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Babolat

une concurrence dans les cordes

D.R.

Il est le dernier vainqueur français en Grand Chelem. Plus ancien équipementier international du tennis, Babolat collectionne les titres majeurs et a dépassé la concurrence pour devenir numéro 1 mondial sur les marchés du cordage et de la raquette de tennis. Un exploit pour la société lyonnaise demeurée à taille humaine et qui fête en 2018 le vingtième anniversaire de la victoire de Carlos Moya en Grand Chelem. La première d’un joueur avec une raquette devenue iconique, symbole de la réussite et de l’audace innovante d’une entreprise née il y a plus de 140 ans.

 

11 juin 2017. Rafael Nadal s’étend sur la terre maculée de ses exploits. En asphyxiant en à peine deux heures le Suisse Stanislas Wawrinka sous une chaleur écrasante, l’Espagnol entre davantage dans la légende du tennis en remportant la dixième coupe des Mousquetaires de sa carrière.

Dans les tribunes du court Philippe-Chatrier, transformées en arène pour saluer la victoire attendue du matador, un homme savoure la victoire plus que quiconque. Éric Babolat, patron de la marque éponyme du sceptre jaune et noir du roi de la terre, applaudit pour la 25e fois la victoire en Grand Chelem d’un champion de son écurie raquette. Laquelle s’ajoute à une galerie de trophées inaugurée 19 ans plus tôt sur le même court, par un autre espagnol, Carlos Moya.

Combien de fois a-t-il dû repenser à l’histoire familiale au moment de saluer des dix doigts autant de victoires de son joueur phare ? Combien de fois n’a-t-il pas levé les yeux au ciel pour saluer sa bonne étoile et ce père disparu tragiquement dans un accident d’avion ? Ce paternel visionnaire, désireux de diversifier la marque et de la lancer au milieu des années ‘90 sur le marché hasardeux de la raquette, mais arrêté en plein vol au lendemain de l’US Open 98. « J’ai immédiatement repris le flambeau de cette maison à laquelle j’étais profondément attaché. On s’est tous serré les coudes pour continuer le travail », confiera quelques années plus tard dans L’Express Éric Babolat, propulsé par la fatalité capitaine d’industrie à 28 ans, avec comme bagage un BTS commercial et une courte expérience au sein de l’entreprise.

Déterminé à perpétuer l’œuvre généalogique, Éric Babolat porte pour seul deuil un nouveau costume de PDG taillé sur mesure. « C’était un pari fou. Le marché était en pleine crise, des fabricants comme Gauthier ou Donnay disparaissaient, et c’est à ce moment-là que mon père se jette dans la bataille. Jusqu’alors, nous étions les leaders incontournables de l’accessoire. Et, soudain, voilà que nous prenions un risque insensé. Dans la maison, les dents grinçaient, beaucoup ne croyaient pas à ces raquettes que l’on allait, en outre, sous-traiter. »

Bien qu’enraciné en France, Babolat choisit la Chine pour produire ses cadres de raquette. « On aurait aimé le faire en Europe et en France, mais on ne trouve plus de graphite », regrette David Gire, directeur marketing France. «Il faudrait pour ce faire qu’on en rapatrie d’Asie, ce qui obligerait le consommateur à dépenser 1000 euros pour une raquette. »

© BABOLAT

Rose et papillons

Un prix exorbitant, par ailleurs contraire au positionnement démocratique voulu par Pierre Babolat lors du lancement de ces nouveaux produits. La recette est simple et innovante : débarquer avec une gamme de prix et des références limitées, contrairement aux pratiques de la concurrence. « Plutôt que de multiplier les sorties de produits, la marque a opté pour des gammes bien ciblées, à la réputation solidement ancrée », évoque Xavier Banken, directeur marketing de Babolat Belgique.

Les coloris basiques (bleu, rouge, gris) et les deux bandes blanches caractéristiques de part et d’autre des cadres tapent dans l’œil des joueurs de tous niveaux. « Ils étaient très faciles à repérer dans un magasin », enchaîne M. Banken. « Pour la même clientèle, le prix selon le modèle était identique, facilitant le discours des vendeurs ; les magasins ont directement été séduits. » Et, surtout, le positionnement est mixte. « On a longtemps été vu comme une marque féminine : notre raquette phare, la Pure Drive, était bleue », ajoute M. Gire. « On m’a souvent dit que c’était une couleur féminine. Or, il n’était pas de notre volonté de faire une gamme rose avec des papillons pour les dames : nous avons toujours trouvé cette démarche réductrice. On a bossé sur les différences de poids, mais pas du tout sur les cosmétiques. »

Le coup d’essai se transforme en coup de génie. Au milieu des années ‘90, les grandes marques pâtissent de l’essoufflement du tennis et voient leurs ventes diminuer de 20 % par an. Dans le même temps, Babolat observe sa courbe de progression bondir comme une balle liftée. « Nos concurrents ne nous ont pas pris au sérieux parce qu’on était tout petits », sourit Éric Babolat. « Nos cordages étaient réputés mais invisibles. » Pour s’imposer sur le court des grands, une méthode est généralisée : à défaut de se payer les stars du circuit, l’approche s’est faite auprès des jeunes espoirs. Parmi eux, Fernando Gonzalez ou encore Kim Clijsters vont signer avec la marque aux deux bandes à l’âge de 11 ans.

 

Clijsters, à prendre ou à laisser

« Je traduisais lors des négociations avec la famille Clijsters, le papa ne parlait pas bien l’anglais et encore moins le français » se remémore Xavier Banken. « On était dans un hôtel de la Chaussée Romaine à Bruxelles pour discuter contrats. Lei Clijsters avait imposé ses conditions et souhaitait qu’on s’associe avec Kim, mais aussi avec Elke. C’était à prendre ou à laisser. » La suite est connue. L’aînée de la famille deviendra à 18 ans la première Belge de l’histoire à atteindre une finale de Grand Chelem, à Roland-Garros en 2001, avant d’accéder quelques années plus tard à la première place mondiale de la WTA et rafler au passage quatre trophées du Grand Chelem. Avec une Pure Drive en main.

L’autre belle histoire se déroule à Majorque, en décembre 1998. Luca Appino, chasseur de jeunes talents, se rend au centre d’entraînement de Palma, un des hauts lieux du tennis espagnol. Il croise Carlos Moya, numéro 1 mondial du moment et vainqueur quelques mois plus tôt des Internationaux de France. L’Italien évite de traîner, l’objet de sa visite se trouve quelques courts plus loin où s’entraînent des jeunes talents. Parmi eux, un gamin capte son regard. « L’intensité de son jeu était incroyable, on aurait dit qu’il allait manger la balle », dira-t-il. Le jeune garçon d’à peine 12 ans se nomme Rafael Nadal. Protégé de Moya, Rafa est rapidement convaincu de s’associer à la même marque victorieuse que son idole. Le premier contrat est vite signé : il comprend trois raquettes, trois bobines de cordage et un sac.

Depuis lors, le décuple vainqueur de Roland-Garros n’a changé qu’une fois de modèle. Certes, au fil des années, il a apporté quelques retouches, au niveau du poids ou du cordage, mais la base est restée pratiquement identique. « Je vis avec elle depuis longtemps. Si je l’ai gardée, c’est qu’elle apporte à mon jeu ce dont il a besoin », a-t-il un jour déclaré à propos d’un outil de travail spécialement conçu pour lui.

 

 La performance du plaisir

Ces deux réussites parmi d’autres illustrent la stratégie gagnante de l’équipementier : déceler les talents à un âge précoce et en faire de futures images de marque. Aujourd’hui, dans chacune des filiales de Babolat, des agents recruteurs écument les clubs ou les championnats benjamins et juniors.

 « Dans chaque pays, nous effectuons du scouting dans les catégories des 11, 12 ans », confirme David Gire, le directeur marketing. « Nous essayons d’avoir des égéries par zone. Pour l’instant, un Nadal, c’est transversal. Mais il est bien difficile de prédire l’avenir. Avant, nous avions des joueurs comme Gonzalez pour l’Amérique du sud, Roddick pour l’Amérique du nord et la filière espagnole. Aujourd’hui, on a Jo (Tsonga) en France, Thiem en Autriche/Allemagne, Fognini en Italie et bien sûr Nadal. Sur le marché nord-américain, le trou d’air aux États-Unis est comblé par le Canada, où un joueur comme Félix Auger-Aliassime a le potentiel d’un futur top 5. Enfin, en Asie, nous pouvons compter sur une ambassadrice comme Na Li. Sa victoire à Roland-Garros en 2011 avec l’une de nos raquettes nous a permis de nous placer sur le marché chinois et même de nous faire connaître en badminton, le sport national. »

Pour asseoir son hégémonie, Babolat s’est également concentré sur le tennis amateur. En 2010, Éric Babolat soulignait dans Les Échos l’importance du marché du tennis loisir. « Notre challenge est de passer de l’image d’une marque spécialisée, parfois perçue comme destinée aux initiés, à celle d’une marque adaptée à toutes les façons de jouer au tennis. La performance peut être aussi de savoir se faire plaisir. » Pour convertir le maximum de joueurs à ses produits, Babolat s’appuie sur les pros du secteur pour qu’ils deviennent ses prescripteurs. L’entreprise forme ainsi chaque année 10 000 profs de tennis, 400 vendeurs et cordeurs, et multiplie les séances d’animation dans les 20 000 clubs partenaires du monde entier.

Cette stratégie payante lui a permis d’accéder à la première place mondiale des marchés du cordage et de la raquette de tennis. Un exploit pour une société qui s’autoproclame de taille intermédiaire. En 2017, elle comptait 341 employés pour un chiffre d’affaires de 136 millions d’euros. Elle est implantée dans 144 pays et compte 15 000 points de vente.

© BABOLAT

Pas Nike ou Adidas

« Éric Babolat s’est retrouvé à la mort de son père à la tête d’une société de 35-40 millions d’euros de chiffre d’affaires à moins de 30 ans », relate David Gire. « Il est arrivé juste après le lancement des raquettes et a fait décoller la société. Le chiffre d’affaires et le nombre de collaborateurs ont triplé en 15 ans. Mais l’entreprise est restée familiale. Éric dit souvent je veux être une grande marque, mais une petite entreprise. Je suis parfois obligé, à coups de chiffres, de la replacer, car on pense souvent que Babolat, c’est une multinationale dans un énorme building. Alors que ce n’est pas le cas. On n’est pas Nike ou Adidas. Notre notoriété dépasse notre taille ou notre chiffre d’affaires. On est leader sur le marché. Nous avons toujours cette volonté de toujours aller plus loin, mais uniquement dans les sports de raquette. Nous n’avons aucune vocation pour le golf, le sportswear ou d’autres domaines. Nous sommes une marque de niche. » Babolat doit sa réussite à cette ligne de conduite stricte. Une voie tracée par Pierre, arrière-arrière-grand-père, passé de la charcuterie aux cordes de tennis en 1875.

Cette année-là, un Anglais débarque dans l’usine de Pierre Babolat, rue André-Bollier, près de Gerland. Outre-Manche, Mr Bussey, fabriquant anglais de raquette, a eu vent de la bonne réputation de cette entreprise, spécialiste de la transformation de boyaux de mouton pour la charcuterie, les cordes à instruments de musique et les ligatures chirurgicales. Il traverse la Manche et une partie de la France pour proposer un drôle de marché aux ingénieux lyonnais : fabriquer des cordages en boyau pour raquette de tennis, un sport né l’année précédente à Wimbledon. Amusé, Pierre accepte. La machine Babolat est lancée.

Elle prendra un véritable essor dans les années 1920 grâce à Suzanne Lenglen, première star internationale du tennis féminin, et à l’épopée des Mousquetaires, premières véritables vedettes de l’ère moderne. La bande à Lacoste combina un incroyable total de 54 victoires en Grand Chelem et 6 titres d’affilée en Coupe Davis, et participa au développement du VS, la célèbre corde de Babolat née en 1925. Les prémices du sponsoring accompagnent les succès des joueurs tricolores. Bien qu’il reste leader sur le marché de la charcuterie, Babolat se fait un nom sur les terrains de tennis en devenant le premier à imprimer sa marque sur le cordage. Par ailleurs, l’entreprise développe son succès grâce à sa proximité avec les joueurs : Henri Cochet, lui aussi Lyonnais, distille conseils et remarques visant à améliorer la qualité du produit et à répondre aux demandes d’une clientèle exigeante.

 

Moutons et vaches bretonnes

Peu à peu, Babolat a élargi son champ d’action et profite des innovations. Dans les années ‘50, elle lance le nylon, moins souple, mais moins onéreux et fait un geste pour l’environnement quelques années plus tard, en convertissant les six moutons jusqu’alors nécessaires pour un seul cordage boyau, en deux vaches et demie. Si ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les vaches bretonnes, Babolat poursuit son ascension, développe la machine à corder électronique et profite du professionnalisme du tennis pour équiper des champions désormais médiatisés comme Björn Borg. Au total, les cordages frappés du VS gagneront plus de 150 tournois du Grand Chelem.

Malgré cette histoire chargée en réussite, l’entourage d’Éric Babolat insiste sur sa volonté d’éviter de s’appesantir sur le passé. Babolat cultive la fibre des gagneurs et rejette celle des nostalgiques. « éric est un entrepreneur dirigé vers l’avenir ; il n’apprécie pas regarder derrière lui, sans renier le passé », nous glisse-t-on. Alors qu’elle n’avait pas vraiment diversifié ses produits en 120 ans, les raquettes Babolat représentent à elles seules plus de la moitié des ventes. 24 ans après leur apparition et vingt après la première victoire en Grand Chelem.

Après s’être lancé au début des années 2000 dans les chaussures − en partenariat avec Michelin −, les balles et le textile, Babolat est présent depuis quelques années sur les marchés du badminton et du padel, sans abandonner le défi de la raquette de tennis connectée dont elle est le précurseur, mais qui tarde à décoller.

« On n’a jamais progressé grâce au marché, mais grâce à nos innovations », remarque David Gire. « En ce sens, le connecté est un levier. Il n’y aura pas forcément plus de raquettes vendues, mais elles seront intelligentes. Ça peut donner envie aux joueurs de changer de matériel. Par ailleurs, l’impact de ce produit connecté sur la marque a été énorme. En termes d’image, on passe pour l’une des marques de sport les plus innovantes, beaucoup de gens nous ont fait confiance grâce à cette raquette. Ils ont acheté l’un de nos produits en disant c’est vrai qu’ils sont spécialistes. »

Des experts d’une famille où le tennis coule dans les veines, mais dont aucun membre n’est jamais devenu champion de tennis. Ils ont simplement permis à d’autres de le devenir.    

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

 

Le sportswear vintage monte au filet

© Presse Sports

Cela n’aura échappé à personne : la mode est à l’athleisure, qui se traduit par une sophistication du style sportif. Aujourd’hui, on va à la salle comme au bureau, en baskets. Le sportswear et son successeur, le streetwear, s’invitent dans les dressings les plus chics : il n’est plus incongru de porter des sneakers avec un costume bien taillé pour aller bosser, pas plus que de sortir en pantalon de training à bandes ou en survêt satiné. Mais attention, si cette tendance est nette, il s’agit de rester chic en arborant les logos ad hoc. De nombreuses marques historiques du tennis exploitent le filon, à l’image de Fila et son nouvel ambassadeur Björn Borg. Petit tour d’horizon du retour vers le futur des marques du passé.

 

En éternel balancier qui revisite les musts passés, la mode ressort régulièrement des pièces du placard. Les équipementiers sportifs suivent le mouvement en revisitant leurs classiques. Depuis quelques saisons, les années ‘80 et ‘90 s’invitent au sommet de la hype, amorçant le retour des bombers, des tee-shirts amples et des sweats à capuche barrés de logos ostentatoires et autres jeans taille haute, délavés neige ou non. On annonce même le retour des Buffalos pour compléter le tout.

Il en va de même sur et en dehors des terrains de tennis. Sergio Tacchini, Diadora, Fila, Ellesse ou Le Coq Sportif, des marques iconiques du sport, un temps reléguées aux oubliettes, profitent de cet attrait de nos années collège pour séduire les jeunes et moins jeunes en quête de cool, loin des sentiers trop battus par Nike et Adidas.

Comme dans les années ‘90, ces marques de sportswear imprègnent la culture pop, hip-hop et street. Le groupe TLC hier, comme Beyoncé ou Rihanna aujourd’hui s’affichent par exemple en Fila. Et dès 12 ans, on vendrait père et mère – étonnés de ce revival – pour avoir des baskets siglées de la marque italienne. Par ailleurs, toutes surfent sur la vague du vintage classique ou fluo, avec des collections aussi modernes que nostalgiques.

