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Le Raqball 

un nouveau sportcomplet-mentaire

© Raqball

Il faut plus qu’un mot-valise pour créer un nouveau sport. Ladies and gentlemen, voici le Raqball, de raquette et de ball qui, pour les moins anglophiles d’entre nous, signifie balle. Raqball, donc, sport collectif de raquette, qui ne se contente pas de recombiner des règles préexistantes mais s’affiche bien comme un sport à part entière ayant vocation à se développer et à séduire son propre public. Bien plus qu’un mot-valise, donc. Bonne nouvelle. 

C’est à Chris Oven, un artiste passionné de sport, que l’on doit sa création, avec comme idée originelle de créer un sport collectif de raquettes qui dépasse le simple cadre du double ou des matchs en équipe. Remettre le divertissement au cœur de la pratique sportive, et favoriser le développement du lien social par l’effort physique : Chris Oven imagine alors un sport où deux équipes évoluent avec une raquette dans la main et une balle. Elles interagissent en se faisant des passes ou en dribblant afin d’atteindre une cible par un tir. Le Raqball est présenté pour la première fois en 2013 à Valbonne, mais son développement ne fait que commencer puisqu’il faut attendre 2021 pour que son lancement soit officialisé.

 

Un sport complet,fun et facile à appréhender

Le Raqball est un sport qui s’appréhende sans mal et où le plaisir est presque immédiat. Pour peu que l’on ait pratiqué un autre sport de raquette et que l’on se soit remis des fêtes de fin d’année sans triple pontage coronarien, on s’amuse dès la prise en main, ce qui est une force pour tous ceux qui essaient désespérément d’associer leurs enfants à leur passion pour le tennis et se heurtent à un désintérêt généré avant tout par la frustration qu’ils ont de ne pas réussir à faire passer la balle de l’autre côté du filet alors que le filet, lui, il faut le passer à la fin de l’heure pour peu qu’on soit sur terre battue. Là, les deux équipes de six joueurs (trois titulaires et trois remplaçants) s’affrontent sur un terrain standardisé de 10 mètres sur 20 au cours de matchs brefs et intenses, découpés en 4 périodes de 5 minutes. Pas le temps de s’ennuyer : c’est rapide, physique et fun. 

C’est là un des plus du Raqball : le sport est intergénérationnel, mixte, sans contact (coucou la pandémie), adapté à tous les publics et aux personnes en situation de handicap. On peut donc y jouer en famille ou entre compétiteurs chevronnés, l’envisager comme complément sportif au tennis ou à d’autres disciplines sportives ou décider de devenir champion du monde de Raqball pour compenser sa frustration de n’avoir pas terminé sur le podium du concours kangourou en CM2. C’est aussi un sport complet qui associe de la dextérité, de la technique et sollicite la motricité. Pour résumer : un sport complet et adaptable à toutes les pratiques. 

 

Un développement au côtédes sports traditionnels

Si le Raqball a vocation à devenir un sport à part entière, il mise aussi sur les clubs de tennis, de padel et d’autres sports pour accélérer son développement. Parce qu’il mobilise l’adresse, la précision, l’intensité et nécessite la mise en œuvre de stratégies concertées, le Raqball peut tout à fait s’envisager comme un sport d’accompagnement à la performance qui favorise également le travail des appuis, le cardio, la précision dans l’effort et la vision périphérique. Comme l’explique Samia Medjahdi, directrice du club de tennis La Raquette, à Villeneuve-d’Ascq, « le Raqball est une activité ludique qui permet de travailler des points-clés techniques, tactiques et physiques. » Le club propose cette activité en animations pour la découverte du tennis et dans le cadre d’entraînements physiques chez les tennismen aguerris. Il n’est pas le seul. 

De fait, nombreux sont désormais les clubs de tennis à se procurer des équipements de Raqball pour accompagner la performance physique de leurs joueurs et conquérir de nouveaux publics. Alors que le débat sur le déclin supposé du tennis n’en finit plus de nous ennuyer, les clubs se doivent de diversifier leurs activités pour séduire les jeunes et attirer les joueurs de demain. Face à ce défi, le Raqball a tout de la perle rare. Car ses équipements ont un avantage concurrentiel sur la piscine ou le padel : ils sont abordables économiquement et très faciles à déployer. Pas besoin de sortir le tractopelle. Ouf.   

© Raqball

« En tant que sportif de haut niveau j’ai rapidement trouvé des sensations exceptionnelles dans la pratique du Raqball. On arrive très rapidement à jouer avec ses partenaires, à trouver ses marques, à trouver des combinaisons et à s’amuser. Le Raqball est vraiment un sport complet entre la technique, la précision, le cardio tout en gardant l’esprit du jeu. Il peut être facilement intégré dans les entraînements de sports de raquettes. » 

Adrien Mattenet Pongiste, numéro 1 francais de 2010 à 2015.

 

 

Des équipements flexibles, exclusifs, abordables et responsables

Le foncier, c’est cher. Pour un club, installer un terrain de padel revient à débourser une cinquantaine de milliers d’euros sans parler de toute la poussière qui se dépose sur les lignes blanches du court numéro 1. Si l’objet de cet article n’est évidemment pas de jouer au jeu des 7 différences entre tous les sports de raquette, le Raqball a cet avantage de proposer des équipements compacts et mobiles, installables facilement sur un terrain préexistant ou dans une zone du club non exploitée. Le sport se joue sur un terrain de 20 mètres sur 10, sur toutes surfaces, en intérieur comme en extérieur. Et le volume des infrastructures est d’une praticité déconcertante : deux valises de rangement comprenant deux modules supports avec panneaux et cibles, douze raquettes légères et de taille unique, douze balles, douze chasubles, des bandes de délimitation à installer où on le souhaite et un petit fascicule rappelant les règles du jeu, le tout pour 5 000 euros : dix fois moins cher qu’un terrain de padel, emballé, c’est pesé. Plouf plouf, ce sera toi qui lira les règles du jeu. Trois minutes plus tard, on joue. 

C’est que le Raqball a dès le départ été pensé pour séduire, s’adapter et se développer. Et ça marche, comme le raconte Olivier Roux, manager de l’Académie Caporoux Tennis Coaching : « Je trouve extraordinaire de pouvoir pratiquer l’activité sur n’importe quelle surface, d’adapter le terrain. C’est un sport collectif de raquette que j’utilise autant dans mon enseignement tous publics que dans les entraînements de joueurs de compétition. Il est à noter que le matériel est d’une qualité exceptionnelle. » 

Parlons-en, du matériel : en plus des fédérations française et internationale, créées récemment, ses concepteurs ont mis en place des structures dédiées à tous les aspects du sport. Rzball Company se présente ainsi comme l’équipementier du Raqball et coche toutes les cases de la bonne boîte, comme on dit des entreprises qui sont sympas niveau ticket resto et impact environnemental. Tous les matériaux sont éco-responsables et assemblés en France dans un ESAT, un établissement qui accompagne les personnes en situation de handicap et leur apporte un soutien médico-social et éducatif. Les équipes sont disponibles, passionnées et à l’écoute des besoins des clubs. Et le faible coût des équipements a aussi vocation à encourager la pratique sportive partout en France et dans tous les milieux.

 

Un sport d’avenir

En quelques mois d’existence, le Raqball revendique déjà plusieurs milliers de pratiquants et se tourne déjà vers l’international : le terrain mobile est le même partout dans le monde et aucun frein ne se pose à son développement sur tous les continents. Adoubé par les physios et les coachs sportifs, validé par les profs de tennis et les présidents de clubs, il bénéficie surtout de l’engouement de tous ceux qui le pratiquent. Avec ses matchs courts et son installation extrêmement simple, il semble parfaitement adapté à notre époque sédentaire où tout va plus vite, où le sport doit désormais se penser comme une activité tampon entre d’autres activités multiples, où l’on peut à tout moment se prendre une épidémie mondiale dans la figure donc autant avoir bien transpiré préalablement avec des amis sur un terrain. Je m’égare, pardon. 

Mais l’atout sans doute le plus prégnant de ce sport, c’est sa télégénie. Le Raqball est un beau sport, fluide, propice au freestyle et aux coups champagne, sans contact et très graphique. De quoi redonner l’espoir de devenir Federer à tous ceux qui trouvent qu’un tamis 630 est un peu trop petit pour centrer la balle en revers à une main. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a de la place : interrogés sur leur niveau, Christophe Lehmann et Frédéric Branger (respectivement président et responsable du développement du Raqball) ne se considèrent pas comme les numéros 1 et 2 mondiaux de la discipline malgré leur pratique assidue et passionnée. Si devenir numéro 1 mondial de tennis semble désormais compromis, le trône du Raqball vous attend. Et il paraît que son assise est très moelleuse.  

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

Why not them?

A week at the Millennium Estoril Open

Sebastián Báez, Estoril 2022 (© Cristina Puscas)
Sebastián Báez, Estoril 2022 (© Cristina Puscas)

It was nearing 10.15pm, and the scorching Estoril sun had long given way to a chilly breeze blowing over from the Atlantic. 

Frances Tiafoe, having just mounted an odds-defying comeback in his quarter-final match against Alejandro Davidovich Fokina, lumbered out of the court for his post match interview. Despite the late hour, and the three hours of tennis he was feeling in his legs, Tiafoe was all smiles. 

“I knew [I can win] if I can just hold serve, make him serve for it, and hit a couple of good returns, get the crowd behind me, he said of being 2:5 down in the final set. Maybe he feels some nerves.

“You break and, all of a sudden, the crowd erupts”, Tiafoe paused and cracked an infectious smile. “Then I was, like, shit, you’re here now, might as well see what happens.” 

Tiafoe’s win against Alejandro Davidovich Fokina, however satisfying and surely a confidence boost, added yet another three hours to his time spent on court. Over the week, he had fought through two gruelling matches in the earlier rounds, defeating Dušan Lajović and Nuno Borges, and was yet to battle past his fellow American, Sebastian Korda, in a three-set thriller where he would go on to save three match points.

Struggling with a minor illness and, at times, seemingly devoid of energy, Tiafoe would suddenly leap into a blistering forehand or execute a well-timed dropshot. More than once, he looked around the stadium with a gladiatorial air as the fans stomped their feet and chanted his name. “I don’t know what it is, but they love me out here“, Tiafoe would laugh later.

What Millennium Estoril Open may lack in stature, it more than makes up for in electrifying atmosphere and gorgeous vistas. Tennis-goers attending the tournament get the chance to enjoy the game at the highest level, with many high-ranked players preferring sunny Estoril to Munich–the other ATP 250 tournament happening at the time–with its patchy weather and an arguably less picturesque setting. 

We try to have, usually, one top-10, two, three top-20 players, says Pedro Keul, the Millenium Estoril Open Press Officer. This year we had Cameron Norrie scheduled to play, and he was just outside the top-10, so we were very happy, but he pulled out at the last minute. We were also so close to securing a big star but he didn’t want to come back yet (later, in Madrid, Rafael Nadal revealed he wanted to play in Estoril, but he had not recovered enough from his stress fracture in his rib).

Pedro Keul, the Millenium Estoril Open Press Officer, in the middle (© Cristina Puscas)
Pedro Keul, the Millenium Estoril Open Press Officer, in the middle (© Cristina Puscas)

 

It’s easy to see why Estoril makes for an enticing choice. The tournament is slotted in the week between ATP500 in Barcelona and Madrid Masters, offering players the opportunity to catch up on some much-needed clay court time before the brutal triple of Madrid-Rome-Roland Garros. The city itself, located a half-hour drive from Lisbon on the western coast of Portugal, evokes a distinct, if a bit gaudy, sense of the Old World. With its brightly coloured buildings, quaint cobblestoned streets, and numerous beaches peppered throughout the area, the region of Cascais, where Estoril is located, brings to mind images of Côte d’Azur.

We have good hospitality, says Pedro Keul. Everybody loves to come here. It’s well known over the world of tennis that Portugal is good—good seaside hotels, good places to eat. And the weather is always fantastic.” He breaks out into a chuckle, “Three or four years ago, there were one or two days when the courts in Munich were white with snow. And here it was like this, Keul points to the clear skies outside. The players were joking with each other about the weather in Munich.

The Millennium Estoril Open is a spiritual successor to the Portugal Open, which for a while also operated under the name Estoril Open. The tournament was a fixture of Portuguese tennis dating back to 1990, and steeped deeply in its history. The list of players who, over the years, lifted the Estoril trophy includes such luminous talents of the game as Roger Federer, Novak Djokovic, Carlos Moyà, Juan Martin Del Potro, and Stan Wawrinka. 

In 2015, after failing to secure the sponsorship, the tournament was rebranded and moved from Oeiras to Estoril. “This is the seventh edition of the [current] tournament, Keul explains. I think, in the first few years, people were used to the old space, near Lisbon, the old Estoril Open. It was a big space, you could do everything you wanted. And when we moved here, it was a very small organisation, just a few people. So we had to do some gymnastics to accommodate everything. But I think we are getting there“, he smiles. 

While Frances Tiafoe was fighting his way through the draw, on the other side of the ladder Sebastián Báez was making a name for himself. Unseeded himself, the young Argentine, fresh off the back of his Next-Gen appearance and a ATP250 Chile Open final, took down seed after seed on his way to the final. With boundless energy, ruthless devotion, and never-die attitude, he took down the home favourite João Sousa in the round of 32, followed by wins over Marin Čilić, Richard Gasquet, and Albert Ramos Viñolas. 

After each of his wins, Báez would write “Why not me? on the TV camera’s lens. An initially cryptic statement turned out to come from the most unlikely of places–Frances Tiafoe’s bracelet.

Sebastián Báez, Estoril 2022 (© Cristina Puscas)
Sebastián Báez, Estoril 2022 (© Cristina Puscas)

 

My coach asked me, ‘Have you seen his [Tiafoe’s] bracelet?’ You have to get a tattoo of what it says, Báez explained. The significance is to believe in yourself, in what you have, in who you are, to value yourself. And ‘Why not me?’ I believe it’s a message of belief. And if you believe, you can.

Tiafoe himself was pleased to inspire a colleague. “He told me that in the locker room a couple of days ago, he said. I’ve been wearing it so long, I didn’t even know what he was talking about.

“After he won today [Saturday], I said ‘Why not me?’ to him again. It’s cool. Any kind of inspiration, that stuff matters, it goes a long way. I think belief in yourself is the biggest thing. It doesn’t matter if everyone else around you doesn’t believe in you. If you don’t believe in yourself, it’s tough to go far in life.

On the semi-final day, I ran into Pedro Keul on the tournament grounds. Looking at the forecast, I remarked on the slight overcast predicted for the next day. He jokingly brushed aside my mobile phone. “Don’t look. It’s going to be OK” , he laughed. He was right, too. When Francisco Cabral and Nuno Borges walked on to Estádio Millennium for their doubles final against Máximo González and Andre Goransson, the skies shone blue and, as earlier in the week, the court was bathed in brilliant sunshine. 

Cabral and Borges, a Portuguese pair making their ATP debut to an understandably enthusiastic crowd, made the most of the home support and navigated a number of tricky encounters to book their place in the final. Having battled through three sets in the first two matches, against number three seed, Austin Krajicek and Ivan Dodig in the round of 16, and unseeded Nathaniel Lammons and Tommy Paul in the quarter-finals, Cabral and Borges eased into the tournament and closed out the remaining two matches in a seemingly routine fashion. The semi-final saw them cruise past number one seed, Jamie Murray and Michael Venus, in straight sets before claiming the trophy against Máximo González and Andre Goransson, also in two sets. 

It’s an unreal feeling winning on home soil, Cabral said during celebrations. First ATP event, first main draw, first title with Nuno, my childhood best friend. I couldn’t be happier.” The pair entered the media centre for their final press conference of the tournament to a standing ovation. 

When Tiafoe stepped on court to face Báez for the trophy, he was offered a chance at redemption for his 2018 Millennium Estoril Open final loss to João Sousa. But the week’s matches taking a toll on his body, he showed little of his usual fire. His game peppered with uncharacteristic errors and far-too-few winners, Tiafoe gave Báez space to play his best game, the Argentine winning 6-3, 6-2. It is a measure of Tiafoe’s success over the course of the tournament–the hearts he had captured, the imaginations he had inspired–that even at 2-5 down in the second set, having lost the first, the crowd still hooted and hollered in his support. This went beyond the usual let’s-keep-the-show-going attitude often exhibited by the fans at the end of tournaments. They truly believed, even when Tiafoe no longer did.

Frances Tiafoe, Estoril 2022 (© Cristina Puscas)
Frances Tiafoe, Estoril 2022 (© Cristina Puscas)

 

Pedro Keul smiled, “They wanted blood. They got sweat instead.”  

Quizzed in the post-match interview on what went wrong, Tiafoe gave full credit to his opponent. “Unbelievable job by Sebastian. He deserved it. He played better than me today”, he said. Sebastian Báez, for his part, asked what was going through his mind, as he dropped to his knees in victory, offered, “A lot of things, a lot of words. But I think the best words were ‘so proud’.

With the clay dust settled, and the booming sound of forehands slowly fading from memory, Báez scribbled his final on-lens statement: “Yes, it’s me”.

The young Argentine, having defeated three past Estoril champions on his way to the final, would wake up the next day as number 40 in the ATP rankings–a jump of 19 places compared to his position at the start of the tournament (and one above Roger Federer for what it’s worth). For the moment, however, his mind was solely on enjoying the moment. With the trophy in his hands, Báez turned to Tiafoe and smiled, “Why not me? And why not you, man?

As the tournament wound down, and the sun set on Clube de Ténis do Estoril, Tiafoe was wrapping up his last media duties. With few journalists left in the room, he ruminated on his now-two missed shots at the Estoril trophy. “I’ve got to win this fucking tournament“, he joked. After all, why not him?

