Pure Aero
une raquette qui fait effet
Par Mathieu Canac
Baptisée Pure Aero 2023 mais déjà disponible – sortie durant l’été 2022 –, cette dernière version d’une lignée iconique de Babolat s’appuie sur ce qui fait sa force depuis sa création. Celle d’un instrument développé pour Rafael Nadal, et décliné en plusieurs versions pour les amateurs de tous les niveaux.
« Le pinceau a la spécificité de traduire les choses avec une sensibilité variable. Je peux tirer un trait d’un millimètre ou l’épaissir pour reproduire la musculature. Avec du recul, je me dis toujours que des types comme Nadal ou Federer ont une sensibilité de la raquette égale à cette spécificité : ils savent placer une balle à deux millimètres de la ligne parce qu’ils sentent, j’en suis sûr, cette balle et cette raquette comme moi je sens le pinceau sur la feuille. […] On qualifie toujours la raquette de prolongement du bras ou de la main. Mais eux, ils ont une sensibilité nerveuse jusque dans les cordes. Avec ce type de joueur, un coup droit, c’est un coup de pinceau. » Dans le premier numéro de Courts, Joël Blanc, connu du grand public pour avoir peint les joueurs en direct pour France Télévisions pendant Roland-Garros, nous lâchait ces mots.
Des mots qu’on pourrait penser exagérés. Pour faire de belles images. De la poésie en prose. Bref, des mots d’artiste. Et pourtant. « Il y a pas mal d’années maintenant, on a fait des tests sur les formes de manche avec Rafa (Nadal), nous a expliqué Jean-Christophe Verborg, directeur de la compétition internationale et chargé de superviser les détections chez Babolat. On avait mis des manches un peu arrondis, d’autres doublement arrondis… On voulait voir si on pouvait trouver quelque chose d’un peu différent, bref. On y va avec dix prototypes et, la veille, la personne qui prépare les raquettes me dit : ‘Tu verras, il y en a une qui est plus longue de deux millimètres.’ Je lui réponds que ce n’est pas grave, qu’il (Rafael Nadal) doit prendre les raquettes en main pour tester (les manches). Il a tapé trois balles, et il m’a dit : ‘Celle-là, elle n’est pas comme les autres.’ Le moindre petit changement, il le sent. »
Transformant le court en toile pour y dessiner ses arabesques de coup droit bourrées d’effet, le gaucher des Baléares a signé tous ses chefs-d’œuvre avec le même pinceau : l’Aeropro Drive, renommée ensuite Pure Aero. D’abord équipé de la Pure Drive pour ses premières esquisses sur le circuit principal, il a poursuivi son ascension avec l’« APD » (l’Aeropro Drive) à l’entame de la saison 2004, à 17 ans. Payant. Dès mi-janvier, il disputait sa première finale ATP, perdue contre Dominik Hrbatý sur le dur d’Auckland. Dans les mois suivants, il battait le numéro 1 mondial Roger Federer à Miami, puis remportait son premier tournoi en août, à Sopot. Certes, comme dit l’adage, « ce n’est pas la raquette qui fait le joueur ». Vous aurez beau vous offrir l’outil de travail du Majorquin, vous n’aurez pas son « surlift ». Vous aurez beau avoir celui de Roger Federer, vous n’aurez pas son slice de revers. Vous aurez beau avoir celui de Benoît Paire, vous n’aurez pas son sens inégalable du jet de raquette.
