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Podcasting gagnant

Un peu à contre-courant de l’info fast food dont nous abreuvent en continu les canaux traditionnels de l’univers numérique, le podcasting et ses formats tour à tour langoureux, décontractés ou dynamiques est en train de séduire de plus en plus de monde. Déjà très développé dans les pays anglo-saxons, il vient de faire en France une arrivée tonitruante dans le paysage tennistique.

 « Le podcast,
c’est l’effet
“coiffé-décoiffé” »
Alexandra Lawton
« Le podcast donne le temps,
et ôte le côté formel »
Antoine Benneteau

Rome, players lounge du Foro Italico, cette année. Nick Kyrgios, qui vient de battre Daniil Medvedev, est d’excellente humeur. Il a accepté l’idée d’une conversation fleuve avec Ben Rothenberg, un journaliste américain qui, entre autres activités, co-anime l’émission podcastée No Challenges Remaining, un talk qui a pour vocation d’interviewer de nombreux acteurs du tennis. Voilà un petit moment que les deux hommes se tournent autour via twitter, réseau sur lequel l’Australien a plusieurs fois « égratigné » le journaliste. Ce dernier a habilement saisi la perche pour lui proposer une explication en bonne et due forme. Et Nick a accepté.

Quand ils se rencontrent ce jour-là à Rome, la conversation s’installe facilement, naturellement. Sans filtre ni artifice. Sans crayon ni caméra. Ce n’est pas vraiment une interview. À l’écoute, c’est plutôt une conversation entre potes. Le ton est amical, voire complice. On imagine presque les deux hommes autour d’une petite bouteille de côtes de Provence. À défaut, c’est un micro qui est posé sur un coin de table. Nick finit probablement par l’oublier. Au bout d’une bonne demi-heure, « ferré » par le journaliste qui, en guise de conclusion à l’interview, sollicite son avis spontané sur plusieurs joueurs, il se lance dans une série de punchlines qui seront reprises partout, jusqu’à faire oublier tous les passionnants échanges qui ont précédé. Djokovic ? « Je ne peux pas le supporter. » Nadal ? « Mon exact opposé. » Verdasco ? « La personne la plus arrogante du monde. » Ben Rothenberg tient son buzz. 

Nous, on tient là un splendide exemple de l’art du podcasting. « Le podcasting a ce côté très intimiste, très personnel, qui vous permet d’embarquer complètement la personne avec vous », acquiesce la journaliste franco-britannique Alexandra Lawton, responsable cette année d’un podcast diffusé quotidiennement – et pour la première fois – sur l’application officielle de Roland-Garros. « C’est un média plus libre, plus naturel, qui permet d’oser des questions que l’on n’oserait peut-être pas ailleurs. Quand j’ai reçu Sascha Zverev pendant le tournoi, par exemple, je lui ai demandé s’il était célibataire. Ça l’a fait sourire. Mais attention : le podcast, c’est l’effet “coiffé-décoiffé” : à l’écoute, ça a l’air cool, décontracté. On doit presque avoir l’impression que ce n’est pas préparé. En réalité, derrière, il y a un travail énorme. »

Sur les tournois du Grand Chelem, tous les soirs, il n’est pas rare de voir des journalistes de presse anglo-saxonne prolonger leur journée de travail pour un débrief « audio » enregistré au micro et podcasté sur un média en ligne. Aux États-Unis notamment, où les premiers podcasts ont été hébergés, le format est depuis longtemps intégré au paysage audiovisuel. En France, une quinzaine d’années après les premiers lancements, il arrive enfin dans les mœurs.

Dans le milieu du tennis, il vient de faire une apparition fracassante grâce à un certain Antoine Benneteau. Le frère de Julien, qui fut lui-même un bon espoir (370e tout de même à son meilleur en 2013) avant de finalement percer dans le milieu du journalisme, a lancé au mois de mai « Échange Podcast », un espace de conversation à bâtons rompus dont les deux premiers épisodes, avec Marion Bartoli et Yannick Noah – pas les deux plus mauvais clients, il est vrai –, ont rencontré un grand succès. 

