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Le parcours des jeunes

Sofia Kenin à 5 ans, © Art Seitz

Entre échec et réussite, espoir et désespoir, progression et blessures… Pour devenir champion, la route est longue et souvent jalonnée d’embûches. Il n’y pas de recette miracle. Gagner, c’est avant tout la récompense d’une résilience hors du commun, la mobilisation de tout un écosystème et parfois, un petit coup de pouce du destin. Mais entre la multitude de chemins possibles, l’aspect financier qui relève de l’entrepreneuriat et le poids affectif de la famille, pas toujours facile de frayer son chemin. Cela requiert un investissement dès le plus jeune âge. Eitan, 5 ans, a commencé le tennis en 2019. Il évolue actuellement dans la catégorie U6 balle rouge au Tennis Club d’Annecy. Né en 2016, il a récemment été détecté par la ligue Auvergne-Rhône-Alpes. « Eitan est au premier étage du repérage. Il a des qualités supérieures aux jeunes de son âge, analyse Baptiste Frican, conseiller de repérage dans le département de Haute-Savoie (74). C’est pour cela que je le convoque pour les prochains stages avec les meilleurs du département. » Sa mission ? Détecter les meilleurs de moins de 10 ans. Pour cela, il les observe régulièrement, organise un programme d’entraînements et se rapproche des clubs afin de savoir ce qui est mis en place. « On veut les mettre dans les conditions optimales pour qu’ils progressent le plus rapidement, explique-t-il. Mais on ne veut pas uniquement dénicher les pépites, le but c’est avant tout de lancer des gamins dans la compétition, de susciter des passions. Peut-être que certains graviront les échelons, mais ce n’est pas le premier objectif. » « Vers 4 ou 5 ans, on voit ceux qui ont des aptitudes psychomotrices supérieures aux autres, analyse Emmanuelle Ducrot, présidente du comité départemental de Haute-Savoie responsable du haut niveau. Le rôle de l’enseignant est déterminant. « Il doit être attentif, pédagogue avec les parents et inculquer une certaine régularité du travail. » 

En septembre 2020, Eitan a effectué son premier repérage avec Baptiste, qui l’appelle quelques mois plus tard à une « journée de suivi » avec les meilleurs du même âge. Le 7 avril dernier, il a effectué la deuxième. « Baptiste est venu au club et il lui a fait faire plusieurs ateliers de coup droit, revers, services, contrôles de balle, échanges… » Pour le moment, Eitan suit deux cours collectifs par semaine, mais ses parents souhaitent l’inscrire aussi en individuel à la rentrée prochaine. « Si c’est possible, en tout cas c’est ce qu’il veut », confie cet enseignant qui se projette sur l’avenir. Le père de famille ne recherche aucun sponsor et n’est pas en demande, mais n’exclut pas « d’y réfléchir plus tard si besoin ». Quant à l’école, Eitan s’y rend comme la grande majorité des enfants de son âge. Mais « plus tard, lorsqu’il commencera les compétitions, s’il est nécessaire de suivre les cours à la maison, nous y réfléchirons », explique le papa. En parallèle, il alimente aussi un compte Instagram sur lequel il publie régulièrement le quotidien sportif de son fils. « L’année dernière Denis Shapovalov a commenté une vidéo. Eitan était fou de joie, se réjouit-il. Cela peut aller très vite, on va s’investir mais on sera d’abord à son écoute. » 

La suite est un long cheminement où travail et abnégation sont de mise. Vers 8 ans, les ligues prévoient des entraînements au centre de formation régional. C’est aussi l’âge où le classement rentre en ligne de compte pour être sélectionné à certaines compétitions. L’enjeu est parfois de taille puisque ces rassemblements sont aussi le lieu de repérage par la Fédération français de tennis (FFT), avec qui les ligues échangent régulièrement. « Tout le monde a son rôle à jouer dans la construction d’un futur champion, plaide Nicolas Escudé, fraîchement nommé directeur technique national de la FFT. Du premier entraîneur, au second, des ligues, des régions et enfin du Centre national d’entraînement. Notre rôle c’est de les armer le mieux possible avant qu’ils prennent leur envol. » Vers 10 et 12 ans, les plus prometteurs peuvent évoluer sur le circuit européen via Tennis Europe. Ce dispositif soutenu par de nombreuses fédérations nationales permet aux jeunes de grimper dans les catégories (de U12 à U16) et d’obtenir un classement européen à partir de 14 ans Pierre * est le papa d’un jeune passionné de 14 ans. Né en 2006, son fils, dont il souhaite taire le nom, a déjà été champion d’Europe dans la catégorie moins de 12 ans. Il évolue au centre fédéral de Mons en Belgique. « On a paramétré notre vie par rapport à lui, mais on ne voit pas ça comme un sacrifice, au contraire. On ne sait pas où cela va nous mener, mais on vit cette aventure à 100 %. » Pendant quelques années, la famille a déménagé à Mons, la semaine, pour éviter que leur fils n’aille à l’internat. Pierre accompagne son fils dans tous ses déplacements. S’il suit l’évolution de son fils de près, il se refuse d’intervenir sur le plan sportif, qu’il laisse aux entraîneurs. À 15 ans, le fils de Pierre fait aujourd’hui ses premiers pas sur le circuit international junior (ITF), la dernière étape vers le passage sur le circuit professionnel. 