Conçue pour donner un coup de fouet au lasso de Nadal
Mais l’instrument à cordes de l’homme aux 22 titres du Grand Chelem a été conçu pour optimiser ses qualités : les effets. Peu importe ce qu’il aura entre les mains, un grand violoniste touchera les nuages. Avec un Stradivarius, il ira chatouiller les ailes des anges. Depuis 1978 et l’interdiction de la « raquette spaghetti » – créature génératrice d’effets monstrueux lancée par Werner Fischer dont Hassan Amini, auteur d’un documentaire sur le sujet, nous a relaté l’histoire en détail pour Courts n° 10 –, la recherche de maximisation du lift a été une petite quête du Graal dans le tennis. « En 2003, on a travaillé sur la première raquette aérodynamique : l’Aerotour, nous a confié Olivier Carlier, responsable international du marketing tennis expert chez Babolat. Ce prototype était extrêmement profilé (de manière à le rendre aérodynamique), pour faciliter la pénétration dans l’air et donner donc plus de vitesse à la tête de raquette pour générer plus de spin. Puis Rafa est arrivé, et a joué avec une version spécifiquement développée pour lui. »
« Avec Rafa, on a été proactif, a ajouté Jean-Christophe Verborg. On a analysé son jeu. Effectivement, il y avait la recherche d’effets. Mais aussi, en se remettant dans le contexte de l’époque, il est arrivé avec une gestuelle qui était loin d’être conventionnelle. Atypique par rapport au tennis classique qu’on avait l’habitude de voir. Rafa jouait alors avec la Pure Drive, et on avait ce prototype, donc, l’Aerotour. L’Aeropro Drive est un peu une synthèse des deux. L’Aerotour était géniale, un peu futuriste dans le concept, mais problématique pour le service à plat. Ce n’était pas encore abouti. La tête de raquette était extrêmement plate. L’Aeropro Drive a pris un profil de tête de raquette très proche de la Pure Drive, en accentuant encore la recherche de spin. Et au niveau des branches (d’une forme reconnaissable entre mille et caractéristique de cette raquette), on a poussé ce profil (aérodynamique) en se basant sur le concept de l’Aerotour. »
Très vite, les sensations ont conquis l’Espagnol. Le coup droit lasso qui cassait les codes deviendrait encore un peu plus étouffant. « C’était une raquette innovante, et Rafa a bien compris que c’était pour lui », n’a pas oublié Jean-Christophe Verborg. « On était sur un univers de puissance (avec la Pure Drive) auquel on a apporté de la prise d’effet, complète Olivier Carlier, ce qui correspondait exactement aux besoins de Rafa. Ça permettait d’augmenter sa lourdeur de balle, qui est une combinaison de la puissance et de l’effet. » Depuis, la gamme Aeropro Drive, devenue Pure Aero, a séduit bon nombre de joueurs et joueuses de l’élite, avec des styles bien différents : Jo-Wilfried Tsonga (avec une version allongée de 0,5 pouce, soit 1,27 cm), Leylah Fernandez, Benoît Paire, Jack Sock, Danielle Collins, Adrian Mannarino, Maxime Cressy, Botic van de Zandschulp, ou encore Félix Auger-Aliassime, Holger Rune et Carlos Alcaraz, tous trois adeptes de la version Pure Aero 98.
Une raquette pour ceux qui aiment utiliser les effets, avec différents types de jeu
Ce dernier ayant fait le changement lors de la préparation à la saison 2021, pour passer notamment à un tamis de 630 cm² – contre 645 cm2 sur la version « classique ». Le but : gagner en contrôle, comme nous l’avait confié Jean-Christophe Verborg dans l’article Carlos Alcaraz : apprenti ténor sans barreaux publié dans Courts n° 11. « En observant le jeu, que ce soit au niveau club ou sur le circuit, on a noté l’utilisation des effets pour différents aspects, nous a exposé Olivier Carlier. On a déterminé trois phases pour frapper la balle après le rebond. Des joueurs comme Félix Auger-Aliassime ou Carlos Alcaraz vont la prendre en phase ascendante. Ils utilisent la vitesse de balle adverse, et n’ont pas besoin d’en générer beaucoup plus. Ils sont donc en recherche de plus de contrôle, et utilisent les effets pour trouver des angles et exploiter la moindre occasion (d’attaque). »
« Ensuite – c’est la catégorie la plus large –, on a ceux qui prennent la balle au sommet du rebond. Les ‘puncheurs’, ou agressive baseliners (attaquants de fond de court), dont Jo (Tsonga), Benoît Paire et Danielle Collins font partie, par exemple. Ils utilisent le lift pour sécuriser les trajectoires. Enfin, on a les joueurs qui délivrent leurs coups en prenant la balle phase descendante. Le style de Rafa à ses débuts ; il a évolué depuis. Ils ont besoin de l’effet pour trouver des trajectoires très bombées ; beaucoup de hauteur par rapport au filet, beaucoup de profondeur, pour repousser l’adversaire. » Pour répondre à ces différents besoins, la Pure Aero est déclinée avec des variantes de poids, d’équilibre, de rigidité. Déjà disponible, sortie durant l’été 2022, la série 2023 a été conçue avec des plans de cordage – toujours en 16 montants par 19 travers – espacés différemment. Plus resserrés, pour davantage de contrôle, sur les versions les plus lourdes.
