Les virtuoses de Wilson à l’US Open
Par Sébastien Gubel
Les marques de raquettes de tennis à succès se comptent sur les doigts d’une main. Parmi elles, Wilson occupe une place majeure. À la faveur de champions et de raquettes d’exception, la marque américaine a multiplié les coups d’éclat, à New York notamment. Flashback sur les heures de gloire de Wilson à l’US Open depuis 1968.
Pete Sampras et la Pro Staff Original : un duo légendaire
Connaissez-vous l’île de Saint-Vincent, située dans l’archipel des Grenadines au sein des Petites Antilles ? A priori plus réputée pour son sable fin, ses eaux translucides et ses facilités fiscales que pour son histoire tennistique. Et pourtant, ce micro-territoire de 346 km2 a joué un rôle essentiel dans la carrière de Pete Sampras. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’île est le seul endroit au monde où la Wilson Pro Staff Original 6.0 utilisée par Pistol Pete a été fabriquée. Sampras joua exclusivement avec les modèles de la Pro Staff produits dans les Antilles. Non seulement il ne changea jamais de raquette, contrairement à la tendance actuelle, mais il tenait en plus à recevoir toutes ses Pro Staff précisément de l’île de Saint-Vincent. L’usine de l’île est désormais fermée mais la Pro Staff a survécu, s’améliorant même au fil des upgrades de ces vingt dernières années.
Imaginez que c’est entre les mains de ce jeune Américain fluet et timide de 19 ans que la Pro Staff a conquis ses premiers succès sur le sol new-yorkais. En 1990, Sampras remporte l’US Open à la surprise générale et enchaine des victoires de prestige face à Ivan Lendl, John McEnroe et André Agassi pour devenir le plus jeune vainqueur de l’histoire du tournoi. Il frappe les esprits par son service diabolique, ses volées incessantes et son calme olympien. Big Mac souligne d’ailleurs après sa défaite que Pete était « aussi froid qu’un concombre ». Après Ice-Borg, un nouveau phénomène impassible est né… Quelques années plus tard, il démontrera que, sous la carapace, d’intenses émotions pouvaient éclater au grand jour.
Le hard court rapide de Flushing Meadows convient parfaitement au jeu offensif de Sampras. Il décroche ainsi quatre autres trophées à New York. En 1996, Pete dispute un match d’anthologie contre Alex Corretja. Perclus de crampes d’estomac dans le tie-break du 5e set, il vomit sur le court. Épuisé, titubant entre les points, menacé de disqualification par l’arbitre pour dépassement de temps, il doit même sauver une balle de match pour finalement emporter la timbale. Six ans après, en 2002, Sampras clôture sa carrière de façon étincelante. Tout avait commencé pour lui sur le ciment new-yorkais en 1990… et tout s’achève au même endroit, face au même adversaire, le rival de toujours que fut André Agassi. À la clef cette fois, un ultime triomphe en Grand Chelem.
Le brillant quintuplé de Sampras à l’US Open n’aurait probablement pas été possible sans son instrument de prédilection, sa baguette à aces qu’était la Wilson Pro Staff Original 6.0. La Pro Staff, lancée dans les années 80, est une raquette révolutionnaire avant qu’elle ne devienne mythique. Elle octroie davantage de puissance à condition de frapper la balle avec une précision chirurgicale. Seuls les joueurs exigeants et de haut niveau sont à même d’exploiter tout son potentiel. Mais quasiment tout joueur dans les années 80 et 90 est attiré et essaie la raquette. C’est presque du fétichisme !
La Pro Staff a un profil très caractéristique. Elle est composée tant de graphite que de kevlar, afin d’obtenir un juste équilibre entre la puissance et le contrôle de la balle. Dotée d’un poids important (357 g), quoiqu’il s’agisse de la norme à l’époque, et d’un petit tamis de 85 square inch (ou 548 cm2), son sweet spot est très étroit. Chaque frappe de balle doit donc être parfaitement centrée pour que la raquette puisse donner sa pleine mesure. Elle ne pardonnait dès lors aucune erreur à l’impact de la balle. De plus, seul un swing complet en coup droit et en revers permet de donner de la puissance à la balle. Les petits mouvements, faute d’efficacité, sont par conséquent bannis.
