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Le tennis pour dépasser le handicap

Rafael Nadal, Novak Djokovic et Stan Wawrinka figurent aujourd’hui parmi les lĂ©gendes du tennis moderne et du sport.

Par leurs performances respectives, aux quatre coins de la planĂšte, Stan the Man, le Djoker et le roi de la terre enchantent leurs fans au quotidien en usant chaque jour de leurs cartes maitresses.

Au-delĂ  des aspects purement sportifs, Rafa et Novak et Stan sont des personnalitĂ©s diffĂ©rentes aux qualitĂ©s humaines extraordinaires qui rappellent qu’une lĂ©gende est bĂątie sur un palmarĂšs et une personnalitĂ© hors du commun. 

En tant que fan de tennis en situation de handicap, atteint d’une paralysie cĂ©rĂ©brale, je m’inspire depuis l’enfance de ces joueurs iconiques aux parcours singuliers. Ils me permettent de livrer mes combats personnels en m’appuyant sur leurs forces et d’aimer profondĂ©ment le tennis. Mes objectifs sont simples : Profiter de chaque moment sur le court et partager le terrain avec les plus grands champions de l’ATP. 

Sur les courts, je pratique le tennis adaptĂ© assistĂ© d’un coach en rĂ©gion parisienne, une fois par semaine. Je dois ici rendre hommage Ă  mon coach Filipe qui m’accompagne depuis 9 ans dans cette aventure sportive faite de passion et de travail. A l’entraĂźnement la maxime de Rafa « Work hard, have fun and make it happen » rĂ©sonne en permanence dans mon esprit

Dans ma vie la maladie se caractĂ©rise par des douleurs et des raideurs musculaires multiples, des difficultĂ©s de coordination du mouvement. Elle nĂ©cessite un traitement et 2 Ă  3 sĂ©ances de kinĂ©sithĂ©rapie par semaine. Avec ces contraintes, difficile de m’imaginer jouer au tennis, et pourtant c’est mon activitĂ© favorite.

Au quotidien j’ai Ă  cƓur de partager sur les rĂ©seaux ma maniĂšre de jouer pour montrer que rien n’est impossible et qu’il appartient Ă  chacun de poursuivre ses rĂȘves. Je crois profondĂ©ment Ă  l’inclusion par le sport. Le sport a le pouvoir de fĂ©dĂ©rer les citoyens et d’offrir une espace d’épanouissement qui Ă©clipse les difficultĂ©s du quotidien. 

Ces derniĂšres annĂ©es j’ai toujours cru en mon Ă©toile, celle du tennis qui Ă©claire ma vie et j’ai pu dĂ©jĂ  rĂ©aliser un certain nombre d’accomplissements. Pour Courts Mag, je partage mes expĂ©riences en espĂ©rant qu’elles pousseront des jeunes Ă  croire de nouveaux en leur rĂȘve quelle que soit leur condition social ou sanitaire. 

Rafael NADAL est ma premiùre source d’inspiration, mon idole, le modùle sportif de ma jeunesse. 

Souffrant d’une infirmitĂ© motrice et cĂ©rĂ©brale depuis ma naissance, j’ai dĂ©couvert Rafael Nadal Ă  l’ñge de 6 ans lorsque les opĂ©rations chirurgicales et les sĂ©ances de rĂ©adaptation Ă  l’hĂŽpital s’enchainaient aux rythmes des matchs de Roland-Garros. Rafa, a alors 19 ans et fait preuve d’une combativitĂ© exemplaire pour sortir coup sur coup Richard Gasquet puis SĂ©bastien Grosjean. Je me souviens parfaitement de ces rencontres dominĂ©es par un jeune homme des BalĂ©ares qui brillait par sa volontĂ© et par la puissance de ses grands coups liftĂ©s. 

Plus tard, soucieux de ma rĂ©ussite scolaire malgrĂ© mon handicap et de ma participation aux cours d’éducation physique au collĂšge puis dans l’enseignement supĂ©rieur, l’Espagnol est alors apparu comme un modĂšle de travail et d’implication sur le chemin de la rĂ©ussite. 

Mon parcours semĂ© d’embuches face au systĂšme Ă©ducatif pas encore engagĂ© dans l’inclusion m’a demandĂ© de la rĂ©sistance et du courage pour rĂ©aliser mes objectifs. A cet Ă©gard, la lĂ©gendaire combativitĂ© du majorquin Ă©tait une immense source d’inspiration en accord avec ma propre Ă©ducation. A l’occasion de Roland-Garros 2019, aprĂšs des annĂ©es d’espĂ©rance j’ai eu la chance de rencontrer Rafa aprĂšs la finale remportĂ©e face Ă  Dominic Thiem. Cette rencontre Ă  21h27 au crĂ©puscule et au cƓur du court Philippe-Chatrier reste pour moi un immense moment d’émotion. 

Rafa m’inspire pour pratiquer mon sport en conservant une attention particuliĂšre Ă  ma progression. J’apprĂ©cie son style de jeu en puissance mais je m’attache toujours Ă  rappeler que le Majorquin a une main magique, c’est un volleyeur exceptionnel. Mon sĂ©jour de 4 jours en Espagne au sein de la Rafa Nadal Academy en fĂ©vrier 2022 a ici constituĂ© un aboutissement comme l’opportunitĂ© de vivre encore ses rĂȘves malgrĂ© la maladie. L’AcadĂ©mie m’a ainsi offert la possibilitĂ© d’apprĂ©cier de nouveau un moment magique avec Rafa pour partager notre passion commune du tennis et lui exposer ma maniĂšre de pratiquer. Cette visite m’a aussi montrĂ© que derriĂšre un champion exceptionnel d’une gentillesse incroyable, il y a une Ă©quipe bienveillante et pleinement au service du champion. Je garde en mĂ©moire les Ă©changes riches avec Rafael Maymo, son physiothĂ©rapeute avec qui nous avons parlĂ© kinĂ© et les conseils tennistiques fondĂ©s sur le plaisir et le travail qu’a pu me prodiguer l’oncle Toni. Rafa prĂȘte une attention particuliĂšre Ă  la question du handicap Ă  travers les actions de sa fondation et l’accueil d’initiative favorisant la pratique sportive comme moteur de l’inclusion sociale. Cette rencontre avec Rafa rĂ©unit un garçon aux jambes atrophiĂ©es et au pied plat sĂ©vĂšre (comme Rafa) et un champion impressionnant remarquable pour la puissance de ses frappes et sa combativitĂ© Ă  nulle autre pareil. 

Novak Djokovic est le symbole de la surprise. AprĂšs Roger Federer, Novak Djokovic est l’autre grand rival de Rafael Nadal, pourtant, j’ai toujours apprĂ©ciĂ© sa spontanĂ©itĂ©. Son empathie certainement renforcĂ©e par son passĂ© tumultueux au milieu des bombes l’amĂšne Ă  s’engager dans des causes sociales et au service de l’inclusion. Nole n’hĂ©site pas Ă  utiliser son Ă©cho mĂ©diatique pour faire la promotion du para-sport. Il affiche ainsi rĂ©guliĂšrement sa proximitĂ© avec l’ex-joueur de tennis fauteuil Dylan ALCOTT lors de l’Open d’Australie ou avec l’argentin Gustavo FERNANDEZ qui figure parmi les meilleurs joueurs du monde de tennis-fauteuil. Son partenariat avec Lacoste l’a amenĂ© Ă  valoriser dans sa communication la nouvelle collection vestimentaire dĂ©veloppĂ©e par l’athlĂšte handisport ThĂ©o CURIN. Lors du tournoi de DubaĂŻ 2020 auquel j’ai assistĂ©, peu de temps avant l’explosion de la crise sanitaire, Novak Djokovic a pris le temps de partager un moment sur le court avec des enfants lourdement paralysĂ©s. Il a ainsi Ă  cƓur de partager sa passion Ă  travers des moments oĂč il est possible d’oublier la maladie et les difficultĂ©s de la vie ne serait-ce qu’un instant. 

Novak Djokovic m’a ainsi offert lui aussi plusieurs souvenirs inoubliables dont le dernier en marge des Internationaux de France de Roland-Garros 2022. Grace Ă  mon travail acharnĂ© sur les courts, Novak a fini par repĂ©rer l’une de mes vidĂ©os de joueur en situation de handicap physique que je poste rĂ©guliĂšrement sur les rĂ©seaux sociaux pour tenter d’attirer l’attention des champions et vĂ©hiculer modestement un message d’espoir pour dire que la passion l’emporte sur tout le reste. Le Serbe m’a contactĂ© par les rĂ©seaux un soir oĂč je terminais mes rĂ©visions d’examen pour me proposer une rencontre. 

C’est ainsi que j’ai pu retrouver le numĂ©ro 1 mondial en salle de presse Ă  l’issue de son succĂšs au 2e tour. J’ai ainsi Ă©tĂ© marquĂ© par la gĂ©nĂ©rositĂ© immense de Djokovic, son attention et la communication qu’il a faite au grand public au sujet de notre meeting. Je garde prĂ©cieusement en mĂ©moire ses conseils sur la nĂ©cessitĂ© de continuer de travailler dur sur les terrains pour atteindre ses rĂȘves. Je dois ici rendre hommage Ă  son agente la discrĂšte et formidable Elena Cappellaro. 

Dans cette rencontre il y avait une diffĂ©rence saisissante et amusante, un dĂ©calage entre moi, le jeune fan amateur passionnĂ© par le jeu au corps cabossĂ© et la personnalitĂ© de Djokovic qui reprĂ©sente Ă  mes yeux le joueur parfait sur le plan physique comme en tĂ©moigne sa souplesse inĂ©galable dans le monde du tennis. Cette opposition se retrouve aussi dans nos styles. Alors que ma mobilitĂ© limite considĂ©rablement mon endurance dans les Ă©changes et ma capacitĂ© Ă  jouer des revers recouverts (j’utilise davantage le slice) je me retrouve face Ă  l’homme qui a fait de la tĂ©nacitĂ© du fond du court sa marque de fabrique et de son revers, un coup signature admirĂ© par tous les observateurs.

Novak m’a promis dans son tweet qui a suivi ce moment de partage que nous finirons par Ă©changer quelques balles un jour ensemble. Partager le terrain avec les plus grands joueurs de la planĂšte constitue mon rĂȘve le plus ultime, j’espĂšre y arriver un jour. 

Que dire enfin de Stan Wawrinka ou plutĂŽt Stan The Gentleman. Comme rappelĂ© plus haut, je rĂȘve de taper des balles avec les meilleurs joueurs de la planĂšte. Lors du Rolex Paris Masters j’ai donc tentĂ© de toucher le champion suisse. Pour moi le niveau qu’il avait affichĂ© en finale de Roland-Garros 2015 pour s’adjuger la Coupe des Mousquetaires restent l’un des plus beaux chefs-d’Ɠuvre de ces derniĂšres annĂ©es. Stan est trĂšs proche de ses fans et surtout assez frĂ©quemment connectĂ© sur les rĂ©seaux. C’est ainsi que 48h aprĂšs avoir postĂ© quelques images en exprimant mon dĂ©sir de dĂ©fier Stan au RPM, Stan the Man m’a contactĂ© en MP pour concrĂ©tiser ce rĂȘve fou avant son entrĂ©e dans le tournoi.

Lundi 30 octobre Ă  16h30, accompagnĂ© de StĂ©phan Brun coordonnateur des relations avec les joueurs Ă  la FFT, qui fait un merveilleux travail depuis 30 ans, j’ai pu rejoindre Stan sur son court d’entraĂźnement. J’assistais, Ă©merveillĂ© Ă  cette prĂ©paration d’avant match qui demande beaucoup de concentration. Stan travaillait son service kickĂ© et la cadence dans la diagonale de revers Ă  une main. Ce revers quel beautĂ© ! On voyait lĂ  le travail tactique mis en Ɠuvre pour tenter de battre Dominic Thiem en night session. Le Suisse m’a alors permis de taper quelques balles avec lui sur les dix derniĂšres minutes de l’entraĂźnement. Quel moment magique ! Stan c’est un grand gamin, 38 ans avec un esprit de 17 ans. Les fans le surnomment « Stanimal », pour moi c’est le gros nounours adorable de bonne nuit les petits qui vous dit faites de beaux rĂȘves et mais qui finalement rĂ©alise vos propres rĂȘves en toute simplicitĂ©. Je l’aime et l’admire et n’aurai jamais assez de mots pour le remercier de cette dĂ©licate attention. 

Rafael Nadal, Novak Djokovic et Stan Wawrinka m’ont inspirĂ© et offert des moments magiques. A l’heure d’achever l’écriture de cette article, me viennent Ă  l’esprit les mots inspirants prononcĂ©s par Novak Djokovic en soulevant son 22e titre en Grand Chelem raisonnent encore en moi : « RĂȘvez en grand, osez rĂȘver, ne laissez personne vous enlever votre rĂȘve ».

Capturer le son, prolonger l’échange

Au son, on sait qu’elle sera gagnante. Impact compact, clartĂ© dans la dynamique, la rĂ©verbĂ©ration du stade qui soudain crĂ©e de la cohĂ©rence Ă  l’écho. Pas besoin de regarder, cette balle ne reviendra pas. Elle conservera avec elle, pour toujours, le souvenir capturĂ© de ce son mat. Et, faute d’ĂȘtre un jour rĂ©employĂ©e, elle le conservera pendant 2500 ans — le temps nĂ©cessaire Ă  ce qu’elle se dĂ©grade. Ensuite, et seulement ensuite, le son sera libĂ©rĂ©. 

Le tennis est l’un des sports les plus polluants du monde. L’équation est simple : des balles coĂ»teuses Ă©cologiquement Ă  produire, ayant une durĂ©e de vie trĂšs courte et mettant plusieurs milliers d’annĂ©es Ă  se dĂ©grader. L’équation est si simple qu’une fois tous ces paramĂštres pris en compte, de l’autre cĂŽtĂ© du signe Ă©gal une Ă©vidence s’impose : pour peu que nous dĂ©cidions collectivement de prendre en compte le rĂ©chauffement climatique et d’agir pour a minima le contenir (mieux vaut tard que jamais), voilĂ  un sport vouĂ© Ă  disparaĂźtre. 

Avouez que ce serait dommage. Partant du principe que vous ĂȘtes plongĂ© dans la lecture d’un article Ă©manant d’une revue de tennis, je pense que vous l’avouerez sans difficultĂ©. Nous ne sommes pas les seuls Ă  penser que la disparition inĂ©luctable du tennis, sacrifiĂ© sur l’autel de son empreinte carbone, ferait de la peine. Mathilde Wittock, une Ă©codesigneuse basĂ©e Ă  Bruxelles, a mĂȘme quelques idĂ©es pour conjurer le sort et faire en sorte que cela ne se produise pas. Et lĂ  aussi, il est question de son et de balles.

Time is on her side

Tout commence Ă  la Saint Martins Art School de Londres oĂč Mathilde Wittock Ă©tudie le design industriel. Et manque de tout abandonner lorsqu’elle constate que les produits qu’on lui demande de concevoir ne prennent pas du tout en compte la question environnementale. Elle qui, par son futur mĂ©tier, voulait apporter des solutions durables au problĂšme majeur que constitue la fin annoncĂ©e de la planĂšte pour cause de radiateur Ă  bloc et d’énergie fossiles dĂ©couvre que sa filiĂšre de cƓur fait en rĂ©alitĂ© partie du problĂšme. DĂšs lors, Mathilde Wittock se trouve confrontĂ©e au mĂȘme dilemme qui agite les hommes et les femmes depuis la nuit des temps : pour exprimer son dĂ©saccord, vaut-il mieux rompre avec le systĂšme ou le changer de l’intĂ©rieur – ou crĂ©er un systĂšme alternatif en espĂ©rant supplanter le systĂšme, coucou la PTPA ? Elle dĂ©cide de donner Ă  son travail une orientation diffĂ©rente en s’inscrivant dans une dĂ©marche d’écodesign pour donner du sens Ă  ses crĂ©ations.

Mathilde rĂ©flĂ©chit Ă  la question et cherche le bon bout de la raison ; pour elle, ce ne sont pas les matiĂšres les responsables du problĂšme environnemental, mais la maniĂšre dont on les traite. Il faut imposer un nouveau paradigme circulaire pour Ă©viter la surproduction inutile et allonger la durĂ©e de vie des matiĂšres, des produits qu’elles constituent et de la planĂšte. Autrement dit : comme Andy Murray ramenant toutes les balles, il faut donner une chance Ă  la matiĂšre ; comme Andy Murray revenant Ă  hauteur pour la troisiĂšme fois consĂ©cutive aprĂšs avoir Ă©tĂ© menĂ© deux sets Ă  rien, il faut prolonger l’espoir ; comme Andy Murray continuant de jouer avec une hanche en mĂ©tal, il faut prolonger la vie.

