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Le court au temps du corona

« Touche moi pas ». Voilà le genre de phrases à grammaire approximative qui devraient fleurir un peu partout dans le monde une fois le déconfinement prononcé. À défaut de pouvoir faire intervenir le Hawk-Eye pour savoir s’il y avait ou non touchette, on pourra toujours se rabattre sur les sports qui évitent le contact histoire de contourner le problème. Des sports au premier rang desquels on trouve bien sûr le tennis. Ah ça, le tennis est un sport hautement compatible avec les gestes barrières puisque 6 bons mètres séparent les adversaires – du moins lorsque l’on joue en simple. Chacun son matériel, chacun sa place, chacun son tour. Pas de risque de contamination. À part bien sûr pour ce qui est des balles – on est bien obligé de partager. Et des changements de côté. Et des instants passés face à face au filet. Et des moments où l’on se serre la main en fin de match. Et… Ah oui, tiens, ce n’est pas si évident, tout compte fait. Beaucoup de questions au standard.

Michael Mmoh amuse la galerie en détournant le regard au moment où Novak Djokovic lui tend la main | © Art Setz

Le service au corps sera-t-il encore autorisé ? 

Si jusqu’alors le service au corps pouvait passer au mieux pour une espièglerie, au pire pour une fourberie, il sera désormais assimilable à une attaque ad hominem visant à refiler le virus au malheureux adversaire. De là à penser que son interdiction sera prononcée par les autorités du tennis, il y a tout de même quelques pas à franchir. D’abord parce que cela sous-entendrait qu’il existe de fait des autorités du tennis qui parlent d’une même voix ; ensuite parce qu’étant moi-même en léger surpoids, des services légèrement excentrés risqueraient de me viser au corps. Dès lors quelle serait ma légitimité à demander que l’on remette la balle ? Difficile d’arbitrer.

Réponse probable : Oui.

 

Aura-t-on le droit de faire une contre-amortie ? 

Pour l’amortie, la question ne se pose pas. Pour la contre amortie, en revanche, la limonade est tout autre : de fait, la contre-amortie aura pour effet d’attirer l’adversaire dans un périmètre de distanciation inférieur à celui recommandé par les autorités sanitaires. « Gestes barrières ! », pourra gronder l’arbitre en sortant son warning. Mauvaise ambiance.

Réponse probable : Oui, mais pas d’aller la chercher. Après tout, qui est fautif : le piégeur ou celui qui se laisse piéger ?

 

Le service de John Isner peut-il tuer le coronavirus ?

Se prendre une mandale à 250 km/h a tendance à ôter chez soi toute trace de vie et de conscience. Si John Isner vous tire dessus, vous avez une bonne chance d’y passer. Et qu’en est-il du virus ? À en croire les autorités sanitaires compétentes, un « gros coup dans la tronche » ne suffirait sans doute pas à tuer des microparticules largement plus petites que les écarts du cordage. En revanche, il faudrait calculer les kilojoules induits par pareille puissance car à défaut de mourir en crash-test, le virus s’éteint au-delà de 70 degrés. Pas sûr, cependant, que la balle chauffe à ce point-là (même après être passée entre les jambes façon poteaux électriques d’Isner qui n’ont pas la sexyness de celles de Sabatini).

Réponse probable : Non. Mais c’est dommage, cela aurait redoré le blason de la machine à Ace dans nos coeurs.

 

Et la balle qui gagne, Gasquet pourra-t-il la redemander ? 

Sur le papier, rien ne l’en empêche puisqu’il se servirait de la balle qu’il vient lui-même de manipuler sans que l’adversaire ne la touche. Le seul hic c’est à qui la demander ? Car il va de soi que les ramasseurs de balles ne pourront lui rendre une balle déjà touchée. Et notre pauvre Richard obligé, dès lors, de traverser lui-même le terrain pour aller récupérer sa baballe, au risque de se rapprocher de l’adversaire. C’est sans fin, cette histoire (tout comme d’ailleurs l’enchaînement des blessures de Richard).

Réponse probable : Oui,mais avec des gants.

