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La Suisse remet les pendules à l’heure

La FIFA a sa Coupe du Monde au Qatar et ses trophées individuels un tantinet controversés. L’UEFA tient son Euro dans 12 pays improbables et sa Ligue des Nations aux règles aussi complexes que les états d’âme de Goran Ivanišević un dimanche (ou même un lundi) de finale. Les tapis du siège lausannois du CIO gondolent à force d’y balayer les scandales de dopage étatique russe et autres tentatives de corruption. Il était donc plus que temps pour l’ATP, la WTA et l’ITF de revendiquer leur part de ce gâteau à l’arrière-goût pour le moins douteux. Après la Laver Cup, cette exhi… euh cette compétition qui divise autant qu’elle fascine, la Piqué Cup, sorte d’ersatz de Coupe Davis accusée de ne plus être suffisamment “kosmique” dont le fossoyeur fondateur semble en être également le seul supporter, et l’ATP Cup supplantée par les vacances à la neige de Roger Federer dès sa première édition, vous pensiez qu’on avait fini de rire sous le chapiteau du grand cirque qu’est devenu le tennis par équipes ? Séchez vos larmes (de joie bien sûr), on en remet une couche.

© Art Seitz

Le contexte

Figurez-vous que par souci d’inclusion des genres (on n’allait quand même pas laisser le patriarcat s’attribuer tout le crédit de ce naufrage), le pendant féminin de la Coupe Piqué a décidé de suivre son grand frère dans sa tentative de suicide assisté. On vous avoue qu’à 119 ans, on peut comprendre qu’une certaine lassitude se soit installée chez la désormais moribonde Mme Davis. À 56 balais, en revanche, on aurait tendance à se dire qu’un bon psy devrait suffire pour se remettre d’un spleen passager. Rassurez-vous : la Fed Cup, puisque c’est bien d’elle qu’on parle, a prévu son grand saut avec un peu plus de recul que l’arrière du Barça et ses sbires. La mayonnaise n’ayant pas pris pour le Saladier d’argent à la sauce Piqué, il était crucial de ne pas remettre les pieds dans le plat.

Rendons donc à Gerard ce qui lui appartient. Exit Madrid et la victoire locale assurée pour les deux prochaines saisons devant un public composé de 99 % d’Espagnols et quelques expats britanniques quand les stades n’étaient pas entièrement vides à une heure avancée de la nuit. Chez ces dames, on ne plaisante pas avec les notions d’équité sportive et de terrain neutre. On a donc choisi Budapest pour les trois prochaines phases finales à 12 équipes. La Hongrie (pays hôte), la France (tenante du titre), l’Australie (finaliste) et la République Tchèque (wild card, on imagine pour services rendus avec ses 6 titres entre 2011 et 2018) sont qualifiées d’office et rejointes par les 8 survivantes d’un premier tour disputé à l’ancienne. Michel Platini ne s’intéressant pas (encore) au tennis et la dernière qualification des Hongroises pour les quarts de finale du Groupe Mondial datant d’une époque à laquelle l’Open d’Australie se disputait sur gazon de fin novembre à début décembre en consacrant Stefan Edberg et Martina Navratilova, on s’est dit qu’on ne risquait pas grand-chose concernant le favoritisme envers le pays organisateur.

Reprends ton souffle, cher lecteur, après cette phrase interminable, car ce n’est pas tout. Dans son infinie sagesse, l’ITF a même compris qu’ajouter une semaine de compétition après le bouquet final regroupant les 8 meilleures joueuses de l’année dernières joueuses plus ou moins valides à la fin octobre était pour le moins scabreux. Fini donc le week-end d’heures sup’ post-WTA Finals, si possible en changeant de fuseau horaire et de surface. Ce sera avril et de la brique pilée en adéquation avec les tournois disputés à cette époque de l’année et les corps meurtris des protagonistes. On se félicitera plus tard d’avoir enfin remis la main sur le dernier stock de bon sens qui traînait encore dans un placard des locaux de la Fédération internationale.

