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La science au service du tennis

La science et la technologie sont omniprésentes dans l’environnement du joueur de tennis et de son entourage. Prenons le temps d’examiner le tennis d’aujourd’hui et observons à quel point la science est incontournable : données Hawk Eye, courts technologiques avec vidéo intégrée, raquettes connectées, programmation de l’entraînement, protocoles de récupération, etc. Les apports scientifiques dans l’optimisation de la performance du joueur de tennis sont multiples. Pourtant, cette relation sport-science est parfois compliquée et pourrait encore s’améliorer pour relever les défis sportifs de demain.

Les relations complexes entre science et entraînement 

Les entraîneurs sont avides de connaissances scientifiques dans les domaines suivants : préparation mentale, amélioration de l’efficacité technique, planification de l’entraînement, réduction des blessures des sportifs, préparation physique, méthodes de récupération, techniques de réhabilitation après blessures, aspects nutritionnels. Si les entraîneurs attendent beaucoup des progrès scientifiques, ils sont parfois amenés à émettre des réserves quant à l’utilité et à l’exploitation des recherches menées : les situations expérimentales paraissent trop éloignées du « terrain », les athlètes semblent servir de cobayes, et les résultats se révèlent peu exploitables. « Le caractère opérationnel des savoirs scientifiques ne va en effet pas de soi, et les entraîneurs manifestent souvent une attitude critique à l’égard de la science1.»

Les relations entre le monde de l’entraînement sportif et de la recherche scientifique peuvent s’avérer problématiques car si ces deux univers possèdent un objectif similaire qui se traduit par la quête du progrès, les contraintes qui pèsent sur eux divergent, les amenant à opter pour des démarches différentes. La science cherche en effet à définir des théories et des principes généraux fondés sur des mesures statistiques issues de données prélevées sur une population donnée. Or, l’objectif de l’entraîneur est d’individualiser au maximum l’encadrement des joueurs en « faisant du cousu-main, du sur-mesure 2 » pour tenir compte de la singularité de chacun, tout en s’adaptant à un calendrier de compétitions toujours changeant, et ce d’autant plus que les joueurs en question évoluent à un haut niveau. 

Par ailleurs, les préoccupations de l’entraîneur sont multiples et portent souvent sur plusieurs aspects combinés de la performance, tandis que le scientifique a davantage tendance à morceler la performance pour en isoler les déterminants. Pour Sam Sumyk, coach de Garbiñe Muguruza, « le coach doit rendre meilleur sa joueuse, ce qui implique des dizaines de paramètres à harmoniser : techniques, physiques, psychologiques, tactiques…3». En effet, pour l’entraîneur, le staff médical, le préparateur physique ou mental, la difficulté réside dans la confrontation quotidienne à de nombreuses questions et problèmes pratiques « de terrain » auxquels les sciences fondamentales peuvent avoir du mal à répondre. La coopération délicate entre scientifiques et entraîneurs peut aussi être mise sur le compte du langage. « Certains concepts utilisés dans l’ingénierie de l’entraînement semblent ainsi difficilement transposables dans un langage scientifique, et certains termes utilisés à la fois par les entraîneurs et par les chercheurs (la force, par exemple) peuvent ne pas avoir la même signification 4. »

Les entraîneurs et les chercheurs s’accordent pourtant sur le fait que les résultats et les découvertes scientifiques doivent être exprimées dans un langage commun et facilement accessible à tous. Par conséquent, depuis une vingtaine d’années, des efforts importants ont été faits pour rapprocher le laboratoire du terrain sportif. Dans cette perspective, les innovations technologiques (miniaturisation des instruments de mesure, dispositifs légers et sans fils) permettent de plus en plus d’appréhender la performance du sportif dans un contexte réel, c’est-à-dire celui de l’entraînement ou de la compétition. De plus, les nouveaux laboratoires en sciences du sport sont aménagés comme des lieux d’entraînement pour mesurer et analyser le comportement du joueur de tennis en situation réelle. Des progrès apparaissent aussi pour former des cadres de haut niveau ayant une double compétence : celle de scientifique et d’entraîneur. Posséder cette double casquette peut aider le scientifique à formuler puis à tenter de répondre aux besoins des joueurs et des entraîneurs quant à l’évaluation de la performance, la prévention des risques de blessures, la structuration de leur saison ou encore le choix du matériel. 

Une arme de persuasion

« Si l’on qualifie souvent l’acte d’entraîner comme un art, il n’empêche que l’entraîneur ne peut se permettre d’avoir une approche exclusivement créative. Il se doit aussi et bien évidemment de proposer des contenus d’enseignement basés sur les connaissances dans les différents domaines liés à la performance et au sportif (…). Le feeling du coach n’est pertinent que s’il s’appuie sur des données fondamentales et objectives. » (Stéphane Charret, ex coach de Mathilde Johansson 5.) À ce titre, l’œil de l’entraîneur est indispensable pour évaluer la qualité des frappes et des déplacements du joueur. Toutefois, cette compétence de l’entraîneur peut s’avérer insuffisante et nécessite d’être complétée par l’utilisation de nouvelles technologies (capture de mouvement, vidéo haute fréquence, logiciel dédié à l’analyse du mouvement, système électromyographique sans fil, plateforme de force) qui permettent d’aller plus loin en fournissant des données objectives et précises sur les points clefs de la performance.

