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Pourquoi Stefanos Tsitsipas ?

© Antoine Couvercelle

Qui est ton joueur préféré ? Cette question est toujours la première à tomber lorsque je discute tennis. Pour moi, elle n’a pas grande importance mais j’y réponds tout de même. Roger Federer a eu l’avantage de faire l’unanimité pendant de nombreuses années. Maintenant que le Maestro a tiré sa révérence, un blanc suit souvent cette interrogation. Quelques secondes me sont toujours nécessaires pour être honnête avec moi-même. Je pourrais répondre Novak Djokovic ou Rafael Nadal sans prendre de grand risque. Cependant, presque malgré moi, ce sont deux autres mots qui s’échappent de mes lèvres : Stefanos Tsitsipas.

J’ai toujours gardé un œil sur Roland-Garros sans être une passionnée de tennis. L’édition 2020, qui a lieu en octobre à la suite du Covid-19, ne fait pas exception à la règle. Je commence alors mon année de terminale et me presse de rentrer du lycée pour regarder les dernières rencontres de la journée. Par un pur hasard, je tombe sur un match de Dominic Thiem. Je me souviens avoir été transportée par ce joueur. Son revers à une main me séduit et son coup droit ravageur m’impressionne. Je suis avec attention la suite de son tournoi, qui ne sera pas assez longue à mon goût. Je passe par toutes les émotions pendant son marathon contre Hugo Gaston (6/4 6/4 5/7 3/6 6/3) avant de faire face à la déception de son élimination au tour suivant contre Diego Schwartzmann (6/7 7/5 6/7 6/7 2/6).

Je pense que ce Roland-Garros n’aura plus de saveur. Je me désintéresse des matchs qui se déroulent les quelques jours suivants – jusqu’au vendredi soir. Afin de combler mon ennui, j’allume la télé sans grand espoir. Stefanos Tsitsipas affronte Novak Djokovic. Le Grec, qui m’est alors méconnu, est bientôt mené deux sets à rien. Je crois regarder une fin de match platonique avant de m’enfuir à un dîner de famille. C’était sans compter l’esprit combatif du vainqueur de l’ATP Finals. Stefanos Tsitsipas m’emporte dans une épopée de plusieurs heures. Tout vêtu de noir, il enchaîne les glissades et pourchasse les amorties adverses au filet. Alors que Novak Djokovic sert pour le match, il remporte un échange de seize frappes en libérant toute la puissance de son coup droit. Subjuguée par le jeu de cet inconnu et le suspens du match, je suis incapable de lever les yeux de mon écran. Je décide de poursuivre la rencontre dans la rue, le métro puis à table en toute discrétion. Sa défaite (3/6 2/6 7/5 6/4 1/6) me laisse un goût amer dans la bouche. 

© Ray Giubilo

Lorsque le court Philippe-Chatrier rouvre ses portes huit mois plus tard, le nom de Stefanos Tsitsipas est encore ancré dans mon esprit. Il est aux côtés de celui de Dominic Thiem. L’Autrichien est évincé dès le premier tour par Pablo Andujar (6/4 7/5 3/6 4/6 4/6). Je dirige alors toute mon énergie sur Stefanos. Aucune de ses rencontres ne m’échappe. Un cours de philo ? J’observe ses fulgurantes accélérations de coup droit depuis mon téléphone caché dans ma trousse. Une évaluation le lendemain matin ? Je récite mon cours d’histoire devant les montées au filet de mon nouveau joueur préféré. Par chance – et avec beaucoup de talent – Stefanos Tsitsipas atteint la première finale en Grand Chelem de sa carrière. J’y consacre mon dimanche. 

Son match contre Novak Djokvovic me met dans tous mes états. En quelques heures, mon extase se transforme en une grande déception. Ses amorties camouflées et ses coups droits longue ligne en bout de course laissent progressivement place à une domination indiscutable du Djoker. Cette défaite (7/6 6/2 3/6 2/6 4/6) m’atteint encore plus que celle de l’année passée. Elle me laisse sur ma faim.  Comment attendre encore un an avant de revoir un match ? Impossible. Je me plonge alors dans le calendrier ATP. Une révélation s’impose à moi : je peux regarder le tennis chaque jour de l’année si cela me chante. Ce fait change pas mal de choses à ma vie. 

Je passe les semaines suivantes à découvrir les tournois sur gazon qui précèdent Wimbledon. Stefanos Tsitsipas n’étant pas un grand adepte de l’herbe, je m’attache à de nouveaux joueurs. Le service et le revers d’Alexander Zverev sont suffisants pour me convaincre. Je me persuade que Roger Federer peut réaliser l’impossible une dernière fois à l’All-England Lawn Tennis And Criquet Club. La perfection du jeu de Novak Djokovic s’impose à moi, sans que je puisse y résister. En un claquement de doigts, je suis éprise d’une nouvelle passion : le tennis. A partir de cet été – et tous ceux qui suivront – je passe des nuits blanches à suivre la tournée américaine avant de profiter du climax de l’US Open. 

© Ray Giubilo

A ce stade de l’article, la question la plus cruciale demeure encore sans réponse : Pourquoi lui et pas un autre ? J’ai souvent tendance à évoquer son revers à une main et son talent au filet pour simplifier les choses. Si certains pensent que le premier est son plus grand défaut, je reste persuadée qu’il définit l’identité de son jeu qui me plait tant. Lorsqu’il est réalisé à la perfection, il n’existe pas un geste plus beau dans le tennis. Mais l’élégance doit-elle primer sur l’efficacité ? Stefanos Tsitsipas a réussi la prouesse de réunir les deux. Son coup droit ravageur – croisé, longue ligne ou en volée liftée – laisse ses adversaires sur place tandis que ses gifles de revers, ses amorties et ses finitions au filet les laissent sans voix. 

Stefanos, pourquoi ton premier titre en Grand Chelem se refuse encore à toi ? Les années passent, les concurrents se multiplient et je me surprends parfois à penser que ton rêve t’échappe. Un sentiment de déception s’empare de moi lorsque tu foules les plus grands courts de tennis du monde en paraissant désintéressé, que tu perds au premier tour de l’US Open ou en quarts de finale à Monte-Carlo. Mais quand tu libères ton talent et ta hargne de gagner – contre Dominic Thiem puis Andy Murray à Wimbledon – je me souviens que c’est grâce à toi que j’aime autant le tennis. Plus grand monde n’y croit mais je reste persuadée qu’un Grand Chelem t’est destiné. Il ne te reste plus qu’à l’attraper. 

Trois ans après ce Roland-Garros 2020, mes ambitions n’ont jamais été aussi claires. Des années durant, je me suis creusé la tête pour savoir ce que je ferai de ma vie. Aujourd’hui, l’incertitude est levée. Devenir journaliste de tennis est mon plus grand rêve. Qui sait, Stefanos Tsitsipas sera peut-être assis en face de moi dans quelques années pour me raconter l’accomplissement d’une vie – celui d’un premier titre majeur.