Pas d’Alcaraz
de marée surles bords du Rhin
Par Raphaël Iberg
La Halle Saint-Jacques ne sera-t-elle qu’une coquille vide sans la présence du Maestro ? Les Swiss Indoors sont-ils couverts contre ce genre de forfait intempestif ? Bâle saura-t-elle rebondir après la retraite de son plus célèbre ressortissant ? Quelqu’un hors d’Helvétie connaît-il seulement le prénom composé du numéro 1 suisse actuel ? Combien de temps faudra-t-il au nouveau locataire du sommet du classement ATP pour en avoir Alcaraz le bol des questions concernant son prestigieux aîné en conférence de presse ? Nick Kyrgios a-t-il eu le temps de faire un repérage des lieux de perdition locaux les mieux cotés sur TripAdvisor malgré son invitation de dernière minute ? Un mois après l’annonce de la retraite du GOAT, on répond à toutes les questions que vous ne vous posez probablement pas en direct de la ville où tout a commencé.
On en a pourtant vu d’autres au « Joggeli ». D’une finale à sens unique entre David Nalbandian et Fernando González en 2002 à la présence d’un Mikhail Youzhny fort grincheux en qualifications en 2015, en passant par 2008 et un set perdu par le Fed Express face au modeste Bobby Reynolds ainsi qu’une empoignade pas si épique que ça entre Juan Martin Del Potro et George Bastl1 – le seul homme dont on pouvait apercevoir les mollets depuis la lune à l’époque. Et pourtant l’excitation autour du tournoi bâlois semble n’avoir jamais été aussi palpable qu’en l’absence de celui qui a remporté 10 des 14 dernières finales et qui n’avait plus manqué à l’appel depuis 2016. Vous l’aurez compris, on ne parle plus ici de George Bastl. Bon d’accord, toute cette agitation tient peut-être aussi au fait que les deux dernières éditions n’ont pu accueillir qu’un seul participant boulimique : le COVID.
Un tableau de maître(s)
En parlant de participants, et ce malgré l’absence de cérémonie commémorative de la carrière de RF cette année, on serait un sacré enfant gâté (certes biberonné à 23 titres majeurs helvétiques en 15 ans) de dire qu’on est déçu. À en croire le 2022 ATP Tennis Year Book distribué gratuitement à l’entrée, le tournoi n’a accueilli que 27 numéros 1 mondiaux (en exercice ou non) depuis 1970 et on parvient tout juste à lister quelques tâcherons méconnus qui ont soulevé la coupe à travers les années (Borg, Lendl, Noah, Edberg, Courier, McEnroe, Becker, Sampras, Federer, Djokovic). Il était donc grand temps d’enfin avoir une édition digne de ce nom. On ira même jusqu’à dire que bon nombre des demi-finales de Masters 1000 de ces trois dernières années (coucou Montréal) n’avaient pas le cachet de certains premiers tours bâlois. Jugez plutôt :
Le numéro 1 mondial devait se défaire de celui qu’un honorary steward des lieux nous avait décrit comme « the next Andy Murray » sur le Court n° 3 du All England Lawn Tennis & Croquet Club en 2018, 264 minutes avant que Jack Draper ne sorte vainqueur du plus long match de l’histoire du tournoi junior. Mission accomplie 4 ans plus tard : quatre places séparent les deux Britanniques au classement ATP, en faveur du rookie. On vous l’accorde, notre interlocuteur de l’époque n’avait probablement pas le 45e rang à l’esprit au moment de se muer en Nostradamus du sud-ouest londonien.
Le plus grand espoir du tennis à croix blanche avait la lourde tâche de se frotter au dernier représentant de l’enchaînement service-volée encore capable de se déplacer sans déambulateur (c’est le quiz du jour, vous les avez les deux ?).
Le vainqueur des tournois d’Anvers, Florence et Rotterdam qu’on raillait naguère pour ses multiples finales perdues était opposé au numéro 1 suisse évoqué plus haut (vous n’avez toujours pas son nom, hein ?).
La joie d’Alex de Minaur d’avoir décroché un strapontin de tête de série n’a dû avoir d’égale que l’hilarité provoquée par le tirage du toujours cryptique Holger Rune comme premier adversaire, c’est-à-dire l’affiche d’une demi-finale perdue par l’Australien à Stockholm la semaine précédente.
Que dire de ce qui aurait pu être une finale de Grand Chelem à 5 ans, deux opérations au genou et une sérieuse blessure au pied près ? Sans parler de la mine à jeux de mots de bas étage que représentait ce Wawrinka-Ruud pour tout scribouillard francophone ou anglophone qui ne se respecte pas tant que ça.
