Roger et moi
Par Frédéric Viard
Je ne sais pas si je suis mégalo, mais il m’arrive parfois de penser que Roger Federer et moi partageons une (petite) histoire. Une histoire de gazon. J’ai en effet eu la chance de commenter, pour la télévision française, tous les sacres du Suisse sur ses terres de Wimbledon. De 2003 à aujourd’hui, et jusqu’à demain j’espère, on s’est croisé et on se croisera encore.
Je n’étais pas un fan de la première heure de Federer. Par méconnaissance. Je m’étais éloigné du circuit entre 1999 et 2002 et j’avais à peine ouï dire qu’un jeune Suisse doué avait battu Pete Sampras sur son propre gazon en 2001. Je ne suis revenu à Wimbledon qu’en 2003 et si j’avais dû faire un pronostic cette année-là, j’aurais cité Hewitt, Henman ou Roddick. Mais pas Federer, c’est certain. La grande affaire était plutôt, selon moi, le retour improbable de Philippoussis qui avait gâché mon plaisir en battant Grosjean en demi-finale. En fait, Federer n’est devenu mon favori que le dernier jour et j’étais un peu opportuniste sur ce coup-là, avouons-le. En revanche, tout m’avait plu lors de cette finale : ce sourire presque enfantin de Roger juste avant de rentrer sur le court, lorsque le steward récupère les sacs des deux finalistes ; ce passing de revers lifté réussi de volée à mi-court, à 2/0 dans le second set (regardez-la sur YouTube, c’est un bonheur) ; ce regard énamouré de Mirka, que je trouve ravissante, vers son champion ; et surtout, pour la première fois, Federer qui tombe à genou après le dernier point. Je dois bien avouer que ce qui m’impressionne le plus à ce moment-là, alors que je découvre réellement Roger, c’est son revers. J’y vois tellement d’élégance et une telle fulgurance ! Avez-vous par ailleurs remarqué qu’il s’agit, à ce jour, de la dernière finale messieurs à Wimbledon avec deux revers à une main ?
Un an plus tard, tout a changé. Il est no 1 mondial et on entre de plein pied dans les années de sa domination exclusive. La finale 2004 est à mes yeux l’une des plus belles. Face à lui, Andy Roddick, l’incarnation du Ricain moderne, combo réussi d’Agassi et de Courier, agrémenté d’une jolie propension à venir au filet, la casquette vissée sur le crâne. Cette finale peut décider qui va prendre le pouvoir sur le circuit masculin. C’est la violence et la puissance du nouveau monde face à la finesse et la vitesse de la vieille Europe. Les frappes de Roddick sont d’une violence folle et la vitesse de déplacement de Federer est hallucinante. Plus Andy frappe fort, plus Roger court vite : personne ne veut céder un pouce de terrain. À l’usure, c’est Roger qui s’impose. Il me semble que son émotion, alors, est plus forte encore que l’année précédente.
La rivalité entre Roddick et Federer pour la première place mondiale n’existe plus l’année suivante. Ils sont en finale tous les deux, mais il n’y a pas de suspense tant il paraît évident que Federer évolue à un niveau supérieur. Je découvre également, lors de cette finale 2005, un homme qui peut pleurer et exposer sa fragilité. Car ce titre fait suite à deux défaites en demi-finales à Melbourne et à Roland-Garros. Il n’a donc pas encore décroché de titre majeur cette année-là. Une forme de doute s’est peut-être installée chez lui et cette victoire le déleste d’une pression qui pèse, déjà, sur ses épaules. Mais la magie ne s’est pas envolée, et le soulagement est réel : il n’y a pas de honte à le montrer ! (On revivra ensuite ces moments particuliers lorsque Rod Laver lui remet le trophée à Melbourne, en 2007, puis lors de sa défaite en Australie face à Nadal, en 2009, ou encore pendant l’hymne suisse pour sa victoire de 2009 à Roland-Garros, et enfin à l’occasion de son 20e trophée du Grand Chelem, à Melbourne en 2021.)