La nature explosive des frappes au tennis peut nécessiter des analyses biomécaniques en 3D menées en laboratoire permettant la décomposition du mouvement. Au laboratoire M2S de l’université de Rennes 2, une équipe de chercheurs s’est spécialisée dans ce type d’analyses au cours desquelles le joueur de tennis et sa raquette sont équipés de marqueurs qui permettent d’enregistrer le mouvement des frappes de balle à une fréquence de 300 images par seconde. Afin d’obtenir un diagnostic le plus complet possible, des électrodes électromyographiques sans fil sont positionnées sur les muscles du joueur afin de mesurer la durée et l’intensité des contractions musculaires au cours de la frappe. Sous les pieds du joueur, une plateforme de force peut être placée dans le but d’apprécier les forces de réaction quand le joueur pousse contre le sol pour initier sa frappe. Sont mesurés des paramètres tels que la qualité de la poussée des jambes, la vitesse de la tête de la raquette, la position de l’impact balle-raquette, l’angle de flexion des jambes, les vitesses de rotation du tronc, de l’épaule, du coude et du poignet, ou encore le timing des actions segmentaires.

Obtenir ces données scientifiques est utile à l’entraîneur pour dresser un état des lieux de la performance et de l’état de forme du joueur (points forts, points faibles), déterminer des axes de travail et surtout faire adhérer le joueur à la nécessité de permettre à son jeu d’évoluer. Au service, à l’aide d’une plateforme de force, il est tout à fait possible d’identifier une faible hauteur d’impact causée par un déficit de poussée au niveau de l’une des jambes du joueur. Une fois le déficit identifié, un travail de renforcement musculaire spécifique et localisé peut être mis en place pour combler le déséquilibre de poussée observé et améliorer ainsi la performance du joueur : en améliorant son explosivité musculaire, le joueur pourra pousser plus fort contre le sol, il frappera la balle à une hauteur plus élevée, gagnera en marge de sécurité par rapport au filet, s’ouvrira les angles, atteindra des zones plus courtes et augmentera son pourcentage de premières balles.

Pour Emmanuel Planque, ex-coach de Lucas Pouille et coach actuel de Corentin Moutet, « il faut partir d’une évaluation la plus précise et objective possible pour donner des arguments, des preuves irréfutables de la nécessité d’entamer un travail, de modifier des choses. Cela ne peut pas se faire au feeling. Ça doit être étayé par des vidéos, des stats, la sensation du joueur 6 ». De nombreux entraîneurs sont férus de statistiques, comme par exemple Patrick Mouratoglou qui leur accorde une grande importance pour analyser la performance de Serena Williams au cours d’un match ou encore pour disséquer le jeu de ses adversaires. « En tant que coach, on a notre vision de la réalité. Il y a beaucoup d’émotion, surtout quand on est partie prenante. Donc j’ai besoin de voir si c’est la réalité, pas ma réalité. Les statistiques, c’est froid ! 7» Pour venir en aide aux entraîneurs et leur permettre de garder la tête froide en toutes circonstances, de nouveaux outils technologiques proposés avec les courts connectés (Mojjo, PlaySight) sont actuellement en plein essor et fournissent leur lot de statistiques. À partir de celles-ci, certains scientifiques vont encore plus loin : c’est le cas à la Queensland University Technology en Australie, où a été créé un algorithme capable de prédire le coup à venir des membres du « Big Four » que sont Nadal, Federer, Murray et Djokovic 8.

 

Optimiser la performance et prévenir les blessures 

Tout projet de développement du joueur à long terme implique une évaluation régulière de son niveau de condition physique. Si programmer un entraînement demeure un des plus grands challenges à relever par les entraîneurs de tennis, il s’agit avant tout de réussir à adapter les charges d’entraînement de manière individuelle, pour permettre au joueur d’atteindre son plus haut niveau de performance tout en limitant l’apparition des blessures. Afin de réduire la complexité de cette tâche, une approche largement répandue consiste à organiser de manière la plus rationnelle possible le processus d’entraînement, en s’appuyant sur des principes scientifiques fondamentaux. Par ailleurs, si les stratégies de récupération et les qualités physiques des joueurs ont autant évolué ces vingt dernières années, c’est en grande partie grâce à l’évolution des connaissances scientifiques et à l’essor de nouvelles technologies qui ont pénétré les lieux d’entraînement. 

C’est ainsi que la technique d’immersion en eau froide est devenue un procédé très utilisé dans le milieu sportif car elle a un effet déterminant sur la qualité de la récupération. Les images de joueurs de tennis plongeant dans un bain rempli de glaçons après un match sont de plus en plus fréquentes. Si cette technique d’immersion en ambiance froide (bain ou cryothérapie) est autant utilisée à haut niveau, c’est parce qu’elle possède de multiples avantages qui ont été démontrés scientifiquement et que les joueurs se sont empressés d’adopter sous l’influence de leur staff.

