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Yonex

Soixante-quinze ans d’artisanat

© Yonex

Il était une fois l’histoire d’une raquette pas tout à fait ronde, venue d’une contrée très enneigée, sur la mer du Japon. Le fondateur de la marque nipponne YONEX, Minoru YONEYAMA nous a quitté, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. Il était l’âme de la fameuse raquette isométrique; aujourd’hui son fils Ben, ses deux petits-fils et filles Casey et Alyssa en assurent la pérennité.

Yonex, la marque bleue et verte. Bleue comme la mer jamais très lointaine, Verte comme la nature omniprésente des montagnes du département de Niigata ; nature peu clémente, immortalisée par le roman du prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata Pays de Neige. Dans ce froid et sous des tonnes de flocons Minoru YONEYAMA s’était forgé un caractère de battant et avait construit son empire mondial. Artisanat, innovation, marketing : Les trois piliers de la légende Yonex.

L’artisanat japonais se définit par le terme mono-zukuri : une attention délicate aux détails et à la finition, un respect des matières premières et de leurs producteurs, une tradition de père en fils.
Jusqu’à la première moitié du XXème siècle, le père du petit Minoru Yoneyama avait tenu, bon an mal an, une petite manufacture de sandales en bois. Minoru avait été témoin des déchirements familiaux autour d’un petit commerce voué à la disparition ; l’entêtement du père, le stoïcisme de la mère, un récit pas loin des Raisins de la colère. Il avait mesuré toute la difficulté de faire perdurer la tradition. Engagé de force dans l’armée japonaise lors de la deuxième guerre, il était revenu miraculé du front. Son père décédé, lui avait légué en 1946 un petit moteur de scierie. Minoru avait alors renoncé à ses rêves de voyage et créé une entreprise de flotteurs de filets de pêche en bois. Très vite maudit par l’évolution du marché, le plastique remplaçant le bois comme matériel de prédilection des pêcheurs, Minoru avait, sur un coup de tête et avec un flair de futur Tycoon, pris le train pour Tokyo où on lui avait parlé d’un marché de raquettes en bois. Il ne connaissait pas le monde du sport, encore moins celui alors en plein boom qui fait encore aujourd’hui la renommée de la compagnie : le badminton. Pari risqué, pari gagné, en un temps éclair.

La compagnie d’articles de sport Yoneyama était créée en 1957, très vite performante par la quantité de production et la qualité des raquettes, elle se lance dans le tennis en 1969. Le côté visionnaire et scientifique de Minoru c’était alors la T-7000, la première raquette au monde en aluminium. Sans arrêter la production des raquettes en bois, il cherchait déjà l’avantage, l’éclaire de génie afin de prendre les devants sur la concurrence.

Martina Hingis, © Ray Giubilo

Une des constantes de la philosophie de Minoru Yoneyama, malgré une grande curiosité pour l’étranger, était la fidélité au terroir. Il avait toujours refusé de délocaliser ses usines près des grandes agglomérations , gardant la maison mère dans les montagnes de ses ancêtres. Le Japon étant un pays ultra-centralisé, il ne rechigna pas à transférer les branches de la vente, du marketing et la direction à Tokyo mais garda sa pleine confiance aux ouvriers de sa région, les bonhommes de neige, comme il les appelait, pour leur sérieux et leur amour de l’artisanat qui aura toujours fait la force de sa marque. Encore aujourd’hui Yonex est une des rares marques de raquette qui ne produit ni se fournit en Chine. Ce qui est fou, c’est que ce petit homme aux grandes mains, Minoru, dont les larges sourcils et le grand sourire sont comme le climat de son pays, une éclaircie qui change vite en tempête, ait gardé jusqu’au dernier souffle une main de fer sur son royaume, apposant comme l’empereur qu’il était, le tampon sur le contrat d’une nouvelle star qu’approchait la marque ou sur la direction d’une campagne publicitaire.

