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Petit dico amoureux des surnoms

© Art Seitz

Savez-vous qui a gagné la finale de l’Open d’Australie 2019 entre le « Djoker » et l’« Ogre de l’ocre » ? Quel est le bilan des confrontations opposant « Iceborg » et « Big Mac », « Jimbo » et « Ivan le Terrible » ? Combien de fois se sont affrontées la « Divine » et la « Reine » ? Le « Kid de Las Vegas » a-t-il jamais battu « Pistol Pete » à Wimbledon ? « Gattone » a-t-il jamais remporté un titre du Grand Chelem ? La « Tsarine » reviendra-t-elle au plus haut niveau en 2020 ? 

Au sein d’un vocabulaire tennistique dynamique et extrêmement diversifié, les termes techniques dotés d’un contenu sémantique unique et précis (le coup droit, le jeu décisif, le hawk-eye) côtoient des productions lexicales métaphoriques et allusives. La signification de celles-ci, souvent non-transparente en raison de la charge culturelle cachée, peut s’avérer inaccessibles aux profanes. 

C’est d’autant plus vrai pour l’expression des identités des championnes et des champions de tennis, souvent pourvus de surnoms et de sobriquets culturellement prégnants, émotionnellement intenses ainsi que linguistiquement révélateurs. Produites par les journalistes, les supporteurs ou les joueurs eux-mêmes, ces appellations savoureuses sont loin d’être anodines et nous en disent beaucoup sur l’univers de la raquette et de la petite balle jaune. Effectivement, les surnoms dévoilent tout un monde symbolique, où l’inventivité de chacun contribue à alimenter un vaste réseau de correspondances analogiques, formelles et naturelles. 

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Petite histoire de la surnomination tennistique 

Les premiers surnoms des joueuses et des joueurs de tennis mondialement connus datent de la fin du XIXe siècle et désignent les pionniers de ce sport, tels que les frères Ernest et William Renshaw, les jumeaux pluri-vainqueurs du tournoi de Wimbledon en simple et en double pendant les années 1880. Inventeurs de la tactique du double ainsi qu’excellents volleyeurs, ces deux frères sont passés à l’histoire en tant que « Renshaw Rush » (Renshaw les fonceurs), surnom allitératif qui constitue une référence à la capacité de ces champions de se ruer à l’attaque, en direction du filet, à la moindre occasion propice. 

En traversant la Manche, la conscience linguistique de tout individu ayant une culture sportive moyenne permet d’associer l’adjectif « Divine » à Suzanne Lenglen, première et plus grande vedette du tennis tricolore, capable de remporter 34 titres du Grand Chelem (simple, double dames et double mixte confondus) entre 1919 et 1926. 

Chacun des membres de l’équipe de Coupe Davis des « Mousquetaires » (surnom littéraire, en référence au célèbre roman d’Alexandre Dumas père, Les Trois Mousquetaires, publié en 1844), qui a remporté six fois d’affilée le saladier d’argent de 1927 à 1932, possédait un surnom : Jacques Brugnon était surnommé « Toto » (surnom affectif), alors qu’Henri Cochet, en raison de son imprévisibilité sur le terrain, était connu sous le petit nom de « Magicien ». Quant à Jean Borotra, son surnom était le « Basque bondissant », en raison à la fois de ses origines (il était né à Biarritz, au Pays Basque) et du fait qu’il avait l’habitude de porter, sur le terrain, un béret basque. René Lacoste, de son côté, a été affublé du surnom de « Crocodile ». L’origine de ce petit nom réside dans un pari effectué en 1923 entre Lacoste et Alan Muhr, capitaine de Coupe Davis de l’équipe française. Celui-ci avait promis à René, comme cadeau, une valise en peau de crocodile en cas de victoire d’un match important. Malheureusement, Lacoste perd le match en question. Cependant, un journaliste du Boston Evening Transcript s’inspire de cette anecdote pour écrire son article, dans lequel il affirme : « Le jeune Lacoste n’a pas gagné sa valise en crocodile, mais il s’est battu comme un vrai crocodile : il n’a jamais lâché sa proie. » Dès lors, l’image du reptile ne quittera plus René Lacoste, qui choisira un crocodile comme logo de l’entreprise de textile qu’il fondera en 1933. 

