Les Petits As
le carrefour des rêves et des illusions
Par Bastien Guy
Rendez-vous incontournable des prodiges du monde entier, le 39e chapitre des Petits As de Tarbes vient de se refermer, pour la première fois de son histoire, dans la douceur estivale du mois de septembre. Au pied des Pyrénées, le Tchèque Maxim Mrva et la Française Mathilde Ngijol Carré ont gravi le sommet en inscrivant leur nom dans la légende du tournoi. Si le « Mondial des 12-14 ans » est un formidable accélérateur de carrière, la route est encore très longue et semée d’embûches pour toutes ces graines de champions qui espèrent, un jour, marcher dans les traces de leurs idoles. Entre promesses gâchées et étoiles filantes, zoom sur plusieurs parcours de joueuses et joueurs qui n’ont pas confirmé les espoirs placés en eux.
Proche des cîmes pyrénéennes et à une encablure de la côte atlantique, la ville méridionale de Tarbes est une halte indispensable pour les amateurs de tourisme. En plus de sa situation géographique attractive, la capitale de la Bigorre possède de multiples autres facettes. Ville sportive, Tarbes est connue du monde cycliste pour être régulièrement traversée par le Tour de France, avant les explications de texte dans les cols pyrénéens. Terre de basket féminin et de rugby, elle a également formé plusieurs champions olympiques en escrime. Dans un autre registre, Tarbes a vu naître une légende militaire, le Maréchal Foch, illustre commandant en chef des forces alliées durant la Première Guerre mondiale. Empreinte de cet héritage militaire, la ville a conservé cette tradition guerrière avec la présence sur son territoire de l’Arsenal, fondé en 1870 pour la fabrication des canons à balles.
Deux siècles plus tard, à quelques kilomètres à vol d’oiseau, ce sont d’autres balles qui fusent au Parc des expositions de Tarbes. Des graines de champions entre 12 et 14 ans, issues des quatre coins du globe, certaines pas plus hautes que trois pommes, et d’autres déjà bien taillées, se livrent une lutte acharnée, raquette en main. Toutes sont animées par le même objectif : remporter le titre officieux de champion du monde de la catégorie. Une réputation prestigieuse qui auréole la compétition depuis plusieurs décennies. Une notoriété acquise grâce à Michaël Chang. Sacré à Roland-Garros en 1989, seulement trois ans après sa victoire à Tarbes, le prodige américain a projeté le tournoi des Petits As sur le devant de la scène mondiale.
« Une 39e édition pas comme les autres »
32 ans après, l’épreuve est entrée dans une autre dimension. 45 nationalités, 42 tournois pré-qualificatifs, deux phases de barrage internationaux – l’une aux Etats-Unis, l’autre en Asie -, 128 participants, filles et garçons confondus, et depuis 2020, une promotion en Super Category, le grade ultime des compétitions du circuit junior. Echappant de peu à la pandémie mondiale en 2020, le tournoi avait pu honorer son nouveau statut l’an dernier. En revanche, l’équation était plus complexe à résoudre pour 2021. Pour ne pas briser les rêves d’une génération d’enfants, les organisateurs ont tenu à ne pas faire l’impasse sur cette 39e édition, en plaçant la notion de jeu au premier plan. Un leitmotiv défendu par Claudine Knaëbel, co-fondatrice des Petits As : « C’est une édition pas comme les autres, axée sur la compétition. Chaque année, les joueurs attendent le tournoi comme le Messie. C’est le seul Super Category qui a eu lieu cette année et le numéro 1 dans la hiérarchie. Nous tenions à reculer le tournoi pour que les jeunes puissent y participer, dans un souci d’équité. Il a fallu qu’on soit costauds des épaules pour pouvoir tout organiser. Malheureusement, nous avons dû faire des concessions notamment au niveau des animations pour le public. » En effet, les habitués des lieux auront été quelque peu déboussolés en pénétrant sur le site, réaménagé pour l’occasion. Covid oblige, le hall principal, où grouillent habituellement jeunes tennismen, bénévoles