Wilson l’innovation au service du sport
Par Loïc Struys
Depuis plus d’un siècle, Wilson est synonyme d’excellence. Créée dans les bureaux d’un hangar d’emballage de viande à New York, la célèbre marque au W a conquis les plus grands champions du baseball, du football américain, du golf et du tennis, s’associant à leurs exploits dans le monde entier. Au fil des années, Wilson a façonné le sport, par les innovations et la modernité de ses équipements, et mène la vie dure à la concurrence, à l’image de ses ambassadeurs.
L’histoire de Wilson démarre à New York, plus près du vacarme des chaînes de montage que du bruit des balles de tennis. Car l’entreprise Schwarzchild & Sulzberger est spécialisée dans… l’emballage de viande. Une activité qui génère de nombreux résidus jusqu’alors inexploités. Afin de réduire ces pertes et d’innover, une nouvelle structure est créée en 1913, Ashland Manufacturing.
Dès 1914 et à l’image de ce qui se pratique en Europe dans des secteurs similaires, la gamme d’Ashland Manfuctaring comprend des sutures chirurgicales, des cordes de violon, deux modèles de chaussures de baseball ainsi que des cordages et raquettes de tennis bon marché, dont la fameuse « Star Tennis Racket » à 75 cents. La société est façonnée par son premier directeur général, E.C. Seaton, considéré comme l’un des premiers experts de l’industrie des articles de sport, puis par un certain Thomas E. Wilson, lequel révolutionnera l’entreprise et, accessoirement, le monde du sport.
Né dans une ferme en Ontario au Canada, le 22 juillet 1868, Thomas E. Wilson arrive aux États-Unis en tant que mécanicien de locomotives, avant d’être engagé dans une société d’emballage de viande nommée Morris & Co. En 1915, il prend la tête d’Ashland Manufacturing. Un premier tournant dans l’histoire de l’entreprise. En visionnaire, Wilson décèle le potentiel du marché des articles de sports : il décide de s’émanciper de la maison-mère Schwarzchild & Sulzberger et de se concentrer exclusivement sur la création d’équipements sportifs.
L’année 1916 voit la naissance officielle de Wilson & Co. Thomas Wilson étend immédiatement les activités de son entreprise en faisant l’acquisition de Hetzinger Knitting Mills et d’une petite société de sacs de provision : la première se charge de produire des vêtements de sport de haute qualité, la seconde de fabriquer des sacs de golf. La décennie suivante est une période faste. Wilson crée en 1922 un conseil consultatif composé d’athlètes dont les remarques avisées propulsent la marque à la pointe de l’innovation dans de nombreuses disciplines pour devenir « The Brand of the Pros ».
Gants et pantalons rembourrés
Au baseball, le gant « Ray Schalk » établit la norme du sport, à travers un design, un confort et un rembourrage uniques à l’époque. Au football américain, Wilson et Knute Rockne, coach des Fighting Irish de Notre-Dame, bouleversent les codes : ensemble, ils conçoivent un ballon en cuir doublé et, surtout, le pantalon rembourré modulable, permettant une plus grande liberté de mouvement aux footballeurs. L’impact de Wilson dépasse ces deux sports et touche le tennis. En 1925, il lance des tubes en carton pour conditionner des balles de tennis jusqu’alors emballées dans des boîtes en papier ou en carton. La mort de Knute Rockne dans un accident d’avion en 1931 marque toutefois un arrêt brutal de l’influence de Wilson dans le football américain. En conséquence, la direction décide de se concentrer sur le golf.
En deux ans, plus de 50 000 clubs sont vendus grâce à la création d’un club à talon compensé, inspiré de la victoire de Gene Sarazen au British Open de 1932. Au début des années 30, la société a géré le développement et la commercialisation de ses produits avec un tel succès que, durant les pires années de la Grande Dépression, la société a non seulement survécu mais prospéré. Wilson poursuit son développement et fait son entrée dans le tennis de haut niveau en signant en 1935 un partenariat avec Ellsworth Vines, célèbre joueur américain, considéré comme le numéro 1 mondial entre 1932 et 1937. Pour la première fois, une raquette au « W » porte le nom d’un champion et offre différents équilibres aux joueurs, avec plus de poids en tête ou près d’un manche recouvert d’un grip en cuir. En parallèle, Wilson révolutionne le marché du golf en commercialisant un club issu de l’assemblage de différentes couches et de différents bois ; ce motif croisé favorise la puissance, un meilleur contrôle et une meilleure résistance.
Polochons et Kramer
Si le « Wilson Duke » devient le ballon officiel de la National Football League au début des années 40, l’effort de guerre affecte sérieusement la fabrication d’équipements sportifs et d’uniformes : presque toutes les installations de production de l’entreprise sont réorganisées pour fabriquer du matériel militaire tel que des sacs polochon, des tentes et des casques. Les sportifs partis au front, la direction de Wilson encourage une participation accrue des jeunes Américains au sport et poursuit son activité principale, grâce à une campagne de marketing bien orchestrée.