« Mon idée était de donner une plateforme aux acteurs et aux actrices du tennis pour leur permettre de s’exprimer pleinement, nous racontait Antoine à Roland-Garros. Pour avoir travaillé dans pas mal de chaînes de télé sportives, j’ai souvent été frustré par le décalage entre la réalité du tennisman de haut niveau, telle que je la connais, et le traitement qui en était fait. J’ai même trouvé ça injuste, parfois. Le podcast offre beaucoup plus de temps d’expression que la télé, et ôte le côté formel. Par rapport à la presse écrite, il contextualise le propos. Il est souvent arrivé que des joueurs se sentent trahis par des propos retranscrits dans un journal. Alors que ce sont pourtant les mêmes mots qui sont sortis de leur bouche. Mais le contexte de la phrase, et l’intonation, cela peut tout changer. En ce sens, entendre la voix est super important. »

« Mon podcast m’a coûté zéro… »
Christophe Perron

À contre-courant de l’info fast food qui inonde l’univers du tennis, gouvernée par la dictature du GIF et du tweet racoleur, Antoine est donc parti sur un format au long cours. Son échange – fascinant – avec Noah dure une heure. Dans un monde où les gens ne sont plus capables de regarder un jeu entier sans consulter leur smartphone, la tactique n’est-elle pas risquée ? « Au contraire, objecte le Bressan. C’est justement parce que les gens font mille choses en même temps que le podcast connaît un grand succès. Parce qu’il peut être écouté partout, tout le temps, en plusieurs fois s’il le faut, tout en faisant autre chose, son footing ou la vaisselle. » Dans son concept, de toute façon, Antoine ne peut pas faire court. Ce qui l’intéresse, c’est l’histoire, l’humain. « Je suis fasciné par la psychologie des champions. Je veux réussir à comprendre, et peut-être à faire comprendre, comment ils fonctionnent. Comment ils ont réussi à faire ce que moi, je n’ai pas réussi, au fond… »

Après, il n’y a aucune règle. Dans le style comme dans la durée, le podcast offre une liberté totale, « liberté » étant d’ailleurs le mot qui le caractérise le mieux. Christophe Perron, journaliste spécialisé tennis, a par exemple opté pour un concept totalement différent avec son podcast « Raquette », destiné aux joueurs de tennis amateurs. Son premier épisode, consacré aux « crocodiles », dure moins de 7 minutes. Entrecoupé de jingles et d’interviews diverses, il se rapproche davantage d’un format radio. Et s’adresse à une cible très précise. « Au-delà de son côté très intimiste qui permet de stimuler l’imagination, c’est ce qui me séduit dans le podcast, souligne Christophe. Le but n’est pas forcément de toucher des millions de personnes, mais de s’adresser à une communauté de passionnés, à travers des thèmes bien définis.

À côté de ça, celui qui commente par ailleurs des matches pour Canal Plus Afrique ne s’en cache pas : l’autre argument massue de séduction du podcast, c’est son caractère extrêmement peu onéreux. « Pour ma part, c’est bien simple : hormis un enregistreur, mon podcast m’a coûté “zéro”. J’ai tout fait moi-même, y compris les effets sonores et la musique. Ça a un côté “homemade” que je trouve marrant. Tout le monde peut s’y mettre. »

En gros, le podcast, c’est un peu l’Amérique de l’univers numérique. Tout reste encore à faire, à déchiffrer, à inventer. Y compris – nous y voilà – le modèle économique. « Comme c’est nouveau, il n’y a encore aucun modèle établi. Je sais qu’il y a des annonceurs prêts à sponsoriser, ou des plateformes prêtes à accueillir le contenu, mais pour l’instant, c’est encore flou », reconnaît Antoine Benneteau, qui investit pour sa part de l’argent en enregistrant ses émissions dans un studio professionnel, à Paris. 

En attendant la juste récompense de leurs efforts, tous ces pionniers du podcast tennistique hexagonal restent guidés par la passion, non seulement pour leur sport mais aussi pour leur média. « J’aime raconter des histoires, et j’aime le fait de constater que les gens ont encore envie d’écouter de belles histoire », conclut joliment celui qui a par ailleurs été l’entraîneur de son frangin, sur la fin de sa carrière. « Le podcast a du succès car il répond parfaitement aux exigences du nouveau mode de consommation médiatique, lui répond en écho Christophe Perron. À mon avis, c’est un format qui a de l’avenir. »

Ces lignes auront peut-être achevé de vous en convaincre. Sans pour autant, espérons-le, vous avoir donné l’envie de vous détourner de la presse écrite ! 

 

Article publié dans COURTS n° 5, été 2019.

En fait, c’est quoi le podcast ?

Né de la contraction du mot « iPod », le célèbre baladeur de la firme à la pomme, et du verbe anglais « to broadcast » (diffuser), le podcast est une production audio téléchargeable sur un hébergeur, et consommable ainsi à la demande. C’est ce qui le différencie de la radio. 

Au début du XXIe siècle, les grandes radios  ont logiquement été les premières, en France, à exploiter la niche. Aujourd’hui, quasiment toutes permettent de réécouter leurs émissions en podcast. 

Plus récemment, dans la mouvance des blogs, sont arrivés les podcasts dits « natifs ». Ce sont ceux qui ne sont pas diffusés sur une antenne mais qui sont téléchargeables sur des hébergeurs dédiés, comme SoundCloud, l’un des plus connus.