Acoustique et vieilles dentelles

Un jour, un client lui commande un modĂšle de parois acoustiques pour open spaces susceptibles d’ĂȘtre produit partout dans le monde via le tissu local et les ressources disponibles. Mathilde Wittock envisage divers types de bois, mais aucun n’offre de propriĂ©tĂ© acoustique rĂ©ellement satisfaisante. Elle se met alors en tĂȘte de rĂ©flĂ©chir au potentiel rĂ©emploi de dĂ©chets locaux Ă  des fins acoustiques. Quels types de dĂ©chets trouve-t-on partout dans le monde, standardisĂ©s sur le mĂȘme modĂšle et qui pourraient convenir Ă  ces besoins ? 

Un indice : c’est jaune et ça laisse des peluches. 

Sphérique, sensuel, sensoriel et recyclable

Le choix de la balle de tennis ne vient pas de nulle part. Pratiquante (obĂ©dience Federer) depuis ses 5 ans, Mathilde Wittock a toujours nourri pour la balle de tennis une sorte de fascination qui l’avait amenĂ©e, dans le cadre d’un autre projet, Ă  en utiliser pour remplir des coussins. Il est vrai que la balle prĂ©sente des avantages indĂ©niables : sphĂ©rique, avec une matiĂšre trĂšs stimulante sur le plan sensoriel, elle est aussi une aberration Ă©cologique qui met cinq jours Ă  ĂȘtre produite pour ĂȘtre jetĂ©e au bout de neuf jeux. Mathilde comprend que l’utilisation des balles dans le projet acoustique pourrait Ă  la fois permettre de rĂ©pondre Ă  la commande et Ă  ses exigences Ă©cologiques et esthĂ©tiques. 

Elle se met alors Ă  dĂ©couper des balles pour leur donner un nouveau look et finit par les couper en deux. L’assemblage permet de dissimuler le logo. Les balles sont parties pour leur nouvelle vie. 

Je ne peux m’empĂȘcher d’imaginer qu’elles renferment encore sur leur panneau acoustique tous les bruits mats des frappes qui les ont promenĂ©es sur les courts. Il faut dire que les sons ne s’éteignent jamais vraiment. Ce n’est pas Mathilde Wittock qui dira le contraire. 

Hypersensibilité sensorielle

Peu aprĂšs s’ĂȘtre lancĂ©e dans la crĂ©ation de mobilier Ă  base de balles recyclĂ©es, Mathilde Wittock s’est rendue compte que tous les projets qui l’animaient Ă©taient liĂ©s au son. Facilement destabilisĂ©e par le bruit, Mathilde Wittock a mis des annĂ©es avant de comprendre qu’elle avait dĂ©veloppĂ© Ă  l’égard des vibrations sonores une hypersensibilitĂ©. A tel point qu’elle a mis en place des mĂ©canismes de coupure totale avec son environnement pour pouvoir travailler, se concentrer, vivre.

De cette fragilitĂ©, Mathilde Wittock a fait une force : ses recherches sur l’impact du son sur la santĂ© lui ont permis de dĂ©velopper une expertise peu courante dans le design contemporain. De tous les sens mobilisĂ©s, le son est en effet le grand oubliĂ© des designers qui oublient que toutes les matiĂšres produisent une sensation sonore. Au royaume de l’image, le son n’a pas sa place. Il s’agit pourtant d’une vibration physique qui peut avoir un impact sur la santĂ© Ă  terme, ne serait-ce que parce qu’on Ă©coute en boucle la mĂȘme chanson mille fois et que l’on finit par en nourrir une migraine persistante.

Ce qui nous ramĂšne invariablement (c’est une constante mais elle a sa logique, vous en conviendrez) au tennis : le tennis est l’un des rares sports qui requiert encore aujourd’hui un silence absolu. Ce silence est bien sĂ»r la condition nĂ©cessaire Ă  la concentration des joueurs ; il est aussi et surtout indispensable pour entendre le bruit des balles. 

Silence, solitude, missiles en bout de course. Le tennis est par nature le sport de l’introspection, de la rĂ©flexion, de la transcendance. C’est une formidable rĂ©pĂ©tition de la vie oĂč l’on apprend Ă  faire face au stress, Ă  affronter la dĂ©stabilisation. Une Ă©cole oĂč l’autre s’oppose Ă  nous mais s’avĂšre indispensable Ă  notre propre survie. Le tennis est un miroir dĂ©formant de nous-mĂȘmes traversant la vie. 

Rien d’étonnant, dĂšs lors, Ă  ce que Mathilde Wittock ait dĂ©cidĂ© de pousser plus loin son travail avec les balles de tennis. 

Une matiĂšre, mille emplois

Car en utilisant ce matĂ©riau, l’écodesigneuse a trĂšs rapidement compris qu’elle avait crĂ©Ă© une matiĂšre plus encore qu’un design. AprĂšs les panneaux acoustiques, elle s’est mise Ă  construire des bancs, puis des fauteuils sur cette mĂȘme base. C’est beau, c’est confortable et c’est Ă©colo. 

DĂ©sormais, Mathilde Wittock poursuit un double objectif : amĂ©liorer ses crĂ©ations grĂące Ă  la collaboration potentielle d’acousticiens et de sĂ©rialiser leur production Ă  travers, par exemple, un partenariat avec des tournois dĂ©sireux de faciliter le rĂ©emploi de leurs balles. VoilĂ  qui permettrait aussi de faire connaĂźtre davantage son travail et, potentiellement, d’inspirer le monde du tennis dont la survie Ă  moyen terme est compromise en l’absence d’une profonde rĂ©forme sur le plan de son impact environnemental. 

J’évoquais deux ambitions ; ajoutons-en une troisiĂšme : si Roger Federer souhaite se reposer sur un banc ou un fauteuil de sa crĂ©ation, Mathilde sera plus que ravie de le lui permettre. 

Constant Lestienne

un magicien dans le Top 100

Sur le circuit, il est connu pour son jeu atypique, ses services Ă  la cuillĂšre et
 ses tours de magie qu’il distille dans le vestiaire aux autres joueurs. Constant Lestienne, 30 ans, a goĂ»tĂ© pour la premiĂšre fois Ă  la lumiĂšre du top 100 l’étĂ© dernier aprĂšs de longues annĂ©es Ă  batailler dans l’ombre du circuit secondaire. Une belle rĂ©compense pour le Français qui a racontĂ© Ă  Courts ses premiers pas dans l’élite, sa rencontre avec Roger Federer et sa passion pour la magie.

 

Courts : Comment as-tu vĂ©cu ton entrĂ©e dans le top 100, comme un soulagement, un aboutissement ou simplement une Ă©tape de franchie ? 

Constant Lestienne : Oui, on peut le voir comme un aboutissement dans le sens oĂč j’avais essayĂ© toutes ces annĂ©es de l’atteindre sans rĂ©ussite. Je suis trĂšs content de pouvoir dire que j’ai Ă©tĂ© dans le top 100, c’est symbolique pour tout joueur de tennis. Mais maintenant que j’y suis, je le vois plus comme une Ă©tape et j’ai envie d’aller chercher bien plus haut, pourquoi pas jusqu’au top 30 par exemple. Je m’en sens capable. 

 

C : Tu as jouĂ© pendant des annĂ©es sur le circuit Challenger, est-ce vraiment l’univers impitoyable que l’on imagine ? 

C.L. : Oui, c’est vraiment la guerre. Tout le monde a le couteau entre les dents, on ne gagne pas beaucoup d’argent. C’est vraiment une Ă©tape que tout le monde veut franchir avant le Graal, qui est de jouer les tournois ATP. Donc c’est une ambiance qui est assez dure. Tout le monde a envie d’ĂȘtre performant, les conditions de jeux sont plus difficiles, les matches ne sont pas tĂ©lĂ©visĂ©s. C’est compliquĂ©, il faut faire son trou.

 

C : Maintenant que tu joues les tournois ATP, qu’est-ce qui change le plus par rapport au circuit Challenger ?

C.L. : C’est surtout l’organisation qui est bien meilleure. On joue dans de grandes villes qui sont faciles d’accĂšs. On a des beaux hĂŽtels, on vient nous chercher Ă  la gare ou Ă  l’aĂ©roport. On mange mieux. Et puis forcĂ©ment, on joue sur des courts centraux avec du monde. Mon entourage peut regarder mes matches Ă  la tĂ©lĂ©. Tout est plus facile en fait, ce sont plein de petits dĂ©tails qui font que la vie est plus agrĂ©able.

 

C : FinanciĂšrement aussi cette entrĂ©e dans le top 100 doit te permettre de voir venir, est-ce que tu sens moins de pression Ă  ce niveau-là ?

C.L. : Contrairement Ă  ce qu’on pourrait penser, on ne joue pas pour l’argent. Moi, en tout cas, je ne joue pas pour l’argent. Ce qui peut me faire stresser, c’est plutĂŽt les points ATP. C’est le vĂ©ritable enjeu. La question de l’argent ne m’a jamais paralysĂ© dans mon jeu. AprĂšs, dans les tournois du Grand Chelem, on sait qu’il y a la possibilitĂ© de gagner Ă©normĂ©ment d’argent, mais tout ça vient avec le classement. 

 

C : Est-ce que tu t’es fait un petit cadeau pour fĂȘter ton entrĂ©e dans le top 100 ?

C.L. : Non, pas vraiment. J’ai voyagĂ© un peu en business quand je suis allĂ© Ă  San Diego et puis ensuite pour aller Ă  Tel Aviv. C’était la premiĂšre fois de ma vie que je voyageais en business class donc je considĂšre ça comme un petit cadeau. Mais je ne me suis rien achetĂ© encore. J’essaie de garder la tĂȘte sur les Ă©paules et de ne pas m’emballer. 

 

C : Physiquement tu sembles enfin avoir trouvĂ© une certaine stabilitĂ© alors que jusque-lĂ , ta carriĂšre avait toujours Ă©tĂ© freinĂ©e par les blessures.

C.L. : J’ai un kinĂ© qui est basĂ© Ă  Paris que je vois rĂ©guliĂšrement et qui prend soin de moi. Ça me permet de repartir « requinqué » pour le prochain tournoi. D’ailleurs, mon but pour l’annĂ©e prochaine serait de voyager avec un kinĂ© sur plusieurs semaines pour travailler plus en profondeur. L’objectif, c’est aussi de pouvoir jouer encore longtemps, jusqu’à 35 ou 36 ans. Ce serait vraiment gĂ©nial parce que j’adore ça. GrĂące Ă  mon classement et au prize money des tournois ATP, maintenant je peux envisager de voyager avec un kinĂ©. Sur le circuit Challenger, Ă  moins d’avoir un sponsor, la question ne se posait pas. 

 

C : Il semble aussi que tu aies trouvĂ© de la stabilitĂ© dans ton entourage avec ton entraĂźneur Julien Varlet.

C.L. : Oui, ça se passe super bien avec lui Ă  la « French Touch Academy » oĂč je vais aller cet hiver pour prĂ©parer l’Australie. C’est vraiment une Ă©quipe de « mecs » adorables et compĂ©tents, je sens que je fais partie d’une famille, tout le monde est derriĂšre moi. C’est important de savoir qu’on a des personnes derriĂšre nous. Il y aussi ma copine LĂ©a qui est pour beaucoup dans ma rĂ©ussite. Elle m’a beaucoup aidĂ© Ă©motionnellement Ă  franchir le cap. Elle m’a accompagnĂ© pendant un an sur les tournois. Tout cet environnement m’a beaucoup aidĂ© Ă  entrer dans le top 100. 

C : Avec ces bons rĂ©sultats, tu as Ă©tĂ© un peu plus mĂ©diatisĂ©, est-ce que tu sens plus d’attention et de reconnaissance ? 

C.L. : Oui un petit peu. Bon, c’est sĂ»r que si je marche dans la rue, personne ne va me reconnaĂźtre (rires). Ce qui pourrait me faire connaĂźtre c’est de gagner des matches Ă  Roland-Garros ou Ă  Bercy. Mais pour l’instant, je ne suis pas encore connu du grand public. 

 

C : Quel joueur du top 10 aimerais-tu affronter ?

C.L. : J’aimerais bien jouer contre Nadal parce que c’est mon idole. Mais bon, je prĂ©fĂšre faire des matches contre des adversaires moins bien classĂ©s et les gagner, plutĂŽt que de tomber au premier tour contre un membre du top 10, mĂȘme si ce serait une bonne expĂ©rience. 

 

C : Tu as eu l’opportunitĂ© de servir de sparringpartner Ă  Roger Federer en 2018 Ă  DubaĂŻ. Peux-tu nous raconter cette expĂ©rience ?

C.L. : C’était un super souvenir, que je garde prĂ©cieusement. Roger avait demandĂ© deux Français pour s’entraĂźner pendant 3 semaines Ă  DubaĂŻ et la FFT nous avait fait ce cadeau avec Corentin Moutet car on avait fait une bonne saison. C’était incroyable de partager ses entraĂźnements pendant presque trois semaines. J’ai appris Ă  le connaĂźtre et c’est vraiment un mec en or, trop sympa. Il m’avait donnĂ© quelques conseils. 

 

C : Dans ta façon de jouer, assez crĂ©ative, on sent que tu as besoin de t’amuser sur le court. Est-ce que quand on est joueur professionnel on arrive encore Ă  voir le tennis comme un jeu ? 

C.L. : Pas trop, je le prends vraiment comme mon mĂ©tier. Parfois, il est bon de se rappeler qu’on joue Ă  un jeu. Mais on arrive Ă  un niveau oĂč il faut vraiment ĂȘtre sĂ©rieux, oĂč tout le monde a envie de gagner avant de s’amuser, avant de jouer. 

 

C : Tu es un adepte du service Ă  la cuillĂšre, quel est le secret pour rĂ©ussir ce coup ? 

C.L. : Le service Ă  la cuillĂšre, j’ai commencĂ© Ă  l’utiliser il y a 4 ans. C’est parti d’une blessure Ă  l’épaule qui m’a empĂȘchĂ© de servir Ă  plus de 160 km/h pendant trois ans. Il y a des moments oĂč ce coup m’a sauvĂ©. C’est un coup qu’il faut garder pour des moments prĂ©cieux, il ne faut pas en abuser. D’abord, il faut s’assurer avant de le faire que son adversaire est bien en position, sinon il peut prĂ©tendre qu’il n’était pas prĂȘt et le point doit ĂȘtre rejouĂ©. Il est plus facile de le tenter cĂŽtĂ© avantage. Il doit ĂȘtre le plus court et rasant possible pour que l’adversaire soit en bout de raquette obligĂ© d’aller au filet, puis on tire un passing ou un lob.

 

C : En dehors du court tu as une passion peu commune, la magie, d’oĂč vient-elle ? 

C.L. : J’ai toujours aimĂ© la magie. À l’ñge de 24 ans, j’ai eu une blessure et donc je suis restĂ© Ă  Paris pendant plusieurs mois. Je suis entrĂ© dans un magasin de magie et j’ai rencontrĂ© des magiciens qui m’ont dit : « Vas-y, montre-nous ce que tu sais faire. » Je tremblais, mais j’ai essayĂ© de faire un tour (rires). Ensuite les mecs m’ont emmenĂ© dans un cafĂ© et m’ont montrĂ© plein de trucs. LĂ , j’avais des Ă©toiles dans les yeux, je suis tombĂ© amoureux de la magie. Depuis ce jour, je n’ai jamais arrĂȘtĂ©.

 

C : Est-ce que tu trouves le temps de pratiquer ? 

C.L. : Avec une vie de joueur de tennis on a beaucoup de temps morts, dans les hĂŽtels, dans les transports, les aĂ©roports. Je trouve ça bien d’avoir un paquet de cartes dans la poche. On a le temps de s’exercer ou bien d’amuser la galerie, de faire plaisir aux copains. Je trouve ça trĂšs agrĂ©able. Ça me permet de me changer un peu les idĂ©es pendant les tournois. J’en ai fait un peu moins cette annĂ©e car j’ai Ă©tĂ© plus concentrĂ© sur mon tennis, mais je garde cette passion ; et pourquoi pas l’utiliser plus tard ?

 

C : D’ailleurs, est-ce que tu as parfois recours à la magie pour jouer des mauvais tours à tes adversaires ?

C.L. : J’ai Ă©tudiĂ© le mentalisme qui est une partie de la magie et ça m’a un peu aidĂ© Ă  lire mes adversaires au retour de service.  Oui, il y a deux ou trois trucs qui m’ont aidĂ© pour essayer de lire les zones. 

 

Est-ce que les autres joueurs connaissent ta passion pour la magie ?

C.L. : Oui, je suis connu dans le vestiaire pour mes tours de magie. Quasiment tous les joueurs le savent, j’ai fait pas mal de tours pendant les tournois. On m’appelle le magicien ! 

 

Article publié dans COURTS n° 13, automne 2022.

