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Merci, Jo

Jo-Wilfried Tsonga, ses adieux au public après le dernier match de sa carrière, Roland-Garros 2022 (© Virginie Bouyer)

Mardi 24 mai 2022. Jo-Wilfried Tsonga a joué l’ultime match de sa carrière. Avec la fin dont il rêvait, dans une ambiance dingue, et riche en émotions. Celles qu’il a ressenties, celles qu’ils nous a procurées.

Jo-Wilfried Tsonga a perdu, mais Jo-Wilfried Tsonga a gagné. Il a atteint son objectif. Il a concrétisé son dernier rêve de joueur de tennis professionnel. Celui de terminer sa carrière immense sur scène, en partageant avec le public des émotions aussi puissantes que ses “sacoches” de coup droit. “J’ai passé des jours, des semaines, des mois à me demander si j’allais réussir à rejouer ou pas, avait-il confié au quotidien Le Parisien en mars 2021. Je ne pouvais pas faire le moindre effort. Je n’arrivais même pas à prendre mon petit bonhomme (Sugar, son fils) dans les bras. (…) Mon rêve serait de jouer Roland-Garros, de pouvoir de nouveau prendre du plaisir avec une grosse ambiance. Arrêter sur un énorme match, ce serait exceptionnel.

Ses derniers résultats, plombés par une carcasse usée par le poids du temps passé à se plier aux exigences du sport de très haut niveau, pouvaient laisser craindre un acte final éclair avant la tombée de rideau. Lors du tirage, le sort a semblé vouloir l’envoyer au casse-pipe. Mais face à Casper Ruud, 8e mondial et terreur de la terre battue, “Jo” a envoyé du bois. Au point de ferrailler pendant quatre manches et 3h49 avec le Norvégien. Une empoignade qui aurait même pu se prolonger pour un ultime round. A 6/5 dans le quatrième set, le natif du Mans a servi pour faire durer le plaisir. Seul hic, sur le dernier coup droit du jeu précédent, pour faire le break, le corps a lâché. Derrière l’épaule, comme il l’a confié dans l’intimité de sa fin de conférence de presse.

“Dans la ‘vraie vie’, vous ne pouvez pas vous lâcher comme sur le court

C’en était fini, la douleur était trop forte. Pour son dernier combat, celui en qui les Australiens avaient vu un sosie de Mohammed Ali en 2008 s’était livré corps et âme. Littéralement. “J’ai tout laissé sur le terrain”, a-t-il ensuite confié. Incapable de pouvoir continuer à se servir de son épaule comme rampe de lancement pour ses missiles, contraint de pousser la balle – il a même dû engager à la cuillère -, il a tout de même mis un point d’honneur à ne pas jeter l’éponge. Quitte à ne gagner qu’un seul des onze derniers échanges du duel. Parce qu’il en avait bien conscience, il vivait ses derniers instants avec un type d’émotions que seuls les joueurs peuvent ressentir, inconnu du commun des mortels. Si, par exemple, Stan Wawrinka a sué à en ruiner tous les t-shirts de sa garde-robe pour revenir sur le circuit après 13 mois d’absence, c’était pour renouer avec ses sensations uniques.    

La vie sur le circuit est très spéciale, avait-t-il expliqué lors d’une interview pour Yonex en novembre. Je veux vraiment retrouver les stades, les fans et les émotions que le tennis procure. Cette vie me manque.” Au point qu’à chaque interview donnée avant ou après sa reprise, il a rappelé que ceci était la raison principale de sa motivation. Ce mardi 24 mai, sur le Philippe-Chatrier, Tsonga a dit adieu à quelque chose de fort. “Vous savez, dans ‘la vraie vie’, il est parfois difficile d’être intense, a-t-il expliqué devant les journalistes. Vous ne voulez pas choquer, être impoli, vous ne voulez blesser personne. vous essayez toujours d’être sympa, sociable. Mais sur le court, vous pouvez laisser parler votre fièvre. Vous pouvez tout lâcher. C’est libérateur.

Tout le public debout pour Jo-Wilfried Tsonga lors du dernier match de sa carrière, Roland-Garros 2022 (© Virginie Bouyer)

“C’était de la folie, une des plus belles ambiances que j’ai vécues”

Ce qui va le plus me manquer ? Je pense que c’est l’adrénaline, a-t-il poursuivi. Être sur un grand court comme ça, avec 15 000 personnes qui crient ton nom et te portent sur le terrain. Franchement, physiquement, les deux, trois derniers mois, je n’étais pas au mieux. Ce qui s’est passé aujourd’hui était improbable pour moi. Je ne m’étais pas senti comme ça depuis très longtemps. Je pense que c’est grâce à l’engouement, tous ces gens qui m’ont porté. Le contact avec le public va me manquer.” Meilleur tricolore du circuit masculin depuis Yannick Noah, avec une bonne marge sur les potes Gaël Monfils, Richard Gasquet et Gilles Simon, l’ancien 5e mondial a vécu un dernier tour de piste à la hauteur de son marathon de 18 saisons sur le circuit principal. 

Au rythme de ses concassages de balles, les fans se sont dressés sur leurs sièges. Ils se sont pris la tête dans les mains. Ils ont vibré, tremblé, crié. La Marseillaise a été chantée à s’en crever les tympans. “Aujourd’hui, c’était la folie, a réagi le néo-retraité de 37 balais après la rencontre. C’était l’une des plus belles ambiances que j’ai vécues, et c’est arrivé sur mon dernier match. Je ne pouvais pas demander mieux, hormis le fait de gagner (sourire).” Peu importe. Des victoires, il en a eu une kyrielle multipliée par une ribambelle en addition à une flopée. Début avril, au moment de l’annonce de son futur arrêt, certains, et trop nombreux, haters l’ont raillé. Le réduisant au rang de “bon à rien” , car sans titre du Grand Chelem à son palmarès. Or, ce qu’a réussi “JWT” à l’échelle nationale en fait un monument du tennis français. Et au niveau mondial, ses accomplissements se sont gravés très loin de l’anecdotique.

