ai décroché un master en management sportif et grâce à ma super expérience aux USA, à mon réseau de coaches universitaires et à mon envie de partager mon expérience avec d’autres athlètes, j’ai créé Above & Beyond Connections. A&B6 est une entreprise qui donne la possibilité aux étudiants d’obtenir une bourse sportive afin de vivre, à leur tour, le rêve américain. Ayant vécu l’aventure et gardé contact avec de nombreuses personnes, j’offre aujourd’hui un service personnalisé à chaque athlète qui souhaite partir combiner son sport et ses études aux USA. Une manière pour moi de partager ma passion ! 

 

Article publié dans Courts n° 2, été 2018.

1 « Estimated probability of competing in professional athletics », www.ncaa.org

2 « She did it her way, and that’s why Danielle Collins will succeed on the WTA Tour », Aishwarya Kumar, 22 mai 2018, www.espn.com

« Getting to Know : Danielle Collins ready for impact », Courtney Nguyen, 12 mars 2018, www.wtatennis.com

4 « Patrick McEnroe : 98 percent of aspiring pros should consider college », Kamakshi Tandon, 23 juillet 2014, www.tennis.com

5 « Isner reflects on how college helped him succeed », Nina Pantic, 13 juillet 2018, Baseline.tennis.com

6 www.aboveandbeyondusa.com

Wilson l’innovation au service du sport

© Tom Harris

Depuis plus d’un siècle, Wilson est synonyme d’excellence. Créée dans les bureaux d’un hangar d’emballage de viande à New York, la célèbre marque au W a conquis les plus grands champions du baseball, du football américain, du golf et du tennis, s’associant à leurs exploits dans le monde entier. Au fil des années, Wilson a façonné le sport, par les innovations et la modernité de ses équipements, et mène la vie dure à la concurrence, à l’image de ses ambassadeurs. 

© Wilson Sporting Goods

L’histoire de Wilson démarre à New York, plus près du vacarme des chaînes de montage que du bruit des balles de tennis. Car l’entreprise Schwarzchild & Sulzberger est spécialisée dans… l’emballage de viande. Une activité qui génère de nombreux résidus jusqu’alors inexploités. Afin de réduire ces pertes et d’innover, une nouvelle structure est créée en 1913, Ashland Manufacturing. 

Dès 1914 et à l’image de ce qui se pratique en Europe dans des secteurs similaires, la gamme d’Ashland Manfuctaring comprend des sutures chirurgicales, des cordes de violon, deux modèles de chaussures de baseball ainsi que des cordages et raquettes de tennis bon marché, dont la fameuse « Star Tennis Racket » à 75 cents. La société est façonnée par son premier directeur général, E.C. Seaton, considéré comme l’un des premiers experts de l’industrie des articles de sport, puis par un  certain Thomas E. Wilson, lequel révolutionnera l’entreprise et, accessoirement, le monde du sport.

© Wilson Sporting Goods

Né dans une ferme en Ontario au Canada, le 22 juillet 1868, Thomas E. Wilson arrive aux États-Unis en tant que mécanicien de locomotives, avant d’être engagé dans une société d’emballage de viande nommée Morris & Co. En 1915, il prend la tête d’Ashland Manufacturing. Un premier tournant dans l’histoire de l’entreprise. En visionnaire, Wilson décèle le potentiel du marché des articles de sports : il décide de s’émanciper de la maison-mère Schwarzchild & Sulzberger et de se concentrer exclusivement sur la création d’équipements sportifs. 

L’année 1916 voit la naissance officielle de Wilson & Co. Thomas Wilson étend immédiatement les activités de son entreprise en faisant l’acquisition de Hetzinger Knitting Mills et d’une petite société de sacs de provision : la première se charge de produire des vêtements de sport de haute qualité, la seconde de fabriquer des sacs de golf. La décennie suivante est une période faste. Wilson crée en 1922 un conseil consultatif composé d’athlètes dont les remarques avisées propulsent la marque à la pointe de l’innovation dans de nombreuses disciplines pour devenir « The Brand of the Pros ».

© Wilson Sporting Goods

Gants et pantalons rembourrés

Au baseball, le gant « Ray Schalk » établit la norme du sport, à travers un design, un confort et un rembourrage uniques à l’époque. Au football américain, Wilson et Knute Rockne, coach des Fighting Irish de Notre-Dame, bouleversent les codes : ensemble, ils conçoivent un ballon en cuir doublé et, surtout, le pantalon rembourré modulable, permettant une plus grande liberté de mouvement aux footballeurs. L’impact de Wilson dépasse ces deux sports et touche le tennis. En 1925, il lance des tubes en carton pour conditionner des balles de tennis jusqu’alors emballées dans des boîtes en papier ou en carton. La mort de Knute Rockne dans un accident d’avion en 1931 marque toutefois un arrêt brutal de l’influence de Wilson dans le football américain. En conséquence, la direction décide de se concentrer sur le golf.

En deux ans, plus de 50 000 clubs sont vendus grâce à la création d’un club à talon compensé, inspiré de la victoire de Gene Sarazen au British Open de 1932. Au début des années 30, la société a géré le développement et la commercialisation de ses produits avec un tel succès que, durant les pires années de la Grande Dépression, la société a non seulement survécu mais prospéré. Wilson poursuit son développement et fait son entrée dans le tennis de haut niveau en signant en 1935 un partenariat avec Ellsworth Vines, célèbre joueur américain, considéré comme le numéro 1 mondial entre 1932 et 1937. Pour la première fois, une raquette au « W » porte le nom d’un champion et offre différents équilibres aux joueurs, avec plus de poids en tête ou près d’un manche recouvert d’un grip en cuir. En parallèle, Wilson révolutionne le marché du golf en commercialisant un club issu de l’assemblage de différentes couches et de différents bois ; ce motif croisé favorise la puissance, un meilleur contrôle et une meilleure résistance. 

© Wilson Sporting Goods

Polochons et Kramer

Si le « Wilson Duke » devient le ballon officiel de la National Football League au début des années 40, l’effort de guerre affecte sérieusement la fabrication d’équipements sportifs et d’uniformes : presque toutes les installations de production de l’entreprise sont réorganisées pour fabriquer du matériel militaire tel que des sacs polochon, des tentes et des casques. Les sportifs partis au front, la direction de Wilson encourage une participation accrue des jeunes Américains au sport et poursuit son activité principale, grâce à une campagne de marketing bien orchestrée.

L’armistice signé, Wilson connaît une croissance spectaculaire, notamment grâce à l’entrée dans le sacro-saint conseil consultatif de nombreuses personnalités du sport (Wilson Advisory Staff), dont Jack Kramer fait partie. Considéré comme le père du tennis moderne, l’Américain signe, en 1947, année de ses victoires à Wimbledon et à l’US Open, un partenariat qui fera date. Outre l’image d’un numéro 1 mondial, Wilson a trouvé en lui un ambassadeur de poids qui fait rayonner la marque en sa qualité de commentateur, de directeur de tournoi, d’organisateur et de consultant en recherche et développement. C’est d’ailleurs avec un modèle à son nom, la Jack Kramer Autograph, vendu à plus de 10 millions d’exemplaires entre 1949 et 1981, que de nombreux champions comme John McEnroe, Tracy Austin, Arthur Ashe ou Chris Evert remportent les plus grands tournois.

D.R.

Ordinateur et jouets

À la fin des années 40, la société possède 15 usines et 31 bureaux de vente et entrepôts à travers les États-Unis. La décennie suivante est non seulement marquée par des innovations technologiques continues, mais aussi par des changements administratifs et de nouveaux développements organisationnels. LB Icely, à la tête de l’entreprise depuis 1918 et décédé en 1950, introduit sous son règne la gestion des stocks par ordinateur – une première dans l’industrie du sport. Icely organise la société de manière si efficace qu’à son décès, il n’y a pas d’interruption dans le développement commercial de la marque. Les ventes progressent et les revenus de la société atteignent un niveau record à la fin des années 50. 

En 1957, Wilson met au point un nouveau gant de baseball dont les vertus techniques en font immédiatement un best-seller : le A2000 est né.

Malgré les changements à sa tête, Wilson ne modifie pas sa stratégie payante d’acquérir des sociétés hautement spécialisées, même dans d’autres domaines que le sport. À titre d’exemple, le rachat en 1964 de la World Products Company, une société de jouets et d’articles moulés sur mesure, rend de nombreux observateurs perplexes. Pari gagnant pourtant : fort de cette acquisition, Wilson se perfectionne dans le moulage des pièces de protection dans le football américain ou le baseball, comme des casques ou des jambières. Afin d’améliorer son département tennis, Cortland Tennis Company, une firme située dans l’état de New York spécialisée dans la fabrication de raquettes, est également rachetée.

Wilson s’installe au sommet de l’industrie sportive et révolutionne le monde du tennis en développant, en 1967, la première raquette en métal, jadis imaginée par René Lacoste. Baptisée T2000, elle est inspirée du gant de baseball A2000.

© John Welzenbach
© Hugues Dumont

L’Excalibur de Jimmy

Le succès est immédiat : « Steelie » bat tous les records de vente grâce à son look, sa puissance et sa légèreté. « Cette raquette a fait sensation », se souvient Billie Jean King, apparue pour la première fois avec la T2000 à l’US Open 1967. Malheureusement, son poids trop élevé pour un usage régulier, l’étroitesse de son cadre et la complexité à la corder en raison d’un système « à crochets » en découragent plus d’un, dont la championne américaine, rapidement revenue à un modèle en bois. 

Seul Jimmy Connors en fait son Excalibur. À cette époque, l’Américain encaisse les dollars des uns puis des autres, se fâche avec une marque, signe avec une autre. Jimbo n’est fidèle qu’à une seule chose : la Wilson T2000 avec laquelle il joue depuis qu’il est junior. Il en stocke d’ailleurs de nombreux exemplaires lors de l’arrêt de la production en 1980. 

En 1970, Pepsi rachète l’entreprise. Le but de la manœuvre ? Améliorer sa propre image en tirant parti de la réputation et du rôle de leader de Wilson dans l’industrie du sport. En contrepartie, le concurrent de Coca-Cola fournit à Wilson la base financière nécessaire à son développement sur le marché international. En 1976, Wilson s’implante à Galway, en Irlande, pour pénétrer le marché en plein essor des produits de tennis en Europe. Cependant, les opportunités de croissance les plus importantes de l’entreprise se situent toujours aux États-Unis. Au cours de la décennie, Wilson devient la marque officielle de la NBA et de la NFL. Presque l’ensemble des équipements des équipes de la MLB (Ligue Américain de Baseball) sont frappés du sigle « W », à l’instar de l’équipe olympique américaine. 

La publicité obtenue grâce à ces accords est sans précédent ; la marque rayonne non seulement aux États-Unis, mais également dans le monde entier. Les possibilités de croissance sont telles que Pepsi décide de scinder la société en trois départements : golf, sports de raquette et sports d’équipe, avec leurs propres départements de marketing et de vente.

Le Wilson Advisory Staff fonctionne mieux que jamais. Dans les années 80, les produits Wilson sont adoptés par plus de cent athlètes parmi les plus célèbres et les plus respectés des États-Unis, dont Sam Sneed au golf, Walter Payton au football américain ou Michael Jordan au basket. 

Cette stratégie est ultra-profitable, si bien que de nombreux contrats sont signés avec des détaillants nationaux et régionaux à travers les États-Unis afin de vendre les produits de la marque au W.

La professionnalisation, la médiatisation et la starification des grands champions font décoller le département tennis au point de le voir dépasser le volume du golf. À l’image des sports collectifs, Wilson s’associe avec les plus grandes compétitions pour asseoir sa domination. Ses balles, fabriquées en Caroline du Sud, deviennent en 1979 les balles officielles de Flushing Meadows, nouveau théâtre de l’US Open.

À l’aube des années 80, le tennis vit une révolution avec la mort annoncée des raquettes en bois au profit de matériaux à base de composite et de fibre de verre. Wilson répond aux Prince Graphite, Yonex Rex series ou Dunlop Max 200G en sortant la Pro Staff, premier modèle en graphite et kevlar, dont le nom sera associé aux légendes du sport comme Stefan Edberg, Pete Sampras ou Steffi Graf. Élue raquette de l’année en 1985, la Pro Staff est auréolée des victoires les plus prestigieuses, comme le seront, plus tard, les Hammer – adoptées notamment par Lindsay Davenport – qui deviendront dans les années 90 les modèles les plus vendus auprès des professionnels et des magasins spécialisés. 

