Frédéric Viard, 30 ans au vert
Par Thomas Gayet
Depuis 30 ans, il est l’une des grandes voix du tennis, de celles qui ont tout à la fois accompagné nos longues soirées d’été indien passées devant l’US Open et les aurores hivernales auxquelles on s’astreint dans l’espoir que le match aura un peu duré dans la nuit australienne. Et au milieu du gué, fin juin, début juillet, il nous aide à enfiler nos bottes et cape de pluie pour assister à un phénomène botanique rare : la lente détérioration du gazon londonien. Quatre tournois du Grand Chelem et trois continents. Frédéric Viard est de tous les bons coups. Patron du tennis chez beIN SPORTS depuis 2014, il a accepté de prendre quelques minutes depuis la cantine du stade pour nous raconter Wimbledon, l’ambiance au sein de l’équipe de commentateurs qu’il forme avec Lionel Roux, Fabrice Santoro, Lionel Buton et Sébastien Grosjean.
25 ans de Wimbledon, ça crée forcément une relation particulière ?
Frédéric Viard : En 25 ans, je n’en ai loupé que cinq. Et puis j’ai commenté toutes les victoires de Federer ! J’ai eu la chance fantastique de pouvoir couvrir les quatre tournois du Grand Chelem sur site et chacun a vraiment son identité. On ne vit pas la même quinzaine dans le bruit et la fureur de New York, à l’Australian où l’on a droit à un été inespéré entouré de personnes accueillantes et gentilles, à Roland, bien sûr, avec cette identité de terre battue et à Wimbledon où la tradition, l’histoire sont omniprésentes.
Vous avez donc couvert tous les grands événements de tennis : qu’est-ce qui différencie Wimbledon des autres grands chelems ?
FV : Ce qui est fabuleux, ici, c’est le côté british. Il y a évidemment le poids de la tradition avec un respect énorme, un ancrage : le tennis est né ici. Et dans le même temps, les infrastructures sont phénoménales. Les organisateurs insufflent de la modernité partout où il le faut pour rester au niveau dans un monde de plus en plus concurrentiel, y compris pour les grands tournois. Je conseille à tout le monde de venir dans les allées le matin regarder les ramasseurs de balles tous habillés pareil se réunir avant de partir en file indienne de manière presque militaire vers leurs courts d’affectation. Il y a cet aspect absolument martial et puis de l’autre côté Henman Hill (NDLR : du nom de la colline où se réunissent des spectateurs pour regarder les matchs sur écran géant) où 3000 personnes se réunissent avec des bières à la main – et aucun débordement.
Et côté tennis ?
FV : Quand on pense que, depuis 2003, le titre ici n’a jamais échappé à l’un des quatre grands (Federer, Nadal, Djokovic, Murray), ça en dit long sur le niveau d’exigence du jeu qu’il faut afficher pour gagner ici.
Racontez-nous un peu les coulisses du tournoi. Je crois que vous, les consultants, les journalistes, vivez tous ensemble dans une maison ?
FV : Nous louons deux maisons en réalité, situées à un gros quart d’heure à pied du stade. D’une part c’est beaucoup plus pratique que de loger à l’hôtel en plein centre de Londres, car nous avons des amplitudes horaires de travail conséquentes. De l’autre, ça crée une ambiance et une convivialité particulières puisque Wimbledon est le seul événement où l’on vit tous ensemble. Il y a une vraie vie de groupe qui se met en place : on s’organise pour manger tous ensemble autour de la table, de manière chaleureuse. Il y a une cohésion. Pas plus tard qu’hier (NDLR : l’interview a été réalisée le 29 juin, au lendemain de la victoire d’Harmony Tan contre Serena Williams), comme nous allions terminer tard, les autres avaient préparé à manger pour tout le monde. C’est sympa.
Vous avez toujours fonctionné comme ça ?
FV : On l’a fait l’année dernière, mais c’était quelque chose que nous avions déjà mis en place chez Eurosport avec Hervé Duthu lors de mon premier Wimbledon, en 1997.