Alcaraz au miroir de Nadal

entre reflet et différences

publié le 5 mai 2022
Calors Alcaraz, Rafael Nadal, Indian Wells 2022
Carlos Alcaraz face à Rafael Nadal, en demi-finale d'Indian Wells 2022 (© Antoine Couvercelle)

Comme Rafael Nadal, il est Espagnol. Comme Rafael Nadal, sa précocité épastrouille. Comme Rafael Nadal, il loue les vertus de l’humilité et du travail. Comme Rafael Nadal, il fait résonner les « Vamos ! » et ne lâche jamais rien. Pour toutes ces raisons, Carlos Alcaraz est très souvent décrit comme le « nouveau Nadal ». Mais dans sa façon de jouer au tennis, il est Alcaraz ; bien différent du glorieux aîné, notamment par rapport au style de ce dernier à ses débuts professionnels.

Il refuse de se voir comme celui qui doit reprendre le flambeau. De peur de se brûler, peut-être. Il le répète souvent : « Il n’y aura pas d’autre Rafael Nadal dans l’histoire, je suis Carlos. » Pourtant, Carlos Alcaraz est sans cesse présenté comme l’héritier de l’homme aux 21 titres du Grand Chelem. Que ce soit par des médias, ou des passionnés de tennis au détour d’une conversation. Inévitable. Les deux hommes présentent de nombreuses similarités. Mais, comme au jeu des sept différences, quand on y regarde de plus près, on trouve aisément de quoi décoller l’étiquette de « nouveau Nadal » du dos du surnommé « Carlitos ». Même quand celui-ci est couvert d’un t-shirt sans manche dévoilant des biceps saillants, à l’instar de son aîné. 

Au premier coup d’œil, les ressemblances sont frappantes. Presqu’au point de vous aveugler, telle une balle perdue de Denis Shapovalov donnant subitement à un arbitre l’allure d’un boxeur borgne. Nadal lui-même affirme se voir en Alcaraz. « Il me rappelle beaucoup de choses de l’époque à laquelle j’avais 17, 18 ans, confie le gaucher en conférence de presse à Indian Wells, en amont de sa demi-finale épique remportée 6/4 4/6 6/3 face à son jeune compatriote. Je pense qu’il a la passion. Il a le talent et les qualités physiques. » Culminant à 1,83 m d’après sa fiche ATP, comme le Majorquin, le prodige, animé par poings serrés et « VAMOS ! » tonitruants, dégage lui aussi une énergie dingue sur le court. Une énergie toujours propre.

Modèle de fair-play, le protégé de Juan Carlos Ferrero n’hésite pas à corriger une décision étant pourtant en sa faveur. Même dans un moment important. En demi-finale du Masters 1000 de Miami, à 6/5 contre lui et 30-0 sur son service, il lâche l’un de ses coups de raquette magique favoris : l’amortie. Hubert Hurkacz s’arrache pour remettre, mais L’arbitre, voyant à tort un double rebond, donne le point à l’Ibérique. Honnête, ce dernier fait alors ce qui est naturel pour lui, et ce que Robin Söderling n’oserait même pas réaliser dans le pire de ses cauchemars : il donne raison à son adversaire, sous ses applaudissements, pour rejouer le point. Geste qui n’a rien d’une première pour lui, comme le démontre l’épisode similaire face à Marin Čilić, à Estoril l’an passé, relaté dans notre article Carlos Alcaraz : apprenti ténor sans barreaux.

Rafael Nadal, Carlos Alcaraz, Madrid 2021
Carlos Alcaraz, applaudit par Rafael Nadal après le premier duel entre les deux hommes, à Madrid en 2021 (© Antoine Couvercelle)

Nadal et Alcaraz, phénomènes de précocité

L’une des autres similitudes entre Nadal et Alcaraz, c’est la précocité. S’il trace son propre chemin, le natif d’El Palmar marche dans les traces de son idole. 

  • Premier match gagné en Challenger :
    – Nadal : 15 ans et 3 mois
    – Alcaraz : 15 ans et 11 mois
  • Premier titre en Challenger :
    – Nadal : 16 ans et 10 mois
    – Alcaraz : 17 ans et 3 mois
  • Premier match gagné sur le circuit principal
    – Nadal : 15 ans et 10 mois
    – Alcaraz : 16 ans et 9 mois
  • Premier titre sur le circuit principal
    – Nadal : 18 ans et 2 mois
    – Alcaraz : 18 ans et 2 mois

Aguicheur, le destin se laisse même aller à des clins d’œil aux allures de véritables appels de phares. Trois semaines après son premier sacre en Masters 1000 à 18 ans et 10 mois – à Miami, lieu de la première finale de Nadal, alors un mois plus jeune, dans cette catégorie de tournoi –, Alcaraz s’impose à Barcelone, sur le court central baptisé Pista Rafa Nadal, et intègre officiellement le Top 10. Le 25 avril. L’entrée de son modèle parmi les 10 meilleurs du monde ? Le 25 avril 2003, également après son premier sacre en Catalogne.

Certains l’affirment avec un aplomb aussi déroutant qu’un coup droit de Benoît Paire : les extraterrestres n’existent pas. C’est qu’ils ne connaissent pas Carlos Alcaraz. Au cours de l’ATP 500 barcelonais, il a démontré des qualités de résistances physiques et mentales venues d’un autre monde. En demi-finale, mené 7/6 6/5 et 40-15 sur l’engagement d’Alex De Minaur, il s’est adonné à une séance de spiritisme éclair pour faire appel à l’âme de Michael Jackson et écarter la première balle de match d’un passing de coup droit en moonwalk, avant de sortir vainqueur du duel après une empoignade de 3h40. La programmation des rencontres ayant été perturbée en raison de la pluie, quelques heures plus tard, malgré le marathon précédent dans les pattes, il remportait la finale contre Pablo Carreño Busta. À toute vitesse, 6/3 6/2 en 1h06.

« Je crois que c’est Toni Nadal qui parle beaucoup d’endurance mentale, et, clairement, je retrouve cette force en lui (Carlos Alcaraz), a analysé Arnaud Di Pasquale, dans le podcast Dip Impact pour Eurosport, suite à ces performances épatantes. C’est ce qui lui permet de pouvoir enchaîner, et c’est ce qui manque à beaucoup d’athlètes. Celui ou celle qui arrive, chaque semaine, à tenir dans la tronche sera forcément plus fort. Ils sont très peu à réussir à tenir, Nadal en fait partie et je crois qu’il (Carlos Alcaraz) et aussi en train de le montrer. » Se battant de la première à la dernière frappe avec la même intensité, positif quel que soit le scénario de la rencontre et ne perdant jamais le contrôle de ses nerfs, Alcaraz nous a habitués à une mentalité similaire à celle de Nadal. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Carlos Alcaraz, Indian Wells 2022
Carlos Alcaraz, à Indian Wells en 2022 (© Antoine Couvercelle)

« Alcaraz montre qu’il peut avoir l’endurance mentale, comme Nadal » – Arnaud Di Pasquale

Si le Baléare, guidé par « Oncle Toni », a appris à maîtriser sa frustration dès ses premiers pas sur un terrain, et ne jamais briser une seule raquette, le Palmesan a dû travailler sur lui-même durant l’adolescence. « Quand j’étais plus jeune, je cassais beaucoup de raquettes, a-t-il confié en conférence de presse à Indian Wells après sa défaite contre Nadal. Je ne me contrôlais pas. Mais maintenant, je sais que l’une des choses les plus importantes dans le tennis est de savoir contrôler ses émotions. Je pense que ça fait trois ou quatre ans que je n’ai plus cassé de raquette. J’ai appris à me contrôler. » Sur ce plan, l’actuel 9e mondial  a affiché une évolution plus proche de celle de Roger Federer. 

Comme lui, le Suisse était un caractériel fracassant régulièrement son outil de travail avant de changer radicalement de comportement après ses premières années sur le circuit ATP. Et ce n’est pas son seul point commun avec l’Helvète. Le style de jeu d’Alcaraz, s’il doit être affilié à l’un des membres du Big 3, se rapproche davantage de celui du Bâlois. À ses débuts professionnels, Nadal, s’il maîtrisait déjà l’amortie à merveille, comme Alcaraz, était nettement moins offensif. Les années et les blessures s’accumulant, il a, de son propre aveu, perdu en vitesse de déplacement, mais sa palette est devenue de plus en plus complète. Il est désormais capable d’utiliser toutes les teintes pour dessiner ses victoires, peu importe la surface.

Alcaraz, s’il a rien à envier à la rapidité de jambes ainsi qu’aux qualités de contre et de défense d’un « Rafa » vintage, est déjà beaucoup plus attiré vers l’avant. Prise de balle précoce, il prend plaisir à utiliser tous les coups du tennis pour déborder son opposant, et n’hésite pas à venir finir au filet. « Honnêtement, je ne copie aucun joueur, explique-t-il lors d’une interview accordée à l’ATP en septembre 2021. Je joue mon jeu. Mais si dois en citer dont mon style est similaire, je pense que c’est Roger Federer. Comme lui, j’essaie d’être tout le temps agressif, en coup droit, en revers. Je pense que c’est une bonne comparaison en ce qui me concerne. » 

Carlos Alcaraz, Indian Wells 2022
Carlos Alcaraz, à Indian Wells en 2022 (© Antoine Couvercelle)

« Je pense que mon style de jeu est plutôt similaire à celui de Federer » – Carlos Alcaraz

Semblant être un envoyé de la paix sur Terre pour réconcilier les fans extrémistes de Nadal, Federer et Djokovic, Alcaraz a aussi des ressemblances avec le Serbe dans certaines situations. Par sa manière de glisser sur dur, et sa souplesse pour ramener des balles dans des positions funambulesques. « Si je dois comparer son style à d’autres joueurs, je dirais qu’il est plutôt comme Djokovic ou Roger (Federer), a analysé l’ancien numéro 1 mondial Juan Carlos Ferrero, coach à plein temps de la pépite depuis ses 15 ans, pour Eurosport en mai 2020. Son but est tout le temps de chercher à faire le point, et d’être à l’intérieur du court. Rafa est plus agressif désormais, mais auparavant il jouait loin de sa ligne et se battait pour faire le point. Carlos aime se positionner loin (au retour), mais ensuite il avance, entre dans le terrain pour essayer de finir le point. »

« Les gens voient beaucoup de comparaisons (avec Nadal, Federer et Djokovic) et de bonnes choses en lui, mais il doit suivre son propre chemin, a répondu le vainqueur de Roland-Garros 2003 à Teledeporte en avril. C’est vrai qu’il doit observer les meilleurs de l’histoire et essayer de prendre un peu de chacun d’eux pour être le meilleur possible, mais je crois que Carlos est Carlos. » Sa technique est aussi beaucoup plus classique que celle de Nadal, symbolisée par son coup droit lasso caractéristique. Malgré ces différences avec le « taureau de Manacor », le fait qu’il soit gaucher et lui droitier, Alcaraz, en partie parce qu’il est aussi Espagnol et brun ténébreux, ne pourra éviter d’être vu comme le « nouveau Nadal » aux yeux du grand public et des médias généralistes. Pour certains, c’est inévitable. Il doit l’accepter, et le gérer.

« Tous ceux qui voudront réussir au plus haut niveau devront endurer une pression qui les accompagnera tout au long de leurs carrières, a déclaré Toni Nadal lors d’une chronique pour El País fin 2020. Carlos n’y échappera pas. Il devra vivre avec ça et sera inévitablement comparé à Rafael. Je le vois avec une tête suffisamment bien faite pour supporter cette pression, ainsi que les compliments et les attentes engendrés par son tennis. Parmi les qualités nécessaires pour devenir un grand champion, il en a déjà beaucoup. » Grigor Dimitrov a longtemps traîné – trop à son goût – le sobriquet de « Baby Federer ». En s’évertuant à empiler les trophées pour enflammer la presse avec son propre patronyme, Carlos Alcaraz compte bien brûler le plus vite possible celui de « Baby Nadal ».

Monnet Time !

© Inès Romain

À seulement 20 ans, son histoire, aussi bien tennistique que de vie, semble avoir été imaginée par les plus grands scénaristes hollywoodiens. Mais la science-fiction n’a pas de place dans le parcours hors du commun de Carole Monnet. Classée 15/3 à 12 ans, la Française n’a cessé depuis d’affoler les compteurs au fil des saisons et pointe désormais au 277e rang mondial à la WTA. Une destinée qu’elle ne doit qu’à sa volonté de fer et à sa confiance absolue. Rencontre avec cette championne en devenir et son coach de toujours, Hervé Romain. Un duo qui fait des ravages et dont on devrait encore parler dans les années à venir. 

 

Pendant que les stars du circuit effectuaient leur rentrée dans l’hémisphère sud en faisant crisser leurs semelles sur les courts de Melbourne Park, les jeunes talents du circuit ITF se livraient une lutte acharnée sous un soleil également ardent. Celui de Monastir en Tunisie. Centre d’entraînement prisé par Ons Jabeur, devenue la première joueuse de l’histoire du monde arabe à intégrer le top 10 en 2021, la cité balnéaire accueillait sur ses terres durant tout le mois de janvier des épreuves masculines et féminines dotées de 25 000 dollars (22 000 euros). Loin des projecteurs des Grands Chelems, ces tournois de troisième zone sont une étape incontournable pour celles et ceux qui aspirent à devenir un jour les Roger Federer et les Serena Williams de demain.

Tout comme l’Américaine, l’une de ses idoles d’enfance, une jeune Française très athlétique, aux faux airs de Samantha Stosur, enchaîne les coups droits gagnants sur les terrains du luxueux complexe hôtelier tunisien. Cette fille, c’est Carole Monnet. Et quand elle ne maltraite pas ses adversaires en compétition à grands coups de boutoir, c’est à l’entraînement qu’elle frappe inlassablement la balle des heures durant. « Souvent sur les tournois, les filles étrangères viennent me voir pendant que Carole s’entraîne en me demandant comment elle fait pour être aussi focus. Je leur réponds alors qu’elle veut simplement devenir une grande joueuse de tennis.» Celui qui vient de prononcer ces mots avec tant de malice n’est autre que son coach de toujours, Hervé Romain. Affable, le technicien de 50 ans, qui en paraît aisément dix de moins, est une référence dans la formation de jeunes talents. Surnommé « Le Professeur » en raison de son bagage technique aussi long qu’un Isner-Mahut (préparateur physique et mental, bio-mécanicien, praticien spécialisé dans les thérapies manuelles japonaises yumeiho et massages…), l’entraîneur est intarissable sur tous les sujets. Et ce, même à plusieurs milliers de kilomètres de distance. 

En effet, Covid oblige, c’est par le biais d’une visioconférence, la meilleure amie des journalistes en ces temps de pandémie, que le contact est noué avec ce faux sosie de Jo-Wilfried Tsonga. Quelques péripéties techniques et un micro capricieux plus tard, son visage souriant ainsi que celui de sa protégée apparaissent à l’écran. La veille, celle-ci tapait sa première finale de la saison à l’occasion de Monastir 2. « Je suis satisfaite de ma performance, j’ai eu de très bonnes sensations et j’ai su rester dans ma bulle malgré les intempéries et les averses de la semaine. » Avant de rempiler dès le lendemain avec le troisième opus du rendez-vous tunisien, le duo de choc s’est donc autorisé quelques minutes de répit sur le balcon de son appartement. Derrière lui, le décor est digne d’une carte postale. Ciel bleu à l’horizon, palmiers à perte de vue, mouettes planant au gré du vent… Le contraste est total avec le brouillard et le froid hivernal qui règnent alors en France. Mais avant de lui permettre de goûter à ces paysages de rêve et à cette récente stabilité financière, ô combien précieuse dans la progression d’un joueur de tennis professionnel, le parcours de Carole Monnet a été tout sauf un long fleuve tranquille. Loin des plages idylliques du Skanes Family Resort de Monastir, c’est dans une petite ville d’Ukraine à une trentaine de kilomètres de Kiev que tout a commencé. 

 

Un parcours atypique 

Boïarka. 1er décembre 2001. Une date qui pourrait bientôt devenir un refrain dans la bouche de Marc Maury, speaker charismatique de Roland-Garros, lors de la présentation des joueurs en avant-match. En attendant que cette prédiction se réalise, il est bon de rembobiner le film. Placée en orphelinat, c’est donc en Europe de l’Est que Carole effectue ses premiers pas avant que les péripéties de la vie ne viennent les prolonger en France à l’âge de deux ans. Dans le Sud précisément, où une famille de Toulousains décide de l’adopter. « Déjà petite, je ne tenais pas en place. Je ressentais toujours le besoin de me défouler. J’étais un véritable garçon manqué (rires) », se remémore-t-elle. 

Ce n’est donc pas un hasard si l’école a toujours été perçue comme une source d’ennui profond pour cette hyperactive. Jamais rassasiée, c’est par la voie du sport que Carole s’évade. Grâce à l’athlétisme dans un premier temps. « C’est la première discipline que j’ai pratiquée. Mes deux grands frères adoptifs en faisaient, donc c’est tout naturellement que j’ai décidé de les imiter », explique celle qui aurait pu briller également dans un couloir de sprint. Mais c’est finalement sur d’autres terrains, ceux des courts en terre battue du club de Muret, en périphérie de la Ville Rose, que Carole va réaliser ses premières glissades et ne plus jamais se retourner par la suite. « J’ai touché ma toute première raquette à l’âge de 8 ans. J’ai ressenti tout de suite l’électrochoc. Je pouvais passer des heures entières à frapper les balles contre un mur sans m’arrêter », raconte-t-elle avec sa joie de vivre communicative. Prise par le virus, Carole ne jure alors que par le tennis. Qu’importe le moment de la journée, cette obsédante balle jaune est la seule chose qui compte pour elle. Si bien qu’à 12 ans, la jeune adolescente décide de passer à la vitesse supérieure. « J’en voulais toujours plus. Je sentais que mes cours en club ne me suffisaient plus. J’avais envie de m’inscrire dans une démarche professionnelle. » 

 

Une rencontre pour la vie

Après quelques rapides recherches sur la Toile, plusieurs vidéos d’un centre d’entraînement perdu dans un petit village du Minervois attirent son attention. « C’était l’académie d’Hervé Romain, la Romain Tennis Team. J’ai visionné pendant de longues heures ses vidéos et ses méthodes d’entraînement, puis j’ai été conquise », explique la Toulousaine. Elle ne le savait pas encore, mais à seulement 1 h 30 de sa Ville Rose, Carole s’apprêtait à faire la rencontre la plus importante de sa vie. Celle de son mentor Hervé Romain qui, lui non plus, n’est pas près d’oublier la première fois qu’il a croisé le regard du phénomène. « Elle est venue en stage pendant une semaine en janvier. Je me souviens qu’elle était classée 15/3. À cette période, j’avais sous mon aile les meilleures joueuses d’Europe de sa génération, des étrangères assimilées à 0. C’était forcément un peu un ovni à côté mais elle y croyait vraiment déjà à l’époque. Elle était complètement habitée en plus d’être têtue. Il y avait quelque chose. Le soir, elle répétait les exercices qu’elle avait vus la journée chez elle en face de la baie vitrée. Une semaine plus tard, elle perfait à 5/6.» Prodigieux, vous avez dit ? Attendez de voir la suite. En moins de quatre ans, le nouveau duo, fraîchement formé, va accomplir des miracles. Là où, dans le même temps, le joueur de club moyen prend péniblement un ou deux classements de plus (ce qui est déjà un bel accomplissement !), Carole avale ces derniers pour se retrouver tout en haut de la pyramide du tennis amateur. De 15/3, elle devient 0 en deux saisons, puis numérotée les deux suivantes à seulement 16 ans. Autrement dit : la plus grosse progression jamais enregistrée du classement français. « Tout est allé très vite en compagnie d’Hervé. Nous avons une relation très forte. Nous sommes fusionnels et on travaille bien ensemble », explique Carole pour décrire cette alchimie totale qui la transcende. 