La lenteur

© Ray Giubilo

Madeleine, 6 ans, a dit un jour ceci : « Et si les Indiens avaient gagnĂ© la guerre contre les cowboys, la terre serait moins polluĂ©e  »

 

Au premier abord, on aurait tendance Ă  voir dans cette phrase une rĂ©flexion Ă  la candeur amusante, pourtant, elle interroge et est suffisamment sĂ©rieuse pour ĂȘtre citĂ©e dans Philosophie Magazine. Grosso modo, la pensĂ©e de la jeune fille est la suivante : si l’éthique amĂ©rindienne, dont l’un des principaux piliers Ă©tait la sobriĂ©tĂ© et la lenteur, avait pu vaincre la quĂȘte de dĂ©mesures, d’abondances et de vitesse de la sociĂ©tĂ© europĂ©enne, nous n’en serions peut-ĂȘtre pas arrivĂ©s Ă  ce point de non-retour sur la question Ă©cologique. On peut pousser la question de leur opposition philosophique jusqu’à sa limite la plus extrĂȘme : si les lentes incantations chamaniques des grands chefs Sioux avaient pu venir Ă  bout des dĂ©mons de la vitesse, aujourd’hui, le tennis serait sans doute le sport le plus regardé  Plus sĂ©rieusement, on peut constater que dans ce monde tournant de plus en plus vite, le tennis, qui lui, prend tout son temps, est simplement indispensable.

© Art Seitz

Les démons de la vitesse 

Le rythme de nos vies est effrĂ©nĂ©. Les dĂ©sirs et les besoins, pour la plupart factices, sont infiniment plus nombreux et le plaisir procurĂ© par le comblement de ces derniers est aussi Ă©phĂ©mĂšre que croissant. C’est une histoire frĂ©nĂ©tique sans fin, comme une soif qu’on n’arrive pas Ă  Ă©tancher. On n’a plus le temps. On n’a tellement plus le temps que pour le prendre, il faut prĂ©voir huit mois Ă  l’avance. Constamment en manque de temps, alors que le progrĂšs est censĂ© nous en avoir libĂ©rĂ©. C’est d’ailleurs l’un des plus grands paradoxes de l’ùre moderne : plus on gagne du temps, moins on en a. Alors on s’organise comme on peut dans un univers dĂ©jĂ  prĂ©-organisĂ© façon « Mon oncle » de Jacques Tati. On se dĂ©place dans sa plus ou moins petite boĂźte motorisĂ©e pour se rendre au boulot dans une plus ou moins grande boĂźte. Puis on retourne le soir dans sa maison, une Ă©niĂšme boĂźte, avec ou sans jardin, pour manger son repas en boĂźte et regarder une autre petite boĂźte dans laquelle on a souvent envie d’en distribuer. MalgrĂ© les tentatives des grandes instances tennistiques pour essayer de faire rentrer le tennis dans une de ces boĂźtes, en abolissant notamment la rĂšgle des deux jeux d’écart dans le cinquiĂšme set, celui-ci reste indomptable et parfaitement imprĂ©visible. 

 

Ralentir

Le sentiment d’urgence, parfaitement anxiogĂšne, dont nous sommes prisonniers et qui nous pousse Ă  accĂ©lĂ©rer la cadence de façon machinale tend Ă  disparaĂźtre dĂšs lors que l’on commence Ă  regarder un match de tennis. Il y a quelque chose de magique dans sa spĂ©cificitĂ© du rapport au temps. Pour le spectateur tout semble aller au ralenti. Sensation dĂ©cuplĂ©e lorsque le jeu se dĂ©roule sur ocre. À partir du moment oĂč les joueurs entrent sur le court, on remarque une certaine lenteur et un relĂąchement dans leur maniĂšre de bouger et de se dĂ©placer. Les Ă©changes sont souvent longs et entre chaque point jouĂ©, ou du moins, quasiment, ils s’en vont doucement dans le coin du terrain, en reprenant leur souffle, se saisir de leur serviette pour s’essuyer, mĂ©diter, cogiter
 Juste avant de servir. LĂ  encore, pour rĂ©ussir cet exercice aussi difficile qu’il est important, on prend gĂ©nĂ©ralement son temps. Un temps moyen situĂ© quelque part au milieu sur une Ă©chelle entre Roger Federer et Rafael Nadal. Les pauses sont frĂ©quentes. Une minute trente pour le repos lors des changements de cĂŽtĂ© qui ont lieu Ă  la fin de chaque jeu impair et deux minutes Ă  la fin de chaque set. Il y a aussi la fameuse pause pipi fixĂ©e rĂ©cemment Ă  cinq minutes aprĂšs les grosses polĂ©miques soulevĂ©es en 2021. 

La voix de l’arbitre est calme et articulĂ©e, le silence qui rĂšgne pendant les coups de raquette participe quant Ă  lui Ă  une sorte d’hypnose de masse semblable aux pouvoirs orchestraux des grandes chanteuses de jazz. Lorsque Nina Simone, le regard impĂ©rieux, dĂ©cidait d’arrĂȘter de jouer quelques secondes avant de reprendre, c’était pour capter l’attention d’un public quelque peu dissipĂ© ou faire taire le plus discret des chuchotements qui la dĂ©rangeait. Tout Ă  coup, l’atmosphĂšre s’intensifiait et les gens prĂ©sents dans la salle faisaient d’autant plus attention aux dĂ©tails les plus subtils. Comme pour le jazz, le tennis est d’une exigence absolue, tant pour les joueurs – exigences techniques, physiques et mentales – que pour les spectateurs. Le moindre petit bruit dans les tribunes peut engendrer une fausse note, un faux pas, la moindre petite inattention chez le spectateur peut lui faire louper un coup magistral. Il demande sans cesse l’ici et le maintenant de la prĂ©sence. Il nous incite Ă  reconstruire notre relation au temps, Ă  ralentir la cadence et par consĂ©quent, Ă  nous faire travailler notre concentration tout en Ă©duquant notre regard. 

© Ray Giubilo

Tennis Ă©ducation

De plus en plus d’études indiquent que le pourcentage des personnes atteintes de troubles de l’attention a augmentĂ© depuis l’avĂšnement du tout numĂ©rique. La « gĂ©nĂ©ration connectĂ©e » est naturellement la plus touchĂ©e par le phĂ©nomĂšne. ComplĂštement absorbĂ©e par sa tablette tactile, ou encore, son tĂ©lĂ©phone portable, vĂ©ritable prolongement du corps humain, elle est Ă  la fois ici et ailleurs mais plus ailleurs qu’ici. Les yeux rivĂ©s sur notre smartphone, on tweet et interagit dans un monde digital sans vraiment Ă©couter les personnes du monde rĂ©el. On cĂŽtoie parfois certaines choses sans vraiment les habiter, on emmagasine une quantitĂ© astronomique d’informations sans jamais avoir le temps de les creuser, les approfondir. Notre esprit est la plupart du temps embrumĂ©, mais, Ă©tant pris dans l’engrenage du rythme de nos vies, au lieu de ralentir le pas, on aura plutĂŽt tendance Ă  l’accĂ©lĂ©rer. Dans son roman La Lenteur, Milan Kundera dĂ©montre d’une superbe façon le lien trĂšs Ă©troit qu’il y a entre la vitesse et l’oubli : « Dans la mathĂ©matique existentielle cette expĂ©rience prend la forme de deux Ă©quations Ă©lĂ©mentaires : le degrĂ© de la lenteur est directement proportionnel Ă  l’intensitĂ© de la mĂ©moire ; le degrĂ© de la vitesse est directement proportionnel Ă  l’intensitĂ© de l’oubli. » C’est simple, plus on va vite et plus on oublie, au contraire, plus on ralentit et plus on se souvient. Ce qui explique notamment pourquoi les matchs de tennis qu’on a tendance Ă  retenir, et les plus mĂ©morables de l’histoire de ce sport, sont ceux qui ont Ă©tĂ© le plus disputĂ©s et qui ont durĂ© le plus longtemps.

C’est prĂ©cisĂ©ment le caractĂšre exigeant et totalement imprĂ©vu du tennis qui est aujourd’hui essentiel. La tĂ©lĂ©vision ou mĂȘme le cinĂ©ma nous offre de plus en plus de spectacles qui manquent de consistance, les Ă©missions et les films sont   formatĂ©s Ă  la sauce Netflix. Rythme filmique soutenu, sĂ©quences au ralenti façon blockbusters et mĂ©canique bien huilĂ©e basĂ©e sur un algorithme savamment Ă©tudiĂ©. D’ailleurs l’expression « Netflix and chill » est parfaitement Ă  propos, « regarder Netflix et se dĂ©tendre », voilĂ  comment on consomme le cinĂ©ma : dans la dĂ©tente et sans prise de tĂȘte. Évidemment, il est rare que cela dĂ©passe les 2 heures. Le tennis, c’est tout le contraire. Quand on regarde un match, on a besoin d’une implication quasi totale. Qui peut varier d’une heure trente aux plus de onze heures du Isner/Mahut, « Le Tango de Satan » de la petite balle jaune ! Et on a complĂštement tort de supposer qu’un match de tennis n’est pas narratif : c’est trĂšs souvent le contraire. On a vu passer pas mal de livres consacrĂ©s entiĂšrement Ă  des matchs mythiques, notamment le Coups de gĂ©nie de L. Jon Wertheim autour de la finale de Wimbledon 2008 entre Federer et Nadal. Ou plus rĂ©cemment Fedal : Federer – Nadal de RĂ©mi BourriĂšres et Christophe Perron, bouquin dĂ©crivant les 40 confrontations entre les deux lĂ©gendes.

De par son aspect dramaturgique, que ce soit dans ses rĂšgles ou dans sa forme, le tennis fait appel Ă  une quantitĂ© incroyable d’émotions. Et pourtant, le plus Ă©tonnant c’est qu’il n’a pas besoin de plans filmiques spectaculaires pour les transmettre. En effet, c’est un sport filmĂ© de maniĂšre extrĂȘmement simple. Aucune fainĂ©antise de la part des diffuseurs, simplement, un match de tennis ne pourrait pas ĂȘtre filmĂ© autrement. C’est le critique de cinĂ©ma Julien Lada qui en parle le mieux : « Le centre d’attention de l’image reste la balle, et non les joueurs. Impossible de filmer un vrai match de tennis en champ-contrechamp, Ă  une Ă©poque oĂč la balle va jusqu’à 250 km/h dans la raquette d’un Andy Roddick ou d’un Ivo Karlović. Impossible Ă©galement de faire faire Ă  la camĂ©ra ce fameux mouvement de balancier par lequel on caricature les mouvements de tĂȘte des spectateurs. On pourrait bien filmer par le haut, mais l’image aplatie ressemble dĂšs lors plus Ă  une partie de Pong en HD qu’à un match de Roland-Garros. Le seul choix restant, c’est celui de positionner la camĂ©ra dans le fond du court, avec pour seule fantaisie la possibilitĂ© de varier sa hauteur. » L’image ne pourrait ĂȘtre plus Ă©purĂ©e, on va encore une fois Ă  l’essentiel. Notre attention est focalisĂ©e sur la balle et c’est alors qu’on peut se dĂ©lecter de chaque frappe, et remarquer le moindre effet sur un slice de Roger Federer, mais aussi le changement de rythme sur une attaque en coup droit de Rafael Nadal ou encore toute la beautĂ© du revers une main de Richard Gasquet. 

Comme l’écrivait Nietzsche dans Par-delĂ  le bien et le mal : « La mesure nous est Ă©trangĂšre, reconnaissons-le ; notre dĂ©mangeaison, c’est justement la dĂ©mangeaison de l’infini, de l’immense. Pareils au cavalier emportĂ© par un coursier Ă©cumant, nous lĂąchons les rĂȘnes face Ă  l’infini, nous hommes modernes, nous, demi-barbares – et nous ne connaissons notre bĂ©atitude que lĂ  oĂč nous sommes aussi le plus exposĂ©s au danger. » Retrouver une certaine mesure et donc une certaine lenteur implique ainsi de construire une idĂ©e nouvelle de la « bĂ©atitude » et du « bonheur » humain, un bonheur qui pourrait bien trouver sa source dans les limites d’un court de tennis. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

 Non, non, rien n’a changé 

© Ray Giubilo


 tout, tout a continuĂ©. Nous ne sommes pas en 1971 et la Guerre du Vietnam est bel et bien terminĂ©e, mais un Ɠil distraitement jetĂ© au journal tĂ©lĂ©visĂ© du soir nous obligera Ă  admettre que ces paroles n’ont malheureusement pas pris une ride. Et surtout, avoir une chanson des Poppys bloquĂ©e dans la tĂȘte en mode repeat pendant au moins 48 heures aprĂšs avoir parcouru une bĂȘte chronique tennistique, ça n’a pas de prix, voyons. Ne nous remerciez pas, ça nous fait plaisir. Tiens, 48 c’est peut-ĂȘtre aussi le nombre de titres majeurs avec lequel Novak Djokovic finira sa carriĂšre aux environs de l’an 2043, moyennant quelques dĂ©chirures abdominales, douleurs Ă  la cuisse Ă  la guĂ©rison miracle, disqualifications et autres expulsions du territoire en cours de route, histoire de laisser l’illusion d’une chance Ă  ses faire-valoir. Et pourtant, le Serbe n’est pas uniquement le baobab qui cache une forĂȘt d’arbustes rachitiques drĂŽlement clairsemĂ©e en termes de continuitĂ© au sommet.

 

Car oui : tout, tout a continuĂ© malgrĂ© les apparences de changement vĂ©hiculĂ©es par la narration de Netflix et les quelques ajustements cosmĂ©tiques vendus comme des rĂ©volutions par les instances suprĂȘmes de la petite balle jaune. Prenez le cinquiĂšme set se terminant par un super tie-break en 10 points (oui, Danielle, 10 points, pas 7) Ă  Melbourne. On pourrait tout aussi bien jouer un set unique en 3 jeux no-ad gagnants avec un pierre-feuille-ciseaux en mort subite Ă  2 partout : Ă  partir du moment oĂč certains matchs dĂ©marrent aprĂšs 23 heures en premiĂšre semaine, le problĂšme de l’équitĂ© sportive reste entier pour ce qui restera de celui qui s’en sortira et devra enchaĂźner. Oui, mais vous comprenez, on a toujours fait comme ça, dixit Craig Tiley, docteur honoris causa Ăšs langue de bois. Tous aux abris, l’artillerie rhĂ©torique lourde est de sortie.

© Antoine Couvercelle

On a toujours fait comme ça, en effet. Que dire de l’éniĂšme sĂ©jour Ă  l’infirmerie du colosse aux articulations d’argile de Manacor ? On connaĂźt l’histoire, c’est peu ou prou la mĂȘme depuis 2005 : impasse sur le Sunshine Double, tornade de prĂ©dictions catastrophistes sur les Internets (laissons cela aux trolls de France et de Navarre, ils finiront bien par avoir raison sur ce point, Ă  l’usure), retour poussif en pleine saison de terre battue et quinziĂšme victoire Ă  Paris, raquette dans une main, bĂ©quille dans l’autre, perfusion d’antidouleurs au changement de cĂŽtĂ©. Au passage, Ă  l’instar de Dino Baggio (mieux vaut tard que jamais), un jour on se posera peut-ĂȘtre la question d’une nouvelle limite au niveau des produits autorisĂ©s ainsi que de leur danger sur le long terme, surtout lorsque l’un d’eux vous permet d’éliminer toute sensation dans l’un de vos membres pendant toute une quinzaine. Enfin probablement pas, on a toujours fait comme ça aprĂšs tout.

Ne reste plus qu’à s’occuper de l’élĂ©phant qui attend sagement dans un coin de la piĂšce depuis le dĂ©but de cette chronique. On veut Ă©videmment parler des vacances du pouvoir qui commencent Ă  sembler Ă©ternelles sur le circuit WTA. Celles qui existeraient d’ailleurs Ă©galement chez son Ă©quivalent masculin si ce qui est dĂ©sormais un Big Two ne jouait pas les prolongations. True Detective, vous connaissez ? C’est ce que le tennis fĂ©minin est devenu depuis une petite dizaine d’annĂ©es : une sĂ©rie dont chaque saison est un stand alone et met en scĂšne un casting complĂštement renouvelĂ© par rapport Ă  la prĂ©cĂ©dente. Le dernier Ă©pisode en date au moment de commettre ces lignes a Ă©tĂ© tournĂ© Ă  l’Open d’Australie avec la prĂ©sence de seulement trois membres du top 20 en quarts de finale (plus qu’une en demi-finales) et celle encore plus parlante de deux anciennes dĂ©tentrices du trophĂ©e en tout et pour tout au premier tour. Deux joueuses qui ont en plus rĂ©ussi l’exploit de s’y affronter directement, la faute Ă  leurs chutes respectives au classement. 