Pete magnifie la Pro Staff. Il personnalise cette raquette d’anthologie et la rend encore plus difficile à jouer qu’elle ne l’était déjà, ajoutant quelques grammes à sa raquette via des bandes de plomb situées à 3h et 9h du cadre. La tension de son cordage est en outre particulièrement élevée, jusqu’à 37 kg, entrainant souvent de nombreuses ruptures de cordes pendant un match. Classique et élégante, la Pro Staff de Pete est restée dans les annales.
La victoire de Sampras en 90 s’inscrit dans une longue série de succès de Wilson. Plus de vingt ans auparavant, la firme de Chicago inaugurait déjà son palmarès new-yorkais à la faveur du premier US Open ouvert aux joueuses et joueurs professionnels.
La Chris Evert Autograph : le succès et la grâce
En 1968, Arthur Ashe glane à Forest Hill le premier titre de Wilson de l’ère Open. Sa raquette en bois, dénommée la Tony Trabert Autograph, lui permet d’accumuler les points gagnants sur le gazon de l’époque. Très lourde, elle facilite toutefois le contrôle des frappes à plat d’Arthur Ashe.
Après Stan Smith en 1971, et à la même époque que John McEnroe qui gagne le titre en 79 et 80 avec une Jack Kramer Autograph, Chris Evert fait entrer Wilson dans l’histoire du tennis féminin. Durant les années 70 et 80, elle brille de mille feux à l’US Open avec une Chris Evert Autograph en bois. Sur le court, aussi gracieuse qu’indifférente à la pression, the Ice Maiden impressionne et enchante les messieurs comme les dames. Son revers à deux mains, l’un des premiers du genre chez les femmes, prend de vitesse la majorité des joueuses. Au sommet de son art, elle remporte six couronnes à l’US Open entre 1975 et 1982.
En fin de carrière, Chris Evert est séduite par la Pro Staff 6.0 85 et atteint la finale de l’US Open en 1984. Performance singulière dont Chrissie peut se targuer : durant ses 19 années chez les pros, la joueuse de Boca Raton n’a jamais occupé un rang inférieur à la 4e place mondiale. Incarnation de la régularité et du talent, elle atteint 54 demi-finales de Grand Chelem sur les 56 tentatives qui jalonnent sa carrière légendaire. Un record inouï parmi tant d’autres…
Jimmy Connors et la T2000 : une raquette trampoline en acier
Jimmy Connors met la « marque au W » sous le feu des projecteurs new-yorkais. Il gagne 5 titres entre 1974 et 1983… sur trois surfaces différentes : gazon, terre battue et ciment ! Face à un Ken Rosewall en fin de carrière, il survole la finale de 74 en 1h18 minutes : 6-1, 6-0, 6-1. Il s’agit encore aujourd’hui de la finale de Grand Chelem la plus courte en temps et en jeux.
Armé d’une autre raquette légendaire, la Wilson T2000, Connors traverse avec succès les époques des raquettes en bois et en graphite. Sa Wilson en acier inoxydable lui offre suffisamment de puissance pour exprimer son jeu agressif. La particularité de la T2000 réside également dans la manière surprenante par laquelle le cordage est relié à la raquette. Les joncs, ces minuscules ouvertures destinée à donner assise et régularité à la fixation du cordage, ne sont pas utilisés. Seule une structure de fil d’acier recouvre le cadre et retient en suspension l’ensemble des cordes. C’est pour le moins détonnant. Le résultat est également étrange : le cordage produit un effet trampoline lors de l’impact de la balle, rendant le contrôle de celle-ci extrêmement compliqué. Elle en devient l’ennemie des joueurs du dimanche.
Connors joue bien quelques mois avec la Pro Staff Original 6.0 en 1984, mais il retourne ensuite à l’iconique raquette métallique. Pour la petite histoire, la T2000 est au départ une invention de René Lacoste dans les années 50. Wilson achète les droits du modèle inédit avant que Jimmy n’en devienne l’unique ambassadeur. Dans les mains de « Jimbo », elle acquiert ses lettres de noblesse.
La romance entre Wilson et l’US Open se poursuit dans les années 90 et 2000, avec une succession de victoires, tant chez les femmes que chez les hommes. Stefan Edberg et Roger Federer, ainsi qu’une série de championnes, continuent de hisser la marque américaine au sommet à New York.
