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Sébastien Grosjean

« on sent l’histoire au moment de pénétrer sur le centre court. »

Sébastien Grosjean © PANORAMIC/beIN SPORTS

À l’occasion de Wimbledon, qui se déroule du 3 au 16 juillet, l’un des consultants vedettes de beIN SPORTS, diffuseur exclusif du Majeur britannique, a livré à Courts Mag son expérience et son expertise sur le tournoi le plus prestigieux du monde. L’ancien numéro 4 mondial, deux fois demi-finaliste en 2003 et 2004, revient sur son rapport privilégié avec cette épreuve mythique et nous dévoile ses pronostics pour cette édition 2023. 

 

Courts : Depuis 2014, Wimbledon est diffusé sur les antennes de beIN SPORTS. Cette année, le tournoi sera proposé en intégralité sur deux antennes, avec de nombreux journalistes et consultants. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le dispositif de cette édition 2023 ?

Sébastien Grosjean : Nous sommes évidemment sur place. Nos équipes se répartissent sur la terrasse, proche des courts N°14, N°15 et N°16, là où se déroulent nos plateaux du matin, ainsi que dans les cabines de commentaire du court central et du court N°1 et sur le balcon, où nous effectuons nos interviews après les matchs. Nous avons également une équipe qui reste à Paris pour les émissions et d’autres commentaires.     

 

C : Sur place, vous louez une grande maison pour toute l’équipe, comme c’est de tradition pour les joueurs et les médias ?

S.G. : Cette année, on logera dans deux maisons. Il y a quelques années, on occupait une grande maison tous ensemble, journalistes et consultants. Maintenant, on habite dans deux plus petites maisons, de 4 ou 5 chambres chacune, que Frédéric Viard réserve pour tous ceux qui viennent travailler sur l’événement. 

 

C : Le fait d’habiter ensemble et de vivre en communauté créé une atmosphère différente par rapport aux autres tournois ? 

S.G. : Oui, c’est vrai. C’est une tradition de longue date à Wimbledon. Quand j’étais joueur, c’était déjà le cas. Énormément de joueuses et de joueurs louaient une maison à côté du tournoi pour pouvoir éviter les transports ou venir se reposer entre les matchs, être un peu au calme. Aujourd’hui, cela se fait un peu moins, mais les télés et les médias fonctionnent comme ça. Cela créé une belle ambiance, un état d’esprit sympa. Même si on dispose parfois d’horaires différents, on se retrouve le matin pour le café ou le soir pour le dîner.  

 

C : Évoquons cette édition 2023. Chez les hommes d’abord, Novak Djokovic, vainqueur à 7 reprises dont les 4 derniers opus, est bien sûr l’immense favori. Voyez-vous un joueur, tel Carlos Alcaraz, récent vainqueur au Queen’s, lui poser des problèmes ou cela paraît encore prématuré ?

S.G. : Pour moi, Novak Djokovic sera très difficile à battre. C’est un joueur qui n’a pas forcément besoin de jouer beaucoup pour s’habituer au gazon. Il commence souvent doucement sur les premiers tours, mais cela lui suffit pour gagner des matchs et monter tranquillement en puissance. Certes, cela lui arrive de connaître quelques difficultés, comme l’année dernière en quarts contre Jannik Sinner qui menait deux sets à zéro, ou encore en finale, où il a laissé échapper la première manche. Mais il est toujours capable de gagner sans bien jouer, ce qui est une grande force. Le format en 5 sets, la surface et l’aura de Novak lui permettent d’avoir un ascendant sur tous les autres joueurs. Sur la durée, ses adversaires se disent que cela va être impossible de prendre le dessus en 3 manches gagnantes. C’est donc clairement le favori N°1. Malgré tout, c’est une bonne chose d’avoir vu Carlos Alcaraz remporter le Queen’s. Je le pense capable de très bien jouer sur herbe, car il se déplace à merveille, il a du pied et il est léger et explosif. Il possède aussi une belle main et il est joueur, il a donc toutes les armes pour s’épanouir sur gazon. On verra si les deux hommes s’affrontent en finale, mais pour moi il reste derrière Djokovic pour le moment. Il y a aussi Nick Kyrgios, mais il n’a pas pu jouer de tournois de préparation. C’est vraiment dommage, car il a tous les atouts sur cette surface pour aller déstabiliser Novak, comme il l’a fait l’année dernière. S’il joue cette édition de Wimbledon, il aura forcément moins de repères, contrairement à la saison dernière où il avait enchaîné les bons résultats avant le Majeur britannique. En tout cas, c’est ce genre de joueurs, puissant, avec un gros service, confiant et imprévisible sur le terrain, qui pose des soucis au Serbe sur herbe. D’autres joueurs qui disposent d’un super service, comme Alexander Bublik, peuvent être intéressants, mais ils leur faudra conserver un fort niveau de jeu durant 5 sets, ce qui me paraît compliqué, surtout face à Djokovic.      