et spectateurs, était divisé en deux zones, l’une consacrée au public et l’autre aux joueurs, par une barrière de panneaux de sponsoring. Le mur d’escalade, le simulateur de vol de l’armée de l’air et le trampoline, animations appréciées des plus jeunes, ont malheureusement fait les frais de ce nouveau décor temporaire. Seul survivant au milieu de cette hécatombe : l’emblématique stand de bonbons, dont raffolent petits et grands, d’où s’échappe un parfum de sucrerie qui vient chatouiller les narines. Autre élément incontournable, l’écran géant, qui diffuse habituellement les matches de l’Open d’Australie, n’a pas bougé d’un centimètre. Mais il a changé de fuseau horaire. Traditionnellement disputé en janvier, le tournoi, chamboulé par la Covid-19, s’est mis exceptionnellement à l’heure américaine en s’alignant sur les dates de l’US Open. Entre deux rotations ou après leurs parties, les champions de demain ont ainsi pu suivre les exploits new-yorkais d’Emma Raducanu, de Leylah Fernandez ou encore de Carlos Alcaraz, qui ont enflammé le public de Flushing Meadows. A l’image de ces trois pépites, passées par Tarbes en 2016 seulement, de nombreuses légendes de la petite balle jaune ont posé leurs valises dans la Bigorre à l’adolescence comme le rappelle la montgolfière de rubans, qui surplombe le complexe, où est inscrit le palmarès prestigieux du tournoi. Juan Carlos Ferrero en 1994, Kim Clijsters en 1997, Richard Gasquet en 1999, Rafael Nadal en 2000, Bianca Andreescu en 2014… Avant de devenir les rois et reines de leurs générations, ils étaient des Petits As. Mais en scrutant de plus près cette kyrielle de noms inscrits à jamais au panthéon du tournoi, plusieurs d’entre eux éveillent la curiosité. Ceux de joueuses et joueurs qui sont tombés dans l’oubli.
Julien Maigret : de la notoriété à l’anonymat
Vainqueur de l’édition 1997 aux côtés de Kim Clijsters, Julien Maigret en fait partie. Liés par leur titre commun, les deux lauréats ont eu par la suite des trajectoires totalement différentes. Avec philosophie et une touche de nostalgie, le Français a accepté de se replonger 24 ans en arrière et de partager son histoire. « Je garde un énorme souvenir des Petits As. A l’époque je m’entraînais au Creps de Poitiers où j’étais en sport-étude en internat. C’était un de mes objectifs les plus importants de la saison. Cela a été une des plus belles victoires, une des plus marquantes de ma carrière tennistique, c’est une certitude. »
Tête de série numéro une du tournoi, le jeune Frenchy était particulièrement attendu au tournant lors de cette édition 97. Solidement entouré, le joueur au physique déjà imposant pour l’époque, se souvient ne pas avoir eu de mal à absorber la pression grandissante qui l’entourait au fil de son épopée tarbaise. « Tout ceci était moteur, je l’ai vécu de manière positive. J’essayais de transformer tout ce stress en bonne énergie pour parvenir à mes objectifs. Ma famille a toujours été soudée derrière moi. Il le fallait car à cet âge-là, ce n’est pas simple, on est encore adolescent, on est en phase d’apprentissage, on se cherche. J’avais la sensation à cette époque de faire une concession dans ma vie personnelle avec un aboutissement. »
Au terme d’une finale décousue (2-6, 6-1, 6-2), le tricolore avait fait parler la poudre avec son énorme gifle de coup droit et son service surpuissant, les deux caractéristiques principales de son jeu, pour prendre le meilleur sur l’Espagnol Carlos Cuadrado, disparu des radars. Porté par son titre aux Petits As, Julien Maigret rafle tout sur son passage chez les juniors. La même année, il devient champion d’Europe « en écartant deux balles de match en finale » tout en collectionnant les titres nationaux. Encadré par la fédération et formé au Pôle Espoirs de Roland-Garros jusqu’à ses 18 ans, le Petit As avait fait ses débuts chez les grands de la meilleure des manières en s’imposant au Future d’Aix-en-Provence, un 15 000 dollars à l’époque.