Toutes les époques tennistiques ont produit des surnoms célèbres. À cheval sur les années 1940 et 1950, à l’Américain Ricardo Alonso Gonzales, dit également « Pancho », vainqueur de l’Open des États-Unis en 1948 et en 1949, fut attribué le sobriquet de « Gorgo », abréviation par apocope de « Gorgonzales », en référence au gorgonzola, un fromage italien. Il se trouve que, au cours de l’édition de 1949 du tournoi de Wimbledon, la prestation décevante de Gonzales poussa un journaliste de l’époque à lui conférer l’étiquette dépréciative de « champion de fromage ». Son partenaire de double, Frank Parker, commença alors à appeler le champion américain « Gorzongales », sobriquet que Gonzales n’appréciait pas. 

Pendant les années 1960, Margareth Smith-Court, la joueuse de tennis la plus titrée de l’histoire avec ses 63 titres du Grand Chelem au total, dont 24 en simple, était surnommée par synecdoque The Arm (le bras), en raison de la longueur remarquable et de la puissance dévastatrice de ses membres supérieurs. Tous les passionnés de la petite balle jaune se souviennent de la rivalité qui a opposé, pendant les années 1970, Little Ice Maiden (La petite fille de glace) et Navrat the Brat (Navrat[ilova] la môme), petits noms, respectivement, de l’imperturbable Chris Evert et de Martina Navratilova, talent précoce, qui ont disputé 80 rencontres sur le circuit WTA, remportant chacune 18 titres du Grand Chelem en simple. 

D’autres rivalités qui ont marqué d’un trait indélébile l’histoire du tennis, sur le circuit masculin, ont eu pour protagoniste Big Mac, surnom de John McEnroe. Ses rencontres disputées pendant les années 1970 et 1980 contre les autres numéros un mondiaux Jimbo ou Jumbo – Jimmy Connors –, « Ivan le Terrible » – Ivan Lendl, considéré comme antipathique à cause de son attitude austère et ombrageuse sur le terrain – et surtout Ice Man – Björn Borg, joueur doté d’un tempérament glacial –, resteront gravées à jamais dans la mémoire des passionnés de la raquette. 

Les surnoms les plus célèbres des années 1990 ont été ceux octroyés aux numéro un mondiaux Steffi Graf, dite « Mademoiselle coup droit » en référence à son meilleur coup, un coup droit redoutable devenu sa marque de fabrique ; Pete Sampras, dit Pistol Pete en raison de la puissance de ses frappes, et notamment son service ; et enfin André Agassi, surnommé le Kid de Las Vegas car originaire de la ville des casinos, située dans le désert du Nevada. 

Les années 2000, en consonance avec les décennies précédentes, ont produit une multitude de surnoms et de sobriquets. Ainsi, « Rodgeur » est un des surnoms affectifs du Suisse Roger Federer, considéré comme étant le meilleur joueur de tous les temps, en raison notamment de ses 20 triomphes en Grand Chelem en simple, record absolu dans le panorama tennistique professionnel masculin. Rafael Nadal, de son côté, est surnommé, entre autres, l’« Ogre de l’ocre », en référence à la couleur de sa surface préférée, la terre battue, qui l’a vu triompher douze fois aux Internationaux de France de Roland-Garros. Le Serbe Novak Djokovic, de son côté, est surnommé de manière affective « Nole », alors que le Britannique Andy Murray porte le sobriquet de « Muzzard » (de l’anglais to muss, qui signifie ébouriffer), en raison de ses cheveux souvent en désordre. L’Écossais, qui montre souvent une attitude irritée sur les courts, est surnommé également Angry Murray, en jouant sur la ressemblance phonétique entre le prénom « Andy » et l’adjectif angry, qui signifie furieux. 

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Les pouvoirs infinis de la métaphore 

Après cet excursus, nécessaire afin de fournir un premier aperçu de la quantité remarquable de surnoms et de sobriquets des joueuses et des joueurs de tennis apparus au fil du temps, nous allons nous focaliser sur les surnoms attribués par analogie, à partir d’un mot déjà existant, sur la base d’une caractéristique physique, d’un trait de caractère ou d’une habileté technique de la championne ou du champion auquel le surnom ou le sobriquet s’applique. 

La richesse des sources d’inspiration est remarquable. Plus précisément, les journalistes, les joueurs et les supporteurs qui façonnent les petits noms effectuent souvent des analogies animalières, évoquent des ressemblances physiques ou des héros aux pouvoirs extraordinaires, puisent dans le règne végétal, attribuent des titres de noblesse, font allusion à l’univers magique ou font référence à la guerre afin de mettre en évidence les vertus hors du commun des as de la raquette et de la petite balle jaune. 