Stefan Edberg et la Pro Staff Classic : le jeu de l’apparence
Muni d’une Pro Staff Classic 6.1, Stefan Edberg enchaine deux titres d’affilée à New York en 91 et 92. Lui aussi très stoïque, le Suédois possède une esthétique extrêmement propre et efficace qui en fait un des meilleurs volleyeurs de tous les temps. Sa gestuelle au service est très ample et son kick incisif lui permet de se présenter au filet dans les meilleures conditions. Son revers à une main, éblouissant d’envergure, d’élégance et de polyvalence, est aussi une arme décisive sur le ciment américain.
Lors de ces deux éditions, Edberg joue avec une Pro Staff en apparence bien distincte de celle de Sampras. Elle est bariolée de rouge et jaune en différents endroits. Son nom commercial n’est pas la Pro Staff Original mais bien la Pro Staff Classic. Si son tamis est censé être plus large, à savoir 90 square inch (612 cm2), Stefan utilise en réalité exactement la même raquette que Pete. Seule la touche légèrement plus moderne de la raquette à travers les couleurs vives est différente de la Pro Staff Original. C’est un secret de polichinelle pour les collègues d’Edberg, mais pas pour le grand public…
Roger Federer et Wilson : une fidélité gagnante
Après avoir commencé sa carrière avec la Pro Staff de Sampras, Roger change rapidement de modèle et joue par la suite avec différentes raquettes. Mais la marque reste la même. Fidèle à Wilson, il signe un life agreement avec la firme américaine en 2006 et c’est donc avec Wilson qu’il gagne cinq trophées d’affilée à l’US Open. En 2009, la série record s’interrompt et il s’incline en finale face aux coups de boutoir d’un autre champion maison, l’Argentin del Potro.
Les changements de raquettes de Fed impliquent principalement de légères évolutions plutôt que des révolutions. Les seuls ajustements notables sont liés à l’agrandissement du tamis : de 85 square inch à 90 square inch en 2001, il passe ensuite à 97 square inch (626 cm2) en 2014. Cette dernière innovation est la plus significative. En effet, à la suite d’une annus horribilis en 2013, Roger travaille avec Wilson afin d’améliorer en profondeur sa raquette. Il souhaite un instrument plus puissant, un tamis plus large et un cadre plus épais. La Wilson Pro Staff Roger Federer Autograph 97 voit ainsi le jour et mènera le Suisse à de nouvelles consécrations en Grand Chelem.
Les championnes de Wilson : une domination implacable
Entre 1998 et 2015, Wilson occupe le firmament du palmarès du tournoi féminin de l’US Open. De Lindsay Davenport à Flavia Pennetta en passant par Justine Henin et les sœurs Williams, les joueuses bénéficiant des raquettes de la marque américaine s’imposent à 12 reprises en simple dames. Une hégémonie quasiment sans partage.
Au-delà du talent de ces joueuses, la raquette est personnalisée au maximum afin de s’adapter au jeu de chaque championne. Par exemple, la Wilson Hyper Hammer 5.3 de Justine Henin pèse seulement 290 grammes. Ce poids plume permet à la Belge d’imprimer beaucoup de vitesse à la balle sans trop d’effort. Serena Williams, en revanche, est davantage en quête d’une raquette qui l’aide à dompter sa puissance de fond du court. Les différents modèles élaborés par Wilson pour Serena, tel que les Hammer ou les Blade, remplissent parfaitement cette fonction. La plus jeune des Williams sisters occupe aujourd’hui une place singulière au panthéon de l’histoire du jeu. Avec 23 trophées du Grand Chelem, elle est la joueuse la plus titrée de l’ère Open, hommes et femmes confondus. Elle est même la seule championne à remporter 10 tournois du Grand Chelem dans deux décennies différentes. Stupéfiant !
Avec la complicité des joueuses et des joueurs, les modèles se sont progressivement renouvelés. Plus légers et modernes, donc faciles à maîtriser, ils ont ouvert la voie à une nouvelle tendance. Les icônes de Wilson sont cependant restées longtemps fidèles à des raquettes emblématiques telles que la T2000 ou la Pro Staff. Au point que de chaque Wilson émane, encore aujourd’hui, un parfum new-yorkais de victoire.
Article publié dans COURTS n° 2, été 2018.