Il était impossible de se frayer un chemin direct et sans faveur dans le tableau principal sans faire partie du top 50 cette année. Au jeu des invitations, exemptions spéciales et autres classements protégés, Aslan Karatsev, 45e mondial et demi-finaliste à Melbourne en 2021, se retrouvait condamné à passer par les qualifications. On en voit qui se trémoussent au fond : oui, la LTA britannique est toujours la seule instance de la petite balle jaune à avoir exclu les ressortissants russes à ce jour. Bien au contraire, les Swiss Indoors ont même tout fait pour que Karatsev soit invité à leur grand-messe puisque le natif de Vladikavkaz, battu au dernier tour des qualifications, était ensuite repêché en tant que lucky loser – en remplacement du fils d’un ancien finaliste du tournoi qui avait pourtant plus d’une Korda son arc – pour obtenir le droit d’affronter Alexander Bublik dans un derby de l’Oural qui sentait la poudre (une odeur assez répandue dans la région ces derniers temps).
Bref, on en oublierait presque le forfait de dernière seconde (après son invitation de dernière minute pour ceux qui ne suivaient pas) de Nick Kyrgios, officiellement blessé depuis Tokyo (selon les médias mainstream), officieusement déjà en préparation pour l’Open d’Australie (selon ses stories Instagram en salle de force). C’est donc le moment de vous présenter nos plus plates excuses pour notre incapacité à apporter une réponse à ce qui était certainement la question la plus essentielle de notre liste d’interrogations initiales par ailleurs plus pertinentes les unes que les autres.
Un cadre imposant
À peine le temps de reprendre ses esprits après « l’affaire Simona », contrôlée positive Halepéo en fin de semaine précédente. C’est déjà parti pour ces seizièmes de finale répartis sur trois jours, c’est-à-dire une fraction non négligeable du mandat de Liz Truss à la tête du Royaume-Uni. Les premières heures d’un tournoi sont le moment où les têtes de série sont encore prenables, dit-on. Le constat est aussi valide pour les spectateurs inexpérimentés. Après s’être senti aussi vulnérable qu’un frêle esquif breton sur la Manche déchaînée en ralliant le stade sous un déluge biblique muni d’un parapluie qui était définitivement trop bon marché pour être honnête, on réalise assez rapidement en ce lundi que les raisons d’arriver avant 13 heures malgré l’ouverture des portes à 11h45 se comptent sur les doigts d’une main de personnage de dessin animé (et encore).
D’autant que notre petit-déjeuner copieux (et surtout inclus dans le prix de notre chambre d’hôtel) nous tient encore suffisamment au ventre pour ne pas céder à l’appel, il est vrai moyennement convaincant, du bretzel à 4 CHF ou des 33 cl de bière à 7.50 CHF (le franc suisse et l’euro sont plus ou moins à parité à l’heure où nous écrivons ces lignes). Une fois la minuscule boutique de produits dérivés aux prix inversement proportionnels à sa taille explorée de fond en comble, il ne nous reste plus qu’à attendre devant la porte du secteur B désespérément fermée d’avoir le droit de prendre place dans l’arène. Le temps pour nous d’apercevoir un Severin Lüthi détendu et affable déambuler en toute tranquillité, signant quelques casquettes RF par-ci et prenant deux ou trois selfies par-là. Ivo Heuberger, ancien joueur et membre éminent de la longue liste des conquêtes passées de Martina Hingis, bien que reconverti en CEO de l’un des sponsors de la manifestation, ne semble pas avoir le même succès à son stand.
On vous parlait du secteur B : figurez-vous que pour certains convives pourtant pas encore avinés, différencier les parties B1 et B2 des gradins relevait des travaux d’Hercule, voire de la recherche du laisser-passer A38 dans la maison qui rend fou, à entendre certaines conversations ubuesques entre les préposés à l’information et certains détenteurs de billets égarés. C’est d’ailleurs peut-être là une des explications au fait que la halle bâloise a sonné creux une bonne partie de la journée. Jusqu’à l’entrée en scène d’un certain Álvaro Soler, ombrageux chanteur hispano-allemand polyglotte de son état, apparemment très connu au Mexique, en Italie et en… Suisse alémanique (on vous laisse chercher le dénominateur commun musico-linguistico-culturel entre ces trois lieux, on n’a pour notre part pas trouvé). Pas sûr que le stade ait été plus proche d’afficher complet qu’à ce moment de la semaine. Une pensée pour Karatsev et son adversaire kazakh, heureusement généralement bon Bublik, qui jouaient en même temps sur le court 1. Enfin paraît-il, on n’y était pas. D’ailleurs, un match que personne n’a vu a-t-il réellement eu lieu ? Vous avez quatre heures (c’est-à-dire un demi-jeu de service de Marin Cilic, on en reparle juste après).