Malheureusement, la suite des événements ne sera pas aussi radieuse. « La transition entre la réussite que j’ai connue jeune et la difficulté du circuit professionnel a été très compliquée. Pas sur le plan physique ni tennistique, c’était vraiment mental. Passer du statut de « jeune médiatisé » jouant sur des super terrains aux conditions géniales, à l’immense jungle du circuit professionnel, c’est très brutal psychologiquement. Quand on se retrouve sur le court numéro 15 d’un tournoi avec quatre balles, contre un inconnu qui est mort de faim, c’est dur à gérer. Cette différence entre la notoriété et l’anonymat, c’est de loin ce qui m’a le plus marqué. » Après avoir écumé le circuit secondaire jusqu’à ses 23 printemps, le 557e mondial à son top a été usé par la cruauté du tennis professionnel et les galères financières. « J’avais des pépins physiques au genou, cela m’a freiné dans ma progression mais honnêtement je me suis lassé de cette vie de galère. La réalité du circuit représente un coût énorme. Entre les frais de compétition, le staff, les voyages, il faut compter entre 50 000 et 60 000 euros pour réaliser une saison complète. Il y a peu de place pour l’élite. Être très bon ne suffit pas, il faut vraiment être exceptionnel pour bien gagner sa vie dans le tennis. »
Du haut de ses 38 ans, Julien Maigret, désormais retraité des courts, s’est reconverti dans un autre sport de raquette, le padel, où il excelle sur la scène nationale. Toutefois, le vainqueur des Petits As 97 n’a pas entièrement refermé son chapitre sur la petite balle jaune puisque celle-ci l’accompagne encore au quotidien. « Je suis moniteur de tennis dans un club de 300 adhérents dans les Yvelines. Avant ça, j’ai fait un petit peu tout dans le monde du coaching professionnel. Je suis allé travailler en Chine dans l’Académie de Justine Henin : Sixième sens. J’ai également collaboré avec Patrick Mouratoglou par le passé. Après avoir baigné dans ce milieu où la pression est omniprésente, j’étais heureux de renouer avec un climat plus convivial et plus familial. Je suis dans mon club depuis sept ans, tout se passe très bien. C’est un autre état d’esprit. » Si l’homme est parvenu à trouver sa plénitude intérieure, il n’esquive pas pour autant la question des regrets sur sa carrière. Avec sagesse et humilité, Julien Maigret reste fier du chemin parcouru : « Je ne cache pas que j’aurai aimé avoir une carrière professionnelle plus aboutie et en vivre pendant des années. Rentrer dans le top 100 c’était mon objectif, je n’y suis pas arrivé malheureusement. Mais ça n’enlève rien au fait que c’était une très bonne expérience de vie avec des supers souvenirs, des bons moments et des belles rencontres à la clé. Je n’en retire que du positif. »
Anna Kournikova : l’histoire d’un gâchis
Il est temps de retourner dans le hall du Parc des expositions de Tarbes et de s’arrêter sur un autre portrait. Celui d’Anna Kournikova. La totalité de cet article aurait pu porter sur la jeune russe tant celle-ci était un phénomène sur tous les plans. Malgré le poids des années, la gagnante de l’édition 1994 aux côtés de Juan Carlos Ferrero, a laissé une empreinte indélébile dans les allées des Petits As. « Poupée russe », « peste insupportable », « diva », « immense gâchis… » De la bouche des organisateurs et des différents bénévoles qui l’ont connu toute petite, les avis divergent. Mais une chose est sûre : Kournikova ne laissait personne indifférent.
