Leo Borg
L’ombre du père
Nom : Borg. Prénom : Leo. Signe particulier : tente sa chance dans un sport que papa a dominé (11 titres du Grand chelem) et, plus encore, révolutionné et popularisé. Rien que ça. C’est dire le poids reposant sur les épaules du jeune Leo, et l’ampleur du défi représenté.
« Est-il seulement scruté pour de bonnes raisons ? Je pense qu’il a des défis à surmonter qui ne sont pas tout à fait justes pour un jeune joueur. » Difficile de donner tort à Mats Wilander quand on constate, le temps de trois matchs disputés dans le tableau junior de Roland-Garros 2021, à quel point le jeune Leo Borg, alors 23e mondial de la catégorie à 18 ans, suscite la curiosité. Le jour de son entrée en lice dans le tournoi du Grand Chelem parisien, il était même le seul junior à connaître les honneurs d’une programmation sur le Court 14 (quatrième court du complexe par ordre d’importance)… et il y avait du monde dans les gradins pour énumérer les traces flagrantes d’hérédité – les cheveux longs, la blondeur, les traits du visage, le revers à deux mains, et même le sponsor (Fila).
Ainsi va la vie de Leo Borg depuis son plus jeune âge. Il faut dire que le jeune Suédois n’a pas choisi la facilité en choisissant de pratiquer le sport dont son père est une légende, champion au palmarès XXL (6 Roland-Garros, 5 Wimbledon) et, plus encore, véritable rock star ayant démocratisé à lui seul le tennis au point de déclencher des émeutes dans les allées du vénérable All England Lawn Tennis and Croquet Club. Et dans la famille, « nous avions bien conscience de ce que cela signifiait quand, à 10 ans, Leo nous a vouloir devenir joueur de tennis, assène sa mère, Patricia. J’en ai pleuré. Cela me faisait peur. Nous avons essayé de le pousser à s’investir dans un autre sport pour qu’il ne soit pas comparé à son père. C’aurait été beaucoup plus facile. »
Quand la cocotte-minute explose aux Petits As
Quant à papa Björn, toujours aussi discret, ayant pris de la distance vis-à-vis de l’emballement perpétuel autour de lui, il a suivi. Ni père étouffant, ni coach contrarié, encore moins ex-star en recherche d’attention : « Je lui souhaitais juste de faire ce qu’il aime. Il s’est avéré que c’est le tennis. Mais c’est vrai qu’il n’était pas préparé à tout ça. »
« Tout ça », c’est par exemple ce qui l’attendait quand, sorti d’un cursus national s’étant résumé à un mano a mano avec Mans Dohlberg pour le statut de n° 1 de chaque tranche d’âge, vint le temps de se frotter aux rendez-vous européens. « Quand il a joué les Petits As (au barnum médiatique impressionnant par son statut officieux de plus grand tournoi du monde des moins de 14 ans, ndlr) en 2017, il a été mitraillé par les photographes et il a même fallu organiser une conférence de presse pour canaliser l’intérêt, se souvient son entraîneur Rickard Billing. Ça a été trop pour lui, il a ‘lâché’ lors du deuxième match. »
Wilander : « La plus grande faveur qu’on puisse lui faire est d’arrêter de parler de lui et le laisser travailler dans son coin. »
« Le fait d’être ‘le fils de Björn Borg’ est à double tranchant, confirme une autre légende suédoise, Mats Wilander. D’un côté purement matériel, il ne joue pas sa survie financière sur le circuit ; en outre il recevra facilement des invitations sur les tournois à cause de son père… » Effectivement, celles-ci ne manquent pas depuis ses débuts. Pour de bonnes raisons ? Non classé à l’ATP, il obtient ainsi des wild-cards aux Challengers de Bergame et Pau l’année passée en guise de galop d’essai chez les professionnels – sans passer par la case Futures donc, ni résultats étincelants en juniors. Rebelote il y a quelques semaines à Marbella, coup sur coup en Challenger et en qualifications d’ATP 250. Bilan des quatre matchs joués à ces hautes altitudes : beaucoup d’exposition médiatique, mais aucun set remporté, et 13 jeux marqués. On pourra dire que c’est formateur… ou entendre raisonner en écho les propos de ces nombreux jeunes surexposés en leur temps (Ryan Harrison, Donald Young, Quentin Halys…) estimant avec le recul que ce tapis rouge déployé prématurément dans leur cursus les a desservi plutôt qu’autre chose.
« C’est un bonus d’être le fils d’un grand champion, mais cela contribue aussi à créer des obstacles, poursuit Wilander. Pour être honnête, je pense que la plus grande faveur qu’on puisse lui faire est d’arrêter de parler de lui et le laisser travailler dans son coin et à son rythme. » Car prise avec du recul, en faisant abstraction du patronyme encombrant, la courbe de progression du jeune Leo, si elle n’est pas foudroyante, n’a rien d’infâmante. En Tennis Europe puis compétitions ITF de jeunes, Leo Borg n’a jamais été « le » meilleur. Mais il n’a jamais été totalement largué non plus. Jusqu’à rattraper le wagon de tête in extremis, en mars, à la faveur d’une tournée brillante en Amérique du Sud, culminant par un titre dans un tournoi important (Grade 1) à Porto Alegre et récompensée d’une percée jusqu’aux portes du Top 10 junior (12e). Et à Roland-Garros, ses deux matchs gagnés avant de céder sur le fil, au tiebreak du dernier set, face au n° 1 mondial, ont plutôt laissé une belle impression, pas tant d’ailleurs sur le plan du jeu – mais, soyons honnêtes, combien de juniors sortent du lot par leur tennis de nos jours ? – que par ses qualités de « matcheur », dur au mal sur le court. Comme dit joliment son père, « Leo a de la discipline et du cœur. »
Leo Borg : « Avant il m’arrivait de me dire que j’aurais préféré que les gens ne sachent pas qui est mon père. Mais c’est ok maintenant. »
Bref, Leo Borg n’a rien d’un touriste du tennis. Capitaine de l’équipe suédoise de Coupe Davis, Robin Söderling en est convaincu : « En termes de jeu, Leo n’est pas encore là pour prendre une place. Mais s’il continue à bien travailler ainsi il est certainement l’un des deux, trois joueurs les plus intéressants à intégrer dans le groupe à moyen terme. » Alors s’il ne sera jamais papa – mais telle n’a jamais été son ambition – Leo Borg trace sa route, un peu plus dans la lumière que de raison, mais en ayant appris à composer avec : « Je comprends qu’on fasse le parallèle avec mon père mais je ne pense pas aux comparaisons que les gens peuvent faire et je veux juste suivre mon propre chemin », débite-t-il en accéléré, habitué à répondre à cette question de l’héritage.
Il concède toutefois : « J’ai su très jeune que mon nom de famille attirait l’attention. Cela m’a coûté cher au début de mon parcours mais maintenant j’arrive beaucoup mieux à le gérer. Je dois faire avec. Avant il m’arrivait de me dire que j’aurais préféré que les gens ne sachent pas qui est mon père. Mais c’est ok maintenant. » Quelle autre option que s’en accommoder, de toute manière, quand même le hasard d’une annonce de casting très vague, annonçant rechercher des adolescents à l’aise raquette en main, l’a amené il y a quelques années à incarner les jeunes années de son père le temps d’un film (Borg/McEnroe, Janus Metz Pedersen, 2017) !