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Le tennis en héritage

© Chris Davies

Son arbre généalogique est un livre d’or du tennis sur trois générations. Fort de ce bagage personnel aussi riche que, sous certains aspects, pesant, Chris Davies, lui-même professeur de tennis, a développé un regard singulier sur son sport, entremêlant volontiers l’histoire (la grande et la petite), l’enseignement (via l’observation et l’expérimentation) et l’expression artistique (par les mots et par l’image). A découvrir.

 

Nul ne guérit de son enfance, dit le poète. Celle de Chris Davies, passée au cœur d’un centre de tennis tenu par sa famille sur la Côte d’Azur, ne peut s’affranchir du cliché de ‘l’enfant de la balle’. « Je me réveillais avec le bruit des balles, et m’endormais avec. » Le grand-père, Feri Buding, a fondé et dirige le centre, très coté auprès d’une clientèle allemande au fait de la réussite familiale. C’est que le patriarche s’est aussi chargé en personne d’enseigner le tennis à ses quatre enfants, amenant trois d’entre eux à défendre les couleurs de la RFA au plus haut niveau mondial. Edda atteint les demies à Roland-Garros en 1961 et, en équipe, la finale de la Fed Cup en 1966 ; Ingo joue les quarts de finale à Paris en 1965 et est incontournable en Coupe Davis la décennie durant ; Ilse enfin gagne ‘le French’ chez les juniors mais arrête très vite la haute compétition suite à sa rencontre, à Wimbledon, avec le meilleur Britannique de l’époque, Mike Davies.

Davies (rien à voir avec Dwight – notez le ‘e’) sera à la fin de sa vie intronisé au ‘Hall of Fame’ du tennis, pas tant pour ses résultats, pourtant très honorables (finale à Wimbledon en double en 1960, puis passage chez les pros de Jack Kramer) que pour son leg en tant que dirigeant : directeur général du circuit WCT de Lamar Hunt dans les années 70, puis directeur exécutif de l’ATP dans les 80’s, et enfin directeur général de l’ITF dans les 90’s, Davies aura trois décennies durant ‘remodelé’ le tennis pour favoriser sa télégénie et, partant, son expansion. La promotion du tie-break (pour assurer une durée limite au set et ainsi ‘cadrer le produit’) ? C’est lui. La pause changement de côté tous les deux jeux (pour mieux caser des pages de pub) ? Encore lui. Les balles jaunes et le lâcher-prise sur le code vestimentaire (pour un meilleur rendu visuel à l’écran) ? Lui toujours. Jusqu’à être le papa de la coupe du Grand chelem dans les années 90… entre autres initiatives ayant contribué à asseoir le statut du joueur professionnel de tennis.

© Chris Davies

Lignes de courts, lignes de fuite

Avec une telle ascendance, le chemin de Chris Davies est tout tracé… mais n’est pas pour autant un long fleuve tranquille. Parents à un très jeune âge, Mike et Ilse se séparent bientôt. Lui part faire carrière aux États-Unis, elle refait sa vie en Allemagne. Au milieu, Chris et son frère aîné grandissent avec leurs grands-parents, oncles et tante au centre de Bandol… pour lequel le clan finira par s’entre-déchirer par avocats et coups de carabine interposés – spoiler, personne n’y gagnera : le club finira à l’abandon, la famille Buding, disloquée. « Le tennis lie la famille, mais il l’enserre. » Enfant, Chris taquine la balle, « forcément. » Mais ce qui était une évidence vu son hérédité ne vire pas à la vocation. « J’ai rêvé d’être champion, mais comme tous les enfants… et surtout plus pour échapper à l’école que par passion. J’ai été classé -2/6, ai gagné à l’échelon Promotion, juste avant la sacro-sainte Première série. Puis je me suis blessé. J’ai été opéré de l’épaule à 18 ans. Je n’ai jamais rejoué assidûment. Mon dernier tournoi remonte à il y a 10, 12 ans. Physiquement je ne pouvais plus. Mes blessures n’étaient pas toujours psychosomatiques mais… pas mal quand même. »

En parallèle d’un court qui commence à lui sembler étriqué à mesure qu’il grandit, il y a surtout, très vite, la naissance d’une passion, une vraie : l’art. « J’ai eu un véritable choc culturel avec la musique, la peinture… Je me souviens encore de ma stupeur en découvrant Arte. Les émotions que j’y découvrais étaient plus fortes que celles du tennis. Plus facilement accessibles, aussi : le tennis, c’est beaucoup de frustrations et finalement peu de matchs où on ressent cette sensation ‘d’état de grâce’. Des appareils photos traînaient à la maison, je m’y suis mis… » Ils ne le quitteront plus. Pour autant, le tennis reste son gagne-pain… et son fil rouge. Il se tourne vers l’enseignement, « sans emballement au départ, mais je me suis épanoui là-dedans, quitte à en être le premier surpris. » Au fil des ans, il tâte du haut niveau au contact de la jeune ouzbèke Iroda Tulyaganova, qui gagne Wimbledon chez les juniors en 1999. Devient ‘Head coach’ du tennis-club du Gezira, au Caire – où, famille toujours, le nom de sa tante figure au palmarès du tournoi international organisé là-bas au temps des amateurs. Entraîne à Bâle, puis en Autriche, avant de revenir se fixer en Suisse, où il arpente dorénavant les clubs en photographiant les jeunes joueurs d’écoles de tennis pour ensuite proposer les clichés aux parents.