Tsonga, chasseur de géants

Outre la fameuse finale de l’Open d’Australie 2008, il a joué cinq demi-finales en Grand Chelem – Open d’Australie 2010, Wimbledon 2011 et 2012, Roland-Garros 2013 et 2015 – et trois quarts de finale à l’US Open. Vainqueur de 18 titres en simple sur le circuit principal – seul Noah a fait mieux chez les hommes en France -, il a notamment remporté deux Masters 1000. Bercy en 2008, et Toronto six ans plus tard en écartant au passage Novak Djokovic, Andy Murray et Roger Federer. Des cadors qu’il a chahutés comme très peu ont su le faire. Les chiffres en ont attesté. Tsonga s’est immiscé, aux côtés de Juan Martín del Potro et Andy Murray, parmi les trois bonhommes à avoir battu Nadal, Federer et Djokovic alors qu’ils étaient numéro 1 mondiaux. Chasseur de géants confirmé, il s’est imposé comme le quatrième joueur comptant le plus de succès face au Big 3.

Joueurs avec le plus des victoires face au Big 3 (Nadal | Federer | Djokovic) :

  • Murray : 29 (7 | 11 | 11) – en 85 matchs (34,1 % de victoire)
  • del Potro : 17 (6 | 7 | 4) – en 62 matchs (27,4 %)
  • Thiem : 16 (6 | 5 | 5) – en 34 matchs (47,1 %)
  • Tsonga : 16 (4 | 6 | 6) – en 55 matchs (29,1 %)
  • Hewitt : 14 (4 | 9 | 1) – en 45 matchs (31,1 %)
  • Berdych : 13 (4 | 6 | 3) – en 78 matchs (16,6 %)
  • Wawrinka : 12 (3 | 3 | 6) – en 73 matchs (16,4 %)

Casper Ruud dans les bras de Jo-Wilfried Tsonga, Roland-Garros 2022 (© Virginie Bouyer)

Au-delà de ces résultats, Tsonga a marqué sa génération par ce qu’il dégageait sur le terrain. “Il est très charismatique, il a apporté plein de choses positives à notre sport”, a déclaré Nadal lors la vidéo hommage diffusée sur le Central à la fin de sa joute d’adieu. “L’un des joueurs les plus charismatiques de l’histoire, il va laisser un héritage”, pour Djokovic. “C’est un grand ambassadeur de notre sport, j’ai toujours adoré le regarder jouer”, a commenté Murray, avant le message de Federer : “Tu vas nous manquer sur le circuit.” Une aura qui a envouté d’innombrables gamins à travers la planète. Certains des actuels virtuoses de la raquette ont travaillé leurs gammes en étant inspirés par Tsonga. “C’est dur pour tout le monde, pour tous les joueurs de te voir arrêter, lui a déclaré Ruud, 23 ans, lors de l’interview sur le court. Tu as été une inspiration pour moi, et pour beaucoup de jeunes dans le monde. J’avais 9 ans quand je t’ai vu battre Rafa (Nadal), qui était mon joueur préféré, à l’Open d’Australie (en 2008). Tu es un gars génial, un exemple de ce que doit être un joueur de tennis.”

Son charisme a envoûté la jeunesse du monde

Il était mon idole numéro 1 quand j’étais plus jeune, a raconté Félix Auger-Aliassime, qui avait 7 ans lors des premiers exploits de son modèle à Melbourne, en conférence de presse quelques mois auparavant. Les autres grands joueurs, je ne pouvais pas m’identifier à eux. Jo me donnait l’impression d’être comme un grand frère. (…) Pour ma génération, les idoles étaient Roger et Rafa. Mais j’étais vraiment fan de ‘Jo’. J’ai toujours adoré le voir jouer, avec son charisme, son style explosif, son service, son coup droit. Ado, à certains moments, je pouvais même bâtir mon jeu en le calquant sur le sien. Et ça a été génial quand j’ai pu discuter avec lui. Parfois, quand tu rencontres une idole d’enfance, tu es finalement déçu. Avec ‘Jo’ ; tout le contraire. J’étais ravi. C’est vraiment un gars en or.”

Nick Kyrgios, lui aussi, a été en admiration devant ce champion. “Il (Federer) n’était pas mon idole, même si c’est un super modèle, a-t-il un jour répondu en conférence de presse. En grandissant, je ne regardais pas tant le tennis, mais j’ai en quelque sorte façonné mon jeu d’après celui de Tsonga : gros service, gros coup droit, chercher à dicter l’échange. (…) Quand j’ai joué contre lui (la première fois à Marseille en 2017, victoire de Tsonga), je le regardais encore avec mon admiration d’enfant. Jouer contre ‘Jo’, ça me mettait en stress. (…) En 2008, quand il a fait finale de l’Open d’Australie, j’avais 12 ans. Je suis allé à toutes ses sessions d’entraînement, je n’en ai pas manquée une ! À chaque fois avec une nouvelle balle, et il les a toutes signées.” A chaque autographe, sans doute, Kyrgios lui a répété ‘Merci.’ Et nous, nous ne lui dirons jamais assez, pour toutes les émotions que tu nous a procurées : merci, ‘Jo’.