© Inès Romain

La visualisation mentale : la clé de la méthode Romain

La recette de ce succès s’explique aussi par une approche mentale axée sur le pouvoir de la visualisation. « Avec mes élèves et Carole, nous ne fonctionnons pas en termes d’objectifs bruts mais plutôt en termes de résultats atteints. Carole veut devenir une grande championne de tennis. Ce n’est pas un objectif à court terme mais un résultat. C’est là où se situe toute la différence », éclaire celui qui lui a inculqué ce mode de pensée avant d’étayer ses propos : « Les Novak Djokovic, les Rafael Nadal ou encore les Carlos Alcaraz sont des personnes avec des certitudes ancrées en eux. Ils sont complètement habités à l’idée de devenir meilleur jour après jour. Ils vont développer des capacités, scanner les ressources dont ils ont besoin pour y arriver. » À mi-chemin entre spiritualité et loi de l’attraction, la méthode Hervé Romain se base sur une croyance en soi inébranlable. « Imagine que je te dise là maintenant que tu vas devenir un grand journaliste et que tout le monde se battra pour t’avoir. Si tu y crois vraiment, tu vas débloquer des mécanismes inconscients et mettre en œuvre tout ce qu’il faut pour y parvenir. En le transposant au tennis, c’est exactement ce que j’ai dit à Carole le deuxième jour. Je lui ai fait rencontrer sa meilleure version d’elle-même. Si elle avait déjà ce truc en elle, sa confiance s’est encore plus décuplée depuis. » 

 

Tomber. Se relever. Encore et toujours. 

Si la magie a donc opéré entre le maître et son élève, il ne faut pas croire cependant que tous ces excellents résultats se sont réalisés par enchantement. Loin de là. Derrière cette explosion fulgurante se cachent des heures de dur labeur, énormément de sueur et d’inévitables obstacles à surmonter. 2016, année charnière dans la carrière de Carole, en sera par exemple parsemée. Alors qu’elle surfait sur son excellente dynamique, une vilaine blessure au dos stoppe les ardeurs de la jeune Française. « Un accident de jeunesse que je croyais derrière moi s’est réveillé. J’avais une vertèbre fracturée et un début de glissement intervertébral. Cela m’a valu d’être éloignée des courts pendant huit mois. C’était une période délicate remplie de doutes », se souvient-elle. 

Animée par le célèbre adage nietzschéen « tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », Carole pliera mais ne rompra jamais. Même si elle en bavera énormément. À l’image d’un autre dur au mal, le guerrier Paul-Henri Mathieu, sujet de l’inoubliable « Intérieur Sport » de 2012 qui revient sur sa renaissance au plus haut niveau après une grave blessure à la jambe, Carole entame également sa longue convalescence sur une chaise, solidement attachée à un corset, pour garder des sensations raquette en main. « C’était un long processus. Je me souviens encore des bleus que ça me faisait lorsque j’ai commencé à me remettre debout. J’avais super mal. Mais l’excitation de revenir au plus haut niveau a toujours été plus élevée que la douleur. » 

Grâce à sa détermination sans faille, la jeune joueuse se libère de ce lourd fardeau au prix d’efforts acharnés. À peine débarrassée de son corset, Hervé glissera à sa petite protégée cette phrase : « Tu vas devenir championne de France ». Si ces quelques mots la font sourire au début, ils tourneront peu de temps après à l’obsession. En l’espace de seulement deux mois, ce qui pouvait s’apparenter à une utopie se concrétise. Carole signe un comeback tonitruant et soulève le trophée de meilleure U16 du pays sur la terre battue de Roland-Garros. Le premier trophée d’une longue série qui viendra jalonner 2017, cru inoubliable pour notre Frenchy. Avec une victoire aux Tennis Europe Junior Masters (une grande première pour une Française !), une place de numéro une mondiale sur le circuit Tennis Europe U16, la découverte de la Fed Cup Junior et de l’Orange Bowl à Miami puis enfin l’Award de la meilleure joueuse de l’année, le sac à souvenirs de Carole ne cesse de s’agrandir. 

 

« Je me suis retrouvée sans avenir à 17 ans »

Mais pas le temps de savourer pour le binôme ambitieux. La saison d’après, celui-ci part à la conquête du monde en découvrant l’immense jungle des 15 000 dollars, l’échelon le plus bas du circuit professionnel. Entre joies et déceptions, rires et larmes, Carole se confronte aux galères financières pour la première fois de sa carrière. « Les gains en tournoi sont dérisoires par rapport aux efforts consentis. À chaque fois, il faut déduire les taxes du pays, les impôts, les frais de déplacement, la nourriture, l’hôtel et enfin l’entraîneur qu’il faut payer, héberger et faire voyager », raconte la championne en herbe avant d’étayer ses propos avec une anecdote insolite : « Alors que j’avais atteint la finale d’un tournoi au Portugal, nous n’avions même pas assez d’argent pour nous payer une nuit d’hôtel avec Hervé. On a été obligés de dormir sur le banc de l’aéroport. C’était du grand n’importe quoi (rires) ! »

Malgré les aléas de cette vie de baroudeuse de l’extrême, Carole poursuit son petit bonhomme de chemin et sa progression linéaire. À tel point qu’elle se retrouve au 702e rang mondial à la WTA avant d’attaquer 2019. Malheureusement, alors que tous les signaux étaient jusqu’alors positifs, une réforme de l’ITF vient anéantir ses espoirs. Celle-ci baptisée « World Tour Tennis » a pour but de modifier en profondeur les modes de classement et de participation aux tournois. En d’autres termes : clarifier et rétrécir l’accès au professionnalisme en retirant la distribution de points WTA (et ATP) dans les tournois Futures. Pile ceux que Carole et d’autres milliers de jeunes écumaient aux quatre coins du globe. « On m’avait volé tous mes points. Je me suis retrouvée sans avenir à 17 ans. Je n’avais plus de moyens financiers pour revenir en arrière sur le circuit junior et j’étais dans l’impossibilité de jouer chez les pros », explique la joueuse encore profondément marquée par cette injustice. 

 

Une volonté de fer sur les courts comme en dehors

Alors qu’elle s’était résignée à mettre sa carrière entre parenthèses, un nouveau coup de pouce du destin va tout faire basculer. Victimes de plusieurs désistements de dernière minute, les tournois espagnols de Vinaros et de Villena, deux rendez-vous majeurs du circuit junior, contactent Carole dans l’espoir d’une éventuelle participation. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le tandem Monnet-Romain met le cap vers l’Espagne pour se présenter aux qualifications. Une fois sur place, la Française, morte de faim, s’en extirpera à chaque fois pour se hisser en finale. Sur les terres de l’académie de Juan Carlos Ferrero où elle livrera de farouches batailles, Carole en mènera une autre lors de la cérémonie de remise des trophées en dénonçant courageusement l’ingérence de l’ITF. Muée en porte-voix de milliers de jeunes privés injustement de leur rêve comme elle, la joueuse au caractère forgé dans l’acier le mieux trempé ne le sait pas encore mais ses mots vont faire mouche. Relayé et partagé largement sur les réseaux sociaux, son cri du cœur fait le buzz dans le petit milieu du tennis dès le lendemain. « J’ai reçu des centaines de message de soutien et j’ai bénéficié d’un élan de solidarité inespéré qui m’a permis d’enchaîner les victoires », explique Carole tout sourire. 

Acculée par la colère des joueurs, appuyée par de grands noms du tennis mondial, l’ITF a été forcée de revoir sa copie. Cinq mois à peine après avoir été mise en vigueur, la réforme tant décriée a été abolie, et les points subtilisés, rendus à leurs propriétaires. « C’était une grande victoire, j’ai pu récupérer mon classement », se félicite celle qui a initié ce mouvement. 

© Daniel Deladonne

2019 : l’ascenseur émotionnel 

La suite de l’aventure sera une succession d’expériences humaines et tennistiques inoubliables. Carole découvre les Grands Chelems chez les juniors, s’offre le scalp de la numéro une mondiale de la catégorie à l’époque, tout en poursuivant sa folle ascension. Mais une fois encore, celle-ci va être freinée par des événements extérieurs. Les derniers que Carole aurait pu soupçonner. « Mes parents adoptifs ont voulu s’accaparer mon projet en m’imposant leur point de vue et leurs décisions. Ils voulaient me mettre un agent sur le dos, contrôler mes sorties médiatiques et le pire, stopper ma collaboration avec Hervé ». Piégée dans un engrenage toxique, celle qui était encore mineure en 2019 n’a pas eu d’autres choix que de quitter le cocon familial. « Je n’ai pas forcément envie de m’attarder sur cet épisode mais il m’a permis de me grandir humainement. Avec du recul, c’est à cet instant précis que j’ai l’impression d’être passée de l’état d’enfant à celui d’adulte. » 

Pleine de maturité, la nouvelle Carole parvient à trouver les ressources intérieures nécessaires pour rebondir après ce qu’elle décrit comme « la période la plus éprouvante de sa carrière ». Partis avec leurs ultimes deniers en poche, l’aventurière et son éternel compagnon de route Hervé font escale en Tunisie dans l’espoir de se relancer. C’est alors que l’invraisemblable se produit. Carole remporte le 15 000 $ de Monastir, qui deviendra plus tard son tournoi fétiche, non pas une, ni deux, ni trois… mais quatre fois d’affilée (trois titres en simple et un titre en double) ! Un exploit qu’aucun superlatif ne suffirait à décrire. « C’était une expérience fantastique. Mes résultats ont commencé à faire du bruit. Dans la foulée, j’ai reçu plein de sollicitations d’agences sportives, c’était de la folie ! », s’esclaffe-t-elle. 

Après avoir étudié méticuleusement toutes ces propositions, Carole jette finalement son dévolu sur une jeune agence basée à la fois en Europe et aux États-Unis nommée EDGE. « C’était celle qui correspondait le plus à mon projet et à mes valeurs. Je suis partie faire un test lors de mon intersaison fin 2019 aux États-Unis à Boca Raton. J’ai rencontré sur place toute l’équipe et Rick Macci (ndlr : le premier entraîneur des sœurs Williams, entre autres) qui s’occupe du volet coaching au sein de l’agence », explique la Frenchy. Conquis par la philosophie de cette société pas comme les autres, qui place le sportif et sa progression au centre de tout, Hervé et Carole ne s’en déferont plus. « Ils font un travail exceptionnel et je ne les remercierai jamais assez. Ce sont des passionnés qui transpirent l’amour du tennis. Cette équipe m’apporte le soutien humain et financier nécessaire dans ma progression tout en me laissant beaucoup de liberté. Nos seules préoccupations avec Hervé se résument à l’aspect purement tennistique, c’est le climat idéal pour progresser », éclaire la pensionnaire de EDGE avant de rendre un autre bel hommage à sa structure : « Ils sont ma deuxième famille. On est tous très soudés et on se tire mutuellement vers le haut. »

 

En route vers la WTA ! 

Depuis que sa voie tennistique s’est enfin tracée dans un environnement optimal, Carole récolte les fruits de sa persévérance quotidienne. Avec son caractère bien trempé, Monnet aidée de son énorme coup droit impose petit à petit sa touche dans les plus grands tableaux, comme le faisait son illustre homonyme il y a plus d’un siècle avec son pinceau. Récompensée pour ses excellents résultats et sa constante progression, Carole a pu goûter à l’atmosphère de Roland-Garros chez les grandes grâce à ses deux wild cards obtenues en 2020 et 2021 pour les qualifications. Des invitations honorées de la meilleure des manières puisque la tricolore a passé un tour à chaque fois. « J’avais battu l’Américaine Whitney Osuigwe qui avait été numéro 1 mondiale chez les Juniors. C’était une belle première expérience. Cela me donne envie de redoubler d’efforts pour regoûter à ce genre d’ambiance », conclut la Toulousaine avec son habituel sourire. 

Classée 277e mondiale au moment d’écrire ces lignes, Carole entame doucement mais sûrement sa transition vers les plus hautes sphères du tennis féminin. « Elle apprend à programmer son cerveau en termes de résultat atteint. Elle n’est pas là pour gagner des Futures mais pour s’entraîner et préparer la WTA. C’est une bosseuse acharnée », explique le coach Romain avant de louer les qualités mentales de sa padawan avec un de ces jeux de mots dont il a le secret : « J’ai inventé le terme de Monnet Time qui lui correspond bien. En fait c’est très simple : à chaque fois qu’elle dispute une échéance importante ou un gros match à enjeu, elle arrive à se surpasser. Elle joue à l’instinct et souvent elle est très bonne dans les moments chauds. Elle a un côté chien fou qui lui réussit sous pression. Pour résumer, plus le point est important, plus il y a de chances qu’elle le remporte. C’est ça le Monnet Time. » 

De son tout premier contact avec une raquette à l’âge de 8 ans jusqu’à sa première participation à Roland-Garros en 2020, Carole n’a pas bougé d’un iota malgré les différents obstacles disséminés sur sa route. À l’intérieur, elle est toujours restée cette petite fille qui pouvait jouer des heures entières contre le mur du Tennis Club de Muret. Qu’importe les tempêtes à traverser, cette petite voix qui lui chuchotait sans cesse qu’elle deviendrait un jour une grande championne a toujours été sa plus fidèle alliée. Et pour ne pas perdre de vue sa quête ultime, Carole a sa botte secrète. Lorsque le doute pointe, son bracelet, qu’elle porte au poignet gauche en toutes circonstances, lui rappelle pourquoi il ne faut jamais abandonner. Dans le revers du grigri que délivre Hervé à chacun de ses élèves au début de leur collaboration, sont inscrits ces quelques mots : « Work hard and amazing things will happen » (« Travaille dur et d’incroyables choses arriveront »). 

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

Danse est l’art du tennis 

© Virginie Bouyer

De la passion, de la rigueur et de l’abandon. Des pas de deux, des pas de quatre, des solos et parfois même des faux pas… Que l’on assiste à une représentation de danse classique à l’Opéra de Paris ou bien à un match de tennis sur le court Philippe-Chatrier, la scène sera toujours occupée par des artistes prêts à raconter une histoire commune faite de joie et de peine. Une histoire de corps en mouvements, de courbes et de lignes, d’équilibre et de déséquilibre, de souplesse ou de raideur, d’impulsion soudaine et d’arrêts brutaux. Les liens entre le tennis et la danse sont anciens et étroits mais ne seront réellement considérés qu’au début du XXe siècle avec la naissance de la joueuse Suzanne Lenglen. 

Au cours des années 1910 à 1920, admirée pour son style de jeu avant-gardiste bâti sur la dimension physique, la vitesse et… la danse, la diva Suzanne Lenglen annonce la marche à suivre. En effet, tandis que la troupe de la danseuse Gertrude Hoffmann donne d’énergiques coups de pied sur la scène du music-hall des Champs-Élysées, en mêlant à la danse athlétisme et acrobaties, « la Divine » se démarque et séduit le public avec un jeu au fort pouvoir érotique. En 1924, elle fait part de ses talents lors d’une démonstration dans un court-métrage expérimental de la société de production Pathé, dont les ralentis appuient les effets chorégraphiques. On la voit s’élancer et réaliser de nombreux bonds de ballerine tout en prolongeant le mouvement de ses coups en revers. Smashes, coups droits, services, elle récite ses gammes d’une façon si sensuelle et emphatique qu’elle laisse souvent apparaître le haut de ses bas. Elle bouleverse et marque les esprits. Gaston Leroux écrit dans L’Écho de Paris : « Le jeu de Suzanne Lenglen est […] au pays de la danse », et Andrée Viollis dans Excelsior : « Suzanne brûle le terrain comme une flamme vive et changeante. En une minute, elle inscrit sur le court toutes les belles attitudes des bas-reliefs antiques, évoque les mouvements variés de tous les genoux hauts, puis s’enlève d’un bond aérien, rappelant la danse hardie et fougueuse de l’Isadora Duncan des beaux jours. »

Véritable muse et symbole absolu de la Femme de l’époque des Années folles, elle inspirera les écrivains, les musiciens et parmi eux, le compositeur Claude Debussy. Celui-ci écrira la musique de ballet Jeux, directement influencée par le jeu dansant et gracieux de la joueuse. Créée en mai 1913 par les Ballets russes de Serge de Diaghilev, la représentation s’ouvre sur un thème mystérieux : une balle de tennis s’est égarée. La balle sert évidemment de prétexte au jeu de l’amour : « Dans un parc, au crépuscule, une balle de tennis s’est égarée ; un jeune homme puis deux jeunes filles s’empressent à la rechercher. La lumière artificielle des grands lampadaires électriques qui répand autour d’eux une lumière fantastique leur donne l’idée de jeux enfantins : on se cherche, on se perd, on se poursuit, on se querelle, on se boude sans raison ; la nuit est tiède, le ciel est baigné de douces clartés, on s’embrasse. Mais le charme est rompu par une balle de tennis jetée par une main malicieuse. Surpris et effrayés, le jeune homme et les deux jeunes filles disparaissent dans les profondeurs du parc nocturne. »

© Antoine Couvercelle

Ce « poème dansé », ultime œuvre de Claude Debussy est l’une des partitions d’orchestre les plus importantes du début du XXe siècle à l’aune de la notion de mouvement. En abandonnant l’architecture traditionnelle, il parvient à fabriquer une temporalité qui épouse étroitement l’argument du ballet, au-delà du « rayonnement de l’instant » caractérisant son style musical. Les liens particuliers qui unissent les disciplines de la danse et du tennis ressurgissent en 1924 dans le spectacle des Ballets russes Le Train bleu. Suzanne Lenglen sert (encore) de modèle au personnage de la championne de tennis dansée par Bronislava Nijinska. Mais aussi en 1930 avec L’âge d’or de Dmitri Chostakovic, un ballet comprenant « une danse des joueurs de tennis et entraînement » dans le premier acte. Quelques années plus tard, en 1937, Suzanne Lenglen signe son dernier ouvrage en association avec la danseuse britannique Margaret Morris, Initiation au Tennis. Cette dernière note la similitude frappante entre les positions physiques de ses propres exercices et celles qui se produisent dans des sports comme le football, le cricket et le tennis. Elle y démontre que tous les mouvements athlétiques sont basés sur l’opposition d’un groupe de muscles à un autre. Cette idée d’« opposition » était fondamentale pour la technique de Morris – et pour le développement de la danse libre dans son ensemble – et a été fortement influencée par les enseignements de Raymond Duncan (frère de la célèbre danseuse Isadora) sur les « positions grecques » basées sur les sculptures ornant les frontons du Parthénon.