Le (très) jeune Eitan, © @eitanoncourt (Instagram)

Les fédérations sur tous les fronts 

Pour qu’un jeune puisse grandir dans les meilleures conditions, il doit avant tout créer une bulle favorable autour de lui. Signe de reconnaissance des qualités du joueur mais aussi support indéniable sur le plan sportif et financier, les fédérations jouent un rôle clé, autant dans le suivi que la mise à disposition d’infrastructures matérielles et humaines. Pendant plus de 10 ans, Mathias Bourgue a évolué au sein de la structure fédérale française. Après son bac, il intègre l’INSEP (dont la section tennis a été supprimée NDLR) puis le Centre National d’entraînement (CNE) à Paris. Là, il s’entraîne, aux côtés de techniciens renommés avec la génération 1994, parmi laquelle figure Lucas Pouille. Si le joueur s’entraîne désormais à la All-In Academy (académie privée fondée par Jo-Wilfried Tsonga), il en garde un très bon souvenir. « La fédération m’a permis de vivre une super expérience, se rappelle-t-il. Le staff était bienveillant. J’ai eu de la chance d’être très bien encadré notamment avec Emmanuel Planque, qui nous a inculqué l’humilité. » Cet écosystème lui permet d’atteindre la 140e place mondiale, seulement quelques années après s’être lancé sur le circuit professionnel secondaire. «C’est valorisant d’être repéré. Cela montre que le projet est suivi, que le niveau est bon. À la fédération il y a des gens compétents », rapporte son entraîneur Charles-Antoine Brézac. En plus du soutien matériel et humain, les fédérations couvrent des frais non-négligeables. « Voyages, hôtels, entraîneurs… Ils ont tout financé. C’est de la négociation constante. On sent qu’il faut du résultat et qu’il y a des comptes à rendre mais j’en suis très reconnaissant », décrypte Mathias Bourgue. 

Un constat que partage aussi Arthur de Greef. Ce jeune retraité a évolué pendant plus de dix ans entre les murs de la fédération belge. « J’ai été pris en charge à 100 % de 12 ans à 18 ans ». Un avantage qu’il doit avant tout à ses résultats. « Comme j’étais numéro 1 en Belgique dans mes catégories d’âge, j’ai pu recevoir les aides accordées à la fédération car j’entrais dans les critères ». À sa majorité, l’ex-joueur de 28 ans a engagé son propre coach mais a continué à bénéficier de nets avantages. « Ils ne payaient pas tout mais je pouvais m’entraîner gratuitement sur les terrains de la fédération et je profitais du coach physique et fitness. Cela a réduit mes frais de moitié. C’est considérable », se rappelle celui qui a depuis racheté le club de Géronsart. 

Vers des formules privées all-inclusive ? 

Néanmoins, les fédérations doivent aujourd’hui s’adapter à l’avènement d’académies privées en Europe, très inspirées du modèle anglo-saxon. En plus de coachs qualifiés avec une grande expérience du haut-niveau et d’infrastructures haut de gamme, ces instituts ultra modernes proposent des programmes hyper-individualisés, comprenant notamment un internat avec l’école intégrée, un préparateur physique, un préparateur mental, un nutritionniste et une intendance aux petits soins. « On veut s’adapter aux besoins du joueur. Ce n’est pas évident, il faut être capable en terme de staff de pouvoir s’ajuster en permanence », explique l’ancien joueur Jean-François Bachelot, aujourd’hui directeur sportif de la All-in Academy. Son objectif ? Créer un écosystème favorable pour « normaliser » la réussite des jeunes. En plus du domaine sportif, ces académies veulent éveiller leur pensionnaires à des compétences complémentaires comme le management, la communication ou la gestion d’un budget. Ces académies proposent également des passerelles pour partir aux Etats-Unis. Dans son volet éducation, l’académie de Justine Hénin, au sud de Bruxelles, permet de choisir entre le système belge ou le système international. « La voie américaine est beaucoup demandée, notamment par les joueurs étrangers qui souhaitent obtenir des bourses pour partir aux Etats Unis », explique Cindy Vincent, directrice générale de l’académie. En proposant des programmes « all-inclusive » ces académies assurent un enseignement à 360° et surtout : facilitent la vie des parents. 