Outre l’attrait pour ce qui différencie, ce grand retour de marques évanouies a pris son véritable élan en 2016 lorsque le styliste Goscha Rubchinskiy les a affichées au Pitti Uomo, grand-messe du chic masculin à Florence. « Jusque-là, ces équipementiers s’étaient peu aventurés du côté de la mode et c’est ce qui fait qu’ils ne sont pas « usés » par les multiples rééditions. Mieux encore, Rubchinskiy a su leur redonner l’attrait de la nouveauté », confiait en juin dernier au Figaro Guillaume Steinmetz, cofondateur de la boutique multimarques parisienne The Broken Arm. Voici comment les équipementiers ont saisi la balle au bond.

cash (pat)

FILA 

La marque fondée en 1911 dans le Piémont par les frères Fila a connu son heure de gloire avec Björn Borg et, dans une moindre mesure, Boris Becker qui portaient haut sur les courts son logo bleu blanc rouge. Comme souvent dans l’histoire de l’équipement sportif, les rappeurs français ou américains comme P.Diddy, LL Cool J ou Tupac (et ses mythiques Fila 96GL) s’en sont emparés pour en faire une icône du streetwear. Après avoir chaussé et habillé des générations de jeunes cools dans les années ‘90, la marque a pourtant fini par disparaître des radars au tournant du millénaire. Avant d’effectuer son grand retour dans les années 2010.

Rachetée 450 millions de dollars en 2007 par un groupe sud-coréen, la marque de sport italienne est revenue sur le devant de la scène en rééditant ses plus grands succès, dont la Disruptor à semelle crantée, très recherchée des fashion victims. La collection Héritage, quant à elle, rend hommage au passé désirable de la marque avec des survêts, bonnets, sweats, salopettes, casquettes, jupettes et baskets siglés du logo d’origine qui affiche plus ou moins sobrement son initiale ou se placarde en toutes lettres. 

En 2015, Fila concluait une collaboration avec Urban Outfitters nommée « Wes Anderson inspired », du nom du cinéaste américain trendy. Parmi les modèles, on retrouvait la mini-jupe plissée de tennis, notamment. Derrière cette stratégie marketing soigneusement orchestrée, l’objectif de Fila était de se faire connaître auprès d’une clientèle trop jeune pour avoir connu sa grande époque. Un retour dans le sport et la mode soigneusement orchestré et affirmé en 2018 au travers d’un nouveau partenariat avec Björn Borg comme ambassadeur de la marque. Près de 40 ans après sa (dernière) victoire à Wimbledon lors d’un duel d’anthologie face à John McEnroe, Fila a d’ailleurs réédité son célèbre bandeau.

 

Sergio Tacchini

À la fin de sa carrière de tennisman international, Sergio Tacchini fonde à Florence une marque de vêtements à son nom, comme René Lacoste et Fred Perry avant lui. Le Transalpin est le précurseur de la couleur sur la tenue des joueurs de tennis, alliée à l’élégance italienne. Le 5 juillet 1980 est une date mémorable de l’histoire du tennis. Borg et McEnroe s’affrontent lors du match des géants, et à travers eux deux équipementiers phares : Fila, partenaire du placide Suédois, et Sergio Tacchini, sponsor du nerveux Américain.

Autre icône transalpine des courts de tennis et des cours de récré dans les années ‘90, la marque éponyme du joueur italien a également périclité au crépuscule du siècle dernier. Au bord de la faillite, la marque est rachetée en 2008 par le Chinois Ngok Yan Yu. Il investit personnellement 27 millions d’euros pour récupérer les actifs de Tacchini, injecte ensuite 33 millions pour relancer la marque et promet d’ouvrir 200 magasins. 

Tacchini doit également son salut à l’attrait des années ‘90 exploité par le styliste Gosha Rubchinskiy. Lors de son défilé printemps-été 2017 à Florence, il dépoussière les enseignes italiennes (Fila, Kappa, Tacchini) : cette association « moitié bitume, moitié haute couture » tapera dans l’œil des fashionistas. À peine mise en vente, l’édition limitée du designer russe était aussitôt épuisée.

Côté court, Tacchini, longtemps associé, au fil des générations, aux pointures du tennis (Jimmy Connors, John McEnroe, Pat Cash, Pete Sampras, Novak Djokovic) refait une timide incursion sur les circuits masculins (Müller, Klizan, Robredo) et féminins (Strycova, Makarova, Bondarenko).

Ellesse

Née en 1959 à Pérouse, Ellesse doit son nom aux initiales de son fondateur, Leonardo Servadio. Il n’était pas joueur professionnel, mais grand amateur de tennis et choisit donc comme logo une moitié de balle. C’est pourtant par ses tenues de ski que l’homme d’affaires s’est fait connaître à la fin des années ‘60, avec un pantalon stretch technique et performant. Au début des années ‘80, il conquiert les courts en embarquant avec lui des légendes du tennis comme Boris Becker, Chris Evert et Guillermo Vilas - sans oublier les circuits de Formule 1, avec Alain Prost.

Reine du sportswear dans les années ‘90 comme ses compatriotes Fila ou Sergio Tacchini, la marque est aussi tombée progressivement dans l’oubli avant d’être reprise par le groupe britannique Pentland et de connaître un nouveau souffle à la faveur du retour du vintage sportif.

 

Le Coq Sportif

Fondée en France en 1882, la marque au drapeau tricolore rehaussée d’un coq chantant était au départ une marque de bonneterie, reconvertie dans le sport en 1920. L’équipementier devient célèbre en habillant les coureurs du Tour de France, l’équipe de France de rugby, l’équipe mythique de l’AS Saint-Étienne, l’Argentine de Maradona championne du monde en 1986, mais aussi Yannick Noah lors de sa victoire à Roland-Garros en 1983. Comme la Stan Smith, l’Arthur Ashe du Coq Sportif porte le nom d’un joueur de tennis que seuls les puristes identifient encore comme tel, et pas seulement comme un modèle de baskets mythiques ou le court central de l’US Open.

Dans le giron d’Adidas depuis 1974, l’entreprise française périclite à la fin des années ‘90 face à la concurrence mondiale. C’est le rachat en 2005 par le fonds suisse Airesis qui va accélérer son retour au premier plan. La marque bénéficie également du développement du sportwear en entreprise. Ainsi, selon une étude de Kantar, les ventes de chaussures de sport ont bondi de 32 % en 5 ans. à l’inverse, les volumes de ventes de costume ont chuté de 40 %, ceux de la cravate de 38 % et des escarpins de 9 %.                                                    

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

Courts avec vue

© Archives Monte-Carlo Country Club

Qu’y a-t-il de plus beau qu’un ciel bleu azur surplombant les eaux turquoises d’une Méditerranée encadrée par des rochers ? La même vue, en y ajoutant l’ocre ardent de la brique pilée, embrassée par d’implacables lignes blanches. C’est dans ce cadre idyllique du Monte-Carlo Country Club que se déroule depuis 1928 l’un des tournois les plus prestigieux et glamour, qui ouvre la saison européenne sur terre battue et reste une étape privilégiée avant Roland-Garros, attirant chaque année une bonne partie du top 10 mondial. 

 

Pendant onze mois de l’année, le club centenaire Monte-Carlo Country Club – dites MCCC (sans oublier un C) si vous êtes pressés – permet à ses deux milliers de membres de jouer sur 23 courts (21 en terre battue, deux en dur) avec vue sur mer, dans un cadre huppé mêlant distinction et tradition. Le club-house est panoramique, l’endroit couru et la tenue blanche de rigueur. 

Mais la modernité se cache ailleurs. Le club mythique a une dynamique moderne et tournée vers l’avenir : ainsi d’importantes transformations et modernisations sont régulièrement offertes à ses affiliés, pendant que les travaux de rénovation et d’expansion sont menés tambour battant.

La terre battue est choyée et renouvelée avec méticulosité. Le club accueille d’ailleurs régulièrement des joueurs professionnels, pour certains résidents monégasques, comme Novak Djokovic (qui possède d’ailleurs son propre restaurant végétarien dans la Principauté), David Goffin ou Grigor Dimitrov. Avant eux, Nastase, Borg,
Becker, Ivanisevic ou Safin avaient été séduits par les charmes ensoleillés et la fiscalité accommodante de Monaco.

 

Des toits

Des vestiaires leur sont réservés à l’écart de ceux des autres membres du club. Ce qui n’a pas toujours été le cas : à une époque encore dans les mémoires, les casiers devaient se vider pour laisser place aux professionnels. Le panorama non plus n’a pas toujours été aussi somptueux. 

En 1893, le « Lawn Tennis de Monte-Carlo », sa première appellation, est construit sur le toit des caves à vin de l’Hôtel de Paris. Il comprend deux courts en terre battue et un terrain de croquet. C’est là, en 1897, que se déroule la première édition du tournoi monégasque, chez les hommes comme chez les femmes. Il n’en existe alors que neuf autres à travers le monde. 

C’est aussi la grande époque des frères Doherty. Nés à Wimbledon, ils dominent le tennis mondial et remportent à eux deux toutes les premières éditions de la compétition jusqu’en 1906, demeurant encore aujourd’hui parmi les plus titrés : quatre pour Hugh (le cadet) et six pour Reginald, en deuxième place derrière… Nadal et ses dix titres.

Cette même année 1906, sont inaugurés trois courts et un terrain de croquet à La Condamine, deuxième port d’attache pour le club monégasque. L’Hôtel de Paris, aujourd’hui cinq étoiles, souhaitait en effet s’agrandir, obligeant les amateurs de tennis à se rediriger vers ce quartier commerçant, qui accueille aujourd’hui l’arrivée et le départ du Grand Prix de Monaco. Le Néo-Zélandais Anthony Wilding survole alors les débats avec cinq titres au total (troisième joueur le plus titré du tournoi).

Après une pause forcée de quatre années durant la Première Guerre mondiale, Suzanne Lenglen y fait une entrée fracassante en remportant sa première finale 6-0, 6-0 contre la britannique Doris Wolfson. Entre 1919 et 1926, elle comptera onze finales pour onze victoires à Monte-Carlo. Elle jouera même en double avec le roi de Suède Gustave V, sous le pseudonyme de Mister G., grand amateur de tennis et fondateur du premier club de son pays. Elle sera aussi indirectement déterminante dans l’histoire du futur MCCC. 

 

Et encore des toits

Mais avant cela, le quartier commerçant de La Condamine aussi a besoin d’espace et dès la fin de la guerre, pousse le club vers un autre toit. Celui du garage « Auto-Riviera », adjacent des jardins de l’Hôtel-pension de La Festa où l’on trouve déjà deux courts de tennis, sis rue des Roses, Beausoleil. Derrière ces odeurs de vacances, cette jeune commune des Alpes-Maritimes, limitrophe à Monaco, avait été créée en 1904 suite à la pression immobilière qui s’exerçait sur Monte-Carlo, notamment grâce au tourisme et au jeu.

Trois courts, quelques tribunes, des murs d’entraînement et un club-house y sont inaugurés le 21 janvier 1921, cette fois sous le nom de « La Festa Country Club ». C’est le début des années folles, la croissance économique est à son comble. Des personnalités de nombreux pays viennent passer leurs vacances sur le Rocher et une Française domine un tennis mondial qu’elle finira par révolutionner : une certaine Suzanne Lenglen, dans sa légendaire tenue signée Jean Patou. Mais quand un riche mécène américain observe la « Divine » sur la terre battue monégasque, il estime que ce club n’est pas digne de la première vedette féminine de ce sport encore amateur. « Il lui faudrait un écrin à la hauteur de son statut de star et non pas le simple toit d’un garage », aurait déclaré George Pierce Butler. Nous sommes en 1925. La 25e édition du tournoi qui se déroule cette année-là restera inachevée et ne connaîtra jamais de vainqueur, alors que Butler entreprend de convaincre la Principauté. 

© Archives Monte-Carlo Country Club

Des terrasses

Mission réussie : sur quelques hectares de terrains de la commune française de Roquebrune-Cap-
Martin, s’occuperont bientôt jour et nuit plus de 1 500 ouvriers pour ériger des bâtiments Art déco dessinés par le célèbre architecte Charles Letrosne. Et sur un terrain abrupt peu accueillant, les fameuses terrasses surplombant la Méditerranée. Deux ou trois courts habillent chacune d’elles, séparées par des cyprès ou des pergolas fleuries.Vingt au total, dont douze pour la compétition. L’inauguration a lieu en février 1928, le Français Henri Cochet est le premier à y remporter la victoire, avant de prendre dix mois plus tard le nom actuel de « Monte-Carlo Country Club ». 

La Deuxième Guerre mondiale donne un coup d’arrêt de six ans à la compétition et en 1947, le Suédois Lennart Bergen s’impose chez les hommes quand l’épouse de George Butler et sa fille Gloria sont de retour à Monte-Carlo. Elles s’échinent alors à inviter les meilleurs joueurs du monde entier et à donner une aura de fête au tournoi. Avec notamment, dès 1951, cette idée impensable aujourd’hui : le « Gloria Butler Show », une folklorique « soirée des joueurs ». Pendant 21 ans, Gloria Butler imaginera des sketchs interprétés par des joueurs déguisés, dans des décors de cabarets. Après une longue pause de 1975 aux années ‘90, le mercredi de la semaine de compétition verrait encore aujourd’hui les champions se prêter au jeu, si l’on en croit le directeur du tournoi. « à mon époque, on se limitait à chanter ou à danser le french cancan. Désormais, tous les tics des uns et des autres sont repérés. Novak excelle dans les parodies, aussi bien celle de Borg que de McEnroe. Et quand les joueurs imitent Nadal en train de tirer sur son short, c’est à tomber par terre ! » expliquait Zeljko Franulovic au journal Le Monde en 20151.

 

L’ère Open

Grâce aux investissements et à la créativité de la fille Butler, le tournoi préserve son prestige. Le cadre demeure idyllique, de nombreux étrangers, notamment américains, font le voyage pour assister aux matchs. Mais c’est le début de l’ère Open qui donnera le dernier élan nécessaire. 1968 marque la fin des « tournois amateurs », avril 1969 sera le premier Open monégasque avec un « Men’s Single First Prize » à 12 000 francs français (soit moins de 2000 euros). Un certain Zeljko Franulovic remporte l’édition suivante… il en est le directeur depuis 2005. Nastase soulèvera la coupe l’année d’après, avant Vilas (qui affrontera Connors dans une finale jamais terminée pour cause de pluie en 1981), Borg, Wilander… La route des années ‘80 est glorieuse, bien accompagnée par les retransmissions télévisées. L’engouement est certain, mais la place est aussi réduite sur les terrasses : le tournoi féminin passe à la trappe en 1979. 

Les années ‘90 le confirment : avant Roland-Garros, Monte-Carlo reste la meilleure préparation, dans une ambiance jet-set autour d’une famille princière très médiatique. Il faut aussi y être vu, quand on est simple spectateur, quitte à écorcher la vue. Le succès engloutit les tribunes face à la mer dans un attelage installé le temps du tournoi sur l’entièreté des terrains autour du central. Les meilleurs spécialistes s’y imposeront (on pense évidemment à Sergi Bruguera ou encore Thomas Muster), tandis que d’autres grands noms – comme Boris Becker et même la légende Federer – ne parviendront jamais à s’y imposer.

En 2007, un an après l’arrivée de Rolex dans le nom et sur les bâches, coup de chaud sur le Rocher. L’ATP pense à déclasser Monte-Carlo et lui ôter le statut de Master Series, à la recherche d’une place de choix pour Shangaï et le marché asiatique. Les joueurs poussent de la voix, Nadal et Federer (à qui le trophée a toujours échappé mais à qui aussi le casier numéro 1 est réservé) en tête. Le tournoi est maintenu et même élu par les joueurs « meilleur ATP Masters Series de l’année 2007 ». Mais contrairement aux autres tournois de la même catégorie, les trente meilleurs joueurs mondiaux ne sont pas obligés d’y participer. Le climat, la vue, le prestige et l’expertise du club sont de bons incitants. Comme le prize money de la compétition. En 2017, devant les désormais 10.000 spectateurs du court central, rebaptisé deux ans auparavant Court Rainier II, Nadal a remporté la 111e édition du tournoi de Monte-Carlo et 820 035 euros. Il y a soulevé sa 10e coupe monégasque, toujours remise par un membre de la famille princière.            

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018.

1 Lemonde.fr, « Jet-set et match à Monte-Carlo », avril 2015

Tinker Hatfield

et le tennis, au-delà des lignes

Si un nom doit symboliser la culture « sneaker », c’est celui de Tinker Hatfield. À 69 ans, il reste le designer star de Nike depuis plus de 30 ans, quand la firme n’était encore qu’un petit outsider dans le monde du sport. On lui doit, entre autres, les Jordan les plus cultes, les Air Max, les Huarache et des dizaines d’autres modèles qui ont traversé les époques et sorti les « baskets » des stades pour les installer dans la ville et la culture populaire. Parmi celles-ci, les fameuses « auto-laçantes » de Retour vers le futur II mais aussi des icônes du tennis, entre innovations esthétiques et technologiques. 