L’armistice signé, Wilson connaît une croissance spectaculaire, notamment grâce à l’entrée dans le sacro-saint conseil consultatif de nombreuses personnalités du sport (Wilson Advisory Staff), dont Jack Kramer fait partie. Considéré comme le père du tennis moderne, l’Américain signe, en 1947, année de ses victoires à Wimbledon et à l’US Open, un partenariat qui fera date. Outre l’image d’un numéro 1 mondial, Wilson a trouvé en lui un ambassadeur de poids qui fait rayonner la marque en sa qualité de commentateur, de directeur de tournoi, d’organisateur et de consultant en recherche et développement. C’est d’ailleurs avec un modèle à son nom, la Jack Kramer Autograph, vendu à plus de 10 millions d’exemplaires entre 1949 et 1981, que de nombreux champions comme John McEnroe, Tracy Austin, Arthur Ashe ou Chris Evert remportent les plus grands tournois.
Ordinateur et jouets
À la fin des années 40, la société possède 15 usines et 31 bureaux de vente et entrepôts à travers les États-Unis. La décennie suivante est non seulement marquée par des innovations technologiques continues, mais aussi par des changements administratifs et de nouveaux développements organisationnels. LB Icely, à la tête de l’entreprise depuis 1918 et décédé en 1950, introduit sous son règne la gestion des stocks par ordinateur – une première dans l’industrie du sport. Icely organise la société de manière si efficace qu’à son décès, il n’y a pas d’interruption dans le développement commercial de la marque. Les ventes progressent et les revenus de la société atteignent un niveau record à la fin des années 50.
En 1957, Wilson met au point un nouveau gant de baseball dont les vertus techniques en font immédiatement un best-seller : le A2000 est né.
Malgré les changements à sa tête, Wilson ne modifie pas sa stratégie payante d’acquérir des sociétés hautement spécialisées, même dans d’autres domaines que le sport. À titre d’exemple, le rachat en 1964 de la World Products Company, une société de jouets et d’articles moulés sur mesure, rend de nombreux observateurs perplexes. Pari gagnant pourtant : fort de cette acquisition, Wilson se perfectionne dans le moulage des pièces de protection dans le football américain ou le baseball, comme des casques ou des jambières. Afin d’améliorer son département tennis, Cortland Tennis Company, une firme située dans l’état de New York spécialisée dans la fabrication de raquettes, est également rachetée.
Wilson s’installe au sommet de l’industrie sportive et révolutionne le monde du tennis en développant, en 1967, la première raquette en métal, jadis imaginée par René Lacoste. Baptisée T2000, elle est inspirée du gant de baseball A2000.
L’Excalibur de Jimmy
Le succès est immédiat : « Steelie » bat tous les records de vente grâce à son look, sa puissance et sa légèreté. « Cette raquette a fait sensation », se souvient Billie Jean King, apparue pour la première fois avec la T2000 à l’US Open 1967. Malheureusement, son poids trop élevé pour un usage régulier, l’étroitesse de son cadre et la complexité à la corder en raison d’un système « à crochets » en découragent plus d’un, dont la championne américaine, rapidement revenue à un modèle en bois.
Seul Jimmy Connors en fait son Excalibur. À cette époque, l’Américain encaisse les dollars des uns puis des autres, se fâche avec une marque, signe avec une autre. Jimbo n’est fidèle qu’à une seule chose : la Wilson T2000 avec laquelle il joue depuis qu’il est junior. Il en stocke d’ailleurs de nombreux exemplaires lors de l’arrêt de la production en 1980.
En 1970, Pepsi rachète l’entreprise. Le but de la manœuvre ? Améliorer sa propre image en tirant parti de la réputation et du rôle de leader de Wilson dans l’industrie du sport. En contrepartie, le concurrent de Coca-Cola fournit à Wilson la base financière nécessaire à son développement sur le marché international. En 1976, Wilson s’implante à Galway, en Irlande, pour pénétrer le marché en plein essor des produits de tennis en Europe. Cependant, les opportunités de croissance les plus importantes de l’entreprise se situent toujours aux États-Unis. Au cours de la décennie, Wilson devient la marque officielle de la NBA et de la NFL. Presque l’ensemble des équipements des équipes de la MLB (Ligue Américain de Baseball) sont frappés du sigle « W », à l’instar de l’équipe olympique américaine.
La publicité obtenue grâce à ces accords est sans précédent ; la marque rayonne non seulement aux États-Unis, mais également dans le monde entier. Les possibilités de croissance sont telles que Pepsi décide de scinder la société en trois départements : golf, sports de raquette et sports d’équipe, avec leurs propres départements de marketing et de vente.