Tout ça pour vous dire que certaines choses sont immuables aux Swiss Indoors, Roger ou pas Roger. Après une enceinte aux deux tiers vide pour suivre un double initial et un Goffin-Nakashima en guise d’amuse-bouche, l’effervescence de la cérémonie d’ouverture musicale et du prime time entre Alcaraz et Draper (encore fallait-il que Soler s’éclipse), place au fameux graveyard shift de 22 h 30. C’est Cilic, vainqueur en 2016, et le Texan d’adoption Arthur Rinderknech qui ont tiré la courte paille le premier jour. Devant une salle qui ne compte plus qu’une cinquantaine d’insomniaques dans ses rangs dès le début de la manche décisive, tout se termine sur le coup d’une heure du matin au tie-break du troisième set après plus de 2h20 de jeu, en faveur d’un outsider presque aussi soulagé que la poignée de badauds occupés à placer des allumettes sous leurs paupières dans la dernière ligne droite. Les 16 rebonds entrecoupés d’exactement deux hésitations (2 … 12 … 2) précédant chaque première et chaque seconde balle de service de Cilic nous hanteront encore pendant des mois. Les TOC de Rafa Nadal sont définitivement relégués aux oubliettes. Encore une très bonne raison de ne même pas essayer d’arriver sur le site avant 13 heures le jour suivant. On en conclura que l’appellation douteuse de Super Monday pour une session qui comptait respectivement trois et cinq matches de moins que les deux jours suivants aura finalement tenu ses promesses en termes d’heure de coucher. Et d’étoiles dans les yeux pour la partie non négligeable du public qui était venue uniquement pour la performance d’Álvaro. Lunaire.
Jour de vernissage
Mardi, traditionnellement dédié au premier tour de Roger Federer, était la journée des Suisses cette année, avec les apparitions de Dominic Stricker (qui n’est autre qu’une partie de la réponse au quiz de notre première rubrique) et surtout de Stan Wawrinka pour sa première sortie à domicile depuis 2019. Et pourtant, les stars étaient clairement ailleurs en ce… Hyper Tuesday (on cherche encore un terme pour qualifier ce qui nous attendait mercredi, jour à 11 duels répartis sur les deux courts de la St. Jakobshalle).
Casper Ruud tout d’abord, sorte de Nikolay Davydenko des temps modernes, tout le charisme d’un abat-jour de lampe de bureau, top 5 en jouant 200 matches (statistique affinée à la louche) par année pour la plupart dans des ATP 250 et en ne battant strictement que des joueurs moins bien cotés que lui (certes avec une régularité impressionnante, surtout sur terre battue). Mais en ce mardi rouge à croix blanche, c’est en « Monsieur 100 % » qu’il s’est présenté sur le central bâlois, puisqu’il n’avait encore jamais perdu un seul match dans un tableau principal sur sol helvétique (16 victoires, 4 titres à Genève et Gstaad). C’était le dernier moment pour placer ce chiffre immaculé. En effet, Stan et ses 55 % de victoires dans son pays natal qui le rend d’ordinaire si nerveux (dont un malheureux 13-13 à Bâle jusque-là) se sont chargés de lui rappeler qu’un minimum de panache et d’audace finit parfois par payer.
L’audace, c’est aussi celle du docte préposé aux interviews d’avant-match (un procédé à bannir de toute urgence, par pitié) qui, à court de questions technico-tactiques (il faut dire que tant Ruud que Wawrinka sont des clients à faire frémir le Nelson Monfort le plus endurci dans cet exercice), a décidé de jouer la carte placement de produit : « Vous portez le même outfit (sic), ça vous gêne ? » La consternation soudainement apparue dans le regard de son interlocuteur suggère que l’existence même de cette interrogation a remis le concept de gêne en perspective.