Dans la première partie d’Episodes, un ballet de Martha Graham et George Balanchine de 1959, Marie Stuart et Elizabeth 1re jouent une partie de paume sur une musique d’Anton Webern. Le célèbre chroniqueur de la balle jaune du journal Le Monde de l’après-guerre y tenait également une rubrique « Ballet », preuve encore qu’entre le tennis et la danse il n’y a qu’un pas. 

« On travaille longtemps pour aménager en soi-même une ouverture par laquelle l’instinct et l’imprévu s’exprimeront. C’est par là que le merveilleux arrive. » La danseuse étoile, Ludmila Pagliero.

La danse est indéniablement l’un des dom-aines où la quête de perfection est la plus impitoyable. Mais si ces artistes s’entraînent aussi durement à effectuer les mêmes pas, les mêmes gestes c’est uniquement pour assimiler dans le corps ces mouvements, et ainsi développer une sorte d’instinct. Et c’est grâce à la création de cet instinct que le danseur ou la danseuse va pouvoir s’exprimer plus librement. Comme le disait Ludmila Pagliero lors d’une interview pour Philosophie magazine : « En réalité, la discipline, la répétition sont entièrement au service de la liberté. Le but est de créer de nombreux automatismes, se détacher de la performance à accomplir, ne plus se préoccuper de la difficulté de tel ou tel pas, mais concentrer toute son attention et son énergie sur l’élément créatif, l’imprévu, le geste qui suscitera une émotion chez le spectateur. » Cela s’applique aussi pour le tennis et ses artistes. 

© Antoine Couvercelle

Le ballet romantique suisse 

Pour composer la musique du Lac des Cygnes, l’une des plus célèbres partitions du ballet romantique, Tchaïkovksi utilisera tout le caractère et la multiplicité de sonorités des instruments en réalisant toutes sortes de combinaisons. Il jouera également sur l’énergie et l’évolution des dynamiques (nuances, rythme inconstant) pour créer une musique toujours en mouvement qui se transforme au fur et à mesure que se développe l’histoire. La personnalité tennistique de Roger Federer est semblable. Lui aussi use de tous les coups, de toutes les variations et les effets que son instrument lui permet. Son tennis est aussi dense et bouleversant qu’une mélodie tchaïkovskienne. Il exerce de l’emprise. Il est de l’ordre de la possession et n’attend ni accord ni permission. Quintessence de la beauté et de la passion, il rassemble toute la gamme des sentiments humains les plus intenses.

Roger n’est pas un joueur dont le jeu repose sur la puissance et la force, il est au contraire très agile et possède une grâce désarmante que l’on remarque notamment dans ses déplacements vifs et délicats nous donnant l’impression qu’il court sur un nuage ou qu’il lévite tout en effleurant le sol, de la même manière que le faisait le danseur russe Vaslav Nijinski sur la scène du théâtre Bolchoï. Cette grâce peu commune, on l’aperçoit également dans son revers à une main, ses slices rasants et ses fameux passing effectués en prenant la balle très tôt. Les gestes sont exécutés dans un tel relâchement, une telle précision que pendant un temps très limité le Suisse semble s’allonger en même temps que le geste, lui, se prolonge à l’infini pour enfin se multiplier et atteindre une sorte d’état de grâce d’une pureté absolue. Une pureté rare que l’on peut comparer à celle d’Anna Pavlova. Alors qu’elle effectuait un de ces pas les plus exigeants, ses bras se tendaient continuellement et les poignets se relâchaient pour du bout des doigts de la main effleurer ce qu’on appelle la Perfection.

© Antoine Couvercelle

Rafael Nadal ou la bestialité flamenca

Lorsqu’il frappe la balle de son coup droit lasso, il émane de son être une force poétique et une intensité qu’on retrouve dans certaines danses ancestrales ayant pour but d’influencer l’âme et de fournir l’expressivité nécessaire pour approcher et pour révéler l’insondable. On peut l’associer volontiers au phénomène de la transe extatique : des procédés chamaniques aux rave-partys contemporaines, en passant par les bacchanales liées au culte de Dionysos. Mais ce coup droit lasso nous ramène surtout à une certaine pratique artistique liée à ses origines espagnoles… La danse flamenca.

Il le délivre parfois en avançant après avoir déstabilisé l’adversaire qui renvoie la balle comme il peut, parfois en fond de court dans des situations de jeu favorables ou défavorables… Il peut être bombé ou rasant, croisé ou long de ligne mais il est presque toujours aussi foudroyant et furieusement angulaire que le coup de pinceau de Picasso. 

Ses déplacements sont rapides, ses pieds bien ancrés dans le sol, légèrement fléchis, il attend déjà la balle en ne la quittant jamais du regard, même lorsque celle-ci vient percuter le cordage de sa raquette. Ses yeux empreints d’une outrancière et folle détermination continuent de la suivre, de la traquer, même lorsqu’elle quitte violemment son territoire. Avec concentration, il s’efforce constamment à dominer son sujet, sujet paradoxalement indomptable avec lequel il parvient néanmoins à composer avant de l’apprivoiser, non sans y laisser quelques litres de sueur. C’est un fait connu, il transpire, il transpire en abondance, il transpire comme personne (ou comme Zizou). Ses vêtements trempés laissent alors transparaître un corps athlétique dont les muscles semblent se contracter crescendo au fil d’un échange. Il y a sans contestation possible quelque chose de bestial, d’animal, qui habite cet homme. Sentiment démultiplié quand Nadal accompagne ses coups de quelques râles fulgurants, qui au passage finissent parfois en apothéose lorsque la trajectoire aux courbes arrondies fait mouche. 

Il est impossible de ne pas y déceler de la sensualité voire de la sexualité. Le contraste fou de ce geste à la fois violent et érotique, et la beauté qui s’en dégage font également directement penser à la danse de Flamenco, tant du point de vue esthétique que philosophique. En effet, au rythme de la guitare, tantôt doux, tantôt violent, rapide et lente, d’un geste pur, le danseur de Flamenco fait lui aussi mouliner son bras au-dessus de sa tête tout en cassant le poignet en angle droit. Et avec cette même concentration il va taper du pied pour sentir le sol. Une fois, deux fois, trois fois… Et dans une transe folle ou toutes les passions se mélangent, il va chercher à atteindre un état primitif. 

Primitif comme ses cris de célébration cent fois répétés venant se heurter sur les parois des tribunes pour mieux pénétrer les âmes des milliers de personnes présentes. La bouche qui se tord, les gencives à vif, pareil à un éclat de rire. Le visage déformé, quasiment incendié, et le poing serré, il hurle sa joie. Avec lui, le combat tennistique se confond avec celui de la vie. Il hurle pour la victoire et pour la vie, contre la défaite mais contre la mort aussi… 

VAMOS !

2020 ROLAND GARROS © Ray Giubilo

Gaël Monfils, hip-hop vibes

Lors de la journée caritative qui précédait l’ouverture du tournoi de Roland-Garros 2014, alors qu’il attendait de disputer le premier tour face au Roumain Hanescu, Gaël Monfils défiait Laurent Lokoli dans une mémorable joute dansante sur le court Philippe-Chatrier. Bob Sinclar et Big Ali étaient là en faiseurs d’ambiance et Novak Djokovic en spectateur euphorique. Porté par cet esprit de fête, Gaël virevoltait, effectuant de puissants kick and step, et sortait victorieux de la battle de break dance. 

Au milieu d’une place dans laquelle un public agité et intervenant forme un cercle, les danseurs robotiques s’essayent généralement dans l’exécution de tout un tas de figures acrobatiques. C’est de la pure improvisation. Les danseurs enchaînent les performances l’un après l’autre et dans un ordre précis, de façon quasi-analogique. Le cercle est acteur et réagit alors par des approbations, des hourras et des sifflements qui poussent les danseurs à dépasser leur limite. La break dance trouve ainsi sa puissance créative dans le moment même de son exécution. Cette méthode de l’improvisation s’articule cependant dès le début à un langage avec ses codes et ses règles. Tout le monde doit être prêt à pouvoir réaliser les figures de référence (la coupole, la toupie, le moulin-à-vent, etc.) et les phases chronologiques d’enchaînement de ces dernières – lors de la descente au sol notamment – pour trouver sa propre personnalité. La finalité de cet exercice est de réaliser, à partir de ce cadre commun, une performance originale. 

On tient dans cette dernière phrase toute l’essence du tennis monfilsien. Le Français est effectivement comme tous ces artistes habités par une envie, un besoin viscéral de création. On ne compte plus la flopée de coups uniques dont il est l’auteur. Il semble évident que sa passion pour la culture hip-hop a influencé sa manière d’être – et donc de jouer. Il n’y a qu’à observer sa démarche assurée suivant le beat lent d’une musique de rap us et sur laquelle on a envie de secouer la tête. Ou bien sa capacité d’impulsion et sa suspension dans les airs qui donnent à ses smashes une allure dunkesque. Mais aussi sa façon d’électriser le public tel un « master of ceremonies » ou de gentiment provoquer son adversaire après un de ses tours de magie. Dans ces moments, sa gestuelle semble traduire un « vas-y, à toi maintenant ! », nous renvoyant alors au fonctionnement de la battle. Parfois les joueurs répondent au défi, parfois pas. Mais lorsqu’il rencontre pour la première et unique fois Dustin Brown, lui aussi fan de hip-hop, lors du premier tour de Roland-Garros 2017, la querelle est fascinante, l’originalité à son apogée. 

Le 8 mai 2019, lors des 16e de finale du tournoi de Madrid face à Fucsovics, le Français réussit un coup extraordinaire. Assurément l’un des plus beaux coups de l’histoire du tennis. Une sorte de passing de coup droit sauté long de ligne et puissant, délivré dos au court. S’apercevant qu’il était en avance sur la balle et conscient de ses arguments physiques, il improvise alors ce coup qu’il n’est pas certain de réussir mais dont la simple tentative satisfait son esprit enjoué, presque enfantin. D’ailleurs, il y a sans doute dans le désir de création quelque chose qui relève de l’enfance. Au cours des années 1950, la majorité des chorégraphes et des danseurs, méconnus ou de renom, associaient l’improvisation à une sorte d’impressionnisme champêtre qu’ils avaient découvert dans les cours de récréation de l’école primaire. 

Dans le milieu littéraire, on partage aussi ce point de vue avec notamment Chateaubriand et ses trois premiers livres des Mémoires d’outre-tombe qui sont exclusivement dédiés à l’enfance. Celui-ci attribue un rôle fondamental aux « sensations fugitives » en repensant d’une façon remarquable le premier ouvrage des Confessions de Rousseau. Il fera de l’enfance non seulement une période de vie avec ses souvenirs et anecdotes inévitables, mais aussi le berceau de l’hypersensibilité sensorielle, le lieu dans lequel l’attention est exacerbée. Décelant dans la déconcertante facilité de l’enfant à s’imprégner des formes et des couleurs l’essence même de l’inspiration, Baudelaire écrira quelques années plus tard dans Le Peintre de la vie moderne : « L’enfant voit tout en nouveauté ; il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur. […] L’homme de génie a les nerfs solides ; l’enfant les a faibles. Chez l’un, la raison a pris une place considérable ; chez l’autre, la sensibilité occupe presque tout l’être. Mais le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté […] »

Enfin, dans l’Essai sur les révolutions, Chateaubriand expose avec précision la définition du génie par Baudelaire, et compare directement le primitif à l’enfant : « Vous qui voulez écrire des hommes, transportez-vous dans les déserts ; redevenez un enfant de la nature, alors, et seulement alors, prenez la plume. »

« Créer, c’est toujours parler de l’enfance », disait Jean Genet. 

Dans le processus de création, il faut sans cesse repousser et refuser les limites de la technique et de la science. De la même façon que l’enfant et son imagination essayant d’illustrer des choses appartenant à l’utopique. Finalement, quand Gaël Monfils nous éblouit avec l’une de ses inventions, il se souvient de son enfance et nous raconte qu’il faut toujours continuer de rêver, car rien n’est impossible. 

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

© Nicolas Anetson

Slide to Survive

2020 Internazionali BNL d'Italia ROMA © Ray Giubilo

Andy Murray, relayé par la plume de l’excellent Laurent Vergne sur Eurosport.fr, l’avait déclaré en décembre 2021 : le tennis devrait avoir son propre Drive to Survive, du nom du documentaire Netflix qui a rappelé aux générations post-baby boom que la Formule 1 n’était pas forcément réservée aux résidents des maisons de retraite et autres patients à risques et que la course ne s’achève pas (forcément) après le carambolage du premier virage. Aussitôt dit, aussitôt fait : le géant américain du streaming a entendu l’Ecossais dont l’humour grince presque autant que les hanches et l’a carrément pris au mot.

 

Il était temps. En effet, au lieu de s’acharner à raccourcir et simplifier le format du tennis ad nauseam, pourquoi ne pas simplement braquer les caméras sur ce qui existe déjà ?  L’humoriste suisse Thomas Wiesel abondait dans nos colonnes l’année dernière : « Le tennis a la chance d’avoir des joueurs et des joueuses qui sont charismatiques. C’est un sport dans lequel il n’y a pas d’équipement qui cache les visages […] on les reconnaît, ils sont expressifs : capitaliser à mort là-dessus serait malin pour eux. » Dont acte. Alors que le tournage de la première saison a débuté à Melbourne, ni le nom de la série, ni son casting n’ont encore été dévoilés. L’occasion pour nous de laisser libre cour(t)s à notre imagination. Il va sans dire que le label Serve & Volley to Survive, impossible à comprendre pour le public cible de Netflix dont le baptême tennistique est postérieur à la tristement célèbre finale de Wimbledon 2002 et son assassinat du jeu vers l’avant, est d’ores et déjà à jeter aux oubliettes. Alors que la tournée européenne sur terre battue se profile à l’horizon, quid d’un Rally ou encore Slide to Survive ? 

Survivre, dans son sens le plus littéral, c’est un peu ce que le sport de tous niveaux s’efforce de faire tant bien que mal depuis deux ans pour des raisons qui vous ont été rappelées au moins autant de fois que Boris Johnson a menti au cours des dernières 48 heures (vanne certifiée intemporelle). C’est donc un casting par catégories inspirées de cette nouvelle réalité avec laquelle le tennis doit désormais composer qui a été réalisé par nos soins forcément intensifs. Et c’est évidemment sans vergogne que nous avons sollicité l’aide de l’édition 2022 du Petit Larousse et ses 170 nouveaux termes liés à la pandémie. Figurez-vous que selon la Radio Télévision Suisse, le dictionnaire a été « contaminé », alors que France Culture nous rappelle qu’après les deux Guerres mondiales, la langue française avait déjà été « envahie ». Sur cette base, vous nous pardonnerez aisément les quelques calembours plus ou moins avouables qui ne manqueront pas de nous échapper çà et là dans ce qui va suivre. Distribution plus ou moins chronologique et absolument non exhaustive basée sur les deux premiers mois d’une saison déjà riche en rebondissements (ce qui est finalement moyennement renversant pour un sport de balle). Le tout en brûlant un cierge dans l’espoir qu’au moment où vous lirez ces lignes l’enchaînement des Masters 1000 étasuniens du mois de mars n’ait pas trop accéléré l’obsolescence programmée de nos doctes analyses.

Gael Monfils defeated world number 1 Daniil Medvedev © Antoine Couvercelle

La préposée à l’application stricte du couvre-feu :

Aurélie Tourte, la crème de l’arbitrage français. Qui a oublié sa gestion musclée d’une finale du tournoi de Bercy qui ne manquait déjà pas de sel en novembre dernier ? Sûrement pas les quelques olibrius vaguement éméchés priés d’ « aller faire un petit tour dehors » après avoir mis les pieds dans le plat ce jour-là. Celle qui a été la première femme à diriger une finale d’ATP 500 doit également avoir laissé un joli souvenir à Rafael Nadal, qu’elle avait osé avertir pour dépassement de temps en 2020 (et dieu sait qu’ils sont peu à utiliser cette règle qui a habituellement une valeur aussi symbolique qu’un gardien de but de handball). Qu’on se le dise, Tourte ne compte pas pour du beurre. Sans parler de Novak Djokovic, dont elle avait assisté à la disqualification du haut de sa chaise la même année à New York. Une dure à cuire on vous dit. Le jour des auditions, elle ne fera d’ailleurs qu’une bouchée de Mohamed Lahyani, l’autre prétendant au rôle de star incontournable de notre reportage dans les coulisses du circuit. On se dépêche d’appuyer sur la touche « enter », histoire de passer au paragraphe suivant alors qu’on arrive encore à se retenir de lâcher un dernier chapelet de jeux de mots culinaires d’un goût aussi douteux qu’un tweet mijoté par le subtil tandem Tennys Sandgren-Sergiy Stakhovsky.