© Wilson Sporting Goods
© Wilson Sporting Goods

Wilson parle finnois

Le passage de Wilson Sporting Goods – appellation  d’origine – sous pavillon finlandais, suite à son rachat en 1989 pour 200 millions de dollars par le groupe Amer Sports, n’altère en rien sa soif de victoires et de conquêtes. La nouvelle direction met l’accent sur l’innovation : carbone, cristal siliconé, composites. Les raquettes deviennent des produits high-tech. Chaque style de jeu requiert une raquette spécifique, que le tennis soit pratiqué dans l’intimité d’un club amateur ou devant plus de 15 000 personnes. La stratégie est payante. 

© Wilson Sporting Goods
© Wilson Sporting Goods

« J’ai grandi avec une Wilson en main »

Au tournant du XXIe siècle, Wilson domine le marché mondial en plaçant six modèles « Hyper Carbon » dans le top 10 des ventes. Les Hyper Sledge Hammer 2.0 et Hyper Hammer 5.3 sont élues raquettes de l’année 1999. Devenue une référence, la marque séduit les joueurs dès leur plus jeune âge et leurs parents, à l’image des sœurs Williams et d’un certain Roger Federer, dont la première raquette, à l’âge de 10 ans, est une Wilson achetée par Lynette, sa maman.

« J’ai réellement grandi avec une raquette Wilson dans les mains », raconte le joueur suisse, dont le premier contrat avec la société américaine remonte à 1997. « De ce fait-là, je ne m’imagine pas jouer en compétition avec un autre matériel. Avec Wilson, nous partageons l’engagement de faire progresser le tennis et de promouvoir notre sport », ajoute celui qui signe en 2006 un contrat à vie avec sa marque favorite.

« Roger Federer incarne tout ce que nous admirons chez un athlète », déclare Chris Considine, à l’époque président de Wilson Sporting Goods. « Il est la quintessence du professionnalisme et figure parmi les personnes les plus gentilles et les plus sincères avec lesquelles notre société a jamais travaillé. Nous sommes honorés de l’avoir comme ambassadeur à vie de la marque Wilson. »

Grâce à ses associations avec les sœurs Williams, avec Rodge le GOAT, ou encore l’actuelle numéro 1 Simona Halep, Wilson a remporté – rien qu’en simple – la bagatelle de 51 tournois du Grand Chelem. Pour un total stratosphérique de 612 Grands Chelems depuis la création de la marque. Une réussite qui booste les ventes. En 2018, les sports de raquette représentent 1/3 des ventes mondiales de la marque pour un chiffre d’affaires estimé à 750 millions de dollars. Ils constituent de loin l’activité la plus internationale au sein de la marque, avec 2/3 des ventes réalisées en dehors des USA qui constituent, avec le Japon et l’Europe, le principal marché « tennis ».

L’avenir ? Il s’annonce sous les meilleurs auspices selon Mike Dowse, le président actuel de Wilson : « Les opportunités que nous offre la technologie sont très enthousiasmantes. Grâce à l’impression 3D, aux nouveaux matériaux et aux avancées en termes d’automation, nous pouvons envisager de révolutionner la création, la fabrication et la distribution des équipements sportifs, et tout cela encore plus vite qu’auparavant ! »

En un peu plus d’un siècle d’existence, Wilson a conquis les courts du monde entier, des grands stades aux terrains municipaux, où il est devenu fréquent d’entamer un match par la question existentielle : M ou W ?

 

Article publié dans Courts n° 2, été 2018.

Babolat

une concurrence dans les cordes

D.R.

Il est le dernier vainqueur français en Grand Chelem. Plus ancien équipementier international du tennis, Babolat collectionne les titres majeurs et a dépassé la concurrence pour devenir numéro 1 mondial sur les marchés du cordage et de la raquette de tennis. Un exploit pour la société lyonnaise demeurée à taille humaine et qui fête en 2018 le vingtième anniversaire de la victoire de Carlos Moya en Grand Chelem. La première d’un joueur avec une raquette devenue iconique, symbole de la réussite et de l’audace innovante d’une entreprise née il y a plus de 140 ans.

 

11 juin 2017. Rafael Nadal s’étend sur la terre maculée de ses exploits. En asphyxiant en à peine deux heures le Suisse Stanislas Wawrinka sous une chaleur écrasante, l’Espagnol entre davantage dans la légende du tennis en remportant la dixième coupe des Mousquetaires de sa carrière.

Dans les tribunes du court Philippe-Chatrier, transformées en arène pour saluer la victoire attendue du matador, un homme savoure la victoire plus que quiconque. Éric Babolat, patron de la marque éponyme du sceptre jaune et noir du roi de la terre, applaudit pour la 25e fois la victoire en Grand Chelem d’un champion de son écurie raquette. Laquelle s’ajoute à une galerie de trophées inaugurée 19 ans plus tôt sur le même court, par un autre espagnol, Carlos Moya.

Combien de fois a-t-il dû repenser à l’histoire familiale au moment de saluer des dix doigts autant de victoires de son joueur phare ? Combien de fois n’a-t-il pas levé les yeux au ciel pour saluer sa bonne étoile et ce père disparu tragiquement dans un accident d’avion ? Ce paternel visionnaire, désireux de diversifier la marque et de la lancer au milieu des années ‘90 sur le marché hasardeux de la raquette, mais arrêté en plein vol au lendemain de l’US Open 98. « J’ai immédiatement repris le flambeau de cette maison à laquelle j’étais profondément attaché. On s’est tous serré les coudes pour continuer le travail », confiera quelques années plus tard dans L’Express Éric Babolat, propulsé par la fatalité capitaine d’industrie à 28 ans, avec comme bagage un BTS commercial et une courte expérience au sein de l’entreprise.

Déterminé à perpétuer l’œuvre généalogique, Éric Babolat porte pour seul deuil un nouveau costume de PDG taillé sur mesure. « C’était un pari fou. Le marché était en pleine crise, des fabricants comme Gauthier ou Donnay disparaissaient, et c’est à ce moment-là que mon père se jette dans la bataille. Jusqu’alors, nous étions les leaders incontournables de l’accessoire. Et, soudain, voilà que nous prenions un risque insensé. Dans la maison, les dents grinçaient, beaucoup ne croyaient pas à ces raquettes que l’on allait, en outre, sous-traiter. »

Bien qu’enraciné en France, Babolat choisit la Chine pour produire ses cadres de raquette. « On aurait aimé le faire en Europe et en France, mais on ne trouve plus de graphite », regrette David Gire, directeur marketing France. «Il faudrait pour ce faire qu’on en rapatrie d’Asie, ce qui obligerait le consommateur à dépenser 1000 euros pour une raquette. »

© BABOLAT

Rose et papillons

Un prix exorbitant, par ailleurs contraire au positionnement démocratique voulu par Pierre Babolat lors du lancement de ces nouveaux produits. La recette est simple et innovante : débarquer avec une gamme de prix et des références limitées, contrairement aux pratiques de la concurrence. « Plutôt que de multiplier les sorties de produits, la marque a opté pour des gammes bien ciblées, à la réputation solidement ancrée », évoque Xavier Banken, directeur marketing de Babolat Belgique.

Les coloris basiques (bleu, rouge, gris) et les deux bandes blanches caractéristiques de part et d’autre des cadres tapent dans l’œil des joueurs de tous niveaux. « Ils étaient très faciles à repérer dans un magasin », enchaîne M. Banken. « Pour la même clientèle, le prix selon le modèle était identique, facilitant le discours des vendeurs ; les magasins ont directement été séduits. » Et, surtout, le positionnement est mixte. « On a longtemps été vu comme une marque féminine : notre raquette phare, la Pure Drive, était bleue », ajoute M. Gire. « On m’a souvent dit que c’était une couleur féminine. Or, il n’était pas de notre volonté de faire une gamme rose avec des papillons pour les dames : nous avons toujours trouvé cette démarche réductrice. On a bossé sur les différences de poids, mais pas du tout sur les cosmétiques. »

Le coup d’essai se transforme en coup de génie. Au milieu des années ‘90, les grandes marques pâtissent de l’essoufflement du tennis et voient leurs ventes diminuer de 20 % par an. Dans le même temps, Babolat observe sa courbe de progression bondir comme une balle liftée. « Nos concurrents ne nous ont pas pris au sérieux parce qu’on était tout petits », sourit Éric Babolat. « Nos cordages étaient réputés mais invisibles. » Pour s’imposer sur le court des grands, une méthode est généralisée : à défaut de se payer les stars du circuit, l’approche s’est faite auprès des jeunes espoirs. Parmi eux, Fernando Gonzalez ou encore Kim Clijsters vont signer avec la marque aux deux bandes à l’âge de 11 ans.

 

Clijsters, à prendre ou à laisser

« Je traduisais lors des négociations avec la famille Clijsters, le papa ne parlait pas bien l’anglais et encore moins le français » se remémore Xavier Banken. « On était dans un hôtel de la Chaussée Romaine à Bruxelles pour discuter contrats. Lei Clijsters avait imposé ses conditions et souhaitait qu’on s’associe avec Kim, mais aussi avec Elke. C’était à prendre ou à laisser. » La suite est connue. L’aînée de la famille deviendra à 18 ans la première Belge de l’histoire à atteindre une finale de Grand Chelem, à Roland-Garros en 2001, avant d’accéder quelques années plus tard à la première place mondiale de la WTA et rafler au passage quatre trophées du Grand Chelem. Avec une Pure Drive en main.

L’autre belle histoire se déroule à Majorque, en décembre 1998. Luca Appino, chasseur de jeunes talents, se rend au centre d’entraînement de Palma, un des hauts lieux du tennis espagnol. Il croise Carlos Moya, numéro 1 mondial du moment et vainqueur quelques mois plus tôt des Internationaux de France. L’Italien évite de traîner, l’objet de sa visite se trouve quelques courts plus loin où s’entraînent des jeunes talents. Parmi eux, un gamin capte son regard. « L’intensité de son jeu était incroyable, on aurait dit qu’il allait manger la balle », dira-t-il. Le jeune garçon d’à peine 12 ans se nomme Rafael Nadal. Protégé de Moya, Rafa est rapidement convaincu de s’associer à la même marque victorieuse que son idole. Le premier contrat est vite signé : il comprend trois raquettes, trois bobines de cordage et un sac.

Depuis lors, le décuple vainqueur de Roland-Garros n’a changé qu’une fois de modèle. Certes, au fil des années, il a apporté quelques retouches, au niveau du poids ou du cordage, mais la base est restée pratiquement identique. « Je vis avec elle depuis longtemps. Si je l’ai gardée, c’est qu’elle apporte à mon jeu ce dont il a besoin », a-t-il un jour déclaré à propos d’un outil de travail spécialement conçu pour lui.

 

 La performance du plaisir

Ces deux réussites parmi d’autres illustrent la stratégie gagnante de l’équipementier : déceler les talents à un âge précoce et en faire de futures images de marque. Aujourd’hui, dans chacune des filiales de Babolat, des agents recruteurs écument les clubs ou les championnats benjamins et juniors.

 « Dans chaque pays, nous effectuons du scouting dans les catégories des 11, 12 ans », confirme David Gire, le directeur marketing. « Nous essayons d’avoir des égéries par zone. Pour l’instant, un Nadal, c’est transversal. Mais il est bien difficile de prédire l’avenir. Avant, nous avions des joueurs comme Gonzalez pour l’Amérique du sud, Roddick pour l’Amérique du nord et la filière espagnole. Aujourd’hui, on a Jo (Tsonga) en France, Thiem en Autriche/Allemagne, Fognini en Italie et bien sûr Nadal. Sur le marché nord-américain, le trou d’air aux États-Unis est comblé par le Canada, où un joueur comme Félix Auger-Aliassime a le potentiel d’un futur top 5. Enfin, en Asie, nous pouvons compter sur une ambassadrice comme Na Li. Sa victoire à Roland-Garros en 2011 avec l’une de nos raquettes nous a permis de nous placer sur le marché chinois et même de nous faire connaître en badminton, le sport national. »

Pour asseoir son hégémonie, Babolat s’est également concentré sur le tennis amateur. En 2010, Éric Babolat soulignait dans Les Échos l’importance du marché du tennis loisir. « Notre challenge est de passer de l’image d’une marque spécialisée, parfois perçue comme destinée aux initiés, à celle d’une marque adaptée à toutes les façons de jouer au tennis. La performance peut être aussi de savoir se faire plaisir. » Pour convertir le maximum de joueurs à ses produits, Babolat s’appuie sur les pros du secteur pour qu’ils deviennent ses prescripteurs. L’entreprise forme ainsi chaque année 10 000 profs de tennis, 400 vendeurs et cordeurs, et multiplie les séances d’animation dans les 20 000 clubs partenaires du monde entier.

Cette stratégie payante lui a permis d’accéder à la première place mondiale des marchés du cordage et de la raquette de tennis. Un exploit pour une société qui s’autoproclame de taille intermédiaire. En 2017, elle comptait 341 employés pour un chiffre d’affaires de 136 millions d’euros. Elle est implantée dans 144 pays et compte 15 000 points de vente.