Juste le temps de se pincer pour vérifier qu’on ne rêve pas et il est temps de revenir sur… terre. En effet, au début du mois de février il restait du chemin à parcourir à Bianca, Gabriela, Belinda et Timea avant de peut-être devenir Championnes du Monde de Tennis ® dans une Laszlo Papp Budapest Sports Arena qui sonnera probablement aussi creux qu’un argument d’Emmanuel Macron face à un gréviste opposé à la réforme de *insérez le sujet qui est à la une au moment de votre lecture*. Pour les équipes suisse et canadienne, ce chemin vers le top 12 magyar se nommait « qualifications » et passait par le numéro 1 de l’Allée Roger-Federer et son centre national de Swiss Tennis à Bienne, haut lieu du sport mondial s’il en est. Attirés par le charme désuet d’une désormais rare rencontre à domicile accompagnée de bons vieux relents de chauvinisme, nous y étions aussi.

 

Le cadre

Bienne. Ou Biel (prononcez « Biou ») dans la langue parlée par 55 % de sa population. Une ville bilingue au carrefour des cultures et d’un nombre impressionnant de lacs, symbole du compromis helvétique. Un site web local nous vend même la « métropole horlogère » (sic !) comme un lieu qui « réunit précision suisse et désinvolture française » (on promet qu’on n’invente rien). Difficile donc de trouver meilleur endroit pour accueillir une Fed Cup 2.0 à mi-chemin entre son ancienne version et sa nouvelle mouture. On hésite d’ailleurs tellement entre les deux qu’on a quand même décidé de changer quelque chose à cette phase de qualifications assez old school par ailleurs. Pour des raisons aussi obscures que les choix tactiques de Gaël Monfils, le week-end tennistique est donc désormais avancé de 24 heures. Tant mieux pour les joueuses qui auront un jour off avant d’éventuellement s’aligner en tournoi la semaine suivante et tant pis pour les honnêtes travailleurs qui rateront les deux premiers simples du vendredi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si notre seule présence fait drastiquement baisser la moyenne d’âge d’un stade qui ressemble à la destination d’une sortie groupée des maisons de retraite de la région. Si on ne savait pas que Bernie Sanders était toujours engagé dans un fébrile processus de recomptage manuel des votes en Iowa à l’heure où nous écrivons ces lignes, on aurait juré l’avoir aperçu à plusieurs reprises.

On a osé écrire le mot « stade » pour qualifier la Swiss Tennis Arena, mais on vous avouera volontiers qu’on a longuement hésité. En effet, cet étrange cube rouge sorti de terre au milieu de nulle part à mi-chemin entre la rase campagne et une bretelle d’autoroute semble peu propice à l’usage de superlatifs. Il suffit de faire quelques pas dans l’enceinte pour s’en rendre compte. Dans un rayon de 10 mètres, vous trouvez pêle-mêle le vestiaire (pour les manteaux des spectateurs, pas celui des joueuses donc), l’accès VIP, l’accès réservé au commun des mortels et autres prolétaires miséreux et ce qui ressemble à des toilettes de chantier on ne peut plus provisoires. Vous conviendrez avec nous que trois urinoirs et deux cabines, ça risquait d’être un peu juste pour les quelque 1 300 curieux (dans une salle qui peut en accueillir 2 500 en se tassant un peu) qui s’étaient massés autour du terrain de jeu de ces dames en ce vendredi d’ouverture de rencontre.

Belinda Bencic, © Antoine Couvercelle

Les forces en présence

On vous citait fièrement plus haut les prénoms de celles qu’on espérait voir fouler le court du chef-lieu du Seeland. Sur un circuit féminin au sein duquel la durée de vie moyenne (à la suite) d’une numéro 1 mondiale est de 12 semaines depuis 2017 (12 passations de pouvoir, 8 reines différentes) et dont les 13 dernières couronnes du Grand Chelem ont été partagées entre 11 joueuses, s’attendre à une certaine continuité était bien naïf. Dans ce microcosme où chaque instant de gloire est aussi fugace qu’un moment de lucidité de Nick Kyrgios, la lauréate d’un tournoi majeur peut passer du toit du monde aux abysses de l’oubli en moins de temps qu’il n’en faut à Benoît Paire pour siffler un cocktail sur une plage des Philippines. Dans un monde où l’on gagne très souvent son premier tournoi majeur entre 19 et 23 ans avant de disparaître des radars, toute prédiction au-delà de 5 minutes semble donc bien hasardeuse. Comme Sloane Stephens et Naomi Osaka (entre autres et à des degrés divers) avant elle, c’est malheureusement ce qui pend au nez de Bianca Andreescu, figure de proue du vaisseau battant pavillon canadien et championne de l’US Open 2019, mais aussi blessée à l’épaule, au dos et au genou la saison dernière pour un total de plus de 4 mois de pause forcée.

