Connors
l’histoire d’un roi
Par Chris Oddo
Traduit par Christophe Thoreau
Dans ses yeux, on pouvait lire qu’il allait vous battre ou, à tout le moins, qu’il ne céderait jamais. Dans l’esprit de Jimmy Connors, entrer sur un court de tennis, c’était pour y mourir si besoin. Une attitude, innée, affichée dès le début de sa carrière, qui allait d’ailleurs faire basculer le tennis dans un spectacle d’un genre nouveau. Puis une attitude, inébranlable, affichée de la même façon au crépuscule de sa carrière, versant ce qu’il lui restait d’énergie, d’âme et de coeur pour aller chercher des victoires à 40 ans passés.
“C’est pour ça qu’ils paient leur place, c’est ça ce qu’ils veulent voir”. Cette phrase, prononcée pendant l’US Open 1990, alors que le vieux lion s’était offert à 39 ans une ultime demi-finale en Grand Chelem, est restée célèbre. Des propos qui disent tout, à la fois de ce don de lui-même dont Connors faisait preuve pour le public, notamment celui de Flushing Meadows, son préféré, tout comme de sa quête obsessionnelle de la victoire. Sur un court, Connors était bel et bien prêt à suer sang et eau, arc-bouté à sa bonne vieille Wilson T 2000. Avait-on déjà vu, dans l’histoire de ce sport, un joueur afficher un tel esprit combatif ?
“On avait l’impression qu’il vous faisait don des efforts gigantesques qu’il allait déployer” a dit un jour à propos de lui, le journaliste américain Steve Flink. En cela, Connors était un vraiment joueur singulier.”
Méchant -parfois-, fabuleux -souvent-, brut et bouillonnant -toujours : les adjectifs manqueraient presque pour qualifier le natif de Saint-Louis, Illinois. Son incroyable désir de vaincre le rendait parfois mauvais. Ce à quoi il répondait prestement : ”Mais les gens ne semblent pas comprendre que c’est une putain de guerre, là-bas!”
La figure du combattant ne doit pas masquer d’autres qualités majeures chez Connors : son génie tactique et sa qualité de frappe. Un cocktail gagnant qui lui a permis de remporter l’hallucinant total de 109 titres ATP et de 1 274 victoires. Deux records après lesquels Roger Federer court toujours…
Et puis Connors -on l’oublie parfois- a révolutionné le jeu. Tout d’abord en étant l’un des premiers à utiliser une raquette faite d’un autre matériau que le bois: la fameuse Wilson T 2000, inventée en France par René Lacoste, à laquelle il vouait un culte absolu.
Techniquement, il nous faut évoquer ce revers à deux mains -loin d’être une évidence au début des années 70- frappé à plat alors que le lift -lourd comme celui d’un Björn Borg- commençait à trouver sa place. Et puis il y avait aussi ce jeu de jambes, rapide et précis, qui lui permettait d’être toujours remarquablement placé à l’impact, ce qui avec ses frappes à plat, était de toute façon une nécessité.
Comme d’autres après lui -évoquons Andre Agassi ou Novak Djokovic- Connors a fait du retour de service une arme incomparable. Le concernant, c’est évidemment côté revers qu’il excellait, mettant au supplice tous les grands serveurs qu’il a pu croiser. Sans cet atout majeur, Connors qui était un serveur modeste, n’aurait sans doute pas remporté huit titres du Grand Chelem.
En 1974, Connors a signé l’une des saisons les plus réussies de l’histoire: 95 victoires pour quatre défaites et trois titres majeurs remportés. S’il n’avait pas été banni de Roland-Garros cette année-là -à cause d’un juteux contrat l’incitant à disputer les Intervilles aux Etats-Unis- Connors aurait sans doute réussi le Grand Chelem. Il a aussi été le numéro un mondial en fin d’année, cinq fois de suite, de 1974 à 1978.
Connors, mu par son inextinguible soif de victoires, était loin d’être un saint, ce qu’il n’a de toute façon jamais souhaité. Car Jimbo s’est toujours opposé à toute forme d’autorité. Il s’est construit “contre”. Contre le public (au début de sa carrière), contre les autres joueurs, contre tout ce qui pouvait contrarier ses desseins. “Il était clair que c’était moi, ma mère et ma famille contre le reste du monde”, a-t-il dit un jour. Sa mère, Gloria, qui l’avait lancé, avant qu’elle ne le livre au légendaire Pancho Segura. C’est le champion équatorien qui lui inoculera le virus du combattant.
Pour Connors, il était impossible d’aborder ce sport autrement que comme une bataille de rue. C’est d’ailleurs lui qui a inspiré les journalistes à comparer le tennis avec la boxe et les échecs. Connors a montré que le tennis n’était pas réservé aux nantis bien élevés des très chics country-clubs. Il pouvait se comporter comme un petit voyou et dans le même temps élever au plus haut l’art de son sport.
Une dualité qui fit longtemps de lui un incompris. Et puis, vers la fin de sa carrière, son image a changé : parce que son immense palmarès parlait pour lui et que sa générosité avait conquis le coeur des publics du monde entier. Il n’y avait plus l’ombre d’un doute pour tous ceux qui aiment ce sport : Connors est bien l’un des plus grands joueurs de tous les temps. Et peut-être même le plus grand compétiteur de l’histoire.