© BABOLAT

Pas Nike ou Adidas

« Éric Babolat s’est retrouvé à la mort de son père à la tête d’une société de 35-40 millions d’euros de chiffre d’affaires à moins de 30 ans », relate David Gire. « Il est arrivé juste après le lancement des raquettes et a fait décoller la société. Le chiffre d’affaires et le nombre de collaborateurs ont triplé en 15 ans. Mais l’entreprise est restée familiale. Éric dit souvent je veux être une grande marque, mais une petite entreprise. Je suis parfois obligé, à coups de chiffres, de la replacer, car on pense souvent que Babolat, c’est une multinationale dans un énorme building. Alors que ce n’est pas le cas. On n’est pas Nike ou Adidas. Notre notoriété dépasse notre taille ou notre chiffre d’affaires. On est leader sur le marché. Nous avons toujours cette volonté de toujours aller plus loin, mais uniquement dans les sports de raquette. Nous n’avons aucune vocation pour le golf, le sportswear ou d’autres domaines. Nous sommes une marque de niche. » Babolat doit sa réussite à cette ligne de conduite stricte. Une voie tracée par Pierre, arrière-arrière-grand-père, passé de la charcuterie aux cordes de tennis en 1875.

Cette année-là, un Anglais débarque dans l’usine de Pierre Babolat, rue André-Bollier, près de Gerland. Outre-Manche, Mr Bussey, fabriquant anglais de raquette, a eu vent de la bonne réputation de cette entreprise, spécialiste de la transformation de boyaux de mouton pour la charcuterie, les cordes à instruments de musique et les ligatures chirurgicales. Il traverse la Manche et une partie de la France pour proposer un drôle de marché aux ingénieux lyonnais : fabriquer des cordages en boyau pour raquette de tennis, un sport né l’année précédente à Wimbledon. Amusé, Pierre accepte. La machine Babolat est lancée.

Elle prendra un véritable essor dans les années 1920 grâce à Suzanne Lenglen, première star internationale du tennis féminin, et à l’épopée des Mousquetaires, premières véritables vedettes de l’ère moderne. La bande à Lacoste combina un incroyable total de 54 victoires en Grand Chelem et 6 titres d’affilée en Coupe Davis, et participa au développement du VS, la célèbre corde de Babolat née en 1925. Les prémices du sponsoring accompagnent les succès des joueurs tricolores. Bien qu’il reste leader sur le marché de la charcuterie, Babolat se fait un nom sur les terrains de tennis en devenant le premier à imprimer sa marque sur le cordage. Par ailleurs, l’entreprise développe son succès grâce à sa proximité avec les joueurs : Henri Cochet, lui aussi Lyonnais, distille conseils et remarques visant à améliorer la qualité du produit et à répondre aux demandes d’une clientèle exigeante.

 

Moutons et vaches bretonnes

Peu à peu, Babolat a élargi son champ d’action et profite des innovations. Dans les années ‘50, elle lance le nylon, moins souple, mais moins onéreux et fait un geste pour l’environnement quelques années plus tard, en convertissant les six moutons jusqu’alors nécessaires pour un seul cordage boyau, en deux vaches et demie. Si ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les vaches bretonnes, Babolat poursuit son ascension, développe la machine à corder électronique et profite du professionnalisme du tennis pour équiper des champions désormais médiatisés comme Björn Borg. Au total, les cordages frappés du VS gagneront plus de 150 tournois du Grand Chelem.

Malgré cette histoire chargée en réussite, l’entourage d’Éric Babolat insiste sur sa volonté d’éviter de s’appesantir sur le passé. Babolat cultive la fibre des gagneurs et rejette celle des nostalgiques. « éric est un entrepreneur dirigé vers l’avenir ; il n’apprécie pas regarder derrière lui, sans renier le passé », nous glisse-t-on. Alors qu’elle n’avait pas vraiment diversifié ses produits en 120 ans, les raquettes Babolat représentent à elles seules plus de la moitié des ventes. 24 ans après leur apparition et vingt après la première victoire en Grand Chelem.

Après s’être lancé au début des années 2000 dans les chaussures − en partenariat avec Michelin −, les balles et le textile, Babolat est présent depuis quelques années sur les marchés du badminton et du padel, sans abandonner le défi de la raquette de tennis connectée dont elle est le précurseur, mais qui tarde à décoller.

« On n’a jamais progressé grâce au marché, mais grâce à nos innovations », remarque David Gire. « En ce sens, le connecté est un levier. Il n’y aura pas forcément plus de raquettes vendues, mais elles seront intelligentes. Ça peut donner envie aux joueurs de changer de matériel. Par ailleurs, l’impact de ce produit connecté sur la marque a été énorme. En termes d’image, on passe pour l’une des marques de sport les plus innovantes, beaucoup de gens nous ont fait confiance grâce à cette raquette. Ils ont acheté l’un de nos produits en disant c’est vrai qu’ils sont spécialistes. »

Des experts d’une famille où le tennis coule dans les veines, mais dont aucun membre n’est jamais devenu champion de tennis. Ils ont simplement permis à d’autres de le devenir.    

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

 

Sparring-partner

© Ray Giubilo Photo © Ray Giubilo

CHAPITRE IV – Claudio se prend pour Chang face à Lendl

Chapitre I – Roland
Chapitre II – On achève bien les buffles
Chapitre III – Tragédie racinienne

 

 

– Belluci dopé ; on va lui retirer ses titres !?

L’Équipe du jour, déplié à la verticale, avalait de son être tout le spectre visible ; mais je devinais que, derrière le journal, Claudio avait cet air effaré de celui que l’URSSAF, en grande faucheuse informatisée, vient de rappeler à son bon souvenir.

– Parce que j’ai gagné beaucoup d’argent avec sa victoire l’an dernier et je crois que les clauses ne sont pas claires, à ce sujet, dans les contrats. Si jamais les gens viennent réclamer, c’est la banqueroute ! C’est la banqueroute, Auguste ! Auguste ? Tu m’écoutes ?

Oui, mais distraitement. Je devais retrouver Butler dans une heure et, les traits tirés, j’avais autant envie de jouer au tennis que de me baigner dans un bassin d’eau croupie en compagnie de piranhas.

– Mais non, on ne lui retirera pas ses titres. T’en fais pas, va.

Inutile d’argumenter outre mesure. Même une lettre officielle avec sceau et tampon signée d’un président aux titres à rallonge n’aurait pu absorber son angoisse du moment. Marion m’avait abandonné en arrivant au stade, arguant de choses à faire du côté du Tenniseum où, selon le petit garçon rencontré la veille, l’altercation entre les deux entraîneurs avait eu lieu. Je savais, par rumeur interposée, qu’Andrea Belluci était à l’heure actuelle entendu par l’inspecteur Racine et je plaignais silencieusement le traducteur de cet échange immanquablement voué à l’incompréhension.

Sur la table du café, un exemplaire du programme traînait et j’y posais les yeux. Stern, Iejov et Butler étaient attendus sur les courts pour leur huitième de finale bien qu’ils ne fussent pas inscrits dans la même partie de tableau : la faute à la désorganisation liée aux évènements qu’on sait. Stern jouerait Romanov, un droitier pas maladroit, Iejov devait en découdre avec le douzième mondial, Sir Alan Ridgerstone, un Gallois gaucher et porté sur l’attaque ; Zach Butler était quant à lui attendu en milieu de journée pour affronter Gambill, son compatriote et partenaire de Coupe Davis – bien que Butler se soit abrité derrière de prétendues blessures pour s’épargner toutes les rencontres de Coupe Davis au cours des trois dernières années, au grand désespoir de la fédération canadienne qui enchaînait les repêchages. Un dernier huitième opposerait en fin de journée le vétéran australien Mankelevic, toujours placé malgré une calvitie galopante, au Belge Marlon Berst, de dix ans son cadet. Pour l’heure, les filles cavalaient sur les courts. Butler poussait d’ailleurs le je-m’en-foutisme jusqu’à prévoir son entraînement à l’heure précise ou sa compagne, mieux connue pour ses poses suggestives en une des magazines que pour ses performances sur le terrain, devait elle-même disputer un huitième de finale kamikaze contre la numéro 1 mondiale incontestée, Arya Hamilton.

Autour, Roland était désert. Le public, choqué par la faute de goût, convaincu par avance du gel de la compétition ou découragé par les prévisions météorologiques, avait renoncé à faire le bureau buissonnier. Une journée productive qui tranchait étrangement avec le lourd silence qui habitait l’enceinte. Heureusement, les journalistes n’allaient pas tarder à investir les lieux.

Etait-ce la fatigue ? J’étais habité par un mauvais pressentiment. Des gouttes amorcèrent leur chute quand j’amorçai la mienne en direction du terrain d’entraînement.

Je n’avais aucun avis sur Butler. Pour moi c’était un genre de gigolo terrible, un type tellement persuadé de briller qu’il s’effaçait de ma rétine sensible aux éblouissements. Dégingandé, relâché à l’extrême, le cou en avant et les yeux globuleux, il me faisait l’effet d’une grenouille aplatie qui aurait enfilé un smoking : amusant, mais très vite oublié. On le savait capable du meilleur comme du pire ; à l’inverse de Belluci ou de Stern, il était coutumier des abandons surprises, des raquettes fracassées, des insultes ou des crachats et savait feindre la blessure pour déconcentrer l’adversaire lorsque tout ne se passait pas comme prévu sur le terrain. Quant au meilleur, il fallait voir son revers.

Le court où je devais le retrouver était situé au bout du parc, face au Bois de Boulogne. Sur le chemin, je m’échauffais un peu, enchaînant mes mouvements de coup droit et de revers ; au fond, j’avais envie de le bousculer un peu. Je ne pensais pas tout à fait rien de Butler, après tout – ou plus justement ce rien n’était pas neutre. J’avais un peu de jalousie pour ses manières aristocratiques, sa culture transpirante et la fascination que sa laideur relative déclenchait chez les femmes. La pluie s’intensifiait, mais je pressentais que Butler s’en moquerait éperdument : les tracas météorologiques n’étaient pas à même de bouleverser son programme, sauf bien sûr s’il s’était agi d’un match mal engagé pour lui, auquel cas les petites gouttes, transformées en déluge par le prisme de ses jérémiades, auraient mobilisé toutes les instances du tournoi. J’arrivai devant le court, Butler était absent. Et ce pressentiment que, plus tôt j’évoquai, s’accentua encore. Les joueurs étaient-ils en danger ? Avais-je vu quelque chose sans m’en rendre compte pour me sentir à ce point nerveux ? J’en étais là de mes réflexions, mon énorme sac de tennis encore zippé sur le banc, les lacets en vrac, quand arriva Butler, flanqué d’un grand maigre en costume anthracite que je n’avais jamais vu. Ils firent le tour de la grille pour gagner l’entrée du court. Les deux hommes parlaient fort en anglais, avec un accent canadien prononcé et riaient de bon cœur ; je n’entendis tout d’abord que les fins de leurs phrases mais, à mesure qu’ils se rapprochaient de moi, je saisis le sens de leur conversation dans sa globalité.

– Et donc cet imbécile commence à nous parler d’éthique, de morale, de responsabilité, et tutti quanti. Pour tout te dire, j’avais l’impression d’être vingt ans en arrière quand, pour passer le temps pendant les cours d’éducation religieuse, je faisais semblant de ramasser mon stylo et regardais sous les jupes de la préceptrice embauchée par mère. Et il continue : « Décision collective », « âme et conscience », « valeurs du sport » : bla, bla, bleh, il n’arrête pas. En plus, son accent est vraiment trop : « falûrrs maôrrâles », « técission gollegtife »… J’en avais les larmes aux yeux de rire. Tu sais que je n’ai pas beaucoup d’amitié pour cette mauvaise herbe de Iejov, mais tu aurais vu sa gueule ! Il était au supplice. Donc, sentant qu’il n’est pas prêt de s’arrêter et que, d’épuisement, les joueurs vont bientôt tous se retirer du tournoi, tu vois, juste pour ne plus avoir à subir ça, je commence à l’imiter. D’abord juste les mimiques – le truc qu’il fait avec sa bouche quand il veut avoir l’air sérieux, tu sais, cette petite moue tombante, là, je n’arrête pas. Iejov ne peut plus se retenir : il explose de rire. L’autre s’en rend compte mais continue. Alors j’y vais franchement, je répète tout ce qu’il dit en forçant le trait. Là, tout le monde se marre – sauf Cerny, évidemment, qui espérait sans doute récolter un bon point pour compléter sa collection. Du coup, il est forcé d’arrêter et je me lève pour me lancer dans un contre-discours. Je reprends tout ce qu’il a dit en en détournant le sens et je le vois qui s’effondre complètement, totalement désarmé, redevenu bactérie, Darwin à l’envers. Et surtout je sens que les joueurs sont de mon côté – surtout Iejov, tu penses. Et là, coup de grâce : pour surtout éviter que Iejov ne s’imagine que nous venons de signer une alliance, je sors l’artillerie lourde et je dis : « On ne va quand même pas se recueillir des plombes pour la mort d’un tricheur, d’un type archidopé, on a tous vu les analyses ! Et ne faites pas semblant d’être affligés alors qu’on sait très bien que sa mort nous redonne à tous de l’espoir. » Alors là, dans le mille : Iejov se décompose – je ne sais pas comment il a fait son affaire avec l’ATP, mais vu sa capacité à la jouer Poker Face, il ne tiendra pas cinq minutes en audition – Stern est out et les autres refusent de signer la déclaration commune. A part Cerny, évidemment. Il me fait penser à Oliver Twist arrivant chez Mr. Bronwlown, ce gamin. Quand il verra toute la merde qui se cache dans la cave de Brownlown, il va tomber de haut. Ah ! Nous y voilà. On y va ?