 

L’histoire de Tinker Hatfield est liée à la rupture. Des codes ou du corps. Au « disruptif », dirait-on aujourd’hui. À l’accident, provoqué ou subi. Athlète et perchiste de haut niveau, la voie vers les médailles olympiques semble toute tracée pour le jeune Hatfield. Mais en 1976, l’étudiant de 24 ans à l’université de l’Oregon se blesse et les rêves professionnels s’envolent. Le sportif se découvre alors d’autres talents. « Tout le monde me voyait remporter des médailles aux JO… Mais en me blessant, j’ai perdu la capacité d’être aussi performant. J’ai donc dû me concentrer sur autre chose. À l’époque, je ne savais pas que j’avais un don artistique, que je savais dessiner. Je l’ignorais jusqu’à ce que je change de cap. On peut donc dire que l’accident a été bénéfique, parce que ça m’a aidé à me recentrer sur le design et l’architecture. Je n’aurais pas choisi d’avoir cet accident, mais de nombreuses façons, cela m’a aidé à comprendre ce que c’est qu’être diminué. »1 

L’histoire commence mal mais, outre la volonté, la chance n’est pas loin. Si c’est dans l’Oregon que grandit Hatfield, c’est aussi là que la toute jeune firme Blue Ribbon Sports prend ses marques. Si ce nom ne vous dit rien, un indice : elle est rebaptisée Nike en 1971 (en hommage à Niké, la déesse grecque de la victoire ). Derrière le désormais célèbre swoosh − la virgule logo de la marque − deux fondateurs : Phil Knight et Bill Bowerman, deux mentors pour Hatfield. Ce dernier, cordonnier à ses heures perdues, était même son coach. « Il m’a appris la stratégie, la vision à long terme. À travailler dur mais de manière intelligente. À me détendre aussi. (…) Je veux dire : ne dessine pas que des chaussures. Apprends la complexité d’autres disciplines du design comme l’architecture, les voitures, les jouets… peu importe. Je n’ai jamais vu de travail vraiment unique sur une nouvelle sneaker venant de quelqu’un qui ne connaît que les chaussures. (…) Nous sommes tous influencés par les choses cool du monde entier. J’aime penser que quand je m’assieds pour dessiner, ce qui en ressort, c’est l’accumulation de tout ce que j’ai vu ou fait dans ma vie. Et je suis un bon observateur. J’essaie de sortir et de voyager. » 

Avant cela, il rejoindra son ancien coach chez Nike, dès 1981. D’abord en tant qu’architecte, pour dessiner des magasins et des bureaux. Quatre ans plus tard, des chaussures. Et en 1988, sa Jordan III au mythique imprimé éléphant convaincra le basketteur des Bulls de rester chez Nike, pour ce qui restera la collaboration la plus florissante entre une marque et un sportif. 

Si l’on pense Hatfield, on pense d’ailleurs Jordan. Ce n’est sans doute pas un hasard si, en français, on ne dit pas sneaker mais basket. Ou, tennis, si on a le verbe plus désuet. Ça tombe bien : l’homme a aussi dessiné des modèles emblématiques dédiés à la pratique du tennis. Souvent liés à des ruptures, au sens large. « Je pense que beaucoup de nouvelles idées viennent d’accidents. Je pense que les échecs ou les accidents vous poussent à faire plus d’efforts. Et parfois les planètes s’alignent. »2 Les planètes prennent aussi le nom des plus grands champions.

© Nike

Air Trainer 1 (1987)

Si elle n’est pas restée la plus célèbre pour le grand public, elle est une révolution : la Air Trainer 1, propulsée par McEnroe sur les courts (et dans les téléviseurs). Révolution parce qu’elle tranche radicalement avec les tennis qui foulent habituellement la terre battue ou le gazon. Aussi, parce qu’elle a été pensée comme une cross-trainer, la première du genre. Inspirée par les casiers de salles de gym remplis d’au moins deux paires de basket, selon que l’on coure ou que l’on pousse de la fonte, Hatfield se met en tête de dessiner une chaussure pensée pour une pratique multi-sports, et ainsi minimiser le risque de blessures. Résultat, la Air Trainer 1 embarque la récente innovation « air », des côtés renforcés, une coupe plus haute et un talon à mi-chemin entre les sneakers de basket de l’époque (8 mm) et celles de course (12 à 15 mm). Des joueurs de la NBA l’adoptent, ainsi que le célèbre Bo Jackson au baseball, entre autres. 

« Pendant qu’on finalisait la Air Max, j’ai réalisé que les gens ne portaient jamais de chaussures adaptées. Ils jouaient au basket avec des chaussures de running ou couraient avec des chaussures de basket. Ils se blessaient, se tordaient la cheville… J’ai voulu y remédier et ça a donné la première polyvalente de Nike, la première cross-trainer. Il fallait de la stabilité sur les côtés, et il y avait un velcro au milieu pour tenir le pied. Cela permettait de faire plusieurs sports en les gardant aux pieds. »3 C’est aussi l’époque où John McEnroe décide de reprendre sa raquette après six mois de pause.

En 1986, McEnroe veut retourner sur les courts et contacte Nike car il est à la recherche d’un nouveau style de chaussures ; après la célèbre Mac Attack, qui faisait déjà un joli pied de nez au blanc de l’époque avec ses tons gris. 

L’histoire raconte qu’un prototype de la Air Trainer 1 lui est envoyé un peu par hasard parmi d’autres modèles, sans que Hatfield ne soit au courant. « Parmi tout ce que Nike m’a envoyé, il y avait ces chaussures, un peu de côté. Et finalement, c’était les meilleures. Quand j’ai mis la Air Trainer 1, j’étais genre désolé les gars mais c’est la bonne. On doit y aller avec ça, on doit aller à contre-courant », racontera McEnroe. « De ce que j’avais compris, c’était juste un prototype que Nike n’allait pas nécessairement produire. Ça n’avait rien à voir avec le tennis mais je les ai trouvées parfaites et d’une certaine manière, ça m’a lancé sur la route du succès. »4 Ne suivant pas les recommandations de la marque qui ne les estimait pas prêtes à faire leur entrée sur un court, McEnroe le rebelle gagne ses deux premiers tournois avec les tout aussi rebelles Air Trainer aux pieds. Et refuse de les rendre. Il en demande même plus. Elles prendront des teintes vert chlorophylle et gris argile. « Je n’en revenais pas, je ne savais pas qu’il allait les porter. Personne ne le savait. Il n’était pas censé le faire : il l’a juste fait », s’enthousiasme toujours Hatfield. 

Les retransmissions télévisées des matchs et les publicités surfant sur l’image rentre-dedans de McEnroe catapulteront la Air Trainer 1 en-dehors des stades et au top des ventes. Malgré son aspect très novateur pour l’époque, qui rebutait une partie du public mais qui intriguait aussi, avec son « scratch ». « On a mis fin à un certain modèle qui perdurait dans le design des chaussures de sport (…) », explique Hatfield. « Celles pour le basket étaient trop hautes, tandis que les sneakers basses semblaient dépassées et peut-être trop petites », disait encore McEnroe. « Les gens combattent ce qu’ils ne comprennent pas », affirme le créateur, « comme les designs un peu trop différents de ce à quoi ils sont habitués. Mais pour créer l’enthousiasme, attirer l’attention et amener des découvertes en termes de performance, il faut s’imposer. Et les gens finissent par dire : c’est une idée brillante. (…) C’est ce que je fais, c’est mon travail. Je me souviens avoir parlé à ma femme après ça et lui avoir dit je pense que ce travail va me plaire, si j’arrive juste à dormir un peu.»5

© Nike

Air Tech Challenge II (1990)

Quand il définit son travail, Tinker Hatfield se dit aussi storyteller. Un raconteur d’histoires, autour d’un objet de désir. C’est d’ailleurs là tout l’apport du designer : de la chaussure pensée « juste pour protéger » (dans le pire des cas) à l’idée unique de performance (dans le meilleur), l’Américain, lui, y apporte une dimension narrative. Quand il imagine la Air Max 1, c’est le centre Pompidou et sa tuyauterie apparente qui inspire la bulle d’air visible ; quand il dessine le V de la Jordan V, c’est avec les avions de la Seconde Guerre mondiale en tête… 

Et si dans le tennis, McEnroe était une histoire de rupture à lui tout seul par son comportement colérique peu habituel sur un court de tennis, André Agassi en est une encore plus originale. Plus transgressive encore, au moins du côté vestimentaire : « Un bon design est fonctionnel. Un excellent design transmet un message. En 1988, Agassi est en passe de devenir une star du tennis. Il avait 18 ans et je n’avais jamais entendu parler de lui. Je suis allé à Las Vegas et on a passé un peu de temps ensemble. Il avait les cheveux longs derrière, genre long mulet. Il était jeune et fougueux, différent des joueurs de tennis avec qui j’avais collaboré. Il jouait d’une nouvelle manière. Il attaquait en fond de court en frappant le plus fort possible. J’ai commencé à travailler avec l’idée que ce jeune joueur n’avait pas grandi dans un country club, tout de blanc vêtu. Rien chez lui n’évoquait le tennis. On lui avait aussi dessiné un short en jean avec un lycra dessous… C’était vraiment censé être de l’antitennis. J’ai même inventé le terme anti-country club. Car il ne s’agissait pas seulement du design des chaussures : avec un joueur qui a la bonne personnalité, on peut remettre en cause l’image même d’un sport tout entier. »6

Un personnage atypique et télégénique qui donnera à Nike tout le loisir d’en jouer avec la publicité, et à Hatfield de lui proposer, en plus d’un équipement complet du même acabit, un modèle encore plus à contre-courant des conventions stylistiques. Signé chez Nike dès 1986, le « Kid de Las Vegas » débute avec les mêmes Air Trainer 1 que McEnroe. Pas assez funky. On n’avait pas encore vu de rose à Wimbledon, on en voyait même encore peu sur les hommes, en 1991. Agassi, lui, portera fièrement la haute Air Tech Challenge II, avec le coloris hot lava rose fluo inspiré par sa force de frappe, la bulle d’air visible dans le talon, et dessinée pour avoir l’air d’aller encore plus vite que la réalité. Un classique du genre qui symbolise à elle toute seule le début des années ‘90.

Un style qui convient aussi aux cours d’école, qui l’adoptent, y voyant une alternative aux Jordan. Même si Agassi lui-même affirmait lors d’une réédition en 2014 n’avoir jamais osé la porter en-dehors des compétitions par crainte de « trop attirer l’attention ». Ce qui tranche avec son attitude provocatrice sur un terrain, lui qui les « aimait parce que ça énervait les gens ». 

Nike continuera à s’amuser grâce à Agassi et creusera à la fois son design irrévérencieux pour des courts de tennis et des technologies de pointe.
La Air Tech Challenge III dispute à son aînée le titre d’Agassi la plus emblématique de la gamme avec sa fameuse balle en flammes sur le talon, quand la quatrième et dernière du nom − appelée plus communément La Agassi − arbore fièrement des coloris mauves, rouges et orange sous acide qui ne dépareillaient pas avec les training « parachutes » de l’époque. Et sans swoosh, pour préfigurer la suite.

 

Air Huarache Challenge (1992)

Souvent moquée ou oubliée, la Huarache − du nom d’une sandale mexicaine, et même maya si l’on en croit le storytelling de la pub de l’époque − est l’un des modèles les plus innovants signés Hatfield, présentée lors de sa première version en 1991 comme « un changement radical de la conception de la chaussure classique ». 

Inspiré par des bottes en néoprène qu’il portait lors d’une session de ski nautique, le designer imagine des sneakers aussi souples et légères que des chaussettes, ou presque. On retrouve donc du néoprène pour le confort, le fameux caoutchouc pour assurer de la stabilité et quelques pièces de cuir sur le côté et au bout du pied. À quoi s’ajoute évidemment le coussin d’air, et, détail non négligeable, où le swoosh se retrouve écarté. 

Une nouvelle rupture des codes à laquelle personne ou presque ne croit chez Nike et pourtant, c’est un succès fulgurant. Chez les coureurs, à qui la première version était destinée, et chez les autres, grâce à des versions adaptées aux autres sports. Dont la Challenge, aux pieds d’Agassi. Modèle hybride entre la Huarache et la Tech Challenge, avec des coloris à peine plus sobres. Son côté confortable séduisait les sportifs en dehors des stades et son côté hybride a fait dire aux spécialistes qu’elle est un mélange entre la Jordan VII, la Tech Challenge et la Air Resistance. 

© Nike

Air Zoom Oscillate (1996)

Le meilleur ennemi d’Agassi durant toute la décennie ‘90 était aussi son parfait contraire, dans le jeu et l’attitude. L’élégance classique cimentée par un service-volée offensif imposera Pete Sampras au top du tennis mondial et au bilan des confrontations avec son compatriote plus farfelu (20 victoires à 14). Et c’est avec les Air Oscillate aux pieds que l’Américain gagnera notamment quatre Wimbledon de suite, de 1997 à 2000. 

Car Sampras n’est pas du genre à changer pour le plaisir. Il est sans doute l’un des rares qu’il ait fallu convaincre de porter des chaussures imaginées par Hatfield. Pas parce que ça ne lui plaisait pas, mais parce que celles qu’il portait, les Air Max2 Sweep, lui convenaient. Pourquoi changer alors ? 

La légende raconte que le designer avait défié le tennisman au basketball et, faute de chaussures adéquates, lui offrit malicieusement une nouvelle paire de sneakers pour le match. Pete apprécia le confort et la réactivité de l’Oscillate et l’adopta dès le début de la saison 1997. Pour le reste de sa carrière. Minimale, discrète (on passera sous silence la version noire à semelles rouges) mais fiable, comme le champion.

 

Zoom Vapor 9 Tour (2012)

Après McEnroe, Agassi et Sampras, c’est avec Roger Federer que Tinker Hatfield tutoiera à nouveau l’excellence dans le domaine du tennis. Et travaillera étroitement avec l’un des plus grands sportifs de l’histoire, comme il l’avait fait avec Michael Jordan. « La Vapor 9 était une excellente chaussure dès le début », expliquait Federer lors de la sortie de la Vapor X. « Tinker a réalisé un excellent travail en comprenant précisément ce que je recherchais : une combinaison entre une chaussure de tennis et une chaussure de course à pied. » 

Comme la Oscillate de Sampras, elle ne dépassera pas son statut de sneaker de tennis. Mais elle respire la technologie et la maîtrise, en s’adaptant au pied pendant qu’il bouge, entre confort et protection.

Roger est aussi un sneakerhead, régulièrement photographié avec d’autres modèles aux pieds, en rue ou lors de matches d’exhibition. À chaque nouveau sacre à Wimbledon, sa Vapor est customisée avec le nombre de ses victoires. Et quand deux monstres sacrés du sport mondial se rencontrent sous la houlette du plus grand designer de chaussures de sport, cela donne l’inespérée Vapor AJ3. Soit Federer qui rencontre Jordan pour un heureux mélange entre la Zoom Vapor 9.5 et la Jordan III. Régulièrement rééditées depuis dans d’autres versions, le Suisse les portera pour la première fois durant l’US Open 2014, où il s’inclinera en demi-finale. Mais il aura fait tourner les têtes des amateurs de sneakers, et en imposant indirectement la silhouette de Michael Jordan sur des courts de tennis, les conventions ont à nouveau été bousculées. Le champion aura aussi rappelé l’essentiel : que l’on parle de basket ou de tennis, le point commun s’appelle Hatfield.                    

 

Article publié dans Courts n° 1, printemps 2018

 

1-2 Clique x Tinker Hatfield, octobre 2017

3 Abstract : The Art of Design (épisode 2), février 2017

4 Esquire, mai 2015

5 Abstract : The Art of Design (épisode 2), février 2017

6 Abstract : The Art of Design (épisode 2), février 2017

Tennis (mélo)man

Certains choisissent le tennis. D’autres s’orientent vers la musique. Et puis il y a ceux qui empruntent une troisième voie. Ils cumulent leurs deux passions et récitent une partition, sur le court comme sur la scène, avec plus ou moins d’inspiration. Un violon d’Ingres pour la plupart, même si une poignée prolongent le plaisir jusqu’à la reconversion. 

 

Imaginez la scène. Vous voilà dans le couloir qui mène à l’entrée du court Philippe- Chatrier. Vous êtes échauffé, concentré et en tenue de combat. Le speaker scande votre nom. C’est l’heure. Vous enfilez votre casque audio sur vos deux oreilles, avant de fouler la terre battue de la porte d’Auteuil. 