 

Un véritable zoo

Nombre de surnoms et sobriquets évoquent le royaume animal, sous toutes ses facettes. Si l’élément aquatique est représenté par le « Crocodile » René Lacoste, que nous avons déjà évoqué, l’élément aérien peut compter sur le Letton Ernests Gulbis. Celui-ci est surnommé « Albatros » en raison de sa préparation de coup droit, pendant laquelle il déploie les bras à l’horizontale, rappelant l’envergure des ailes de cet oiseau marin. L’Espagnol Juan Carlos Ferrero, de son côté, porte le surnom de Mosquito (moustique en français) en référence à son agilité sur le terrain. Quant à l’élément terrestre, le jardin zoologique de la surnomination tennistique comprend : un « Chien » – The Dog, surnom attribué à l’Ukrainien Alexandr Dolgopolov à la fois par ressemblance phonétique avec son nom de famille et en raison de sa technique, qui évoque la rapidité des mouvements d’un chien – ; un « Poussin » et un « Pou » – respectivement le Français Gilles Simon et l’Espagnol David Ferrer, joueurs dont le physique n’est pas massif – ; une « Moufette » (l’Australien Pat Rafter, qui présente une mèche de cheveux blancs) et plusieurs chats : le Slovaque Miloslav Mecir, surnommé par la presse italienne Gattone, « Grand Chat » pour ses mouvements félins et sa nonchalance ; et l’Argentin Gaston Gaudio, surnommé El Gato. L’Américain Vitas Gerulaitis, de son côté, était surnommé « Lion lituanien » pour sa crinière blonde. Notre répertoire comprend également un acronyme : GOAT, dont les lettres constituent les initiales de l’expression greatest of all time (le plus grand de tous les temps). Il s’agit d’un surnom utilisé souvent par les journalistes afin de désigner le Suisse Roger Federer, considéré comme étant le joueur le plus fort de toutes les époques en raison des nombreux records qu’il a battus. Curieusement, le mot goat signifie « chèvre » en anglais ! Un autre sobriquet d’Ivan Lendl était « Poule mouillée », forgé en 1981 par Jimmy Connors. Celui-ci, après avoir battu Lendl dans le troisième match du groupe « deux » au cours du Master de New York, accuse le Tchécoslovaque d’avoir joué sans mordant, de peur de terminer premier de sa poule et d’affronter, au tour suivant, le redoutable Björn Borg. Une force physique hors du commun est à la base d’un des surnoms de Stanislas Wawrinka, appelé par la presse « Stanimal ».

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You look like…

Les surnoms et sobriquets fondés sur les traits physiques ne sont pas moins imaginatifs. Ainsi, le colosse Américain John Isner (qui mesure 2,08 mètres) est associé au Big Ben, en référence à la grande tour d’horloge londonienne, alors que la ressemblance frappante entre Jo-Wilfried Tsonga et Cassius Clay a mené les journalistes à surnommer le tricolore « Mohammed Ali », le nom que Clay a adopté à la suite de sa conversion à la religion islamique. Le Chilien Marcelo Rios, de son côté, était surnommé El Chino en raison de ses traits asiatiques, tandis que le Français Adrian Mannarino, gaucher et talentueux comme le joueur de Santiago, était appelé « Le Rios français ». Yannick Noah avait choisi lui-même le surnom de « Nègre » afin de désamorcer les propos racistes. L’ironie, et non pas la métaphore, est à la base du surnom de Ken Rosewall. Celui-ci, tout en ayant un physique fluet, était en effet surnommé Muscles par ses coéquipiers de Coupe Davis. Un bandeau rouge destiné à retenir ses cheveux longs valut à un jeune John McEnroe le surnom de « Johnny le rouge ». L’Espagnol Feliciano Lopez, en raison de son charme, est surnommé, pour sa part, « Deliciano », en associant le mot « délice » et la partie finale de son prénom. Le Bulgare Grigor Dimitrov, dont le style technique a été forgé par imitation de celui de Roger Federer, son idole pendant sa formation tennistique, porte le surnom de Baby Federer. De son côté, le Français Benoît Paire est nommé « La tige » en raison de son physique longiligne. Enfin, l’Argentin Diego Schwartzman, qui mesure à peine 1,70 mètre, est surnommé Peque, abréviation de pequeño, qui signifie « petit » en espagnol.