Les causes de ce vide intersidĂ©ral sont mul- tiples : le dĂ©clin puis la retraite (oui mais non, enfin peut-ĂȘtre pas) de Serena Williams, la santĂ© mentale (Ă  des degrĂ©s divers) de Naomi Osaka, Ashleigh Barty et Iga ƚwiątek, les trois seules vraies patronnes potentielles que le tour a connues depuis. Et peut-ĂȘtre aussi les attentes immĂ©diatement dĂ©mesurĂ©es produites par une seule performance complĂštement improbable, notamment en Grande-Bretagne et au Canada, mais surtout en Hexagone (encore une donnĂ©e immuable depuis une certaine couverture de Tennis Magazine en fĂ©vrier 1996) avec l’exemple rĂ©cent de Caroline Garcia, qu’un seul automne prometteur a suffi Ă  bombarder favorite (mĂ©diatique) Down Under avec le rĂ©sultat que l’on sait. 

En ce qui concerne notre perpĂ©tuelle surprise suivant l’apparition quatre fois par annĂ©e d’inconnues au bataillon dans le dernier carrĂ© d’un tournoi majeur (il va falloir finir par s’y faire), on pourrait encore citer le tristement cĂ©lĂšbre « monstre » que Roger Federer disait avoir crĂ©Ă© en 2008 pour l’expliquer. Celui qui nous a longtemps fait croire que trois cleptomanes en sĂ©rie qui escamotent toute l’argenterie de la crĂ©ation pendant presque 20 ans est de l’ordre de la normalitĂ©.

En espĂ©rant vraiment se vautrer lamentablement dans nos pronostics en trĂ©buchant sur la doublure trouĂ©e de notre manteau de Nostradamus du pauvre, on vous annonce donc qu’au dĂ©but du mois de janvier 2024, comme chaque annĂ©e, on s’enthousiasmera sur la formidable saison du renouveau qui nous attend, avec en toile de fond cette fameuse prise de pouvoir de la Next Gen (jamais la Current Gen, la faute Ă  la Forever Gen) que l’on prĂ©dit depuis des temps immĂ©moriaux (c’est-Ă -dire trĂšs loin dans le TsitsipassĂ© pour ceux qui ne suivent pas). Et on aura probablement encore faux sur toute la ligne de fond de court. Non, dĂ©cidĂ©ment, rien n’a changĂ©. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

Matija Pecotić

ou la folle histoire du « Tigre de Princeton »

En 2013 sortait au cinĂ©ma « Le Loup de Wall Street », le film de Martin Scorsese nominĂ© aux Oscars mettant en scĂšne Leonardo Di Caprio dans un rĂŽle de trader sans foi ni loi. La mĂȘme annĂ©e, Matija Pecotić, 24 ans, Ă  peu prĂšs l’ñge de Di Caprio lorsqu’il dĂ©barque Ă  Wall Street, il a d’ailleurs quelques airs de ressemblance, terminait son cursus universitaire Ă  Princeton, l’une des huit Ă©coles de la prestigieuse Ivy League aux États-Unis. En parallĂšle, puisqu’il est un jeune homme de beaucoup de talents, un surdouĂ©, il devenait le premier tennisman Ă  remporter trois annĂ©es de suite (2011, 2012, 2013) le titre de meilleur joueur de l’annĂ©e (Ivy League Player of the Year) parmi ces Ă©coles. Anima Sana in Corpore Sano, comme on dit. La tĂȘte et les jambes. Quelques mois plus tard, Novak Djokovic faisait appel Ă  ses facultĂ©s de gaucher pour l’échauffer avant d’affronter Rafael Nadal en finale de l’US Open 2013. En bref, l’avenir de Matija Pecotić semblait tout tracĂ©. BientĂŽt, les projecteurs du circuit ATP. Et puis les alĂ©as de la vie sont passĂ©s par lĂ . La maladie, dans son propre corps, puis dans le monde entier, avec la pandĂ©mie, ont retardĂ© ses rĂȘves. Presque 10 ans plus tard, alors qu’il pensait en ĂȘtre descendu pour toujours, le train de son destin est repassĂ©. TombĂ© au-delĂ  de la 700e place mondiale (mais avec un classement protĂ©gĂ© autour de la 330e), devenu entre-temps directeur financier en CDI dans une sociĂ©tĂ© d’investissement en Floride, Pecotić dĂ©pose une requĂȘte mi-fĂ©vrier 2023 pour entrer dans le tableau de qualifications de l’ATP 250 de Delray Beach, situĂ© Ă  30 minutes de ses bureaux de West Palm Beach. On ne sait jamais, sur un malentendu. Pour reprendre le prĂ©lude d’Eminem dans « Lose Yourself » :

Look, if you had one shot or one opportunity

To seize everything you ever wanted in one moment

Would you capture it, or just let it slip?

Le parcours de Matija Pecotić est une histoire de rĂ©demption comme dans les films – un exemple parmi tant d’autres qu’il n’est jamais trop tard, que l’on n’est jamais trop vieux. Mais reprenons depuis le dĂ©but


 

Bons baisers de Malte

NĂ© en 1989 Ă  Belgrade (ex-Yougoslavie) de parents croates, Matija Pecotić dĂ©mĂ©nage Ă  Malte Ă  l’ñge de trois ans. Il vient au tennis sur le tard (aprĂšs s’ĂȘtre essayĂ© au handball, une passion qui lui restera), dispute quelques tournois nationaux sans jamais sortir de l’üle. Jusqu’à 15 ans, il ne dispose d’aucun coach. De retour du travail, son pĂšre joue avec lui jusqu’à la tombĂ©e de la nuit. Ses parents sont stricts : le tennis, d’accord, mais tant que les rĂ©sultats scolaires sont bons. Ceux de Pecotić sont excellents. Au lycĂ©e, il sort major de sa promo en sciences Ă©conomiques et mathĂ©matiques. Il voit les choses en grand. Pecotić est le seul Ă©tudiant du pays (recensant alors 400 000 habitants) Ă  passer son SAT, un test d’entrĂ©e aux meilleures universitĂ©s amĂ©ricaines – ces derniĂšres permettant de combiner Ă©tudes et tennis. Perfectionniste, il s’envole en Bosnie pour passer le test une deuxiĂšme fois et obtenir le score le plus haut possible. ClassĂ© Ă  la 1046e place mondiale (il n’a alors disputĂ© que trois tournois Futures dans sa vie), Pecotić se filme Ă  l’entraĂźnement et passe « trois jours Ă  la Poste » – on espĂšre qu’elle est plus efficace qu’en France – pour envoyer un DVD Ă  toutes les universitĂ©s de Division I. Parmi elles, 75 lui rĂ©pon-dent. Il se dĂ©place pour les visiter en personne. Son rĂȘve amĂ©ricain prend forme. Pecotić finit par jeter son dĂ©volu sur Princeton, oĂč il espĂšre simplement ĂȘtre titulaire dans l’équipe de tennis. LĂ -bas, dans l’intimitĂ© du New Jersey, il va devenir une lĂ©gende.

© Beverly Schaefer / Princeton Men's Tennis

De Princeton Ă  Flushing

Avec Billy Pate, le coach de l’équipe, arrivĂ© un an aprĂšs lui, la relation est fusionnelle. « Il m’a dit : “Je m’en fiche de qui tu es, on commence avec une page blanche. Tu dois prouver ta valeur.” J’ai pris ça comme un challenge personnel. Je voulais lui montrer, qu’il soit fier de moi. » Dont acte. Avant chacun de ses matchs, il sacrifie Ă  deux rituels : celui d’imprimer une photo de son adversaire du jour sur une feuille A4, et d’écouter l’introduction de Mike Tyson avant son premier combat pour le titre mondial des poids lourds. Grand admirateur de Nadal, Pecotić se mĂ©tamorphose en tigre – l’emblĂšme de Princeton – dĂšs lors qu’il revĂȘt l’uniforme orange et noir. Une fois sorti du court, souvent en vainqueur, il barre la photo de sa victime d’une large croix rouge, comme celle d’un mis Ă  prix dont il aurait dĂ©crochĂ© la rĂ©compense de capture. Chasseur de primes Ă©mĂ©rite, Pecotić amassera jusqu’à 22 succĂšs consĂ©cutifs. Lors de sa saison senior, en 2012-2013, il atteint les 100 victoires en carriĂšre, une barre mythique dans les rangs collĂ©giaux. Personne ne l’avait franchie dans l’histoire centenaire de l’école. NumĂ©ro 2 du pays, le meilleur classement pour un joueur d’Ivy League depuis James Blake (Harvard) en 1999, Pecotić est Ă©lu pour la troisiĂšme annĂ©e consĂ©cutive Ivy League Player of the Year ; contre les sept autres Ă©coles qui composent ce prestigieux conglomĂ©rat, Pecotić achĂšve son cursus invaincu. À 24 ans, fraĂźchement diplĂŽmĂ© de l’une des quinze plus grandes Ă©coles au monde, un matelas de sĂ©curitĂ© dorĂ©, il est prĂȘt Ă  se laisser bercer par le chant des sirĂšnes.

Comble du Nadalien et du destin, c’est Djokovic, futur adversaire de Nadal en finale de l’US Open 2013, qui va le faire dĂ©finitivement changer de dimension. En quĂȘte d’un gaucher pour « imiter au plus prĂšs » le coup droit de l’Espagnol en guise de rĂ©pĂ©tition gĂ©nĂ©rale, le n°1 mondial entre en contact avec Pecotić, dont les origines serbes facilitent la rencontre. Le Tigre de Princeton avale la petite heure de route qui le sĂ©pare de New York. AprĂšs la sĂ©ance, au cours de laquelle il lui concĂšde deux sĂ©ries de tie-breaks, Djokovic confie Ă  Pecotić ĂȘtre admiratif de son coup droit, « l’un des meilleurs au monde ». Hyperbole de politesse, sĂ»rement. Il n’empĂȘche que Pecotić est sur le toit du monde. 50 Ă©tages au-dessus des courts de Flushing Meadows. Jusqu’ici, tout va bien


 

Life is a Beach

DĂ©but 2014, Pecotić se lance Ă  fond dans l’aventure du circuit ATP, dont il grimpe les Ă©chelons presque aussi vite que ceux de la NCAA. En septembre 2015, il bat un certain Matteo Berrettini (6-7 7-6 6-2) en finale d’un tournoi Futures en Turquie. En octobre, il dispute sa premiĂšre finale (perdue face Ă  Dudi Sela) en Challenger. En novembre, Ă  l’issue de sa deuxiĂšme saison en pro, il dĂ©croche son career-high : 205e. En janvier prochain, il rentrera directement dans le tableau de qualifications de l’Open d’Australie. Il n’est alors ĂągĂ© que de 26 ans. Pour l’instant, la partie de Tennis Manager se dĂ©roule Ă  merveille. On aurait presque envie d’en faire une sauvegarde, comme ça, au cas oĂč


Car l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage, il paraĂźt. À quelques semaines de prendre l’avion pour Melbourne, Pecotić subit une intervention chirurgicale lĂ©gĂšre Ă  l’estomac. Il attrape une saletĂ© de bactĂ©rie – une infection au staphylocoque, 36 points au Scrabble – qui l’obligera Ă  rester alitĂ© pendant huit mois. Il ne verra pas l’Australie avant l’annĂ©e suivante, oĂč il s’inclinera au premier tour des qualifications. MĂȘme sort Ă  l’US Open et Wimbledon. À Roland-Garros, il passe un petit tour (contre le Français GrĂ©goire BarrĂšre, futur 70e mondial) avant de prendre la porte. Et de la claquer pour de bon. 18 mois aprĂšs un dĂ©but avortĂ© Ă  la saison qui devait le propulser dans le top 100, Pecotić tire un premier trait sur sa vie rĂȘvĂ©e de joueur de tennis professionnel. Bien content de retomber sur son matelas dorĂ©, il se tourne Ă  nouveau vers les Ă©tudes. De ce cĂŽtĂ©-lĂ , tout ce qu’il touche se transforme effectivement en or : il passe son GMAT (examen d’entrĂ©e aux Ă©coles de commerce) Ă  l’étĂ© 2017 et dĂ©croche
 Harvard. Pecotić est ce stud aux yeux clairs et aux cheveux tĂ©nĂ©breux qui finit toujours avec la plus belle fille au bal de promo.

Dans le Massachusetts, le Croate, dĂ©sormais 28 ans, ne peut s’empĂȘcher de retoucher la raquette. Il se porte volontaire en tant qu’assistant-coach de l’équipe de tennis. ForcĂ©ment, les papillons dans le ventre ressurgissent – au figurĂ©, cette fois. La semaine de sa graduation, au printemps 2019, le stud part Ă  CancĂșn pour un Spring Break Ă  la sauce Pecotić. Un tournoi de tennis. Son premier en 22 mois. Qu’il gagne. Évidemment. Son deuxiĂšme diplĂŽme en poche, Pecotić dĂ©cide de remettre une piĂšce dans la machine. Un an Ă  Ă©cumer de nouveau tous les tournois du monde, en recommençant tout en bas de l’échelle – il n’a plus de classement protĂ©gé –, d’abord les 15 000$, puis les 25 000$, puis les Challengers… S’il n’est pas top 250 d’ici mai 2020, Pecotić se promet de raccrocher. Pendant dix mois, il joue « le meilleur tennis de sa vie », de son propre aveu. Sa quatriĂšme dĂ©cennie entamĂ©e, celle des annĂ©es 2010 dans le rĂ©troviseur, il part en Europe dĂ©but mars pour prendre part Ă  un tournoi Ă  Poreč, en Croatie, sur les terres de ses parents. Il passe les deux premiers tours mais ne disputera jamais le troisiĂšme. La pandĂ©mie de COVID-19 vient d’éclater. Pecotić est coincĂ© de l’autre cĂŽtĂ© de l’Atlantique, loin de son pays d’adoption. LaissĂ© Ă  quai, encore. Chienne de vie. Sa folle remontĂ©e s’achĂšve au 331e rang mondial. Le matelas dorĂ© est ressorti Ă  la hĂąte. En attendant d’hypothĂ©tiques jours meilleurs, Pecotić se met en tĂȘte de gagner confortablement sa vie. Il signe chez Wexford Capital, une sociĂ©tĂ© de fonds spĂ©culatifs et d’investissements immobiliers, dont une annexe est situĂ©e en Floride, Ă  West Palm Beach. ÉniĂšme mise Ă  jour de sa bio. « Life is a Beach. »

© Nicholas Estavillo / Tennis Panorama News

« Je peux poser mon aprĂšs-midi ? J’ai match sur le circuit ATP. »

Mais l’histoire de Matija Pecotić est celle du T-1000 dans Terminator, analogie utilisĂ©e par Goran IvaniĆĄević au sujet de Djokovic – « Vous savez, quand le gars liquide se fait tuer et ressuscite encore et encore. » Celle-ci s’applique pareillement Ă  Pecotić. Il aime le tennis Ă  en crever. Avant son « 9 Ă  6 » quotidien, il tape la balle avec son patron de 70 ans. DĂ©but 2021, avec l’aval de ce dernier, Pecotić repart Ă  l’assaut des « Chal’ » tant que son classement le lui permet. En Floride, d’abord, puis en Europe, sur ses congĂ©s. Sur la terre battue de Umag, en Croatie, lĂ -mĂȘme oĂč Carlos Alcaraz remportera son premier titre en juillet 2021, il reçoit une wild-card pour les qualifications en 2021 et 2022 ; les deux fois, il passe le premier tour avant de cĂ©der aux portes du tableau final (en 2022, il ne s’incline que 7-5 6-4 devant Corentin Moutet, 116e). Sa premiĂšre expĂ©rience sur le circuit ATP continue de se refuser Ă  lui. Et le temps passe, comme dans la chanson de Lukas Graham :

Once, I was 24 years old

Once, I was 28 years old

Soon, I’ll be 33 years old


Pour finir 2022, « l’annĂ©e du Tigre » dans le calendrier chinois, un signe, Pecotić reçoit une invitation pour participer – en tant que rĂ©serviste – à la nouvelle United Cup (compĂ©tition mixte inspirĂ©e de la Hopman Cup) en janvier 2023, Ă  Sydney. LĂ -bas, parmi ses coĂ©quipiers de l’équipe de Croatie, il cĂŽtoie Borna Coric, Ă©lu Comeback Player of the Year en 2022. Les deux Ă©changent. Pourquoi pas lui ? Le mois suivant, du 13 au 19 fĂ©vrier, un ATP 250 est organisĂ© Ă  Delray Beach, Ă  30 minutes de West Palm Beach. Avec dans le mĂȘme temps un autre tournoi 250 Ă  Buenos Aires et des Challengers Ă  Cherbourg, Ă  Chennai (Inde) et Ă  Manama (BahreĂŻn), et surtout son classement protĂ©gĂ© autour de la 330e place, activable sur une poignĂ©e de tournois, Pecotić a une toute petite chance de rentrer dans le tableau de qualifications. Le vendredi 10 fĂ©vrier au soir, il s’inscrit sur la liste d’attente et dĂ©pose ses raquettes Ă  corder. Le samedi matin, alors qu’il passe les rechercher pour aller jouer avec son patron, la superviseur le prĂ©vient qu’il « ferait bien de rester dans les parages ». Emoji clin d’Ɠil appuyĂ©. Trois minutes (!) avant le premier match, le dernier domino tombe : le Japonais Yosuke Watanuki, 112e mondial, vient de dĂ©clarer forfait, propulsant Pecotić dans le tableau pour y affronter l’AmĂ©ricain Stefan Kozlov, 222e. Au moment d’introduire Pecotić, le speaker, pas au courant du changement de derniĂšre minute, appelle Watanuki au micro. Pecotić prĂ©fĂšre en sourire. Son histoire, c’est celle du mec qui n’est jamais censĂ© ĂȘtre lĂ , toujours dans un temps de retard. Mais cette fois, pour trois minutes, il est Ă  l’heure de l’alignement des astres. Il Ă©clipse d’abord Kozlov (7-6 5-5, abandon), puis un autre AmĂ©ricain, Tennys Sandgren, 223e et double quart-de-finaliste Ă  l’Open d’Australie en 2018 et 2020, dans le match pour le tableau final (3-6 6-3 6-2). À 33 ans, voilĂ  Pecotić enfin Ă  portĂ©e d’oreille du fameux chant des sirĂšnes.