Durant ces quelques lignes, vous étiez dans la peau d’Iga Swiatek. À Roland-Garros, au moment de pénétrer dans l’arène, la jeune polonaise écoutait à fond le célèbre morceau des Guns N’ Roses, Welcome to the Jungle1. Avouez qu’il y a de quoi être gonflée à bloc. Vous connaissez la suite : Simona Halep et Sofia Kenin, entre autres, se sont empêtrées dans les lianes de son jeu. 

Avant les matchs, le rock, sa seconde passion, lui permet de rester dans sa bulle. Les Pink Floyd, les Red Hot Chili Peppers et AC/DC figurent également dans sa playlist. La dernière lauréate du Grand Chelem parisien n’est pas la seule vainqueur de Majeurs séduite par le son métallique des Australiens. En 2015, Novak Djokovic est allé applaudir le groupe au Stade de France, en plein French Open. Le lendemain, après avoir écrasé Damir Dzumhur sous les yeux d’Angus Young, Roger Federer a rejoint son guitariste favori dans les coulisses du tournoi. « Je l’avais déjà vu à l’occasion d’un concert à Bâle, s’exclama le Suisse, ravi de cette rencontre. Je devais avoir quinze ans et les cheveux longs comme ça. » Pour la petite histoire, les deux champions connaitront cette année-là le même sort, foudroyés2 par les éclairs d’un homme en colère nommé Stan Wawrinka. 

Entrer sur le court au rythme de ses chansons préférées s’apparente à une routine, une ritournelle. Les joueuses sont de plus en plus nombreuses à suivre ce refrain. Avant Iga Swiatek, Serena Williams et Victoria Azarenka avaient lancé la mode. Une manière pour elles de monter en pression avant d’augmenter le volume de leur voix à chaque frappe de balle. Autre tenniswoman membre de cet orchestre, Naomi Osaka. En 2018, la Japonaise a écouté en boucle le même album de Nicki Minaj, Queen, durant l’intégralité de l’US Open. Elle achèvera la quinzaine sacrée reine3 de New York.

Les hommes aussi adhèrent au mouvement. Nick Kyrgios et Gaël Monfils débarquent régulièrement sur le terrain avec leurs écouteurs. L’Australien est plutôt rap ou r’n’b. Il apprécie Drake, qu’il a qualifié de « génie4» et de « légende » sur Twitter. Le Français est plus éclectique. Son baladeur mp3 mixe hip-hop, lounge et classique. « La musique prend beaucoup de place dans mon quotidien, décrit le tricolore dans une interview accordée à l’ATP. Je me réveille en musique, je m’endors en musique, je fais tout un tas de choses en musique. C’est très important pour moi, car la musique a le pouvoir de m’apaiser ou de me motiver, selon les moments. Cela fait partie de mon éducation. Aux Caraïbes, la musique fait partie de la vie. » Toujours prêt à se trémousser, Monfils avait offert une démonstration de breakdance aux spectateurs de Roland-Garros lors de la journée des enfants en 2014, avec Bob Sinclar aux platines5. 

C’est vrai, tennis et musique font assez bon ménage. Il y a un an et demi, Roger Federer évoquait une similitude réunissant les tennismen et les pop-stars, lors d’un entretien qu’il nous avait accordé. « On joue sur la planète entière, de janvier à novembre. J’aime bien nous comparer à ce que vivent les chanteurs lors d’une tournée mondiale. » Dans l’avion ou à l’hôtel, les joueurs et les joueuses ont du temps à tuer. Le son les autorise à s’aérer l’esprit, focalisé sur la compétition et la quête de succès. C’est encore plus vrai lorsqu’ils demeurent coincés dans leur chambre durant quatorze jours, comme en Australie en janvier. Pierre-Hugues Herbert n’a pas hésité à commander une guitare, un instrument que cet adepte de Supertramp pratique depuis l’âge de 16 ans. « Je n’envisageais pas la quarantaine, enfermé pendant 19 heures, sans pouvoir jouer, a-t-il rapporté à France Info. J’ai appris un nouveau morceau, le dernier Ed Sheeran6, qui est très facile à jouer et que je trouve très joli. » Une bonne façon de s’accrocher, voire de s’échapper. 

Toujours à Melbourne, mais quatre ans plus tôt, le « Maestro » himself s’est amusé à pousser la chansonnette, en compagnie de Tommy Haas et Grigor Dimitrov, reprenant un titre du groupe Chicago. Soyons honnêtes, la prestation laisse à désirer. Leur revers à une main vaut bien mieux que leurs trois voix réunies, mais on ne va pas en rajouter, ni leur demander de s’excuser7. 

© Art Seitz

Double casquette

Être à la fois joueur et chanteur, voilà qui n’est pas donné à tout le monde. Bien sûr, Yannick Noah incarne la référence ultime. Le Français a sorti son premier disque juste avant d’arrêter le tennis, débutant ainsi sa nouvelle vie8. Dès 1991, alors capitaine de l’équipe de France, il secoue9 le palais des sports de Gerland à l’issue du triomphe des Bleus en Coupe Davis face aux États-Unis de Pete Sampras et Andre Agassi. 

Pour Noah, la victoire se fête en fanfare. En 1983, le soir de son sacre à Roland-Garros, une megafiesta est organisée dans sa maison de campagne. Parmi les convives, deux membres du groupe Téléphone, Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac, se chargent de faire bouger l’assistance. 

Son adversaire en finale, Mats Wilander, partage le même attrait pour la bringue… et la musique. Lorsqu’il retrouve Yannick Noah sur le Senior Tour, le Suédois monte sur l’estrade et accompagne le chanteur français lors des troisièmes mi-temps. À la fin de sa carrière, avant de devenir consultant, l’ancien no 1 mondial troque sa raquette pour une guitare et publie un album. S’il habite aujourd’hui aux États-Unis, il lui arrive encore de revenir dans son pays natal10 pour tourner dans les bars suédois. 

« C’est le plus beau métier du monde, s’enthousiasme ce grand fan de Bob Dylan et de Dire Straits, qui voit la scène comme le paradis sur terre11. Je n’ai jamais vu personne dans son job sourire autant que les musiciens. C’est loin d’être le cas des joueurs de tennis. C’est un sentiment très spécial de pouvoir partager quelque chose avec un groupe. Au tennis, tu te débrouilles tout seul. Tu es triste quand tu perds et tu es heureux quand tu gagnes. En musique, tu profites à chaque instant, donc tu sors toujours vainqueur. »

Wilander est si passionné qu’il a pris soin de nouer des amitiés dans cet univers qui le fascine. En 1988, le guitariste des Rolling Stones, Keith Richards, est venu le voir combattre à Flushing Meadows. Le Suédois a aussi échangé l’un de ses trois trophées de Roland-Garros contre un disque de platine de son pote Sting, avant de récupérer son bien quand il s’est rendu compte que la coupe servait de corbeille à fruits chez l’ancien leader de Police. 

 

Sexe, drogue et rock’n’roll

Nombreux sont les joueurs des années 1970 et 1980 à avoir côtoyé le monde de la musique, voire tâté du micro. Inventeur du coup entre les jambes, Guillermo Vilas est un artiste dans l’âme. Jeune, c’est d’abord la littérature qui l’attire, au point d’écrire deux recueils de poèmes. Puis le rock entre dans sa vie. Il découvre ses héros12 : Elvis Presley, Jimi Hendrix, Lou Reed et David Bowie. Avide de voyages et de liberté, l’Argentin préfère visiter Woodstock plutôt que de rester à New York pour suivre la finale du Masters 1977 entre Jimmy Connors et Björn Borg, dont l’issue peut lui offrir le rang de no 1 mondial. Quelques mois plus tard, il assiste à l’enregistrement de l’album éponyme du groupe de hard rock américain Trigger, et est même crédité sur le dernier titre13 pour avoir… frappé dans ses mains. 

Le plus grand joueur de terre battue avant Rafael Nadal a ensuite composé une chanson14 avec son ami, Luis Alberto Spinetta, l’un des fondateurs du rock argentin. Son obsession15 pour la musique le décide à sortir en 1990 un album d’un genre inattendu, electro-house. Un flop, Vilas ayant lui-même avoué avoir acheté un certain nombre d’exemplaires pour rassurer sa maison de disque.

À la même période, un autre gaucher mythique tente à son tour une reconversion musicale. Là aussi, sans succès. Après avoir délaissé shorts et bandeaux, John McEnroe saute16 sur sa guitare, un instrument que ses copains, Eric Clapton et Eddie Van Halen, lui avaient appris à jouer quelques années auparavant. Il fonde un groupe avec sa nouvelle compagne, Patty Smyth, ex-chanteuse de la formation Scandal, et donne des shows pendant deux ans. Lars Ulrich, le batteur de Metallica, fils d’un ancien jazzman et tennisman professionnel et dont l’idole n’est autre que Guillermo Vilas, loue son « instinct naturel pour la musique ». Mais le triple vainqueur de Wimbledon se rend vite à l’évidence : il gratte bien mieux la balle que les cordes. Il quitte17 soudainement le Johnny Smyth Band, avant même d’avoir achevé son premier album. Sacré Big Mac !

La vraie rockstar du tennis était un compagnon de route du champion américain. Guitariste, playboy, cocaïnomane, collectionneur de Lamborghini et proche de Mick Jagger et Andy Warhol, Vitas Gerulaitis cochait toutes les cases. « Quand on était en junior, les rumeurs circulaient déjà, Vitas fréquente telle actrice, Vitas a joué tel tournoi sous drogue, raconte McEnroe dans son autobiographie. Il avait une suite à Manhattan, conduisait une Rolls-Royce jaune crème de la couleur de ses cheveux avec une plaque à son nom, bref il brûlait la vie par tous les bouts. » 

En 1983, les deux « Yankees » réalisent un rêve18 : ils accompagnent à la guitare Steven Tyler, la voix d’Aerosmith, lors d’un concert de charité à New York. Dans cette ville qui ne dort jamais et où il est né, le joueur d’origine lituanienne emmène danser Vilas, McEnroe, Borg et Noah, à l’occasion du Masters ou de l’US Open. Les nuits se déroulent au mythique Studio 54, temple du disco, du LSD et du sexe désinhibé. « Nous sommes rivaux sur le court, mais amis dans la vie et bourrés le reste du temps », précise le chef de bande.

Vainqueur de l’Open d’Australie en 1978, Gerulaitis était le même sur le court comme en dehors : hédoniste, flamboyant et naturel19. « À chaque conférence de presse, on me parle toujours de mon revers ou de ma ressemblance avec Björn Borg. Mais tout le monde s’en fout ! J’aimerais plutôt qu’on parle de cul ou de la dernière visite du pape, bordel ! » 

© Art Seitz

Nouvelle vague

L’époque a changé. Mais en cherchant un peu, on débusque quelques bonnes surprises. Dans la famille des tennismen sans filtre, qui ne s’expriment pas uniquement avec leurs bras et leurs jambes, je demande… Corentin Moutet. Le joueur français est connu pour ses coups de sang et son franc-parler. « Je ne l’ai pas vu mille fois jouer, je ne regarde pas beaucoup le tennis, déclarait-il avant d’affronter Novak Djokovic à Bercy en 2019. Je ne suis pas vraiment impressionné par lui, ni par les autres joueurs. » Une forte personnalité qu’il dévoile aussi dans son premier EP, Écorché, disponible sur les plateformes de téléchargement depuis le mois d’octobre. 

Cela fait quelque temps que le Francilien écrit lors de ses déplacements. Attiré par les mots et la poésie, il a profité du confinement du printemps 2020 pour mixer dans son appartement et se livrer, à 21 ans seulement. Un album de rap dans lequel il évoque ses blessures et assume une double facette, l’une joyeuse et l’autre bien plus sombre20. « Cela m’apporte des émotions assez fortes, même si elles sont tristes, révèle-t-il dans un podcast animé par Arnaud Di Pasquale pour Eurosport. J’ai pris l’écriture comme une manière de me libérer, d’extérioriser, comme une thérapie, une psychanalyse21. »

Corentin Moutet a également été invité à poser son flow avec Denis Shapovalov, né aussi en 1999. Le duo a composé un morceau, intitulé Drip22. C’est le deuxième single du Canadien, qui égrène son hip-hop au compte-goutte, depuis qu’il a construit un studio d’enregistrement chez lui au début de la pandémie. Le premier, Night Train23, paru en août, dépeint le tempo endiablé de son train-train quotidien, « un travail incessant pour réaliser mon rêve de devenir le meilleur joueur de tennis possible ».

Le sait-il, Shapovalov a repris un thème traditionnel du blues et de la country made in US, celui d’une locomotive qui roule jour et nuit24, tel le train effréné de la vie ou de l’amour. Un sujet qui a inspiré l’imaginaire de nombreux artistes majeurs de la culture américaine, de Woody Guthrie à Johnny Cash, en passant par Elvis Presley, Duke Ellington et Muddy Waters. Le titre lui-même, Night Train25, rappelle un standard du jazz repris par James Brown au début des sixties. 

Ceux qui suivent le tennis avec assiduité avaient déjà vu à l’œuvre celui qui a récemment intégré le top 10. Il y a deux ans, « Shapo » célébrait sa victoire contre Marin Čilić au troisième tour à Indian Wells en offrant une petite impro au micro à un public californien conquis.

Comme Moutet, comme Shapovalov, Dayana Yastremska s’est lancée dans un projet identique juste après l’arrivée du coronavirus. Contrainte de s’isoler, la joueuse ukrainienne n’a pas trouvé meilleur vaccin contre l’ennui que de chanter, même si l’exercice est, selon elle, « plus stressant et moins facile » que de jouer au tennis. « D. Y. », son nom de scène, a déjà présenté deux chansons, la première style r’n’b26, la deuxième plutôt électro27. Yastremska, 20 ans seulement, module dans sa langue maternelle et tous les royalties sont reversées à sa fondation, créée pour contribuer à l’effort de son pays dans la lutte contre la Covid-19. 

Andrey Rublev a débuté encore plus tôt. Adolescent, il a monté un groupe avec quelques camarades. Son nom : Summer Afternoon. Peut-être un hommage aux Kinks et à leur tube, Sunny Afternoon28? Sur Youtube, on peut voir le jeune Russe et ses potes reprendre un titre du boys band anglo-irlandais One Direction29. Avec ses cheveux blonds mi-longs et ses mèches sur le front, l’ancien no 1 mondial junior ressemble à une star de la Britpop. Il a même des faux airs de Brian Jones, ex-guitariste des Rolling Stones. Pas étonnant qu’il soit si fou de musique. « J’écoute tous les styles, détaillait-il au site Outside the Ball il y a deux ans. Ça va de Mozart au hard rock, en passant par des morceaux old school et d’autres mixés par des DJs beaucoup plus modernes. Je dois avoir 6 000 titres sur mon téléphone. Je passe mon temps sur iTunes à rechercher et acheter de nouveaux sons, je suis un vrai fondu de musique ! » Depuis quelques mois, Rublev prend des leçons de guitare. Mais pas seulement. À 23 ans, il s’essaie à la musique assistée par ordinateur (MAO), citant Avicii parmi ses modèles. 

Décidément, la jeune génération est créative et douée pour le quatrième art. Tous deux pianistes, Félix Auger-Aliassime et Ugo Humbert font partie de la troupe. Le Québécois a exposé ses talents en interprétant un extrait de la musique du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, lors d’une soirée organisée durant l’édition 2019 du Masters 1 000 de Monte-Carlo. Aussi très habile de ses doigts, le tricolore lui a répondu sur les réseaux sociaux en jouant un autre passage de la bande originale du film, signée Yann Tiersen. 

« J’ai commencé le piano à cinq ans, explique le Messin dans le magazine L’Équipe fin décembre. Quand je suis parti au pôle France de Poitiers, à quatorze ans, mes parents m’ont acheté un clavier. Ça me permettait de m’évader, de penser à autre chose qu’au tennis. » Un exutoire, donc, pour un ado assez réservé. Maintenant qu’il s’est affirmé sur le court, en glanant ses deux premiers trophées ATP, à quand la sortie d’un EP, pour confirmer son statut de nouvelle star30 du tennis français ? 

