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Le Tennis Club de Belgique

monument classé

© Loïc Struys

Il s’agit de l’un des secrets tennistiques les mieux gardés. Caché dans un îlot résidentiel à quelques mètres du tumulte de l’une des artères les plus prestigieuses de Bruxelles, le Tennis Club de Belgique appartient depuis plus de 80 ans au patrimoine du tennis belge, voire mondial. Un monument classé hors-catégorie, unique en son genre, de par son implantation, son prestigieux passé et sa vitalité actuelle. Si les stars de la petite balle s’y produisaient jadis, une clientèle familiale s’y épanouit désormais, de génération en génération. Un club sans droit d’entrée, mais exigeant un minimum d’éducation et le respect des traditions. Visite du plus british des clubs bruxellois, tenue blanche exigée. 

 

L’histoire commence il y a deux décennies en Wallonie. À bonne distance de la capitale belge, mais au bord des terrains. L’après-tennis laissait toujours place à d’autres échanges, au coin du feu ou dans la convivialité d’un club-house, mêlant anecdotes et souvenirs tennistiques. De quoi émerveiller le jeune fan, né presque naturellement avec une raquette à la main, par filiation et admiration d’un paternel aux velléités professionnelles à une époque où le tennis était encore l’apanage des amateurs. Le foyer familial regorgeait de trophées et de souvenirs immortalisés en sépia. L’existence d’un illustre club à Bruxelles, près de l’avenue Louise, semblait alors difficile à imaginer : des terrains de tennis au cœur de la ville, auxquels on accède notamment via un ascenseur, théâtre du (premier) centre national d’entraînement, dirigé par un certain Gilbert Elseneer et destiné aux meilleurs joueurs belges, époque sixties.

 

 Le paradis du tennis

Les années ont passé. Bercé par les récits d’un père talentueux conteur d’histoires, où réalité et fantaisie s’enchevêtraient, le jeune enfant devenu adulte a perpétué cette passion pour la petite balle jaune. Il a gardé en mémoire la poésie de son paternel disparu à propos de ce club, dont la seule évocation exhale le remugle des caisses d’albums photos écornés planquées dans le grenier. Que reste-t-il de ce sanctuaire suranné ? Existe-t-il encore ou a-t-il subi les affres du temps et l’ambition de promoteurs, plus prompts à faire fructifier leur investissement qu’à garder intact un lieu sacré ?

Pour répondre à ces questions, il faut se rendre dans un axe perpendiculaire à l’avenue Louise, où les distraits rateront sans doute l’entrée discrète, au numéro 26 de cette rue en pente. Et constater que le club, tel un vieux chêne, résiste fièrement au temps qui passe. Mieux, il est toujours gouverné par Gilbert Elseneer, propriétaire des lieux depuis plus de 30 ans et fondateur des structures d’entraînement modernes. 

Le bâtiment monumental est dissimulé à l’intérieur d’un îlot et déploie un escalier d’honneur en pierres foncées au sommet duquel attend Gilbert Elseneer. « Entrez au paradis du tennis ! », s’exclame-t-il avec un sourire chaleureux. « Cette phrase, un peu bête, est un rituel », admet-il volontiers, « je la répète aux gens qui entrent ici, car on entre ici avec le sourire ». Comme celui esquissé en s’engouffrant dans le hall aux murs couleur melon qui mène aux terrains.

 

Théâtre et cinéma

« Les fondateurs souhaitaient faire de ce club un lieu de spectacle, avec une architecture grandiose », ajoute-t-il pour expliquer la ressemblance de l’entrée du bâtiment avec celle d’un cinéma des années 50. D’ailleurs une alcôve dans l’entrée laisse deviner la présence d’un guichet, passage obligé pour accéder aux tribunes et assister aux nombreux événements organisés en ces murs, dont une pièce de théâtre. « Ce club a une richesse historique. Il est une partie de ma vie. J’ai vu sa construction. » L’œuvre de l’architecte émile Goffay date du milieu des années 50, sous l’impulsion de Philippe Washer, ancien champion de tennis, désireux de bâtir le plus luxueux club d’hiver. 

L’objectif était de construire un tennis couvert digne de ce nom à Bruxelles, capable d’accueillir des rencontres de Coupe Davis, de Coupe du roi de Suède (sorte de Coupe Davis d’hiver) et les championnats de Belgique. Cette douce mégalomanie se traduit par le gigantisme de l’infrastructure, longue de 68 mètres et haute de 12,8 mètres au faîte, « pour répondre aux dimensions internationales, un cas unique en Belgique ». Dix arcs elliptiques en lamellé-collé de bois surplombent trois terrains, dominés par deux longues verrières, légèrement différenciées, qui assurent un éclairage zénithal naturel en journée. En soirée, un éclairage de 600 Lux – puissance conseillée pour un confort visuel optimal – illumine chaque aire de jeu. La perfection se cache dans les détails.

« Le projet initial prévoyait quatre terrains. Suite au refus des riverains de céder la surface nécessaire, l’architecte a dû changer la disposition et se contenter de trois terrains, dont un Central avec des gradins – en bois – de 600 et 400 places, de part et d’autre du court. » Les temples sont érigés pour traverser intacts les décennies… Le Tennis Club de Belgique ne déroge pas à la règle : l’infrastructure est en tout point identique à son aspect originel du 1er octobre 1955, date de son inauguration. Si briser les codes est dans l’air du temps, certains perpétuent un héritage, non par nostalgie, mais par respect d’une tradition, d’une « belle époque », où le tennis se jouait en blanc et le joueur saluait les prouesses adverses avec courtoisie. 