Eric Wolff, cordeur des Petits As depuis sa troisième édition, fait partie de ceux qui ne la portaient pas haut dans son cœur. « Kournikova était, désolé du terme, une « emmerdeuse » de première. C’était une prétentieuse. Elle jouait avec des Yonex et je me souviens qu’elle avait des consignes très précises. Elle voulait que son cordage soit fait toujours de la même façon. Le nœud de départ devait être dans une position précise, et pas une autre. Même chose pour le nœud d’arrivée. Il fallait que ce soit toujours dans le même sens. Le moindre petit écart aurait été un drame absolu. » Pure superstition ou obsession du détail, la Russe savait ce qu’elle voulait. Un fort caractère dépeint par Claudine Knaëbel, marquée par la prestance et la maturité de la fillette : « C’était une jolie gamine, débrouillarde comme tout. Elle demandait ses entraînements, elle allait au comptoir, elle gérait tout. Je la revois avec sa robe magnifique, elle était déjà sponsorisée par Adidas à l’époque, c’était une princesse sur le terrain. » A l’aise sur le court avec son style de jeu ultra offensif, la petite pile électrique l’était aussi en dehors : « On sentait que par rapport aux médias, elle travaillait déjà son image. Elle se comportait en vedette. Elle soignait son attitude. »
A seulement 12 ans, plusieurs signes subtils laissaient déjà présager la tournure qu’allait prendre plus tard la carrière de la belle Anna. Mais avant de se perdre en chemin, hypnotisée par le monde des paillettes, Kournikova était un monstre de précocité, raquette en main. Un an après son sacre tarbais, elle poursuit son ascension fulgurante en devenant championne du monde junior en 1995 à l’Orange Bowl et est même sélectionnée, à tout juste 14 ans, dans l’équipe russe de Fed Cup. La saison suivante, l’étoile montante du tennis féminin perfore le classement WTA en passant de la 299e à la 56e place mondiale. En 1997, elle atteint la demi-finale de Wimbledon avant de se hisser au 8e rang l’année suivante. A cet instant précis, il est difficile voire impossible d’imaginer que 1998 marquera le firmament de la carrière tennistique de « Kourni ». Et pourtant, un élément perturbateur va tout faire basculer. Une blessure au pouce qui la déviera de sa destinée tennistique.
En convalescence, la Russe commence à s’intéresser grandement au monde de la mode. Avec ses yeux azur et sa silhouette de rêve, la longiligne blonde a tous les arguments pour briller de mille feux sur les tapis rouges. En revanche, le canon de beauté ne scintille plus sur les courts de tennis. Son comeback en 1999 est timide et la gloire passée ne semble plus être qu’un lointain souvenir. Incapable de gagner en simple, Kournikova se tourne vers le double et remporte l’Open d’Australie avant de récidiver trois ans plus tard en 2002. Mais il est déjà trop tard, le tennis est passé au second plan. A la même période, celle qui figure en couverture de Sports Illustrated, multiplie les conquêtes amoureuses avant de tomber dans les bras du chanteur espagnol Enrique Iglesias. Aveuglée par toute cette starification, le succès lui monte à la tête : « Je suis comme un menu dans un grand restaurant, vous pouvez regarder mais vous n’avez pas les moyens de vous le payer » balance-t-elle. En 2001, la Russe devient la joueuse de tennis la mieux payée au monde avec plus de 10 millions de dollars. Une fortune qu’elle doit en immense partie aux contrats juteux de ses nombreux sponsors.