 

Le joueur qui a le masque à (presque) chaque remise des trophées : 

Félix Auger-Aliassime. FAA porte-t-il des FFP2 ? En tout cas il est resté à l’abri des victoires en finale pendant un bon moment (0 sur 8 sans remporter une seule manche au passage). Oui, huit. On vous voit venir : l’ATP Cup est à peu près aussi crédible qu’une promesse humaniste de Gianni Infantino pour donner de l’eau au moulin de sa Coupe du monde biennale. Ne pensez donc même pas à l’ajouter à l’armoire au(x) trophée(s) officiel(s) du désormais ex-Julien Benneteau québécois. « Ex » ? Oui, car le dimanche 13 février à Rotterdam, le futur du tennis nord-américain (n’ayons pas peur des mots) a décidé qu’il était temps de faire table rase du Tsitsipassé afin de ne pas remettre ce premier titre aux calendes grecques. Personne ne bat Félix Auger-Aliassime 9 fois de suite. Et apparemment personne ne bat Andrey Rublev deux semaines de suite. Bilan : 1-9 après l’Open 13.

 

Le joueur dont les anticorps ne sont efficaces que trois mois : 

Roberto Bautista Agut. On murmure que la saison de celui qui a glané 7 titres sur un total de 10 entre les mois de janvier et mars et qui a encore été finaliste de l’ATP Cup et vainqueur à Doha cette année touche déjà à sa fin. C’est peu dire qu’Andy Murray et Alejandro Davidovich Fokina, balayés respectivement 6-0 6-1 et 6-1 6-1 au Qatar, sont soulagés.

 

Le vecteur de transmission aéroportée :

Novak Djokovic. On vous épargne les détails. Si vous étiez en vacances sur Mars en janvier, on ne peut plus rien pour vous. Avouons que ça nous étonnerait puisqu’on est à peu près sûr que quelques années-lumière de quarantaine sont demandées avant d’entrer dans l’atmosphère de la planète rouge quel que soit votre statut vaccinal terrien. L’homme qui a accumulé les gaffes à un rythme aussi effréné qu’un certain préposé au courrier des lecteurs du Journal de Spirou dans les années 1960 aura probablement des prétentions salariales trop élevées pour notre casting puisque ses frasques de début d’année pourraient lui valoir à elles seules un contrat à vie avec Netflix, Amazon Prime et HBO Max (pour ne citer que des chaînes régionales sans le sou). Voilà qui tombe bien, puisqu’à l’instar de son modèle des éditions Dupuis, notre Spartacus des temps modernes risque de devoir s’habituer au rôle de héros sans emploi dans un futur pas si lointain.

 

L’expert en immunologie (contacté via Facebook) : 

Pierre-Hugues Herbert. P2H, ça fait assez symbole chimique, mais pourtant la science n’a pas l’air d’être son fort. Interrogé (en qualité de quoi exactement, on n’est pas sûr) pour donner son avis sur le cas Djokovic, le joueur français antivax a fait moins de vagues que son illustre compagnon d’infortune puisqu’il n’a pas demandé d’exemption vaccinale et a fini par présenter un test PCR un tantinet moins discutable que le document de celui que les anglophones surnomment désormais « Coronovak » (ça change un peu du mille fois ressassé « Novax Djocovid », non ?) pour rentrer dans le tableau de l’Open 13. On espère que Nicolas Mahut n’a pas été piqué au vif par toute cette histoire.

2021 Internazionali BNL d'Italia ROMA © Ray Giubilo

Le dirigeant asymptomatique à toute velléité d’autocritique (à ne pas confondre avec autocratique) : 

Craig Tiley. Interviewé par Channel Nine le 20 janvier dernier sur le thème de l’exemption vaccinale accordée puis retirée à Djokovic, le directeur de l’Open d’Australie a probablement esquivé assez de questions et usé de suffisamment de feintes rhétoriques pour décrocher sa qualification directe pour le tournoi de boxe des prochains Jeux du Commonwealth. Sa langue de bois risque tout de même de poser problème au moment de la mise en place du protège-dents.

 

La joueuse de retour de quarantaine :

Naomi Osaka. Ça tombe bien, celle qui a déjà sa propre série en trois épisodes connaît la maison. Après moult démêlés psychologico-médiatiques en 2021, la plus américaine des joueuses nippo- haïtiennes est de retour et semble se sentir bien mieux dans ses baskets. À l’heure où certains de ses collègues se prennent pour Jésus, Naomi semble en avoir terminé avec son chemin de croix. « Je ne suis pas Dieu », a-t-elle tenu à préciser après sa défaite au troisième tour à Melbourne face à Amanda Anisimova, elle aussi soudainement ressuscitée. Une sortie qui ne signifie pas forcément qu’elle ne sait plus à quel saint se vouer.

 

Le nouveau variant local :

Belinda Bencic. Au sortir de près de deux décennies bouclées sur une moyenne supérieure à un titre majeur par année, le tennis suisse a une sacrée gueule de bois. Son antidote potentiel existe, mais à une condition : ne la faire prendre part qu’à des compétitions par équipes représentant leur pays. En 2021, Bencic a (fièrement) porté le drapeau rouge à croix blanche à 10 reprises en simple pour un bilan de 9 victoires dont un titre olympique et une place de finaliste en Billie Jean King Cup alors qu’elle n’a atteint qu’un quart de finale en Grand Chelem (7 victoires, 4 défaites). Rebelote en 2022 avec une déconvenue dès le deuxième tour à Melbourne et toujours pas une seule demi-finale sur le circuit depuis le mois de juin dernier pour la perpétuelle dernière Suissesse en lice. Vous avez dit vaches maigres au pays du Gruyère (le seul, l’unique, sans trous) ?

 

Le virus préhistorique sorti tout droit du permafrost : 

Maxime Cressy. Non, il ne s’agit pas du fantôme de Taylor Dent, du fils caché de Radek Stepanek ou d’un cousin éloigné de Dustin Brown. Et pourtant il se rue vers le filet comme si 1999 et l’herbe usée du carré de service du All England Club l’y attendaient. Craig O’Shannessy, analyste pour l’ATP, s’acharne à le chanter sur tous les tons : le service-volée n’a statistiquement rien perdu de son efficacité (environ 65 %) malgré sa chute libre en termes d’occurrences sur le gazon londonien (33 % en 2002 pour 6 % en 2018). Si vous profitez de surcroît de l’effet de surprise constitué par le fait que vous êtes le seul à le pratiquer en 2022, il se pourrait même que vous atteigniez votre première finale ATP et votre première deuxième semaine de Grand Chelem en l’espace d’un mois. 

 

La joueuse en isolement au plus haut niveau :

Ashleigh Barty. Tellement seule au monde qu’elle est à un contrat avec Wilson de se prendre pour Tom Hanks. 12 victoires, 24 sets gagnés pour une misérable manche égarée sur l’autoroute des titres à Adélaïde et Melbourne. Comme quoi certains poncifs restent encore et toujours des valeurs sûres : nul n’est prophète en son pays et le circuit féminin n’a pas de patronne. C’est bien connu. L’Équipe la qualifie d’« accessible ». Ses adversaires ne semblent pas avoir été consultées.

 

Les dernières protéines du variant alpha encore en activité :

Rafael Nadal et Alizé Cornet. Novak Djokovic a été déporté, Roger Federer est toujours blessé, on est (presque) sans nouvelles de Stan Wawrinka et Andy Murray ne verra probablement plus jamais une deuxième semaine de Grand Chelem malgré toute sa bonne volonté. Bref, ces messieurs ont tout pour former la catégorie des joueurs sous assistance respiratoire. C’est donc l’Incroyable Hulk de Manacor qu’on a dû ressortir du formol (à l’image de Mariah Carey chaque année à Noël) pour contrarier les plans de la #NextGen. Et accessoirement battre le record absolu de titres majeurs, paraît-il (on a cru entendre un ou deux médias vaguement aborder le sujet). Quant à la romancière des Alpes Maritimes, un premier quart de finale en 60 tournois majeurs consécutifs lui donnera peut-être envie d’ajouter une postface de quelques pages à sa carrière dont elle a annoncé écrire l’épilogue cette saison.

Roland Garros 2018 © Ray Giubilo

Le joueur qui ne sera jamais considéré comme endémique :

On doit à Dmitri Ivanovitch Mendeleïev un tableau périodique qui ordonne, classe et organise les éléments chimiques connus. Daniil Medvedev, c’est tout le contraire. Le numéro 2 mondial semble composé d’éléments inconnus et fortement instables qui tendent tous vers l’implosion. Il joue au tennis avec force grands gestes désordonnés à ne montrer sous aucun prétexte dans quelque école de tennis que ce soit, déclasse souvent ses adversaires et l’organisation des tournois y a perdu plus d’une fois son latin. Après avoir traité un arbitre de « petit chat » et avoir quelque peu insisté sur le déni neuronal absolu de certains spectateurs des Antipodes (difficile de ne pas lui donner raison en l’occurrence), pouvait-on vraiment prévoir sa prochaine facétie ? La logique aurait voulu qu’il devienne le tueur de géants assermenté du circuit après la finale de l’Open d’Australie, en gravissant consécutivement les deux sommets hors catégorie que sont Djokovic et Nadal, les privant tous deux d’une 21e couronne record, le tout en trois manches sèches et sonnantes à chaque fois et au grand dam d’un public avec lequel on restera poli en le qualifiant d’hostile. Le hic, c’est que Medvedev s’entend aussi bien avec la logique qu’avec Stefanos Tsitsipas. Du coup il a perdu et promis de ne plus jouer qu’à Moscou. Vous l’aviez sentie venir celle-là ? Enfin ça c’était avant que la finale de la Champions League soit déplacée de Saint-Pétersbourg à Paris et que la Russie soit bannie du concours de l’Eurovision, pour ne citer que les sanctions les plus draconiennes administrées par la communauté internationale en réponse à l’invasion de l’Ukraine. Du coup notre électron libre s’est dit que s’enfuir au Mexique et devenir numéro 1 mondial dans la foulée était aussi une idée qui se défendait après tout.

 

Le joueur affecté par le syndrome de FOMO (Fear Of Missing Out, la fameuse peur de manquer de papier toilette et de féculents en mars 2020) :

Nick Kyrgios. Que le nouveau meilleur pote de Max Purcell ne s’inquiète pas, il ne manquera (de) rien ! Qui pourrait imaginer un casting de télé-réalité sans lui ? Surtout en ce moment, alors que celui dont la présence dans un tournoi de simple est devenue aussi pertinente que celle de Valérie Pécresse comme intervenante dans un cours de subtilité rhétorique a enfin trouvé le moyen de gagner sans (trop) se fouler. Eh oui, diviser la surface du court à couvrir par deux en déléguant l’autre moitié à l’éclopé notoire Thanasi Kokkinakis et transformer le stade en Circus Maximus pour le grand déplaisir de ses adversaires qui dégoupillent à qui mieux mieux : la recette d’une victoire en Grand Chelem ne tenait finalement pas à grand-chose. Plus sérieusement, en tant que passager de longue date de son bandwagon, on est tout simplement content d’apprendre que sa santé mentale meurtrie en 2019 va mieux.

 

Il sert la science et c’est sa joie :

Juan Martin Del Potro. Le retour de Tandil. Ou pas. C’est peu dire que l’improbable comeback après deux ans et demi d’absence de celui qui a subi presque autant d’opérations que Martina Navratilova compte de titres majeurs était scruté par la planète tennis. Et pour cause, puisque la faculté du gentil géant à récolter tous les suffrages est proche de celles de Xi Jinping et Vladimir Poutine réunis. Ce n’était finalement qu’une façon de tirer la prise lui-même, sous la lumière des projecteurs et dans l’ambiance électrique d’une arène garnie de compatriotes plutôt que dans l’obscurité impersonnelle d’un communiqué publié sur les réseaux sociaux. À force de passer sur le billard, d’aucuns auraient perdu la boule. Le sosie d’Eddie Cahill s’est contenté de taper dans la balle une dernière fois. On s’excuse pour cette référence obscure qui ne parlera qu’à quelques Millennials égarés.

Open-Indian Wells, 2022 © Ray Giubilo

Le variant le plus virulent de l’hiver (on vous avait dit de garder les masques en indoor) :

Anett Kontaveit. L’Estonienne a remporté 5 titres, s’est qualifiée pour les WTA Finals dont elle a atteint la dernière marche et est passée de la 30e à la 5e place du classement mondial en l’espace de 6 mois. Dommage pour ses adversaires que ce genre de fulgurance ne soit pas plus contagieux. Certains esprits chagrins (certainement pas nous, qu’allez-vous penser ?) ne pourront s’empêcher de faire remarquer que le rouleau-compresseur de Tallinn n’a jamais dépassé les quarts en Grand Chelem, un peu à l’image de Rublev et ses 12 victoires en 3 semaines entre Rotterdam et Dubaï. Le genre d’agenda de ministre qui mène tout droit au burn-out en deuxième semaine de majeur.

 

Le joueur qui craint le plus l’assouplissement progressif des restrictions :

Benoît Paire. Malgré son ras-le-bol pandémique apparent, le BFF de Marion Bartoli fait partie des membres plus ou moins intermittents du circuit ATP qui ont tiré le plus gros avantage du gel du classement en 2020. En effet, si les gouvernements danois et suisse ont récemment décidé de laisser tomber à peu près toutes leurs contraintes sanitaires d’un coup en plein hiver (pour ceux qui s’interrogent sur le timing, il n’y a pas d’élection présidentielle ce printemps dans ces deux pays), la fonction defrost du congélateur de l’ATP semble restée bloquée sur « économie d’énergie ». Tant mieux pour Paire qui, avec un total faramineux de 15 victoires en 36 tournois disputés pour 19 défaites au premier tour (sans compter les bye) depuis le début de l’année 2021, émergeait encore à un amour de 52e place mondiale le lundi 14 février. Il n’y a pas que les papys du Big Three qui font de la résistance.

 

Le joueur prisonnier du monde d’avant :

Carlos Alcaraz, tombeur du menu fretin que représentent Matteo Berrettini, Fabio Fognini et Diego Schwartzman et titré au tournoi ATP 500 de Rio. Oui, malgré l’impression d’une décennie écoulée depuis son quart de finale à l’US Open (et aussi celle qu’il ne doit pas rester beaucoup d’épinards dans les supermarchés d’El Palmar), notre homme a toujours 18 ans. Vous vous souviendrez peut-être encore longtemps de ce que vous faisiez quand le freluquet de Murcie est entré dans le top 20. On croit tellement en lui qu’on voulait en faire le visage de notre casting et le coller au sommet de l’affiche avec les frimousses de Barty, Osaka et Auger-Aliassime (on est vendeur ou on ne l’est pas). Pas de bol, une avarie de sa machine à remonter le temps le retient en 2005. Une sombre histoire de couture de son débardeur anachronique qui se serait coincée dans les rouages. Vous vous souvenez quand on se demandait encore quel hispanophone (ou Guga) allait bien pouvoir remporter Roland-Garros cette année ? Et qu’on trouvait que c’était quand même un peu toujours les mêmes ?

 

Le joueur qui maîtrise le mieux les gestes barrières :

Reilly Opelka et ses 12 tie-breaks gagnés sur 17 disputés en 12 matches en 2022 avec au passage son troisième titre à Dallas et une finale perdue (en deux jeux décisifs évidemment) à Delray Beach. De quels gestes barrières parle-t-on ici ? Mais de la distanciation sociale (ou plutôt physique) entre l’échalas du Michigan et un break ou encore un échange de plus de trois coups de raquette, Dieu l’en préserve !

© Antoine Couvercelle

Le sous-variant BA.2 qui se bat pour exister dans l’ombre d’Omicron :

Clara Tauson (à laquelle on pourrait adjoindre Emma Raducanu, Leylah Fernandez, Iga Świątek ou encore l’ancêtre Coco Gauff, du haut de ses 4 ans de carrière pro à tout juste 18 ans). La Danoise de 19 printemps, coachée par le bien nommé Olivier Jeunehomme, championne nationale à l’âge de 13 ans (mieux que Caroline Wozniacki) et vainqueur de deux tournois WTA en 2021 est la nouvelle pépite du circuit. Si on ne s’y connaissait pas, on lui prédirait des titres majeurs par dizaines dans les années à venir. Sauf que. Sauf que le firmament du tennis féminin a connu tellement de météorites qu’on préfère tourner sept fois notre langue dans notre bouche avant de se prendre pour Elizabeth Teissier pour briller en soirée. Combien de futures stars ont vu leur étoile pâlir immédiatement après leur(s) première(s) grande(s) victoire(s) ? Jelena Ostapenko (Roland-Garros 2017) n’a atteint la deuxième semaine d’un Grand Chelem qu’une fois depuis. Sloane Stephens (US Open 2017) n’était plus dans le top 50 au moment de mettre sous presse. Bianca « IKEA » Andreescu (Indian Wells, Toronto, US Open 2019) est actuellement en pièces détachées. Sofia Kenin (Australian Open 2020) est 90e mondiale. Un peu plus et les sœurs Brenda et Linda Fruhvirtova, titrées aux Petits As en simple et en double et titulaires de points WTA à respectivement 14 et 16 ans feraient passer tout ce petit monde pour une maison de retraite en goguette. On n’est certes pas à l’abri de voir l’un des astres éphémères susmentionnés nous faire une Paula Badosa (n.d.l.r. : expression consacrée qui désigne une ancienne prodige précoce remportant un grand titre 6 ans après avoir été définitivement enterrée par tous les spécialistes) au cours de la prochaine décennie. On espère pour ces demoiselles qu’elles n’auront pas à faire une Jiří Veselý (n.d.l.r. : variation sur l’expression précédemment citée qui consiste en une victoire sur un numéro 1 mondial 6 ans et une éjection du top 100 après la première).