Pour ne rien gĂącher, exactement comme il l’avait pressenti avant le tirage et confiĂ© Ă  un ami, le genre de prĂ©diction qui passe une fois sur 100, il hĂ©rite de Jack Sock – ancien n°8 mondial – au premier tour, lui assurant ainsi de jouer le mardi soir sur le central de Delray. « Vainqueur de Wimbledon en double, ancien top 10, vainqueur de Bercy en simple
 Pour moi, c’est comme si c’était le match du titre », livre Pecotić. Une National 2 qui tire une Ligue 1 en souffrance en Coupe de France. Reste juste un dernier dĂ©tail Ă  rĂ©gler d’ici mardi
 « Patron, je peux poser mon aprĂšs-midi ? La raison ? Je vais disputer mon premier match ATP. »

 

Djokovic : « On se voit bientĂŽt sur le court, mon frĂšre »

Son e-mail « All » envoyé – « d’habitude, c’est pour annoncer qu’on va chez le dentiste » –, la photo de Sock peut-ĂȘtre prĂ©alablement imprimĂ©e en format A4 et punaisĂ©e au-dessus de son bureau, Tyson dans les oreilles, Pecotić s’avance sur le Center Court de Delray Beach, d’une capacitĂ© de 8 200 personnes, pour le rendez-vous de sa vie, le bal des occasions saisies. Il est nerveux, voit les quatre premiers jeux dĂ©filer (0-4) sous les yeux de son patron, assis dans son box. Et de Venus Williams. Et de
 Mike Tyson en personne, qui a Ă©lu rĂ©sidence en Floride, et dont la fille de 13 ans est un espoir national. Alors, Pecotić enclenche l’Ɠil du Tigre. Aux deuxiĂšme et troisiĂšme sets, il envoie tout valser (2-6 6-2 6-2) pour humilier Sock et devenir le deuxiĂšme joueur le plus ĂągĂ© (33 ans et 7 mois) depuis 1990 Ă  s’imposer sur le circuit ATP pour la premiĂšre fois. Pecotić jubile, hausse les Ă©paules, semblant ne pas y croire. Cela n’arrive pas qu’aux autres. En l’occurrence, cela n’arrive qu’à lui. Et cette fois-ci, le speaker a potassĂ©. « De nombreuses personnes ici ignorent que vous avez un job Ă  plein temps en dehors du tennis. Vous Ă©tiez sur Bloomberg [une chaĂźne TV couvrant l’actualitĂ© business] ce matin. Que vous faudrait-il pour devenir joueur de tennis professionnel Ă  plein temps ? Une victoire de plus ? Le titre ? » Et Pecotić de rĂ©pondre : « Je ne sais pas, je crois qu’il faudrait demander au public. Est-ce que je devrais me redonner une nouvelle chance ? » Leur rĂ©ponse est sans Ă©quivoque. « Yeahhhhh ! » De retour aux vestiaires, Pecotić envoie un texto Ă  son ancien coach de Princeton, Billy Pate : « House money xxx. » Trois croix pour ses trois adversaires battus. Comme Ă  la belle Ă©poque.
Ne jamais oublier d’oĂč l’on vient.

Du soir au lendemain, Matija Pecotić devient une star mondiale, une feel-good story d’ordinaire rĂ©servĂ©e aux affabulateurs de LinkedIn. La twittosphĂšre s’embrase pour ce hĂ©ros qu’elle ne connaissait pas au rĂ©veil ; Tennis TV compile une vidĂ©o retraçant son parcours, qui restera Ă©pinglĂ©e sur leur compte pour le restant de la semaine. La dĂ©faite de Pecotić au deuxiĂšme tour contre le n°55 mondial Marcos Giron – un autre produit du systĂšme universitaire, les deux s’étaient d’ailleurs briĂšvement connus – est anecdotique (6-3 6-3). Entre-temps, il Ă©tait retournĂ© travailler, le mercredi, essayant tant bien que mal de se concentrer sur « une rĂ©union de quatre heures balayant 43 projets diffĂ©rents ». La tĂȘte dĂ©jĂ  ailleurs, on l’imagine. Le jeudi soir, son portable vibre encore : « @djokernole vous a taguĂ© dans sa story ». La boucle est bouclĂ©e, 10 ans aprĂšs. « Matija, mon frĂšre ! Tu n’es pas encore fait pour la vie de bureau. On se voit bientĂŽt sur les courts ;-) »

Un jour pas si lointain, il a dĂ©jĂ  33 ans, et nous sommes dĂ©jĂ  en 2023, Pecotić dira stop. Pour toujours. Pour l’instant, qu’on se le dise : de retour sur les courts de ses premiĂšres amours, aprĂšs trois longues annĂ©es Ă  fantasmer les chiffres du tableau de score Ă  travers ceux de ses tractations financiĂšres, « Le Tigre de Princeton » is not f*cking leaving. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

Du tennis sur Netflix ?

LumiÚres, Caméra, Bénédiction

Break Point. Thanasi Kokkinakis and Nick Kyrgios in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023

Toudouuuuuuum ! En lançant sa nouvelle sĂ©rie Break Point – adaptation tennistique de l’immense succĂšs Drive to Survive pour la Formule 1 – la semaine prĂ©cĂ©dant l’Open d’Australie, Netflix avait tout prĂ©vu
 sauf la glorieuse incertitude du sport, particuliĂšrement espiĂšgle dans l’univers de la balle jaune, faut-il croire. Toutes balayĂ©es avant mĂȘme le tournoi, sur blessure, ou avant d’assumer leurs rangs de tĂȘte de sĂ©rie respectifs, les 10 tĂȘtes d’affiche triĂ©es sur le volet sont tombĂ©es sur l’autel de la « Netflix Curse » [la malĂ©diction de Netflix], façon And Then There Were None, le roman policier d’Agatha Christie, laissant les potentiels nĂ©o-fans dĂ©pourvus de leurs feuilletons en dĂ©veloppement alors mĂȘme que le fer chaud Ă©tait prĂȘt Ă  ĂȘtre battu. Erreurs de casting ? Sans doute, pour certains. Erreurs de contextualisation, de hiĂ©rarchisation des histoires ? SĂ»rement. Toujours est-il qu’en Ă©largissant Ă  l’horizon moyen-terme – une deuxiĂšme saison est d’ores et dĂ©jĂ  en production –, l’investissement de Netflix dans le tennis est une bouffĂ©e d’air frais pour un sport asphyxiĂ© en septembre 2022 par la retraite de deux de ses quatre superstars du XXIe siĂšcle, Roger Federer et Serena Williams, et dont les deux autres, Rafael Nadal et Novak Djokovic, continuent Ă  35 ans passĂ©s d’accaparer toute la bande passante et les titres en Grand Chelem. Quatre costumes de super-hĂ©ros encore beaucoup trop grands pour la nouvelle garde, trop peu identifiable car pas assez starifiĂ©e, justement. Entre ici, Netflix
 Le futur du tennis et le renouvellement tant attendu de son audience sont peut-ĂȘtre au prix de 8,99€ par mois – et de quelques traits de maquillage rouges et noirs sur la rĂ©alitĂ©.

 

Les histoires sont tout aussi (voire plus) importantes que le jeu

DĂ©faisons d’entrĂ©e un lieu commun : le temps d’att-
ention des jeunes d’aujourd’hui serait en chute libre, rendant le produit tennis – lent par nature, et d’une durĂ©e inconnue Ă  l’avance – incompatible avec son Ă©poque. Rien ne sert de persĂ©vĂ©rer, donc. Mais pourquoi pourraient-ils binge-watcher une sĂ©rie de 10 Ă©pisodes d’une heure, et pas un match en Grand Chelem de moitiĂ© moins ? Non, ce qui compte, ce sont les histoires : les « points d’entrĂ©e », sortes de petits pontons qui mĂšnent tous Ă  l’ülot central, celui des fans hardcore. L’important, ce n’est pas le sport en lui-mĂȘme, ce sont ses protagonistes – et son environnement.

Liberty Media, l’entreprise amĂ©ricaine de mĂ©dias ayant acquis la Formule 1 fin 2016, l’a bien compris en accordant un badge full access Ă  Box to Box Films, la sociĂ©tĂ© de production de Drive to Survive, dĂšs la saison 2018. Objectif : ouvrir Ă  fond les vannes, en montrant l’envers d’un dĂ©cor qui avait fortement perdu de son lustre depuis l’époque rouge vif Michael Schumacher/Ferrari (jusqu’en 2006), et en axant le storytelling autour des pilotes davantage que la course en elle-mĂȘme, relĂ©guĂ©e au second plan. À l’ùre de l’influence, l’humain est roi. Interviews « confessionnal » sur fond noir, sĂ©quences sans filtre dans l’intimitĂ© des pilotes et des team principals, Ă©rigĂ©s en piĂšces maĂźtresses du jeu : Netflix (rĂ©)invente un genre, celui de la tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© de sport, oĂč la course se gagne hors des chicanes et dans laquelle on se prend d’affection pour les participants indĂ©pendamment des vainqueurs.

Qu’importe si le sentiment d’authenticitĂ© est parfois faussĂ© pour l’intĂ©rĂȘt des bonnes feuilles de scĂ©nario Ă©crites Ă  l’avance, avec des rivalitĂ©s crĂ©Ă©es de toutes piĂšces – Lando Norris et Carlos Sainz, meilleurs amis chez McLaren, l’ont appris Ă  leurs dĂ©pens – pour maintenir le spectateur en haleine. Ce qu’a gagnĂ© Drive to Survive en popularitĂ©, elle a fini par le perdre en froissant Max Verstappen, hĂ©ritier dĂ©signĂ© au trĂŽne de Lewis Hamilton : pendant quatre saisons, le NĂ©erlandais a pris la dĂ©cision de ne pas se plier aux interviews, seul pilote de la grille dans ce cas (avant de faire son grand retour en 2022, une fois aurĂ©olĂ© de son premier titre de champion). ConsĂ©quence fĂącheuse, nĂ©anmoins : pour le climax de la saison 2021, dĂ©cidĂ©e dans le dernier tour de la derniĂšre course, Ă  Abu Dhabi, Netflix n’a pu compter que sur la perspective du septuple champion du monde dĂ©chu
 et celle du team principal de Verstappen, Christian Horner, bien plus Ă  l’aise avec la surdramatisation.

La machine reste cependant bien huilĂ©e, et les chiffres sont Ă©loquents : l’ñge moyen des fans de Formule 1 a diminuĂ© de 36 Ă  32 ans entre 2017 et 2022 ; sur la mĂȘme pĂ©riode, l’audience moyenne d’un Grand Prix aux États-Unis a doublĂ© de 500 000 Ă  1 million ; la sociĂ©tĂ© de mesure d’audience Nielsen projetait dĂ©but 2021 1 milliard de fans sous deux ans. Chez les Millenials (gĂ©nĂ©ration 1981-1996) et mĂȘme la gĂ©nĂ©ration Z (1997-2012), il y a fort Ă  parier que plusieurs de vos amis vous aient dĂ©jĂ  parlĂ© des beaux yeux de Charles Leclerc ou du sourire Colgate de Daniel Ricciardo, du siĂšge Ă©jectable de deuxiĂšme pilote Red Bull aux cĂŽtĂ©s de Verstappen, du cost cap (la limite de dĂ©penses qu’une Ă©curie peut effectuer en une annĂ©e) mis en place en 2021 et enfreint dĂšs l’annĂ©e suivante par Red Bull, toujours eux, de la stratĂ©gie dĂ©faillante de Ferrari et Mattia Binotto, des perspectives de la future collaboration (cohabitation ?) entre Esteban Ocon et Pierre Gasly chez Alpine, etc.

L’abondance de points d’entrĂ©e – superficiels ou techniques – pousse presque chaque semaine des millions de personnes en France (moi y compris, et c’est entiĂšrement grĂące Ă  Drive to Survive) Ă  monter le volume et Ă  se retrouver au premier virage le dimanche aprĂšs-midi. Pour Netflix, tous les Ăźlots mĂšnent Ă  Rome (ou plutĂŽt Ă  Monza), comprenez aux hardcore fans.

Break Point. Ons Jabeur and her mother in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023
Break Point. Matteo Berrettini in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023

Dans le tennis encore plus qu’ailleurs, choisir, c’est renoncer
 et se tromper

Forts de leur Queen’s Gambit sur l’asphalte, les stratĂšges de Netflix ont Ă©tendu leur Ă©chiquier en 2022 aux courts en dur, terre battue et gazon. On prend les mĂȘmes ingrĂ©dients et on recommence
 Mais le modĂšle F1 est-il seulement reproductible dans le tennis, infiniment plus disparate en lieux et en acteurs ?

LĂ  oĂč le paddock Ă©volue en circuit fermĂ© (sans mauvais jeu de mots), avec les 20 mĂȘmes pilotes tout au long de l’annĂ©e, les tours ATP et WTA emploient plus d’un millier de joueurs, dont plusieurs centaines de professionnels. Sur qui braquer les camĂ©ras, donc ? Raconter une bonne histoire oblige Ă  suivre son protagoniste sur le temps long et Ă  espĂ©rer qu’il obtienne un rĂ©sultat qui se transforme en Ă©pisode dĂ©diĂ©. DĂšs lors, avec une quantitĂ© de footage jusqu’à trois fois supĂ©rieure Ă  la Formule 1, rĂ©duire le cercle Ă  une quinzaine de joueurs est apparu comme une nĂ©cessitĂ©. Mais choisir, c’est renoncer
 et se tromper. Puisque le Big 3 (Roger Federer, Rafael Nadal, Novak Djokovic) et Serena Williams Ă©taient selon toute vraisemblance inatteignables, tous travaillant par ailleurs sur leurs propres projets (ayant contactĂ© leurs agents pour mon livre sur le Big 3, j’en sais quelque chose), Netflix a pris le pari osĂ© de la jeunesse, misant sur celles et ceux censĂ©s prendre leur relĂšve dans un futur de prĂ©fĂ©rence proche.

Pour la premiĂšre partie de saison (jusqu’à Roland-Garros) ont ainsi Ă©tĂ© castĂ©s, dans l’ordre d’apparition, les BFFs Nick Kyrgios et Thanasi Kokkinakis (Ă©pisode 1) ; les futurs ex-amants Matteo Berrettini – seul finaliste en Grand Chelem Ă  l’heure du tournage – et Ajla Tomljanović (Ă©pisode 2) ; le numĂ©ro 1 amĂ©ricain Taylor Fritz ; les ex ou futures top 5 WTA Maria Sakkari (Ă©pisode 3), Paula Badosa et Ons Jabeur (Ă©pisode 4) ; et enfin les top 10 ATP FĂ©lix Auger-Aliassime et Casper Ruud (Ă©pisode 5). Doyens de cette joyeuse colonie de vacances : Kyrgios et Sakkari, 26 ans. La promesse de jeunesse est bien respectĂ©e.

(Arriveront dans la deuxiĂšme partie : Iga ƚwiątek, Stefanos Tsitsipas, Aryna Sabalenka, Frances Tiafoe, et Sloane Stephens. À ce propos, pourquoi de ne pas avoir dĂ©voilĂ© les 10 Ă©pisodes en mĂȘme temps pour dĂ©livrer le produit le plus fort possible en une seule fois ?)

(DeuxiĂšme aparté : le casting des consultants – Andy Roddick, Maria Sharapova, Patrick Mouratoglou, Courtney Nguyen – est excellent !)