1 Guns N’ Roses - Welcome to the Jungle (1987)

2 AC/DC - Thunderstruck (1990)

3 Nicki Minaj (featuring Labrinth & Eminem) - Majesty (2018)

4 Drake (featuring Rihanna) - Too Good (2016)

5 DJ Snake & Lil Jon - Turn Down for What (2013)

6 Ed Sheeran - Afterglow (2020)

7 Chicago - Hard to Say I’m Sorry (1982)

8 Yannick Noah - New Life (1993)

9 Yannick Noah - Saga Africa (1991)

10 Wilander & Seldon - Going Home (1991)

11 Bob Dylan - Knockin’ on Heaven’s Door (1973)

12 David Bowie - Heroes (1977)

13 Trigger - We’re Gonna Make It (1978)

14 Spinetta - Children of the Bells (1980)

15 Vilas - Ella Es La Obsesion (1990)

16 Van Halen - Jump (1984)

17 Scandal - Goodbye to You (1982)

18 Aerosmith - Dream on (1973)

19 Cerrone - Supernature (1977)

20 Corentin Moutet - Impasse #2 (2020)

21 Corentin Moutet - Psychanalyse (2020)

22 Shapo (featuring Corentin Moutet) - Drip (2020)

23 Shapo - Night Train (2020)

24 Tiny Bradshaw - Train Kept a-Rollin’ (1951)

25 James Brown -Night Train (1961)

26 D.Y. - Thousands of Me (2020)

27 D.Y. - Favorite Track (2020)

28 The Kinks - Sunny Afternoon (1966)

29 One Direction - Steal My Girl (2014)

30 Stevie Wonder - Another Star (1976)

 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.

« Roland-Garros, c’est le public ! »

© Ray Giubilo

Un an que son absence nous fait mesurer toute son importance. Un an de tennis – de sport – à huis clos ou à jauge réduite. À la veille d’un Roland- Garros qui ne devrait pas déroger à l’austère nouvelle règle, Courts a eu envie de rendre hommage aux fans, supporters, spectateurs… bref, à ce public du French justement réputé pour sa capacité à se manifester et à prendre part au spectacle. Comme l’a dit Ilie Nastase : « Ils ont payé, ils ont le droit de participer. Sans public, ou un public passif, c’est ennuyeux ! »

 

Participer, il aime ça, le public de Roland- Garros. Plus agité qu’à Wimbledon, plus versatile qu’en Australie, plus impliqué qu’à New York, il est plus que tout autre susceptible de tenir un rôle dans le déroulement d’une partie. Pour le pire parfois (Martina, si tu nous lis, pardonne-les, ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient), pour le meilleur souvent, à l’image d’une ola salvatrice pour Gaston Gaudio en finale de l’édition 2004. Jusque-là paralysé par l’événement, « El Gato » se décontracte soudain, applaudit, rigole, et entre enfin dans son match. Lequel, terne durant deux sets, au point d’être lancé sur les bases de la plus courte finale de l’histoire du tournoi, bascule dans l’inoubliable.

Inoubliable, le match… inoubliable aussi, l’après-match, les fans argentins s’invitant sur le court pour y partager leur bonheur avec le héros du jour tandis que ce dernier sacrifie à l’interview rituelle avec feu Bud Collins et ses pantalons flashy. Instant spontané et rafraîchissant, (ultime ?) survivance d’une certaine idée du tennis issue des années 70/80, axé grand public et phénomène de société – osons le mot : populaire. Comme un écho à d’autres supporters, paraguayens cette fois, scandant le nom de leur héros Victor Pecci avant de le porter en triomphe sur le Central à l’issue de sa valeureuse finale face à l’invincible Borg en 1979.

© Antoine Couvercelle

« 50 millions de Noah » (L’Équipe, 5 juin 1983)

On ne parle même pas de l’envahissement de terrain consécutif à la victoire de Yannick Noah. On raconte que les sismographes se sont affolés du côté de la porte d’Auteuil ce 5 juin 1983 à 17 h 35. Et jusqu’à ses dernières éruptions près d’une décennie plus tard, entre Noah et Roland-Garros, on vit souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’amour vache, ou que les tribunes ne sont pas volages. Des dizaines d’enfants ont dévalé des tribunes pour toucher l’idole Borg ou grappiller une pièce de son attirail lors de sa première victoire, en 1974. Sept ans plus tard, ces mêmes tribunes prenaient fait et cause pour Ivan Lendl, oui, « l’horrible Lendl », dans leur souhait de voir le maître des lieux chahuté (et plus si affinités).

 

… et autant de Poulidoriens

C’est le sort des dominants : « Roland » aime les voir en difficulté. Ne cherchez pas plus loin l’origine de l’histoire compliquée entre le tournoi et son recordman de victoires Rafael Nadal, où bronca (Grosjean, 2005) et parti pris pour l’adversaire (Söderling, 2009) des débuts ont laissé place au fil du temps au respect et à l’admiration, mais toujours sans ardeur excessive. Poulidor plutôt qu’Anquetil, on ne renie pas son héritage.

Pareil tropisme n’est parfois pas sans entraîner quelques incohérences. Si Connors, après s’être fait désirer cinq longues années sur fond de bisbilles avec Philippe Chatrier, aura toujours les faveurs du public (chose pas si évidente pour le Jimmy des 70’s), ses compatriotes McEnroe, Chang ou Agassi feront l’expérience des humeurs changeantes des tribunes. Sur une carrière pour Agassi, débarqué comme une rockstar en fin d’années 80, à l’image troublée au milieu des 90’s quand « Dédé la menace » avait cédé la place à « Dédé la balance », avant de connaître son happy end en touchant le cœur du public lors de son épopée de 1999. Sur une quinzaine pour Chang, de l’hilarité née d’un service à la cuillère contre Lendl à l’irritation déjà palpable quelques jours et beaucoup de « merci Seigneur » plus tard. Sur un match enfin, pour McEnroe. L’Américain, plutôt apprécié porte d’Auteuil, perdra ce soutien à un moment sans doute crucial, alors qu’il domine Lendl (encore lui…) en finale de l’édition 1984. Un incident avec un cameraman, une apostrophe de trop, et les encouragements changent de camp. « Mac » les récupérera par la suite… Trop tard, la fenêtre s’était refermée. 

 

Brûler ce qu’on a adoré (et vice-versa)

Sur une carrière, une quinzaine, un match… et même parfois une vingtaine de minutes. Avec le public de « Roland », on est parfois au-delà du versatile, carrément dans le schizophrène, comme en 2001 lorsque Fabrice Santoro se fait siffler au quatrième set de son troisième tour contre Marat Safin – set « balancé » par le Français afin de récupérer – pour mieux être ovationné quand il mystifie finalement le Russe au cinquième. « J’espère que vous avez compris mon jeu », aurait pu balancer « le Magicien » à la foule, si la formule n’avait pas déjà été utilisée… et mal reçue, pas vrai Henri ? Leconte, tiens : encore un qui connut une relation tumultueuse avec « Roland », de ce discours sifflé de 1988 au « Vengeur masqué » de 1992, porté par la foule jusqu’aux demi-finales alors qu’il avait dû avoir recours à une wild card pour être convié à la fête.

À ce petit jeu, les Français sont très forts. Si le French peut s’enthousiasmer pour « ses » joueurs, il peut aussi se montrer impitoyable avec eux, particulièrement ses têtes de gondoles. Mais quand il décide de soutenir, c’est quelque chose. Alors c’est le Central qui tremble sur ses fondations, au rythme des thrillers livrés par Tsonga à Wawrinka (2011, 2012), Djokovic (2012) ou Nishikori (2015). Les clameurs pour Monfils, même si son adversaire s’appelle Federer – autant le dire franchement : en France, seul Gaël peut prétendre avoir les faveurs du public quand il y a « Rodgeur » en face ! Une Marseillaise pour Gasquet durant son cinq sets homérique contre Wawrinka en 2013. La standing ovation concluant le run de Cédric Pioline jusqu’aux portes de la finale en 1998. Une fin de partie électrique entre Virginie Razzano et Serena Williams en 2012, la Française survoltée infligeant à l’Américaine la seule défaite de sa carrière au premier tour d’un Grand Chelem.

© Art Seitz

David et Goliath

Ce type d’histoire, David qui terrasse Goliath, « Roland » adore. Tous les ans, il se trouve des crushs de premiers tours – la première semaine, tous les durs de durs vous le diront, c’est le « vrai » Roland-Garros, le meilleur. Et ça se passe le plus souvent sur les courts annexes, tandis que sonne l’heure des p’tits Français. Ceux que seuls les mordus connaissent avant le match… mais qui drainent famille et copains autour du court, et embarquent avec eux des habitués sachant combien ce profil de joueur est susceptible de faire basculer un match dans l’irrationnel.

Pensée ici pour Nicolas Coutelot le récidiviste (Rios en 2001, Nalbandian en 2003) et tous les autres coupeurs de têtes : Benhabiles (Järryd, 1987), Winogradsky (Edberg, 1987), Kuchna (Agassi, 1987), Huet (Lendl, 1993), Mutis (Roddick, 2004), Haehnel (Agassi, 2004), Ouanna (Safin, 2009), Robert (Berdych, 2011)… La liste est longue de ces « sortis de nulle part » qui font chavirer Roland-Garros, et on ne parle ici que de ceux qui ont été au bout d’un exploit retentissant. Mention spéciale à Laurent Lokoli, qui fait flotter le drapeau corse et l’étendard du FC Bastia sur le court 7 à la faveur de ses trois tours de qualifs et de ses cinq sets face à Steve Johnson au premier tour en 2014. Ça crie, ça chambre, ça chante… ça galvanise, évidemment, et un 400e mondial n’a soudain plus rien d’une victime consentante !

 

« Hou-aaaaaah ! »

Chauvin, alors, le public de « Roland » ? Pas si vite : il a eu son compte de chouchous étrangers, s’entichant de Cendrillon pour des idylles durables (Pecci) ou sans lendemain (Pernfors), cultivant sa tendresse pour des seconds couteaux valeureux (Corretja), mais aussi pour certains gros bras, y compris maîtresse des lieux à la Steffi Graf ou no 1 mondial indiscutable en la personne de Roger Federer. Peut-être les défaites à répétition face à Nadal auront-elles permis au moins cela : faire du grand Suisse un des petits préférés de Roland-Garros. Son parcours laborieux, mais finalement victorieux, de 2009, ou son chef-d’œuvre contre Djokovic en 2011 sont inscrits parmi les souvenirs brûlants du tournoi. Et ses fans, brillants lauréats de la palme de l’accessoire le plus « WTF » quand ils investissent les lieux avec leurs grands cors des Alpes. Qui a parlé de la discrétion suisse ?

Et puis Kuerten, bien sûr. La plus belle histoire d’amour de la porte d’Auteuil, c’est lui. Parce qu’exclusive, en plus, le Brésilien ayant eu le bon goût de ne pas nouer semblable relation ailleurs. Le Kuerten qui gagne d’abord, et qu’on retrouve en train de sabler le champagne avec les supporters brésiliens (et pas que, d’ailleurs) au bord des courts annexes. Le Kuerten déclinant ensuite, tapant dans les mains de ses fidèles venus l’encourager tandis qu’il revenait d’une opération à la hanche (Sanguinetti, 2002) ou saluant longuement la foule ayant patienté non moins longuement pour le voir une dernière fois jouer un match « sérieux » en 2005 sur le chaleureux court 2. Il en a mis de la couleur à « Roland », « Guga ».

 

« Chi-chi-le-le-le… Viva Chile ! »

Et les Sud-Américains avec lui. Brésiliens, Argentins, Chiliens, Équatoriens… Hors cas particulier des Français, forcément surreprésentés et qui jouent sur du velours, pour ce qui est de mettre de l’ambiance, les meilleurs, ce sont eux. Les « Sudams » n’ont pas leur pareil pour transformer un match de tennis en corrida… ou en affiche de Coupe Davis (la vraie). Plus discrets aujourd’hui (faute de combattants côté courts ou victimes collatérales de la hausse vertigineuse de la billetterie ces dernières années ?), ils vécurent leur âge d’or au tournant du millénaire. Si les Brésiliens avaient « Guga » et les Argentins leur armada culminant en un dernier carré aux trois quarts « gaucho » en 2004, les Chiliens se rassemblaient derrière Marcelo Rios. Et oui : le prix Citron des officiels était en revanche plutôt populaire dans les tribunes de la porte d’Auteuil. Avec le côté joyeusement filou de ses fans, particulièrement doués pour jouer à cache-cache avec les contrôles et pénétrer sur le Central sans billet – c’était de bonne guerre. 

Même époque : 1998, année de la Coupe du monde en France… et des maillots de foot dans le stade. Le ciel et blanc des Argentins, le jaune des Brésiliens, l’orange des Néerlandais : une édition particulièrement bariolée, toute en fans peinturlurés et drapeaux agités. Dans les loges, Ronaldo, Roberto Carlos et bien sûr Pelé, convié à remettre le trophée et improvisant des jongles avec Moya et Corretja.

On parle sport et people ? Embardée obligée en 1995 : les « Barjots », récents champions du monde de hand n’ayant pas volé leur surnom, lancent un cortège bruyant dans les allées – « Autant de boucan, je n’avais vu ça qu’en Coupe Davis ! », dira Mats Wilander au passage de la troupe de braillards.

© Antoine Couvercelle

Les Belges chez Astérix

Meilleur public en Europe ? Les Belges ! Ils n’ont pas leur pareil pour transformer la moindre affiche de seconde zone en kermesse. Un Christophe Rochus peut créer l’émeute quand il joue Arnaud Clément au deuxième tour (2009). Le court 2 est bondé, le 3 annexé (les deux courts étaient reliés par une coursive hautement stratégique, permettant de suivre les matchs des deux courts en simultané) : des cris, des rires, la bière coule (forcément), les supporters sympathisent.

On s’emballe pour Justine (l’honnêteté oblige à dire que c’est moins le cas pour Kim), on vole la vedette aux Français dans une finale de double opposant Malisse et « Oli » Rochus à Llodra et Santoro (2004), on vibre pour « P’tit David » dans un troisième tour contre Kubot (2012), seul simple encore programmé sur une annexe, où les supporters des deux joueurs fraternisent… tandis que les spectateurs du Central voisin profitent de leur position en surplomb pour suivre les débats. Et puis il y a Dewulf, hors catégorie. Le pionnier, héroïque demi-finaliste en sortant des « qualifs » (1997). Trop de lumière pour lui : il préférera retourner dans l’ombre (et chroniquer les exploits des autres, mais c’est une autre histoire).

 

Entre chien et loup

L’ombre, justement. Il est un moment privilégié, bien connu de tous les familiers du stade : la fin de journée. C’est souvent là que naissent les ambiances les plus intimes, alors que le stade s’est largement assoupi, que l’heure bascule entre chien et loup et que s’est engagé un contre-la-montre avec la nuit. Parfois cette course est gagnée et c’est l’éruption (Monfils – Fognini 2010, Mathieu – Isner 2012), parfois elle est perdue et les travées grondent lorsque l’arbitre annonce l’interruption du match, tout le monde sachant que la magie sera rompue le lendemain (Djokovic – del Potro 2011).

Ce ne sont pas toujours des moments volcaniques, mais ils sont précieux. Le rendez-vous des durs de durs côté tribunes, et l’heure des blessés, des cabossés, côté terrain. L’heure de célébrer ceux qui ont été, les vieilles gloires ayant quitté le devant de la scène. Les longs applaudissements pour la sortie de Sampras contre Philippoussis en 2000, ou pour Rafter un an plus tard, dans ce qui sera sa dernière apparition à Paris. Ceux pour Juan Carlos Ferrero arrachant un cinquième set à Philipp Kohlschreiber juste avant la tombée de la nuit (2009). Quand le crépuscule du ciel et celui des héros se font écho, sous le regard attendri d’habitués se disant que c’est peut-être la dernière fois.

 

« Allez Jé-ré-my »

Car tout comme le tournoi a ses joueurs de référence, le public a ses fidèles, ceux qui viennent chaque année, voire se donnent rendez-vous entre passionnés de tous âges et toutes catégories sociales une fois l’an. L’un d’entre eux est même devenu célèbre dans le Landernau français : Vincent, dit « le supporter fou ». Son encouragement vaguement monomaniaque (« Allez » et nom, prénom ou surnom du Français concerné décliné sur trois syllabes et trois claquements de main) a résonné dans tous les tournois français, ou presque, depuis trente ans, une longévité l’ayant rendu célèbre auprès du public comme des joueurs. Virginie Razzano l’invitait ainsi à ses matchs quand il n’avait pas de billets, en souvenir du temps où il l’applaudissait chez les juniors («Allez Vir-gi-nie» donc). Il était là aussi pour l’acte de naissance de Jérémy Chardy quand il battit Nalbandian en 2008 (« Allez Jé-ré-my» si vous avez suivi).

Habitué des cinq sets et des fins de programme à Roland-Garros, Chardy inspire d’ailleurs les chansonniers de la porte d’Auteuil, à l’image d’un magnifique «Il m’entraîne au bout de la nuit / C’est Jérémy Chardy» entonné par le Court no 1 en 2019 dans son match contre Kyle Edmund.