Combien ça coûte ? 

Néanmoins, elles ont aussi un coût. Le prix pour un an dans l’académie de Justine Hénin ? Entre 18 000 et 35 000 euros, selon les formules. À cela ajouter : l’inscription aux tournois, les déplacements et les logements sur place. Une année sur les terrains atteint très vite des sommes entre 50 000 et 100 000 euros. Plus globalement, la vie d’un jeune joueur de tennis nécessite un apport financier conséquent. Ce système pousse les familles à trouver – et multiplier – leurs sources de financement. Après un parcours plutôt classique dans les centres fédéraux, Corentin Moutet n’a pas souhaité intégrer l’INSEP. « Il avait 14 ans, il n’avait pas envie de rester dans une structure, rapporte Alexandra Moutet, sa mère. Il a donc décidé de demander à la FFT si elle pouvait l’accompagner dans un projet un peu plus “privé” et elle a accepté ». Soutenus par la fédération, le joueur et sa famille se sont entourés de personnes qui croyaient au projet et ont été accompagnés par son club le TC Paris. « Corentin a beaucoup joué et réussi à être indépendant rapidement », ajoute sa maman.

Dans cette course au financement, les sponsors jouent un rôle clé. Le but ? Combler son budget et espérer terminer une saison sans devoir se restreindre. Charles-Antoine Brézac, actuel coach de Mathias Bourgue et ancien 239ème mondial, se rappelle : « J’avais un petit pécule de côté et j’ai monté un dossier de sponsoring. Ils peuvent offrir quelques milliers d’euros sur deux ou trois ans. Sur le circuit junior, il n’y a pas de prize money, les parents doivent tout payer. Il faut avoir des ressources. Malheureusement, ceux qui n’en n’ont pas n’y vont pas. » Cependant, de tels contrats imposent – aussi – de nombreuses contraintes, sollicitations et une certaine marchandisation de l’image. En dehors des équipementiers textile et raquette, pendant longtemps le clan Moutet a décliné toutes les autres propositions « hors tennis ».  « On voulait qu’il reste concentré sur le tennis sans devoir rendre des comptes en se rendant à des exhibitions médiatiques. Le plus important, ce sont d’abord les progrès », rappelle Alexandra Moutet. De plus, les contrats long-terme sont aussi conditionnés par les résultats. « Selon la grille de contrats, cela implique de faire plus de tournois. On ne veut pas courir après pour remplir les critères des sponsors, on veut le laisser grandir », explique Pierre. Conscient de l’inégalité des situations, le père de famille se réjouit que son fils puisse se concentrer uniquement sur le plan sportif. « Certains jeunes se mettent la pression, en se disant ‘Il faut que je réussisse car papa dépense beaucoup’. Nous on a de la chance de ne jamais parler d’argent. Cela dématérialise le projet et brise les barrières. » 

Le casse-tête scolaire

Et l’école dans tout ça ? Un véritable casse-tête pour les parents, tiraillés entre permettre à leurs enfants de s’épanouir dans leur sport et leur assurer un diplôme. Là encore, les voies empruntées ne se ressemblent pas. « On a un contrat moral entre nous : tu auras ton bac », explique Pierre. Depuis un an, lui et son épouse ont accepté que leur fils quitte le système scolaire classique pour bénéficier de cours à distance avec le Jury (version belge du CNED NDLR). « Au départ on voulait qu’il continue à être avec d’autres enfants de son âge mais cela devenait trop compliqué. » De son côté Mathias Bourgue se souvient : « Au départ, mon père ne voulait pas que je fasse sport études, du coup le collège a aménagé des horaires spécialement pour moi. » Ce n’est qu’à son arrivée au centre de Boulouris (Var) en 5e qu’il a pu suivre un enseignement à distance jusqu’à l’obtention de son bac. De son côté, après plusieurs essais via des écoles privées et des cours à distance, Corentin Moutet a rapidement arrêté l’école pour se consacrer à sa passion. Un pari osé, se rappelle sa maman : « C’est difficile quand ton enfant te dit qu’il veut arrêter l’école à 14 ans. Mais on a été rassuré dans ce choix notamment par la fédération qui allait dans le même sens. » 