Elue femme la plus sexy du monde d’après le classement FHM de 2002, Anna Kournikova erre dans les bas-fonds du classement l’année suivante avant de raccrocher définitivement les raquettes en 2004. A même pas 23 ans. « Un gâchis total. C’est tellement dommage. Elle avait réellement tout pour elle. Mais elle avait justement trop tout pour elle. C’est une jeune fille qui a été laissée à l’abandon. Les personnes qui s’en sont occupées n’ont pensé qu’à l’argent, aux contrats… Je ne veux pas cracher dans la soupe sur les agents mais on fait signer des gosses à 14 ans dans l’espoir qu’il y ait un retour sur investissement. » L’analyse est signée Christian Prévost, responsable de la réservation des entraînements aux Petits As. Mine d’informations et d’anecdotes en tous genres, le surnommé « Kiki » est depuis peu le manager d’une jeune serbe prometteuse, Klara Vaja, 15 ans. Un binôme qui a vu le jour justement à Tarbes : « Elle participait à l’édition 2020 du tournoi où elle a été éliminée en phase de qualif’ internationale. Elle est venue me voir et m’a demandé si je pouvais venir l’aider. Depuis ce jour, nous avons décidé de collaborer ensemble. Elle s’est fixée comme objectif Wimbledon en 2024. La route est encore longue mais je n’ai jamais vu une telle bosseuse de toute ma vie. » Père d’une fille du même âge que Klara, Christian est soucieux de préserver l’environnement de sa joueuse pour ne pas qu’elle s’égare en route à la manière d’une Kournikova. « Quand je vois qu’elle risque de déraper, avec ce petit ego, les réseaux sociaux et surtout Instagram, je m’empresse de la remettre dans le droit chemin. Le matin quand je l’emmène à l’entraînement, elle passe de longues minutes à se prendre en photo dans les vestiaires, je la titille volontairement en lui demandant si elle est sûre de devenir joueuse de tennis ou si elle veut finir comme Kournikova ». Si la Russe aura été plus célèbre pour sa plastique que pour son coup droit, son parcours illustre parfaitement les pièges et les tentations qui contrarient l’ascension vers le plus haut niveau.
Donald Young, la fausse promesse américaine
Si l’emballement médiatique n’est pas comparable à ce qu’a pu ressentir récemment un Hugo Gaston, courtisé par tous les plus gros médias français, au lendemain de son épopée fabuleuse à Roland-Garros en 2020, la lumière des projecteurs des Petits As et les attentes qu’elle suscite peuvent constituer des freins à la progression d’un joueur. D’autant plus à un âge où la construction personnelle et la quête d’identité sont prédominantes.
Et ce n’est pas Donald Young qui dira le contraire. Vainqueur du tournoi en 2003, l’Américain, fils de deux parents profs de tennis, avait déjà un agent et un contrat avec Nike lors de son passage dans la cité pyrénéenne. Nul doute que ce trop plein de pression a dû peser ensuite sur les épaules de l’adolescent. Pourtant, après avoir longtemps dominé le tennis mondial avec son tandem légendaire Agassi-Sampras, son duo Courier-Chang, puis un peu plus tard son canonnier Andy Roddick, les Etats-Unis étaient persuadés d’avoir enfin trouvé leur nouveau porte-étendard. Annoncé comme un futur crack, le jeune Donald, alors à peine âgé de 10 ans, avait même été adoubé par John McEnroe en personne lors d’un match de gala à Chicago. « C’est la première fois que je vois un gamin avec les mêmes mains que moi » s’était-il émerveillé.
En 2003, les spectateurs du Parc des expos de Tarbes partageaient le constat de « Big Mac » en découvrant le toucher magique et la délicieuse patte de gaucher de l’Américain. Croisé au détour d’une allée, Noël Vignes, arbitre historique des Petits As, qui a eu la chance d’orchestrer les parties d’une multitude de champions, se souvient parfaitement du phénomène américain. « Un joueur qui montait sans cesse à la volée. Il était extraordinaire dans le jeu, il avait une main formidable. Il avait survolé la compétition cette année-là. » Déconcertante de facilité, la tête de série numéro une du tournoi avait fait respecter la hiérarchie en ne laissant effectivement que des miettes à ses adversaires tout au long de la compétition. Quelques mois après les Petits As, le jeune prodige de Chicago surfait sur son excellente dynamique en remportant la prestigieuse Orange Bowl, une première pour un Américain depuis Jim Courier en 1986. Deux saisons plus tard, en 2005, à 16 ans et 5 mois, le phénomène de précocité battait le record d’un autre spécialiste en la matière, Richard Gasquet, en devenant le plus jeune champion du monde junior de l’histoire.
