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FILA

50 ans sur les courts

Traduit par Mathieu Canac

Björn Borg, FILA Brand Ambassador  © Fondazione FILA

Pierluigi Rolando. C’est entre la fin des années 1960 et le début de la décennie suivante que ce jeune designer a commencé à pointer le bout de son nez. Sortant tout juste de l’échec d’une entreprise textile, Rolando a décroché un rendez-vous avec Enrico Frachey, l’un des fondateurs de FILA dans sa version moderne. Le « Docteur », comme il était surnommé, avait un plan : transformer l’entreprise de production de sous-vêtements, qui produisait des métiers à tisser à son origine, en une marque internationale de vêtements de sports. « Viser de nouveaux horizons », voici la ligne directrice donnée par Frachey à Rolando.

« Frachey, qui était à ce moment-là devenu Enrico pour moi, avait remarqué que le tennis était en train de devenir un marché intéressant pour de nouveaux types de vêtements. Tacchini venait juste de lancer une ligne pour le tennis, en s’appuyant sur son expérience de joueur de haut niveau dans ce sport, a expliqué Rolando. On a décidé de confectionner une collection tennis, et ça a été le début d’une aventure extraordinaire qui nous a emmenés au firmament du plus grand succès planétaire de tous les temps. »

Voilà comment Rolando a fait entrer le logo FILA dans l’histoire du tennis, avec la « White Line », un style italien durable pour les vêtements de sport haute performance. La compagnie a alors déniché deux joueurs, Paolo Bertolucci et Adriano Panatta – étoiles montantes du tennis transalpin –  pour porter ses vêtements siglés FILA®. De quoi associer son image à celle de champions, et initier le monde à la stratégie marketing aujourd’hui connue comme la sponsorisation. « Le produit était là. Le logo était là. La seule chose qui manquait, c’était l’émotion pour connecter le produit au consommateur, a écrit Marco Negri, qui était à l’époque vice-président de la Fondazione FILA Museum, comme indiqué dans le livre Tutti in FILA de Pierluigi Rolando. Le fait que les vêtements de sport soient portés par les meilleurs joueurs a engendré une réaction particulière chez les consommateurs. Comme si, en les portant, ils avaient l’impression d’être “dans la peau” de leurs idoles. »

En 1911, Giovanni Fila, menuisier, s’était trouvé une nouvelle clientèle : les tisserands locaux qui avaient besoin de faire réparer leurs cadres. En découvrant les perspectives et profits offerts par l’industrie textile, il eut alors une idée : lancer sa propre entreprise dans cette branche. Ainsi naquit Fratelli Fila®. Une usine de filage de laine cardée et peignée, la plus typique et répandue parmi les fabricants du Nord de l’Italie au début du XXe siècle. En 1926, la famille a commencé à produire des sous-vêtements pour hommes, femmes et enfants, avant d’élargir sa palette aux vêtements à la fin des années 60. Cette expansion a permis à FILA de grandir et prospérer malgré les turbulences sociales de l’après-guerre, les changements politiques, ainsi que les innovations techniques et économiques révolutionnant l’industrie textile.

Mais le patriarche Giovanni Fila n’aurait jamais pu imaginer à quel point sa marque deviendrait iconique. En 1973, après cinq décennies de développement, FILA s’est lancée dans une nouvelle direction pour faire irruption dans le monde du sport avec sa « White Line » comme collection tennis– la discipline qui lui a permis de se catapulter vers une renommée planétaire. Et la société ne s’est pas arrêtée là. En plus d’ajouter de la couleur et le logo « F-Box » rouge et bleu marine à un monde du tennis qui ne jurait jusque-là que par le blanc, FILA a transposé son esprit de l’air du temps aux vêtements de montagne, de natation, de golf et autres sports. « Les compagnies ont des traits communs avec les humains. De la même façon que les humains, les compagnies naissent avec un ADN spécifique qui, contrairement à celui de l’Homme, peut changer au cours de leur existence », a écrit M. Frachey. Dès lors, pionnier et leader dans le sportswear moderne, FILA a continué à créer. De l’Australie jusqu’aux États-Unis, plusieurs monuments ont porté la marque italienne en accomplissant certains des plus grands exploits sportifs de l’histoire : Björn Borg et ses cinq titres consécutifs sur le gazon londonien de 1976 à 1980 ; Reinhold Messner et sa légendaire ascension du Mont Everest en solo et sans apport d’oxygène ; Ingemar Stenmark et son doublé doré – slalom, slalom géant – lors des mondiaux de Garmisch-Partenkirchen en 1978.

© Fondazione FILA

La naissance d’une tenue iconique.