Allier vie sportive et vie scolaire, c’est aussi la raison pour laquelle certains jeunes partent étudier aux Etats-Unis. Si Mathieu Forget, fils de Guy Forget, a finalement décidé de se lancer dans la danse et le spectacle, il se rappelle néanmoins de ses années universitaires aux États-Unis, rythmée par les cours le matin et le tennis l’après-midi. « Le tennis m’a permis d’obtenir une bourse et de pouvoir réaliser mes rêves. Là-bas, il y a cette culture d’équipe où tu dois défendre ton université. Et en même temps, il y a toujours de la compétition pour savoir qui va jouer. C’est une très belle école de vie. »

Le circuit junior, starification précoce ? 

De Paris à New York en passant par Londres et Melbourne… Le circuit junior est une aubaine pour des jeunes passionnés qui peuvent s’essayer à la vie de joueur professionnel, jalonnée de voyages et surtout : la possibilité pour eux d’accéder aux tournois du Grands Chelem juniors. Aujourd’hui le circuit junior est un copié-collé du circuit professionnel, et un révélateur de vie dans sa globalité. « C’est une étape fondamentale dans la future carrière d’un joueur ou d’une joueuse, estime Charles-Antoine Brézac. C’est très formateur car c’est un système proche de la vie qu’ils auront en tant que joueur. Cela leur apprend à faire des vraies tournées, élaborer un programme, à faire des stratégies de surface et de destinations pour rentabiliser au mieux le budget. Cela les entraîne à la vie de nomade d’un tennisman. » 

Depuis 25 ans, le Tennis Club de Beaulieu-sur-Mer organise un tournoi ITF Junior de grade 1, faisant de lui le deuxième tournoi junior en France après Roland Garros junior. Chaque année au mois d’avril, des jeunes filles et garçons d’une trentaine de nationalités âgés de 14 à 18 ans se rendent sur le site situé dans le sud de la France. « Ces jeunes aspirent tous au haut-niveau. Ils ont tous un classement ITF Junior et certains sont déjà classés à l’ATP ou la WTA, explique Christophe Ribero, directeur du tournoi. Ce sont déjà des professionnels pour la plupart, ils sont là pour gagner et espérer être champions du monde junior à la fin de l’année. » Ce tournoi rapporte 280 points au classement ITF au vainqueur, ce qui lui permet de rentrer directement au tableau final de Roland Garros junior. Une aubaine. Les tournois juniors sont aussi des lieux très prisés par les agents et les représentants de prestigieux sponsors. « Ici les grandes marques phares du tennis viennent dénicher les talents les plus prometteurs. Il y a les 20 ou 25 meilleurs mondiaux. Beaucoup de contrats de plusieurs centaines de milliers d’euros se sont signés dans les allées du club, bien que ces jeunes ont moins de 18 ans, voire moins de 16 ans pour certains », rapporte Alain Moracchini, le directeur adjoint.

Sofia Kenin à 5 ans, © Art Seitz

Passage sur le circuit professionnel, un choc psychologique 

Mais cette hyper professionnalisation précoce peut aussi avoir des conséquences néfastes. Le circuit junior est générateur de paillettes pour les jeunes joueurs très forts. Ils sont mis en avant dans les médias notamment lors des tournois du Grands Chelem, ils sont approchés par les agents et toute la sphère médiatique. « Tout cela donne le sentiment ‘d’être déjà là’. Or il n’en est rien », estime Steve Darcis, ancien 38e mondial et aujourd’hui responsable pro de l’Association fédérale de Mons (Belgique). La starification précoce induite par le circuit junior peut parfois avoir des effets violents notamment lors de la transition vers le circuit professionnel. « Le joueur se retrouve confronté à une grosse concurrence ce qui n’est pas le cas sur le circuit junior où ils se connaissent tous », ajoute Charles-Antoine Brézac. Pour les 20 meilleurs du monde en junior, l’attente est énorme. S’ils n’y répondent pas très vite, cela peut entraîner une décompression, voire une remise en cause du projet. « C’est un véritable choc psychologique, surtout à cet âge-là, où ils sont encore en pleine construction de sportifs mais aussi dans leur personnalité. Si cela ne prend pas, ça peut être vraiment destructeur, voire gâcher une carrière. C’est pour cela qu’il faut bien gérer le temps de maturation », poursuit Charles-Antoine. 