Le voilà donc no 1 mondial, additionnant les titres du Grand Chelem. Ce qui ne peut donc pas durer, parce que la nature en général et le sport en particulier ont non seulement horreur du vide, mais encore plus des dominations trop écrasantes. Un grain de sable, ou un grano de arena si vous préférez la version espagnole, s’introduit alors dans cette si belle mécanique. Rafael Nadal n’a peur de rien ni de personne, et surtout pas de Federer. Il l’a déjà montré à Miami lors de leur premier face à face, en 2004, en battant le tout récent no 1 mondial. Depuis, il est devenu roi lui aussi : le roi de la terre battue. Un sceptre confirmé justement en 2006 avec une victoire sur Federer en finale à Paris. Nous voilà entraînés dans une trilogie fabuleuse : de 2006 à 2008, les deux hommes vont s’affronter à chaque fois en finale à Roland-Garros puis à Wimbledon.
Retour sur le gazon londonien, donc, et une image me marque dès le premier jour : pour affronter Richard Gasquet, le tenant du titre entre sur le Centre Court avec un magnifique blazer écru doté d’un écusson personnalisé. Un hommage à une époque où le tennis se pratiquait avec élégance. Tout son tournoi est d’ailleurs à cette image. Aérien, léger, étourdissant et toujours avec classe afin de retrouver Rafa en finale. Son exact opposé. Cheveux longs, t-shirt sans manche et short jusqu’au genou. Mais si Nadal reste le même taureau que partout ailleurs sur la planète, son parcours exemplaire jusqu’en finale l’a peut-être grisé et il décide d’attaquer sa finale vers l’avant, en venant au filet, enchainant parfois derrière son service. Il veut battre Federer chez lui, en pratiquant un tennis contre nature… et se fait lourdement taper sur les doigts : 6/0 dans le premier set. Le message est reçu, retour aux fondamentaux, l’Espagnol attend Federer un mètre derrière sa ligne et n’hésite pas à le travailler en férocité sur son revers. De quoi faire le break et mener 5/3 dans le deuxième set, puis 3/1 dans le tie-break. Avant finalement de céder aussi le deuxième set. Je vois le visage de Federer se crisper après ce set où il a tout le temps marché sur un fil. Comme si se matérialisait chez lui le fait que cet espagnol est tout simplement son poison, sa cryptonite : celui qui a le jeu idéal pour le contrer et qui devient une équation impossible à résoudre pour le Suisse. C’est plutôt étonnant de tirer une telle conclusion alors qu’il mène deux sets à rien, mais c’est ce que je ressens à ce moment-là. Sûrement parce que j’ai la même crainte en mon fors intérieur. C’est après cette finale que, pour la première fois, j’ai trouvé le gazon très peu usé près du filet. La confirmation arrive dès le troisième set, remporté au tie-break par Nadal. Avec un peu plus de réussite, c’est lui qui pourrait très bien être en tête deux sets à un. Un premier coup de semonce.