Comme attendu, les sĂ©quences les plus mĂ©morables sont celles qui se dĂ©roulent en dehors du court. L’humain en maĂźtre mot, toujours, et quatre grosses ficelles parfaitement tirĂ©es Ă  la Being John Malkovich :

L’amour, avec Berrettini et Tomljanović , qui nous ouvrent leur quotidien de couple itinĂ©rant et les petits tracas qui vont avec – comment l’un peut-il gĂ©rer une interview en visio-confĂ©rence Ă  8h du matin quand l’autre a prĂ©vu une grasse matinĂ©e pour rĂ©cupĂ©rer de son match de la veille ? –, tracas qui mĂšneront directement ou non Ă  leur rupture (non Ă©voquĂ©e par Netflix) quelques mois plus tard, et avec Jabeur, dont la conversation candide avec son mari sur son dĂ©sir de devenir mĂšre aprĂšs sa carriĂšre nous arrache quelques larmes ;

La polĂ©mique, avec Kyrgios, dĂ©peint en Ă©ternel bad boy incompris, surtout par lui-mĂȘme, qui trouve sa rĂ©demption aux cĂŽtĂ©s de sa petite amie Costeen Hatzi et de son meilleur ami Kokkinakis (avec qui il remporte l’Open d’Australie en double), et avec Auger-Aliassime, bien malgrĂ© lui au centre d’un dĂ©bat moral en marge de son huitiĂšme de finale Ă  Roland-Garros : Toni Nadal, Ă  la fois coach de FAA et « oncle de », aurait-il dĂ» se mettre en porte-Ă -faux avec Rafa Ă  l’heure d’un conflit d’intĂ©rĂȘt qu’il avait miraculeusement rĂ©ussi Ă  Ă©viter depuis trois ans ?

La vulnĂ©rabilitĂ©, avec Badosa, militante de la santĂ© mentale, numĂ©ro 2 mondiale ayant fait appel Ă  une psychothĂ©rapeute (comme Iga ƚwiątek, la numĂ©ro 1) et dont on ne peut qu’admirer la fragilitĂ© face camĂ©ra, et Ruud, primo-finaliste en Grand Chelem pris dans un immense tourbillon – une immense Rafa – dans le couloir menant au Court Philippe-Chatrier quelques instants avant la finale de Roland-Garros, finale qu’il traversera comme un fantĂŽme (Casper, vous l’avez ?) ;

Le succĂšs/l’échec, avec Fritz, California Kid vainqueur sur une jambe de « son » Masters 1000 d’Indian Wells contre
 Nadal – omniprĂ©sent dans la sĂ©rie sans jamais l’entendre une seule fois –, et Sakkari, candidate autodĂ©signĂ©e au trĂŽne du tennis fĂ©minin, mais Ă©ternellement courte dans les grands rendez-vous.

Alors, oui, l’opĂ©ration communication fait effet : on a envie d’aller dĂ©guster une assiette de charcuterie italienne chez les grands-parents de Berrettini Ă  Rome ou un tajine chez la maman de Jabeur Ă  Tunis, de revisiter les souvenirs d’enfance d’Auger-Aliassime Ă  MontrĂ©al ou Ă  LomĂ©, ou encore de passer 24 h dans la lumiĂšre de Badosa Ă  Madrid. Surtout, par extension, on a envie de suivre leurs futurs exploits sur les courts
 et c’est lĂ  que le bĂąt blesse : un bon feuilleton, c’est un feuilleton que l’on prolonge dans le monde rĂ©el. Si le spectaculaire fiasco simultanĂ© du « club des 10 » en Australie relĂšve davantage de la malheureuse coĂŻncidence que d’une supposĂ©e malĂ©diction, plusieurs personnages centraux du tennis en 2022 brillent par leur absence – au point de finir d’entacher la crĂ©dibilitĂ© de la sĂ©rie. Iga ƚwiątek, d’abord, auteure de la plus longue sĂ©rie d’invincibilitĂ© chez les femmes au XXIe siĂšcle (37 victoires) entre Doha et Roland-Garros, mais seulement suivie par les camĂ©ras de Netflix Ă  partir de Wimbledon
 Comment ne pas avoir rectifiĂ© le tir plus rapidement ? Carlos Alcaraz, ensuite, premier teenager n°1 mondial de l’histoire aprĂšs son titre Ă  l’US Open, dont le parcours exceptionnel pour dĂ©crocher son deuxiĂšme Masters 1000 Ă  Madrid (victoires sur Nadal en quarts, Djokovic en demies et Alexander Zverev en finale), pourtant pressenti dĂšs Miami, oĂč il avait brillamment remportĂ© le premier, est Ă©galement passĂ© sous silence. Quid de Ash Barty, reine partie Ă  la retraite avec sa couronne aprĂšs Melbourne, autre Ă©vĂšnement majeur – si ce n’est l’évĂšnement majeur – de la premiĂšre partie de saison dont il n’est jamais fait mention, ou de Daniil Medvedev, briĂšvement devenu n°1 mondial fin fĂ©vrier, et dont la finale perdue contre Nadal a eu un effet papillon incommensurable sur tout le reste de l’annĂ©e ?

En tapant un peu Ă  cĂŽtĂ© dans le choix des protagonistes, et en ne s’adaptant pas Ă  la rĂ©alitĂ© du terrain tout en omettant (volontairement ?) de la contextualiser, Netflix commet un double pĂ©chĂ© aux yeux des nĂ©o-fans, qui dĂ©couvriront tĂŽt ou tard le pot aux roses et iront chercher ailleurs la matiĂšre sur les « vrais » acteurs principaux – ce que Full Swing, la petite sƓur de Break Point sur le golf, a par ailleurs parfaitement rĂ©ussi en suivant trois des quatre futurs vainqueurs en Majeur (Scottie Scheffler, Justin Thomas et Matt Fitzpatrick) en 2022.

Break Point. Paula Badosa in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023
Break Point. Felix Auger-Aliassime in Break Point. Cr. Courtesy of Netflix © 2023

Full Swing, l’exemple à suivre

Il paraĂźt nĂ©anmoins que c’est l’intention qui compte et que chaque petit mouvement en entraĂźne un autre, et si corrĂ©lation n’est pas nĂ©cessairement causalitĂ©, force est de constater que le tennis a connu un grand boom lors de l’Open d’Australie. PrĂšs d’un million de visiteurs – record absolu du tournoi – se sont pressĂ©s dans les allĂ©es de Melbourne Park ; les rĂ©seaux sociaux des joueurs ont profitĂ© du coup de projecteur, ceux de Paula Badosa en tĂȘte (+ 78 000 abonnĂ©s sur Instagram entre le 13 janvier, date de sortie de la sĂ©rie, et le 13 fĂ©vrier, et cela sans mĂȘme poser le pied Ă  Melbourne pour cause de blessure) ; enfin, Ă  titre personnel, pour ce que cela vaut, mes tweets ont connu un nombre record d’impressions sur l’ensemble de la quinzaine, plus de 20 millions, avec une viralitĂ© dĂ©passant de loin le cadre habituel de « Tennis Twitter ». L’effet Netflix, sans aucun doute.

Pour ce papier, j’ai recueilli le tĂ©moignage de Tom, un Anglais de 22 ans qui, aprĂšs avoir terminĂ© Break Point, a commencĂ© Ă  suivre les comptes des « insiders » tennis et s’est abonnĂ© Ă  Eurosport pour suivre l’Open d’Australie. Il me confiait avoir Ă©tĂ© particuliĂšrement sensible Ă  l’histoire de Ons Jabeur, indĂ©niablement le coup de cƓur de la sĂ©rie pour une majoritĂ© de personnes – Patrick Mouratoglou le thĂ©orisait trĂšs justement : la plupart des joueurs du circuit ont une personnalitĂ© singuliĂšre qui gagnerait Ă  ĂȘtre mieux connue –, et captivĂ© par la dramaturgie autour de Toni Nadal, preuve s’il en fallait que le monde du tennis n’est pas nĂ©cessairement ennuyeux, simplement mal racontĂ©.

Pour les cinq prochains Ă©pisodes, de Wimbledon jusqu’au Masters de fin d’annĂ©e, Tom m’a dit se rĂ©jouir d’avance des behind the scenes de Kyrgios Ă  Wimbledon – une source interne me disait que des camĂ©ras l’avaient suivi pour une sortie mĂ©mo- rable en boĂźte de nuit aprĂšs sa finale perdue contre Djokovic – et de « tout ce qu’il est possible d’avoir » sur Alcaraz (dont il a bien saisi qu’il Ă©tait le futur du tennis), c’est-Ă -dire
 pas grand-chose, n’ayant pas Ă©tĂ© interviewĂ©. TL;DR : Netflix a beau exceller en storytelling, encore faut-il raconter les bonnes histoires, et ne pas (trop) s’éloigner de la vĂ©ritĂ© des courts


Revenons donc Ă  Full Swing. LĂ  oĂč Break Point se concentre sur une seule dĂ©mographie (les jeunes ambitieux ĂągĂ©s de 22 Ă  26 ans), et cela sans rĂ©ussir Ă  attirer les meilleurs dans cette tranche d’ñge chez les hommes (Stefanos Tsitsipas, Daniil Medvedev et Alexander Zverev), Full Swing prend le pari Ă  mon sens bien plus intelligent de la diversitĂ©. Des jeunes loups, d’accord, mais les leaders (Scottie Scheffler, Matt Fitzpatrick, Collin Morikawa) ; des rookies qui dĂ©butent sur le tour (Mito Pereira, Sahith Theegala) ; des vainqueurs en Grand Chelem dĂ©jĂ  affirmĂ©s (Dustin Johnson, Jordan Spieth, Justin Thomas) ; des personnages en marge du systĂšme par leur parcours de vie (Joel Dahmen, Tony Finau) ou par leur dĂ©cision de quitter le PGA Tour pour la LIV League (Ian Poulter) ; enfin et surtout, Rory McIlroy, l’un des deux principaux visages du golf (avec Tiger Woods, dont l’historique est trĂšs bien contextualisĂ©, Ă  dĂ©faut de l’entendre directement en interview). Un casting cinq-Ă©toiles qui dĂ©livre une image exhaustive du paysage du golf, quand la sĂ©rie sur le tennis donne l’impression d’une bulle artificielle oĂč l’on n’a pas forcĂ©ment de personnages auxquels s’identifier car « tous les mĂȘmes », et oĂč 50 % du travail d’information reste Ă  faire par soi-mĂȘme (sans mĂȘme parler des scĂšnes de tennis, qui tombent relativement Ă  plat). Sublimer la rĂ©alitĂ©, oui ; la transformer, non.

Allez, assez parlĂ©, je me mouille. Voici le casting de 15 joueurs que je rĂ©unirais pour la saison 2023 de Break Point (joueurs n’ayant pas Ă©tĂ© filmĂ©s en 2022, et en excluant Nadal/Djokovic) :

Jeunes ambitieux/rookies (23 ans ou moins) : Carlos Alcaraz, Elena Rybakina, Emma Raducanu, Coco Gauff, Holger Rune, Ben Shelton, Qinwen Zheng et Daria Kasatkina

Joueurs bien installĂ©s et dans diffĂ©rentes phases de leurs carriĂšres (24-29 ans) : Daniil Medvedev, Andrey Rublev, Dominic Thiem et Caroline Garcia

Anciens vainqueurs en Grand Chelem vĂ©tĂ©rans (30 ans ou plus) : Victoria Azarenka, Andy Murray et Stan Wawrinka

(IndiscrĂ©tion : Caroline Garcia et Holger Rune sont d’ores et dĂ©jĂ  suivis pour la premiĂšre partie de saison 2023. Avec ou sans eux, amusez-vous Ă  imaginer votre propre casting de 15 joueurs et joueuses, avec si possible des synergies entre eux !)

MalgrĂ© ces bĂ©mols, et un soufflĂ© largement retombĂ© Ă  l’heure d’Indian Wells/Miami, l’arrivĂ©e de Netflix dans l’univers du tennis est indĂ©niablement un grand pas en avant dans le traitement de ce sport. Tous les ingrĂ©dients sont lĂ  pour que ça fonctionne, c’est une certitude. Je ne fais pas partie du camp des pessimistes – ni sur l’avenir du tennis aprĂšs le Big 3 + Serena Williams, ni sur la capacitĂ© de ce sport Ă  attirer un nouveau public (si la Formule 1 et le golf m’ont conquis Ă  travers Netflix, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas du tennis, un sport objectivement plus « sexy »). Reste donc Ă  raconter de meilleures histoires, et plus diverses, pour multiplier les potentiels points d’entrĂ©e. Reste Ă  mieux caster, en somme. Netflix, si vous cherchez quelqu’un
 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

« Battre Nadal sur terre battue, c’est le dĂ©fi ultime du tennis »

© Ray Giubilo

À coups d’arguments percutants qu’ils s’envoient sur la caboche en cherchant le K.O. oratoire, bons nombres d’amateurs de tennis se castagnent quant Ă  l’identitĂ© du G.O.A.T. Si le dĂ©bat reste sans fin, celui en rapport avec le meilleur joueur de tous les temps sur terre battue laisse moins de place Ă  l’incertitude. Pour la grande majoritĂ©, Rafael Nadal a mis la concurrence au tapis. GrĂące Ă  des aptitudes ayant fait de lui ce qui se rapproche le plus – sans l’atteindre, Ă©videmment – de l’invincibilitĂ© sur une surface.

 

Vaincre le lion de NĂ©mĂ©e et son cuir impĂ©nĂ©trable, terrasser l’hydre de Lerne et ses tĂȘtes repoussant au double ou encore capturer CerbĂšre, le gigantesque chien-monstre polycĂ©phale gardant l’entrĂ©e des Enfers. Pour ses douze travaux imposĂ©s, Hercule a dĂ» accomplir des tĂąches inhumaines ; une chance qu’il soit nĂ© demi-dieu. Un peu comme si on avait demandĂ© Ă  Nick Kyrgios de contenir son tempĂ©rament volcanique pour l’empĂȘcher d’entrer en Ă©ruption aprĂšs une erreur arbitrale, ou de louer le tennis de Casper Ruud. Si le hĂ©ros grec passait du mythe Ă  la rĂ©alitĂ© pour vivre Ă  notre Ă©poque, on pourrait s’amuser Ă  lui trouver un pensum Ă  la hauteur de sa lĂ©gende. Tenter de rivaliser avec le sens du trick shot et du spectacle de Kyrgios, par exemple. Plus ardu encore : devoir battre Rafael Nadal sur terre battue, a fortiori en trois manches gagnantes.

« Que ressent-on quand on affronte Nadal Ă  Roland-Garros ? J’ai eu l’impression d’ĂȘtre perdu dans le Sahara, avec des dunes sans fin Ă  l’horizon, sans eau ni nourriture. » En 2006, Kevin Kim, ancien 63e joueur mondial Ă©crabouillĂ© 6/2 6/1 6/4 au deuxiĂšme tour, avait lĂąchĂ© cette image aprĂšs avoir vĂ©cu l’expĂ©rience d’un match contre le surnommĂ© « Rafa » sur la brique pilĂ©e parisienne. Et encore, Ă  cette Ă©poque, ce dernier Ă©tait loin du monument, dĂ©sormais statufiĂ© dans le stade de la porte d’Auteuil, qu’il allait devenir. Son mythe ne contenait alors qu’un seul chapitre. Au moment de ces mots, l’Espagnol, qui fĂȘtait ses 20 ans le lendemain, ne comptait « qu’un » titre du Grand Chelem. Celui conquis dans la capitale française l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, dĂšs sa premiĂšre participation. Mais par ses rĂ©sultats, il s’était dĂ©jĂ  imposĂ© en « ogre de l’ocre » Ă  l’appĂ©tit gargantuesque.

AprĂšs sa dĂ©faite face Ă  GastĂłn Gaudio Ă  Buenos Aires en fĂ©vrier 2005, il avait remportĂ© onze des douze tournois disputĂ©s sur terre, en signant un quatre sur quatre en Masters 1000. Seul Igor Andreev, alias celui qui avait pour but de faire le moins de revers possible, Ă©tait parvenu Ă  le stopper, Ă  Valence. Au fil des annĂ©es, le natif de Manacor a Ă©crit toute une anthologie d’exploits et records. Pas seulement sur les courts oĂč ses chaussettes ont fini teintĂ©es d’orange. Il est entrĂ© dans l’histoire en Ă©tant bien plus qu’un spĂ©cialiste de ces terrains. Mais c’est sur ceux-ci qu’il a Ă©tabli une domination sans prĂ©cĂ©dent. À tel point que le battre sur le revĂȘtement sablonneux est presque devenu une ligne de palmarĂšs en soi, y compris aux yeux de ses rivaux les plus prestigieux.