De quoi répondre à une demande pour tous les besoins et tous les niveaux. Que vous soyez pro, ou simple joueur du dimanche aimant coller des roustes à son neveu à peine plus haut que le filet. Quitte à ce qu’il se venge bien des années plus tard en vous offrant une boîte de cailloux à chaque Noël. « En achetant la raquette dans le commerce, les gens ont la même que les pros, a confirmé Jean-Christophe Verborg. La différence étant que les pros font ensuite de la customisation. » Nadal, par exemple, a progressivement modifié le poids et l’équilibre par ajout de plomb : 12 g en tête, 5 g dans le manche. Et contrairement aux légendes qui ont pris l’habitude de courir, sa raquette en elle-même n’est pas restée inchangée depuis ses premiers exploits. « Non, je ne crois pas que je pourrais jouer avec les raquettes de mon premier Roland-Garros, en 2005, a répondu l’intéressé sur le site de Babolat. Elles ont évolué depuis. Je suis sûr qu’il me manquerait quelque chose, je n’obtiendrais pas les mêmes résultats. »
« L,une de nos plus belles innovations, ça a été d’arriver dans le monde des joueurs pros avec une raquette beaucoup plus facile à jouer. »
« Même si les matériaux ne sont pas très différents, Rafa a suivi les évolutions », a confirmé Jean- Christophe Verborg. « Lors des intersaisons, les joueurs testent les évolutions, a détaillé Olivier Carlier. Ensuite, ils adoptent plus ou moins les dernières versions. » L’une des innovations de la Pure Aero 2023 a été l’utilisation de la fibre naturelle de lin. « Elle a des qualités d’absorption intéressantes pour filtrer les vibrations, a expliqué Olivier Carlier. On en a tout de même mis moins dans les versions les plus lourdes, utilisées par les compétiteurs, pour garder les sensations au moment de l’impact. » À l’avenir, peut-être que certains pros utiliseront un modèle contenant du lin. Ou pas, comme dirait ce bon vieux Perceval (qui manque lui d’un peu de plomb dans la tête) dans Kaamelott. Mais le fait que les champions aient en mains les mêmes armes que les amateurs a été l’une des fiertés de Babolat.
« L’une de nos plus belles innovations, sur un plan qui n’est pas technique, ça a été d’arriver dans le monde des joueurs pros avec une raquette beaucoup plus facile à jouer, a rappelé Jean-Christophe Verborg. On a donné à Carlos Moyà une raquette (la Pure Drive) qui, dans l’esprit des gens et de la mentalité de l’époque, était ‘pour les femmes’, car bien plus légère (aux alentours de 300 g, mais polarisée en tête avec l’ajout de 22 g de plomb) : avec un grand tamis (645 cm²), déjà un peu profilée. Manque de bol, il a gagné Roland-Garros (en 1998) et a été numéro 1 mondial (en 1999). On a un peu secoué les idées reçues, comme quoi il fallait une raquette très lourde avec un tout petit tamis, à l’image de Sampras (plus de 380 g, tamis de 548 cm²). » L’arrivée des cordages monofilaments à la même période a aussi joué son rôle dans cette évolution.
Orientés contrôle et lift, ils ont permis des raquettes plus légères autorisant une plus grande accélération en tête, pour faire tourner la balle sans craindre de la voir terminer directement dans les bâches. « Et une raquette moins lourde, c’est aussi moins éprouvant pour le bras quand il faut jouer cinq sets, a fait remarquer Olivier Carlier. C’est une des raisons qui ont fait le succès de la Pure Drive et de la Pure Aero. Ce qui est intéressant, c’est que nos raquettes sont jouées par des top 10 et des joueurs de club. Alors que dans les années ‘90, la majorité des raquettes des pros étaient injouables pour les amateurs. » « Ce qui est génial pour nous, c’est de dire : Monsieur, vous êtes amateur, vous jouez avec la raquette de Carlos Alcaraz, a ajouté Jean-Christophe Verborg. C’est exactement la même que celle vendue dans le commerce, elle fait 305 g et il n’ajoute quasiment pas de poids. » Naturellement doté d’une gouache phénoménale, le nouvel artiste du tennis n’a, pour le moment, pas ressenti le besoin de se mettre à la peinture au plomb.
Article publié dans COURTS n° 13, automne 2022.