Du haut de notre clémence, on vous avait laissé deux paragraphes supplémentaires pour trouver la seconde partie de l’équation de notre quiz. Toujours pas ? C’est bien Maxime Cressy que Stricker affrontait en guise d’apéritif avant l’entrée du Stanimal dans une arène surchauffée. Et on avoue qu’on n’a pas tout compris au plan de match du plus français des Américains, qui crie sur tous les toits depuis deux ans qu’il compte devenir numéro 1 mondial et gagner les quatre levées du Grand Chelem. On en est presque à se demander s’il a pris la nationalité américaine de sa maman pour pouvoir cultiver le melon sur plus d’hectares. Et pourtant, qu’est-ce qu’on est fan de son noble idéal de serveur-volleyeur sur une surface aussi lente qu’un mollasson avant sa première gorgée à la Source des Dieux. C’est encore plus beau quand c’est inutile. De là à servir à 200 km/h sur chaque seconde balle jusqu’à commettre deux doubles fautes consécutives à 3-4 dans le tie-break de la manche initiale, il y a un pas que le Parisien de Hermosa Beach a franchi allégrement. Pour le plus grand bonheur de son adversaire de tout juste 20 ans, qualifié par la même occasion pour les Next Gen ATP Finals de Milan.
La Next Gen essuie les plâtres
En ce qui nous concerne, le règlement rapide des affaires courantes par Roberto Bautista Agut sur le central et le lâcher d’un Alejandro Davidovich Fokina préalablement dégoupillé sur le court 1 nous ont permis de finir une heure plus tôt que la veille, de profiter d’une longue nuit de sommeil et d’arriver frais comme un gardon pour attaquer ce… euh… Giga Wednesday (ça vous va comme sobriquet ?) plein de promesses.
Les promesses sont effectivement tenues, même celles qui n’avaient jamais été faites. Après deux jours passés à observer nos voisins consommer toutes sortes de liquides sur leur siège pendant les rencontres, on décide de rentrer naïvement une bouteille d’eau à la main, achetée sur place au prix de notre treizième salaire annuel indexé à l’inflation de 7 %. On nous signifie alors que les bouteilles sont interdites sur le central. Depuis quand ? Mystère. Toujours est-il qu’il suffit de rebrousser chemin, de glisser ladite bouteille et sa valeur exorbitante sur le marché dans notre sac, et de repasser par la même entrée, accueilli par la même ouvreuse zélée 45 secondes plus tard, comme si de rien n’était. C’est bien ce qu’on pensait : les bouteilles visibles à l’œil nu sont interdites sur le central, pas les autres.
Ce menu incident mis à part, on sait recevoir en ce Jour Trois des Swiss Indoors. On n’a pas fait deux pas dans l’enceinte que la playlist du stade nous propose Ghostbusters, en guise de célébration de la disparition d’un Casper complètement passé à travers le soir précédent face à un Stan redevenu The Man et déterminé à exorciser les fantômes bâlois du passé. Holger est quant à lui bien présent en chair et en os et Rune les espoirs d’un Alex en mode ré mineur en ouverture de la journée avant qu’un Lorenzo Musetti aux faux airs de… Roger Federer remporte tous les suffrages d’un stade rapidement acquis à sa cause comme à celle de son glorieux aîné. Las, les efforts consentis à Naples, Florence et Sofia finissent par peser trop lourd face à son adversaire espagnol aussi roublard qu’expérimenté, malgré des balles de 5-1 en troisième manche. La Next Gen (la vraie cette fois) est bel et bien au rendez-vous, mais n’oublions pas que c’est dans les vieux flacons qu’on boit les meilleurs Viñolas.
Le reste de la journée appartient à Monsieur Interview d’Avant-Match (vraiment, stop). Notre virtuose enchaîne les prouesses linguistiques, en français tout d’abord avec Félix Auger-Aliassime, autre nouvelle coqueluche du public, malgré son refus d’accorder à la résistance de Marc-Andrea Hüsler (interrogé en suisse-allemand à l’entrée) un autre sort qu’une défaite honorable. Il enchaîne ensuite en anglais et en espagnol avec Carlos Alcaraz avant de poser, pas une mais deux fois, la question qui tue (notamment par son originalité) à Botic van de Zandschulp : « comment prononce-t-on votre nom ? » On peut lire dans les yeux du Hollandais la lassitude teintée d’extrême patience d’un parent qui réexplique pour la énième fois à son enfant de 3 ans égaré dans un magasin de porcelaine que non, on ne touche pas, on regarde avec les yeux. Le brave Botic s’exécute toutefois… avant de se faire exécuter par un numéro 1 mondial qui n’a pas besoin de trop forcer son talent. On ira même jusqu’à dire que Juan Carlos Ferrero a plus transpiré que son protégé en signant moult balles, casquettes et drapeaux espagnols après avoir été repéré par la faction ibère du stade dans le box de « Carlitos » à la fin du match.