Malgré tout, après avoir dû déclarer forfait à Melbourne, l’Ontarienne de 19 ans était annoncée partante pour ces joutes biennoises, tout comme la spécialiste de double et numéro 7 mondiale de la spécialité Gabriela Dabrowski, la gagnante du dernier Roland-Garros junior Leylah Annie Fernandez et celle qu’on surnommerait volontiers la Kournikova québécoise si elle n’avait pas remporté un titre WTA, Eugenie « Blind Date » Bouchard. Du côté suisse, on a un mal fou à retrouver dans nos archives la dernière fois que le capitaine Heinz Günthardt a pu compter sur son escouade au grand complet. Et pourtant, contre toute attente, Belinda Bencic (qui étrennait son matricule 5 au classement WTA pour l’occasion), Jil Teichmann, Viktorija Golubic, Timea Bacsinszky et Stefanie Vögele étaient toutes sur la ligne de départ en ce vendredi 7 février, et ce même si on avait vraiment cru à la reconversion de certaines d’entre elles en tant qu’influenceuses sur Instagram cet hiver.

 

Vendredi

Voici venu le moment de passer au présent de narration pour rester au plus près des évènements palpitants qu’il nous a été donné de suivre tout au long du week-end. Tout commence par un voyage en train sans histoires. Enfin presque. On a tout de même la chance d’assister à un premier échange (verbal celui-là) entre deux authentiques beaufs se rendant ostensiblement au même endroit que nous, mais pour des raisons bien différentes et fondamentalement portées sur l’esthétique. Après quelques commentaires hauts en couleur sur leur vie privée saisis à la volée par tout le wagon, nos voisins de compartiment passent à une analyse très complète du revers d’Eugenie Bouchard. Il y est notamment question de courbes (décrites par une raquette dans l’espace évidemment). On se prend immédiatement à espérer que ces deux chantres du féminisme universaliste seront également assis à côté de nous dans l’arène seelandaise, histoire de pouvoir continuer à profiter de leurs considérations technico-tactiques.

Jil Teichmann, © Art Seitz

Malheureusement, cet espoir ne sera pas le seul à être déçu. En effet, on attendait la sixième joueuse mondiale et la plus glamour des joueuses classées au-delà du top 250 du côté canadien et voilà qu’on se retrouve avec une ado engagée dans la deuxième rencontre de Fed Cup de sa très jeune carrière et son aînée de 10 ans n’ayant pas disputé un simple dans un tableau principal depuis septembre 2018 et actuellement classée 448ème. Sans faire injure à Fernandez et Dabrowski, nous nous résignons donc à deux parties sans grand relief (un comble en terres helvétiques), la faute à un poignet montréalais douloureux et aux séquelles des multiples bobos listés plus haut. « Genie » n’étant pas sortie de sa lampe, la lumière tarde à venir. Les seules saillies auxquelles nous assistons sont les sautes de concentrations de Jil Teichmann, qui trouve le moyen de ne pas régler l’affaire si rapidement que cela (7-6 6-4) après avoir remporté les 10 premiers points du match face à une adversaire tour à tour tétanisée telle Caroline Garcia par la perspective d’une qualification pour un deuxième tour et résiliente comme Novak Djokovic dans sa quête d’un dixième de l’aura de Fedal. On en oublierait presque que la brave Jil, dont la solidité sur les points importants est parfois aussi impressionnante que le ratio de victoire(s) de Richard Gasquet face à Rafael Nadal, en est à sa première titularisation dans cette compétition.

On retiendra également les efforts redoublés de la capitaine de l’équipe à la feuille d’érable dont le prénom semble l’avoir prédestinée à fouler le sol de la patrie de Johanna Spyri. Heidi, puisque c’est effectivement ainsi que la Canado-Égyptienne a été baptisée, ne laisse pas sa protégée respirer une seule seconde aux changements de côté, noyée qu’elle est sous un flot incessant d’encouragements. Et pourtant, celle dont le meilleur classement en carrière a été une 146ème place en 2012 est loin d’avoir fait un Tabakh en tant que joueuse en son temps. On profite de l’effroi causé par ce jeu de mots de bas étage pour écraser une petite larme en se remémorant un autre capitaine, le charismatique et fort disert Severin Lüthi de la grande époque, dont les hurlements de joie résonnent encore dans les couloirs du Stade Pierre Mauroy.

