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L’Australie Hewitt la déroute de justesse

C’est avec notre seul doigt encore valide, lavage compulsif de mains et carences en vitamine D et oxygène depuis trois semaines obligent, que nous tapons fébrilement ces lignes. Les médias sportifs du monde entier tournent au ralenti ou nous offrent des rétrospectives, rediffusions et autres live tickers des manifestations et rencontres marquantes d’un passé plus ou moins proche. Et tellement révolu. Faute de contenu récent à se mettre sous la pupille, nous avons décidé d’en faire de même avec un match qui a marqué notre adolescence au fer… vert et or, alors que le pays entier dans lequel nous avons grandi était drapé dans ses couleurs rouges et blanches d’apparat. 21.09.03. Non, ce n’est pas le nombre de jours qu’il nous reste à vivre en lockdown (quoique). Nous sommes le dimanche 21 septembre 2003, Lleyton Hewitt et Roger Federer s’affrontent sur la Rod Laver Arena de Melbourne pour emmener leur équipe nationale en finale de la Coupe Davis (vous savez, cette vieille essoreuse à salade qui a été remplacée par des liasses de billets l’année dernière). Retour teinté de mauvaise foi sur ce qui avait cimenté une rivalité et émerveillé notre regard d’enfant il y a bientôt 17 ans. À l’époque c’était un enregistrement sur bande VHS à visionner le matin suivant, décalage horaire oblige.

Lleyton Hewitt, crème solaire en « guise de peinture de guerre » | © Ray Giubilo

L’Histoire (avec un grand « H »)

Roger Federer est numéro 3 mondial en ce temps-là. On s’arrête ici pour vous rappeler que le G.O.A.T. était encore à cette même troisième place à la fin février 2020, c’est-à-dire il y a quelques semaines (même si tout cela paraît si loin maintenant) et surtout 16 ans et demi après l’affrontement entre deux champions de 22 ans que l’on s’apprête à suivre en votre compagnie. Notre Roger fédéral est en passe de s’engager sur une autoroute qui le mènera sur le toit du monde tennistique d’où il contemplera ses sujets pendant 237 semaines consécutives entre février 2004 et août 2008. Sur cette voie royale, il concassera joyeusement Lleyton Hewitt avec une régularité digne des apparitions plus ou moins sobres de Stan Wawrinka sur Instagram ces derniers temps, ce qui finira par donner au duel qui nous occupe le statut d’anomalie.

Lleyton Hewitt justement, parlons en. Le roquet des antipodes est en chute libre après presque deux ans passés au sommet du classement ATP et deux titres majeurs. En 2003, il a été vaincu par la malédiction des huitièmes de finale à Melbourne, par Tommy Robredo et (surtout) par ses nerfs à Paris, puis par Ivo Karlovic, au service (canon) de Sa Gracieuse Majesté, d’entrée à Londres avant d’atteindre, tout de même, les en quarts à New York. Il est encore 7ème mondial en septembre, mais sa non-qualification pour le Masters de fin d’année dont il est le double tenant du titre le fera chuter à la 17ème place, son pire classement depuis ses 19 ans. Soyons clair, l’ensemble du tennis tricolore actuel – Gaël Monfils excepté – signerait des deux mains pour une telle « chute ».

Pour ce qui est de la rencontre de Coupe Davis qui nous passionne aujourd’hui, l’Australie mène deux victoires à une après les promenades de santé de Federer et Hewitt le vendredi et la victoire de la paire Arthurs / Woodbridge face au duo Federer / Rosset en cinq manches le jour suivant. Une issue qui laissera des traces physiques et mentales indéniables du côté helvétique.

 

L’histoire (avec un petit… enfin bref, vous avez compris)

On apprend en début de match que Federer en est à 10 victoires consécutives en simple dans cette compétition alors que son adversaire australien a remporté 11 de ses 12 derniers duels dans la spécialité. Mwouais. On se contentera de ces chiffres médiocres pour cette fois. Le dernier homme à avoir battu les deux compétiteurs du jour ? Nicolas Escudé, les deux fois en 2001. Si vous cherchez une anecdote à réciter fièrement à votre prochain Skypéro avec 15 collègues qui luttent pour une prise de parole un brin alcoolisée et tellement éphémère, on a trouvé du lourd. Pas d’inquiétude, vous n’aurez pas le loisir d’expliquer qui est ce Nicolas Escudé ou ce que diable était cette « coupe dévisse » car vos collègues les plus vocaux et anxieux (un combo létal) auront déjà repris le contrôle du crachoir.

 

La stat’

Avant le premier lancer de balle du quatrième acte de cette demi-finale Australie-Suisse, Hewitt mène 6-2 dans ses confrontations directes avec celui qui n’est pas encore tout à fait le Swiss Maestro et n’a qu’un titre du Grand Chelem à son actif. Après sa victoire du jour, la mobylette d’Adélaïde ne damera le pion du futur monarque absolu de l’échiquier tennistique qu’à deux reprises (en 2010 et 2014) pour 16 dérouillées. Quelqu’un a dit « passage de témoin » au fond de la salle ?