Suivi du second, un an plus tard. Roger est toujours le patron et Rafa lui mord toujours les mollets. Il mène 8/4 dans leurs face à face. Je l’avais dit à l’antenne : « Roger Federer est le meilleur joueur au monde et Rafael Nadal est plus fort que lui. » C’est aussi l’époque où on personnalise les équipements des joueurs avec des thermobags personnalisés et des chaussures où figure le palmarès. C’est joli. Comme la tenue pantalon et blazer de Federer. C’est très marketing également. Mais la vérité se lit sur le court et, plus que jamais, Nadal entraine Federer dans un combat âpre, même sur gazon. Deux manches partout après trois heures de jeu. L’atmosphère est particulière car jamais Federer n’a été poussé dans un cinquième set en son jardin, alors qu’il joue pour l’histoire : il peut égaler les cinq titres de Björn Borg à Wimbledon et ses onze titres du Grand Chelem. Le Suédois est d’ailleurs assis dans la Royal Box, très élégant dans son costume bleu. La luminosité du court elle-même est différente car on a commencé les travaux pour accueillir le toit sur le central, en retirant les parties hautes du court qui protégeait le public de la pluie. Ce Centre Court est du coup plus lumineux que jamais. C’est presque trop beau. Presque trop bien écrit. Le scénario est parfait sauf qu’il ne plait pas à Rafa. L’Espagnol est le premier à avoir des balles de break dans le cinquième set, à 1/1 puis à 2/2. Je sens le public qui retient sa respiration car Federer reste son chouchou. Moi aussi je stresse. Et Guy Forget, qui commente avec moi et qui aime la tradition, n’ose imaginer que le scenario rêvé puisse être chamboulé. Le fil sur lequel Federer joue ce dernier set semble plus ténu encore que l’année passée, mais ce jardin est son jardin d’Éden et c’est lui qui arrache la victoire. Sur le smash victorieux, il s’effondre encore sur le court. Lors de la tournée des médias qui conclut habituellement la journée du vainqueur, Roger Federer arrive dans le studio de Canal+ fatigué. Il n’est pas exubérant. Il est soulagé. L’attente entre les records qui l’attendaient et le challenge toujours plus exigeant que lui impose Nadal ont eu raison de ses forces. Mais il reste le patron. On peut résumer en disant que le proprio des lieux est fatigué mais heureux.
Un état d’esprit bien différent en 2008. Certes, il est no 1 et il arbore en entrant sur les courts un gilet en laine avec un pantalon blanc très chics. Mais ce qu’on ne voit pas, c’est le mental, beaucoup moins fringant. Aucun titre majeur gagné pour le moment et seuls Estoril et Halle figurent à son palmarès. Pire, Nadal lui a mis une fessée en finale à Roland avec un 6/0 dans le troisième set. L’Espagnol a gagné leurs trois derniers duels depuis la finale jouée un an plus tôt ici, ne lui laissant en tout et pour tout qu’un seul set.
La finale que tout le monde attend a bel et bien lieu. Les deux premières manches sont pour moi un calvaire, avec l’impression que seule la couleur du court a changé et que la finale de Roland-Garros se poursuit : le premier break réussi par Nadal fait suite à un air-shot du Suisse ; la balle de première manche est un long échange « coup droit Nadal, revers Federer » qui se conclut par une faute de Roger ; cinq jeux perdus de suite dans le deuxième alors qu’il mène 4/1 et une vilaine faute de revers sur la balle de set. À l’époque, les deux clans sont encore assis l’un derrière l’autre dans la loge des joueurs et tout le clan Federer est prostré, portant les lunettes noires (sauf le papa) comme un jour de deuil. Jamais leur champion n’a réussi à remonter deux sets de retard en finale de Grand Chelem. Il gagne tout de même le troisième set au tie-break et accroche Nadal jusqu’au tie-break du quatrième. La finale tourne alors au sublime à 7/7. Nadal a laissé passer une balle de match et d’un passing extraordinaire, il en récupère une autre. 8/7. Puis c’est Federer qui se découvre un passing de revers long de ligne en bout de course. Deux coups merveilleux. Et deux balles de match non transformées par Nadal. Et deux sets partout. Et une cinquième manche de bonheur. Avec, ironie de l’histoire, Federer qui est le premier à avoir une balle de break, comme Rafa l’année précédente. Avec aussi la pluie qui s’est invitée toute la journée, imposant plusieurs interruptions. La luminosité qui baisse, les flashs qui crépitent dans les tribunes… J’apprendrai plus tard de la bouche de Pascal Maria, l’arbitre de chaise, que la finale aurait été interrompue à cause du manque de lumière à huit partout. Nadal breake à sept partout et s’impose finalement 9/7. L’ambiance est folle car le public sait qu’il a assisté à une finale d’anthologie. Moi aussi, évidemment, mais mes sentiments sont mitigés. Je l’avais vu venir cette victoire de l’Espagnol. Elle était presque écrite après ses deux précédentes finales où il s’était approché un peu plus du Graal à chaque fois. Je suis déçu, certes, mais soulagé un peu également de ne pas avoir vu le Suisse balayé en trois sets. Et je sens que la première place mondiale échappera à Federer bientôt également – ce sera d’ailleurs le cas à l’issue des JO au mois d’août suivant.
