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Un joueur, son sac, leur histoire

Traduit par Marnie Abbou

La vie est pleine de surprises. Existe-t-il une expression plus clichée ? Et pourtant, elle s’avère souvent vraie. La vie n’est que rarement ce qu’on attend d’elle. Une fille te sourit dans le train et l’instant d’après tu t’imagines vingt ans plus tard avec vos deux enfants. Alors, tu t’efforces de répéter ce même trajet pendant des mois, dans l’espoir d’attirer son regard une nouvelle fois. Mais peu importe.  Une vingtaine d’années après, tu es heureux et marié à une conductrice de train. Vous vous êtes rencontrés en voiture trois.

Quand Jack Oswald frappe son premier coup droit à l’aide de sa raquette de tennis miniature, il s’imagine déjà devenir joueur de tennis professionnel. Ce geste marque le début d’une nouvelle aventure aux issues infinies. Vingt ans plus tard, il n’est pas en train d’affronter Stefanos Tsitsipas sur le court Philippe Chatrier mais plutôt de recoudre un sac de tennis en plein milieu de la nuit. Qui l’eut cru, il n’a jamais été aussi heureux.

Né de parents anglais, Oswald grandit aux Etats-Unis. Une grande partie de son enfance se résume à perfectionner ses coups sur un court de tennis. « J’ai toujours été un acharné, et je voulais m’entrainer pour devenir aussi fort que je le puisse », me raconte Oswald au téléphone. « J’adore l’idée qu’il y a toujours un pourcent de son jeu à améliorer. Je voulais aller le chercher pour voir où cela me mènerait ». Au fil des années, le rêve d’Oswald prend doucement la forme d’une réalité. A seulement treize ans, il décide de quitter ses parents pour débuter une nouvelle aventure en Europe – à la poursuite de son rêve. Ce lourd sacrifice forge la personnalité d’Oswald, encore gamin. Il se dévoue entièrement au sport qu’il aime tant. Il passe les six années suivantes de sa vie en France, au Royaume-Uni et en Espagne où les opportunités d’apercevoir ses parents se font rares. A 17 ans, Oswald se sent prêt à tenter sa chance sur le circuit professionnel. S’ensuivent des années difficiles au cours desquelles il se rend compte qu’il n’est pas un joueur exceptionnel. « Je n’ai atteint que les plus bas échelons du circuit professionnel », admet-il. « Je jouais surtout sur le circuit Futures – des 10k, 15k et rarement des 25k – je ne suis jamais allé au-delà ».

Le choix du revers à une main d’Oswald reflète son amour pour la beauté du jeu – notamment celle cachée dans une frappe exécutée à la perfection. « J’adorais regarder jouer Gasquet », me raconte-il. « Sur le circuit féminin, j’aimais beaucoup Justin Henin. Je suis assez petit pour un joueur de tennis, très loin d’un Del Potro par exemple, et sa capacité à battre des joueuses bien plus grandes et puissantes qu’elle m’a vraiment inspiré ». Au fil du temps, les contraintes financières et logistiques du tennis ont eu raison d’Oswald qui décide de ranger sa raquette au placard. « J’étais amoureux de chaque instant » se souvient-il. « J’essayais de jouer tous les tournois aux quatre coins du monde. Je passais mes semaines en Europe, en Afrique, en Asie avant de revenir aux Etats-Unis. Ce sont des souvenirs fabuleux ».

Si Oswald n’a pas eu la chance de gouter aux plaisirs du tennis de très haut niveau, il a expérimenté la plupart de ses inconvénients.  Des années durant, les voyages étaient son quotidien – et la gestion de ses valises également. En parcourant le monde semaine après semaine, il a développé une relation particulière avec ses bagages. « J’ai beaucoup voyagé sur le circuit. Avec de nombreuses valises – dans l’avion, le train, le bus, les hôtels et dans les villes », énumère-t-il. « J’ai fini par vraiment bien comprendre les difficultés que rencontrent les athlètes qui voyagent toute l’année ».

©Gino Salinas, Tenis al Máximo

De cette frustration, est née une idée. Durant ses temps morts entre deux matchs, le projet de créer son propre bagage germe dans l’esprit d’Oswald. « Tout a commencé en 2018 », se souvient-il. « J’essayais simplement d’imaginer des sacs de tennis et de voyage plus en adéquation avec mes besoins. Puis, c’est un devenu un projet sérieux. J’étais tellement passionné par le côté créatif – rien qu’au niveau des tissus. C’était super de réfléchir à comment faciliter les voyages des athlètes avec tout leur matériel de tennis ». Passer de joueur de tennis à créateur de sacs n’a pas été une tâche aisée. Oswald se jette dans le monde des équipements de sport avec autant de passion que dans le tennis professionnel plusieurs années auparavant. « Je n’avais absolument aucune connaissance dans la conception de produits », admet-il. « J’étais également novice dans le monde des affaires. Je l’ai approché avec la même envie que le tennis. Je me concentrais juste sur améliorer mon un pourcent jour après jour ».