 

En attendant demain…

1, 2, 3, 7, 17… On a jusqu’ici beaucoup parlé de courts sacrifiés sur l’autel de la modernisation du stade. Mais en une ou deux éditions (en fonction de leur mise en service), leurs successeurs ont déjà eu le temps de laisser entrevoir tout leur potentiel : le 14, semi-enterré en bout de complexe, avait gagné son pari dès un Barrère – Albot inaugural, pourtant peu sexy sur le papier (2018), et s’est depuis taillé une place de choix dans le hit-parade des courts favoris, tant des spectateurs que des joueurs. On n’a guère de doute non plus concernant le Simonne-Mathieu.

Il faut (nous) le souhaiter, d’ailleurs. Et, dans le doute, choyer ces souvenirs. Car, avouons-le, ces dernières années, le public de Roland-Garros tend à s’assagir. Il change, et ce n’est pas au bénéfice de la ferveur – aseptisation particulièrement palpable en deuxième semaine sur le Central. Les ambiances surchauffées se trouvent de plus en plus cantonnées aux annexes, où la taille modeste des courts et la passion des spectateurs favorisent les embrasements.

Alors oui, vivement ! Vivement que le stade rouvre ses portes en grand. Vivement la foule – oui, même celle des premiers jours, quand les allées ont des airs de périph’ parisien en heure de pointe ! Vivement ce brouhaha permanent, tour du monde en onze hectares où on saisit au vol des bribes de français, d’anglais, d’espagnol, d’allemand ou d’italien. Vivement même, soyons fous, l’effet « sardines dans un bocal », quand la pluie a décidé de s’inviter à la fête et que tout le monde s’agglutine sous les rares espaces abrités. Bref, vivement que l’on puisse citer à nouveau Philippe Chatrier : « Roland-Garros, c’est le public ! » 

© Art Seitz

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.

Laurent Luyat 

L’homme qui voit la terre d’en haut

© D.R.

Depuis 18 ans, il est l’inamovible homme-orchestre de France Télévisions pendant Roland-Garros. Perché sur la fameuse terrasse qui surplombe le court Philippe- Chatrier, Laurent Luyat en a vu des vertes et des pas mûres. Une magnifique fenêtre sur court, qu’il a accepté de nous ouvrir.

 

C’était il y a vingt ans tout juste. Un jeune et prometteur journaliste grenoblois, fraîchement rentré à France Télévisions, via l’émission Tout le Sport après cinq ans passés à France 3 Rhône-Alpes (où il avait présenté le magazine des sports puis le journal télévisé), couvrait pour la première fois le tournoi de Roland-Garros. Deux ans plus tard seulement, en 2003, il parvenait au « sommet », sur la fameuse terrasse, qu’il n’a plus quittée depuis. Aujourd’hui, Laurent Luyat a 53 ans et toujours cette allure juvénile et décontractée faite pour son rôle, qui demande à la fois de prendre de la hauteur tout en étant proche du public. Et qui requiert beaucoup de punch, aussi. Juché sur son promontoire, Luyat est au four et au moulin à longueur de journée pour assurer le fil rouge, donner le ton, lancer les consultants, meubler les temps morts, recevoir les invités et, bien sûr, interviewer les joueurs. Ce pur autodidacte du journalisme, métier dont il a appris les rudiments sur le tas en débutant par des piges au Progrès avant même d’avoir le bac (il a ensuite commencé sa carrière en radio à France Bleu Isère puis à France Bleu Nord), a d’ailleurs lui-même œuvré pour faire monter les joueurs à sa terrasse. Ça ne s’est pas toujours fait sans heurts ni tracas. Mais si c’était le cas, ça ne serait pas drôle… 

© Ray Giubilo

Courts : Cette culture omnisports qui est votre marque de fabrique à France Télévisions, cela remonte à votre jeunesse ?

Laurent Luyat : Jeune, j’avais deux sports de prédilection : le foot et le tennis. Mais contrairement à la passion du foot qui m’a été transmise par mon papa, qui était dirigeant du club de Grenoble, le tennis, lui, est venu tout seul. Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours été fou de ce sport. D’ailleurs, je ne veux pas me chercher d’excuses mais si j’ai raté mon bac la première fois, c’est un peu à cause de Roland-Garros… J’ai pratiqué aussi, quand j’étais ado. Mon père, qui était assureur, m’a fait suivre des cours avec un client prof de tennis. C’était l’époque où le tennis commençait à prendre beaucoup d’ampleur, porté par de grandes stars.

 

C : Parmi ces stars, vous aviez une idole en particulier ?

L.L. : McEnroe ! J’étais un fan absolu, à tous les niveaux. L’un de mes pires souvenirs reste la finale de Roland-Garros McEnroe–Lendl en 1984. J’avais pleuré après ce match. Un an avant, j’avais aussi été marqué par le titre de Noah, mais encore plus par sa victoire contre Lendl en quart que par la finale. Lendl, je le détestais, vraiment ! Son personnage, son jeu, tout… Un gars comme Wilander, son jeu ne faisait pas franchement rêver mais l’homme, au moins, était très attachant. Lendl, il n’avait rien pour lui.

 

C : Et puis un jour, vous passez de l’autre côté de l’écran. En 2001, vous travaillez pour la première fois sur Roland-Garros.

L.L. : C’est ça. En 2001 et 2002, Charles Biétry, qui était alors directeur des sports, m’avait mis sur le Journal de Roland-Garros, une émission du soir qui récapitulait ce qui s’était passé durant la journée. C’était une émission très regardée à l’époque, par plusieurs millions de téléspectateurs. On y insérait des petites chroniques décalées, dont une avec Anna Kournikova appelée « Anna chronique ». Le ton était bon enfant. Je me souviens d’une interview avec Andy Roddick où on lui avait montré une vieille photo de Tarik Benhabiles, qui était alors son entraîneur. Il avait tellement explosé de rire qu’il avait failli tomber de sa chaise.

 

C : Et en 2003, c’est le Graal : vous voilà sur la fameuse terrasse, que vous n’avez plus quittée depuis.

L.L. : Oui, Frédéric Chevit avait repris la direction des sports et m’annonce un jour que je vais faire la terrasse, à la place de Gérard Holtz. Moi, j’aimais bien faire le Journal mais c’est vrai que la terrasse, c’était le Graal ! Avec Nicolas Vinoy, on avait beaucoup réfléchi à la manière de faire évoluer la retransmission. C’est comme ça que, pour la première fois, on a fait venir les joueurs et les joueuses sur la terrasse, au prix de longues négociations avec l’ATP, la WTA, la FFT…

On a aussi négocié de pouvoir mettre des caméras dans le vestiaire, toujours dans un souci de diffuser davantage de moments en coulisses, et lancé le principe du tour du stade, pour pouvoir montrer le plus de matchs possible. Le choix des matchs est devenu une part importante de ma responsabilité. Pas la plus simple, d’ailleurs, car quoi que l’on fasse, il y a toujours des mécontents.

 

C : Faire venir les champions en terrasse, ça n’a pas été un peu compliqué, au début ?

L.L. : Un peu, si. La toute première à venir, ça a été Serena Williams. Ça commençait très fort et en même temps, c’était la pire cliente pour une première, parce qu’elle était complètement parano vis-à-vis du public. À l’époque, il fallait passer par l’extérieur pour venir sur la terrasse, et rien qu’à l’idée de faire dix mètres dehors, elle était au bord du malaise. Son agente nous avait accordé 1 min 30 chrono, pas une seconde de plus. Dès la première question, je l’ai vue déclencher son chrono. À 1 min 29, elle a hurlé : « stop ! » J’ai dû poser deux questions… Après coup, heureusement, on a pu faire plus long.

L’année suivante, en 2004, on a fait venir Tatiana Golovin – qui est devenue plus tard notre consultante – pendant le match Santoro –Clément. On était à 5-4 au 5e set, quelque chose comme ça. Je demande à Tatiana si cela ne la dérange pas d’attendre la fin, elle accepte sans problème d’autant qu’elle préfère être en direct. Mais le match dure deux heures de plus, c’est devenu le match le plus long de l’histoire de Roland-Garros (6 h 33) ! Ça a été terrible, son agente était folle furieuse.

Bref, ça n’a pas toujours été simple mais si l’on fait le bilan, faire venir ces champions sur la terrasse, ça a été un vrai plus.

 

C : Depuis presque vingt ans, tout le gratin du tennis a défilé sur la terrasse. Quelles sont les interviews qui vous restent en mémoire ?

L.L. : Toutes les interviews avec Federer et Nadal ont globalement été de grands moments. En 2009, après sa victoire, Roger nous avait rejoints, on lui avait repassé l’interview que Nicolas Canteloup avait fait de lui cette année-là, avec ses intonations en corne de brume. Il était mort de rire.

Nadal s’est beaucoup amélioré parce qu’au début, il était très réservé. Lui, c’est sans doute le plus fantastique sur le plan humain. Une année, après son titre, il avait préféré faire l’interview en studio parce qu’il était perclus de crampes après une finale contre Djokovic. Eh bien, à la fin de l’interview, il s’était levé pour aller saluer tout le monde, y compris les techniciens. Je ne citerai pas de noms mais j’en connais d’autres – un ou deux Français notamment – qui partent sans même dire au revoir.

Avec Djokovic, c’est toujours sympa aussi. Lui, il a une spécificité : il veut choisir le jour et l’heure de son passage. Il aime bien venir le samedi ou le dimanche en fin d’après-midi car il considère que c’est là qu’il y a le plus d’audience.

 

C : Il y a des interviews qui ne se sont pas bien passées ?

L.L. : Une fois, j’ai vexé Stan Wawrinka. C’était l’année de son titre, avec son fameux short pyjama. Je lui ai demandé s’il avait perdu un pari avec des potes. Il a mal pris la question. Malgré tout, il est revenu quelques jours après. Mais en règle générale, ça se passe bien. En même temps, on est quand même assez bienveillants avec les joueurs. Après, il y a bien sûr des interviews où j’ai dû sortir les rames. Avec les Espagnols de la génération d’avant Rafa, les Ferrero, Robredo, Ferrer, même Moya, ou également les Argentins de la même époque, les Gaudio, Coria, Nalbandian… c’était compliqué. C’était des gars sympas mais difficiles à faire parler ! Ce n’est pas la période de Roland-Garros que j’ai préférée.

 

C : D’autres galères de terrasse ?

L.L. : Elles ont souvent été liées à la météo. Combien de fois on s’est retrouvé avec des longs tunnels sans jeu pendant lesquels j’ai dû meubler l’antenne deux ou trois heures à cause de la pluie. D’ailleurs, ça fait bizarre de se dire que cela n’arrivera plus jamais avec le toit. C’est une bonne chose, même si quelque part, meubler l’antenne, j’aime bien ça. C’est dans ces moments-là – ce qu’on appelle l’habillage – que mon rôle prend tout son sens, finalement. 

En plus, on s’est rendu compte que l’audience ne fléchissait pas tant que ça. Je me souviens d’une après-midi épouvantable où l’on était allé jusqu’à diffuser des doubles du tournoi des légendes pour passer le temps. J’avais tout fait, tout ! À un moment, j’avais demandé à Fabrice Colin, qui est en lien avec moi depuis la régie, ce qu’on pouvait bien diffuser encore. Sa réponse, dans l’oreillette : « Démerde-toi ! » On a continué de meubler aussi bien qu’on a pu, avec les consultants. Et finalement, on a fait 14 ou 15 % de parts du marché avec ça. J’étais scié. C’était du remplissage mais c’était bon enfant et je crois que le public le sentait, donc il restait. Du coup, ces dernières années, France 2 nous demandait de garder l’antenne plutôt que de diffuser un épisode de Rex ou d’Affaires Sensibles.

© Ray Giubilo

C : Au chapitre des anecdotes de terrasse, il paraît que vous avez réussi à faire boire du champagne à Maria Sharapova.

L.L. : Ah oui, ça, c’était assez exceptionnel. C’était l’année où elle était en finale pour la première fois (en 2012, ndlr). Jusqu’à présent, elle refusait de venir sur la terrasse, elle voulait faire uniquement l’interview en studio. Je vais donc la voir dans le studio le vendredi, la veille de sa finale. Elle est charmante, ça se passe bien. Alors à la fin, je me lance : « Maria, j’ai un petit pari à faire avec vous : si demain vous gagnez la finale, est-ce que vous acceptez de venir fêter le titre sur la terrasse ? » Elle me répond : « Ok, à une condition : qu’il y ait du champagne. » Elle adore ça, c’est sa boisson préférée. Finalement, elle gagne et aussitôt la remise des prix terminée, elle enjambe les fleurs du central, elle monte par la tribune et elle vient nous rejoindre sur le plateau. On avait prévu le champagne, bien sûr. Ça a été une super interview.

 

C : En 2019, vous poussez un gros coup de gueule à l’antenne à propos des loges vides au début de la demi-finale entre Federer et Nadal. Ça ne vous ressemble pas.

L.L. : C’est sorti comme un cri du cœur. J’étais sidéré, révulsé de voir ces deux immenses champions entrer dans un stade vide, sachant que ce serait peut-être leur dernière confrontation à Roland-Garros, et que des dizaines de milliers de personnes seraient prêtes à tout pour avoir un billet à la place de ceux qui étaient encore en train de déjeuner. Je trouvais que c’était une insulte faite à ces joueurs. C’était indécent, vraiment.

 

C : Et vous, vous êtes plutôt Nadal ou Federer ?

L.L. : Je suis admiratif de Nadal, ses treize titres à Roland-Garros, c’est pour moi le plus grand exploit de l’histoire du sport, toutes disciplines confondues. Mais je penche pour le jeu de Federer. Lui, c’est le génie absolu, la classe, l’élégance… Je pense qu’il reste le plus grand joueur de tous les temps. C’est grâce à lui que Nadal, puis Djokovic, ont ensuite atteint ce niveau. Et je ne parle pas seulement du jeu, mais aussi de la façon d’être. Federer a créé cette dynamique du joueur parfait sur tous les plans.

Sa victoire en 2009, ses larmes à la fin, c’est peut-être mon meilleur souvenir à Roland-Garros. J’ai tellement souffert que de grands joueurs, comme mon idole John McEnroe, n’aient jamais gagné ce tournoi… Federer, avec son palmarès et son niveau sur terre battue, ne pouvait pas ne pas gagner Roland. Ça aurait été terrible.

 

C : Un Roland-Garros à l’ère Covid, pour vous qui aimez bien le public et l’effervescence, ça doit être le cauchemar.

L.L. : Oui, c’est dur, mais j’y ai vu aussi un gros avantage : pour une fois, pas une personne ne m’a demandé de place ! Et ça, je dois dire que c’est un bonheur… D’habitude, ce sont des demandes incessantes, même de la part de personnes qui ne m’appellent jamais dans l’année et qui, comme par hasard, retrouvent mon numéro deux semaines avant Roland. En plus, les gens ont l’impression que j’ai des billets illimités. Alors que je n’ai rien ! Donc sur ce plan-là, merci au Covid.

 

C : L’édition 2021 approche avec l’arrivée d’un nouveau diffuseur, Amazon Prime Vidéo. Vous le voyez comme un nouveau voisin ou un nouveau concurrent ?

L.L. : J’ai vu en tout cas qu’ils débarquaient avec une armée de consultants. Je ne sais pas trop ce qu’ils vont en faire… Jusqu’à présent, nous partagions les droits avec Eurosport, ce qui nous faisait une prise d’antenne à 15 h jusqu’aux quarts de finale. Ce n’était pas l’idéal, et beaucoup nous le reprochaient. L’avantage de ce nouveau contrat, c’est que, cette année, on reprendra l’antenne dès 11 h et nous la garderons jusqu’à la fin des matchs « journée », ce qui peut nous emmener à une heure avancée de la soirée. La nouveauté, c’est que l’on n’aura pas les matchs programmés en night session sur le court Philippe-Chatrier (jusqu’aux quarts de finale inclus, ndlr) ni ceux du court Simonne- Mathieu. Il faudra s’adapter à ça. Mais au total, nous offrirons beaucoup plus de temps d’antenne, avec pratiquement dix heures de tennis par jour. 

 

C : Amazon vous pique également l’une de vos consultantes vedettes, Amélie Mauresmo.

L.L. : Effectivement. C’est son choix. J’aime beaucoup Amélie, j’adore ses analyses donc c’est vrai que c’est une perte pour nous. Mais bon, on aura Justine Henin, qui est une pointure aussi, Mary Pierce, Michaël Llodra et peut-être encore un autre en plus, on verra…

 

C : À propos de consultants, parmi tous ceux que vous avez côtoyés, en est-il un avec qui vous avez noué une connivence ou une amitié particulière ?