À cette époque, Roger Federer ne compte encore « qu'un » titre du Grand Chelem à son palmarès : Wimbledon 2003 | © Ray Giubilo

Le cadre

Comme notre machine à remonter le temps est tombée en panne et que les pièces nécessaires à sa réparation ne sont pas disponibles pendant le confinement, nous avons dû nous résoudre à visionner cette partie sur YouTube. Autant vous dire que la qualité des images de Channel 7 sur lesquelles nous avons mis la main par ce biais nous a fortement aidé à comprendre le ressenti potentiel de Gilbert Montagné dans un stade de tennis. La couleur verte de ce qui était encore du Rebound Ace d’une lenteur à provoquer l’impatience de Rafael Nadal au service n’aide pas à se faire une idée des trajectoires de ce projectile qui nous semble effectivement être une balle.

 

Le banc suisse

On vous parlait de notre machine à remonter le temps défectueuse, mais du côté de la chaise du capitaine helvétique, tout fonctionne ! On se frotte les yeux en voyant un Marc Rosset aussi affûté que sautillant, sermonnant le petit Roger à chaque changement de côté, ainsi qu’un George Bastl et un Ivo Heuberger semblant aussi détendus que s’ils n’avaient aucune chance de jouer une minute dans cette rencontre. Euh, ah ben oui, ils ont raison en fait. On aperçoit même une jeune et (presque) énergique version de Severin Lüthi en arrière-plan. À ce moment-là, personne n’imagine que l’ex-622ème mondial deviendra l’homme fort de la Nati 2 ans plus tard et le restera pendant 15 ans (série en cours). On n’y croit toujours pas en écrivant ces lignes, on vous rassure. Une pensée émue pour celui qui a été de l’épopée lilloise de 2014 et dont le contingent actuel est composé d’Henri Laaksonen, Adrien Bodmer, Marc-Andrea Hüsler, Antoine Bellier, Luca Margaroli et Sandro Ehrat. On raconte même que les braves George et Ivo se réveillent tous les week-ends en sueur après avoir rêvé de leurs rôles de numéros 1 et 2 incontestables de la Dream Team 2020.

 

L’interview d’avant-match

On vous parlait du grand Marc, nous le retrouvons avant l’entrée des joueurs sur le court au micro de nos confrères australiens, dans la langue de Nicole Kidman. Pas de pertes humaines à déplorer malgré l’assassinat de la plupart des prépositions et la mutilation de la conjugaison dans son ensemble.

 

Le service minimum

On allait vous parler de celui de Hewitt, dont le ratio doubles fautes / aces dans le premier set est de 3/1, mais ce qui nous frappe le plus d’entrée de jeu est ailleurs. Tout est dans l’attitude de Federer, qui nous semble avoir un dixième de la concentration et de la rigueur extrêmes que l’on s’est habitué à voir de semaine en semaine au cours des dernières années. On se prend tout à coup à penser aux Thiem, Zverev, Tsitsipas, Medvedev, Rublev, De Minaur et autre Kyrgios, épinglés à la moindre incartade et raillés pour leur mental et leur palmarès qui ont autant de soucis au démarrage que la Fiat 509 de Gaston Lagaffe. Et on ne peut s’empêcher de se demander quel aurait été le traitement médiatique de ce Roger-là, mi-génie mi-dilettante, s’il avait été confronté à la meilleure triplette de l’histoire de ce sport et non à un pouvoir de transition du haut de ses tout juste 22 printemps. Le droit au challenge n’en étant pas encore un (le Hawk-Eye ne sera implémenté qu’en 2006), celui dont le visage poupin trahit encore beaucoup d’émotions évite au moins la frustration du seul outil tennistique dont il ne réussira jamais à prendre la mesure.

Lleyton Hewitt au service | © Ray Giubilo

Le revers de la médaille
Bien calé dans notre fauteuil en 2020, on se demande d’abord pourquoi Hewitt semble atteint de Nadalite aiguë et pilonne autant le revers de son adversaire d’entrée de jeu. La réponse tombe assez vite : eh bien parce que la mouture 2003 du revers du Bâlois ne ressemble pas encore à grand-chose. En tout cas pas à la version qui prédomine depuis son retour foudroyant après une pause forcée de 6 mois en 2017. Côté efficacité, on est plus proche de Marc Rosset (décidément omniprésent dans cet article) en fin de carrière que de Novak Djokovic. Le détenteur de la plus grande collection de jumeaux de Suisse occidentale rend une copie incluant un total de 51 fautes directes (!) dont au moins 52 en revers. On imagine le Sylvester Stallone des Baléares affûter sa diagonale coup droit lasso-revers expiatoire adverse devant sa télévision, pour se préparer à enlever 6 de ses 7 premiers affrontements avec sa proie favorite dès l’année suivante.