– Pas bonjour, pas au revoir.

En garde ! Et tâchez de tenir le rythme, sinon mon frère prendra le relai et vous ne travaillerez plus jamais pour moi. Ah ! Et Bruce : tiens moi au courant en temps réel du match de la grosse que je puisse faire semblant de m’intéresser au résultat, tout à l’heure.
Toutes ces mondanités cyniques déversées sur Adam Stern me consternèrent. Comment pouvait-on parler avec autant de dédain d’un homme affichant un tel palmarès, d’une légende du jeu encore en activité ? Il fallait que ce mépris excède tout, Stern lui-même, le tennis, le talent, la vertu, l’humanité et ses prouesses. Il fallait cruellement manquer de respect envers soi-même pour balayer d’une main l’assassinat d’un champion comme Belluci tout en souillant de l’autre ce qui, chez les vivants, demeurait de plus pur, noble, de plus immaculé. Et quant à sa dernière remarque à propos de sa petite amie, j’estime inutile de la commenter. Tout en jouant sans me prêter la moindre attention, Butler continuait à discuter avec son frère qui, le nez sur l’IPhone, l’interrompait parfois pour ajouter un jeu au stock déjà accumulé par Arya Hamilton.

– Quelle truie tout de même ! N’importe quel joueur universitaire de bon niveau démonterait Hamilton. Inutile de continuer, mets-nous de la musique.

Le frère extirpa d’une sacoche une paire de baffles qu’il relia à son IPhone et déclencha sur le court une onde sismique en envoyant, pleine bourre, un grand air d’opéra.

– A part l’opéra, rien ne sied à mon jeu.

C’était plus ou moins le premier mot qu’il m’adressait. Mais il n’attendait pas de réponse. Passé en pilote automatique, je réfléchissais à tout ce que, maladroitement, aveuglé par la certitude que je n’avais pas les ressources suffisantes pour comprendre et analyser son discours, Butler m’avait appris. J’essayai de classer méthodiquement ces nombreuses informations pour n’en rien oublier. Marion et l’inspecteur Racine seraient ravis de mes progrès : le conseil des joueurs s’était réuni et avait opté pour poursuivre le jeu ; Stern avait défendu la position contraire et s’était retrouvé en minorité ; Iejov, selon les insinuations de Butler, était dopé et couvert par l’autorité ; Stern, toujours selon ces mêmes insinuations, cachait des choses sous son tapis. Je prenais cette dernière information avec des pincettes, devinant Butler prompt à ruiner des réputations pour le simple plaisir de renforcer la sienne. Je me revigorai de tout ce déversoir haineux et de ses dehors soi-disant légers en pensant au moment où j’aurai sur Butler des informations susceptibles de lui faire ravaler sa superbe.

Marion a raison : je suis une midinette. Je n’aime pas que l’on touche à mon petit Panthéon que j’époussète chaque matin avec le même amour.

Quand le calvaire prit fin, trempé par une pluie de plus en plus épaisse, je cherchai à m’abriter pour joindre Marion. Mais, malgré plusieurs tentatives, je tombai immanquablement sur son répondeur où d’un ton enjôleur elle incitait l’appelant à ne pas laisser un message que, de toute façon, elle n’écouterait jamais. Je cédai à sa volonté malgré mon inclination pour le délayage verbal. Tant pis : fuyant l’ondée naturelle, je passai sous l’auréole argentée de la pluie artificielle puis me dirigeai droit vers la cahutte où Michel, comme toujours, m’attendait, l’air ennuyé.

– Iejov refuse. Tu expliqueras à ton copain l’inspecteur que je n’y peux rien. Il refuse de s’entraîner avec un extérieur. Une question de charkas, qu’il dit.
– Shakras.
– Voilà.
– Je vois mal Iejov croire aux énergies, aux arbres et aux divinités bouddhistes bourrées de mains.
– C’est peut-être une marque de vodka, après tout.
– Oui. Voilà les clés du onze. Les autres, tu as des nouvelles, un programme ?
– Ah parce que les autres aussi, il faut que tu les joues ?
– Je ne sais pas. Je commence à me prêter au jeu. L’inspecteur est dans les parages ?
– Il interroge en ce moment même l’oncle de Belluci.
– Ici ?
– Oui. Il est à nouveau sur place.
– Tant mieux. Il faudrait que je le voie. Tu savais que les joueurs s’étaient réunis en conseil, hier ?
– Oui. Ils ont décidé de donner un avis favorable à la poursuite du tournoi. Je pensais que tu étais au courant.
– Non. Donc, désormais, c’est sûr, le tournoi est maintenu ?
– Il semble que oui.
– Il faut que je le dise à Claudio.
– Je viens de le voir passer.

La pluie s’était estompée et le public commençait peu à peu à se déverser dans les promenades. On refermait les parapluies en projetant des éclaboussures. Je me retournai et Claudio était là. Il semblait m’épier. Avec ses boucles très brunes et ses sourcils épais, il ressemblait plus que jamais à un déserteur affamé. Il me désigna une direction du doigt et nous fîmes, chacun d’un côté de l’allée, le trajet jusqu’à l’entrée du club des loges. Sans chercher à comprendre les raisons de cette avalanche de précautions, j’entrai derrière Claudio qui, aussitôt, se dirigea vers les toilettes. Je le retrouvai finalement aux pissotières, dos à la porte. Je m’installai à côté.

– Je suis sur un gros coup.
– Tu m’as l’air d’avoir retrouvé le moral.
– Un coup énorme.
– Raconte.
– S. I.
– Pardon ?

Il faisait de grands gestes de sa main libre, comme pour m’encourager à procéder moi-même aux associations d’idées.

– Ah. D’accord. S. I. Et je fis un clin d’œil.
– Enfin, son entraîneur. J’ai rencontré un intermédiaire. Il veut parier sur le match de Butler. Il veut parier sur une défaite.
– Contre Gambill ?
– Exactement.
– Il est fou.
– Il racontait quoi Butler ?

Je commençai à peine à lui résumer le résultat de mes recherches qu’il m’interrompit.

– Je m’en fous, de ça. Il racontait quoi, tennistiquement, sur le terrain ? Il est en forme ? Je veux dire : pas en forme comme Belluci, quoi.
– Je n’en sais rien.
– Comment ça, tu n’en sais rien ?
– Le type est complètement imbu de lui-même. J’ai totalement fait abstraction de lui. Il écoute Verdi à fond et essaie de jouer au rythme de la musique. C’est te dire à quel point je n’en sais rien.
Mais tu as marqué des points ? Tu l’as testé sur ses déplacements latéraux ?
– Je ne peux pas vraiment te dire. A un moment, il a raté une volée.
– C’est emmerdant, ça ! Gambill est un sacré passeur.
– Oui mais Butler ne monte jamais à la volée.
– Ouais, t’as raison. Tu as tout à fait raison.

Cela faisait maintenant cinq minutes que nous faisions semblant d’uriner et je n’osai dire à Claudio que notre attitude était des plus suspectes. L’arrivée impromptue d’une vessie vraiment pleine le décida à interrompre la mascarade et, après avoir agité pour la forme son pénis au-dessus de la vespasienne, il me tapa dans le dos en gagnant la sortie.

– Je vais prendre le pari.
– Tu ne risques pas grand-chose.
– Je ne t’ai pas dit le montant.
– Non, dis-moi le montant.
– Trente mille.
– Trente mille ? Sur la défaite du numéro quatre mondial en huitième contre un compatriote complètement complexé et qui n’a jamais dépassé le troisième tour en grand chelem en dix ans de carrière ? Il est fou. Ou alors, il a des infos. C’est quoi la cote ?
– 6,4. C’est Iejov, il doit être fou. Tu répètes tout le temps que Iejov est fou. Il est fou, non ?
– Sincèrement, je pense que c’est risqué, là, Claudio. Tu devrais deux-cent mille à Iejov. Tu te rends compte ?
– Il faudrait savoir, bordel ! C’est risqué ou non ?
– En tant qu’associé, je suis contre cette idée.
– Viens t’installer.
– Je n’ai pas le temps, je cherche Marion.
– Viens t’installer, je te dis !

Un voile passa sur son visage. C’est alors que je compris.

– Oh non ! Tu as déjà accepté ?
– C’était trop beau ! C’était putain de beau, non ? Trente mille dans la poche. Un coup sans risque.
– Claudio : quels sont les termes de notre contrat ?
– Tu me donnes des tuyaux et ensuite je m’occupe de la partie commerciale, on fait soixante / quarante.
– On est d’accord. On a toujours fonctionné comme ça. Et là, tu me forces à jouer Butler et tu n’attends même pas que je te donne le résultat de la partie pour nous mettre tous les deux dans la merde avec un mafieux notoire qui, en plus, a des infos, évidemment.
– Pour ce que tu avais comme information, toi, à me donner. « J’ai pas fait attention ». Bravo le professionnalisme. Sans parler de la fiabilité de tes analyses sur Belluci.
– Bon. Eh bien tu n’as plus qu’à espérer que Iejov et son entraîneur se fassent arrêter pour le meurtre de Belluci.
– Attends, attends, ça vient d’où, ça ? Tu viens de l’inventer ?
– Bien sûr que je viens de l’inventer. Si je savais des choses, j’irais voir la police.
– Tu m’as fait peur. Le côté mafia, je veux bien, mais si ces types sont des tueurs…
– Ce sont des tueurs. Par contre, ce que je peux d’ores et déjà te dire, c’est que Iejov est très probablement bourré de stéroïdes.
– Tu tiens ça d’où ?
– Butler. Il ne s’adressait pas à moi. Il devait penser que je ne comprenais pas l’anglais.
– Ça, c’est mon partenaire, ça. Bon chien, bon chien, Auguste.

Je commençais à en avoir marre de jouer le Setter irlandais qui court après les balles.

– Tu sais où est Marion ? C’est elle que je voudrais retrouver.
Je ne l’ai pas vue de la journée.
– Je m’emmerde à lui trouver des places et elle passe la journée toute seule. Bon. Je vais aller me renseigner. Je te retrouve dans les tribunes pour les matchs. A moins que tu ne préfères tout de suite empaqueter tes affaires et t’exiler dans un pays d’Amérique du Sud pour échapper au clan Iejov.
– Rien n’entamera ma confiance.

Je réessayai de joindre Marion sans plus de succès. Il était possible que, dans les couloirs du Tenniseum, son portable n’accède pas au réseau. Mais je la voyais mal, connaissant son intérêt pour le tennis, passer cinq heures dans un musée dont la fréquentation annuelle était corrélée au manque d’intérêt de ses collections. Il était donc également possible qu’ayant découvert quelque chose, on l’ait tout simplement fait disparaître.

Il était possible que j’aie besoin de chasser cette pensée ainsi que toutes les autres qui en découlaient.

Pour en avoir le cœur net, je me mis en tête de gagner le Tenniseum. Sortant du club des loges en enjambant la terrasse en merisier où les parasols étaient déguisés en parapluies, je traversai les jardins, dépassai le centre national d’entraînement, retrouvai le Chatrier d’où montaient les rumeurs des matchs féminins et, le contournant par le mauvais côté, longeait à nouveau la zone télévisée où je surpris l’un des commentateurs, une cigarette anglaise à la main, en discussion houleuse avec un technicien.

– Comment tu veux que j’écoute tes arguments ? On perd le signal quarante-cinq secondes. Tu te rends compte ? Bien sûr, c’était pendant la pluie. Mais imagine si c’était arrivé pendant une balle de match. Comment on fait ? Tu te rends compte de l’agressivité de la concurrence ? Ici, nous avons une obligation d’excellence, sinon on saute et c’est le privé qui ramasse le contrat. Si on ne peut pas faire confiance à nos cadreurs, à qui on peut faire confiance ? – Comment as-tu pu quitter ton poste ?