Son intérêt pour les sacs de tennis se transforme vite en une réelle passion. L’entrepreneur en herbe rencontre alors un créateur de produits textiles qui lui montre les rouages du métier. Cette personne « a fait en sorte que je ne couse pas mes propres doigts » s’amuse Oswald. S’ensuivent d’innombrables heures dans l’atelier à coudre, à couper les matériaux au laser, à attacher les tissus, et à poncer. Ces tâches requièrent une tout autre forme de précision que celle requise sur un court de tennis. « Il y a eu de nombreuses tentatives et erreurs », se remémore Oswald. « On a probablement créé entre cinquante et cent prototypes avant d’accoucher du premier modèle que l’on a pu mettre en vente ». Sur un court de tennis ou à la tête d’une entreprise, Oswald recherche l’alliage parfait entre la beauté et la fonctionnalité. A force d’un dévouement sans faille, d’un travail acharné et « de nombreuses erreurs apprises sur le tas », Cancha voit le jour. « J’ai trouvé le nom en jouant un Futures au Peru », raconte Oswald.  « Ce mot signifie ‘court’ en espagnol mais ‘avoir un cancha’ désigne aussi une personne qui ne lâche rien. Telle est l’essence de notre marque ». 

Oswald poursuit le développement de son entreprise en obtenant un MBA. Ce diplôme l’aide à mieux appréhender le volet commercial de son projet et à intégrer un réseau de professionnels de l’industrie. Désormais, la fabrication et la conception de textiles n’ont plus aucun secret pour lui. « Je trouve ça intéressant à quel point mes journées au travail ressemblent à celles de ma carrière d’athlète professionnel. Il y a tellement de parallèles entre la mentalité et l’état d’esprit d’un tennisman et d’un entrepreneur », affirme-t-il. « On retrouve la patience et la vision de long terme mais aussi la nécessité de rester concentré à chaque étape intermédiaire pour atteindre ses objectifs ». Avec un peu de recul, Oswald concède l’ampleur démesurée de l’aventure dans laquelle il s’est lancé. « Je n’étais pas suffisamment préparé », déclare-t-il. « Je ne pense pas que quiconque peut l’être avant de se lancer. Tout réside dans la manière d’approcher la nouveauté ».

Aujourd’hui, Cancha est bien lancée sur le marché. Le site internet dévoile des sacs de tennis, de paddle, de pickleball et aussi certains dédiés à la vie quotidienne en différents coloris. Tous les sacs Cancha sont personnalisables – ce qui est un des principaux atouts de la marque. « En fin de compte, les besoins de chacun sont différents en voyage », explique Oswald. « Ils emportent tous des choses différentes. Chacun a des besoins et des routines qui lui sont propres. Pour nous, proposer un modèle unique n’avait pas d’intérêt ».

Je lui demande à l’improviste de me convaincre d’abandonner mon vieux sac Babolat pour un Cancha. Je m’attends à un argumentaire de vente tout préparé mais Oswald fait plutôt appel à mon bon sens. « Il n’y a rien qui n’aille pas avec ton sac actuel », répond-il. « Mais si tu espères un sac qui dure, dans lequel tu peux mettre tout ton équipement au sec et qui a assez de place pour des objets du quotidien comme un ordinateur, alors je te conseille un sac Cancha ». 

La passion d’Oswald est aussi évidente que contagieuse. Il évoque les différents modèles Cancha comme d’autres racontent les exploits de leurs animaux de compagnie. Celui-ci est pour un joueur amateur. Celui-là est plus grand, il peut contenir jusqu’à six raquettes. Cet autre sac possède un compartiment pour les vêtements mouillés. Et ce dernier est une version miniature dédiée aux joueurs de padel ou de pickleball. L’homme à la tête de Cancha n’essaye toujours pas de me convaincre. Il ne veut pas me faire croire que sa marque est bien plus qu’un produit, il en est persuadé. « On travaille avec des organisations à but non-lucratif ainsi qu’avec le monde du tennis », affirme-t-il. « On essaye de ne faire qu’un avec ce sport. Voyager, visiter de nouveaux lieux, découvrir de nouvelles cultures et partager des expériences autour d’une passion commune. C’est ça le tennis. Et notre marque se construit autour des mêmes valeurs depuis quelques années ».

Les ambitions de Cancha n’ont aucune limite. La marque souhaite devenir bien plus qu’un simple accessoire de tennis. « Nous sommes membres de ‘1% for the planet ‘ donc nous donnons un pourcent de notre bénéfice annuel à des organisations à but non lucratif qui œuvrent pour l’environnement. Nos matériaux sont également certifiés ‘Bluesign’. Nous voulons que nos produits soient durables », explique-t-il.

Dès le début, l’intention d’Oswald était d’être à l’écoute. Il est ouvert aux retours – tant bons que mauvais – par emails, Instagram ou même en face-à-face. « Nous serons présents dans Wimbledon Village pendant le Championships afin de rencontrer nos clients », annonce-t-il. « On ne peut pas plaire à tout le monde mais on a eu de nombreux retours positifs au fil des années. Je pense que c’est parce que nous intégrons l’avis de nos acheteurs.  Nous débutons chaque journée avec l’espoir d’améliorer toujours un peu plus nos sacs »

J’interroge Oswald à propos de ses ambitions pour Cancha. J’évoque l’idée du sac de tennis parfait, celui qui évincerait tous les autres. Pour me répondre, il utilise encore une fois un parallèle entre son entreprise et ses jours sur le circuit professionnel. « Le tennis est l’un des sports où tu es entièrement responsable de ton succès, de tes échecs mais aussi de ton bonheur. Tout dépend de ton état d’esprit », est persuadé Oswald. « La perfection doit être l’ambition. Cela ne signifie pas que tu l’atteindras un jour, même si tu es Roger Federer », ajoute-t-il. « Mais c’est cet état d’esprit qui t’obtiendras 90% de ton succès ».

canchabags.com

© Laurent Van Reepinghen