Le Wilson Advisory Staff fonctionne mieux que jamais. Dans les années 80, les produits Wilson sont adoptés par plus de cent athlètes parmi les plus célèbres et les plus respectés des États-Unis, dont Sam Sneed au golf, Walter Payton au football américain ou Michael Jordan au basket.
Cette stratégie est ultra-profitable, si bien que de nombreux contrats sont signés avec des détaillants nationaux et régionaux à travers les États-Unis afin de vendre les produits de la marque au W.
La professionnalisation, la médiatisation et la starification des grands champions font décoller le département tennis au point de le voir dépasser le volume du golf. À l’image des sports collectifs, Wilson s’associe avec les plus grandes compétitions pour asseoir sa domination. Ses balles, fabriquées en Caroline du Sud, deviennent en 1979 les balles officielles de Flushing Meadows, nouveau théâtre de l’US Open.
À l’aube des années 80, le tennis vit une révolution avec la mort annoncée des raquettes en bois au profit de matériaux à base de composite et de fibre de verre. Wilson répond aux Prince Graphite, Yonex Rex series ou Dunlop Max 200G en sortant la Pro Staff, premier modèle en graphite et kevlar, dont le nom sera associé aux légendes du sport comme Stefan Edberg, Pete Sampras ou Steffi Graf. Élue raquette de l’année en 1985, la Pro Staff est auréolée des victoires les plus prestigieuses, comme le seront, plus tard, les Hammer – adoptées notamment par Lindsay Davenport – qui deviendront dans les années 90 les modèles les plus vendus auprès des professionnels et des magasins spécialisés.
Wilson parle finnois
Le passage de Wilson Sporting Goods – appellation d’origine – sous pavillon finlandais, suite à son rachat en 1989 pour 200 millions de dollars par le groupe Amer Sports, n’altère en rien sa soif de victoires et de conquêtes. La nouvelle direction met l’accent sur l’innovation : carbone, cristal siliconé, composites. Les raquettes deviennent des produits high-tech. Chaque style de jeu requiert une raquette spécifique, que le tennis soit pratiqué dans l’intimité d’un club amateur ou devant plus de 15 000 personnes. La stratégie est payante.
« J’ai grandi avec une Wilson en main »
Au tournant du XXIe siècle, Wilson domine le marché mondial en plaçant six modèles « Hyper Carbon » dans le top 10 des ventes. Les Hyper Sledge Hammer 2.0 et Hyper Hammer 5.3 sont élues raquettes de l’année 1999. Devenue une référence, la marque séduit les joueurs dès leur plus jeune âge et leurs parents, à l’image des sœurs Williams et d’un certain Roger Federer, dont la première raquette, à l’âge de 10 ans, est une Wilson achetée par Lynette, sa maman.
« J’ai réellement grandi avec une raquette Wilson dans les mains », raconte le joueur suisse, dont le premier contrat avec la société américaine remonte à 1997. « De ce fait-là, je ne m’imagine pas jouer en compétition avec un autre matériel. Avec Wilson, nous partageons l’engagement de faire progresser le tennis et de promouvoir notre sport », ajoute celui qui signe en 2006 un contrat à vie avec sa marque favorite.
« Roger Federer incarne tout ce que nous admirons chez un athlète », déclare Chris Considine, à l’époque président de Wilson Sporting Goods. « Il est la quintessence du professionnalisme et figure parmi les personnes les plus gentilles et les plus sincères avec lesquelles notre société a jamais travaillé. Nous sommes honorés de l’avoir comme ambassadeur à vie de la marque Wilson. »
Grâce à ses associations avec les sœurs Williams, avec Rodge le GOAT, ou encore l’actuelle numéro 1 Simona Halep, Wilson a remporté – rien qu’en simple – la bagatelle de 51 tournois du Grand Chelem. Pour un total stratosphérique de 612 Grands Chelems depuis la création de la marque. Une réussite qui booste les ventes. En 2018, les sports de raquette représentent 1/3 des ventes mondiales de la marque pour un chiffre d’affaires estimé à 750 millions de dollars. Ils constituent de loin l’activité la plus internationale au sein de la marque, avec 2/3 des ventes réalisées en dehors des USA qui constituent, avec le Japon et l’Europe, le principal marché « tennis ».
L’avenir ? Il s’annonce sous les meilleurs auspices selon Mike Dowse, le président actuel de Wilson : « Les opportunités que nous offre la technologie sont très enthousiasmantes. Grâce à l’impression 3D, aux nouveaux matériaux et aux avancées en termes d’automation, nous pouvons envisager de révolutionner la création, la fabrication et la distribution des équipements sportifs, et tout cela encore plus vite qu’auparavant ! »
En un peu plus d’un siècle d’existence, Wilson a conquis les courts du monde entier, des grands stades aux terrains municipaux, où il est devenu fréquent d’entamer un match par la question existentielle : M ou W ?
Article publié dans Courts n° 2, été 2018.