Vol au-dessus des lignes de courts
Par Vincent Schmitz
Moitié artiste moitié nerd, Petra Leary photographie des lieux vus du ciel avec un drone. Fascinée par l’attrait graphique des terrains de sport, cette jeune Néo-Zélandaise de 28 ans les sublime en jouant avec leurs lignes, leurs couleurs, leurs ombres et leur structure, pour en proposer une nouvelle perception fascinante. Après une première série remarquée et primée consacrée au basket (Daily Geometry, en 2017), elle a diversifié les sujets de ses clichés mais toujours avec cette dimension bird’s eye. Parmi ceux-ci : les courts de tennis. Un bon prétexte pour évoquer avec cette artiste d’Auckland la photo, les drones et nos bien-aimées surfaces de jeu.
Virée de l’école à 16 ans pour son comportement (ce dont elle rit aujourd’hui, disant « comprendre avec le recul »), Petra Leary s’est formée seule ou presque au dessin et à l’art de la composition graphique. Après plusieurs expériences scolaires et professionnelles qui la clouaient un peu trop sur sa chaise et dans des contraintes, elle trouve finalement sa voie en prenant de la hauteur, quand elle veut bien descendre de son skate. Traversée par des tendances obsessionnelles (c’est elle qui le dit), ce sont les courts de tennis qui l’occupent aujourd’hui, toujours avec son drone. Et avec un rêve en tête : « photographier à travers le monde toutes les sortes de terrains, de tennis et de basket. Je pense que ça donnerait une série incroyable. » Car depuis sa découverte de la photo par drone, elle affirme qu’elle « ne peut plus rien regarder de la même façon. J’ai toujours en tête ce que ça pourrait donner vu d’en haut. Quand je me balade avec des amis et qu’on croise des bâtiments ou des choses bizarres, je ne peux pas m’empêcher de me dire oh, ce serait tellement cool de voir ça depuis un drone ! C’est comme si j’avais découvert une nouvelle dimension… »
COURTS : Vous rappelez-vous du moment où vous avez eu l’idée de photographier des terrains en vue aérienne ?
Petra Leary : Oui ! C’était l’une des premières fois que je pilotais mon drone. C’était durant un long week-end de vacances et Auckland était très calme. Avec mon amie Marie, nous étions parties à la recherche d’endroits intéressants à photographier et nous nous sommes retrouvées au Potters Park. J’ai fait voler le drone au-dessus du terrain et j’ai été immédiatement bluffée par cette vue d’en haut. C’est d’ailleurs cette photo qui m’a popularisée sur Instagram et m’a valu un prix en 2017.
C : Quelle a été votre réaction en voyant le premier résultat ?
P.L. : Pour moi, ça a été tout de suite le début d’une addiction (rires) ! J’ai une tendance à devenir obsessionnelle quand ça m’intéresse et ça a créé un switch dans mon cerveau. Voir d’en haut, c’était comme découvrir un nouveau monde, que je peux explorer et avec lequel je peux jouer.
C : Pourquoi des terrains de basket ?
P.L. : C’est marrant parce que je n’ai jamais joué dans une équipe de basket. Je shootais avec quelques amis pour le fun mais sans plus. Et puis, comme je suis grande, on me disait toujours tu devrais jouer au basket ! Mais je faisais toujours le contraire de ce que les adultes me disaient, ça explique aussi pourquoi je n’y ai jamais joué (rires) ! La vraie force pour moi, ce sont les éléments graphiques des courts. La symétrie, les formes, les lignes fortes et simples qui se démarquent… Tout ça combiné avec des joueurs talentueux, ça crée ces images incroyables. Il y a la variation, aussi. Les terrains suivent clairement un format de base, ce qui donne une continuité, mais en même temps, ils sont tous tellement différents… Les couleurs, surfaces, textures, tailles et lieux donnent à chaque fois une photo unique.
C : Quel est le lien entre les terrains de basket et les courts de tennis ?
P.L. : Les courts de tennis ont les mêmes éléments graphiques, la symétrie, la simplicité, les différentes surfaces… Je travaille actuellement sur une nouvelle série qui se focalise exclusivement sur les courts de tennis. Il y a toutes ces ombres intéressantes et les déplacements des joueurs : capturer un mouvement d’une fraction de seconde donne un côté très abstrait mais, en même temps, les ombres offrent au spectateur un regard sur ce qui se passe. C’est comme proposer deux perspectives en une.
C : Qu’est-ce qui fait une bonne photo de court, selon vous ?
P.L. : Le plus important pour moi, ce sont les lignes droites. Les TOC en moi ne peuvent pas supporter les lignes de travers. C’est toujours mon aversion numéro 1 sur des photos de terrain, ou même sur n’importe quelle photo impliquant des structures et des formes, sauf si c’est intentionnel. Et je pense que l’équilibre des espaces et du cadrage est vraiment important dans ce genre de photo.
