Un samedi au club
Un samedi au club
Laurent Schlittler, éditions Hélice Hélas. Octobre 2021.
A cheval entre récit et roman, fiction et réalité, Laurent Schlittler choisit un environnement paisible et agricole pour construire son histoire. Rien d’étonnant, ça se passe très probablement en Suisse. Sans les montagnes cette fois. Oui, mais pour le même prix (16,00€), ça aurait tout aussi bien pu se passer ailleurs. En France, en Italie, en Allemagne ou en Grande Bretagne.
Un petit village comme tant d’autres. Un club de tennis bien pensant, en marge d’un lotissement de villas de périphérie. Petit village, petit club, joueurs amateurs. Jusqu’ici, tout semble normal. Sauf l’ambiance qui s’y dégage. Violence, mépris, envie, agressivité. Le sport revisité à l’échelle lambda, avec tous ses maux et ses contradictions. Un univers désagréable et hostile à souhait. Les membres du club : des notables à deux balles, des anciens du sport. Méchants, médiocres et ratés. Sans parler du président. Personnages de guignol. Tous. A l’image de la société qui nous entoure.
Reste une belle touche d’humour pour dénoncer ce malaise sportif et social. Brian Gollo, quadragénaire relooké cool, rayures Fila, chaussé par Oakley, rêve de gagner le tournoi des non classés. Il affronte le jeune Tobias Mann. Mais Brian ne joue pas simplement au tennis, il joue sa vie, ses émotions, ses frustrations, ses ambitions. Le tout enveloppé dans du papier cadeau. Tirez m’en deux, c’est pour offrir. Ça fera des beaux souvenirs sur le mur du clubhouse.
– Out, la balle est out
Tu te moques de moi ou quoi?
– Non pourquoi?
La marque pleine ligne, je la vois d’ici
(…)
Qu’est-ce que tu viens de dire?!…Allez répète!
– La balle m’a abusé,
Non, Trou de balle, mal baisé, c’est ça que t’as dit!
Abusé, mal baisé ? Le monde est soudain contre Brian Gollo. Comment lutter ? Schlittler lui fait perdre huit jeux d’affilée. Ça fait mal, très mal. Et le massacre ne fait que commencer. Tout est dans la tête, ailleurs aussi parfois. L’important c’est d’en être conscient. Parce que dans la vraie vie, Brian est contrôleur de transport. Il a droit à l’uniforme et au respect. Ça ne lui donne pas pour autant tous les droits. Par exemple, celui de peloter une jolie étrangère en infraction. Anglo-Saxonne de surcroît. Oui, les Anglo-Saxonnes se laissent toucher plus facilement. Enfin, c’est ce qu’il croit Brian. Pauvre Gollo. T’as pas fini de trinquer. Le meilleur, on le garde au frais, on se le réserve pour la fin. La fin d’un pantin désarticulé, nu comme un ver de terre (battue), couvert de jaune. Heureusement, Gisela est là pour toi, Brian. On dirait même qu’elle t’attendait depuis longtemps, avec ses beaux pieds nus. Alors oui, parle lui gentiment, comme il faut. Rassure la, et puis laisse toi prendre doucement par la main. Jusqu’à la chambre au lit refait.
Suspense psycho sportif dans un conflit social de génération décliné en trois sets. Malaise au Tennis Club, mais aussi :‘Malaise dans la civilisation’ (Sigmund Freud 1930.) Un antagonisme éternel de pulsions dominantes où deux forces habitent l’homme dans un combat vital sans fin : l’amour et la mort. Eros et Thanatos. Brian en est témoin, un peu malgré lui.
Un récit épique et émouvant signé Laurent Schlittler. Surprenant et facile à lire. Couverture rouge à lèvres, sur fond de teint en noir et blanc. Pochette surprise. Editeur Hélice Hélas : ça cartonne chic.
Après On est pas des guignols (Navarino, 2004), et Séjour à la nuit, publié en 2010, Un samedi au club, est le troisième roman de Laurent Schlittler. Né en 1966 à Londres, auteur multidisciplinaire et journaliste de formation, Schlittler vit et travaille en Suisse.