Lionel Buton et Fabrice Santoro © PANORAMIC/beIN SPORTS

C : Quand on regarde le palmarès des 19 dernières éditions, on ne compte que 4 vainqueurs différents, Federer, Djokovic, Nadal et Murray. Pourquoi, encore davantage que dans les 3 autres Majeurs, Wimbledon a été l’apanage de ces 4 monstres ? Est-ce lié à la surface ? Ou à la symbolique que représente un sacre dans le plus grand tournoi du monde ? Ou est-ce tout simplement le fruit du hasard ?

S.G. : La surface doit y être pour quelque chose. Aujourd’hui, tout le monde sait bien bouger sur dur. Même un spécialiste de terre. Sur gazon, c’est plus délicat. L’herbe demande la plus grande adaptation. Dans les déplacements, dans la manière de jouer, les démarrages, les contre-pieds. S’habituer à jouer avec une balle basse. Il se trouve que les tous meilleurs ont réussi à s’adapter à cette surface, encore davantage que tous les autres. Le meilleur exemple étant Rafael Nadal, qui s’est adapté à vitesse grand « V », car il a rapidement atteint des finales, avant de remporter à deux reprises le titre.         

 

C : Passons aux dames, chez qui c’est tout le contraire, puisqu’on trouve 8 lauréates différentes lors des 10 dernières éditions. Est-ce que vous imaginez une joueuse actuelle sur le circuit capable de s’installer dans les prochaines années comme « la reine du gazon » ?

S.G. : Alors d’abord, il faut préciser que ce roulement existe aussi dans les autres tournois du Grand Chelem depuis quelques années. Mais c’est vrai, depuis peu, trois filles sortent du lot : Iga Swiatek, avec ses 4 Majeurs, Aryna Sabalenka et Elena Rybakina. J’espère aussi qu’Ons Jabeur va revenir à son meilleur niveau. Elle a connu des blessures cette année, mais la saison dernière elle avait quand même joué deux finales de Grand Chelem. En tout cas, ces trois joueuses se dégagent. Je trouve que Swiatek est la joueuse la plus complète et la plus régulière. Elle est N°1, elle est devant les autres.  Et même si son jeu n’est pas le plus adapté au gazon, c’est une travailleuse, donc elle devrait trouver les moyens de progresser sur cette surface.   

 

C : Côté français, sur qui faut-il compter cette année ? Mannarino, Humbert, Gasquet chez les garçons, Garcia chez les filles ?   

S.G. : C’est bien résumé. Caro dispose des qualités pour très bien jouer sur gazon. Elle a déjà gagner quelques matchs, en simple et en double, avant ce Wimbledon. Cela va lui donner confiance et elle en a besoin avec son jeu offensif. C’est évidemment notre espoir numéro un. Il ne faut pas oublier Varvara Gracheva, qui vient d’être naturalisée. Chez les hommes, les trois que vous avez cité se plaisent bien sur herbe. La grosse différence avec Garcia, c’est qu’eux ne sont pas têtes de série. Ils ne sont donc pas protégés et tout va dépendre du tirage au sort. C’est notre problème actuel. On dispose de 12 joueurs dans les 100 premiers, mais il n’y en a aucun parmi les 35 meilleurs. Du coup, nos chances sur herbe peuvent très bien tomber sur un cador rapidement, ce qui change tout dans l’optique de faire un bon ou moins bon Wimbledon.      

 

C : On va parler peu d’histoire, avec un grand « H ». On qualifie souvent Wimbledon de tournoi le plus prestigieux du monde. Pour quelles raisons cette épreuve est-elle si mythique ?

S.G. : Déjà, c’est le seul Majeur qui se déroule dans un club privé. À l’époque, c’était également le cas concernant l’Open d’Australie et l’US Open, mais plus maintenant. Et, on le sait, Roland Garros n’est pas un club. Cela signifie qu’à Wimbledon, il y a des membres à l’année. C’est différent. Bien sûr, il y a aussi la tradition, comme le fait de jouer en blanc. Il y a un respect. Un respect pour l’institution. J’ai le souvenir du parcours entre les vestiaires et le Centre Court. Quand on entre, le stade est plein. Même chose pour la tribune présidentielle. Puis, pendant l’échauffement, il y a du bruit, mais au moment où le match débute, il y a un silence de cathédrale. C’est la chose la plus impressionnante qui existe sur un court de tennis. Ce silence nous fait entendre le battement de nos coeurs, nous les joueurs. La pression commence à monter. Là on se dit qu’on est dans un lieu mythique. Il y a aussi le fait de jouer sur gazon, bien entendu. C’est une surface particulière. On ne peut pas jouer trop souvent dessus, pour ne pas abîmer les courts. Donc, il y a des horaires d’entraînement très précis. On utilise aussi des chaussures différentes, aves des picots. Le système d’attribution des vestiaires est également différent. Comme c’est dans un club, il ne peut pas y avoir un seul vestiaire pour 150 joueurs. Donc, on trouve plusieurs vestiaires, en fonction du classement. Voilà, il y aussi les fameuses fraises, ainsi que les Pimm’s, pour ceux qui aiment bien boire. Enfin, il existe cette particularité d’aller acheter son billet le jour-même. On fait la queue pour récupérer le fameux sésame, certains plantent même la tente pour dormir la veille devant l’entrée.    