 

L’ex-joueuse immunisée contre tout futur lancement d’alerte sur les réseaux sociaux : 

Last but not least. Peng Shuai, vous vous souvenez ? Probablement pas, et on ne vous blâmera pas pour ça au vu de la durée moyenne de l’attention médiatique accordée à tout ce qui n’a rien à voir avec le covid, Eric Zemmour ou le chat de Kurt Zouma. Petite liste non exhaustive (et fortement occidentocentrée) d’événements somme toute mineurs qui ont fort brièvement retenu notre attention au cours des 24 derniers mois : urgence climatique, incendies en Australie, menace d’une troisième guerre mondiale en Iran, urgence climatique, double procédure de destitution d’un président américain, morts de George Floyd et Ruth Bader Ginsburg, urgence climatique, élection de la première femme vice-présidente des États-Unis, insurrection à Washington, urgence climatique, Simone Biles et l’affaire Larry Nassar, séisme en Haïti, urgence climatique, reprise de l’Afghanistan par les Talibans, COP26, urgence climatique, Djokogate, possible implosion de la Bosnie, urgence climatique, convois de la « liberté » (sic), Partygate au 10 Downing Street, urgence climatique. À l’heure de mettre un point final à notre tapuscrit, le conflit russo-ukrainien faisait la une de tous les vecteurs médiatiques européens depuis bientôt une semaine. Si votre lecture printanière de ces lignes n’est pas rythmée par un fond sonore de bottes militaires russes traversant votre village, il y a fort à parier que l’opinion publique de notre chère francophonie aura tourné son trouble de l’attention vers d’autres cieux. S’il nous a été impossible de rester concentrés sur ne serait-ce qu’une seule de ces occurrences pendant plus de temps qu’il n’en faut à une levée du Grand Chelem pour arriver à son terme, difficile d’imaginer accorder plus de temps de cerveau à la jeune retraitée du tennis chinois dont la résidence actuelle est probablement digne de faire frémir les locataires les plus endurcis du Park Hotel de Melbourne. On essaiera tout de même de la contacter pour notre casting, il paraît qu’elle répond volontairement aux e-mails et qu’elle fait parfois des vidéos de manière tout à fait spontanée. Ah et elle adore apprendre des scripts par cœur, surtout si le scénario est réaliste. 

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

Swapping the Shoes

 

Andrea Gaudenzi on the many shades of his career, his life, and his vision for the future of tennis 

© EdWrightImages

“It’s an incredible emotion,” Andrea Gaudenzi recalls his first ATP point. “And very hard work. I was playing five rounds of qualies and then the main draw—it’s a full month of grinding. It’s extremely tough but extremely rewarding,” he says with a smile. 

For a political figure in the tennis world, the Executive Chairman of the ATP is surprisingly down to earth. He joins our Zoom call with apologies, in case he’s late (he’s not), and invites me to start firing off questions. During our chat he is relaxed and talkative, frequently flashing a handsome smile. Like most Italian exports he projects class. I mention the Globe Tennis Club, a small venue in a leafy suburb in Northwest London, which Gaudenzi was a member of for a while. On any given morning, players at the Globe could enjoy the surreal experience of having a hit next to a former world number 18. Gaudenzi is amused by the memory. “Are people still fighting over the courts?” he laughs. 

In many ways, Gaudenzi’s journey from a successful junior player into professional tennis and the upper echelons of the ATP encapsulates the focus that the organisation places on developing storylines. At its very core, tennis is a simple game of trying to outhit your opponent, but as points turn into matches, matches into tournaments, and tournaments into seasons, the centre of attention shifts to the narrative and the lives it chronicles. 

Coming from a sport-minded family, Gaudenzi’s first contact with tennis, and by extension, the start of his journey, happened at a young age. “I played with my dad almost every day since I was on court, probably [from] five years old. When I was three, I was playing in my courtyard against the wall,” he recalls. “I was quite successful in the Juniors because I won the [Junior] French Open and the [Junior] US Open. I was number one [in Junior rankings],” Gaudenzi continues. “But [that is] no guarantee of turning pro. And I struggled a lot, the year after [graduating from] Juniors to actually win matches on the tour,” he remembers. Eventually, he did start winning matches. During the 13 years on the tour, Gaudenzi reached nine singles and six doubles ATP finals, winning three and two of them respectively. His career highlights include wins over such legends of the sport as Roger Federer, Pete Sampras, and Jim Courier, and a career-best ranking of 18 in 1995. That was also the year he lost to Thomas Muster in a Monte-Carlo semifinal. “My best performance in a Masters,” he smiles.

After hanging up his racquet, Gaudenzi graduated with a degree in law from the University of Bologna, before eventually obtaining a Master in Business Administration at the International University of Monaco. The seeds of that decision, owing to a deal he made with his parents, were planted quite early in his career. “My parents created the awareness that the career [of a tennis player] was short and I needed to think about [what to do] post that,” he says. “I had to make a compromise with my parents and they said, ‘Look, you can try for a couple of years to get to the top 100, and if you don’t succeed, you have to enrol into university.’”

“I set myself a deadline,” Gaudenzi recalls. “Which I, sort of, achieved because I was top 100 in 1993. But in the meantime, it made me think, ‘Look, why not give a try with university anyway.’ At the time, Borg, McEnroe, Becker, they were retiring around 26, 27, 28 years old. So you go into that career, maybe starting a bit earlier, like [Michael] Chang and [Boris] Becker, starting at 17-18 but you had in mind that you had 10 years—you weren’t thinking about 35, 40 at the time. So my mindset was always a long term view. ‘Okay, what do I do next?’ And what do I do even after that? What do I do when I retire?’ And I always had that sort of long term thinking. Even though I was doing well, that was my main concern.”

Going from the hyper-active world of professional tennis to a more sedentary environment is never an easy change for someone accustomed to the daily routine of running until their legs burn. “One of the most difficult things in life,” Gaudenzi confesses. “It was even more difficult than actually breaking through as a pro because I was prepared for that lifestyle. Since the early days, you train since you’re 12-14 years old, you’re ready for that life,” he says. “But going from five hours of activity every day, outdoors, playing the tour, to an MBA which I did in 2003, which was basically eight hours of indoor class in a year-long programme, and then working, interacting with people via computer, email and all of that—it was a bit of a shock, mentally and physically.”

© Ray Giubilo

When on a tennis court, Gaudenzi exhibited all the qualities required of an elite athlete—featherlight footwork, impeccable technique, unwavering confidence in his own ability. None of which prepared him for the transition from raucous stadiums to sleek boardrooms. “You basically start from zero,” he says. “So no matter what your ranking is, who you were. You are basically going back to the Futures,” Gaudenzi laughs. “You’re one in a million. You’re actually starting 0-15 every game because people have this perception of, okay, you’ve been an athlete, done a good job, but you’re not prepared to be here, you don’t have the education and the experience,” he explains.

Still, has the decade-long grind on the tennis tour helped him adjust? “Yes, absolutely,” Gaudenzi answers without hesitation. “Mainly the skill set of perseverance, discipline, resilience, the fact that you set yourself a goal and you’re persistent in trying to reach it. I think that’s the [right] mentality. I always thought, if athletes could get an education, they would take over the business world,” he says. “The problem is that what most of us, these guys, lack is the basics. Once you have that skill set, and you combine it with education, then the sky’s the limit.”

As the conversation shifts to the craft of hitting ball, Gaudenzi slides into his comfort zone. His position as the Executive Chairman of the ATP, overseeing the wellbeing of the sport, lends him an undeniable level of political clout, but it is clear that the game itself remains his passion. From his debut in 1990 to his retirement in 2003, he had a first-row view of the dusk of one tennis era and the dawn of another. I ask Gaudenzi whether tennis has changed much in the last 30 years. “A lot of people tell me, ‘You see how different they [players] are? And I keep saying, I’m not sure,” he says with a doubtful smile. “Until five, six years ago, many of the guys that were on tour also played in my generation. You know, even David Ferrer [only] just retired a few years ago. I played him three, four times. So I don’t think there has been a fundamental change in the game. Not, at least, as much as there was from the 80s to the 90s.”

Gaudenzi relaxes into a measured tone of somewhere between a former player and a custodian of the sport. “From the 80s to the 90s, there was a shift in, first of all, equipment. You moved to different racquets. But also in the professionality of the players,” he explains. “I think in the 90s, starting probably with [Björn] Borg and [Ivan] Lendl, the players became really professional. I’m not saying that the previous generation, [Guillermo] Villas and [Adriano] Panatta and Illie [Năstase], were not professional. It was just a different mindset. So it became also [about the] medical, science, training—it was more of a [change in] scientific preparation,” he says. “I think we were one of the first generations to apply that with Thomas Muster, Ivan Lendl and all these guys. With the evolution of physical preparation, I think, tennis players became real athletes during the 90s. But what has mostly changed in the last 20 years, in my personal opinion, obviously it’s subjective and debatable, is that science and [injury] prevention got a lot better so that’s the reason players’ longevity has changed. There is less injury, they’re better at preventing it, they’re more careful about nutrition, about all the details to do with taking care of your body. That’s the main change. The second change is more similarity across the surfaces. The difference between clay, hard court, the indoor courts, when we were playing, was massive. Now, which I think is a positive factor, you’ve got Roger [Federer], Rafa [Nadal], Novak [Djokovic], and Andy [Murray] being able to play and win on all the surfaces. Obviously, Rafa has won 13 slams on clay but he also won six on hard courts. At the time, when we were playing, there was more of a set cohort of players playing mainly on slow clay courts, and then you had the fast court big servers—[Richard] Krajíček, [Goran] Ivanišević, [Pete] Sampras. Because the balls were fast, the court was fast, there were almost, I’m not saying two different games, but let’s say that a clay court player would struggle [on hard courts] and a non-clay court player would struggle on clay because the difference was too great,” Gaudenzi explains. “That, in my opinion, has also changed the way the players play. I mean, you definitely see less serve and volley now. You don’t see many [players] of the Edberg and Rafter style. It’s more unified. The courts are average-medium speed, which I think is good for the game.” From a personal point of view, he adds “For example, I used to be a clay-court player. Clay, in general, makes for a minority of the points on the tour. I mean, it used to be more, back in the days, but you were limited. If you were playing well on hard courts, you had more chances—70% of the [ATP] points were on hard courts. So, I think it’s giving the chance to every player regardless of the [preferred] surface. I still would keep the differences, their value—clay, grass, and hard court—but no massive difference in the style required [to compete]. Because the fans want to see the same set of players competing for the top events, and for everybody to have a chance,” Gaudenzi says.

© Corinne Dubreuil / ATP Tour

Gaudenzi’s wealth of experience with high-level tennis and business start-ups meant that when the ATP were looking to appoint a new chairman, his name made it on the shortlist. In October 2019, they announced that he would serve as the next Executive Chairman on a four-year term. At the time, Gaudenzi called it a “true honour”. Right from the start, Gaudenzi’s focus was set on “getting the house in order” and aligning the interests between players and tournaments. “That’s step one,” he says. In September 2021, the ATP announced an update to the Strategic Plan, an outline of their vision for the future of the sport, at the time 18 months in the works. Some of the key aspects included an increased focus on fan engagement, calendar scheduling, and content distribution—all designed around improving access for the fans. “Part of the plan is to try and provide a simpler narrative and a simpler story,” Gaudenzi explains. “Ultimately, what the fans want to see is the top players competing in the top events around the world. And so we need to build a story around those main events,” he says. “The other tournaments are still very important, and they are relevant,” he adds. “But I think we need to try to simplify the narrative, making it a little bit easier for the fans.”

Gaudenzi pinpoints digital distribution as another area with potential for improvement. “The fact that we go to the market selling our rights separately creates a problem where you might have women’s tennis in one place and two Slams in another and the Masters in yet another,” Gaudenzi says. “It’s complicated at the moment and that, for me, creates a barrier that pushes the fans away. You don’t have a ‘house of tennis’, sort of destination, where you could say, ‘Okay, I love this [sport]. I want to watch it now, how much do I pay?’,» he continues. «In some markets, the broadcasters have done the job of aggregation. But it’s random and decided by the broadcaster and not led by tennis. That’s where I think we can do a much better job.”

The problem points to a bigger issue, one that Gaudenzi believes to be a threat to the future of the sport. «Our own, let’s say, fragmentation and complexity in coming to a decision but somehow in aligned governance [is a problem],” he says. “Our fragmentation between ATP, WTA, the four Slams, and ITF, I think, is potentially the biggest threat. “Every discussion you have is always isolated in different silos, and you never come to a forum. It’s also difficult because it should be data-driven—it cannot just be the opinion of the people around the table,” Gaudenzi says. “Ultimately, every entertainment product needs to evolve over time. And without the ability of evolution and innovation, you risk falling behind. That’s why we have created the T7 working group, as we call it,” he says. «We are already working a lot closer with WTA, and we have a much closer relationship to the four Grand Slams and the ITF,” Gaudenzi explains. “We started the discussion, I think, two years ago, and it’s progressing, but it’s challenging at the same time.”

Nevertheless, Gaudenzi remains upbeat. He believes that the organisation is in the right place to think positively about the future, which, according to him, will be teeming with demand for premium content. «There’s going to be massive competition between the tech, media, digital platforms for this premium content,» Gaudenzi says. «I think the future will be extremely bright, but also extremely competitive. Our inability to adapt and make decisions due to our structure could be the only reason why we, it wouldn’t be fair to say we fail, but we lose market share or we lose share of voice or attention share,» he warns nonetheless.

On the subject of capturing the viewers’ attention, I mention some of the game’s personalities, such as Novak Djokovic or Patrick Mouratoglou, who have recently expressed their concerns regarding the average age of a tennis fan. Is this something that worries Gaudenzi? «Generally, I think it’s an issue for every sport,» he says. «Obviously it varies, but we need to be mindful that we are targeting a 35-40 plus audience in terms of core fans. It’s difficult nowadays, to engage the 13 to 25 cohort. They live on TikTok, Instagram, different platforms with short-form video. Their attention span is a lot shorter than people going into the second stage of life,» he explains. Gaudenzi believes that his view on the issue differs from the commonly-held belief. “Everybody focuses on Gen Z and we need to be there, I fully agree,” he says. “We need to create awareness very early, but what we need is to be able to engage the people that will be 35 years old in 10 years’ time. Because these people are native millennials, they will behave differently from how we behave. And I still think we will always be a 35-40 plus [fanbase], but the 35-40 plus will be different—the 20-year-olds will behave differently, the technology will be different, our life will be different,” Gaudenzi continues. “I don’t think you will ever get through to the majority of the fans in the 13-25 cohort. I think you need to prepare them for what’s coming [in order] to get their engagement.”

As the conversation winds down, I reflect on the man in front of me. Inhabiting a space in between the worlds of sport and business, Andrea Gaudenzi has shed the professional insecurities of his post-playing career. Speaking eloquently and with confidence, he no longer starts games from 0-15. “I hope that I can inspire the future leadership, and other entities of this sport, to actually say, ‘look ahead of you’,” he says. “That’s where we need to focus. We need to be mindful of the speed of change around us. It’s what, I think, is lacking in our sport.” 

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

Le jour où j’ai battu Federer…

© Art Seitz

J’ai battu Federer au Tir aux Pigeons. Je m’en souviens comme si c’était hier. Attention, je ne vous parle pas de la discipline qui consiste à pulvériser des volatiles en terre cuite, je vous parle d’un club de tennis parisien « select », plongeant ses racines dans plus d’un siècle d’histoire sportive. Notre capitaine nous avait d’ailleurs mis en garde : « Faites gaffe les mecs, paraît qu’il faut jouer en blanc ou en bleu. Ne venez pas trop débraillés et prévoyez du change, ça pourrait servir… » 

Toujours est-il que je débarque au Tir aux Pigeons un dimanche ensoleillé de mai 2017. En cette période de l’année, chaque week-end se termine invariablement par une rencontre d’équipes. Habitué des « quicks » (terrains en dur) agonisants de la mairie de Paris, je savoure ce décor digne d’une académie professionnelle : à moi, pour quelques heures, les jardins à l’anglaise et les jolies terres battues hors de prix ! 

« Je te présente Julien, ton adversaire. Vous allez sur le 4. » Face à moi se dresse un jeune type, blanc de la tête aux pieds, aux allures de premier de la classe. Je note que sa musculature est développée (ce n’est donc plus un enfant), mais je ne suis pas capable d’estimer son âge avec certitude. Pour toute information, je me contente de son classement : 15/1. Je joue donc en « perf », de 2 classements. 

Je suis les mollets de Julien vers la seule rangée de courts en résine du club. Pour les glissades, je repasserai… L’échauffement démarre et Julien cogne dur. Jolie technique des deux côtés. Ils ont les moyens de payer d’excellents profs, au TIR. Quant à son service, il me fait penser à celui du slovaque Hrbaty : un joli lancé, très haut, suivi d’une accélération maîtrisée… Mes coéquipiers me lancent des regards dans lesquels je distingue une certaine compassion : « Allez copain, on a confiance en toi, mais on te pardonne déjà… » 

Le premier jeu confirme mes craintes. Ce gaillard a probablement 20 ou 22 ans et un minimum de bouteille. Étudiant en école d’ingénieur ? Peut-être a-t-il vu jouer Hrbaty, gamin ? En tout cas, peu lui importe d’affronter un quasi-quadra : il claque trois premières balles, martèle deux coups droits pénalty et remporte un jeu blanc. J’espère qu’ils nous laisseront jouer les doubles sur terre, ça nous fera un chouette souvenir… 

Une balle de 0/2 sauvée plus tard, j’égalise péniblement, puis… breake le service de Julien. Des fautes de coup droit d’attaque, aussi inattendues que nombreuses, me remettent en selle. Il sombre peu à peu dans une spirale de déchets, tout juste entrecoupée de quelques « winners » sans conséquence. J’accentue le contraste en mettant un point d’honneur à ne commettre aucune erreur. 6/1, fin du premier set. 

