Marion Toy :
le tennis au pays des merveilles
Par Nathalie Dassa
Mári Dimitrouli, alias Marion Toy, explore l’univers du sport et des loisirs dans des jeux visuels pop qu’elle définit comme de l’art conceptuel surréaliste. Portrait et échange pétillant avec cette artiste grecque, fan de tennis, qui réinvente les sports de raquette.
L’art et le tennis se trouvent parfois des affinités inattendues. C’est d’ailleurs un des passe-temps favoris de Mári Dimitrouli qui aime jouer à brouiller les frontières entre l’art et le quotidien. Originaire d’Athènes, cette directrice artistique et photographe amatrice, passée par le design graphique, propose des captations pop et surréalistes nées d’expérimentations avec les couleurs, les formes et les idées, tout en conservant la mode comme point d’ancrage. En 2013, elle crée Marion Toy et son monde fantaisiste et vitaminé. Ouvrir de nouvelles perspectives, c’est son leitmotiv. Ses clichés et ses autoportraits dévoilent ainsi toutes sortes de scénarios fantasques qu’elle met en scène avec « beaucoup de patience et de joie ».
Service gagnant
Du concept à la direction artistique, en passant par les créations en papier, le stylisme, le maquillage et les prises de vue, Mári Dimitrouli est une femme-orchestre qui gère tout quand elle ne fait pas appel à un photographe. L’Athénienne manie l’art subtil des assemblages d’objets hétéroclites et d’icônes du quotidien. L’irrationnel et l’humour côtoient ainsi à merveille l’univers du sport, des loisirs, de la pop culture, du fooding et des marques. À l’image de sa série « Coming Through! » qui fait de la raquette de tennis une broyeuse d’accessoires (brique Lego, 45 tours, dinosaure ou donut), les transformant en Adidas Originals Superstar Supercolor de Pharrell William. La Superga est aussi aux premières loges, devenue ici du dentifrice sur une brosse à dents géante en papier. De même, la balle jaune s’émancipe de ses fonctions premières pour se dévoiler sous des apparats loufoques entre bigoudis, citron pressé et jus de nattes. Sa consœur en tennis de table préfère, elle, exhiber sa rondeur sur une raquette portée en épaulettes napoléoniennes. Ailleurs, cette même petite raquette se métamorphose en un jardin verdoyant, le temps d’un thé pour uneAlice contemporaine en mode athleisure. L’artiste grecque laisse libre cours à son imagination pour créer une passerelle entre le monde de l’enfance et celui des adultes grâce à la pertinence du sport. Des moments de féérie submergés par des tons pastel vibrants.
L’art du jeu
Si son attrait pour l’univers tennistique est intarissable, Mári Dimitrouli étend son champ créatif à d’autres activités dans un portfolio des plus attrayants : chevaux de courses qui galopent sur des gambettes ; cheerleader à tête de pompon ; ballon de basket dont les traits deviennent des rubans de pâte à déguster ; voitures de rallye miniatures en guise de masque contre le coronavirus. Ses créations cultivent un sens de l’émerveillement qu’elle a réussi à façonner avec un appareil photo sans miroir, une lampe flash externe et Photoshop pour de légères retouches finales. Son inspiration, elle la puise partout, dans toutes sortes de détails. Elle communique ainsi avec panache son humeur, ses envies et son esthétique, sans jamais renoncer à ses aspirations conceptuelles. Des images qui activent les zygomatiques et invitent à interagir. Si Marion Toy reste un projet parallèle, elle espère que ce nom de scène deviendra à terme sa principale occupation. On le lui souhaite.
Courts : Pourquoi « Marion Toy » ?
Mári Dimitrouli : Je pense que j’avais besoin d’un nom artistique à l’image de mon humeur créative quand tout a commencé. Je voulais jouer, créer des objets amusants, expérimenter avec des couleurs vives et des concepts surréalistes. « Marion » était le surnom que m’avait donné un très bon ami à moi, c’est donc resté, et « Toy » exprime avant tout le plaisir de jouer ! J’avais avoué à un ami que ce projet était un prétexte pour continuer à m’amuser avec des jouets tout en vieillissant.
C : Quelle a été l’étincelle dans ce travail que vous définissez comme de l’art conceptuel surréaliste ?
M.D. : Le surréalisme est devenu une partie de mon identité créative sans aucun effort personnel, comme si ça y était inhérent. Dès l’enfance, j’ai été fascinée par les scènes de films et les tours de magie. Cela a dû sans doute grandir en moi et j’ai trouvé la façon de concevoir mon propre monde. Le surréalisme est également un excellent moyen de raconter une histoire à travers des codes. C’est comme inventer une langue que chacun traduit à sa manière.
C : Dans votre portfolio, il y a une ligne directrice : la mode. Mais vous aimez particulièrement explorer les domaines du sport et des loisirs, comme le tennis et le ping-pong. Qu’est-ce qui vous plaît dans les sports de raquette et leurs accessoires ?