J’étouffai un rire en l’entendant mentionner l’obligation d’excellence que je confrontai, mentalement, aux quelques souvenirs que j’avais de ses commentaires. Et puis, soudain, le rire se dissipa, car je me rappelai avoir entendu Marion mentionner cette coupure dans son rapport matinal. Etait-elle un liée au crime ? Je m’approchai des deux hommes et affectai des manières et une voix aussi Roland que faire se peut.

– Excusez-moi pour cette interruption, mais je vous ai entendu évoquer une coupure électrique, hier, pendant la pluie. Je comprends aisément que vous ne puissiez vous en ouvrir ainsi à un étranger. Mais je collabore avec la police à propos de cette étrange affaire et j’aurais aimé en savoir davantage sur les circonstances de cette rupture dans le signal.
– Mais je vous reconnais ! Vous êtes Auguste Loisel, l’ancien espoir !

C’était moi.

– Oui ; enfin, ancien espoir…
– Ne faites pas le modeste. Vous étiez champion de France !
– Non, là, vous confondez avec Philippe ou avec Jean.
– Alors vous avez gagné les Petits As ! C’est ça, je m’en souviens !
– Je crois que c’est Simon Perreau qui les a gagnés en 1998 ou 1999. Non, j’ai été champion régional, moi, en minimes.
– Ah, oui. Pardon. Et donc, vous collaborez avec la police ?
– D’une certaine façon, oui. Et cette coupure m’intrigue. Je m’adressai au cadreur. Où étiez-vous installé ?
– Derrière la chaise d’arbitre, sur le bord du court.
– Donc juste devant l’endroit où le corps a été retrouvé, c’est bien ça.
– Et, quand vous vous êtes absenté, restait-il d’autres opérateurs à cet endroit du court ?
– Je ne sais pas. Nous avons aussitôt installé les capes de pluie sur les caméras et les objectifs et quand il a commencé à pleuvoir plus fort, nous nous sommes abrités. Normalement, nous restons à portée de vue du matériel, mais je me suis absenté deux minutes pour aller chercher un sandwich.
– La bâche était-elle sur le court à ce moment-là ?
– Ils étaient en train de la déployer.
– Donc quelqu’un aurait pu se trouver à votre place à ce moment-là et, depuis cette position privilégiée, profiter de l’agitation générale pour glisser le cadavre sous la bâche ?
– Pour cela, il aurait fallu que le corps soit déjà sur place.
– Le coin des caméras communique-t-il avec le sous-sol et les vestiaires ?
– Nous pouvons faire passer des câbles, mais c’est tout.
– Merci beaucoup.

Le commentateur oscilla un instant et, tout comme si le barrage de cette hésitation avait retenu trop longtemps un flot incontrôlable, il se mit à parler très, très vite tout à coup.

– Dîtes : si vous collaborez avec la police, vous pourriez peut-être nous raconter ce qu’il se passe sur la Terrasse, cette après-midi, par exemple ? Nous devions recevoir Iejov, mais il s’est décommandé, on a un trou.
– Je ne sais pas si…
– Mais si, c’est parfait, on ne vous cuisinera pas, je vous rassure. Les téléspectateurs seront rassurés de retrouver une tête connue pour leur raconter les coulisses de ce tragique, tragique évènement. Et puis ce sera l’occasion de parler de l’après-carrière pour les champions !

Il me gratifia d’un sourire figé de fin de programme télévisé, celui qu’a l’homme dans l’écran quand il ignore si son visage est encore retransmis sur les ondes.

– D’accord.
– Donc à 16h30, vous n’oubliez pas ? Au pied de la Terrasse, côté Suzanne – — Lenglen. Enfin, vous connaissez. Si vous voulez avertir vos amis, sachez que vous passerez à 17 heures. Je préviens le plateau. Ils vont être ravis, ravis, ravis.

Encore une fois, j’étais la solution de dépannage – ce qui ne m’empêcha pas d’envoyer à Claudio ainsi qu’à mes colocataires un message enthousiaste. J’hésitais à ajouter Marion à cette liste, mais j’espérais bien pouvoir crâner de visu auprès d’elle. Arrivé au Tenniseum, après avoir traversé la Place des Mousquetaires et dansé la carmagnole autour du court n° 1, j’entrepris l’agent d’accueil à propos de la disparue. Il n’avait rien vu – il venait de prendre ses fonctions. Je payai un billet d’entrée et descendis les marches. Une affluence record m’accueillit : les deux étages étaient pleins à craquer de scolaires qui moquaient le vieux matériel et ponctuaient de grossièretés hilares les photos d’époque. Je fis un tour, n’aperçus pas Marion et me promis de revenir plus tard pour inspecter les lieux. En sortant de la pénombre, tandis que Sergueï Iejov, sur le Court Suzanne Lenglen, s’apprêtait à servir pour le gain de son match, j’entendis mon nom grésiller dans les haut-parleurs.

« M. Auguste Loisel est demandé dans le bureau du directeur. M. Loisel. » La course n’en finissait plus.

Dans le bureau, Racine m’attendait. Comme je lui demandais pourquoi il m’avait convoqué par cette voie singulière alors même que, dix heures plus tôt, il ne s’était pas gêné pour me téléphoner directement, il me répondit d’un sourire entendu.

– L’émerveillement, Loisel. L’émerveillement tient à peu de choses. Répétez deux fois la même opération, et, quel que fut le plaisir que vous eussiez pris à la réaliser la première fois, déjà, elle perd de sa saveur.

Comme son visage semblait m’engager à le faire, je réfléchis un temps à la portée de ses paroles qui résonnaient fort juste quand on les appliquait à ma carrière sportive et beaucoup moins juste quand on les confrontait à la réalité des actions routinières, au premier rang desquelles : manger, boire, faire l’amour.

– Nous avons interrogé Andrea Belluci. Il nous a raconté des choses intéressantes. Mais d’abord, vous : qu’avez-vous appris de Butler ?

Je déroulai le fil.

– C’est très intéressant, très intéressant. Monsieur le directeur, seriez-vous au courant, pour les incartades de Iejov ?

De Meseray se changea en pivoine au soleil : il était rouge, immobile et ne respirait plus. Finalement :

– Ab-so-lu-ment pas. Et d’ailleurs, je me demande sur quoi ces accusations sont fondées. Nous procédons à des contrôles ir-ré-pro-cha-bles.
– Ca-chot-tier. Cachottier, hein ? N’est-ce pas, Loisel ? Passons. Donc, pour Butler, Belluci était dopé, lui aussi ?
– Ce n’était pas aussi clair, mais…
– Parce qu’il ne l’était pas. Pas du tout. Du tout, du tout ! Nous avons les résultats définitifs des analyses. Il avait une santé de fer et aucune anomalie. Tout porte à croire qu’on a volontairement bourré Belluci de produits dopants pour ternir sa réputation post mortem. Et vous dites que Butler est un expert en la matière, n’est-ce pas ? Quand il s’agit de salir les gens, il n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis ? Ah ! De plus en plus intéressant.

Il paraissait absorbé par ses réflexions et j’esquissai un geste vers la porte.

– Je peux…
– Attendez, Loisel, un prêté pour un rendu. Vous m’informez, je vous raconte à mon tour une histoire. C’est une sacrément bonne histoire. Un genre de tragédie grecque, ou plutôt napolitaine. Monsieur le directeur, auriez-vous l’amabilité de nous offrir à nouveau, à moi et mon ami, l’un de ces cafés au lait qui font la réputation de votre bureau par-delà les frontières de l’Europe ? Merci, monsieur le cachottier, pardon : monsieur le directeur.

Bien : Il était une fois, à Naples, un accident de voiture. Un homme, une femme au volant d’une Fiat Punto ou d’une Fiat 500 – je vous laisse recombiner ces éléments-là selon vos préférences, Loisel – un carrefour mal agencé, un conducteur qui va trop vite, deux morts et un orphelin de quatre ans. Vous l’aurez compris, l’orphelin, c’est Belluci. Voilà que surgit un oncle, un gaillard établi dans les Pouilles qui se dévoue pour élever comme son propre fils le malheureux enfant. Il quitte la campagne et s’installe à la ville pour offrir au gamin de meilleures chances. Un jour, sur la vieille télévision, le gamin reste fasciné devant un match de tennis. Je vous laisse remplir les blancs en ce qui concerne l’affiche – ma culture, quoiqu’étendue, ne me permet pas de m’aventurer sur ce terrain-là. L’oncle comprend très vite et inscrit le garçon à l’école de tennis où il l’emmène, tous les mercredis, après la classe. Très vite, l’enfant fait des progrès et ses professeurs encouragent l’oncle à s’intéresser de près à ces progrès parce qu’ils pourraient être révélateurs de ce que l’on appelle le talent.

L’oncle promène l’enfant de centres d’entraînement en centres d’entraînement toujours plus prestigieux, puis vient le moment où l’enfant n’est plus un enfant et où la région de Naples n’est plus suffisante pour favoriser le développement de ses exceptionnelles capacités. On déménage à Milan. On sacrifie des choses. Mais dans le Nord, c’est une autre histoire. Les centres d’entraînement sont chers et, avec le flegme qui sied à l’aristocratie, on fait comprendre au pouilleux que son neveu n’est pas le bienvenu dans l’élite. Qu’à cela ne tienne : l’oncle, qui a du tempérament, formule une promesse : le petit Paolo deviendra un champion, même en dehors du circuit habituel. L’oncle, à son tour, se forme. Il apprend les rudiments du jeu et devient le partenaire attitré de son neveu, avec qui il joue tous les soirs en sortant du travail. Un jour, arrive le moment de mesurer les progrès effectué en inscrivant le garçon à un tournoi de quelque envergure. Il survole le tournoi avec une telle facilité que ses adversaires font des recours pour triche, pour dopage, pour usurpation d’âge. La machine est lancée.

L’oncle et le neveu continuent d’avancer. Un sponsor national accepte de financer leur matériel. Les années passent, et le neveu devient professionnel. Le syndrome du tournoi junior recommence : le petit déchiquète immédiatement la concurrence. Si bien que le sponsor ne peut pas suivre face aux assauts des grands groupes et que la même logique commence à prévaloir concernant l’entraîneur.

Des anciennes gloires approchent le jeune champion pour lui offrir leurs services, des personnels complémentaires – médecins, kinés, communicants – sont recrutés qui menacent l’oncle sur son terrain. L’oncle a peur. Il a peur de voir s’envoler tout ce qu’il a mis tant d’années et tant de détermination à construire. Il a peur d’être déçu, blessé même, et sait qu’un jour ou l’autre son poulain se présentera à lui, la mine de circonstance, et lui annoncera qu’il n’est plus son entraîneur ; que, s’il reste son oncle, il ne fait pour autant plus partie de son équipe, au sens strict du terme. Cette idée, l’oncle ne la supporte pas. Alors il réfléchit au moyen d’éviter qu’elle ne se concrétise. Qu’en pensez-vous, Loisel ?

– Je pense que c’est une bonne histoire, mais je doute que la fin soit vraie.
– Ce ne sont que des faits. Je ne pérore pas, moi ; je ne fais pas de suppositions. Andrea Belluci nous a raconté tout cela. Nous avons une première hypothèse de réflexion. Mais je ne suis pas persuadé qu’elle soit la bonne, qu’elle soit la clé de notre énigme.
– Que disait Belluci à l’entraîneur de Iejov, hier, près du musée ?
– Il parle d’une querelle à propos d’un sponsor. Selon lui, Iejov aurait fait pression sur la marque qui l’accompagne pour qu’elle s’écarte de Belluci. Iejov aurait menacé de rompre son contrat en cas d’arrivée de Belluci dans l’équipe. Or, toujours d’après l’oncle Belluci, les papiers étaient déjà signés et le matériel prêt à être porté par Paolo. Il faut savoir que c’est également Andrea qui gérait tout l’appareillage commercial de son neveu. Mais ce que vous m’avez raconté, à propos du dopage, éclaire cette scène d’un jour nouveau : et si Andrea Belluci avait profité de cette occasion pour faire chanter le clan Iejov ? Peut-être avait-il des preuves du dopage de Sergueï ? Auquel cas, tout devient clair : Belluci menace l’entraîneur de Iejov de tout révéler s’il n’arrête pas son petit jeu auprès du sponsor ; Iejov a peur. Pour faire taire l’oncle et détourner les soupçons de lui, il bourre Belluci de stéroïdes, le tue, trouve le moyen de l’abandonner sur le court, s’ouvre la voie vers la victoire et vaccine le tennis pour de longues années contre les affaires de dopage.
– Pour quelqu’un qui ne fait pas d’hypothèses, je trouve que vous en faites quand même pas mal.
– Les évènements commencent à s’imbriquer. Vous pourriez approcher Iejov ?
– Non : refus catégorique. Depuis l’histoire du sparring-partner au nez de boxeur, je crois qu’il privilégie la discrétion.
– Mais peut-être votre amie, cette chère Marlène…
– Marion.
– Cette chère Marion, pourrait-elle réussir à le faire bavarder ?
– Mettre une femme entre les mains de Iejov me semble aussi censé que de tuer un homme, d’appliquer ses doigts sur toutes les surfaces lisses présentes sur le lieu du crime, d’appeler la police, puis d’attendre son arrivée, couvert de sang, le pistolet à la main, en lisant dans un fauteuil un livre intitulé : « Réussir le crime parfait », tout en clamant son innocence.