Pierluigi Rolando – l’homme qui allait réinventer FILA – est né à Ronco, commune proche du siège de FILA implanté à Bielle, et a grandi à Turin, ville pour laquelle il nourrissait à la fois de l’amour et de la haine. Résultat, quand il a été temps pour lui de poursuivre ses études, il a choisi de s’exiler en Angleterre, à l’Université de Leeds, où il a appris non seulement l’ingénierie textile, mais aussi les émotions se cachant derrière la mode grâce au concept des « mood boards ». À la fin des années 1960, « Docteur » Frachey et le petit-fils de Giovanni, Giansevero Fila, ont convié Rolando à un entretien. Après quelques échanges d’amabilités, ils lui ont immédiatement demandé s’il savait comment faire un tricot à partir d’un ensemble d’échantillons de sous-vêtements. En répondant « oui », il a décroché le job. 

En 1968, la famille Fila a décidé de scinder l’entreprise en deux groupes, le majoritaire comprenant Maglificio Biellese MABY, spécialisé dans les sous-vêtements. Mais Maglificio Biellese a rapidement connu une forte baisse des ventes en raison du changement de mode de vie et des goûts. MABY a dû s’adapter aux nouvelles tendances. Giansevero Fila, co-leader avec son père Ettore, a nommé de nouveaux dirigeants extérieurs au cercle familial. L’un d’eux a été chargé de mettre en place une stratégie d’évolution au milieu de cette difficile période de transition : Enrico Frachey.

Frachey et Rolando ont passé de longues heures à réfléchir pour imaginer des croquis, des sessions à deux cerveaux complétées d’interminables discussions sur la façon d’appliquer les concepts. Il y avait une demande pour un survêtement, un article qui trouverait place dans chaque garde-robe – de sportif ou non –, à porter après le travail, pour se détendre, ou même afin de ressembler aux champions vus à la TV et dans les magazines. Le survêtement allait devenir ce pont entre le sport et les loisirs.

« On avait remarqué que le tennis était en train de devenir un marché intéressant pour de nouveaux types de vêtements. Tacchini venait juste de lancer une ligne pour le tennis, grâce à son expérience de joueur de haut niveau. Aux États-Unis, le sport était en train de devenir très répandu sur le marché vestimentaire, et aussi dans celui de la chaussure, a écrit Rolando dans son livre Tutti in Fila. Lors de mon enfance à Bielle, j’allais au club de tennis à côté du stade de foot. Je jouais avec mes amis d’enfance… Enrico a convaincu Giansevero d’envisager l’entrée sur ce marché qui avait beaucoup de potentiel. » 

Rolando a utilisé les machines existantes pour créer une ligne au sein de laquelle sous- vêtements, polos, shorts, survêtements ou encore pulls formaient un ensemble grâce à un schéma de couleur basé sur la dichotomie négatif/positif ; les couleurs claires en dessous, les sombres au-dessus. « On a compris ça aux États-Unis, et plus précisément en Californie, où les gens avaient tendance à éviter le plus possible le blanc parce que c’était trop lumineux pour les caméras de télévision…
C’était probablement une bonne idée de mettre de la couleur 
», a écrit Rolando. Rolando a dessiné des polos avec un ton de couleur très léger comme base, et quelque chose de plus prononcé au niveau du col et des ouvertures des boutons-pression : un blanc éclatant avec un col bleu marine et un bouton-pression rouge, ou un blanc écru avec la même combinaison. Pour le bleu clair ou le vert clair pastel, Rolando a choisi un contraste avec une couleur plus sombre et intense – ce schéma étant ensuite répété sur les autres vêtements.

Concernant le survêtement, Rolando s’est inspiré de la Garde royale anglaise et des pingouins pour ajouter une touche d’élégance. « Nous nous sommes servis des premiers (cités) pour reprendre les chevrons rouges impeccables des manches ; et des seconds parce qu’avec leur queue de pie, ils sont à la hauteur de l’élégance de quiconque, a écrit Rolando dans Tutti in Fila. Au fil des ans, j’ai remarqué que les pingouins et les merles ont une élégance naturelle grâce à leur coloration, un noir ou une couleur sombre sur le dessus et le dos, des couleurs plus claires sous les bras et le devant du corps. Ces caractéristiques, comme les chevrons, m’ont immédiatement aidé à conceptualiser le premier survêtement qui allait passer du sportswear au streetwear. »

La révolution ne s’est pas arrêtée là. Le logo « F-Box » avait besoin d’être modernisé : Sergio Privitera, un responsable marketing, a montré à l’équipe un « F » divisé en deux, avec la barre supérieure du F en rouge, et détachée du corps de la lettre bleu marine – les couleurs à la mode du moment. Après le succès de la « White Line » en Italie grâce à Paolo Bertolucci et Adriano Panatta, FILA s’est tournée vers l’étranger. 

