Steffi Graf
Sa dernière prouesse
Par Chris Bowers
Traduit par Christophe Thoreau
Était-ce le plus grand match féminin de tous les temps ? Poser la question, c’est finalement y répondre. Cette finale de Roland Garros 1999 entre Steffi Graf et Martina Hingis n’est sans doute pas le duel le plus incroyable de l’histoire – d’ailleurs, est-il objectivement possible d’en désigner un sans que cela ne suscite un débat ? – mais il fait sans nul doute partie du Top 10. Plus qu’un simple match, ce fut le choc électrique entre deux générations, via deux joueuses, deux légendes même, à armes égales.
Graf avait 30 ans lors de ce Roland-Garros. Elle souffrait du dos depuis plusieurs années mais restait compétitive. Sur la ligne de départ de ces Internationaux de France 1999, la voilà tête de série n°6. Hingis, elle, était numéro un mondiale, ayant succédé à cette place à son adversaire du jour en mars 1997, à seulement 16 ans. Désormais âgée de 18 ans, elle avait déjà empoché trois des quatre titres majeurs, seul lui manquait un triomphe à Paris.
Cinq ans plus tôt, Graf avait changé de raquette. La championne allemande était associée depuis toujours à la marque qui l’avait vue grandir. Mais après une opération en octobre 1993 suite à une fracture du pied (blessure qui ne l’a pas empêchée de remporter Roland-Garros, Wimbledon et l’US Open cette année-là !), elle avait décidé de passer chez Wilson. Ainsi, les huit derniers titres majeurs de la carrière de Steffi en Grand Chelem ont été remportés avec une Wilson Pro Staff (une 7.0 lite, puis Pro Staff 7.5 en 1996 avant une Pro Staff 7.1 en 1998).
Lors de la première heure de cette finale, la victoire semble promise à la Suissesse. Elle a remporté la première manche et a fait le break dans la deuxième (2-0) maniant ce tennis plein d’imagination et de fluidité qui faisait le bonheur des spectateurs.
Et puis Hingis commet une erreur. Une geste qui met en évidence son manque d’expérience. Sur le premier point du troisième jeu de la deuxième manche, son retour de coup droit est annoncé faute. Elle demande alors à Anne Lasserre, l’arbitre de chaise, de vérifier la marque. Qui ne la trouve pas. Pas plus que la juge de ligne venue, elle aussi, inspecter la ligne de fond de court. Dans ce cas, l’arbitre doit donc s’en tenir à son annonce première : la balle est faute.
Au lieu d’en rester là et d’accepter ce qui était peut-être une erreur du corps arbitral – mais c’est aussi ça, le tennis – Hingis, à la stupeur générale, passe de l’autre côté du terrain ! Et marche jusqu’à la dite ligne pour montrer -l’éventuelle- marque du bout de sa raquette. Franchir le filet sans raison valable est considéré, dans le règlement, comme un comportement antisportif, et passible d’un avertissement. Mais comme la Suissesse avait déjà reçu un premier avertissement un peu plus tôt pour jet de raquette, l’arbitre la sanctionne d’un point de pénalité. C’est à ce moment-là que le match a commencé à tourner…
Hingis, rappelons-le, a toujours un break d’avance avant l’incident. Elle le perd au sixième jeu puis le reprend pour mener 5/4 et servir pour le titre. Elle s’approche même à trois points de boucler son Grand Chelem personnel. Mais face à sa décision de traverser le terrain à 2-0, le public change de camp. Graf va désormais surfer sur le soutien des 14 000 spectateurs, comme si elle jouait à domicile. Elle « breake » Hingis pour empocher le deuxième set 7/5 et faire basculer dans un troisième set, cette finale à l’intensité dramatique grandissante.
Dès lors, c’est comme si Hingis avait été jetée aux lions. Quand elle cède son service pour se retrouver menée 4-2, les spectateurs s’enflamment comme si Graf était Française. Sur la première balle de match de l’Allemande, à 2-5, Hingis sert à la cuillère, ce qui surprend complètement Graf. De façon totalement injuste, le public se met à siffler Hingis, alors que rien n’interdit de servir par en-dessous, Graf reconnaitra d’ailleurs par la suite que c’était bien joué de la part de son adversaire. Mais la bronca ne s’arrête plus et le public est encore en train de siffler lorsque Hingis tente un nouveau service à la cuillère sur la deuxième balle de match de l’Allemande. S’estimant gênée, la Suissesse va protester auprès de la juge de chaise. Le brouhaha est tel que les deux femmes ont du mal à s’entendre. Hingis n’a pas d’autre choix que de reprendre le jeu, d’enchainer avec un deuxième service, avant de commettre dans l’échange une faute en revers qui offre le titre à Steffi.
Les discours lors des remises de prix sont souvent très formels, mais là, Steffi, trophée en main, saisit l’instant et lance « Je me sens Française », à un Central sous le charme. Les spectateurs adorent. Ils ne le savent pas encore, c’était la dernière fois qu’ils la voyaient sur ce court.
Cette victoire à Paris en 1999 va permettre à Graf de viser un 23e titre majeur à Wimbledon, un mois plus tard. Elle fut battue, de façon assez inattendue, dans une finale 100% Wilson, par la cérébrale Lindsay Davenport, alors au sommet de sa carrière.
Graf prit cinq semaines de repos avant de reprendre la compétition à San Diego. Lors de son premier tour contre Amy Frazier, elle se blesse à la cuisse au début de la troisième manche avant d’abandonner. Deux jours plus tard, elle annonce mettre un terme a sa carrière. Elle déclare qu’elle n’a «plus rien à accomplir », qu’au cours des semaines qui ont suivi Wimbledon, elle a eu le sentiment de ne plus prendre de plaisir sur un court et ne plus trouver la motivation pour reprendre son sac, ses Wilson et aller disputer des tournois. Elle tire donc la conclusion qui s’impose. A compter de ce jour, Graf n’a plus jamais disputé de match «pro».
Un autre événement a peut-être joué dans sa décision : le début de sa relation avec Andre Agassi, une histoire d’amour confirmée par un mariage en 2001.
Un nouveau chapitre de sa vie commençait. Et dans un discours très émouvant, pour l’entrée de Steffi au Hall of Fame en 2004, Agassi a évoqué le « zèle discret » avec lequel Graf était passée de son rôle de championne à celui de maman.
Mais c’est en lisant entre les mots d’Agassi que l’on comprend mieux, comment et pourquoi, Graf a trouvé la force mentale de remporter cette finale de Roland-Garros. Agassi, donc : «De l’ambiance électrique d’un court central au calme de la chambre à coucher d’un enfant, cette âme généreuse, cette force indéfectible, cette voix douce et honnête, n’a jamais été prise en défaut. Le tennis t’a simplement offert l’occasion de mettre plus fortement en lumière tes qualités. Tu as toujours préféré l’action aux déclarations. Tu ne t’es jamais définie par ce que tu as accompli. Ta vraie réussite, c’est d’avoir trouvé qui tu es et tracé ton chemin. »