Comparaison un peu longue, mais qui figure précisément mon sentiment.

– Nous verrons.
– De toute façon, je ne sais pas où elle est. Vous ne l’auriez pas aperçue ?
– Pas depuis ce matin.
– Et l’arme du crime ?
– Une raquette, c’est confirmé. Nous ne l’avons pas retrouvée. Notre meurtrier utilise « du boyau aux montants et du synthétique sur les travers ». Je n’ai aucune idée de ce que cela signifie, mais c’est scientifique.
– C’est une histoire de cordage. La plupart des joueurs utilisent un alliage similaire. Cela permet d’augmenter la précision quand on frappe à plat. Je crois que Belluci était l’un des rares à privilégier un cordage entièrement synthétique.
– Ce qui exclurait donc son oncle de la liste des suspects, à penser que le meurtrier, comme je le crois, a agi sur un coup de tête avec le matériel à sa disposition. M. de Meseray, vous pourriez me procurer les factures rédigées par les agents de cordage depuis le début du tournoi ?
– A l’intercom. Clothilde ?

Et, dix minutes plus tard, Clothilde fit irruption.

– Voilà, je les ai collectés. Vous verrez, il en manque un. Celui d’avant-hier. Je n’ai aucune idée d’où il a pu passer. C’est très important ? Parce que, par contre, j’ai le relevé de tous les joueurs qui ont déposé des raquettes à corder ce jour-là, si ça peut dépanner. Il est informatisé. Je n’ai simplement pas le détail des prestations. Je vous l’imprime ?
– S’il vous plaît.

L’imprimante gargouilla et le document en sortit. Nous le regardâmes, puis nous regardâmes tous, comme dans un western spaghetti. « Iejov, Butler, Belluci, Rosol, Cerny, Mankelevic » étaient mentionnés, entre autres joueurs de double et quelques noms connus du circuit féminin. Il ne manquait que Stern. J’éprouvai de la joie, une authentique, une remarquable joie. D’autant qu’une alerte de L’Équipe, dans laquelle je me plongeai discrètement, relatai la victoire en quatre sets accrochés du même Stern contre Romanov : je venais de briser la malédiction du sparring-partner porte-poisse.

– Adam Stern et Andrea Belluci sont, sous réserve de révélations complémentaires, disculpés : la liste se resserre. Il faudrait maintenant savoir qui a pu faire disparaître le relevé détaillé et surtout quand.

Je regardai ma montre.

– Merde, je vais être en retard.

Le sportswear vintage monte au filet

© Presse Sports

Cela n’aura échappé à personne : la mode est à l’athleisure, qui se traduit par une sophistication du style sportif. Aujourd’hui, on va à la salle comme au bureau, en baskets. Le sportswear et son successeur, le streetwear, s’invitent dans les dressings les plus chics : il n’est plus incongru de porter des sneakers avec un costume bien taillé pour aller bosser, pas plus que de sortir en pantalon de training à bandes ou en survêt satiné. Mais attention, si cette tendance est nette, il s’agit de rester chic en arborant les logos ad hoc. De nombreuses marques historiques du tennis exploitent le filon, à l’image de Fila et son nouvel ambassadeur Björn Borg. Petit tour d’horizon du retour vers le futur des marques du passé.

 

En éternel balancier qui revisite les musts passés, la mode ressort régulièrement des pièces du placard. Les équipementiers sportifs suivent le mouvement en revisitant leurs classiques. Depuis quelques saisons, les années ‘80 et ‘90 s’invitent au sommet de la hype, amorçant le retour des bombers, des tee-shirts amples et des sweats à capuche barrés de logos ostentatoires et autres jeans taille haute, délavés neige ou non. On annonce même le retour des Buffalos pour compléter le tout.

Il en va de même sur et en dehors des terrains de tennis. Sergio Tacchini, Diadora, Fila, Ellesse ou Le Coq Sportif, des marques iconiques du sport, un temps reléguées aux oubliettes, profitent de cet attrait de nos années collège pour séduire les jeunes et moins jeunes en quête de cool, loin des sentiers trop battus par Nike et Adidas.

Comme dans les années ‘90, ces marques de sportswear imprègnent la culture pop, hip-hop et street. Le groupe TLC hier, comme Beyoncé ou Rihanna aujourd’hui s’affichent par exemple en Fila. Et dès 12 ans, on vendrait père et mère – étonnés de ce revival – pour avoir des baskets siglées de la marque italienne. Par ailleurs, toutes surfent sur la vague du vintage classique ou fluo, avec des collections aussi modernes que nostalgiques.

Outre l’attrait pour ce qui différencie, ce grand retour de marques évanouies a pris son véritable élan en 2016 lorsque le styliste Goscha Rubchinskiy les a affichées au Pitti Uomo, grand-messe du chic masculin à Florence. « Jusque-là, ces équipementiers s’étaient peu aventurés du côté de la mode et c’est ce qui fait qu’ils ne sont pas « usés » par les multiples rééditions. Mieux encore, Rubchinskiy a su leur redonner l’attrait de la nouveauté », confiait en juin dernier au Figaro Guillaume Steinmetz, cofondateur de la boutique multimarques parisienne The Broken Arm. Voici comment les équipementiers ont saisi la balle au bond.

cash (pat)

FILA 

La marque fondée en 1911 dans le Piémont par les frères Fila a connu son heure de gloire avec Björn Borg et, dans une moindre mesure, Boris Becker qui portaient haut sur les courts son logo bleu blanc rouge. Comme souvent dans l’histoire de l’équipement sportif, les rappeurs français ou américains comme P.Diddy, LL Cool J ou Tupac (et ses mythiques Fila 96GL) s’en sont emparés pour en faire une icône du streetwear. Après avoir chaussé et habillé des générations de jeunes cools dans les années ‘90, la marque a pourtant fini par disparaître des radars au tournant du millénaire. Avant d’effectuer son grand retour dans les années 2010.

Rachetée 450 millions de dollars en 2007 par un groupe sud-coréen, la marque de sport italienne est revenue sur le devant de la scène en rééditant ses plus grands succès, dont la Disruptor à semelle crantée, très recherchée des fashion victims. La collection Héritage, quant à elle, rend hommage au passé désirable de la marque avec des survêts, bonnets, sweats, salopettes, casquettes, jupettes et baskets siglés du logo d’origine qui affiche plus ou moins sobrement son initiale ou se placarde en toutes lettres. 

En 2015, Fila concluait une collaboration avec Urban Outfitters nommée « Wes Anderson inspired », du nom du cinéaste américain trendy. Parmi les modèles, on retrouvait la mini-jupe plissée de tennis, notamment. Derrière cette stratégie marketing soigneusement orchestrée, l’objectif de Fila était de se faire connaître auprès d’une clientèle trop jeune pour avoir connu sa grande époque. Un retour dans le sport et la mode soigneusement orchestré et affirmé en 2018 au travers d’un nouveau partenariat avec Björn Borg comme ambassadeur de la marque. Près de 40 ans après sa (dernière) victoire à Wimbledon lors d’un duel d’anthologie face à John McEnroe, Fila a d’ailleurs réédité son célèbre bandeau.

 

Sergio Tacchini

À la fin de sa carrière de tennisman international, Sergio Tacchini fonde à Florence une marque de vêtements à son nom, comme René Lacoste et Fred Perry avant lui. Le Transalpin est le précurseur de la couleur sur la tenue des joueurs de tennis, alliée à l’élégance italienne. Le 5 juillet 1980 est une date mémorable de l’histoire du tennis. Borg et McEnroe s’affrontent lors du match des géants, et à travers eux deux équipementiers phares : Fila, partenaire du placide Suédois, et Sergio Tacchini, sponsor du nerveux Américain.

Autre icône transalpine des courts de tennis et des cours de récré dans les années ‘90, la marque éponyme du joueur italien a également périclité au crépuscule du siècle dernier. Au bord de la faillite, la marque est rachetée en 2008 par le Chinois Ngok Yan Yu. Il investit personnellement 27 millions d’euros pour récupérer les actifs de Tacchini, injecte ensuite 33 millions pour relancer la marque et promet d’ouvrir 200 magasins. 

Tacchini doit également son salut à l’attrait des années ‘90 exploité par le styliste Gosha Rubchinskiy. Lors de son défilé printemps-été 2017 à Florence, il dépoussière les enseignes italiennes (Fila, Kappa, Tacchini) : cette association « moitié bitume, moitié haute couture » tapera dans l’œil des fashionistas. À peine mise en vente, l’édition limitée du designer russe était aussitôt épuisée.

Côté court, Tacchini, longtemps associé, au fil des générations, aux pointures du tennis (Jimmy Connors, John McEnroe, Pat Cash, Pete Sampras, Novak Djokovic) refait une timide incursion sur les circuits masculins (Müller, Klizan, Robredo) et féminins (Strycova, Makarova, Bondarenko).

Ellesse

Née en 1959 à Pérouse, Ellesse doit son nom aux initiales de son fondateur, Leonardo Servadio. Il n’était pas joueur professionnel, mais grand amateur de tennis et choisit donc comme logo une moitié de balle. C’est pourtant par ses tenues de ski que l’homme d’affaires s’est fait connaître à la fin des années ‘60, avec un pantalon stretch technique et performant. Au début des années ‘80, il conquiert les courts en embarquant avec lui des légendes du tennis comme Boris Becker, Chris Evert et Guillermo Vilas - sans oublier les circuits de Formule 1, avec Alain Prost.

Reine du sportswear dans les années ‘90 comme ses compatriotes Fila ou Sergio Tacchini, la marque est aussi tombée progressivement dans l’oubli avant d’être reprise par le groupe britannique Pentland et de connaître un nouveau souffle à la faveur du retour du vintage sportif.

 

Le Coq Sportif

Fondée en France en 1882, la marque au drapeau tricolore rehaussée d’un coq chantant était au départ une marque de bonneterie, reconvertie dans le sport en 1920. L’équipementier devient célèbre en habillant les coureurs du Tour de France, l’équipe de France de rugby, l’équipe mythique de l’AS Saint-Étienne, l’Argentine de Maradona championne du monde en 1986, mais aussi Yannick Noah lors de sa victoire à Roland-Garros en 1983. Comme la Stan Smith, l’Arthur Ashe du Coq Sportif porte le nom d’un joueur de tennis que seuls les puristes identifient encore comme tel, et pas seulement comme un modèle de baskets mythiques ou le court central de l’US Open.

Dans le giron d’Adidas depuis 1974, l’entreprise française périclite à la fin des années ‘90 face à la concurrence mondiale. C’est le rachat en 2005 par le fonds suisse Airesis qui va accélérer son retour au premier plan. La marque bénéficie également du développement du sportwear en entreprise. Ainsi, selon une étude de Kantar, les ventes de chaussures de sport ont bondi de 32 % en 5 ans. à l’inverse, les volumes de ventes de costume ont chuté de 40 %, ceux de la cravate de 38 % et des escarpins de 9 %.                                                    

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

Courts avec vue

© Archives Monte-Carlo Country Club

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un ciel bleu azur surplombant les eaux turquoises d’une Méditerranée encadrée par des rochers ? La même vue, en y ajoutant l’ocre ardent de la brique pilée, embrassée par d’implacables lignes blanches. C’est dans ce cadre idyllique du Monte-Carlo Country Club que se déroule depuis 1928 l’un des tournois les plus prestigieux et glamour, qui ouvre la saison européenne sur terre battue et reste une étape privilégiée avant Roland-Garros, attirant chaque année une bonne partie du top 10 mondial. 

 

Pendant onze mois de l’année, le club centenaire Monte-Carlo Country Club – dites MCCC (sans oublier un C) si vous êtes pressés – permet à ses deux milliers de membres de jouer sur 23 courts (21 en terre battue, deux en dur) avec vue sur mer, dans un cadre huppé mêlant distinction et tradition. Le club-house est panoramique, l’endroit couru et la tenue blanche de rigueur. 