Éviter la blessure sportive de son joueur est un souci permanent et quotidien partagé par les membres de l’encadrement du sportif (entraîneur, préparateur physique, kinésithérapeute, médecin, etc.). Cet objectif de prévention des blessures suppose au préalable la connaissance et la maîtrise des différents facteurs de risque auxquels le joueur est exposé. Pour cela, différentes approches méthodologiques sont couramment utilisées au niveau scientifique pour apporter des connaissances quant aux mécanismes à l’origine des blessures lors de la pratique sportive : interview d’athlètes, études cliniques, modélisations informatiques, analyses vidéos, expérimentations biomécaniques… En identifiant les facteurs responsables des blessures lors de la pratique du tennis, les connaissances scientifiques permettent d’améliorer le développement des stratégies de prévention qui constituent actuellement un champ d’étude en pleine expansion pour assurer l’intégrité physique des pratiquants, quel que soit leur niveau. 

 

Au service de l’amélioration du matériel 

À la création du sport moderne à la fin du XIXe siècle, les champions bénéficiaient principalement des atouts du bois et du fer pour réaliser leurs performances. Ces matériaux fournissaient des instruments solides, rigides et durables que l’on retrouve dans de nombreux sports tels que l’aviron, le saut à la perche, la gymnastique ou encore le tennis. Au gré des évolutions scientifiques et technologiques du XXe siècle, s’y substitueront l’aluminium et l’acier, puis les matériaux composites et les fibres synthétiques de nos jours. Ce matériel de plus en performant, maniable, léger mais aussi de moins en moins traumatisant, a profondément influencé les aspects techniques, tactiques et physiques du jeu. Ainsi, des chercheurs britanniques ont quantifié l’influence de l’apport technologique dans l’ergonomie des raquettes sur l’évolution des performances au service entre 1870 et 2007 9. L’évolution des caractéristiques des matériaux composant la raquette (passage du bois à l’aluminium et à l’acier puis à la fibre de verre et enfin au carbone) représente un gain de 35 km/h, soit 18 % dans l’amélioration des performances depuis la fin du XIXe siècle. 

Actuellement, les recherches en lien avec l’ergonomie poursuivent un double objectif : déterminer l’influence du matériel (cordage, caractéristiques des chaussures et des raquettes) sur l’amélioration de la performance des joueurs, mais aussi sur les risques éventuels de blessures. En effet, le matériel utilisé par les joueurs peut jouer un rôle important dans les contraintes subies par leurs articulations et l’apparition de la fatigue musculaire. Les progrès en fibretronique (implantation de technologie dans les textiles) ouvrent des perspectives considérables quant à l’apport de la science dans l’évolution du jeu. En 2014, la marque Ralph Lauren a lancé son premier polo connecté, appelé PolotechTM Shirt, lors de l’US Open, permettant de mesurer les fréquences cardiaque et respiratoire, la dépense énergétique du sportif et son niveau d’activité physique. 

Si l’on se projette un petit peu, il est assez aisé d’imaginer que le joueur de tennis de demain sera équipé d’une raquette conçue et élaborée sur mesure grâce à une imprimante 3D à partir de ses données anatomiques et musculaires. Il s’entraînera sur des courts technologiques où son coach aura instantanément accès à ses données de performance. Le port de vêtements intelligents truffés de capteurs lui permettra de corriger sa technique en temps réel et de connaître son état de fatigue. Mais l’essence du jeu restera la même : réussir à renvoyer ce fantastique projectile au-dessus du filet : une balle… connectée, évidemment ! 

 

Article publié dans COURTS n° 5, été 2019.

1 Delalandre, Collinet et Terral, « Les contraintes de coordination entre scientifiques et entraîneurs dans les structures de transfert de technologies du monde sportif », Varia n° 7, 2012

2 Yann LeMeur, « La physiologie », Présentation auprès des entraîneurs nationaux de la Fédération française de tennis, Centre national d’entraînement, Paris, 2015

3 Sam Sumyk, « Qu’est ce qu’un bon coach ? », GrandChelem n° 38, février – mars 2014

4 Delalandre, Collinet et Terral, « Les contraintes de coordination entre scientifiques et entraîneurs dans les structures de transfert de technologies du monde sportif », Varia n° 7, 2012

5 Stéphane Charret, « Témoignage », caromartin-tennis.com

6 L’Équipe, 2015

7 Patrick Mouratoglou, « Précurseur en statistiques », Votrecoach.fr 

8 Vincent Lucchese, « Un algorithme sait à l’avance quel coup vont jouer les joueurs de tennis », Usbek & Rica, 23/01/2019

9 Haake, Choppin, Allen et Goodwill, « The evolution of the tennis racket and its effect on serve speed », Tennis science and technology 3, International Tennis Federation, 257-271, 2007