L’enjeu psychologique est primordial, d’où la nécessité de bien s’entourer. Or, ce n’est pas facile dans un monde si convoité. D’autant plus que les effets sont souvent décuplés par les réseaux sociaux et la sphère médiatique. « On n’imagine pas combien la presse et les gens autour peuvent détruire un sportif, surtout quand il est très jeune. Avant un match, Corentin peut recevoir 150 messages WhatsApp !! Ca lui plait mais ce ne sont pas toujours des messages bienveillants. Il a dû apprendre à prendre des distances», se rappelle Alexandra Moutet. Pierre aussi essaye à sa manière de créer une bulle bienveillante autour de lui. « En tant que parent, je m’efforce d’être stable dans cette vie instable, jalonnée par des “up and down”. Il faut trouver le savant mélange entre : être présent tout en sachant rester en retrait. Le tennis est un sport où la réussite n’est pas tout le temps à la hauteur du travail fourni. À  Tarbes, lors du Tournoi des Petits As (prestigieuse compétition qui réunit les meilleurs internationaux de 12 et 14 ans NDLR) notre fils était favori et a été éliminé au premier tour, cela nous a fait mal de le voir dans la défaite, mais c’est une école de réussite. C’est comme ça qu’on apprend », relate Pierre. 

Quelle stratégie ? 

Le piège ? Appréhender le circuit junior comme une finalité. Le but est surtout de passer vers le circuit professionnel le plus rapidement possible. « Si à 16 ans il peut aller en Futures, il ira (l’échelon le plus bas des tournois de tennis professionnels NDLR), estime Pierre. Si tu peux faire les quatre tournois du Grand Chelem junior en un an, tu peux partir sur le circuit pro sans attendre 18 ans. » Et pour que la transition s’opère dans les meilleures conditions, il est essentiel d’élaborer une stratégie adaptée. « Corentin a joué sur le circuit Junior jusqu’à 16 ou 17 ans mais très vite il est rentré sur le circuit Futures pour aller chercher des points ATP et grimper au classement raconte sa maman. Il ne faisait plus que les Grands Chelem en junior. Ce sont deux styles de jeu différent, c’est bien de faire les deux. » Tout est une question d’équilibre. « Dans les Futures, sans public dans des régions reculé,s ce n’est pas la même ambiance qu’une levée du Grand Chelem, mais il savait qu’il devait passer par là », raconte Alexandra Moutet. Pour Steve Darcis, tout dépend du profil du joueur. Cela dépend de sa maturité physique et tennistique. « Quand tu es jeune, le plus important c’est d’être dans les 20 premiers pour avoir des places dans le tableau final de Futures. Si tu es hors des 25 tu peux te lancer directement en pro. Le 7e mondial junior n’a pas les mêmes intérêts que le 40e. »

Si le parcours junior est déterminant dans la vie d’un futur joueur de tennis, il est primordial de savoir prendre du recul. Les résultats sont nécessaires pour entamer une carrière dans les meilleures conditions et ainsi espérer frôler les plus prestigieux terrains du monde entier. Mais un bon ranking en junior n’est pas un gage de réussite dans le futur. Dans un monde aussi inégal qu’est le tennis, il y a beaucoup de candidats et peu d’élus. C’est une réalité : tous ne sont pas égaux face aux capacités de travail, aux moyens financiers et au capital humain. « Ces jeunes veulent tous être champions, ils s’entraînent et se préparent comme des pros. Ils sont passionnés. Ils se lèvent et pensent tennis, ils se couchent et pensent tennis. Mais sur un tableau de 48 filles et 48 garçons, il y en a peut-être deux ou trois en tout qui atteindront le haut niveau », rappellent Alain Moracchini et Christophe Ribero. Dans un monde frénétique, qui avance à toute vitesse, l’essentiel, c’est avant tout de s’autoriser à grandir, de savoir prendre le temps. « En faire quelque chose de formateur, peu importe où cela le mènera plus tard. C’est avant tout une formation de vie, une ligne de conduite. Le reste, on verra bien ». Le début d’un long chemin… 

Sofia Kenin à 7 ans, bien des années avant de soulever le trophée de l'Open d'Australie 2020, © Art Seitz

* dont le prénom a été modifié