fbpx

Jimmy Connors

La pierre qui roule du tennis

© Art Seitz

Le joueur américain a écumé les courts durant vingt-cinq années et détient toujours le record du plus grand nombre de tournois remportés. Son parcours titanesque et son tempérament de feu rappellent ceux du chanteur Mick Jagger, autre fauve indomptable et immortel.

« When the train come in the station…1 »

1961. Le point de départ de notre histoire se déroule sur le quai d’une gare. Nous sommes à Dartford, une banlieue dortoir de Londres. Deux adolescents se retrouvent par hasard, après s’être perdus de vue à la fin de l’école primaire. Leurs noms : Mick Jagger et Keith Richards. Le guitariste engage la conversation, intrigué par les disques que tient en main le futur chanteur des Stones : l’un est signé Muddy Waters, l’autre Chuck Berry.

Les deux jeunes Anglais prennent conscience qu’ils partagent les mêmes goûts musicaux : le blues et le rock’n’roll. Cette musique vient des États-Unis. Jouée à l’origine par les Afro-Américains sur les rives du Mississippi et sur la mythique route 61, de la Nouvelle-Orléans jusqu’à Chicago.

 C’est précisément dans cette vaste région centrale des States que Jimmy Connors voit le jour en 1952, au bord du plus long fleuve du pays, à East Saint Louis. Une ville miteuse, marquée par la ségrégation raciale.

Comme le leader des Rolling Stones, Jimmy Connors est issu d’un milieu modeste. Sa mère, coach de tennis, lui prodigue une éducation stricte et sportive. Un apprentissage similaire à celui connu dix ans plus tôt par Mick Jagger, dont le père était prof de gymnastique. 

C’est dans ce climat impérieux que Mick et Jim, tels deux jeunes lions en cage, trépignent d’impatience à l’idée de faire leur grand saut dans l’arène. 

 

Jumpin’ Jack Flash 2

Leurs missions : devenir le numéro un mondial du tennis et bâtir le plus grand groupe de rock de la planète. Rétrospectivement, le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont parfaitement réussi. En partie, en raison de la pugnacité de leurs deux personnalités, jamais rassasiées, toujours insatisfaites 3.

Il faut dire qu’ils ont tous les deux un caractère bien trempé ! Quand Mick Jagger tire la langue au système, Jimmy Connors ouvre sa grande bouche pour martyriser les arbitres : « You’re a bum ! I’m out here playing my butt off at 39 years old and you’re doing that ? Very clear my butt ! My butt very clear ! » (T’es un clochard ! Je me casse le cul à jouer à 39 ans et tu me fais ça ? Mon cul, oui !) 

Se soumettre à l’autorité ? Plutôt crever, oui ! Connors est un Street Fighting Man 4, un combattant des rues venu botter les fesses des aristos du tennis. Jagger, lui, multiplie les excès : il pisse contre le mur d’une station-service, organise des orgies et tripe sous acide. Il passera même quelques jours en prison. Une aubaine pour le manager des Stones qui cultive leur image de mauvais garçons. Une allure arrogante et un son dur, sale et métallique, qui résonne comme un appel aux armes. 

De son côté, Jimbo le crie haut et fort : « Le tennis, c’est la guerre ! » Et en 1978, après deux défaites consécutives en finale de Wimbledon contre Björn Borg, le joueur américain pète les plombs : « Je poursuivrai ce fils de p… jusqu’au bout du monde et je ne le lâcherai plus avant de l’avoir battu ! » Maintenant, c’est sûr, ça va saigner, alors les Stones dégainent les premiers et composent Let It Bleed5 ! 

Paint It Black6

Dans ce nouveau monde, au tournant des années 1970, la contestation gronde. Mai 68, les manifestations contre la guerre du Vietnam… Les rebelles haussent le ton et Connors, comme les Rolling Stones, ouvre la voie.

L’ascension du bad boy américain incarne à merveille le grand chamboulement des débuts de l’ère Open. Jimbo a les crocs et ses doigts rustiques agrippent le manche de sa raquette comme de la glue 7. Intenable, il bouffe tout cru les vieilles gloires du tennis : Laver, Rosewall et Emerson. Il révolutionne également la pratique de son sport avec Chris Evert et Björn Borg en popularisant le revers à deux mains, jusqu’alors excentrique. 

Les Stones innovent eux aussi. Ils ont raté Woodstock, alors ils lancent le festival d’Altamont à San Francisco. Mais la soirée dérape : engagés pour jouer les services de sécurité, les Hells Angels tuent un spectateur, devant un public défoncé. Le concert se transforme en cauchemar et noircit un peu plus la réputation d’un groupe qui symbolise terriblement ce changement d’époque. Voilà, c’est fini, les sixties Peace and Love basculent vers une période plus sombre de l’histoire du rock. 