C : C’est le drone qui vous a amenée à la photo aérienne ou l’inverse ?
P.L. : Je dirais que c’est le drone. Je faisais de la photo de rue et j’escaladais déjà souvent pour obtenir une vue d’en haut mais j’étais toujours limitée. Les perspectives n’étaient jamais complètement « à vol d’oiseau ». Cela dit, je ne peux pas dire que j’ai pensé à utiliser le drone pour pallier ces contraintes, le drone est juste arrivé comme ça. Apprendre à piloter a d’ailleurs été plus compliqué que manier l’appareil photo.
C : Qu’est-ce que photographier par drone apporte de plus ?
P.L. : Non seulement cela me permet d’accéder à des perspectives impossibles à obtenir normalement, mais cela modifie aussi ma manière de penser et de regarder les choses en général. Je remarque que maintenant, quand je regarde les choses du quotidien, je les regarde en imaginant à quoi elle ressembleraient vues de haut.
C : Le résultat est fascinant, avez-vous des mots pour expliquer cela ?
P.L. : Ce que je trouve fascinant, c’est le fait que des objets ou des bâtiments que les gens considèrent comme moches ou ennuyeux sont souvent les plus beaux et les plus intéressants avec une perspective top-down. À titre personnel, cela a augmenté mes aptitudes en tant que photographe, illustratrice et designer. Ça m’a permis de combiner mon amour de l’illustration et du graphisme à travers mes photos, et de transformer la photographie pour créer ma propre forme d’art. Certains endroits donnent des photos incroyables et d’autres m’offrent un canevas sur lequel travailler pour m’approprier totalement une image. J’aime quand on regarde mon travail et qu’on doit s’y reprendre à deux fois, genre attends, il y a trois ombres mais seulement deux personnes ! Et puis, ça me ramène aussi à mon amour des jeux vidéo. Quand je pilote mon drone, c’est comme jouer à un jeu, mais dont le but est de prendre des photos.
C : Comment choisissez-vous les endroits que vous voulez photographier ?
P.L. : Je passe beaucoup de temps à scroller sur Google Maps à la recherche d’endroits intéressants et de terrains cachés. Mais je suis arrivée à un point où je pense avoir photographié à peu près tout ce qui se trouve dans la zone d’Auckland… Et en plus, mon app Google Maps est hors de contrôle avec tout ce qui j’y ai épinglé : donc trouver du neuf, ça devient difficile (rires) !
En fait, je passe la plupart de mon temps à marcher ou sur mon skate, à la recherche de spots que je pourrais photographier. C’est assez dingue le nombre de terrains cachés qu’on croise, quand on commence à y prêter attention. J’aime chercher des couleurs, des formes, des dessins… dans l’architecture ou les terrains, sur les routes ou même des arbres surprenants. Il y a vraiment une variété infinie de sujets. Et ça m’a ouvert les yeux sur des cultures et des passions d’autres gens. Par exemple, je ne peux pas dire que je m’intéresse à la danse ou aux belles robes et pourtant, vu d’en haut, c’est incroyable.
C : Comment se passe la prise de vue ? Avez-vous dès le départ une idée précise de la hauteur, de l’angle, de la position…
P.L. : Parfois, j’ai une idée assez précise de ce que je veux mais en même temps, je joue avec les différentes hauteurs de cadre. À moins d’avoir déjà shooté sur place, c’est compliqué d’imaginer exactement ce que ça donnera avec le drone. J’aime l’utiliser non seulement pour photographier depuis des hauteurs extrêmes mais aussi d’assez bas. Un peu comme un photographe traditionnel, sans les contraintes.
C : Combien de temps peut durer un shooting ?
P.L. : Techniquement, vous avez environ 30 minutes de batterie. Mais selon l’endroit et le nombre de batteries à disposition, ça peut être beaucoup plus long. C’est très variable. Si c’est pour un shooting commercial, ça peut durer plusieurs heures. Pour être sûre que tout est couvert et avoir une sélection d’images suffisantes. Et puis parfois je suis contente de ce que j’ai photographié en 15 ou 20 minutes.
C : Vous considérez-vous comme une photographe, une graphiste ou une drone nerd ?
P.L. : Je suis une nerd dans ce qui m’intéresse mais je ne suis pas très sûre de savoir où je me situe (rires). Je suis une photographe mais d’une certaine façon, je dirais que je suis une artiste. Mon travail est un tel mélange : photographie, illustration, modélisation 3D, vidéo… C’est difficile de me placer dans une catégorie !
Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.