© Virginie Bouyer

C’est difficile de gĂ©rer le lift de Nadal, ça demande un peu de temps pour s’y adapter

Novak Djokovic

« Battre Nadal sur terre battue, c’est le dĂ©fi ultime du tennis », a affirmĂ© Andy Murray lors de diverses confĂ©rences de presse. Une expression qu’il n’a pas Ă©tĂ© le seul Ă  rĂ©pĂ©ter. « Affronter Nadal sur ce court central de Roland-Garros oĂč il a eu tant de succĂšs, c’est le plus grand dĂ©fi qui existe », a dĂ©clarĂ© Novak Djokovic en 2021. « Sur terre battue, c’est quand mĂȘme difficile de le bousculer et de marquer des jeux, avait analysĂ© Stan Wawrinka aprĂšs sa dĂ©faite 6/2 6/3 6/1 en finale de RG 2017. C’est moins frustrant de jouer contre Federer sur gazon, mĂȘme si tu ne vas pas gagner non plus. » Avant celle de l’édition 2019, Dominic Thiem – qui a finalement connu un sort similaire Ă  celui du Suisse, 6/4 6/3 6/2 – était allĂ© un peu plus loin : « Jouer contre Rafa sur ce court, c’est toujours le dĂ©fi ultime, l’un des plus difficiles Ă  relever dans le sport en gĂ©nĂ©ral. »

Avant ses premiĂšres glissades de la saison 2023, le Majorquin aux 22 titres du Grand Chelem affichait un bilan de 474 victoires pour 45 dĂ©faites sur ocre depuis ses dĂ©buts sur le circuit principal. Soit 91,3 % de succĂšs d’aprĂšs les donnĂ©es de l’ATP. Un record dans l’ùre Open, devant Roger Federer, avec 86,9 % sur herbe, et Björn Borg, 86,1 % sur terre battue. Au meilleur des cinq sets – Roland-Garros, Coupe Davis, finales de Masters 1000 et ATP 500 jusqu’en 2006 –, il a Ă©tabli un ratio encore plus Ă©pastrouillant : 137 duels gagnĂ©s, 3 perdus. Personne n’a fait mieux, Ă©videmment. Les trois revers ayant eu lieu Ă  Paris, face Ă  Robin Söderling en 2009, puis Novak Djokovic en 2016 et 2021. Et, Ă  la lisiĂšre du bois de Boulogne, il a gagnĂ© 112 rencontres. 97,4 % de rĂ©ussite, donc. Le plus haut pourcentage de l’histoire dans un Majeur, devant Borg – qui a eu une carriĂšre beaucoup plus courte – avec 96,1 % Ă  Roland-Garros et 92,7 % Ă  Wimbledon. 

Parmi les atouts forts qui lui ont permis d’avoir les cartes en main pour mettre le paquet sur terre battue : faire tourner la tĂȘte de cette pauvre boule de feutre jusqu’à la rendre folle. Agent matrimonial, le gaucher des BalĂ©ares a permis Ă  la puissance et au lift de se rencontrer pour donner naissance Ă  une lourdeur de balle inĂ©dite jusqu’à son arrivĂ©e au haut niveau. « DĂšs le premier point du match, il met tellement d’intensitĂ©, avec des lifts Ă©normes, a expliquĂ© Djokovic pour l’ATP en amont du Masters 1000 de Rome l’an passĂ©. C’est difficile de gĂ©rer ses balles, ça demande un peu de temps pour s’y adapter. » Si un maĂźtre absolu du contrĂŽle a lui-mĂȘme confiĂ© avoir besoin de quelques jeux pour encaisser le « surlift » de Nadal, imaginez l’ampleur de la difficultĂ© pour les autres. Le genre de tĂąche que seul « Tom Crouille dans Mission pas facile, facile », comme dirait Éric Judor dans H, pourrait accomplir.

Pour se rendre compte en passant Ă  l’échelle du commun des mortels, un joueur non professionnel, bien qu’étant d’un trĂšs bon niveau, aurait toutes les peines du monde, voire de l’univers, Ă  renvoyer un lift de Nadal grattĂ© Ă  intensitĂ© maximale. C’est ce qu’a vĂ©cu Olivier Carlier, chef de groupe tennis expert chez Babolat. « En novembre 2009, juste avant Bercy, Rafa est venu Ă  Lyon pour un premier test du cordage RPM Blast, n’a pas oubliĂ© cet ancien 0 au classement français. Nous Ă©tions trois employĂ©s de Babolat Ă  faire chacun une session de 20 minutes avec lui. J’ai jouĂ© contre des adversaires nĂ©gatifs qui avaient un dĂ©but de classement ATP, mais lĂ , j’ai vraiment eu un sentiment d’impuissance totale. Les fois oĂč il a vraiment liftĂ© et mis de la puissance pour tester la corde, il m’as mis Ă  deux mĂštres sans aucune difficultĂ©. La balle giclait Ă©normĂ©ment. Je me sentais Ă©crasĂ©, avec une sensation de lourdeur dans la raquette. J’étais tout le temps acculĂ©, en prenant la balle un peu derriĂšre. J’ai un revers Ă  une main, et de ce cĂŽtĂ©, c’était impossible. »

© Antoine Couvercelle

Il (Rafael Nadal) reste celui qui se dĂ©place le mieux sur terre battue 

Roger Federer

AprĂšs d’autres essais lors des mois suivants, « le taureau », comme d’autres de ses collĂšgues, a adoptĂ© le RPM Blast de Babolat. Un cordage axĂ© puissance et effets lui apportant encore un peu plus sur ses aspects par rapport au Pro Hurricane Tour qu’il utilisait auparavant. D’aprĂšs les donnĂ©es de Data Driven Sport Analytics que nous a fournies Fabrice Sbarro, analyste de la performance travaillant avec des membres du top 10 et du top 20, Nadal a desquamĂ© les balles en leur faisant subir 2973 rotations par minute en moyenne, avec son coup droit, sur les trois derniĂšres annĂ©es. Seul Casper Ruud est davantage montĂ© dans les tours, avec 3081 rpm. Matteo Berrettini (2893 rpm), Federico Delbonis (2886 rpm) et FĂ©lix Auger-Aliassime (2863) ont complĂ©tĂ© le top 5. En revers, l’ancien numĂ©ro 1 mondial est sixiĂšme de ce classement, avec 2183 rpm. DerriĂšre Ruud (2353 rpm), Stan Wawrinka (2327 rpm), Marco Cecchinato (2310 rpm), Richard Gasquet (2221 rpm) et StĂ©fanos TsitsipĂĄs (2200 rpm). Notons que seul le NorvĂ©gien est parvenu Ă  passer devant les adeptes de la prise Ă  une patte dans ce domaine.

Cette machine Ă  laver en guise de coup droit, Ă  en essorer ses opposants jusqu’à la derniĂšre goutte de sueur, Nadal l’a aussi acquise grĂące Ă  une technique particuliĂšre. Un geste presque iconoclaste pour les puristes, dont l’homme qui l’a formĂ©. « Je n’aime pas le coup droit lasso de Rafael, j’ai toujours prĂ©fĂ©rĂ© le style classique, a dĂ©clarĂ© Toni Nadal lors d’une confĂ©rence Ă  l’universitĂ© de Vigo en mars 2019. Il a commencĂ© Ă  jouer de cette façon jeune, pour gĂȘner les adversaires qui Ă©taient plus grands que lui. Il a gagnĂ© des titres, et c’est pour ça que nous avons continuĂ© Ă  utiliser ce coup. Mais je ne l’ai jamais prĂŽnĂ©, je n’ai pas cherchĂ© Ă  le crĂ©er. Si je pouvais choisir, je prĂ©fĂ©rerais le voir frapper comme Federer. » Depuis, il n’a pas changĂ© d’avis. 

« Si tu regardes Rafael Ă  l’entraĂźnement, il fait un coup droit classique, sans terminer en passant au-dessus de sa tĂȘte, nous a-t-il rappelĂ©. Oui, je prĂ©fĂšre ça. Mais, la vĂ©ritĂ©, c’est que, pour jouer Ă  Roland-Garros (et sur terre battue), c’est bien de mettre plus de lift. Ce qui est plus facile Ă  faire avec la gestuelle de Rafael. » Le fait d’ĂȘtre gaucher a aussi jouĂ© son rĂŽle dans l’impact de cette arme au rebond giclant de façon inouĂŻe sur le revers des droitiers. Un cauchemar sans rĂ©veil, au-dessus de l’épaule, pour ceux Ă  une main. À deux mains, c’est une allonge moindre qui a pu poser problĂšme sur les coups croisĂ©s fuyant vers l’extĂ©rieur grĂące Ă  l’effet latĂ©ral imprimĂ© par Nadal en plus de son lift infernal. En outre, il a pu compter sur un petit plus technologique pour optimiser les effets. La raquette Babolat Aeropro Drive qu’il a commencĂ© Ă  utiliser Ă  17 ans a Ă©tĂ© conçue spĂ©cialement pour donner un coup de fouet supplĂ©mentaire Ă  son lasso, comme relatĂ© dans l’article Pure Aero : une raquette qui fait effet, publiĂ© dans Courts numĂ©ro 13.

« Il n’est pas le seul Ă  donner cet effet latĂ©ral (qui, entre droitiers, tombe sur les coups droits), donnĂ© en frappant la balle un peu sur le cĂŽtĂ© (pour la “brosser”), nous a prĂ©cisĂ© son oncle. Ça permet de s’ouvrir un peu plus le court. Sur terre battue, on sait que le coup croisĂ© est plus efficace que sur les autres surfaces. Alors tu essaies de le rĂ©pĂ©ter trĂšs souvent, de le travailler pour le faire un peu mieux Ă  chaque fois. » Pour devenir le « roi de la terre », le protĂ©gĂ© de Carlos MoyĂ  a pu s’appuyer sur un autre as dans son jeu. « Il reste celui qui se dĂ©place le mieux sur terre battue, a analysĂ© Roger Federer devant les journalistes Ă  Indian Wells en 2018. Il sera sans doute pour toujours le meilleur joueur de l’histoire sur cette surface. » À l’heure de ses premiĂšres prouesses, il donnait l’impression de s’ĂȘtre Ă©chappĂ© d’un jeu vidĂ©o. En cheat mode, tant sa capacitĂ© Ă  rĂ©ussir des dĂ©fenses inespĂ©rĂ©es semblait irrĂ©elle.

© Antoine Couvercelle

Rafa voit quand je vais faire une amortie, avant mĂȘme que je tape 

Carlos Alcaraz 

En regardant le rĂ©sumĂ© de sa finale Ă  Rome contre Guillermo Coria en 2005, par exemple, il a fallu vĂ©rifier que la vitesse de lecture n’était pas rĂ©glĂ©e sur « x 1,5 ». Voire 2. Une remarque valable Ă©galement pour l’Argentin et ses gambettes capables de mouliner jusqu’à produire autant d’énergie qu’un champ d’éoliennes. Puis, au fil des ans, l’homme qui a relancĂ© la mode des t-shirts sans manches a perdu en rapiditĂ©. Mais, bien qu’étant dans l’annĂ©e de ses 37 balais en 2023, il a conservĂ© une mobilitĂ© hors du commun. GrĂące Ă  son sens de la glissade sur ocre, son Ă©quilibre et son anticipation, ce qu’on a pris pour habitude d’appeler « l’Ɠil ». Pour Tennis TV en fĂ©vrier, Carlos Alcaraz, interrogĂ© sur l’amortie, l’un de ses coups favoris, en a fait la constatation.

« Je dirais que TsitsipĂĄs a Ă©tĂ© celui contre qui ça (l’amortie) a le mieux fonctionnĂ©, a-t-il rĂ©pondu. J’ai gagnĂ© le point quasiment Ă  chaque fois. En revanche, contre Rafa, et aussi Djokovic, ça a Ă©tĂ© compliquĂ© de les surprendre. Je crois qu’ils le voient quand je vais faire une amortie, avant mĂȘme que je tape. Ils sont toujours dessus. » De quoi continuer Ă  briller sur la surface la plus exigeante physiquement malgrĂ© les aiguilles du temps tricotant inĂ©vitablement le linceul de sa carriĂšre de joueur professionnel. Mais effets et mobilitĂ© n’ont pas Ă©tĂ© les seuls Ă©lĂ©ments sortis du lot pour expliquer son rĂšgne rouge. « C’est tout un ensemble, nous a dĂ©taillĂ© “tio Toni”. Le coup liftĂ©, la capacitĂ© Ă  beaucoup courir pendant de nombreuses annĂ©es, son aptitude Ă  renvoyer la balle dans une mauvaise position aussi. Parce que, sur terre battue, elle n’arrive pas toujours de maniĂšre parfaite comme sur dur (faux rebonds, notamment). »

« Maintenant, Rafael court un peu moins, a-t-il poursuivi. Mais il dĂ©zone moins aussi (pour tourner autour de son revers). » Car, par rapport Ă  ses premiers pas sur le circuit, il a su faire Ă©voluer son jeu. Beaucoup plus percutant en revers, il n’a plus eu autant besoin de se dĂ©caler sur son coup droit. Un gain d’économie pour le jeu de jambes. Surtout, par rapport Ă  ses deux premiers sacres Ă  « Roland » – 2005, 2006 –, il est devenu plus offensif. Plus proche de sa ligne, davantage entreprenant, il a su se bonifier pour faire cavaler son opposant plutĂŽt que l’inverse. « Si tu regardes bien, dĂšs Roland-Garros 2008, tu peux voir qu’il n’était plus dĂ©fensif, sinon il n’aurait pas pu gagner si “facilement” (aucun set perdu, 6/1 6/3 6/0 contre Federer en finale), ni s’imposer Ă  Wimbledon dans la foulĂ©e, a ajoutĂ© Toni Nadal. En 2005, 2006, il l’était. Parce qu’il Ă©tait jeune, pas encore totalement formĂ©, il avait besoin d’amĂ©liorer ses coups. Federer aussi a su Ă©voluer. Si tu as jouĂ© de la mĂȘme façon pendant 20 ans, ça veut dire que tu n’as pas progressĂ©. »

Un constat partagĂ© par Gasquet, qui s’est inclinĂ© 18 fois en autant d’affrontements face Ă  Nadal. Record dans l’ùre Open chez les hommes, Ă  Ă©galitĂ© avec le compĂšre GaĂ«l Monfils perdant de ses 18 duels contre Novak Djokovic ; cocorico ! « Nadal a eu cette force mentale de toujours chercher Ă  progresser pour devenir de plus en plus complet, a analysĂ© l’artiste du revers Ă  une main dans son autobiographie, Ă©crite avec Franck Ramella, sortie en 2022. Il y a six ou sept ans, je discutais avec Francis Roig, l’un de ses entraĂźneurs. Rafa avait un petit coup de mou, et Roig me disait : “C’est fini, Rafa ne gagnera plus.” Devant mon Ă©tonnement, il avait dĂ©veloppé : “S’il n’arrive pas Ă  avancer, Ă  frapper la balle plus tĂŽt, il ne gagnera plus un match.” Au fond de moi, je m’étais dit : “Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Il est fou ce mec
” Trois mois aprĂšs, Nadal prenait vraiment la balle plus tĂŽt. Il avait fait ce que je n’avais pas rĂ©ussi Ă  mettre en pratique. »

« Il faut s’amĂ©liorer sans cesse, mĂȘme quand on est tout en haut, parce qu’avec le temps tu perds toujours quelque chose en chemin : un peu de fraĂźcheur, les jambes ne vont plus aussi vite, etc., a complĂ©tĂ© Toni Nadal. C’est ce que cherche Ă  faire chaque joueur voulant rester au top pendant des annĂ©es. » Une progression dans le jeu offensif ayant pour but, Ă©galement, de mĂ©nager le pied gauche causant problĂšme depuis les 18 printemps du neveu, et diagnostiquĂ© plus tard comme atteint du syndrome de MĂŒller-Weiss ? « Oui, nous a rĂ©pondu le tonton. Mais, petit, il Ă©tait dĂ©jĂ  offensif, il prenait l’initiative, a-t-il continuĂ©. Puis il est arrivĂ© sur le circuit trĂšs jeune, Ă  16 ans. Il devait affronter des personnes plus ĂągĂ©es, plus fortes physiquement, avec des jeux plus matures. Alors il a dĂ» s’adapter. Il a dĂ» courir davantage et a perdu un peu d’agressivitĂ©. Mais, quotidiennement, il a essayĂ© de progresser. Et ça n’a pas Ă©tĂ© difficile de lui faire comprendre ça. Je lui rĂ©pĂ©tais depuis qu’il Ă©tait enfant : chaque jour, il faut faire plus. »

© Virginie Bouyer

Il faut s’amĂ©liorer sans cesse, parce que tu perds toujours quelque chose en chemin 

Toni Nadal

Sur une surface oĂč se sont implantĂ©s les Ă©changes longue durĂ©e, savoir construire le point s’est posĂ© en qualitĂ© essentielle au succĂšs. Ce que le quatuordĂ©cuple vainqueur de Roland-Garros –apprenons de nouveaux multiples grĂące Ă  lui – a intĂ©grĂ© depuis l’époque oĂč il avait encore une coupe au bol. « Si vous observez le numĂ©ro 10 mondial et le numĂ©ro 100 en train de s’entraĂźner, vous ne verrez pas forcĂ©ment qui est le mieux classĂ©, a-t-il observĂ© dans son autobiographie rĂ©digĂ©e avec John Carlin. En dehors de la compĂ©tition et de la pression qui l’accompagne, ils vont se dĂ©placer et frapper la balle de façon trĂšs semblable. Cependant, il ne suffit pas de bien frapper la balle pour bien jouer, il faut aussi faire les bons choix, savoir s’il faut faire une amortie, frapper fort, en hauteur, en profondeur, Ă  plat, couper ou lifter, et quelle zone viser. Depuis mon plus jeune Ăąge, Toni m’avait beaucoup fait rĂ©flĂ©chir sur les tactiques de base du tennis. »

« Si je faisais fausse route, Toni me demandait : “Pourquoi est-ce une erreur ?”, a-t-il rĂ©vĂ©lĂ©. Et nous en parlions, nous analysions mes erreurs en long et en large. Loin de chercher Ă  faire de moi son pantin, il s’évertuait Ă  me faire rĂ©flĂ©chir par moi-mĂȘme. Toni disait que le tennis Ă©tait un jeu oĂč il fallait synthĂ©tiser beaucoup d’informations trĂšs rapidement ; pour gagner, il fallait penser mieux que son adversaire. Et pour bien penser, il fallait garder son calme. » Si le mentor a plantĂ© la graine dans son esprit, il a fallu que quelqu’un d’autre l’arrose pour lui permettre de porter dĂ©finitivement ses fruits. Et pas n’importe qui : l’homme qui, avant lui, dĂ©tenait la plus longue invincibilitĂ© sur terre battue, avec 53 succĂšs consĂ©cutifs. Une sĂ©rie qui a pris fin contre Ilie Năstase en finale du tournoi d’Aix-en-Provence 1977. Sur abandon, Ă  6/1 7/5 contre lui – c’était au meilleur des cinq rounds – pour protester contre le monstre Ă  effets qu’utilisait le Roumain. « La raquette spaghetti », dont nous vous avons contĂ© l’histoire dans Courts numĂ©ro 10.