Il y a toujours des petites histoires dans la grande histoire. Ce dimanche soir, après avoir réalisé nos dernières interviews et quitté le stade avec l’équipe de Canal+, il est 22 h passées quand on se dirige vers la pizzéria de Wimbledon Village pour aller diner. Évidemment, elle est bondée et la seule solution est de commander à emporter. On patiente tranquillement sur le trottoir quand arrive une grosse Mercedes noire qui se range devant le restaurant. En sort Tony Godsick, l’agent de Federer, qui vient récupérer une dizaine de pizzas. De quoi imaginer que, pour une fois, la fin du tournoi de Wimbledon pour le clan Federer n’est pas si différente de la nôtre.
C’était le dernier Fedal à Wimbledon avant onze ans. La fin d’une époque. Mais pas la fin de mon aventure commune avec lui puisque dès l’année suivante, il retrouve la finale, sans Nadal forfait, et avec en plus le Grand Chelem en carrière en poche après son titre à Roland. C’est sa septième finale de suite sur le gazon londonien et il retrouve son vieux pote Andy Roddick qui est à une volée haute réussie d’avoir une balle de 2 sets 0… mais il la rate et s’incline 16/14. Le Suisse redevient no 1 mondial et il dépasse Pete Sampras en devenant le premier joueur de l’histoire à gagner un quinzième titre du Grand Chelem. La marque Serge Blanco, avec un XV comme logo, était l’habilleur officiel de Canal+. Lorsque Federer vient faire le tour des popotes médiatiques après sa victoire, il pénètre dans notre studio et me voit avec un polo tout blanc juste orné d’un XV doré sur le cœur. « Ah ouais, c’est sympa ça », dit-il. Il apprécie l’attention mais c’était surtout un concours de circonstance. En revanche, il n’a pas voulu qu’on échange nos polos. Je me glisse après en salle de presse pour la conférence du vainqueur et je l’entends expliquer que, même si le match fut très serré, il était confiant lors ce cinquième set interminable. Il raconte que, alors, chaque jeu de service gagné le rapproche du titre puisqu’il sert en premier. En regardant ses yeux, j’y vois que ça n’est pas de la forfanterie. Et cette confiance en soi explique une grande partie de ses succès.