C’était lui qui avait décidé de rembourser jusqu’au dernier sou les victimes de l’incendie de l’usine des débuts qui avait failli ruiner la compagnie et ravagé le village. C’était lui la décision de continuer comme gage de repentance et de confiance d’engager fils et petits-fils d’employés de la région dans ses usines. C’était lui la promesse d’être à la fois une compagnie dont l’identité resterait l’artisanat millénaire japonais tout en allant à la conquête du monde.

Minoru Yoneyama c’était un peu le René Lacoste japonais, grand homme d’affaire et aventurier, génie de l’intuition et des inventions. En 1974, afin de s’attaquer de plus belle au marché mondial, sa  marque Yoneyama Sports devint Yonex ; un autre coup de génie : il avait peur que le nom Yoneyama soit trop long pour les journaux, trop difficile pour les étrangers, il le coupa en deux Yone, et ajouta une touche de science-fiction avec la lettre symbolisant l’infini et l’innovation, le fameux x du x-factor

En 1981 après de nombreuses simulations, Minoru ouvrait sa première usine en Europe et lançait la fameuse raquette Isométrique, dont le tamis ressemble toujours à un octogone et non pas un cercle, mais dont le sweet-spot  légèrement en tête de raquette est plus large et donc  plus clément. Les théories c’est une chose, il fallait aussi convaincre les joueurs et joueuses. Mais Minoru n’était décidément pas un homme comme les autres, il voulait que les ambassadeurs de la marque Yonex soient comme lui : qu’ils prennent des risques, qu’ils aillent de l’avant, qu’ils représentent une personnalité forte sur et en dehors le court de tennis. Il avait un coup de foudre pour Bille Jean King, battante comme lui sur les courts, défenseur en dehors de la cause féminine avec brio. Elle était iconoclaste, comme sa raquette l’était.

Naomi Osaka, © Yonex

Minoru Yoneyama sauta dans un avion, obtint un rendez-vous, lui sortit le grand jeu, la laissa réfléchir tout en la bombardant de croquis, de projets, de lettres passionnées ; Billie Jean fini par signer en 1980 et les raquettes R-1 R-2 R-3 furent créées au nom de la championne. Dans la foulée il signa une jeune Tchécoslovaque du nom de Martina Navratilova, pour qui il avait alors la présence d’esprit de créer un nouveau prototype la R-7 . Minoru sentait qu’elle ne resterait pas longtemps dans l’ombre de son aînée BJ King. Elle remportait en 1982 à Roland-Garros le premier titre du Grand Chelem de la compagnie Yonex, puis l’année suivante les quatre tournois du Grand chelem, avec le nouveau bolide, la R-22, qui fut un succès mondial.

Minoru était un fou de travail, il était à l’usine, dans les bureaux de Tokyo, sur les tournois à l’étranger de badminton et de tennis ; il se lançait dans les clubs de golf et ne prenait jamais de vacances. « Il n’avait presque pas de vie privée, de vie de famille », selon son fils Ben.
Un stakhanoviste japonais typique, comme Tadao Ando l’architecte ou Masayoshi Son l’entrepreneur de Sony, des hommes durs mais passionnés, persuadés qu’il faut toujours évoluer, conquérir, mais jamais dans le conflit.

Il voulait rester près de ses usines et de ses joueurs. C’était un homme à taille humaine. Les années 90 furent de bons crus, avec la pépite nipponne Kimiko Date, le timide Sergi Bruguera et la petite fée Martina Hingis tous signés dans une fenêtre de quatre ans. Une fournée de champions qui assurait l’assise de la marque à l’international.

Aujourd’hui on marque les 25 ans de la finale historique Krajicek-Washington à Wimbledon 1996. Deux joueurs atypiques, deux forts caractères, à contre courant de la domination Sampras-Agassi.
Un tournoi où Krajicek fut intouchable. Il y eut une photo mémorable au filet avant la finale, où les deux raquettes Yonex près du corps des deux champions attirèrent tous les regards. [/vc_column_text]

Nick Kyrgios, © Yonex

Le fils Ben Yoneyama, hérita de la passion du père pour les champions au fort caractère. Quitte à passer sur des opportunités plus lisses, à l’approche du deuxième millénaire Yonex allait miser des grosses sommes sur des rebelles qui étaient censés inspirer la jeunesse japonaise un peu fade au goût de papa Minoru : le génial Marcelo Rios, le kid Llewton Hewitt furent deux étoiles filantes, qui annonçaient au XXIème siècle des contrats avec de nouveaux marginaux : Tomic ou Kyrgios.