« En 2004, Rafael a jouĂ© le tournoi de Sopot (oĂč il a remportĂ© son premier titre ATP), a racontĂ© Toni Nadal lors d’un entretien accordĂ© Ă  Radio Villa Trinidad en 2020. Guillermo Vilas Ă©tait lĂ . Je suis allĂ© le saluer et il m’a dit : “Je peux te dire quelque chose ?” Je lui ai alors demandĂ© deux minutes de patience et j’ai couru pour aller chercher Rafael. Je voulais qu’il entende ce que Guillermo allait dire. Il lui a donnĂ© ce conseil : “Tous les joueurs du monde savent se dĂ©placer latĂ©ralement sans aucun problĂšme. Mais si tu fais une balle courte, une autre plus haute, une par-ci, une par-lĂ , ils sont complĂštement dĂ©boussolĂ©s. Il faut varier un peu plus ton jeu.” Ça a Ă©tĂ© un moment dĂ©cisif dans la carriĂšre de Rafael. Certes, je lui avais rĂ©pĂ©tĂ© ça quand il Ă©tait petit, mais ça a eu beaucoup plus d’impact en venant d’un quadruple vainqueur en Grand Chelem (Roland-Garros et l’US Open en 1977, Open d’Australie 1978 et 1979). »

En partie grĂące Ă  ces paroles, l’élĂšve a surpassĂ© le maĂźtre en alignant 81 victoires de suite sur ocre entre sa dĂ©faite contre Andreev Ă  Valence en 2005, puis celle contre Federer en finale du tournoi de Hambourg deux ans plus tard. Enfin, si Rafael Nadal a grandi au point d’ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le meilleur joueur de tous les temps sur cette surface, ça a Ă©tĂ©, aussi, grĂące Ă  un travail n’ayant rien Ă  voir avec la technique ou la tactique. « Qu’est-ce qu’il faut pour ĂȘtre fort sur terre battue ? Une bonne mentalitĂ©, savoir souffrir, nous a affirmĂ© Toni Nadal. Ça, c’est le plus important. » Sans cette caractĂ©ristique, impossible d’endurer, et de durer, sur la surface la plus exigeante physiquement. « Je me suis battu tellement dur pour gagner Roland-Garros une fois, et ce gars l’a remportĂ© dix fois, a commentĂ© Andre Agassi aprĂšs la decima parisienne de Nadal en 2017. Il a poussĂ© ce sport Ă  un niveau complĂštement diffĂ©rent sur terre. Dix Roland-Garros
 Vous vous rendez compte ? On croyait ça impossible, mais il l’a fait. »

Cinq saisons plus tard, il en avait quatre de plus. « Le plus grand exploit de l’histoire du sport en gĂ©nĂ©ral », pour certains, Ă  l’instar de Guy Forget dans Le Parisien. « Essayez de trouver, dans une discipline aussi populaire que le tennis, pas une qui compte 25 licenciĂ©s, un champion capable de gagner 14 fois le tournoi le plus dur de la planĂšte, le truc le plus difficile qui existe. Il n’y en a pas. Quand Borg a gagnĂ© six fois, on disait que jamais personne ne ferait mieux. » Dans l’ùre Open, chez les hommes, seuls Nadal et Borg ont gagnĂ© plus de trois fois porte d’Auteuil. À Wimbledon, quatre ont dĂ©passĂ© la triple couronne : Federer (8 titres), Sampras (7), Djokovic (7), Borg (5). Cinq Ă  l’US Open – Connors (5), Sampras (5), Federer (5), McEnroe (4), Nadal (4) –, et trois Ă  l’Open d’Australie qui Ă©tait dĂ©laissĂ© par les meilleurs du monde jusqu’au milieu des annĂ©es 1980 : Djokovic (10), Federer (6) et Agassi (4). « Pour moi, il (Rafael Nadal) est au-dessus d’Ali, PelĂ© ou Jordan », a mĂȘme lĂąchĂ© Forget. Pour contredire ou soutenir l’avis de l’ancien 4e de la hiĂ©rarchie planĂ©taire, il faudrait comparer Ă©poques et sports diffĂ©rents, qu’ils soient individuels ou collectifs. Une enquĂȘte sans doute irrĂ©alisable, si ce n’est peut-ĂȘtre pour une personne. Un autre Hercule. Poirot. 

 

Article publié dans COURTS n° 14, printemps 2023.

Le campus AvEdgers

NB : Mis Ă  part Edge, les catĂ©gories intersectionnelles sont purement indicatives et n’engagent que leur auteur.

Nous avons, chez Courts, pris l’habitude de vous parler rĂ©guliĂšrement d’Edge, qui nous permet de vous faire dĂ©couvrir les coulisses du monde du tennis Ă  travers leur modĂšle unique de « Players Development Agency ». Et comme toute saga qui se respecte, celle d’Edge va se bonifiant, multipliant les nouveaux personnages attachants dans des dĂ©cors familiers oĂč les infrastructures se renforcent pour offrir aux hĂ©ros les meilleures chances de victoire finale. Une gradation qui culmine dans cet article avec la visite d’une planĂšte inĂ©dite entiĂšrement fabriquĂ©e en gazon londonien et l’irruption d’un nutritionniste-star dans le box des AvEdgers (j’ai vĂ©rifiĂ©, la marque n’est pas dĂ©posĂ©e). 

 

Bonmont Ă  la menthe

À Halloween, on offre aux enfants et aux ados des bonbons. Sauf quand ces enfants et ces ados sont de futures stars du tennis et qu’on s’appelle Edge, auquel cas on troque le sachet de bonbons pour le cachet de Bonmont oĂč l’on fait construire un terrain sur gazon pour aider tout ce beau monde Ă  prĂ©parer la courte saison sur herbe qui sĂ©pare Roland-Garros de la tournĂ©e US. 

Ceux d’entre vous qui sont dĂ©jĂ  partis en vacances « dans la famille des autres » savent qu’il existe en la matiĂšre deux jurisprudences : la jurisprudence « sortez-moi de là » qui consiste en une accumulation de moments de gĂȘne qui vous feraient presque regretter votre propre famille ; et la jurisprudence « Ɠil attendri » qui vous pousse au contraire Ă  admirer les trĂ©sors de douceur dĂ©ployĂ©s par les autres pour crĂ©er de l’entente et du bonheur durable. Étant entendu qu’Edge a choisi de mener sa mission dans une ambiance familiale, on ne peut qu’ĂȘtre Ă©mu de dĂ©couvrir les efforts consentis chaque jour par les administrateurs-parents pour offrir aux joueurs et aux joueuses les meilleures conditions possibles pour s’épanouir sur et en dehors du terrain. 

 

Pack EDGE = Full Package

Nous avons dĂ©jĂ  Ă  plusieurs reprises Ă©voquĂ© le travail d’Edge, pĂ©piniĂšre de talents et agence Ă  part dans le monde du tennis qui mise sa chemise et son short sur une jeunesse choisie pour son talent, ses qualitĂ©s humaines et sa dĂ©termination. Pour une jeune joueuse ou un jeune joueur, la rencontre avec Edge a tout du golden ticket de Willy Wonka : le coup de foudre actĂ©, l’agence met Ă  sa disposition toutes ses ressources et pas des moindres pour l’aider Ă  progresser. Et comme Edge travaille avec les meilleurs : Fabrice Sbarro et Shane Liyanage Ă  la statistique, Dieter Calle pour la personnalisation de raquettes, Rick Macci Ă  l’entraĂźnement, pour ne citer qu’eux
 Il faut aussi ajouter dĂ©sormais des figures du circuit qui ont rejoint le Board de Edge telles que Dani Vallverdu (reprĂ©sentant des coachs auprĂšs de l’ATP, directeur des tournois ATP et WTA de Washington, entraĂźneur actuel de Grigor Dimitrov et auparavant de joueurs comme Stan Wawrinka, Andy Murray, Del Potro, Berdych
), les jeunes progressent dans le monde avec Ă  disposition un deck PokĂ©mon rempli de cartes rares. 

Un kilomùtre à pied, ça use
 

Ce terrain en gazon vient donc s’ajouter Ă  une collection d’atouts en pleine expansion et qui, sans exagĂ©ration, se trouvent vraiment Ă  portĂ©e de main. Inutile de disposer d’un hyperpropulseur pour profiter de l’écosystĂšme Edge : les AvEdgers ont leur campus Ă  NeuchĂątel en Suisse Romande, le club de Bonmont se situe Ă  moins d’une heure entre GenĂšve et Lausanne et Swiss Tennis, la FĂ©dĂ©ration suisse, est Ă  quelques dizaines de minutes de voiture. En rĂ©alitĂ©, le tableau du campus s’apparente Ă  un diagramme de Venn dans lequel les cercles « pratique », « excellent » et « beau » convergeraient vers le mot Edge, au centre du schĂ©ma. Vous ne visualisez pas ? Laissez-moi vous montrer. 

Cette organisation en campus permet Ă  Edge de rationaliser la foule de prestations proposĂ©es Ă  son pool de joueurs et Ă  ses clients. La base est en rĂ©alitĂ© constituĂ©e d’un ancien pensionnat de jeunes filles composĂ© de deux vieilles et grandes maisons situĂ©es en bord de lac Ă  La Neuveville et transformĂ©es en B&B avec court privĂ© en terre battue et piscine.

Le lieu peut accueillir jusqu’à une douzaine de joueuses ou joueurs entre deux tournois en Europe, qui y profitent de tout le confort dans l’épicentre du tout tennis. Fabrice Sbarro, statisticien et en charge de la division Edge Analytics, est installĂ© Ă  quelques kilomĂštres. Lionel Grossenbacher, spĂ©cialiste de la prĂ©paration physique qui s’est occupĂ© des meilleurs juniors suisses depuis de nombreuses annĂ©es et collabore encore avec une des meilleures joueuses au monde, habite tout Ă  cĂŽtĂ©. Olivier Bourquin, rĂ©fĂ©rence de la nutrition, de la respiration, du sommeil et de la concentration, qui conseille notamment des joueurs de l’équipe de France de football ou des athlĂštes olympiques, est un voisin. Si ça continue, je vais commencer Ă  avoir du mal Ă  trouver des pĂ©riphrases pour dire que tout se situe dans un mouchoir de poche. Le problĂšme, c’est prĂ©cisĂ©ment que ça continue : une spĂ©cialiste des analyses posturales et qui fournit des semelles sur mesure Ă  tous les joueurs Edge aprĂšs Ă©valuation et tests dĂ©taillĂ©s rĂŽde dans les parages. Dieter Calle, le plus grand expert de la personnalisation de raquettes pour les pros et habituellement basĂ© en Belgique, se rend sur le campus pour rencontrer les joueuses et les joueurs et pratiquer les tests de customisation. Swiss Tennis, situĂ© Ă  un quart d’heure, propose des terrains oĂč viennent les meilleurs joueurs du pays. Un autre quart d’heure et les joueurs peuvent bĂ©nĂ©ficier d’un partenariat exclusif avec une salle de sport. Je continue encore ? Le campus accueille un cordeur Ă  demeure en lien direct avec BenoĂźt Mauguin, l’expert en la matiĂšre le plus connu du circuit professionnel, inĂ©galable dans le conseil aux joueurs, et qui est, de mĂȘme qu’une physiothĂ©rapeute tout exprĂšs dĂ©pĂȘchĂ©e,prĂ©sent sur chaque Grand Chelem pour gĂ©rer les raquettes de tous les joueurs Edge en plus de ses propres clients privĂ©s (plusieurs Top 10 ATP / WTA). Et comme si ça ne suffisait pas, Edge a nouĂ© des partenariats avec les clubs autour du terrain privĂ© pour que les joueurs puissent s’entraĂźner sur tout type de surface quelle que soit la mĂ©tĂ©o (indoor et outdoor) avec des sparrings classĂ©s entre la 200e et la 500e place mondiale ATP, sous l’Ɠil aiguisĂ© de Rick Macci qui assiste Ă  certains entraĂźnements Ă  distance par visio. 

Si Edge était une bagnole, ce serait une berline spatiale toutes options. 

Imaginez le rĂȘve pour ces jeunes athlĂštes qui peuvent venir en train, accĂ©der Ă  la cuisine facilement, se dĂ©placer Ă  pied, le tout sans perdre de vue le lac que la vallĂ©e domine. Ajoutez Ă  cela un terrain en gazon vĂ©ritable, et le Graal est atteint. 

 

Chez eux, l’herbe est plus verte

De NeuchĂątel Ă  Bonmont, il y a donc moins d’une heure de voiture. Et Ă  Bonmont, grĂące Ă  Paul Reardon, un spĂ©cialiste passionnĂ©, Edge vient, nous le disions, de construire un terrain en gazon naturel aux cĂŽtĂ©s des autres terrains en gazon synthĂ©tique dĂ©jĂ  implantĂ©s. Et pas n’importe quel terrain : le type de gazon, les poteaux, l’ensemble du court est importĂ© d’Angleterre et rigoureusement identique Ă  ses homologues de Wimbledon. De lĂ  se pose bien sĂ»r la question de l’entretien : une question beaucoup plus simple qu’il n’y paraĂźt lorsque l’on sait que le club de Bonmont est avant tout un club de golf. Demander au greenkeeper (le formidable Benoit Jaymes) d’entretenir un court en gazon, c’est demander Ă  Rachmaninov de jouer Chopsticks (mais si, vous savez, le morceau que mĂȘme les gens qui ne savent pas jouer de piano savent jouer et qui fait Ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti ti
 ti ti ti Ti ti (ad lib)) : voilĂ  un court qui sera donc bien entretenu et exclusivement rĂ©servĂ© aux partenaires choisis par Edge. 

Un terrain d’exception qui ne servirait dĂšs lors que quelques jours par an Ă  des Happy Fews ? Le plan est, bien sĂ»r, encore plus ambitieux : pour faire vivre le terrain et le club, Edge va en effet organiser sur ce terrain un tournoi exhibition chaque annĂ©e entre Roland-Garros et le dĂ©but de la saison sur herbe. Certains des plus grands joueurs et joueuses du monde ont dĂ©jĂ  donnĂ© leur accord pour participer Ă  l’évĂ©nement qui a de quoi sĂ©duire : le club de golf, qui comporte une abbaye authentique, est situĂ© en hauteur avec vue sur le lac et le Mont Blanc et est adossĂ© Ă  un Relais & ChĂąteau vieux de mille ans (le chĂąteau, du moins). S’entraĂźner dans des conditions similaires Ă  celles de grands tournois dans un lieu paradisiaque Ă  l’écart des gĂȘneurs et non loin de chez soi ? VoilĂ  une proposition qui s’étudie mĂȘme quand on a l’habitude de partir en vacances dans la famille des autres. 

Sans doute déjà un aperçu du scénario du prochain film.  

 

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.