Les éditions 2010 et 2011 m’apprennent une chose : il faut aussi s’habituer à la défaite. Après sept finales d’affilée, il y a deux chutes en 1/4, dont une contre Tsonga alors qu’il mène deux sets à rien. J’ai la sensation que l’histoire est un peu derrière lui et, d’ailleurs, même Rafael Nadal est battu en finale par Djokovic. Pour la première fois depuis 2002, c’est une année vierge en titre du Grand Chelem pour le Suisse. Et puis un petit jeune est en train de faire rêver l’Angleterre. Andy Murray parvient presque à convaincre les Anglais qu’ils peuvent oublier leur amour pour un Federer moins souverain et jeter leur dévolu sur un fils de la couronne. Même s’il est écossais. Alors oui, il dépasse Henman et atteint la finale 2012, il transforme Henman Hill en Murray Mound et la princesse Kate et sa sœur Pippa sont venues le voir en finale, mais il est encore trop tôt pour déboulonner l’idole. Federer décroche son septième titre, son premier en Grand Chelem depuis un an et demi, et il récupère la première place mondiale. Décidemment les dieux du gazon sont bons avec lui. Ils lui permettront même de revenir sur le site un mois plus tard, pour décrocher l’argent aux Jeux Olympiques. C’est un bel été londonien pour Roger : un titre, une médaille olympique… qu’il paye cher l’année suivante avec une élimination dès le second tour face à Stakhovsky. Soit un tour de mieux que Nadal. Leur histoire commune à Wimbledon semble d’ailleurs s’arrêter là, avec quelques cruelles désillusions à venir pour l’Espagnol qui ne croisera plus la route du Suisse avant 2019. Moi aussi je fais une pause dans ma bromance avec Federer. Les droits TV changent de main en France et, pour une fois, je regarde à la télé Federer s’incliner devant Djokovic. Les rôles se sont inversés. Le patron, c’est désormais le Serbe, à Wimbledon comme sur l’ensemble du circuit. Et Federer est dans la position du chasseur, toujours un peu trop court. Idem en 2015 alors que je reviens sur le site. Comme quoi, au cas où j’avais un doute, je ne suis pour rien dans ses succès… ou ses défaites. Et c’est étonnant de ressentir, aussi bien chez mes confrères que dans le public, cette affection qui grandit pour le Suisse, car on se dit qu’il court après un titre qui ne viendra plus. Et on s’interroge même de savoir si chaque Wimbledon auquel il participe n’est pas le dernier. C’est même un chant du cygne qu’on lui prédit après sa défaite en 2016 contre Raonic. Il chute au propre comme au figuré en se retrouvant les quatre fers en l’air dans le cinquième set.
Mais Wimbledon et Federer, c’est une histoire longue, une épopée. Avec différents cycles. L’éclosion contre Sampras, le sacre de 2003, le règne ensuite, puis l’éloignement avant la longue marche vers la résurrection de 2017. Comment appeler autrement cette année incroyable après six mois sans jouer, ce sacre pour son retour à Melbourne avec un tennis à nouveau aérien à 36 ans. J’ai souvenir d’un parcours londonien où je ne le vois jamais trembler. Pas un set perdu et les différentes générations qui passent à la trappe, que ce soit Zverev, Dimitrov ou Raonic. 2016 est définitivement derrière lui. Et au bout du tournoi, ce que personne n’avait réussi jusque-là : être sacré huit fois dans le temple du tennis. C’est beau, c’est historique, mais pour moi le plus remarquable est ce retour aux bases de son jeu, plus agressif, plus direct, plus tourné vers l’avant. Fini les longs rallyes que lui ont imposé Nadal puis Djokovic. Certes, il y a peut-être un petit peu moins d’instinct et de légèreté que lors de son retour six mois plus tôt à Melbourne. Ici, il est à nouveau attendu, mais cette résurrection est aussi un splendide voyage vers le passé flamboyant de ses premiers titres.