 

Le come on-omètre
Très franchement, on a longtemps hésité entre le compteur des exclamations de joie du local de l’étape et celui de ses incantations un peu plus scabreuses (celles qui se déclinent en général en f*** en anglophonie). On s’est finalement souvenu que cet article allait probablement être publié à une heure de grande écoute et qu’il valait mieux ne pas s’attirer les foudres du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Surtout en cette période sombre dans laquelle certains gouvernements vont jusqu’à utiliser les outils de géolocalisation des téléphones portables de leurs concitoyens pour savoir si plus de cinq d’entre eux ont décidé de se rassembler dans un parc sans respecter les normes de distanciation sociale. Bref, il s’avère que Lleyton Hewitt s’est fendu de 29 « COME ON ! » au cours de cette partie endiablée. Probablement la statistique la plus parlante du match. Le nombre d’éructations de l’homme à la casquette à l’envers est en effet presque aussi fiable que le décompte officiel des jeux pour suivre le score. Voyez plutôt : 7 cris en première manche (5-7), 1 tout petit sursaut en deuxième manche (2-6), 7 vocalises en troisième manche (7-6 en étant revenu de nulle part), 6 au quatrième set (7-5) et finalement 8 au cinquième (6-1). Le come on-omètre indique donc l’intensité et l’issue de chaque reprise avec la précision d’un coucou… australien, bien remonté pour l’occasion.

 

Le break décisif
7-5 6-2 5-3. Service à suivre. Roger Federer est sur le point d’enquiller une 30ème manche victorieuse consécutive en Coupe Davis. Un retour du Speedy Gonzales d’Australie-Méridionale semble aussi probable qu’une participation de Stephen Hawking au 110 mètres haies des prochains Jeux olympiques. Et pourtant, alors qu’il ne lui reste que 4 petits points à marquer pour remporter un match qu’il domine de la tête et des épaules, le Federer Express a le visage fermé de celui ayant conscience que ses combats face à Hewitt se sont jusqu’alors trop souvent apparentés au châtiment de Sisyphe. 3 minutes et 6 points plus tard, le débreak qui change tout est fait. C’est le début d’un concept popularisé bien des années plus tard par le PSG : la remontada. « RF » passera 3 fois à 2 points de l’emporter puis sa chance aura passé. Un peu comme le style vestimentaire d’Yves Allegro dans les tribunes ce jour-là.

 

La minute géographique
« He’s down but he’s up ! », s’exclame Sandy Roberts, le commentateur principal de Channel 7 pour l’occasion, lorsque celui qui était alors le fiancé de Kim Clijsters (après le 17ème gros plan sur l’annulaire de la Belge, on a capté) se retrouve au sol après avoir remporté un point improbable, au filet, pour sceller son retour à deux sets partout. En effet, il paraît difficile d’être complètement à la verticale quand on vit Down Under.

 

La minute phonétique
C’est avec Sandy Roberts, John Alexander et Jason Stoltenberg que nous avons passé ces trois heures et huit minutes de notre séjour terrestre. 188 minutes au cours desquelles nous avons désespérément cherché à identifier le premier adversaire de Lleyton Hewitt deux jours plus tôt. Un certain « Kwatokvil ». Santé ! Ça tombe bien, c’est le mot d’ordre ces temps. D’ailleurs c’est le moment de retourner désinfecter les moignons qui nous servent encore de membres supérieurs.

 

Post-scriptum
On ajoutera tout de même que celui qui porte encore un catogan du plus bel effet à ce moment-là gagnera 26 des 28 simples qu’il disputera à la suite de cette défaite dans ce qui était la plus belle des compétitions en l’an 16 av. G.P. (n.d.l.r. Avant Gérard Piqué). Seuls John Isner (sur la terre battue de Fribourg en 2012) et Gaël Monfils (face à un Federer au dos en vrac à Lille en 2014) battront « Rodge » en Coupe Davis après cette cruelle désillusion australienne. En ce qui concerne son adversaire, la période qui suivra l’obtention du saladier en novembre 2003 face à l’Espagne de Ferrero et Moya verra l’Australie entrer dans une ère de gueule de bois intense malgré une fiche de 20-7 rendue, en simple, entre 2004 et 2015 par celui qui pose désormais son docte postérieur sur la chaise de capitaine (voire capitaine-joueur de double à la Rosset) lors des rencontres de son pays en Piqué Cup et en ATP Cup. Une gueule de bois partagée par l’équipe rouge à croix blanche dont les couleurs n’ont plus été portées par Roger et Stan depuis 4 ans. Pour mieux revenir en 2021 et ainsi obtenir leur sésame pour les J.O. de Tokyo 2020 (vous savez, ceux qui se disputeront en avril 2021, il faut suivre enfin !) ?