On profite également de la formalité administrative accomplie par Belinda Bencic en écartant l’infortunée Gaby Dabrowski (6-1 6-2 en 56 minutes) pour faire quelques recherches et ainsi apprendre qu’il n’y a que 9 gauchères dans le top 100. Un peu plus et on avait le temps d’étendre nos statistiques au top 200. Qu’à cela ne tienne, on vous dira quand même que la première rencontre du jour a mis aux prises 20 % des gauchères de l’élite puisque l’entrée de Fernandez dans ce club très fermé n’est plus qu’une question de temps. Le temps justement, on risque d’en avoir beaucoup samedi. Du coup on se demande déjà ce qu’on fera pour le tuer si Bencic tient son rang et que la qualification de la phalange helvétique est entérinée après le premier des trois matches prévus. On utilisera peut-être ces quelques heures de chômage technique pour se demander ce qu’on aurait pu faire de ces 69 francs suisses qui auraient dû nous donner accès à plus de 4 heures de tennis. Ou alors, on prendra quelques minutes pour s’interroger sur l’accès d’autodérision extrême qui a conduit le docte préposé aux platines de la Swiss Tennis Arena à penser que faire entrer l’équipe locale au son de Wannabe des Spice Girls était une riche idée. Notre dernière piste de réflexion est une question qui nous taraude l’esprit depuis l’interview post-match de Teichmann. Celle qui est née à Barcelone de parents zurichois et a passé son adolescence à Bienne est en effet la seule participante à cet affrontement à avoir prononcé, contrainte et forcée par son interlocuteur, exactement trois mots en français, pas un de plus (« Allez la Suisse »). Pour deux nations plurilingues incluant toutes deux une partie francophone évoluant dans une cité dans laquelle absolument tous les noms de rues sont soigneusement déclinés dans les deux langues locales quel que soit le bus dans lequel vous montez, c’est un peu fort de café.

 

Samedi

Le Securitas Suisse Fed Cup Team ® et le Huiles Essentielles de Bois de Caribou Team Canada (non, on plaisante, juste le Canada, pas de sponsor titre pour eux) sont donc fidèles au rendez-vous de samedi sur le coup de 13 heures. Enfin surtout du côté nord-américain. Tant Eugenie Bouchard dans les tribunes, occupée à battre le record du monde de selfies avec des fans émoustillés à chaque pause d’une minute trente, que Leylah Annie Fernandez sur le terrain. En effet, cette dernière (17 ans) donne une véritable leçon de jeu vers l’avant et de gestion de la pression à la « vétérane » Belinda Bencic (22 ans) sous nos yeux ébahis (2-6 6-7). Le champagne est donc repoussé de deux tours d’horloge au moins. Vigilante face à une Gaby Dabrowski transfigurée par rapport à la veille, Jil Teichmann évite non sans trembler légèrement que la rencontre soit retournée comme un pancake de la Belle Province, ce qui aurait été la cerise sur le sundae, avouons-le. Un peu plus et on se demandait si le terrain était lourd ou si les sangliers servis à l’hôtel soleurois dans lequel les Suissesses étaient logées avaient mangé des cochonneries.

Le verdict reste sans appel malgré l’accident de parcours du début de journée. 6-3 6-4 dans ce quatrième et dernier affrontement, trois victoires à une pour les ouailles de Günthardt (qui fêtait d’ailleurs son accession à un âge certain samedi), tout est bien qui finit bien en somme. On terminera avec l’impact non négligeable du message de Greta Thunberg sur les habitudes de l’Helvète lambda. À voir le nombre de grosses cylindrées à la sortie des festivités et le relatif confort en ce qui concerne l’espace dans le bus qui nous mène à la gare, il faut probablement se préparer à quelques vendredis de grève supplémentaires dans le monde estudiantin. En attendant, #DestinationBudapest. En avion.

Eugenie Bouchard, © Art Seitz