Mais alors que tout semblait tracé pour lui et que les observateurs lui promettaient un brillant avenir, la machine a commencé à s’enrayer. Aveuglé par toutes ces louanges, celui qui avait annoncé vouloir « remporter les quatre tournois du Grand Chelem au moins une fois » a été rattrapé par la réalité du circuit professionnel. De Grand Chelem, Young en remportera, certes, un, Wimbledon en 2007, mais seulement chez les Juniors. Chez les grands, l’Américain brillera surtout par son inconstance et sa friabilité mentale. Jamais mieux classé que 38e à son pic (un classement déjà monstrueux mais bien en deçà des attentes), le gaucher s’était offert son moment de gloire en 2015 à Flushing Meadows, en atteignant les 1/8e de finale de l’US Open au terme de plusieurs batailles homériques. Par deux fois, le natif de Chicago avait réussi à remonter un handicap de deux sets à rien (ndlr : contre Gilles Simon et Viktor Troicki), devenant ainsi la coqueluche du public new-yorkais, friand de ce genre d’exploits. Malheureusement, il n’a depuis pas vraiment donné suite à cette performance. Une habitude pour l’actuel 406e mondial qui attend toujours de gagner son premier tournoi sur le circuit principal.
Carlos Boluda : le successeur maudit de Nadal
Impossible de passer sous silence le cas de Carlos Boluda, nom bien connu des puristes de la petite balle jaune. Immense promesse du tennis mondial, terreur des compétitions de jeunes, l’Espagnol a marqué à jamais de son empreinte la légende des Petits As. Si les Suissesses Martina Hingis et Timea Bacsinzky sont parvenues à signer le doublé en simple, respectivement en 1991 et 1992 puis en 2002 et 2003, le natif d’Alicante est le seul à détenir ce record chez les garçons. Pas même Rafa Nadal, finaliste en 1999 et lauréat en 2000, n’a accompli pareille prouesse. Christian Prévost, qui a vu défiler sous ses yeux tous les plus grands noms de ce sport, se souvient parfaitement du prodige. « C’était un garçon très humble. La première année, il était freluquet, tout fin, il avait un jeu avec vraiment rien de particulier. C’était une sorte de mini-Nadal, impassible. Mais il était déjà une machine. La première édition en 2006, il remporte le tournoi sans perdre un set. L’année d’après, il avait pris 10 kilos. Il avait grandi, il servait le plomb et il a regagné les Petits As de nouveau sans perdre la moindre manche. »
Devant de tels résultats, la presse ibérique et internationale ne tarissent pas d’éloges au sujet du jeune Carlos. Avec un coup droit d’une précision chirurgicale, un sens tactique particulièrement aiguisé pour son âge et un mental en acier, Boluda a tout d’un futur grand. Inévitablement, les comparaisons avec l’ogre de l’ocre commencent à fleurir. Mimétisme troublant, l’Alicantin est indébordable sur le court comme son idole de jeunesse. Cela ne fait aucun doute, l’Espagne a trouvé le digne héritier de Rafael Nadal. Malheureusement, le jeune prodige ne connaîtra jamais le destin du Taureau de Manacor. Compétiteur acharné, l’appétit féroce de Carlos s’est retourné contre lui en grandissant. A force d’accumuler les matches et les tournois, son physique, en apparence inusable, a commencé à s’étioler. En 2010, son poignet le lâche, l’obligeant à rester éloigné des courts pendant quelques temps. Commence alors une longue descente aux enfers.
Miné par les blessures, l’Ibère peine à revenir avant d’être rattrapé par la réalité économique d’un joueur de tennis jonglant entre tournois Futures et Challengers. Interviewé en début d’année par le site espagnol Punto De Break, Boluda était revenu sur son calvaire : « Chaque année qui passait dans ma carrière de tennis, j’avais une personne de moins à mes côtés. Ma famille m’a beaucoup aidé mais elle ne vient pas du monde du tennis. Je ne suis pas « crâmé », une personne « crâmée » est une personne qui ne veut même pas s’entraîner. En ce moment, je pourrais m’entraîner huit heures d’affilée mais ce n’est plus le sujet. J’ai perdu l’envie. Toute ma vie, j’ai investi de l’argent dans le tennis, je pense que c’est comme ça qu’il faut faire, mais il arrive un moment où les comptes sont à sec. Mon cœur peut me demander de jouer au tennis, mais le portefeuille ne pense pas la même chose. Ce que je peux vous dire, c’est qu’en étant 254e en 2018, mon meilleur classement, je n’ai pas gagné d’argent. Heureusement je n’ai jamais joué au tennis en pensant à l’argent. En janvier, j’aurai 28 ans, si je continue sans gagner un euro, ce n’est pas logique. » Ne pouvant plus subvenir à ses besoins, celui qui a tout donné pour son sport s’est rendu à l’évidence. Avant même de souffler ses 28 bougies, le 520e mondial a pris la décision de ranger définitivement les raquettes dans l’anonymat le plus total. Une triste fin qui rappelle à quel point le monde du tennis est sans pitié quand on ne s’appelle pas Rafael Nadal ou Roger Federer.