Je pensais donc qu’on avait tout vu et tout vécu, Roger et moi. Qu’on pouvait laisser s’éteindre tranquillement la bougie et s’en aller paisiblement, comme en 2018 avec ces balles de match non converties contre Anderson. J’avais laissé mon acolyte de BeInsports choisir son quart de finale et il avait choisi celui du Suisse. J’avais regardé tranquillement les deux premiers sets et je commentais un autre quart lorsque Federer s’effondra, et je n’ai pas souvenir d’avoir été plus effondré que cela. On se fait à tout. N’avait-il pas lui-même quitté Nike pour Uniqlo ? Je ne faisais pas partie des puristes outrés…
Alors imaginez ce flash d’amour qui nous a tous frappé en 2019. Jacques l’a si bien chanté : « On a vu souvent rejaillir le feu de l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux. » Cette année-là, Roger à 38 ans. Pour le tennis professionnel, il n’est pas vieux… c’est limite un grand-père ! Il a fait demies à Roland-Garros, battu par Nadal bien sûr, pour son retour et peut-être, se dit-on, pour sa dernière sur la terre battue parisienne, puis il a gagné dans son jardin de Halle… mais il n’a pas joué de finale de Grand Chelem depuis Melbourne 2018. Et Djokovic semble si fort. Moi je n’y crois pas, je suis même tendu comme un arc avant la demi-finale contre Rafa. Onze ans qu’ils ne se sont plus joués ici, depuis cette finale qui avait déchiré le cœur du Suisse. Mais Roger a retrouvé son mantra d’avant Nadal. Il charge sabre au clair, peu importe cet Espagnol qui veut rentrer dans sa tête et le coincer dans les cordes du ring du Centre Court. Federer est redevenu le patron des lieux et expulse Nadal pour se hisser en finale. Face à Djokovic, qui lui a pris les clefs du lieu avec déjà quatre titres. Quel plaisir de voir Roger Federer arpenter à nouveau le Walk of Champions, ce parcours qui mène les finalistes dans les couloirs du All England Lawn Tennis and Croquet Club. Ils passent devant les photos des anciens champions, puis descendent l’escalier pour passer devant le trophée et le tableau des anciens vainqueurs, passent sous la Royal Box et pénètrent sur le Centre Court. Avec une réalisation formidable de la BBC qui permet aux téléspectateurs de s’immerger un peu plus dans l’histoire de ce sport.
Car on parle de l’histoire du tennis avec cette finale. Pour ce que représente ces deux champions, parmi les plus beaux palmarès du tennis. Pour l’histoire personnelle de Federer avec ce tournoi et celle qu’est en train d’écrire Novak Djokovic qui a su se hisser au-dessus de Federer et Nadal sur le court. Les spécialistes ont dit de cette finale qu’elle était à la hauteur de celle de 1980 entre Borg et McEnroe et de celle de 2008. Franchement je ne sais pas quoi dire. Il y a des séquences sublimes, mais aussi un Djokovic emprunté parfois, un Federer maladroit dans les tie-breaks. Surtout, il y a un stade plein à craquer, qui stresse et qui vibre à l’unisson avec les deux acteurs. Très largement en faveur de Federer d’ailleurs, comme partout dans le monde. C’est cela qui me frappe le plus, le public du Centre Court ou d’Aorangi, cette butte où se masse des milliers de spectateurs qui n’ont pas de billet pour le court et qui regardent la finale sur l’écran géant du stade, qui profite tellement de chaque seconde du match, des rugissements du Serbe et des « Kom jetzt ! » du Suisse.
Moi aussi j’ai vibré comme un fou et, oui, j’ai cru toucher la plénitude du doigt lorsque Federer a ces deux balles de match dans le cinquième set. En les revoyant, j’ai encore des frissons et je ne peux pas croire qu’il ait fini par perdre ce match. La victoire de Djokovic a été, de fait, une terrible frustration. Non pas parce que je n’apprécie pas Djokovic, je loue au contraire cette force surhumaine qui a été la sienne de s’imposer devant Federer et 15 000 spectateurs qui rêvaient de voir le Suisse encore sacré chez lui. Cette performance en soi est fabuleuse. Mais j’étais déçu comme l’enfant qui écoute un conte de fée et qui ne peut se résoudre à une triste fin. Le pire, ce fut peut-être le lendemain quand, en voyant la feuille de stats, je découvrais que Federer était devant Djokovic dans toutes les catégories et qu’il avait gagné quatorze points de plus sur l’ensemble du match. 218 à 204. Mais, en revanche, il avait perdu les trois tie-breaks 21 à 12. Il n’y a que le sport pour proposer de tels scénarios.
Mais notre histoire à Wimbledon, à Roger et moi, ne peut pas se terminer là-dessus. À l’heure où j’écris ces lignes, il est prévu qu’on se retrouve le 28 juin prochain. Et une chose est certaine : on ne sera pas très loin du Centre Court.
Voir cette publication sur Instagram