 

Les super-héros

Les capacités hors du commun de certains tennismen donnent lieu à des associations avec les super-héros ou des figures marquantes qui évoquent une force et un courage extraordinaires. Parfois, à la base de ces petits noms, on constate également la ressemblance phonétique entre le patronyme du joueur et le nom du personnage de fiction. Ainsi, Novak Djokovic est le Djoker, Xavier Malisse est X-man, alors qu’Ivo Karlovic est appelé Doctor Ivo, en référence à Doctor Evil, l’antagoniste du personnage cinématographique Austin Powers. Le quartet de joueurs les plus prolifiques de la génération actuelle (Federer, Nadal, Djokovic, Murray), désignés par le petit nom Big Four, possède également le surnom de Fab Four (« Les Quatre Fantastiques », du côté francophone), ce qui constitue une référence au groupe musical The Beatles mais aussi à l’équipe de super-héros de la maison d’édition Marvel, populaire pendant les années 1960. L’Espagnol David Ferrer, pour sa part, est surnommé en espagnol El Gladiator en raison de son tempérament de grand battant, alors que son compatriote Rafael Nadal est dit « Le Matador », en référence à celui qui, à l’issue des courses de taureaux, doit mettre à mort l’animal. Toujours concernant les surnoms liés aux capacités exceptionnelles des joueurs, la Française Marion Bartoli, lauréate du tournoi de Wimbledon en 2013, revendiquait un QI de 175, ce qui lui a valu le surnom de « Génie ». Quant à Roger Federer, son tennis sans faille, associé à une élégance et une fluidité gestuelle hors pair sont à la base du surnom peRFect, où les initiales du champion suisse sont mises en exergue par le caractère majuscule. Björn Borg, pour sa part, portait le surnom de Iceborg (de l’anglais ice, glace + borg, nom de famille du joueur mais aussi aphérèse de cyborg), en référence à son caractère imperturbable associé à des capacités physiques hors norme, presque surhumaines, qui lui valurent l’association avec un robot, un cyborg. Le dernier finaliste français des Internationaux de France de Roland-Garros, Henri Leconte, était surnommé « Riton la foudre » en raison de la rapidité de ses frappes ainsi que de sa capacité à monter rapidement à la volée. Quant au coriace Autrichien Thomas Muster, il porte le surnom de « Musterminator », en référence au robot à l’apparence humaine, presque invincible, incarné au cinéma par Arnold Schwarzenegger.

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L’union fait la force

L’univers de la surnomination tennistique comprend également des surnoms de couple, tels que « Murraysmo » (Andy Murray et Amélie Mauresmo), « Dimipova » (Grigor Dimitrov et Maria Sharapova) et « Fedal » (Roger Federer et Rafael Nadal). Si le lien existant entre Andy Murray et Amélie Mauresmo entre dans le cadre d’une collaboration strictement professionnelle entre joueur et entraîneur, Maria Sharapova et Grigor Dimitrov ont eu une liaison amoureuse de 2013 à 2015. Quant à « Fedal », ce surnom associe les deux plus grands champions de la génération actuelle, Roger Federer et Rafael Nadal, dont la rivalité a donné lieu, de 2004 à 2019, à 40 rencontres, dont neuf finales dans les tournois du Grand Chelem.

 

La royauté

Certaines appellations journalistiques attribuent des titres de noblesse aux tenniswomen et aux tennismen. Ainsi, si les Russes Maria Sharapova et Ievgeni Kafelnikov portent respectivement les titres de « Tsarine » et « Tsar », conformément à la tradition des pays de l’Est européen, l’Américaine Helen Wills, grande rivale de Suzanne Lenglen à la fin des années 1920, affiche le titre de « Reine ». Le Letton Ernests Gulbis, que nous avons déjà évoqué au sujet des surnoms animaliers, est surnommé « Petit Prince » car il provient d’une famille particulièrement fortunée. Mais le seul tennisman pouvant arborer le titre de « Roi » tout court est Roger Federer, dit également le « Maestro » (de l’italien maestro, maître) en raison des innombrables records battus sur le circuit professionnel. Quant à la hautaine et élégante Martina Hingis, son surnom était « Princesse suisse ».