22 h 15. Ne reste plus au programme que le grand mystère du jour : la programmation de Dominic Stricker en night session face à Pablo Carreño Busta, peut-être le joueur le plus sous-estimé de la planète depuis cinq ans. Le Bernois avait-il mentionné aux organisateurs son allégeance aux Young Boys, rival honni du FC Bâle au moment de son inscription pour mériter un tel traitement ? Toujours est-il que la course-poursuite avec le dernier tram de 1 h 02 du matin est lancée dès le début de la partie pour les spectateurs comptant s’accrocher jusqu’au bout de la nuit. C’est à minuit cinquante-six que le jeune gaucher doit sortir du court vaincu après trois sets d’une âpre lutte, acclamé par la poignée d’irréductibles fort bruyants encore présents dans la Halle St-Jacques. Selon nos informations avisées, même la télévision alémanique SRF avait posé les plaques bien avant cette échéance fort tardive et le commentateur francophone de la RTS a dû rapidement prendre ses jambes à son cou pour attraper l’ultime transport en commun susmentionné et ainsi s’éviter 50 minutes de marche vers le centre ville à cette heure indue.
Nul besoin de broyer du noir
Vous l’aurez compris, tout orpheline qu’elle est, la mouture 2022 du tournoi ATP 500 de Bâle se porte bien, merci pour elle. Une génération 2000-2003 (Alcaraz, FAA, Rune, Musetti, Nakashima) qui n’était pas ou à peine née lors des deux premières finales du Swiss Maestro dans sa ville d’origine y a pris le pouvoir comme lors du reste de la saison indoor, quelques vieux lions (Wawrinka, le toujours jovial Bautista Agut et le gai luron Ramos-Viñolas) ont montré quelques beaux restes et la relève locale (Hüsler, Stricker) ne demande qu’à continuer de briller sous les projecteurs du plus grand rassemblement tennistique que leur contrée natale peut leur offrir. Finalement, à défaut d’être flamboyant sur le terrain, Andy Murray a tout de même apporté sa pierre rhétorique à l’édifice en début de semaine en ironisant sur le fait qu’il venait d’atterrir dans la ville abritant l’un des plus grands athlètes du monde (Granit Xhaka bien sûr) dans un message au grand absent de la semaine largement relayé sur les réseaux sociaux.
Même si on raconte que les Swiss Indoors auraient déjà fait des appels du pied au paradis fiscal zougois et à la Genève internationale pour reprendre le flambeau en cas de non-reconduction du contrat avec Bâle qui arrivera à son terme à la fin 2023, on serait prêt à miser gros (un bretzel voire une bouteille d’eau hors de prix par exemple) sur le fait que l’étape rhénane du circuit saura survivre sans son enfant chéri comme elle avait longtemps existé avant lui. La municipalité bâloise ne dit d’ailleurs pas le contraire puisqu’elle refuse pour l’instant les demandes insistantes d’une partie de la population qui milite activement pour que le nom de Roger Federer soit pérennisé en le donnant à l’une de ses rues. En Suisse, on n’offre en principe pas cet honneur à un citoyen de son vivant, et pas moins de cinq ans après son décès (oui, le deuil est long et douloureux sous nos latitudes). La raison ? On veut être sûr que la réputation de la personne choisie soit bel et bien aussi immaculée que les clichés qui circulent sur le pays du fromage, du chocolat, des montres et donc de la propreté la plus absolue. Avouez qu’il serait bête de devoir rebaptiser la Roger-Federer-Strasse en cas de frasques tardives du retraité éponyme. Imaginez par exemple que le malheureux décide de porter des Crocs en public ou de circuler en trottinette électrique – les deux plus terribles suppôts de Satan en ce monde – dans ses vieux jours et qu’on soit contraint de le déboulonner de son piédestal.
Il n’y aura donc pas de passe-droit et il y a fort à parier que le ciment indoor continuera de tourner malgré tout. Et si vous ne nous croyez pas, attendez janvier et la première édition de la United Cup, créée sur les cendres encore brûlantes des Hopman et ATP Cups, qui vous prouvera que l’Histoire est un éternel recommencement. Retour Alcaraz départ en somme. Que le patron du circuit nous pardonne tous ces calembours, les vannes carcérales n’étaient pas libres.
Article publié dans COURTS n° 13, automne 2022.
1 Si d’aventure le dernier cité nous lit, on profite de ces lignes pour lui communiquer notre gratitude éternelle pour l’émotion rétrospective qu’il procure au soussigné à chaque mention de Pete Sampras et du « cimetière des champions » en 2002. Un exploit majuscule qui nous fait (presque) oublier ce cri intempestif dans le public sur balle de demi-finale de Coupe Davis face à Nicolas Escudé un dimanche soir de printemps 2001 à Neuchâtel. Un premier souvenir tennistique télévisé qui contribue encore à peupler certains de nos cauchemars 21 ans plus tard.