Lleyton Hewit se souvient bien de sa sa première raquette Yonex : « J’avais dix-sept ans et j’essayais pleins de nouvelles raquettes. J’étais au Texas dans l’académie de John Newcombe et je tombe sur cette raquette un peu étrange. Je l’essaye, j’ai un incroyable feeling : de la puissance, un gros sweet spot. Sur mes retours de service, mon meilleur coup, elle était comme l’extension de mon bras. Finalement c’était une raquette assez classique, pour un jeu à plat, des revers coupé, des volées basses, même sans tuning l’équilibre était impeccable ». [/vc_column_text]

Lleyton Hewitt, © Ray Giubilo

Yonex a longtemps eu cette image de joueurs avec des revers à deux mains, à plat, millimétrés. Pourtant les joueurs qui représentent la marque évoluent. Comme le témoigne le fabuleux revers à une main du jeune Shapovalov, le coup droit fracassant du next-gen américain Tiafoe. Il y a aussi la pépite kazakhe Bublik, géant slave aux mains de virtuose. L’identité des iconoclastes de la famille YONEX perdure, Minoru aurait sans aucun doute approuvé. Il aurait même pardonné à Kyrgios son étiquette de bad boy, car le punk austral est un personnage attachant, finalement assez sincère, et surtout contrairement aux préjugés de girouette, très fidèle à la marque du soleil levant.

Si les stars masculines ont décuplées ces dix dernières années, pour beaucoup d’amateurs de tennis en occident, Yonex a toujours été une marque de femmes. Les deux Martina, Aranxta Sanchez, Monica Seles, Mary Pierce, Ivanovic, Kerber. Aujourd’hui encore, c’est surtout Naomi Osaka que l’on voit faire les titres des médias du monde entier.

Stan Wawrinka, © Antoine Couvercelle

L’homme de la révolution au masculin c’est Stan Wawrinka, c’est lui qui est le vrai pari gagnant de ces vingt dernières années. Lui qui a eu un coup de foudre pour la Yonex alors qu’il ne s’attendait plus du tout à du changement, au milieu de sa carrière : « je l’ai prise en main et j’ai eu un sentiment de contrôle total. Pour moi, le contrôle avait toujours eu une grande importance dans mon jeu, de même que la polyvalence, qu’il s’agisse de contrôler les échanges en slice et spin d’un point de vue tactique ou encore en utilisant la puissance pour dicter le point. La résistance du matériel ainsi que la constance entre tous les modèles me permettaient d’emblée d’allier puissance et contrôle. » Stan gagna dans la foulée son premier trophée du Grand Chelem, en Australie. Alyssa Yoneyama s’en souvient : « il nous avait demandé des réglages précis par rapport aux sensations de son coup droit. Il voulait plus d’effet sans perdre le feeling initial de contrôle, nos spécialistes ont planché jour et nuit sur ce projet ». Minoru Yoneyama, le grand-père d’Alyssa n’était plus aux commandes, mais c’était bien une anecdote dans la pure tradition de l’artisanat et du dévouement nippon de Yonex.

Aujourdh’ui au Japon Yonex est la deuxième plus grande marque de sport derrière Asics, un autre patron légendaire et visionnaire, contemporain de Minoru Yoneyama le fameux Kihachiro Onitsuka. Yonex fête ses soixante-quinze ans en 2021 et continue à grandir à son rythme. Il reste des terres sauvages, comme l’Europe, où l’implantation dans des grands pays de tennis comme l’Angleterre ou l’Italie n’a pas encore vraiment réussie, faute d’avoir trouvé les bons partenaires. Une chose est sûre, la marque ne quittera jamais les montagnes de Niigata, la neige, la mer, le bois, feront toujours partie de l’équation, comme Minoru Yoneyama, aujourd’hui au ciel l’a toujours voulu.