Mais la modernité se cache ailleurs. Le club mythique a une dynamique moderne et tournée vers l’avenir : ainsi d’importantes transformations et modernisations sont régulièrement offertes à ses affiliés, pendant que les travaux de rénovation et d’expansion sont menés tambour battant.

La terre battue est choyée et renouvelée avec méticulosité. Le club accueille d’ailleurs régulièrement des joueurs professionnels, pour certains résidents monégasques, comme Novak Djokovic (qui possède d’ailleurs son propre restaurant végétarien dans la Principauté), David Goffin ou Grigor Dimitrov. Avant eux, Nastase, Borg,
Becker, Ivanisevic ou Safin avaient été séduits par les charmes ensoleillés et la fiscalité accommodante de Monaco.

 

Des toits

Des vestiaires leur sont réservés à l’écart de ceux des autres membres du club. Ce qui n’a pas toujours été le cas : à une époque encore dans les mémoires, les casiers devaient se vider pour laisser place aux professionnels. Le panorama non plus n’a pas toujours été aussi somptueux. 

En 1893, le « Lawn Tennis de Monte-Carlo », sa première appellation, est construit sur le toit des caves à vin de l’Hôtel de Paris. Il comprend deux courts en terre battue et un terrain de croquet. C’est là, en 1897, que se déroule la première édition du tournoi monégasque, chez les hommes comme chez les femmes. Il n’en existe alors que neuf autres à travers le monde. 

C’est aussi la grande époque des frères Doherty. Nés à Wimbledon, ils dominent le tennis mondial et remportent à eux deux toutes les premières éditions de la compétition jusqu’en 1906, demeurant encore aujourd’hui parmi les plus titrés : quatre pour Hugh (le cadet) et six pour Reginald, en deuxième place derrière… Nadal et ses dix titres.

Cette même année 1906, sont inaugurés trois courts et un terrain de croquet à La Condamine, deuxième port d’attache pour le club monégasque. L’Hôtel de Paris, aujourd’hui cinq étoiles, souhaitait en effet s’agrandir, obligeant les amateurs de tennis à se rediriger vers ce quartier commerçant, qui accueille aujourd’hui l’arrivée et le départ du Grand Prix de Monaco. Le Néo-Zélandais Anthony Wilding survole alors les débats avec cinq titres au total (troisième joueur le plus titré du tournoi).

Après une pause forcée de quatre années durant la Première Guerre mondiale, Suzanne Lenglen y fait une entrée fracassante en remportant sa première finale 6-0, 6-0 contre la britannique Doris Wolfson. Entre 1919 et 1926, elle comptera onze finales pour onze victoires à Monte-Carlo. Elle jouera même en double avec le roi de Suède Gustave V, sous le pseudonyme de Mister G., grand amateur de tennis et fondateur du premier club de son pays. Elle sera aussi indirectement déterminante dans l’histoire du futur MCCC. 

 

Et encore des toits

Mais avant cela, le quartier commerçant de La Condamine aussi a besoin d’espace et dès la fin de la guerre, pousse le club vers un autre toit. Celui du garage « Auto-Riviera », adjacent des jardins de l’Hôtel-pension de La Festa où l’on trouve déjà deux courts de tennis, sis rue des Roses, Beausoleil. Derrière ces odeurs de vacances, cette jeune commune des Alpes-Maritimes, limitrophe à Monaco, avait été créée en 1904 suite à la pression immobilière qui s’exerçait sur Monte-Carlo, notamment grâce au tourisme et au jeu.

Trois courts, quelques tribunes, des murs d’entraînement et un club-house y sont inaugurés le 21 janvier 1921, cette fois sous le nom de « La Festa Country Club ». C’est le début des années folles, la croissance économique est à son comble. Des personnalités de nombreux pays viennent passer leurs vacances sur le Rocher et une Française domine un tennis mondial qu’elle finira par révolutionner : une certaine Suzanne Lenglen, dans sa légendaire tenue signée Jean Patou. Mais quand un riche mécène américain observe la « Divine » sur la terre battue monégasque, il estime que ce club n’est pas digne de la première vedette féminine de ce sport encore amateur. « Il lui faudrait un écrin à la hauteur de son statut de star et non pas le simple toit d’un garage », aurait déclaré George Pierce Butler. Nous sommes en 1925. La 25e édition du tournoi qui se déroule cette année-là restera inachevée et ne connaîtra jamais de vainqueur, alors que Butler entreprend de convaincre la Principauté. 

© Archives Monte-Carlo Country Club

Des terrasses

Mission réussie : sur quelques hectares de terrains de la commune française de Roquebrune-Cap-
Martin, s’occuperont bientôt jour et nuit plus de 1 500 ouvriers pour ériger des bâtiments Art déco dessinés par le célèbre architecte Charles Letrosne. Et sur un terrain abrupt peu accueillant, les fameuses terrasses surplombant la Méditerranée. Deux ou trois courts habillent chacune d’elles, séparées par des cyprès ou des pergolas fleuries.Vingt au total, dont douze pour la compétition. L’inauguration a lieu en février 1928, le Français Henri Cochet est le premier à y remporter la victoire, avant de prendre dix mois plus tard le nom actuel de « Monte-Carlo Country Club ». 

La Deuxième Guerre mondiale donne un coup d’arrêt de six ans à la compétition et en 1947, le Suédois Lennart Bergen s’impose chez les hommes quand l’épouse de George Butler et sa fille Gloria sont de retour à Monte-Carlo. Elles s’échinent alors à inviter les meilleurs joueurs du monde entier et à donner une aura de fête au tournoi. Avec notamment, dès 1951, cette idée impensable aujourd’hui : le « Gloria Butler Show », une folklorique « soirée des joueurs ». Pendant 21 ans, Gloria Butler imaginera des sketchs interprétés par des joueurs déguisés, dans des décors de cabarets. Après une longue pause de 1975 aux années ‘90, le mercredi de la semaine de compétition verrait encore aujourd’hui les champions se prêter au jeu, si l’on en croit le directeur du tournoi. « à mon époque, on se limitait à chanter ou à danser le french cancan. Désormais, tous les tics des uns et des autres sont repérés. Novak excelle dans les parodies, aussi bien celle de Borg que de McEnroe. Et quand les joueurs imitent Nadal en train de tirer sur son short, c’est à tomber par terre ! » expliquait Zeljko Franulovic au journal Le Monde en 20151.

 

L’ère Open

Grâce aux investissements et à la créativité de la fille Butler, le tournoi préserve son prestige. Le cadre demeure idyllique, de nombreux étrangers, notamment américains, font le voyage pour assister aux matchs. Mais c’est le début de l’ère Open qui donnera le dernier élan nécessaire. 1968 marque la fin des « tournois amateurs », avril 1969 sera le premier Open monégasque avec un « Men’s Single First Prize » à 12 000 francs français (soit moins de 2000 euros). Un certain Zeljko Franulovic remporte l’édition suivante… il en est le directeur depuis 2005. Nastase soulèvera la coupe l’année d’après, avant Vilas (qui affrontera Connors dans une finale jamais terminée pour cause de pluie en 1981), Borg, Wilander… La route des années ‘80 est glorieuse, bien accompagnée par les retransmissions télévisées. L’engouement est certain, mais la place est aussi réduite sur les terrasses : le tournoi féminin passe à la trappe en 1979. 

Les années ‘90 le confirment : avant Roland-Garros, Monte-Carlo reste la meilleure préparation, dans une ambiance jet-set autour d’une famille princière très médiatique. Il faut aussi y être vu, quand on est simple spectateur, quitte à écorcher la vue. Le succès engloutit les tribunes face à la mer dans un attelage installé le temps du tournoi sur l’entièreté des terrains autour du central. Les meilleurs spécialistes s’y imposeront (on pense évidemment à Sergi Bruguera ou encore Thomas Muster), tandis que d’autres grands noms – comme Boris Becker et même la légende Federer – ne parviendront jamais à s’y imposer.

En 2007, un an après l’arrivée de Rolex dans le nom et sur les bâches, coup de chaud sur le Rocher. L’ATP pense à déclasser Monte-Carlo et lui ôter le statut de Master Series, à la recherche d’une place de choix pour Shangaï et le marché asiatique. Les joueurs poussent de la voix, Nadal et Federer (à qui le trophée a toujours échappé mais à qui aussi le casier numéro 1 est réservé) en tête. Le tournoi est maintenu et même élu par les joueurs « meilleur ATP Masters Series de l’année 2007 ». Mais contrairement aux autres tournois de la même catégorie, les trente meilleurs joueurs mondiaux ne sont pas obligés d’y participer. Le climat, la vue, le prestige et l’expertise du club sont de bons incitants. Comme le prize money de la compétition. En 2017, devant les désormais 10.000 spectateurs du court central, rebaptisé deux ans auparavant Court Rainier II, Nadal a remporté la 111e édition du tournoi de Monte-Carlo et 820 035 euros. Il y a soulevé sa 10e coupe monégasque, toujours remise par un membre de la famille princière.            

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

1 Lemonde.fr, « Jet-set et match à Monte-Carlo », avril 2015

Tinker Hatfield

et le tennis, au-delà des lignes

Si un nom doit symboliser la culture « sneaker », c’est celui de Tinker Hatfield. À 69 ans, il reste le designer star de Nike depuis plus de 30 ans, quand la firme n’était encore qu’un petit outsider dans le monde du sport. On lui doit, entre autres, les Jordan les plus cultes, les Air Max, les Huarache et des dizaines d’autres modèles qui ont traversé les époques et sorti les « baskets » des stades pour les installer dans la ville et la culture populaire. Parmi celles-ci, les fameuses « auto-laçantes » de Retour vers le futur II mais aussi des icônes du tennis, entre innovations esthétiques et technologiques. 

 

L’histoire de Tinker Hatfield est liée à la rupture. Des codes ou du corps. Au « disruptif », dirait-on aujourd’hui. À l’accident, provoqué ou subi. Athlète et perchiste de haut niveau, la voie vers les médailles olympiques semble toute tracée pour le jeune Hatfield. Mais en 1976, l’étudiant de 24 ans à l’université de l’Oregon se blesse et les rêves professionnels s’envolent. Le sportif se découvre alors d’autres talents. « Tout le monde me voyait remporter des médailles aux JO… Mais en me blessant, j’ai perdu la capacité d’être aussi performant. J’ai donc dû me concentrer sur autre chose. À l’époque, je ne savais pas que j’avais un don artistique, que je savais dessiner. Je l’ignorais jusqu’à ce que je change de cap. On peut donc dire que l’accident a été bénéfique, parce que ça m’a aidé à me recentrer sur le design et l’architecture. Je n’aurais pas choisi d’avoir cet accident, mais de nombreuses façons, cela m’a aidé à comprendre ce que c’est qu’être diminué. »1 

L’histoire commence mal mais, outre la volonté, la chance n’est pas loin. Si c’est dans l’Oregon que grandit Hatfield, c’est aussi là que la toute jeune firme Blue Ribbon Sports prend ses marques. Si ce nom ne vous dit rien, un indice : elle est rebaptisée Nike en 1971 (en hommage à Niké, la déesse grecque de la victoire ). Derrière le désormais célèbre swoosh − la virgule logo de la marque − deux fondateurs : Phil Knight et Bill Bowerman, deux mentors pour Hatfield. Ce dernier, cordonnier à ses heures perdues, était même son coach. « Il m’a appris la stratégie, la vision à long terme. À travailler dur mais de manière intelligente. À me détendre aussi. (…) Je veux dire : ne dessine pas que des chaussures. Apprends la complexité d’autres disciplines du design comme l’architecture, les voitures, les jouets… peu importe. Je n’ai jamais vu de travail vraiment unique sur une nouvelle sneaker venant de quelqu’un qui ne connaît que les chaussures. (…) Nous sommes tous influencés par les choses cool du monde entier. J’aime penser que quand je m’assieds pour dessiner, ce qui en ressort, c’est l’accumulation de tout ce que j’ai vu ou fait dans ma vie. Et je suis un bon observateur. J’essaie de sortir et de voyager. » 

Avant cela, il rejoindra son ancien coach chez Nike, dès 1981. D’abord en tant qu’architecte, pour dessiner des magasins et des bureaux. Quatre ans plus tard, des chaussures. Et en 1988, sa Jordan III au mythique imprimé éléphant convaincra le basketteur des Bulls de rester chez Nike, pour ce qui restera la collaboration la plus florissante entre une marque et un sportif. 

Si l’on pense Hatfield, on pense d’ailleurs Jordan. Ce n’est sans doute pas un hasard si, en français, on ne dit pas sneaker mais basket. Ou, tennis, si on a le verbe plus désuet. Ça tombe bien : l’homme a aussi dessiné des modèles emblématiques dédiés à la pratique du tennis. Souvent liés à des ruptures, au sens large. « Je pense que beaucoup de nouvelles idées viennent d’accidents. Je pense que les échecs ou les accidents vous poussent à faire plus d’efforts. Et parfois les planètes s’alignent. »2 Les planètes prennent aussi le nom des plus grands champions.