C’est certain, Jimmy Connors et Mick Jagger aiment jouer avec le feu 8. Sur le court comme sur la scène, ils électrisent les foules. Leur style de jeu est identique : une cadence infernale et une vivacité exceptionnelle. Les attaques sont fusantes, les répliques obscènes, les poings rageurs. Leurs rugissements font crépiter les tribunes. Deux fauves qui dansent, deux bêtes de scène qui plongent les fans dans un état de frénésie communicative. Bref, deux prédateurs que le public prend plaisir à détester.

L’évolution de leur image, d’abord toxique puis diablement sympathique 9, est aussi le fruit de leur incroyable longévité. Jimmy Connors est un quadra bien avancé lorsqu’il joue son dernier match professionnel à Atlanta en 1996. Cinq ans plus tôt, il réalise l’exploit d’atteindre les demi-finales de l’US Open à 39 ans, à l’issue d’un parcours héroïque. 

Cette même année, en 1991, le papy du tennis devient le chouchou de Roland-Garros. Face à son compatriote Michael Chang, le vétéran américain lutte durant 3 heures et 30 minutes. Jimbo s’arrache pour égaliser à deux manches partout et gratte malicieusement le premier point du cinquième set, avant de jeter l’éponge. Le Central ovationne la sortie du guerrier éreinté et placé sous assistance respiratoire. Jimmy Connors s’éclipse à peine qu’il manque 10 déjà au public parisien.

 

Time Is on My Side 11

Mick Jagger aussi est increvable. Sa carrière n’est d’ailleurs toujours pas terminée. À 76 printemps, il continue de se déhancher sur les podiums du monde entier. Telle une machine dont les piles ne vieillissent jamais.

Incontestablement, le temps est du côté de Jimmy Connors et de Mick Jagger. Cinquante-sept ans après la création des Stones, les stades sont toujours pleins à craquer pour acclamer les mi-seigneurs, mi-seniors du rock. Le groupe a pourtant implosé à plusieurs reprises. La faute à la relation d’amour-haine qu’entretiennent les frères bagarreurs, Mick Jagger et Keith Richards. Les deux hommes partagent tout, la drogue et l’écriture des chansons. Déjà en 1970, l’amitié explose quand le guitariste soupçonne le chanteur d’avoir couché avec sa copine de l’époque, Anita Pallenberg. Une trahison qui va ternir à jamais les rapports entre les Glimmer Twins, les jumeaux étincelants. 

Comme dans les groupes de rock, le circuit ATP regorge de rivalités. Champion de la provocation, Jimmy Connors choisit lui-même son double maléfique : ce sera John McEnroe. Plus jeune, plus talentueux et plus fortuné. Lors de leur première confrontation, en 1977 à Wimbledon, l’aîné sent le vent du boulet. Dans le vestiaire, juste avant la rencontre, il ignore ostensiblement le frêle New-Yorkais qui vient le saluer. 

Les deux Américains ont pourtant quelques traits en commun : un ego surdimensionné et un tempérament sauvage. Car Big Mac est lui aussi un sale gosse, râleur et colérique. Forcément, lorsque les deux meilleurs ennemis se retrouvent face-à-face, ils lâchent volontiers les chevaux 12 !

Chaque joute provoque des étincelles. En 1982, à Chicago, les deux adversaires en viennent pratiquement aux mains sur le terrain. L’antagonisme entre les deux yankees atteint son paroxysme à New York lors de bouillants affrontements qui régalent les suiveurs nocturnes 13 de Flushing Meadows.

Au moment de raccrocher les gants, Jimbo est questionné sur le joueur qui l’a le plus impressionné. Sa réponse ressemble à un hommage… à la sauce Connors : « J’ai joué contre tous les grands : Pancho Gonzalez, Emerson, Laver, Borg. Mais si je devais n’en retenir qu’un, ce serait McEnroe… En dehors de moi, bien sûr ! » 

Une ultime parade, un dernier pied de nez que le chanteur des Stones aurait pu s’attribuer. C’est comme ça, Jimmy Connors et Mick Jagger ne cèdent jamais : ils auront toujours le dernier mot. 

« You can’t always get what you want, but if you try sometimes, you just might find, you get what you need 14! » 

1 Robert Johnson - Love in Vain (1937), reprise par The Rolling Stones (1969)

2 The Rolling Stones - Jumpin Jack Flash (1968)

3 The Rolling Stones - Satisfaction (1965)

4 The Rolling Stones - Street Fighting Man (1968)

5 The Rolling Stones - Let It Bleed (1969)

6 The Rolling Stones - Paint It Black (1966)

7 The Rolling Stones - Sticky Fingers (1971)

8 The Rolling Stones - Play With Fire (1965)

9 The Rolling Stones - Sympathy for the Devil (1968)

10 The Rolling Stones - Miss You (1978)

11 The Rolling Stones - Time Is on My Side (1964)

12 The Rolling Stones - Wild Horses (1971)

13 The Rolling Stones - Midnight Rambler (1969)

14 The Rolling Stones - You Can’t Always Get What You Want (1969)

 

Article, également disponible en podcast, publié dans COURTS n° 7, printemps 2020.