M.D. : C’est vrai que j’ai une obsession pour le tennis et le tennis de table, car l’un de mes principaux objectifs est de créer des visuels surréalistes avec des accessoires facilement reconnaissables. Les raquettes et cette fabuleuse balle jaune ont un design exceptionnel et intemporel. Ils sont devenus des symboles. C’est donc un excellent moyen pour moi de créer des images qui altèrent l’utilisation de ces objets connus, comme par exemple la raquette de tennis et la déchiqueteuse dans ma série « Coming Through! » ou la raquette de ping-pong en épaulettes dans « Napoléon ». Je prévois d’ailleurs de créer une table de ping-pong DIY parce que jouer me manque vraiment.
C : Comment est née justement l’idée de cette série sur les Adidas Originals Superstar Supercolor ?
M.D. : Je voulais créer ma première série avec un placement de produit impliquant une raquette de tennis qui fonctionne comme une déchiqueteuse. Cette idée est restée dans ma tête pendant plus d’un an et ces sneakers étaient exactement ce que je cherchais. Tout comme la raquette, les baskets aux trois bandes sont devenues un symbole. Le fait qu’elles n’aient qu’une seule couleur a fait fonctionner mon concept de broyeur. Ces clichés sont le résultat d’un travail acharné sur la fabrication des accessoires. Mon ami et photographe Panos Georgiou a pu me fournir les sneakers, alors je me suis dit que ce serait une belle opportunité de travailler ensemble. Les retours ont été incroyables, je suis vraiment ravie du résultat.
C : L’illustration vintage de la Superga est tout aussi fun et ludique.
M.D. : Oh, cette brosse à dents a été le support papier le plus grand et le plus difficile à fabriquer ! Elle mesurait plus d’un mètre et les fils de la brosse étaient faits de pailles transparentes. J’avais eu l’idée d’un dentifrice géant qui ferait quelque chose de bizarre et lorsque j’ai vu la Superga, tout a pris sens. Je remercie vraiment l’équipe de la marque qui a accepté le visuel final sans connaître mes intentions, sans croquis ni rien. C’est extrêmement rare dans les projets commandés. Je les remercie vraiment d’avoir cru en mes compétences.
C : Quel regard portez-vous sur le tennis ? Êtes-vous une sportive dans l’âme ?
M.D. : Je prenais des cours quand j’étais très jeune. Je n’aimais pas beaucoup le sport en général, mais mes parents jouaient souvent au tennis pendant les vacances d’été. J’étais toujours là, je leur jetais les balles et j’observais leur match. On regardait souvent le tournoi de Roland-Garros à la maison. Je me souviens encore du couple emblématique André Agassi et Steffi Graf… Les tenues de tennis ont également eu un impact considérable sur ma façon de m’habiller. Les Stan Smith font aussi partie de ma vie depuis toujours et j’ai une garde-robe de jupes de tennis. Je rêve de découvrir un match en direct, de sentir les vibrations et d’écouter le bruit de la raquette frapper la balle. Je pense que si je devais choisir un sport avec lequel je me sens en adéquation, ce serait certainement le tennis.
C : Le pastel vibrant submerge tout votre travail. Les couleurs et vous, c’est une longue histoire ?
M.D. : Elles ont toujours joué un rôle essentiel dans ma vie. Je n’ai pas de couleur préférée, je les aime toutes ! Car elles peuvent exercer des changements d’humeur majeurs dans le bon sens. Le fait d’avoir choisi le vert menthe pour l’arrière-plan dans mes séries a été accidentel mais cela a très bien fonctionné. Je crois que le vert menthe, en particulier dans les tons clairs, peut devenir le nouveau gris. Il devient presque neutre lorsque vous ajoutez d’autres teintes.
C : Qu’est-ce qui anime in fine votre processus créatif ?
M.D. : C’est toujours une question délicate pour moi, car je ne sais jamais vraiment quand cela se déclenche. Je pourrais voir certains éléments m’animer, comme un pantalon rouge ou une paille jaune, puis l’oublier complètement. Un ou deux mois plus tard, une idée jaillit liée à ce que j’ai vu. C’est comme avoir un programme dans un coin de ma tête qui recueille des images intéressantes sans le savoir, ni si cela a un sens.
C : Et qu’est-ce qui nourrit vos inspirations ?
M.D. : Mes derniers coups de cœur sont les œuvres du photographe Zhang JiaCheng et de la maquilleuse Chiao Li Hsu, deux artistes vraiment exceptionnels. Sinon j’aime depuis toujours Yayoi Kusama, la reine des pois et des couleurs, le photographe de mode britannique Tim Walker et le réalisateur Wes Anderson. Je rêve aussi de visiter le Japon et la Chine, car j’adore leurs arts esthétiques et plastiques.
C : Envisagez-vous de travailler plus souvent avec des marques de sport comme le tennis ?
M.D. : Attendez-vous à voir beaucoup de visuels sur le tennis signés Marion Toy, car je n’en ai pas du tout fini ! Je travaille actuellement sur des visuels personnels, mais je reste ouverte à des commandes intéressantes tant que je dispose d’un certain temps pour les concevoir comme je le veux. J’aime que tout soit parfait, ce qui implique beaucoup de recherches et de travail personnel avant le résultat final.
Article publié dans COURTS n° 8, été 2020.