L.L. : J’ai connu une quinzaine de consultants et honnêtement, je garde un bon souvenir de tous. Les premiers, c’était Leconte et Pioline, autant vous dire qu’on se marrait bien. Mais si je devais citer un nom, le premier qui me vient est celui de Patrice Dominguez. C’est quelqu’un que j’aimais beaucoup et qui me manque énormément (il est décédé en avril 2015, ndlr). Professionnellement, c’était quelqu’un d’extraordinaire. Vous lui demandiez un son d’une minute, il vous faisait un son d’une minute, montre en main. Vous aviez besoin d’une info sur le 135e mondial, vous l’appeliez et il vous sortait toute sa bio. J’avais fait la finale de la Coupe Davis avec lui à Lille en 2014, il semblait aller mieux. Malheureusement, c’était une rémission : il est parti quelques mois après.

 

C : Il paraît qu’on ne peut plus rien dire aujourd’hui. Au fil des années, observez-vous un changement de ton à la télévision ?

L.L. : C’est vrai qu’aujourd’hui, il faut faire très attention. Un simple mot peut choquer et vous avez tout de suite le tribunal des réseaux sociaux sur le dos. Après, je n’ai pas envie de trop subir ça non plus. Sinon, on en arrive à perdre totalement son naturel. Depuis vingt ans que je suis là, je n’ai jamais vraiment eu de problème. Ah si, il y a eu l’histoire des sushis. C’était pendant un match entre Tsonga et Nishikori, en 2015. Tsonga menait deux sets à rien et j’avais relancé en disant : « Pas de sushi pour Tsonga. » Derrière, il y avait eu une surenchère de jeux de mots dans le genre sur le plateau. L’ensemble était peut-être un peu lourd, c’est vrai, mais il n’y avait pas l’once d’un début de commencement de mépris envers la communauté japonaise. Mais voilà : ce genre de blague ne passe plus aujourd’hui.

 

C : D’une manière générale, la télé pousse en faveur de changements dans les formats de jeu, pour raccourcir les matchs. Et vous, vous en pensez quoi ?

L.L. : Moi, je suis un puriste total. Je suis furieux de voir ce qu’ils ont fait de la Coupe Davis, une épreuve extraordinaire qui ne ressemble plus à rien. Je suis assez conservateur. Donc je dis merci à la FFT et à Roland-Garros d’être le seul tournoi du Grand Chelem à maintenir les deux jeux d’écart au cinquième set. On n’avorte pas un match comme ça ! C’est vrai qu’il y a plus de zapping aujourd’hui qu’il y a trente ans. Donc que l’on trouve des solutions pour rythmer un peu plus les matchs, d’accord. Mais à condition que ça n’abime pas le jeu. Si c’est pour en arriver à ce que, demain, les Grands Chelems se jouent en deux sets gagnants, c’est non. Les matchs très longs, c’est ce qui fait la beauté du tennis. Nos meilleurs souvenirs, ce sont toujours des matchs en cinq sets qui ont duré très longtemps, avec des épilogues incroyables. Il ne faut pas y toucher. 

 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.

Sa Majesté le slice

© Ray Giubilo

À l’opposé du lift précurseur du tennis moderne, le slice, et en particulier le revers slicé, est sans doute le coup le plus intemporel de l’histoire du tennis. Noble quoiqu’un rien suranné, parfois raillé mais jamais mis de côté, il a survécu à toutes les révolutions et même encore aujourd’hui, alors que la puissance fait rage, il a toujours son mot à dire, comme l’a récemment montré Daniel Evans à Monte-Carlo. Rencontre bien tranchante avec le roi des coups.

 

C’est le cauchemar absolu de nombreux joueurs du dimanche, voire du reste de la semaine. L’ennemi public no 1 des amoureux du tennis en cadence, des adeptes de castagnes irréfléchies du fond de court, à la technique épurée mais facilement perméable au moindre grain de sable susceptible de faire dérailler une mécanique gestuelle un peu trop bien huilée. Voilà 150 ans qu’il casse le rythme, les pattes et tout le reste – mais restons polis – de tous les tennismen du monde, de tous niveaux. Et qu’on se le dise : le « chip » (puisque c’est lui), cet éternel empêcheur de frapper en rond sur lequel se sont brisées des millions d’attaques de coup droit, tel le flux et le reflux des marées s’échouant obstinément sur le sable alangui, a encore de beaux jours devant lui. 

On le dit sur le déclin et c’est vrai qu’il s’est fait plus discret dernièrement sur le circuit, éclipsé par le règne de la puissance absolue. Mais jamais il n’a cessé d’émettre avec délice ses quelques grammes de finesse dans ce monde de brutes. Au niveau du tennis amateur, il reste en tout cas l’un des coups les plus prisés, et peu importe que ce soit, comme certains le disent, par une frange vieillissante de pratiquants : son efficacité, elle, n’a jamais été démentie. Chez les professionnels, elle est plus contrastée, voire contestée. Mais le chip y a toujours son mot à dire. Demandez à Novak Djokovic, cuisiné à l’étouffée à Monte-Carlo par la recette de grand-mère que lui a concoctée Daniel Evans, composée à 90 % de revers slicés : « Il a démantelé mon jeu », n’a pu que constater, hébété, le no 1 mondial, certes pas dans son assiette ce jour-là mais guère à l’aise non plus avec cette espèce de gloubi-boulga d’un autre temps. « Je me doutais que ça ne lui plairait pas trop, mais peut-être pas à ce point », a expliqué pour sa part le Britannique futé, finalement demi-finaliste d’un tournoi où les conditions humides l’ont aussi aidé en produisant un rebond plus bas que d’ordinaire, sur une surface qui n’est habituellement pas la meilleure du chip, plus rentable sur des revêtements rapides et fusants. « En utilisant ce coup, je l’ai empêché de trouver son rythme. Derrière, il n’arrivait pas à me faire mal. » 

Evans n’a pas coupé à une pluie de gentils sarcasmes après sa performance, assimilée par des observateurs taquins à celle d’un pénible vétéran détruisant dans un tournoi de club le petit jeune trop naïf pour endiguer de tels (sé)vices. Mais il n’en avait cure. Le chip se moque bien du buzz et de la mode. Il n’a pas l’effet « waouh » d’un trick shot ni l’autorité d’un ace extérieur à 220. Mais il a toujours été là et, probablement, le sera toujours. Depuis les origines de ce sport, tel un animal préhistorique, il mène sa barque tranquillement, sans artifice mais sûr de sa force, comme étranger aux différentes révolutions qui ont transformé le paysage autour de lui et provoqué l’extinction d’un certain nombre de ses congénères technicotactiques, tel le coup droit prise marteau ou le service-volée systématique, dont on a bien peur qu’ils n’aient plus droit de cité que dans un musée.

 

« Autrefois, le tennis était un jeu qui consistait à manœuvrer l’adversaire. Le revers coupé répondait à ce besoin. » 

Georges Deniau

© Ray Giubilo

Le revers coupé, lui, a un avantage sur d’autres coups. C’est lui qui peuplait en premier la planète tennis. Le gros lift court croisé de Gasquet ? Les sacoches long de ligne de Wawrinka ? Les prises de balle ultra-précoce de Federer ? De pures merveilles mais qui n’existaient pas avant l’avènement du jeu moderne, il y a une trentaine d’années à peine, autant dire une goutte d’eau dans l’océan de l’histoire du tennis. « Dans les années 1930 ou 1940, à la période où j’ai découvert le tennis, tous les joueurs avaient un revers presque exclusivement coupé ou alors à plat avec une tendance coupée, replace le mythique technicien Georges Deniau, ancien entraîneur (notamment) des équipes de France et de Suisse de Coupe Davis. Le premier grand champion qui s’est mis à frapper fort en revers avec un effet légèrement lifté et une prise légèrement fermée, ce fut l’Américain Tony Trabert, dans les années 1950. Et le premier à maîtriser à la perfection tous les types de revers, ce fut l’Australien Rod Laver. »

Pour discerner quelque chose de naturel de quelque chose d’appris, il suffit d’observer ce qui existait à l’origine et ce qui est venu se greffer ensuite, en réponse à l’évolution d’un écosystème. Le revers à une main, contrairement à l’idée qu’on s’en fait parfois, est un coup plus naturel que le revers à deux mains, certes aujourd’hui majoritaire mais « inventé » bien après. Et le revers slicé, de la même manière, est plus naturel que le revers lifté. « À ses origines, le tennis était un jeu qui consistait à manœuvrer l’adversaire, en privilégiant la précision, rappelle encore Georges Deniau. Le revers coupé répondait bien à ce besoin de contrôle. Seulement, au fil des ans, il est devenu de plus en plus performant. Donc il a fallu frapper plus fort. C’est ainsi que l’on a commencé à jouer des revers à plat. Mais le revers à plat, on avait un peu de mal à le garder dans le court. Donc, on a progressivement commencé à lifter, de plus en plus. »

Fort bien, mais quid du coup droit ? Parce qu’on en conviendra, autant le chip de revers porte en lui cette intemporalité qui fait sa noblesse, autant celui de coup droit n’est associé en rien à la technique ancestrale du tennis, sinon à quelques ovnis au génie inclassable parvenus à en faire une arme de destruction des nerfs les plus fragiles, comme Fabrice Santoro ou Monica Niculescu. Mais globalement, c’est un coup qui reste peu usité, hormis dans des situations d’urgence. À tort ? Peut-être. Mais il y a une autre explication, d’ordre physiologique celle-là. Pour la comprendre, mettez- vous debout face à une table, et positionnez-y votre main dominante, dans l’axe de l’épaule. On est d’accord, vous avez posé la main sur sa paume, et non sur le dos ? Voilà, elle est là, l’explication. « Sur sa droite [pour les droitier], la main se referme plus naturellement qu’elle ne s’ouvre, donc le lift est plus naturel, nous enseigne encore Georges Deniau. Alors que si on la positionne de l’autre côté, c’est l’inverse. La main se met plus naturellement sur la tranche, comme pour faire un revers coupé. À la base, il est donc plus naturel d’avoir un coup droit plutôt lifté et un revers plutôt coupé. »

 

« Impossible de se passer d’un bon slice si l’on a un revers à une main. »

Steve Darcis

Pour les revers à deux mains, la démonstration n’est plus la même puisque c’est la main opposée qui prend le relais de la main dominante pour gérer plus ou moins totalement (selon la prise) le contrôle de la raquette. Raison sans doute pour laquelle il est rare de voir des revers à deux mains coupés, Fabrice Santoro faisant encore office de célèbre contre-exemple : les propriétaires d’un revers à deux mains préfèrent en général « lâcher » la deuxième main. Mais lâcher la deuxième main, pour eux, c’est comme s’élancer à vélo sans roulettes pour un enfant. Pas évident, au départ. Donc à l’arrivée, peu sont devenus des maîtres du genre comme Rafael Nadal chez les hommes ou Ashleigh Barty chez les femmes. 

Beaucoup, d’ailleurs, choisissent d’éviter au maximum d’avoir à exécuter un slice, à l’instar de Gilles Simon qui en joue un par éclipse solaire. Quitte à se priver d’une carte tactique intéressante pour varier le rythme ou se donner un peu plus de temps en défense. Le Français, lui, a toujours estimé que cette carte n’était pas indispensable à son jeu, parce que l’action de sa deuxième main serait toujours plus efficace, même pour ramener une balle éloignée, qu’un hypothétique chip. Soit. On ne peut pas dire que l’ensemble de sa carrière lui ait donné tort.

Evidemment, le Niçois aurait tenu un autre discours s’il avait fait partie des plus rares détenteurs d’un revers à une main. Car pour ces derniers, le slice n’est pas une option. Il est obligatoire. Les joueurs ou les joueuses dotés d’un revers à une main capables de slicer superbement mais quasiment pas de lifter sont nombreux, peut-être même majoritaires au plus bas de l’échelle tennistique. On en a même vu arriver très haut avec cette seule arme dans leur arsenal, pour peu qu’elle soit bien coupante (coucou Steffi). On voit en revanche assez peu de revers à une main performants en lift et pas en slice. Alors qu’à deux mains, c’est l’inverse. En résumé, « on peut plus facilement se passer d’un bon slice si on a un revers à deux mains, mais c’est impossible si l’on a un revers une main », estime le Belge Steve Darcis, autre grand coupeur de saucisson devant l’éternel.

Avant sa retraite au début de l’année 2020, Darcis, c’était un peu le « copier-coller » de Dan Evans. Même taille, même qualité de main, même capacité à compenser son manque de puissance par une propension inouïe à embrouiller le cerveau adverse. « Le slice a toujours fait partie de mon jeu, mais de plus en plus au fur et à mesure que je suis monté en niveau, nous a répondu l’ancien 38e joueur mondial (en 2017). À la base, mon revers lifté est plutôt correct mais à condition d’avoir du temps. Or, plus tu montes, plus ça va vite. À un moment donné, j’étais souvent pris de vitesse. Donc je me suis mis à slicer de plus en plus. Et je me suis rendu compte que ça gênait énormément d’adversaires. Les joueurs d’aujourd’hui ont tous un peu le même profil, grands, puissants, capables de frapper très fort des deux côtés. Mais la contrepartie de cette évolution, c’est qu’il y a moins de variations. Ils n’en ont plus l’habitude. J’en ai fait dégoupiller plus d’un comme ça… »

 

« La réalité du haut niveau, c’est que plus on frappe de slices, moins on a de chances de gagner le point. » 

Fabrice Sbarro

© Ray Giubilo

On conviendra toutefois, avec tout le respect que l’on doit à la carrière de Steve Darcis et de Dan Evans, qu’aucun des deux n’a atteint le sommet (certes à l’inverse d’une Steffi Graf, mais à une toute autre époque). Ce qui nous oblige aussi à entrevoir la question sous un autre angle : le slice ne serait-il pas une arme par défaut, une sorte de pansement posé à la hâte sur une plaie technique ? Un peu, si l’on en croit le statisticien suisse Fabrice Sbarro, qui s’est « amusé » à calculer le pourcentage de points que gagnent les joueurs du top 100 après avoir frappé durant l’échange un slice « non défensif », c’est-à-dire véritablement destiné à casser le rythme : « Si l’on prend les trois seuls joueurs du top 100 qui frappent plus de revers slicés que de revers liftés, c’est-à-dire Dan Evans, Feliciano Lopez et Steve Johnson, on s’aperçoit que leur pourcentage est très faible, entre 42 et 44 %, alors que la moyenne globale est de 47,6 %. On entend toujours qu’il faut varier le jeu mais la réalité statistique du haut niveau, c’est que plus on frappe de revers slicés, moins on a de chances de gagner le point. En fait, ceux qui ont le pourcentage le plus élevé sont ceux qui slicent bien mais peu souvent, parce qu’ils ont un très bon lift à côté. Donc là, ils surprennent vraiment. Comme Nadal, qui est à plus de 60 %. »

C’est bien au-dessus d’un Federer, considéré comme le maître absolu du slice, mais qui n’est qu’à 49,1 %. Il est vrai que, globalement, Federer a de moins bonnes stats en revers que Nadal et même que beaucoup de joueurs. On sait que ce n’est pas ce coup-là qui lui a offert ses trophées. Et même si son slice est impressionnant sur le plan technique – le magazine numérique américain Tennisplayer l’a analysé à plus de 5 000 rotations minutes, soit plus qu’un coup droit lifté de Nadal –, il n’en fait pas non plus son fonds de commerce. « J’ai même le sentiment qu’il fait parfois un peu n’importe quoi avec, comme s’il voulait s’amuser, poursuit notre expert helvète. À l’inverse de son sosie technique, Grigor Dimitrov, qui le joue avec une toute autre intention en matière d’efficacité. Lui, son slice est parfait, ouateux, profond. »

Résultat : 51,5 %. Le meilleur ratio de l’élite slices joués/points remportés. Loin, toutefois, d’une Ashleigh Barty qui, chez les filles, pointe à 57,2 % grâce, elle aussi, à la combinaison d’une exécution technique parfaite et d’une capacité à faire autre chose avec son revers, d’autant qu’elle le joue à deux mains. L’Australienne est également loin devant deux autres joueuses réputées elles aussi pour leur aptitude à varier le jeu, Bianca Andreescu (41,9 %) et Ons Jabeur (34,3 %), dont le slice s’avère beaucoup moins performant qu’on pourrait le penser. Comme quoi, du feeling à la réalité, il y a parfois un monde.