 

La magie

Des joueurs fantasques, imprévisibles sur le terrain car capables de donner à la balle des trajectoires trompeuses, ont suscité chez les passionnés du tennis des analogies faisant référence à l’univers magique. Par exemple, si les Français Henri Cochet et Fabrice Santoro, l’Argentin Guillermo Coria ainsi que la Polonaise Agnieszka Radwanska partageaient le petit nom de « Magicien(ne) », l’Australien Norman Brookes était le « Sorcier », alors que le tricolore Gilles Simon est dit l’« Hypnotiseur ».

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L’exaltation de la force

Une multitude de surnoms et de sobriquets font allusion à la guerre et à la puissance, ce qui n’est pas surprenant étant donné que le tennis, sport de duel, se fonde essentiellement sur des actions d’attaque et de défense. Ainsi, le Russe Ievgueni Kafelnikov est surnommé « Kalachnikov » pour la violence extraordinaire de ses frappes, dont le bruit évoquait la déflagration produite par une arme à feu. Dans le même esprit, la puissance remarquable de son service valut à l’Australien Mark Philippoussis le surnom de « Scud », en référence au potentiel destructeur de ces missiles à courte portée. De son côté, Rod Laver, le seul joueur capable de remporter les quatre épreuves du Grand Chelem au cours de la même saison, en 1962 et en 1969, était surnommé The Rocket (la fusée) pour la vitesse exceptionnelle de ses déplacements sur le court, en particulier lors de ses services-volées. L’agressivité sur le terrain, associée à un tempérament combatif, sont les caractéristiques principales de la Française Mary Pierce et des Espagnols Rafael Nadal et David Ferrer, dont les surnoms sont respectivement « La Tueuse », « La Tornade » et Ferru (qui signifie « fer » en catalan). Stan Wawrinka, dont la puissance des frappes et le mental d’acier constituent les atouts principaux, possède, entre autres, le surnom de Iron Stan. Quant à l’Américain Jim Courier, ex-numéro un mondial en 1992, il portait le petit nom de « Le Roc » en raison de son endurance extraordinaire ainsi que de son intensité sans limite sur le court. 

 

En conclusion

La productivité lexicale, dans le domaine de la surnomination des champions de tennis, commence dès les origines de ce sport et ne connaît pas de stagnation, contribuant remarquablement à l’enrichissement et au dynamisme du lexique tennistique. 

La composante ludique ainsi que la connivence qu’ils contribuent à créer entre les locuteurs est indéniable, mais on aurait tort de s’arrêter à ce stade en négligeant un examen minutieux de ces appellations savoureuses. Effectivement, une telle analyse permet de mettre en évidence non seulement la grande créativité langagière de ceux qui façonnent ces surnoms, en l’occurrence les journalistes, les supporteurs et les joueurs eux-mêmes, mais aussi la forte charge émotionnelle et culturelle de ces dénominations. 

Par le biais de la métaphore, de l’ironie, de la caricature et de l’hyperbole, les surnoms et les sobriquets, qui alimentent essentiellement des pratiques discursives portant sur la performance et sur l’esthétique corporelle, remplissent une fonction éminemment identitaire et structurent la mémoire communautaire. Les processus d’identification et de reconnaissance collective exacerbent les individualités des as de la raquette et exploitent le caractère pragmatique de la métaphore afin d’assimiler les caractéristiques et les talents techniques, physiques, tactiques et mentaux des champions autour de microcosmes hautement symboliques, tels que les super-héros, la flore et la faune, l’univers magique, le monde littéraire et cinématographique, la royauté, la guerre. Voilà pourquoi des considérations socioculturelles sont essentielles afin de saisir pleinement la densité émotionnelle des surnoms et des sobriquets. Ceux-ci condensent l’essence même du langage sportif, fait d’expressions riches et jubilatoires et de termes évocateurs qui se renouvellent sans cesse. 

Valerio Emanuele est professeur de tennis diplômé d’État, docteur en sciences du langage et chercheur associé au sein du laboratoire Lexiques, Textes, Discours, Dictionnaires (LT2D) de l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur d’une thèse portant sur le discours préfaciel des dictionnaires bilingues français-italien / italien-français ainsi que du Dictionnaire du tennis, paru en 2019 aux éditions Honoré Champion. Ses recherches portent sur le lexique sportif et le paratexte des dictionnaires bilingues. 

 

Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.