© Loïc Struys

Fraises et piquets anglais

En plein centre-ville de la capitale européenne, le fan de tennis peut donc s’enivrer d’un parfum d’Angleterre (qui survivra au Brexit), goûtant le calme des jardins d’un autre Temple du tennis mondial, les fraises à la crème en moins. Le vert y domine, au détriment des publicités, volontairement inexistantes. Et les poteaux, fait unique au monde, proviennent du All England Lawn Tennis and Croquet Club, sur l’insistance de Philippe Washer, tandis que les vestiaires sont une fidèle reproduction de ceux enfouis sous le Centre Court de Wimbledon. « Nous sommes les seuls au monde à avoir les mêmes piquets qu’à Wimbledon. Ce sont les mêmes depuis le milieu des années 50. Avec Wimbledon, nous nous accordons sur un autre point : le blanc. Nous faisons partie des amis du tournoi anglais et du Queens. Je perpétue cette image. »

Le Tennis Club de Belgique offre encore aujourd’hui la quintessence du tennis, résultat d’une addition d’observations effectuées lorsque les tournées mondiales s’effectuaient en paquebot ou en avion Caravelle. La surface des terrains est un vinyle suédois importé de Stockholm au lendemain d’une Coupe du roi de Suède jouée par le talentueux et non moins inventif Washer. « Contrairement à Stockholm, nos terrains d’origine ont tenu », se réjouit Gilbert Elseneer. « Quand Borg est venu ici, il m’a dit que la surface lui rappelait son enfance. »

À l’instar du Suédois, de nombreuses stars du tennis ont foulé ce lieu sacré. Les noms claquent comme des smashs, au point d’en oublier certains. Kramer, Laver, Nastase, Gerulaitis, McEnroe, Lendl, Edberg, Becker, Courier, Agassi, tous ont un jour ou l’autre émerveillé les membres, heureux d’approcher les étoiles du tennis mondial depuis les gradins ou à travers la vitre panoramique du club-house. 

 

Royal box

Outre son âge légal1, le Tennis Club de Belgique mérite son titre royal, comme le nom donné à cette pièce discrète où se cachaient les têtes couronnées venues apprécier le spectacle offert par les champions de la raquette. « Le roi Léopold III venait de temps en temps », se souvient Gilbert Elseneer qui fut, par ailleurs, professeur particulier du roi Baudouin. « Le samedi soir, après les cours, il venait jouer ici ; la reine Fabiola l’accompagnait. Il avait arrêté le golf à cause de douleurs dorsales et s’était passionné pour le tennis. Je lui avais même prêté une machine à balles pour qu’il se perfectionne au Palais de Laeken, où un ancien manège avait été transformer en terrain de tennis. Je me souviens que son aide de camp, amusé, m’avait gentiment fait remarquer qu’à cause de moi, il lui revenait de ramasser les balles pour le roi. »

Par assiduité et humanisme, ce dernier s’était fait plus intime lorsque l’occasion de racheter le club s’est présentée, au milieu des années 70. « Il m’avait vu tracassé et avait ordonné d’arrêter la leçon du jour. Nous nous étions assis dans les canapés au bord du terrain et avions bu le thé. Grâce à ses conseils, j’ai pu monter mon projet, remporter l’affaire et acquérir mon Château, comme je l’appelle », glisse Gilbert Elseneer. 

Aujourd’hui, avec son fils Gilles, ex-top 100 à l’ATP, il transmet sa passion à des membres dont le nombre reste à la discrétion de la direction, à l’image du club. « Les nouveaux membres m’ont fait ouvrir les yeux sur sa beauté et briser l’accoutumance qui, par essence, empêche d’apprécier la valeur des choses. “Il n’y a pas ça à Paris”, me dit-on souvent. Les gens viennent chez moi grâce au bouche à oreille. Chez moi, la qualité prime. Je refuse de jouer avec la réputation de mon nom et de mon club. Nous sommes des passionnés. Mes membres sont tous mes amis. Beaucoup jouent ici depuis 20-30 ans. Et leurs enfants ou petits-enfants fréquentent également le club. Ils se sentent bien. Nous évoluons dans un milieu de qualité : ce n’est pas snobinard, seulement respectueux. On se présente comme les gardiens d’une certaine éducation qui n’a rien à voir avec l’argent – l’éducation est le meilleur passe-partout dans la vie –, dans un endroit unique, où tout tient ensemble : les terrains, les vestiaires et le bar. » Un club-house dont le décor aurait pu inspirer Fitzgerald pour une scène de Gatsby le Magnifique, où l’après-tennis se déclinerait en smoking et coupes de champagne, au coin du feu ouvert. 

« Mais j’ai évolué. Tout est en mouvement, rien n’est fixe. Le tennis est sans cesse en quête d’amélioration. Le mouvement est le secret de la jeunesse », nous rappelle monsieur Elseneer, avant de prendre congé. L’époque où le club employait trois secrétaires, un maître d’hôtel, un chef coq, un barman et des vestiairistes hommes et dames est, certes, révolue. Comme cet ascenseur, resté dans la mémoire de ce jeune enfant, sacrifié sur l’autel de la sécurité. Désormais, l’ascension est émotionnelle, grâce à la vitalité d’un lieu historique. 

 

Article publié dans Courts n° 3, automne 2018

1 En Belgique, le titre « royal » peut être accordé par le Roi à des associations belges ayant 50 ans d’existence ininterrompue.