Les chiffres sont une chose, l’interprétation en est une autre. Le slice, contrairement au coup droit et plus encore au service, n’a pas vraiment vocation à gagner un point. Plutôt à user les nerfs de l’adversaire, à la manière d’un supplice chinois. « Quand je voyais un joueur en face de moi taper dans le sol tellement ma balle était basse, ça me faisait sourire, s’amuse Steve Darcis qui, aujourd’hui encore, aime à rendre chèvre les jeunes joueurs qu’il entraîne au sein de la fédération belge au moyen de balles bien saucissonnées. À partir du moment où je voyais que j’étais rentré dans sa tête, je savais que j’avais pris une option. J’ai entendu maintes fois que le slice était mort mais mes meilleurs résultats, je les ai eus à l’époque où je sliçais le plus. »

Finalement, le slice est un peu comme l’alcool dans la préparation d’un cocktail. On peut en mettre plus ou moins, bien sûr. Mais le secret demeure dans sa qualité et surtout dans son subtil dosage au milieu d’un bouquet de saveurs le plus exhaustif et le plus nuancé possible. Quoi qu’il en soit, il paraît toujours indispensable. Car sans alcool, la fête est moins folle, non ? 

 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.

Justine Henin

« Le slice a toujours été présent dans mes entraînements »

© Ray Giubilo

Le revers slicé n’est pas un coup forcément associé au tennis féminin. Pourtant, on a le sentiment que toutes les joueuses ayant réussi à apprivoiser cette arme technique sont devenues des reines. Justine Henin, comme son idole Steffi Graf ou Martina Navratilova avant elle, comme sa rivale Amélie Mauresmo ou une Ashleigh Barty aujourd’hui, en est un des exemples les plus emblématiques. Quelle est l’importance du slice aujourd’hui ? On a posé la question à l’ancienne no 1 mondiale, désormais consultante télé et directrice de l’académie Sixième Sens. Elle y a répondu, fidèle à elle-même, avec beaucoup de richesse et de variété.

 

« Le slice a toujours fait partie de mon jeu. Ayant un revers à une main depuis mon plus jeune âge, il me fallait un atout supplémentaire pour pallier ce déficit de puissance et être capable de me défendre. Ensuite, je l’ai travaillé énormément pour qu’il devienne une arme supplémentaire, et pas seulement un coup pour me protéger. Le slice doit aussi avoir pour but de neutraliser, de se donner le temps de se replacer, de casser le rythme, de contre-attaquer, de gérer des balles courtes et basses, de monter au filet…

Pour ma part, le revers slicé est donc un coup qui a joué un rôle énorme dans ma carrière. C’est vrai aussi que je suis tombée à une époque avec des joueuses extrêmement puissantes. Quand vous êtes systématiquement agressée dès les deux-trois premières frappes, la plupart du temps sur le revers, vous êtes obligée de développer une réactivité et un jeu de défense encore plus performants. Ce slice me permettait de répondre à ce besoin. Je l’utilisais moins contre une Mauresmo qui réagissait mieux face à ce slice car elle était elle-même dans un profil un peu identique. Mais il me servait beaucoup contre les joueuses les plus puissantes, qui aimaient la grosse cadence et dotées d’un revers à deux mains, comme les sœurs Williams bien sûr, Clijsters, Sharapova, Dementieva…

Après, c’était des joueuses extrêmement fortes et elles savaient aussi s’adapter, donc il fallait rester vigilante, ne pas s’enfermer dans un schéma de jeu. Le slice est une arme importante, encore faut-il évidemment l’utiliser au bon moment, avec les bonnes zones et le bon dosage. Il est très important de savoir faire autre chose à côté. On ne peut pas dire qu’un Dan Evans va s’installer parmi les tout meilleurs uniquement parce qu’il a un super slice. On ne peut pas baser son jeu uniquement sur ça aujourd’hui, le tennis est devenu trop physique.

Mais quoi qu’il en soit, j’aimais beaucoup utiliser le slice. Même si je faisais quand même plus mal avec mon coup droit, je me suis toujours beaucoup amusée côté revers. Et puis, c’était passionnant d’essayer de trouver des solutions pour contrer cette puissance adverse. Durant toute ma carrière, le slice a toujours été présent dans mes entraînements. Même quand j’étais no 1 mondiale, on continuait, avec Carlos Rodriguez [son coach historique et désormais associé de son académie, ndlr], à prendre des balles intermédiaires et à faire des exercices dans les carrés de service. Ça m’a permis de continuer à développer le petit jeu en général, l’amortie, la volée, etc.

Après, varier le jeu, c’était quand même quelque chose de naturel chez moi. Parce que dès mon plus jeune âge, on m’a appris à tout faire, à travailler énormément ma main. Je jouais aussi souvent pour m’amuser en dehors de mes heures d’entraînement, avec mes frères, et j’ai pratiqué beaucoup d’autres sports, du football notamment. Ça m’a aidé énormément, sur le plan du physique et de la coordination. Je crois que cette notion de jeu est fondamentale et j’encourage les jeunes joueurs à ne pas la perdre de vue, à ne pas hésiter non plus à se construire en pratiquant d’autres sports.

Il y a des entraîneurs qui ont tendance à formater trop vite les enfants, à les enfermer dans ce moule du tennis en cadence. Ok, on est dans un tennis très physique et très puissant aujourd’hui. Ok, il y a une évolution du jeu à laquelle il faut s’adapter. Mais il y a un temps pour tout. Avant de penser comme un professionnel et à rentrer dans un schéma de jeu hyper spécifique, il faut d’abord penser à s’amuser. C’est aussi comme ça qu’on développe son corps, qu’on travaille sa main et qu’on développe un jeu le plus complet possible, ce qui est très important. Parce que c’est dommage d’arriver à un point dans sa carrière où l’on coince quelque part à cause d’un problème technique.  

Il y a des joueurs auxquels on aurait vraiment envie de rajouter ça à leur jeu, un Rublev par exemple. Si vous regardez les tout meilleurs, Federer évidemment, mais aussi Nadal et même Djokovic, ils savent slicer. Bien sûr qu’ils ont une identité, des forces qui leur sont propres, mais ils sont très complets. Encore une fois, on en revient au fait qu’il est essentiel d’avoir le plus d’armes possibles dans son jeu, surtout à une époque où les carrières s’allongent de plus en plus. Si le slice est mou, s’il n’y a que ça, ça n’aura aucun impact. Federer, quand il fait son petit slice court, il sait qu’il va devoir être très fort derrière sur son premier pas pour aller tirer le passing ou placer une accélération. C’est une arme qui s’imbrique dans un ensemble de forces. Pareil chez une Ashleigh Barty, le slice est une arme essentielle de son jeu parce que tout le reste suit.

Chez les filles, le slice a peut-être toujours eu une importance encore plus grande. Le nombre de fois où je vois des joueuses tenter un truc impossible de n’importe où, alors qu’il leur suffirait de jouer un petit slice simplement pour neutraliser l’adversaire et se repositionner dans l’échange… Ce serait une arme bénéfique non seulement pour elles mais aussi pour l’image et la beauté du tennis en général. Mais je trouve que sur ce point, le tennis féminin est en train d’évoluer positivement. À nouveau, on retrouve des styles plus complets et différents. C’est bien qu’il y ait des oppositions de style parce que c’est là que le tennis rentre dans une dimension tactique intéressante. C’est ce qui fait la richesse de notre sport. »

 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.

Carnet de balles

© Art Seitz

Objet de toutes nos attentions, pour ne pas dire de nos obsessions, la balle de tennis est le produit d’un formidable savoir-faire. À l’image de celui de Wilson, devenu l’an passé partenaire officiel de Roland-Garros. Un nouvel épisode marquant dans la saga de cette marque plus que centenaire.

 

« Une balle de tennis est le corps ultime. Parfaitement ronde. Répartition égale de la masse. Mais vide à l’intérieur, complètement vide. Sujette aux caprices, sensible à la force – que tu l’utilises bien ou mal. Elle reflètera ton propre caractère. Elle n’a pas de caractère en soi. C’est du pur potentiel. » L’écrivain américain David Foster Wallace, disparu en 2008, n’a jamais été avare d’emphase et de métaphores lorsqu’il écrivait sur le tennis, ou sur Roger Federer, l’un de ses sujets de prédilection. Considérer la balle comme un miroir de notre tempérament est une piste intéressante. L’image est assez belle, même. Notamment au tennis, où on se la renvoie et où s’installe une forme de discussion. À la colère d’une frappe lourde, répond la douceur d’une amortie. À un slice vicieux qui « s’enterre », réplique un lob qui caresse le ciel. 

Les hommes ne s’enverraient pas des balles avec ce drôle d’ustensile appelé raquette depuis la naissance du jeu de paume au XIIe siècle si cela n’était pas vecteur d’émotions. Ah, le bonheur ultime d’une frappe bien centrée et fluide ! Quelle joie d’avoir réussi à diriger cette capricieuse boule de feutre là où ne se trouve pas l’adversaire. Dès qu’il a compris combien cette pelote pourrait être une source de plaisir et d’affrontements, un sentiment qui trouve ses racines dans l’enfance, l’homme a pris soin de bichonner la balle de tennis. D’autant plus depuis qu’on a eu la bonne idée de marier le caoutchouc et le feutre, à la fin du XIXe siècle. La dorloter, à la fois dans sa conception et dans les moyens de la conserver. 

Une société américaine va alors jouer un rôle déterminant dans cette histoire, à partir de 1914. Son nom : Schwarzschild & Sulzberger. Son activité : l’emballage… alimentaire et plus particulièrement celui de la viande ! Mais très vite, elle se lance dans la diversification de produits provenant des abats d’animaux comme les boyaux. Ainsi l’entreprise rebaptisée Wilson en 1915, du nom de son nouveau patron Thomas E. Wilson, fabrique du cordage pour les raquettes de ce sport en pleine expansion, le tennis. Thomas Wilson accélère même la transformation de son entreprise en rachetant la Chicago Sporting Goods Company, embryon de ce qui va devenir une multinationale et une des marques les plus emblématiques de l’histoire du sport. Parallèlement, Wilson, en partenariat avec la Pennsylvania Rubber Company (l’ancêtre de Penn), commence à fabriquer des balles en 1926. Mais aussi, dès la fin des années 20, fort de sa maîtrise des emballages, les premiers tubes métalliques sous pression destinés à préserver la durée de conservation desdites balles. Le principe est simple : la pression d’air dans la boite est égale à la pression dans la balle elle-même. Tant que la canette est scellée, la vivacité de la balle demeure intacte. « C’est la plus grande évolution jamais connue dans l’histoire du tennis », annonce alors fièrement la marque au logo en W. 

Ces premières boites sont reconnaissables à la petite tache de soudure, sur le couvercle ou le fond, témoin de l’endroit où l’air sous pression a été injecté. On les ouvre en déroulant une fine bande de métal sur une clé, processus familier aux amateurs de sardines. Il est amusant de noter que cette technologie (allons-y pour les grands mots) sera freinée pendant la Seconde Guerre mondiale en raison de la pénurie d’acier, obligeant alors les fabricants, Wilson y compris, à ranger les balles dans des boites en carton ou des sacs en papier imperméables. Le métal reviendra en force dans les années 50, puis dans les années 70 avec l’ouverture de la boite grâce à une petite languette libérant l’air. Ce « pschitt ! », qui rappelle celui de l’ouverture d’une canette de soda, est devenu l’un des sons préférés des joueurs de tennis, signe que le bonheur de la première frappe n’est plus très loin. Wilson introduit ensuite la boite en plastique en 1984, le « Wilson Squeezable Pressure Pack », un tube transparent où les balles sont toujours sous pression évidemment, mais désormais visibles. Une innovation qui fera des émules.

Côté balles, Wilson a rapidement innové. Comme le rappelle Richard Hillway, spécialiste américain de l’histoire du tennis, la firme de Chicago avait même imaginé des balles pour jouer en altitude, où la résistance de l’air est moindre, permettant auxdites balles de « voyager » plus vite. Nous sommes alors en… 1956. « J’ai grandi en jouant au tennis à Greeley, Colorado, à 1 500 mètres d’altitude. Avec ces balles, dans lesquelles il y avait moins de pression et qui étaient plus lourdes, on en mettait plus dans le terrain », se souvient-il. Sur un marché de plus en plus concurrentiel, l’autre grande date dans l’histoire de Wilson est certainement 1978, lorsque la marque est choisie pour devenir la balle officielle de l’US Open. C’est une date clé, car le Grand Chelem américain quitte l’ambiance chic du West Side Tennis Club de Forest Hills et son Har-Tru (la terre battue grise) pour l’ambiance plus rock de Flushing Meadows et ses courts en dur (Decoturf).

Depuis cette date, le dernier grand rendez- vous de la saison et la firme de Chicago ne se sont plus quittés, un mariage qui a fait de Wilson la marque spécialiste des balles à destination des courts en dur. En 2006, les organisateurs de l’Open d’Australie choisissent également Wilson. C’est un succès. Lorsqu’on demande aux champions quelle marque ils préfèrent pour jouer sur dur, Wilson l’emporte haut la main, à 79 %, selon un sondage réalisé pendant les Internationaux d’Australie 2016. 

Cette image de marque très forte de balles pour courts en dur, un marché dont Wilson est le leader, n’a évidemment pas empêché la firme américaine d’entamer une diversification. Depuis 1984, balles indoor, gazon et terre battue sont venues grossir la production. Wilson devient même la balle officielle de plusieurs tournois sur terre battue en Amérique latine et un nouveau pas de géant est franchi en 2020, lorsque la marque s’associe au tournoi de Roland-Garros. Mais Wilson a déjà marqué de son empreinte le tournoi grâce à la longue liste des vainqueurs équipés en W, tels Tony Trabert, Chris Evert, Jim Courier, Justine Henin, Gaston Gaudio, Serena Williams, Simona Halep ou Roger Federer, le dernier en date chez les messieurs. 

La balle Wilson en majesté sur la terre battue de la porte d’Auteuil, c’est un sacré événement dans le microcosme du tennis. Une démarche qui témoigne d’une volonté de s’installer plus encore en Europe. « Wilson est très heureux de cette alliance avec la FFT, explique Hans-Martin Reh, directeur général de Wilson Racquet Sports. Notre passion et notre détermination à proposer la meilleure expérience sur les courts en terre battue fait écho à la mission de la FFT. C’est la raison pour laquelle cette association semble si naturelle. Nous sommes une marque innovante et guidée par le design, toujours en quête de nouvelles idées pour développer notre sport. »

La balle Roland-Garros est le fruit d’un long travail pour coller au plus près aux caractéristiques de celle utilisée précédemment. « D’un point de vue purement technique, les balles sont pratiquement identiques à celles de 2019. Le poids, le rebond et la taille sont très proches », selon Jason Collins, directeur mondial des produits sports de raquette chez Wilson. « Mais la FFT nous a donné carte blanche sur le développement produit, sans aucun prérequis et en ayant confiance en notre savoir-faire, ajoute Bertrand Blanc, directeur commercial mondial des sports de raquette chez Wilson. Nous avons soumis plusieurs échantillons, puis les joueurs et les joueuses ont rendu leur verdict. » Ces tests ont été réalisés par plusieurs pros français et étrangers, sur des balles sans marquage, afin que les joueurs ne soient pas troublés dans leurs ressentis. « La balle Roland-Garros est une vraie balle de terre battue, elle est vive et prend bien les effets, précise Bertrand Blanc. Elle répond bien sûr aux critères très stricts imposés par la Fédération internationale pour l’homologation des balles de compétition en matière de rebond et de diamètre. » 

Techniquement, rappelons que la plus grande différence entre des balles pour terre battue et des balles à destination de courts en dur réside dans la feutrine et le noyau. « L’humidité est naturellement présente dans l’argile qui constitue la terre battue. Nous avons donc développé une technologie de résistance à l’humidité qui réduit la quantité d’eau absorbée par la feutrine pendant le jeu, poursuit Bertrand Blanc. Comme les échanges sont généralement plus longs sur terre battue, il est important de conserver les caractéristiques de la balle le plus longtemps possible. Cette technologie réduit également l’accumulation de poussière et de saleté, ce qui permet à la balle de maintenir l’éclat de la feutrine jaune dans le temps. Le noyau est aussi essentiel. Avec des échanges plus longs, nous avons dû nous assurer que le produit résiste aux contacts répétés en développant un mélange spécifique. »

« Chaque fois qu’il y a un changement, les joueurs sont extrêmement sensibles et malheureusement, parfois, la perception prend le pas sur le bon sens. » Jason Collins évoque ici le fait que les Internationaux de France 2020, pandémie oblige, se sont déroulés à l’automne dans une humidité et un froid qui n’avait rien à voir avec les traditionnelles conditions de jeu au printemps. Une situation météo qui a logiquement un peu alourdi les balles lors de la première semaine du tournoi. Au bout du compte, Rafael Nadal a remporté son treizième titre en surclassant Novak Djokovic en finale ; et chez les dames, Iga Swiatek, avec son tennis joliment offensif, est devenue la première Polonaise à remporter un tournoi du Grand Chelem, à 19 ans seulement. Une belle conclusion pour cette grande première de Wilson à Roland-Garros. 

Article publié dans COURTS n° 11, printemps 2021.