© Chris Davies

La ‘soul’étude’ du joueur de tennis

Des voyages, des photos, du tennis : tout est là. Ne reste plus qu’à lier tout ça. Le projet s’appellera ‘Soul’étude’, et sera finalisé en 2017 : 500 pages de ce qu’il nomme ‘auto-photo-biographie’, où comment relater à la fois un parcours personnel et une épopée familiale, à travers des photos (beaucoup) et des textes (un peu). Nul besoin d’être passionné de tennis pour être happé par ce récit tumultueux, captivant et émouvant. « Au départ, ces photos étaient prises sans autre but que de répondre à un besoin. Elles m’enracinaient à l’existence. Et puis à l’âge de 25 ans environ, j’ai commencé à penser à ce qui deviendrait ‘Soul’étude’. Je sentais que je devais le faire, que je n’arriverais pas à vivre en paix sans le concrétiser. J’y suis arrivé à la cinquantaine, au bout d’une longue fuite : fuir le tennis, y revenir, fuir ma famille, renouer avec, ne pas rester coincer là… C’est à la fois une thérapie, et un hommage. » L’instantané d’une époque, aussi, quand le tennis avait une empreinte sur la société – voire en était un phénomène. Au fil des pages, on y croise ainsi Noah et Sinatra, la sainte Trinité australienne Laver-Rosewall-Hoad et Bernard Tapie époque Phocéa, Nick Bollettieri et Michel Platini, Metallica et Liesel Bach, le couple Peron et un dictateur ouzbek…

Il faut reconnaître que l’homme ne craint pas les projets de longue haleine. Deux ans plus tard, en 2019, il publie un second livre en germe depuis longtemps : ‘Balles neuves’, une réflexion sur le tennis et son enseignement. Là encore, l’héritage familial n’est jamais bien loin, l’ouvrage dédié à « deux architectes du tennis ». Explication de texte : « Mon grand-père était un fou de technique. Il a même écrit un livre sur le sujet. J’ai voulu raccrocher son bagage au tennis moderne. Je m’étais aussi beaucoup rapproché, sur le tard, de mon père par ce biais. Ce livre est le résultat d’années d’enseignement et d’observation en bord de court, un manuel à l’usage des profs de tennis, un métier difficile, où les progrès des élèves se voient lentement et qui peut susciter de l’ennui et de la frustration. »

© Chris Davies

Et après ?

Au détour des chapitres, l’auteur y aborde la pédagogie (et une question centrale, et universelle, de l’enseignement : le (bon) joueur fait-il le (bon) prof ?), le matériel, parfois en levant des tabous (le mieux serait-il devenu l’ennemi du bien dans la profusion de raquettes ayant fait la fortune des équipementiers ?), la biomécanique et la technique… Sous ses allures de coup de pied dans la fourmilière, l’ouvrage a l’immense intérêt de questionner des dogmes contemporains : « Partout aujourd’hui, on compte : les licenciés, les pratiquants… Cette politique du chiffre a amené l’apprentissage du tennis à se tourner vers le plaisir immédiat, le ludique… en reléguant l’aspect technique au second plan. ‘Amuse-toi d’abord, tu apprendras les fondamentaux ensuite’. Mais non, on ne peut pas y revenir plus tard sans que ça ait laissé des traces ! Le tennis est un sport dur à apprendre, austère même ! On voit de moins en moins de techniques propres. Or le joueur finira toujours par être rattrapé, et pénalisé, par les mauvaises habitudes prises au départ. Il en sera frustré, voire il abandonnera. »

Et lui : au bout de deux projets de longue haleine achevés en trois ans, est-il prêt à abandonner, lâcher la plume ? « Ah non ! J’ai un fantasme de trilogie de ‘Soul’étude’. Le volume 1 était le passé, le bagage, la famille… Le 2 serait le poids de la société, et le 3 la vie en rose, quelqu’un qui trouve une manière de fonctionner malgré les deux premiers. » Qu’on se construise dans la continuité ou dans l’opposition, on est toujours le reflet de ses jeunes années. Et plus l’on avance en âge, plus on se retourne dessus ?

© Chris Davies

Balles perdues ? Pas pour tout le monde

« J’ai commencé à travailler sur de vieilles balles comme ça, en les ramassant au bord des courts, où on en trouve toujours plein, abandonnées parfois depuis tellement longtemps qu’elles sont enfouies dans le sol. J’ai commencé à les photographier, et leur donner des noms, leur réinventer une histoire. C’était un peu mon test de Rorschach ! » Au gré de ses obsessions donc, personnages historiques (Gagarine, Geronimo, Bob Marley, Massoud) ou mythologiques (Achille, Agamemnon) côtoient les légendes du tennis (Borg, McEnroe), tandis que grands évènements de l’humanité (Première guerre mondiale, Apollo 13) voisinent avec objets du quotidien (Mac) et références du bout du monde (poisson Fugu du Japon, têtes réduites d’Amérique du sud).