L’Everest du haut niveau
Les Alexandre Krasnoroutski (2001), Dylan Arnould (2002), Andrew Thomas (2004), Chase Buchanan (2005), Henrik Wiersholm (2011), Kanami Tsuji (2010), Anna Orlik (2007) et bien d’autres, tous titrés à Tarbes, auraient également pu compléter cette liste non exhaustive de joueurs et joueuses qui n’ont pas confirmé tous les espoirs placés en eux à l’adolescence. Si la réussite précoce ne garantit pas une grande carrière, la réciproque est également vraie. Ne pas affoler les compteurs dans les jeunes catégories ne signifie pas pour autant que l’horizon sera sombre. Roger Federer en est l’exemple le plus célèbre. Huitième de finaliste des Petits As en 1995, le Suisse, noyé dans la masse, n’avait pas attiré l’attention des plus fins observateurs lors de son séjour pyrénéen. Pas même l’arbitre Noël Vignes, présent aux premières loges, perché sur sa chaise : « A l’époque, il était difficile de déceler le potentiel de Federer. Il a fait un passage assez court aux Petits As. C’était un gentil garçon, bien élevé mais un joueur comme les autres qui ne sortait pas du lot. » Un constat partagé par Claudine Knaëbel : « A ce moment-là, il n’avait pas la même tête que maintenant. On était loin du Federer d’aujourdui, calme, posé, mature, qui sait ce qu’il veut. J’ai souvenir d’un Roger un peu dissipé sur les courts. Je n’aurai jamais pu prédire une telle trajectoire par la suite. »
Mais alors, quelle est la recette miracle pour percer au plus haut niveau ? Si la co-fondatrice du tournoi rappelle que « le sport n’est pas une science exacte », son comparse « Kiki », drogué à la petite balle jaune, a un avis tranché sur la question : « Mon point de vue est simple. A 13/14 ans, le joueur ou la joueuse peut avoir des réactions d’ego. Si vous ne canalisez pas cet ego maintenant, vous finissez par ne plus les voir. Tout dépend de la manière dont ils sont éduqués et accompagnés pour arriver au haut niveau. Il y a aussi un facteur chance avec les blessures à ne pas négliger. Mais le joueur ne pourra accéder à l’élite que s’il est bien dans sa tête. Le tennis est un sport mental, psychique et psychologique. Enfin, le principal argument pour devenir un immense champion est le travail. Ce n’est pas parce que tu as du talent que tu dois te reposer. »
Les prometteurs Maxim Mrva et Mathilde Ngijol Carré, couronnés cette année, deviendront-ils les champions de demain ou resteront-ils d’éphémères prodiges ? Après avoir gravi les sommets pyrénéens, pourront-ils atteindre les cîmes de l’Himalaya professionnel ? « La seule certitude, c’est que rien n’est certain » disait le philosophe romain Pline l’Ancien. Si la petite balle jaune n’existait pas encore à l’Antiquité, le sage ne croyait pas si bien dire. Tel un match de tennis, entre rebonds et rebondissements, bande du filet gagnante ou perdante, ligne blanchie ou effleurée, la trajectoire de nos Petits As reste aléatoire. Métaphore de la vie, le tennis est fait d’émotions, de tensions, de temps heureux et malheureux mais surtout d’incertitudes. Et c’est pour cela qu’on l’aime autant.