 

Sera-t-il mal vu de changer de côté en contournant le filet sans croiser l’adversaire ? 

Parce qu’on ne voudrait pas se retrouver en quarantaine avec le corona. Mais dès lors comment faire comprendre à l’adversaire que l’on prend ce chemin non par simple précaution hygiéniste mais bien pour lui montrer qu’on ne peut pas l’encadrer ? Il va falloir trouver de nouvelles manières de jouer à « c’est qui qui domine ».

Réponse probable : Ce ne sera pas mal vu, et c’est bien là tout le problème.

 

Ceux qui refusent de serrer la main en fin de match vont-ils devenir des héros ? 

Jusqu’alors on les brocardait, on les méprisait, on les conspuait. Désormais, ils seront dignes d’applaudissements quotidiens au balcon à 20 heures. Oui, au balcon et à 20 heures car ne vous attendez pas à ce que le public les couvre de fleurs : il n’y aura plus de public. Pas sûr d’ailleurs qu’il y aura des arbitres à qui serrer la main. Possible que la main du Hawk-Eye soit un peu moite.

Réponse probable : Non. Ils deviendront simplement des tennismen normaux et plus personne n’en parlera.

Novak Djokovic et Roger Federer en finale de Wimbledon 2019 | © Antoine Couvercelle

Viser l’homme à la volée : prison ou pas prison ?

On en revient plus ou moins au problème du service au corps, à la différence près que l’intention de faire mal est ici plus voyante. Jusqu’alors, les passeurs adeptes de la technique dite du peloton d’exécution s’en tiraient avec un regard noir de l’adversaire et quelques commentaires outrés. Désormais, ils pourraient être assimilés à ceux qui refilent volontairement le virus du SIDA. À moins, bien sûr, que le passing n’intervienne sur le service de l’adversaire, auquel cas les miasmes resteraient en famille (et les cochons seraient ainsi bien gardés).

Réponse probable : Pas de prison, mais peut-être la honte à vie.

 

Nadal sera-t-il encore autorisé à faire toute sa routine en se touchant le visage avant de servir ?

Et que je me touche le slip, et que je me touche le visage, et que je me touche le t-shirt, et que je me touche les cheveux, et que je touche la balle. Si ce n’est pas de la provocation, ça… On imagine mal les organisateurs de tournois du Grand Chelem oser recadrer Rafael quant à sa routine. Mais dans le genre transmission de germes, on n’a pas vu mieux depuis les armes bactériologiques irakiennes.

Réponse probable : Il n’est pas certain que le tennis professionnel reprenne avant la retraite de Nadal.

 

Traverser le terrain pour aider l’adversaire à se relever : interdit ou pas interdit ?

Sportmanship et fair-play, comme diraient les Anglais en se targuant d’avoir inventé l’attitude du gentilhomme. N’empêche, la question se posera : un type cloué au sol, blessé, qui gémit dans son coin avant d’abandonner… Le minimum pour l’adversaire est d’oublier la foire d’empoigne pour montrer son côté humain et sauter le filet pour mieux porter secours. À l’avenir, pareil geste d’empathie pourrait s’apparenter à une infection volontaire. On imagine tout de même mal un joueur de tennis laisser agoniser l’adversaire sans prendre au moins le temps d’aller l’achever.

Réponse probable : « Le tennis, ce sont des valeurs », comme dirait la FFT sans vraiment savoir ce que recouvrent ces valeurs.

Pour les amateurs que nous sommes, le tennis sera toutefois praticable à condition de faire attention. Attention notamment aux balles que nous utiliserons car la feutrine peut transmettre le virus. Une bonne idée consisterait dès lors à marquer ses propres balles et celles de l’adversaire avec, par exemple, un simple feutre pour les différencier. D’où l’idée de  la « Courtcinelle » et la « Ballematienne », deux balles (l’une jaune à pois rouge, l’autre blanche à points noirs) qui permettront de customiser le court au temps du corona, pour paraphraser Gabriel García Márquez.

Courtcinelle et Ballematienne | © Diego De Cooman, Courts