Fred Viard © PANORAMIC/beIN SPORTS

C : Parlons un peu de votre expérience de joueur à Wimbledon. Vous souvenez-vous de votre première venue ici ?

S.G. : Pas vraiment. C’est surtout ma venue en 1998 qui m’a marqué, pour mon premier tableau principal. J’étais allé jusqu’en huitième de finale et j’avais perdu contre Pete Sampras. Il avait gagné son cinquième trophée cette année-là. C’était quelque chose, un grand moment. Plus tard, j’ai enchaîné deux demies et un quart.

 

« La base de mon jeu et mes armes étaient encore davantage mis en lumière sur gazon »

 

C : C’est en effet un tournoi dans lequel vous vous êtes illustré à merveille. De manière générale, vous avez toujours été à l’aise sur gazon, n’est-ce pas ?  

S.G. : J’ai toujours su rapidement m’adapter à cette surface. Mon jeu s’y plaisait bien et je bougeais comme il fallait. J’aimais vraiment jouer sur herbe, je n’avais pas besoin de forcer mon jeu pour y performer. Mon style, mes frappes à plat, tendues, correspondaient bien à la surface. Mon service rebondissait plus fort, mon coup droit partait bien. Mes petites balles courtes et mes amorties fonctionnaient bien. Et puis, je relançais bien. La base de mon jeu et mes armes étaient encore davantage mis en lumière par cette surface.   

       

C : Votre meilleur souvenir et le plus mauvais à Wimbledon ?

S.G. : Il n’y en a pas vraiment, en réalité. Ce qui m’a le plus marqué, ce sont mes matchs, tout simplement. Et tout ce qui se passait juste avant également. Le fameux parcours entre les vestiaires et le Centre Court. On aperçoit les membres du club dans les tribunes et des personnalités importantes dans la Royal Box. On sent l’histoire au moment où on pénètre sur le court. Ce sont à chaque fois des moments forts.    

 

C : Il faut ajouter que vous avez joué les tous meilleurs du monde sur gazon à Wimbledon… 

S.G. : Oui, et tant mieux ! Il fallait les jouer. Djokovic à ses débuts. Roddick, qui m’avait battu. Federer,  Sampras, Henman. J’avais aussi battu de sacrés joueurs, comme Thomas Enqvist, qui jouait bien sur rapide. Juan Carlos Ferrero également, qui était un super joueur, même si ce n’était pas sa surface. J’ai connu de grands rendez-vous à Wimbledon, en effet.

 

C : Un petit mot sur le ralentissement de la surface. Vous avez joué Wimbledon 1998 à 2008. Vous avez donc donc connu le gazon rapide et celui qui a commencé à être plus lent. Que pensez-vous de cette évolution et des conséquences inhérentes sur le style de jeu employé sur herbe à présent ?

S.G. : Il faut effectivement parler de ces deux aspects. La diminution de la vitesse de la surface et le changement dans les styles de jeu. Vers 2002, le gazon est devenu un peu plus épais. L’idée était de faire en sorte que l’herbe se détériore moins vite. Cela a eu pour effet de ralentir la surface. Parallèlement, les styles de jeu ont aussi évolué. Les déplacements sont différents, car les joueurs sont plus physiques. Du coup, les échanges de fond de court durent plus longtemps. Selon moi, on a trop diminué la vitesse des surfaces. Même à New York, la balle n’avance plus comme avant. C’est pour cette raison que tout style de jeu peut convenir sur dur maintenant. C’est un peu différent sur gazon, à cause du déplacement, qui reste particulier. Mais au niveau de la vitesse de la balle, c’est nettement plus lent, donc tout le monde ou presque peut s’acclimater. À mon époque, les différences de vitesse engendraient une multiplicité des manières de jouer au tennis. Aujourd’hui, il y a beaucoup de moins de vitesse dans le jeu, et comme les joueurs sont plus athlétiques, il devient très délicat de monter au filet. 

 

C : Dernière question, comment parvenez-vous à coupler votre cassette de capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis durant la quinzaine à Wimbledon avec votre activité pour beIN SPORTS ?

S.G. : C’est plutôt simple, car je ne vais commenter que la seconde semaine. La première, je suis à 100 % consacré à mon rôle de capitaine, ce qui me permet de suivre tous les joueurs français. Évidemment, si un joueur réalise un gros parcours, je continue à le suivre, tout en travaillant comme consultant pour beIN SPORTS.