© Nike

Air Trainer 1 (1987)

Si elle n’est pas restée la plus célèbre pour le grand public, elle est une révolution : la Air Trainer 1, propulsée par McEnroe sur les courts (et dans les téléviseurs). Révolution parce qu’elle tranche radicalement avec les tennis qui foulent habituellement la terre battue ou le gazon. Aussi, parce qu’elle a été pensée comme une cross-trainer, la première du genre. Inspirée par les casiers de salles de gym remplis d’au moins deux paires de basket, selon que l’on coure ou que l’on pousse de la fonte, Hatfield se met en tête de dessiner une chaussure pensée pour une pratique multi-sports, et ainsi minimiser le risque de blessures. Résultat, la Air Trainer 1 embarque la récente innovation « air », des côtés renforcés, une coupe plus haute et un talon à mi-chemin entre les sneakers de basket de l’époque (8 mm) et celles de course (12 à 15 mm). Des joueurs de la NBA l’adoptent, ainsi que le célèbre Bo Jackson au baseball, entre autres. 

« Pendant qu’on finalisait la Air Max, j’ai réalisé que les gens ne portaient jamais de chaussures adaptées. Ils jouaient au basket avec des chaussures de running ou couraient avec des chaussures de basket. Ils se blessaient, se tordaient la cheville… J’ai voulu y remédier et ça a donné la première polyvalente de Nike, la première cross-trainer. Il fallait de la stabilité sur les côtés, et il y avait un velcro au milieu pour tenir le pied. Cela permettait de faire plusieurs sports en les gardant aux pieds. »3 C’est aussi l’époque où John McEnroe décide de reprendre sa raquette après six mois de pause.

En 1986, McEnroe veut retourner sur les courts et contacte Nike car il est à la recherche d’un nouveau style de chaussures ; après la célèbre Mac Attack, qui faisait déjà un joli pied de nez au blanc de l’époque avec ses tons gris. 

L’histoire raconte qu’un prototype de la Air Trainer 1 lui est envoyé un peu par hasard parmi d’autres modèles, sans que Hatfield ne soit au courant. « Parmi tout ce que Nike m’a envoyé, il y avait ces chaussures, un peu de côté. Et finalement, c’était les meilleures. Quand j’ai mis la Air Trainer 1, j’étais genre désolé les gars mais c’est la bonne. On doit y aller avec ça, on doit aller à contre-courant », racontera McEnroe. « De ce que j’avais compris, c’était juste un prototype que Nike n’allait pas nécessairement produire. Ça n’avait rien à voir avec le tennis mais je les ai trouvées parfaites et d’une certaine manière, ça m’a lancé sur la route du succès. »4 Ne suivant pas les recommandations de la marque qui ne les estimait pas prêtes à faire leur entrée sur un court, McEnroe le rebelle gagne ses deux premiers tournois avec les tout aussi rebelles Air Trainer aux pieds. Et refuse de les rendre. Il en demande même plus. Elles prendront des teintes vert chlorophylle et gris argile. « Je n’en revenais pas, je ne savais pas qu’il allait les porter. Personne ne le savait. Il n’était pas censé le faire : il l’a juste fait », s’enthousiasme toujours Hatfield. 

Les retransmissions télévisées des matchs et les publicités surfant sur l’image rentre-dedans de McEnroe catapulteront la Air Trainer 1 en-dehors des stades et au top des ventes. Malgré son aspect très novateur pour l’époque, qui rebutait une partie du public mais qui intriguait aussi, avec son « scratch ». « On a mis fin à un certain modèle qui perdurait dans le design des chaussures de sport (…) », explique Hatfield. « Celles pour le basket étaient trop hautes, tandis que les sneakers basses semblaient dépassées et peut-être trop petites », disait encore McEnroe. « Les gens combattent ce qu’ils ne comprennent pas », affirme le créateur, « comme les designs un peu trop différents de ce à quoi ils sont habitués. Mais pour créer l’enthousiasme, attirer l’attention et amener des découvertes en termes de performance, il faut s’imposer. Et les gens finissent par dire : c’est une idée brillante. (…) C’est ce que je fais, c’est mon travail. Je me souviens avoir parlé à ma femme après ça et lui avoir dit je pense que ce travail va me plaire, si j’arrive juste à dormir un peu.»5

© Nike

Air Tech Challenge II (1990)

Quand il définit son travail, Tinker Hatfield se dit aussi storyteller. Un raconteur d’histoires, autour d’un objet de désir. C’est d’ailleurs là tout l’apport du designer : de la chaussure pensée « juste pour protéger » (dans le pire des cas) à l’idée unique de performance (dans le meilleur), l’Américain, lui, y apporte une dimension narrative. Quand il imagine la Air Max 1, c’est le centre Pompidou et sa tuyauterie apparente qui inspire la bulle d’air visible ; quand il dessine le V de la Jordan V, c’est avec les avions de la Seconde Guerre mondiale en tête… 

Et si dans le tennis, McEnroe était une histoire de rupture à lui tout seul par son comportement colérique peu habituel sur un court de tennis, André Agassi en est une encore plus originale. Plus transgressive encore, au moins du côté vestimentaire : « Un bon design est fonctionnel. Un excellent design transmet un message. En 1988, Agassi est en passe de devenir une star du tennis. Il avait 18 ans et je n’avais jamais entendu parler de lui. Je suis allé à Las Vegas et on a passé un peu de temps ensemble. Il avait les cheveux longs derrière, genre long mulet. Il était jeune et fougueux, différent des joueurs de tennis avec qui j’avais collaboré. Il jouait d’une nouvelle manière. Il attaquait en fond de court en frappant le plus fort possible. J’ai commencé à travailler avec l’idée que ce jeune joueur n’avait pas grandi dans un country club, tout de blanc vêtu. Rien chez lui n’évoquait le tennis. On lui avait aussi dessiné un short en jean avec un lycra dessous… C’était vraiment censé être de l’antitennis. J’ai même inventé le terme anti-country club. Car il ne s’agissait pas seulement du design des chaussures : avec un joueur qui a la bonne personnalité, on peut remettre en cause l’image même d’un sport tout entier. »6

Un personnage atypique et télégénique qui donnera à Nike tout le loisir d’en jouer avec la publicité, et à Hatfield de lui proposer, en plus d’un équipement complet du même acabit, un modèle encore plus à contre-courant des conventions stylistiques. Signé chez Nike dès 1986, le « Kid de Las Vegas » débute avec les mêmes Air Trainer 1 que McEnroe. Pas assez funky. On n’avait pas encore vu de rose à Wimbledon, on en voyait même encore peu sur les hommes, en 1991. Agassi, lui, portera fièrement la haute Air Tech Challenge II, avec le coloris hot lava rose fluo inspiré par sa force de frappe, la bulle d’air visible dans le talon, et dessinée pour avoir l’air d’aller encore plus vite que la réalité. Un classique du genre qui symbolise à elle toute seule le début des années ‘90.

Un style qui convient aussi aux cours d’école, qui l’adoptent, y voyant une alternative aux Jordan. Même si Agassi lui-même affirmait lors d’une réédition en 2014 n’avoir jamais osé la porter en-dehors des compétitions par crainte de « trop attirer l’attention ». Ce qui tranche avec son attitude provocatrice sur un terrain, lui qui les « aimait parce que ça énervait les gens ». 

Nike continuera à s’amuser grâce à Agassi et creusera à la fois son design irrévérencieux pour des courts de tennis et des technologies de pointe.
La Air Tech Challenge III dispute à son aînée le titre d’Agassi la plus emblématique de la gamme avec sa fameuse balle en flammes sur le talon, quand la quatrième et dernière du nom − appelée plus communément La Agassi − arbore fièrement des coloris mauves, rouges et orange sous acide qui ne dépareillaient pas avec les training « parachutes » de l’époque. Et sans swoosh, pour préfigurer la suite.

 

Air Huarache Challenge (1992)

Souvent moquée ou oubliée, la Huarache − du nom d’une sandale mexicaine, et même maya si l’on en croit le storytelling de la pub de l’époque − est l’un des modèles les plus innovants signés Hatfield, présentée lors de sa première version en 1991 comme « un changement radical de la conception de la chaussure classique ». 

Inspiré par des bottes en néoprène qu’il portait lors d’une session de ski nautique, le designer imagine des sneakers aussi souples et légères que des chaussettes, ou presque. On retrouve donc du néoprène pour le confort, le fameux caoutchouc pour assurer de la stabilité et quelques pièces de cuir sur le côté et au bout du pied. À quoi s’ajoute évidemment le coussin d’air, et, détail non négligeable, où le swoosh se retrouve écarté. 

Une nouvelle rupture des codes à laquelle personne ou presque ne croit chez Nike et pourtant, c’est un succès fulgurant. Chez les coureurs, à qui la première version était destinée, et chez les autres, grâce à des versions adaptées aux autres sports. Dont la Challenge, aux pieds d’Agassi. Modèle hybride entre la Huarache et la Tech Challenge, avec des coloris à peine plus sobres. Son côté confortable séduisait les sportifs en dehors des stades et son côté hybride a fait dire aux spécialistes qu’elle est un mélange entre la Jordan VII, la Tech Challenge et la Air Resistance. 

© Nike

Air Zoom Oscillate (1996)

Le meilleur ennemi d’Agassi durant toute la décennie ‘90 était aussi son parfait contraire, dans le jeu et l’attitude. L’élégance classique cimentée par un service-volée offensif imposera Pete Sampras au top du tennis mondial et au bilan des confrontations avec son compatriote plus farfelu (20 victoires à 14). Et c’est avec les Air Oscillate aux pieds que l’Américain gagnera notamment quatre Wimbledon de suite, de 1997 à 2000. 

Car Sampras n’est pas du genre à changer pour le plaisir. Il est sans doute l’un des rares qu’il ait fallu convaincre de porter des chaussures imaginées par Hatfield. Pas parce que ça ne lui plaisait pas, mais parce que celles qu’il portait, les Air Max2 Sweep, lui convenaient. Pourquoi changer alors ? 

La légende raconte que le designer avait défié le tennisman au basketball et, faute de chaussures adéquates, lui offrit malicieusement une nouvelle paire de sneakers pour le match. Pete apprécia le confort et la réactivité de l’Oscillate et l’adopta dès le début de la saison 1997. Pour le reste de sa carrière. Minimale, discrète (on passera sous silence la version noire à semelles rouges) mais fiable, comme le champion.

 

Zoom Vapor 9 Tour (2012)

Après McEnroe, Agassi et Sampras, c’est avec Roger Federer que Tinker Hatfield tutoiera à nouveau l’excellence dans le domaine du tennis. Et travaillera étroitement avec l’un des plus grands sportifs de l’histoire, comme il l’avait fait avec Michael Jordan. « La Vapor 9 était une excellente chaussure dès le début », expliquait Federer lors de la sortie de la Vapor X. « Tinker a réalisé un excellent travail en comprenant précisément ce que je recherchais : une combinaison entre une chaussure de tennis et une chaussure de course à pied. » 

Comme la Oscillate de Sampras, elle ne dépassera pas son statut de sneaker de tennis. Mais elle respire la technologie et la maîtrise, en s’adaptant au pied pendant qu’il bouge, entre confort et protection.

Roger est aussi un sneakerhead, régulièrement photographié avec d’autres modèles aux pieds, en rue ou lors de matches d’exhibition. À chaque nouveau sacre à Wimbledon, sa Vapor est customisée avec le nombre de ses victoires. Et quand deux monstres sacrés du sport mondial se rencontrent sous la houlette du plus grand designer de chaussures de sport, cela donne l’inespérée Vapor AJ3. Soit Federer qui rencontre Jordan pour un heureux mélange entre la Zoom Vapor 9.5 et la Jordan III. Régulièrement rééditées depuis dans d’autres versions, le Suisse les portera pour la première fois durant l’US Open 2014, où il s’inclinera en demi-finale. Mais il aura fait tourner les têtes des amateurs de sneakers, et en imposant indirectement la silhouette de Michael Jordan sur des courts de tennis, les conventions ont à nouveau été bousculées. Le champion aura aussi rappelé l’essentiel : que l’on parle de basket ou de tennis, le point commun s’appelle Hatfield.                    

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018

 

1-2 Clique x Tinker Hatfield, octobre 2017

3 Abstract : The Art of Design (épisode 2), février 2017

4 Esquire, mai 2015

5 Abstract : The Art of Design (épisode 2), février 2017

6 Abstract : The Art of Design (épisode 2), février 2017