Tennis Gallery 112
Arthur Road, Wimbledon Park
Par Rémi Capber
« Le tennis, c’est plus qu’un sport. C’est un art, au même titre que la danse ! »
Bill Tilden
Ces mots de Bill Tilden disent tout de ce qu’est le tennis sur le court. Mais pour Richard Jones, qui tient la Tennis Gallery, une étonnante petite boutique à quelques hectomètres de Wimbledon, le tennis est un art bien au-delà du court.
C’était en 1969. « Année érrr-wotique », susurrait Jane Birkin à l’oreille de Gainsbourg et de son Gainsborough… Sa voix vaporeuse le suggérait sans le savoir : ce 3 juillet 1969, c’est un érotisme tout tennistique qui se dévoile à Richard Jones. « C’était seulement la deuxième fois que je venais à Wimbledon », se souvient ce Britannique so British qui découvre un Centre Court humide, boueux, au gazon laminé par un orage soudain… mais qu’Arthur Ashe reverdit le temps d’un set, en demi-finale, face aux arabesques gauchères de Rod Laver – « le meilleur tennis jamais joué », racontera Jack Kramer, triple vainqueur en Grand Chelem.
Une petite boutique de briques rouges
C’était en 1969. Il y a 50 ans. Mais ce jour-là, Richard le garde en mémoire, tout comme les centaines d’autres qui, des décennies suivantes, ont écrit les plus grandes pages de l’histoire du tennis… Des pages colorées qui s’alignent dans les rayonnages de sa petite boutique au 112, Arthur Road, Wimbledon Park. Car Richard Jones, auteur et historien du tennis, a créé un petit musée de ses souvenirs et de ceux des passionnés du feutre, des cadres en acier ou en bois laminé : Tennis Gallery.
« Ce magasin est le seul, en Grande-Bretagne, exclusivement dédié à la mémoire du tennis, à tout ce que ce sport possède d’artistique ou de littéraire », explique-t-il à l’envi. Avec, en vrac : « Plus de 1 000 ouvrages sur notre sport de 1880 à nos jours. 8 000 affiches originales, dont celles de Wimbledon de 1986 à 2019, celles de Roland-Garros depuis 1991, de rencontres de Coupe Davis ou de Fed Cup, de tournois un peu partout dans le monde… 3 000 programmes de Wimbledon de 1907 à maintenant. Des cartes postales, des magazines, de l’argenterie… Toujours et seulement en rapport avec le tennis. »
Cela s’est passé le 3 juillet 1969
Quand on lui parle du 3 juillet 1969, Richard Jones se montre intarissable. « J’avais fait la file à Somerset Road dès 7 h du matin pour réussir à décrocher un billet pour le Centre Court. Le jeu avait débuté à 14 h précises. Le premier match opposait John Newcombe et Tony Roche, de solides serveurs-volleyeurs… mais assez ennuyeux à regarder. Tout a changé lorsque Rod Laver et Arthur Ashe ont pénétré sur le court ! Ashe était rapide comme l’éclair et les frappes de Laver résonnaient comme des coups de feu. L’élégant Arthur avait remporté le premier set très rapidement – et je n’en croyais pas mes yeux, car Rod The Rocket était alors imbattable ! » L’Australien avait fini par remporter le match en quatre manches, 2-6 6-2 9-7 6-0. « Mais je ne me souviens pas d’avoir regardé le score une seule fois tant le tennis pratiqué ce jour-là était éblouissant. Tous les deux jouaient dans un autre univers. » Cela tombe bien : « Deux semaines après, le 20 juillet 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin foulaient le sol lunaire pour la toute première fois… »
« Le seul magasin en Grande-Bretagne exclusivement dédié à la mémoire du tennis »
C’est à l’époque d’Andre Agassi, de Tim Henman et de Greg Rusedski, juste avant que le gazon du All England Lawn Tennis Club voie son mariage de ray-grass et de fétuque rouge traçante évincé au profit d’un ray-grass vivace, mortifère pour le service-volée, signant l’extinction des zones brunes au filet, que Richard et sa femme, Chris, ouvrent leur première boutique. Depuis 1996 et la dernière édition des Kent Championships, ils écumaient les tournois et les rencontres de Coupe Davis, installant des magasins éphémères au succès immédiat : « Nous vendions des milliers de livres sur le tennis chaque année… »
Au point qu’il fallait un palier, un pignon et une petite maison de briques à 20 minutes à pied du Centre Court pour rassembler ces innombrables pages. C’est chose faite le 1er octobre 1999. Depuis, comme pour se remémorer des souvenirs délicieusement désuets, Rod Laver, Ken Rosewall, Neale Fraser, Betty Stöve, les illustres plumes Richard Evans ou Gianni Clerici… tous ont franchi cette porte, serré la main de notre affable Mister Jones, comme en pèlerinage dans cette galerie des Wilde et des Shakespeare de la balle jaune.
« Gallery : a room or building for the display or sale of works of art 1. » Si le vénérable Oxford English Dictionary le dit… Tennis Gallery fait du tennis un art. Mieux : il en est la mémoire.
Article publié dans COURTS n° 5, été 2019.
Tennis Gallery
112, Arthur Road, Wimbledon Park, London SW19
Horaires d’ouverture : 10 h-17 h, du mardi au samedi, toute l’année.
1 « Gallery, nom : une pièce ou un bâtiment consacré à l’exposition ou à la vente d’œuvres d’art. »