Réflexion faite, il n’a peut-être pas 22 ans, ce garçon. Mais il doit être majeur, avoir son Bac, car il reste d’un calme olympien, ce qui est rarissime. J’en ai vu exploser des raquettes pour moins que ça. Peut-être est-ce interdit dans le règlement intérieur du Tir aux Pigeons ? Un coach du club, alerté par la tournure des événements, se presse à son chevet. Il va sans doute lui suggérer de faire preuve de patience. Après tout, je n’ai rien démontré de grandiose. Peut-être a-t-il lâché volontairement le set, une fois convaincu qu’il aurait du mal à remonter ? Et s’il me prenait à mon propre piège ? Méfiance… 

La partie reprend et les jeux défilent sans aucun changement de stratégie perceptible : 1/0, 2/0, 3/0… C’est comme si nous avions convenu, sans nous concerter, d’un scénario immuable : à lui le point le plus spectaculaire, à moi un minimum de 3 points sur les 4 premiers, à lui une remontée à 30/40, voire à 40/A et à moi le jeu. 6/1 6/0. Le score est sévère, mais la poignée de main apaisée. Ses nerfs n’ont pas lâché, j’en déduis qu’il doit avoir au moins 16 ans… Peut-être un lycéen en première scientifique ? Je lui pose la question. 

Julien a 15 ans et s’ennuie ferme au collège. 

Une défaite collective et un long trajet de métro plus tard, je suis planté devant mon ordinateur et tant pis pour les étirements. Je m’étais juré d’arrêter de consulter le palmarès de mes adversaires, mais je viens de « perfer » à 15/1, alors, adversaire adolescent ou pas, ça me démange. Sur le site de la FFT, je saisis le nom de Julien et découvre un historique assez fourni. Il a notamment battu un certain Manuel, classé 5/6 et légèrement plus âgé. J’aimerais beaucoup rencontrer ce Manuel. Puis-je connaître son calendrier à l’avance et m’inscrire aux mêmes tournois que lui ? Ce n’est hélas pas possible. Ce qui est possible, en revanche, c’est de regarder son palmarès… Attends, le mec a perfé à 3/6 ? Encore un jeune, du nom de Frédéric. Et si on organisait des compétitions mixtes entre les moins de 18 ans et les plus de 35 ans ? Pour rapprocher les générations, autour d’une passion commune ? Frédéric en profiterait pour me présenter Léo, un « 0 » de 22 ans, qu’il a battu… en 2 sets ! 

Léo, je pense qu’il me regarderait de haut, mais je m’en fous… Qu’il batte Julien sur le même score que moi avant de la ramener ! Léo a mis sa photo sur le site de la FFT. Il a une bonne bouille, avec ses taches de rousseur. Il évolue dans la ligue des Hauts-de-France. Ils doivent être sous-classés, en province… Il suffit qu’ils prennent leur bagnole et ils peuvent faire 3 tournois par semaine. Pour obtenir son excellent classement, Léo a joué… 47 matchs ! 37 de plus que moi. Et sa meilleure perf, à -4/6, concerne un certain Gaston-Arturo, 30 balais. Sans doute un de ces Sud-Américains qui débarquent en France pour écumer les petits tournois en grappillant quelques centaines d’euros par ci, voire quelques poussières de points ATP par-là. Ben oui, si ça se trouve, il joue des « Futures » entre 2 défaites à « 0 » ? Après tout, l’important, c’est d’essayer, non ? Je bascule sur le site de l’ATP. 

Bingo, Gaston-Arturo s’inscrit bien à des « Futures », et partout dans le monde ! Chez lui, en Argentine, il a expédié un certain Daniel, brésilien, classé quelque chose comme 400e mondial. Faut dire qu’ils sont gâtés, en Amérique du Sud : les tournois ne manquent pas non plus. Daniel en a largement profité et notamment au « Challenger » de Curitiba, au Brésil, avec une victoire contre Joao, un compatriote classé 119e. Ça a l’air d’avoir du bon de jouer dans son propre pays. Chacun y remporte ses plus belles victoires. Un peu comme moi avec Julien…

Joao devait être dans un creux de vague quand il a perdu contre Daniel, car il est monté… 69e à l’ATP, il y a 2 ans… en croquant Léonardo Mayer (encore un Argentin) au tournoi de Sao Paulo. Tiens, je commence à citer les noms de famille. J’aime bien Mayer, avec son immense lancer de balle, un peu comme celui de Julien. Pauvre vieux, je me souviens de sa détresse face à Federer en 2014 à Shanghai. 4 balles de match ratées, dont une qui se bloque sur la bande du filet alors que le suisse était pris à contre-pied… Mais Mayer peut se réjouir, comme moi, car il a croqué un autre Julien à Sydney, en 2015 : Julien Benneteau !

Bon, d’accord, Benneteau a effectivement battu Federer en 2009 à Bercy et ça commence à dater… Mais en 2009, Roger gagne Roland-Garros, il est en forme ! Et je sais ce que vous allez probablement me dire : Federer perd contre « son Julien » en indoor, tandis que je bats « mon Julien » sur résine en extérieur… Mais à ce compte-là, je ne retiens pas non plus les victoires de Bennet’ contre Djokovic à Indian Wells en 2006, et contre Nadal à Lyon sur moquette en 2004 ? 

J’ai battu Federer. Je l’ai même écrasé.

Mais je suis bon prince, je lui ai laissé un jeu.  

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

Sans Filet

Une émission qui a la cote

© Winamax

Aux antipodes du format conventionnel des médias traditionnels, dits mainstreams, l’émission Sans Filet, diffusée sur Winamax TV, apporte un véritable vent de fraîcheur dans l’horizon tennistique. Orchestré par Marie Dib Beljean accompagnée de ses fidèles acolytes, le trublion Benoît Maylin, le journaliste tout terrain Julien Pichené et l’ancien joueur professionnel Julien Varlet, le programme mêle divertissement, humour déjanté mais aussi pédagogie et information. Focus sur une émission qui est bien plus qu’un simple programme de paris sportifs.

 

Imaginez une bande de potes autour d’une table. Des discussions passionnées et passionnantes autour du tennis. Une actualité du circuit passée au crible et des conseils avisés en matière de paris sportifs. Le tout dans une ambiance chaleureuse. Ajoutez une mini table de ping-pong et des parties endiablées. Saupoudrez le tout d’un grain de folie et vous obtenez l’émission Sans Filet. « C’est du champagne tout simplement. » Une expression parmi tant d’autres, signée Benoît Maylin, pour décrire cette pièce de théâtre dont il est l’acteur principal.

© Winamax

Casser les codes du tennis

Amuseur public et pilier incontournable du programme, celui qui déteste se dire journaliste s’est fait un nom dans le petit milieu du tennis grâce à ses interventions complètement décalées. Tombé dans la marmite grâce à son idole Borg et ses souvenirs d’enfant à Roland-Garros où il « passait par les cuisines discrètement parce qu’il ne pouvait pas se payer de place »Benoît possède un parcours aussi atypique que sa personnalité décoiffante. « Je n’ai jamais suivi d’école de journalisme. Ce mot ne veut rien dire pour moi. C’est simplement être curieux et s’intéresser au fonctionnement des joueurs. Je ne suis pas un journaliste, je suis un fan », insiste-t-il.

Passé, entre autres, par ESPN Classic Sport, Eurosport ou encore Tennis Magazine, ce pur autodidacte a écumé bon nombre de médias prestigieux. Mais c’est surtout grâce à ses chroniques déjantées sur la chaîne L’Équipe TV qu’il a acquis sa renommée de troubadour du tennis. Le Monfisien, le Cannibale de Bâle (salué par Sa Majesté Federer en personne !), Tsongix, Drakulic… Avec ses nombreuses caricatures farfelues de joueurs et ses déguisements clownesques, Benoît Maylin a pris pour habitude de décortiquer le monde du tennis avec humour. Un milieu qu’il a eu la chance de découvrir de l’intérieur à une époque où les réseaux sociaux sommeillaient encore et le circuit était moins aseptisé que maintenant. « De 1997 à 2002, j’étais plus souvent sur le Tour que chez moi. Comme je faisais de la télévision, j’étais identifié et j’avais cette image de clown caricaturiste. À l’époque, on avait une relation privilégiée avec les joueurs. On pouvait discuter et sortir avec eux. Il y avait beaucoup de partage. Mes deux plus grands copains sont Marat Safin et Marc Rosset. » Deux joueurs réputés pour leur capacité à fissurer, leurs frasques sur et en dehors du court mais surtout pour une allergie commune à la langue de bois. Une caractéristique partagée et défendue bec et ongles par Benoît : « Le journalisme actuel est trop rigide. C’est trop cadré. Je n’aime absolument pas. Les gens ne veulent pas ça, ils veulent du spectacle. Je veux que ce soit festif, informatif, drôle et passionné. Pour l’instant, Sans Filet, c’est ça. Si je ne ressens plus cela, je partirai comme j’ai pu le faire lors de mes expériences professionnelles précédentes. »

 

2018 : le début de l’aventure

Depuis 2018, la vie de l’électron libre a donc pris un nouveau tournant. Grâce à un autre personnage public bien connu de la télévision, Daniel Riolo, avec qui il a noué une forte amitié en commentant des matches à la radio, Benoît a embarqué dans le navire Winamax. « Initialement, on avait appelé Daniel pour faire une émission de tennis dans la peau du consultant vedette. Mais il avait reçu l’interdiction de se lancer dans le projet parce qu’il travaillait pour RMC. Après avoir refusé l’offre, il a pensé tout de suite à moi. C’est lui qui m’a permis de rentrer dans cette famille de dingues qu’est Winamax. C’est la première boîte que je connais avec cette liberté de ton depuis l’époque de Pathé Sport », explique-t-il.

Peu de temps avant, en novembre 2017, la journaliste Marie Dib Beljean, passée notamment par Eurosport, est contactée par le site de paris en ligne qui souhaite « monter une WEB TV ». Le tennis a toujours eu une place importante dans sa famille et c’est donc tout naturellement que cette ex-15/2 chez les amatrices s’est lancée dans la présentation de cette nouvelle émission. Avec comme seule directive : « carte blanche ». C’est ainsi que le tout premier « Sans Filet » est né en janvier 2018. Un baptême du feu que redoutait Marie, découvrant pour la toute première fois le rôle d’animatrice et le déroutant Benoît par la même occasion: « Comme tous les amoureux de tennis, je connaissais Benoît via ses chroniques à l’Équipe. C’est un fort caractère et je n’avais jamais présenté d’émission avant Sans Filet, donc j’étais très angoissée à l’idée de « driver » une personnalité comme lui. » Heureusement, le binôme trouve rapidement ses automatismes, formant une complicité naturelle dès sa première apparition. «Il m’a directement mise à l’aise. Benoît c’est un peu mon mentor. J’ai commencé avec lui, j’ai tout appris avec lui. C’est un monstre de travail. Un passionné passionnant. » Un bel hommage que le principal intéressé appréciera.

© Winamax

« Une équipe de Coupe Davis »

Après cette grande première plus que concluante, la petite équipe décide de s’agrandir, animée toujours par le même refrain : « plus on est de fous, plus on rit ». Expert en la matière, il ne faut que quelques minutes au théâtral Benoît pour trouver ses futurs camarades de jeu. « J’avais déjà mon équipe de Coupe Davis en tête. J’ai toujours bossé avec eux puisqu’il n’y a pas mieux au monde. Julien Varlet est le number one. On s’est connus à l’époque d’ESPN Classic à Londres où nous commentions ensemble. Si tu veux être ami avec quelqu’un sur cette planète, il faut choisir ce gars. » Derrière cette montagne de compliments se cache un ancien joueur professionnel, classé 120e mondial à son top. Apprécié de tous pour la bonhommie qui le caractérise, Julien Varlet a toujours fait l’unanimité. D’abord sur le court avec une carrière plus qu’honorable. Originaire de Cambrai, le Nordiste a disputé « une quinzaine de Grands Chelems dont le tableau final de Roland-Garros et de l’Open d’Australie ainsi qu’un quart de finale à Milan (ndlr : l’équivalent d’un ATP 500 aujourd’hui). »

Au cours de ses neuf années arpentées sur le circuit, le Frenchy a eu le privilège de croiser deux fois sur sa route le futur ogre de l’ocre, Rafael Nadal, en se payant même le luxe de lui chiper une manche sur sa surface de prédilection. « Je lui avais pris un set sur terre battue en 2003 à Aix-en-Provence alors que j’étais 165e au classement (ndlr : 5-7 6-1 6-4).» Varlet a été pendant huit ans le seul joueur hors du Top 100 à ravir un set à Rafa sur terre avant que Paolo Lorenzi n’accomplisse la même prouesse en 2011 (un exploit imité depuis par une poignée d’autres tennismen). Détenteur un temps de ce record assez unique, il était écrit d’avance que le souriant gaillard allait apporter son œil expert dans une émission tout aussi originale. « Ce qui est top à Winamax c’est qu’on a entièrement carte blanche. On se fend bien la poire tout en essayant d’apporter du sérieux et des analyses techniques. J’ai un peu le rôle du consultant tennis. J’essaye de guider au mieux les parieurs dans leurs choix avec mon expérience d’ancien joueur. »

Retraité des courts depuis 2006, Julien jongle désormais avec sa double casquette : celle de consultant pour le groupe Canal+ et une plus récente, celle de coach de jeunes talents à la French Touch Academy, basée au Cap d’Agde. Malgré son quotidien bien rempli, il parvient à agencer son emploi du temps du mieux qu’il peut pour intervenir dans Sans Filet. « Je me suis calé par rapport à mon planning avec Canal+. J’ai un certain nombre de jours et de tournois à faire avec eux. Quand je monte à Paris, j’en profite pour réintégrer l’équipe de Winamax. Ils aimeraient que je sois là plus souvent mais ce n’est pas simple », concède-t-il.

Un mal pour un bien puisque cette fréquence d’apparition ponctuelle a permis au « number two » de Benoît, un autre Julien, de tirer son épingle du jeu, d’abord dans un rôle de joker de luxe, puis désormais de chroniqueur emblématique de l’émission. « Pichené, c’est simple, il est fou. C’est le Jean-Pierre Léaud du tennis. Il est extraordinaire dans sa folie. On se complète bien mais peut-être un peu trop. » Venant de la part du diablotin Maylin, ces quelques mots en disent long sur ce joyeux drille à la culture tennis aussi riche que son vocabulaire. S’il brille par son éloquence et ses envolées lyriques, Julien Pichené ou « la Piche », de son surnom, est aussi capable de craquages légendaires. En témoigne cet énorme cri poussé en ouverture de l’émission spécial Roland-Garros du 10 juin 2021, référence à celui lâché par Djokovic, déchirant la nuit, après sa victoire contre Berrettini en quart de finale. Avec sa douce folie communicative, le show Pichené débute dès sa première intervention avec son fameux « Bonjour ! »promesse de bonne humeur. Humour et passion riment donc avec ce journaliste de formation, pris par le virus du tennis dans les années 90 devant le tournoi de Bercy. « Je ne m’intéresse pas à grand-chose mais quand je m’y intéresse, je ne fais pas semblant, j’y vais à fond », s’amuse-t-il.

Durant toute son adolescence, il sortira les vieux grimoires poussiéreux du grenier pour étudier la grande histoire de ce sport qu’il aime tant. « J’ai commencé à faire tous les tableaux, à fouiller dans les archives, à trouver de vieux magazines et à reconstituer l’histoire du tennis avec les pièces de puzzle que je parvenais à rassembler. J’ai toujours eu cette fascination pour le passé et le vintage, je voulais rattraper tout le retard que j’avais pris. » Cette passion ne le quittera plus. Parmi la dizaine d’ouvrages qu’il a écrits et co-écrits, tous (ou presque) sont empreints de cette nostalgie. Si l’écriture occupe une place importante dans sa vie, Julien Pichené maîtrise également tous les autres supports du métier de journaliste. « J’ai travaillé dans différentes radios comme Europe 1, RMC, France Info, Nostalgie… J’ai fait pas mal de télévision également puis j’ai rencontré Benoît à L’Équipe 21. Il m’a rappelé plusieurs fois autour de différents projets en rapport avec le tennis dont celui de l’émission Sans Filet il y a un an. » Le franc-parler et le grain de folie de Julien ont fait mouche dès le début. « J’ai fait ce petit test à Winamax en 2020 à la fin de Roland-Garros puis tout s’est fait naturellement. J’ai mordu à l’hameçon et ça fait un an que j’y suis et que je m’y sens bien. »

Et cela se ressent en tant que spectateur. On prend plaisir à suivre cet équipage qui ne se prend pas au sérieux. Toujours en métaphores et en images amusantes dont il a le secret, Benoît, le donneur de surnoms, est probablement celui qui décrit le mieux l’osmose naturelle qui émane du plateau. « Julien Varlet, je l’appelais Obésix au début, il détestait ça (rires). Il est cet irréductible Gaulois qui porte des menhirs. Il est indestructible et moi à côté, je suis une espèce de farfadet, une sorte d’Idéfix. Pour Pichené, j’ai eu un peu plus de mal puis je suis parti dans Tintin et Milou. C’est mon Capitaine Haddock. Le mec qui te lâche des moules à gaufre et des bachi-bouzouks à chaque fin de phrase. »

Des personnages échappés de bandes des- 

sinées que parvient à canaliser la chef d’orchestre Marie Dib Beljean, éblouissante de naturel. « Heureusement qu’elle est là pour nous calmer par moment », s’amuse Julien Varlet. En effet, sans cadre, le plateau pourrait rapidement basculer dans la cacophonie générale avec ce trio inarrêtable. Mais que nenni. Avec autant de prestance que de candeur, l’animatrice mène la danse avec brio. « C’est notre capitaine de Coupe Davis. Marie est extraordinaire là-dedans. Être cool, bon enfant, à l’écoute, redistribuer les cartes, donner la petite information qui va bien, créer une atmosphère sur un plateau… Il y a deux personnes parfaites dans ce rôle-là. Olivier Ménard et Marie Dib Beljean. C’est une personne simple qui aime son boulot. Elle n’a qu’un objectif, c’est que tout le monde ait passé un bon moment. C’est très rare », souligne Maylin, son mentor. Un magnifique hommage pour la journaliste qui se réjouit d’avoir « trouvé sa place dans cette bande bienveillante ».