Comment vous répartissez vous les matchs ? Selon les envies et les plannings de chacun ?
FV : Tout rentre en ligne de compte. Nous avons deux émissions, l’une le matin et l’autre le soir en fin de programme, ainsi, bien sûr, que les matchs à couvrir et les réactions à aller chercher. On se met d’accord en fonction des affinités de chacun. Généralement, quand l’un de nous veut couvrir un match, il le couvre. Sur quinze jours, il y a tellement de matchs que l’on ne compte pas qui a commenté plus que l’autre, on n’est pas dans ce type de calculs d’apothicaires. L’avantage, à Wimbledon, est que l’on se trouve sur site, donc on peut alterner un match sur deux. On ne fait jamais deux blocs de commentaires de suite, parce que très sincèrement au bout de six heures on est rincé et on veut garder une certaine fraîcheur.
Et sur place, comment décidez-vous de vos formats ?
FV : C’est assez marrant, parce que par rapport aux autres télévisions, on a un fonctionnement beaucoup plus souple, beaucoup moins lourd. Par exemple, le matin de la finale, on peut demander à visiter le court central (sans fouler le gazon, bien sûr). Une année, j’avais décidé de faire le champion’s walk (le trajet menant des vestiaire au Centre Court, NDLR) pour annoncer le match. Nous avons tourné ça à trois : moi, un caméraman qui me suivait à reculons et une chargée de production qui le tenait par la ceinture pour éviter qu’il tombe. À côté de nous, il y avait les télévisions américaines ou australiennes où, pour faire une séquence un peu similaire, ils étaient quinze. Ils nous regardaient comme si nous étions des fous.
Ce côté sous-staffé, c’est mal vu ?
FV : Pas forcément. Il y a une anecdote assez dingue qui me revient. Contrairement aux idées reçues, il peut faire très chaud à Londres, et il m’arrive de commenter en bermuda. À la télé, on ne le voit pas parce que je porte une veste, une chemise. Mais un jour quelqu’un hors-champ avait pris une photo de moi où j’étais en short-claquettes. Quelques années plus tard, je dois régler un problème avec le patron des télévisions du tournoi et je me retrouve dans son bureau : et là, accroché au mur, je vois cette photo de moi en train de présenter, veste en haut, bermuda en bas. On en rigole et il me dit : « Cette photo, c’est la définition de tout ce qu’est la télé. Ce qui est en dehors du cadre ne compte pas. » Il a été sympa, d’ailleurs, parce que je suis retourné le voir le lendemain et il m’avait fait un duplicata de la photo. Je l’ai encore.
Comment sentez-vous le tournoi, cette année ? Entre l’absence des Russes, l’histoire des points et le retour du COVID, on peut imaginer que c’est bizarre ?
FV : Ça reste Wimbledon. Même sans points, les joueurs ne sont pas là pour balancer les matchs. L’absence de points n’a aucune incidence sur la manière de commenter les matchs. Il faut quand même voir que pour les joueurs, notamment ceux qui sont en milieu-fin de top 100, le prize money est loin d’être négligeable. Et puis même pour soi, avec ou sans points, se hisser en deuxième semaine d’un tournoi du Grand Chelem, ce n’est pas anecdotique. Quant au COVID, sincèrement, on ne le sent pas plus que ça en se promenant dans les allées.
Ce sera donc un meilleur cru que l’an dernier ?
FV : En tous les cas, pour nous, l’excitation est plus forte parce qu’avec le COVID, on passait notre temps à se faire tester, on se retrouvait cas contact et puis on ne pouvait pas sortir en dehors des trajets entre notre maison et le stade. Cette année, il y a plus de vie.
Un pronostic pour la victoire ?
FV : J’ai du mal à imaginer Djokovic, qui n’a pas pu jouer l’Australian, qui a échoué à Roland et qui ne pourra probablement pas jouer Flushing, manquer cette opportunité. La question, c’est plutôt de savoir qui sera en finale face à lui. Et chez les femmes, Świątek est évidemment favorite, avec tout de même une petite pièce sur Ons Jabeur.