© Winamax

Pari gagnant

Si cette bonne humeur ambiante la résume très bien et que ses protagonistes utilisent les termes « spec-tacle » ou « divertissement » pour la décrire, Sans Filet n’en reste pas moins une émission structurée et informative. Découpé en plusieurs séquences avec notamment le traditionnel « Daily Mayl » en guise d’ouverture, narré par Benoît Maylin, qui revient sur l’actualité brûlante du circuit, le programme s’attarde sur l’examen minutieux et l’analyse pointilleuse des cotes des matches du moment. « On essaye de transmettre et d’apporter des choses intéressantes mais surtout pertinentes. L’objectif étant de faire gagner les parieurs qui nous écoutent et de les fidéliser », explique Julien Varlet. Si les messages fleuris des joueurs perdants en colère font malheureusement partie du jeu, l’ancien tennisman professionnel préfère se concentrer sur le positif : « Il y a fort heureusement des messages très chaleureux comme celui que j’ai reçu dernièrement d’une personne qui est partie en vacances en suivant mes conseils. J’essaye d’apporter modestement une certaine pertinence avec mon expérience du jeu mais je ne détiens pas la vérité. Si je l’avais, je serais déjà aux Bahamas (rires). » De son côté, l’autre Julien collectionne les messages bienveillants depuis son arrivée dans l’équipe. « Les joueurs aiment bien me partager leurs gains ou me demandent des conseils. Ils ont souvent des bonnes idées et ils font des super combos. J’essaye de leur répondre à tous dans la mesure du possible. C’est quelques dizaines de messages par semaine et plusieurs centaines sur l’année. »

Au-delà de l’aspect « paris sportifs », le programme Sans Filet, diffusé sur les plateformes Youtube, Twitch et Molotov, se présente comme le rendez-vous quotidien à ne pas manquer pour les fans de tennis. « Le rythme de fréquence de l’émission est du 5/7j sur les ATP 250 et ATP 500, 6/7j pendant les Masters 1000 et tous les jours quand c’est un Grand Chelem. C’est donc très intense ! », explique Marie Dib Beljean, fière de cette « proximité avec les viewers » qui intéragissent durant l’émission.

À des centaines de kilomètres des locaux parisiens de Winamax, Julien Varlet est également témoin de cet engouement positif dans le Sud : « On est la seule émission tennis. Il faut le souligner. Au Cap d’Agde, les gens m’ont parlé de Sans Filet lors d’une récente grosse compétition. Dans le lot, il n’y avait pas que des parieurs. Cela prouve que les gens regardent encore du tennis et que ça les fait vibrer. »

 

2022 : une nouvelle étape

Bien que néophyte dans le paysage audiovisuel tennistique, l’émission Sans Filet ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Avec son nouveau plateau XXL créé sur mesure pour cette nouvelle saison, le programme a franchi un palier supplémentaire. « Winamax nous donne la possibilité de le faire. C’est une boîte qui met des moyens énormes pour développer des projets », souligne Benoît Maylin avant de présenter d’autres concepts prévus dans un avenir proche : « Winamax va me donner la possibilité de réaliser des interviews longs formats. À l’image du film ‘ Dans la peau de John Malkovitch’, je veux rentrer dans la tête des pros. L’aspect mental, psychologique et psychique c’est ce qui m’intéresse. Je veux savoir comment ils pensent, comment ils ont grandi, comment ils abordent un match, leur carrière… Il va y avoir d’énormes surprises prochainement. » Un programme alléchant pour les aficionados de l’émission qui pourront même bientôt affronter le dieu auto-proclamé du ping-pong : Benoît Maylin. « On compte organiser une rencontre avec les fans de l’émission autour d’un tournoi de mini ping », explique Marie.

Du grand saut dans l’inconnu en janvier 2018 jusqu’à ce début de saison 2022, quatre années de rires et de débats enflammés ont jalonné le programme Sans Filet. Ce dernier a d’ailleurs franchi récemment la barre des 500 diffusions. « Est-ce que les autres émissions ont autant d’espace de liberté que nous ? Je ne suis pas sûr que tu puisses te permettre sur une chaîne un peu plus traditionnelle de dire que tu viens de voir un match de merde ou que tu ne peux pas blairer tel joueur… À la télévision, ils sont un peu en pilotage automatique, c’est formel. Ce n’est pas du tout leur faute, c’est juste que c’est le format des médias mainstreams qui veut cela. C’est très bien, qu’ils continuent à être conventionnels, on paraît originaux comme ça à côté (rires) ! », conclut Julien Pichené.

À la manière du journaliste sportif, il convient de ne pas comparer et confronter ces deux formats que tout oppose. Au contraire, ils se complètent à merveille et permettent d’avoir une vision d’ensemble sur la planète tennis. En résumé, Sans Filet offre une voie alternative en sortant des sentiers battus. Pas d’innovation sans prise de risque. Pas d’originalité sans chroniqueur déjanté et puis surtout, pas de tennis Sans Filet ! 

 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.

« Elles sont vertes. Elles sont jaunes. »

Les gens sont aussi certains de la couleur des balles de tennis que du crocodile ou bien de l’alligator sur la chemise Lacoste. L’ambivalence n’est pas à craindre ; la plupart des gens connaissent la réponse de manière définitive. Vous, qui lisez ces lignes, avez probablement pris position d’un côté du grand fossé des couleurs des balles de tennis et vous vous demandez comment quelqu’un peut penser autrement que vous.

Roger Federer dit « jaune ». (Certains d’entre vous ont réagi à cette information par un « Mais, bien sûr ». D’autres avec un incrédule « Whaaaa-t ? ») 

Le débat commence. Et ainsi commence le parcours des plaisirs qui constituent le miracle de la vision.

L’un des mouvements artistiques les plus importants du siècle dernier est connu sous le nom d’« art cinétique ». Il s’agit d’œuvres relevant de la catégorie générale de la « sculpture » où le spectateur perçoit un mouvement actif et où le mouvement est un élément essentiel de ce que nous voyons. Les praticiens les plus connus sont Alexander Calder et Jean Tinguely. Pour le premier, il faut le souffle d’un ventilateur ou un coup de vent pour initier le mouvement ; pour le second, il faut appuyer sur un bouton ou tourner un interrupteur pour mettre la machinerie en mouvement. L’expérience du spectateur consiste à voir de petites formes – certaines ressemblant grossièrement à des feuilles, d’autres à des bras – qui vont dans un sens et dans l’autre, d’abord dans une direction puis dans une autre, avec un élément immobile plus stable et fixe qui ne va nulle part.

Il existe peu de meilleurs exemples d’art cinétique qu’une partie de tennis, qu’elle soit vue de l’intérieur par les joueurs ou de l’extérieur par les observateurs. La toile, pour ainsi dire, est fixe. La couleur de fond est soit le magnifique rouge terre cuite de la terre battue, soit le vert foncé poussiéreux spécifique du gazon, soit la teinte plus claire et plus plate d’une surface synthétique. Les subdivisions, avec leur géométrie fixe, sont blanches. Comme le contour du court dans son ensemble, les éléments de cette structure parfaitement tracée d’horizontales et de verticales – avec ces longs couloirs étroits pour les doubles et les carrés de service précisément délimités – sont d’une largeur constante dans ce blanc très particulier, presque toujours le même, qu’il soit sur bandes, roulé à la chaux ou peint. Il ne s’agit pas de la teinte brillante des publicités pour le blanchiment des dents, mais d’une teinte légèrement mate, bien que distincte et évocatrice de clarté. Il n’y a pas d’absurdité à ce sujet, mais, tout de même, ce blanc, à l’analyse, pourrait montrer juste un soupçon de teinte, invisible mais tout de même légèrement nuancée. 

Mais les parties de ce chef-d’œuvre cinétique qui bougent sont, dans leurs couleurs, tout à fait différentes. Les balles, les raquettes, les joueurs : la danse des néons commence. Des vêtements blancs comme la neige ou fluorescents comme le jour, des peaux et des cheveux de toutes les couleurs, des raquettes qui, autrefois, avaient l’élégante couleur du bois verni et qui, aujourd’hui, sont, comme les skis modernes, un amalgame insistant de rouges et de jaunes pulsés, avec parfois de l’argent ou de l’or scintillant : tout cela est en perpétuel mouvement. Et il y a un petit élément brillant, qui se déplace plus loin et plus rapidement que tous les autres, par-dessus le filet et en sens inverse, toujours de la même taille et toujours de la même couleur vive : la balle. Mais quelqu’un pourrait-il dire : est-elle jaune ou verte ?

Est-ce important ? Le langage verbal n’est-il pas secondaire par rapport à l’action et à l’expérience ? Pourquoi cette insistance sur l’étiquetage ?

Petite confession : pendant un demi-siècle, j’ai travaillé avec l’art de Josef Albers, la plupart du temps en dirigeant une fondation à but non lucratif qu’il avait créée avec sa femme Anni, la brillante artiste textile et graveuse. Josef était un éminent théoricien de la couleur, fasciné par le langage et la fonction de la couleur. Il avait coutume de dire que « la couleur est le médium le plus relatif de l’art ». Dans son enseignement, ses écrits et sa peinture, il a démontré, avec une passion et un plaisir extrêmes, la façon dont nous voyons une couleur non pas tant par elle-même que par rapport à ses voisines. Ce qui compte dans cette couleur de balle, c’est ce qui lui arrive par contraste avec la surface du terrain, comment elle réagit à la lumière vive du soleil ou au crépuscule du soir, comment elle interagit avec la teinte de la surface du terrain. La couleur de la balle est un absolu, mais notre expérience de cette couleur est multidimensionnelle. Ce n’est là qu’un des miracles qui se produisent dans le processus du jeu de tennis.

La raison pour laquelle la couleur actuelle est utilisée pour les balles de tennis est liée à de simples questions de visibilité. Les balles de tennis étaient autrefois blanches – du moins pour la plupart – jusqu’à ce que David Attenborough, le naturaliste et présentateur de télévision, devienne contrôleur pour BBC 2. En 1967, Sir David a obtenu la permission pour BBC 2 de commencer à diffuser en couleur. La première fois que Wimbledon est télévisé en couleur plutôt qu’en noir et blanc, on remarque que les balles de tennis blanches sont difficiles à voir. Il y avait moins de contraste entre la balle blanche et les lignes blanches lorsqu’il y avait une panoplie de couleurs dans l’environnement que lorsqu’il n’y avait que du noir et blanc (un point que Josef aurait trouvé absolument fascinant. L’idée que le passage des couleurs environnantes au spectre complet de l’échelle blanc-gris-noir rendait les balles blanches moins visibles était le genre de phénomène qui le ravissait). Sir David eut l’idée qu’il fallait essayer autre chose. En 1972, les balles de tennis colorées étaient approuvées par la Fédération internationale de tennis.

Et le nom de la couleur, écrit en gras sur les boîtes de balles fabriquées par la société Wilson, était…

 Jaune Optique.

Pour être plus précis, la couleur, telle que spécifiée par l’ITF, est, selon le code de couleur Hex, dfff4f. Sur l’encyclopédie des couleurs en ligne développée plus récemment et appelée ColorHexa, cette couleur est devenue ccff00. Un autre système de codage des couleurs, RGB, le rend RGB 223 255 79. Le système de codage hexagonal utilise des lettres et des chiffres qui indiquent les proportions de rouge, de vert et de bleu dans une couleur ; le code RVB est une manière différente de calculer les mêmes quantités relatives dans un mélange. 

Alors, qu’est-ce que cela nous dit ? Color Hexa décrit ccff00 – la couleur d’une balle de tennis –  comme « jaune fluorescent ou lime électrique ». Dans le système RVB, elle fait partie des verts. 

Hommage au carré : Rare Diversion,
1969
Huile sur isorel,
60.9 x 60.9 cm 

Hommage au carré : Nouvelle Pâture,
1961
Huile sur isorel,
60.9 x 60.9 cm 

Hommage au carré : Nulle Part,
1964
Huile sur isorel,
60.9 x 60.9 cm 

Hommage au Carré : Nulle Part,
1964
Huile et gouache
sur carton,
35.3 x 18 cm

« Electric lime ! » Souscrivez-vous à l’idée que les citrons verts ont précédé les citrons, et que les citrons sont un hybride de citrons et de citrons verts, même si les citrons poussent sous des climats plus doux que les climats tropicaux et semi-tropicaux exigés par les citrons verts ? En tout cas, en supposant que nous soyons tous d’accord sur le fait que les citrons sont jaunes, une seule couleur peut-elle être l’équivalent à la fois des citrons verts et des citrons, même si l’un est fluorescent et l’autre électrique ? Pourquoi n’y a-t-il pas une seule réponse à la question sur les balles de tennis ? Qu’en est-il de la couleur de ces agrumes que vous voyez au supermarché, qui ont la forme d’un petit citron ou d’un gros citron vert, et qui sont ce que nous appelons « jaunes » avec des touches de ce que nous appelons « vert » ? Leur goût fait-il écho aux pourcentages de leurs couleurs, à mi-chemin entre les deux types de fruits ? ont-ils cette note aiguë qui distingue un gimlet accentuant cette saveur plus ronde qui caractérise la limonade ? 

La solution consiste à accepter le mystère, à reconnaître les limites des mots. N’essayons même pas de dire de quelle couleur est une balle de tennis ; l’étiquette, après tout, a suivi le développement de cette teinte particulière. Le langage ne vient qu’après, bien sûr ; le soleil et les champs arboraient déjà leurs couleurs avant qu’il n’y ait des noms pour ces teintes et que les mots pour les identifier apparaissent. Le visuel a précédé le verbal, et dans les deux cas, nous devons accepter la beauté des aléas ; chercher la précision, c’est manquer la cible. Josef Albers – qui vivait à Orange, dans le Connecticut – se réjouissait de la présence d’un panneau d’autoroute à la frontière de la ville, peint dans la couleur verte très particulière requise pour ce type de panneau, et qui indiquait, en caractères blancs et gras, « This is Orange ». Où est la vérité ?

Jetons un coup d’œil à la couleur la plus proche de celle des balles de tennis dans l’art d’Albers :

Josef était très conscient que différents fabricants utilisaient le même nom pour des couleurs qui semblent très différentes. Un jaune Mars de Winsor & Newton, par exemple, semble très éloigné d’un jaune Mars de Grumbacher. En outre, l’aspect d’une couleur lorsqu’elle est reproduite est différent de celui qu’elle a sur une toile peinte. 

Testez votre mémoire des couleurs. Dans ces tableaux d’Albers, laquelle de ces couleurs ressemble le plus à une balle de tennis ? 

Ces trois tableaux et demi font tous partie de la série de Josef intitulée « Homages to the Square », qui comporte près de trois mille toiles, peintes entre le moment où il a eu soixante-deux ans, en 1950, et sa mort à l’âge de quatre-vingt-huit ans, en 1976. Ils ont permis à Josef de créer une vaste gamme de « climats de couleur » et de susciter diverses sensations de mouvement dans des couleurs qui étaient en fait inertes. La même lumière vert cinabre, élaborée par le fabricant de peinture Old Holland, a un aspect différent selon sa quantité – et donc sa taille par rapport aux couleurs qui lui sont adjacentes – et selon l’intensité lumineuse et la teinte des couleurs qui l’entourent. Si vous prenez un morceau de papier blanc et que vous le pliez de manière à ce qu’il bloque tout ce qui se trouve entre deux des carrés centraux des tableaux, vous verrez qu’ils sont presque exactement les mêmes, bien qu’ils aient l’air très différents. (Les variables qui existent sont dues au fait que nous avons affaire à une reproduction photographique, et non aux véritables tableaux).

En matière de couleur, tout fait la différence, il n’y a pas d’absolu. Et dans le cas de la couleur des balles de tennis, il y a encore un autre élément – au-delà de la distance à laquelle nous voyons la balle, du degré d’ensoleillement ou d’ombre, de la couleur du court qui lui sert d’arrière-plan, et de la nature de notre propre vue : l’étendue de notre capacité à distinguer les couleurs. C’est l’âge et l’état de la balle.

L’artiste Eddie Martinez l’a souligné dans un récent article du New York Times :

« Je peins des balles de tennis depuis au moins cinq ans. Je ne pense pas avoir jamais peint la couleur avec précision. C’est une couleur funky. Il y a tout un débat sur la couleur des balles de tennis. Sont-elles jaunes ou vertes ? Je pense que chaque balle de tennis change de couleur au cours de sa vie. Elles commencent par être fluo, comme une boue toxique, mais une fois qu’une balle commence à perdre son duvet et à ramasser les résidus de la surface sur laquelle vous jouez, elles deviennent ternes. Je dirais qu’elles commencent par être vert fluo et vont vers le jaune avec le temps. »

Peut-être que les couleurs sont comme le mot « couleur », qui s’écrit différemment en anglais américain et en anglais ; il n’y a pas de loi fixe unique. La différence entre les citrons et les citrons verts est-elle une question de goût ou de saveur ? 

Exaltez-vous de ce que vous ne pouvez pas savoir ! Oui, il fut un temps où la couleur des balles de tennis était le blanc du gâteau à la noix de coco (ou le blanc du gâteau des anges, ou une génoise ; cela dépend de l’état de la balle). Puis, grâce à David Attenborough, elle a été rendue plus facile à percevoir par l’œil. Mais laissons le débat « vert ou jaune ? » de côté ; jetons-le hors du terrain. On ne sait jamais avec certitude qui va gagner le match, et dans ce cas, le gagnant est la couleur elle-même, pas son nom.

Et puis regardez la gravure ci-dessous de Josef Albers. Il l’a réalisée en 1969. Est-ce là que les fabricants des nouvelles balles de tennis ont eu leur idée ? Tout ce dont nous sommes sûrs, c’est que si nous fixons la couleur centrale – peu importe son nom – pendant assez longtemps, et que nous regardons ensuite l’un ou l’autre des gris qui l’entourent (gris chaud, gris froid, mais gris quand même), nous commençons à avoir de légères images rémanentes de la couleur centrale. Savourez le frisson, ou savourez-le ; les mots ne sont que des mots.  

ADV,
1969
Impression sérigraphique,
54.6 x 54.6 cm 

Article publié dans COURTS n° 12, printemps 2022.