 

FILA traverse l’Atlantique

Dès ses premiers pas, la « White Line » de FILA est devenue extrêmement populaire aux États-Unis, bien que Panatta y soit assez inconnu. Le marché américain a été séduit par une collection qui apportait quelque chose de nouveau, du sportswear avec une touche fashion. À cette époque, un jeune Suédois était en train de gravir les échelons du tennis « en se servant de sa raquette comme d’une massue, a écrit Rolando. Tout le monde voulait avoir un morceau de Björn Borg. » Frachey avait déjà attiré Borg dans son écurie avec un contrat sponsor signé lors du MIAS de 1975, et avait été chargé de travailler sur une nouvelle collection pour le surnommé « Iceborg ». Rolando a alors dû trouver comment imprimer sur des tricots tubulaires, ce qui revenait à « tatouer un boa constrictor pendant qu’il bouge ! » 

Dans toutes ses créations, Rolando a fait un clin d’œil au passé, à l’histoire, en y alliant quelque chose de nouveau, d’actuel. Il s’est par exemple inspiré de l’équipe de baseball des Brooklyn Dodgers des années 1920 et 1930, dont la tenue était ornée de simples rayures devenues le symbole de son joueur le plus célèbre : Babe Ruth. Rolando a pris les mesures précises de ces rayures, et a choisi de les imprimer uniquement d’un côté pour faciliter la fabrication en série. En s’imposant cinq fois à Wimbledon, Borg a emmené le sportswear FILA vers les sommets. Grâce à ce changement dans le vêtement de sport, FILA a produit plus de cinq millions d’exemplaires de polos emblématiques.

En 1981, Borg a pris une première retraite, à 26 ans. FILA n’en était alors qu’à ses débuts. Dans le tennis féminin, un joueuse australienne aborigène est arrivée sur le devant de la scène : Evonne Goolagong. FILA est parvenue à un accord pour l’avoir sous contrat, et lui a offert un look évoquant la réserve naturelle de Burcina, située sur les communes de Bielle et Pollone dans le Piémont, qu’elle adorait. L’Argentin Guillermo Vilas était doté d’un physique robuste, imposant, que Rolando a mis en valeur par deux motifs rayés horizontaux, en bleu marine ou rouge, sur les côtés du maillot, tout en couvrant le haut avec du bleu marine ou du rouge. En 1987, Boris Becker a rejoint FILA, suivi de Monica Seles qui a créé sa propre ligne avec des hauts fleuris et des jupes pastel en 1993. Après le retour sur le circuit de Jennifer Capriati, FILA l’a sponsorisée à partir de 2001, et a prolongé son contrat de trois ans suite à ses deux titres du Grand Chelem cette année-là (Open d’Australie, Roland-Garros). Et la Belge Kim Clijsters a rejoint FILA juste avant de remporter son premier Majeur, lors de l’US Open 2001.

© Ray Giubilo

FILA fait son entrée dans la chaussure de sport

En 1983, FILA a décidé de se diversifier une fois de plus en confiant à l’usine de chaussures Lario un contrat pour la fabrication du premier prototype FILA : une sandale rouge et bleu marine. De là, FILA a créé sa basket Original Tennis en cuir blanc, avec des bandes rouges et bleu marine sur le côté, et un petit FILA F-box sur la languette. Aux États-Unis, FILA a accordé une licence artistique aux designers Kevin Crowley et Jack Steinweis pour créer la Take, la Targa et la Tennis 88 – un dérivé de l’Original Tennis. FILA s’est ensuite tournée vers Grant Hill, alors star montante des Detroit Pistons, franchise NBA, pour se lancer dans le basketball et vendre près de deux millions de Grant Hill 2. Très vite, FILA s’est trouvée dans la cour des grands, concurrençant Nike, Adidas et Reebok.

De nouvelles collaborations ont suivi. En utilisant les rayures du maillot de Borg, FILA a lancé le polo BB1 dans des couleurs allant du rose au jaune en passant par le bleu marine et le vert. La veste de survêtement Settanta – la classique, en bleu marine, les bandes blanches sous les bras et sur les flancs, les rayures rouges au niveau de la ceinture et des poignets, et le col style baseball – que l’ambassadeur FILA Björn Borg portait par-dessus ses rayures dans les années 1980 se vend encore par millions. Avec Brook Brothers, FILA a sorti le t-shirt Milano Fit Performance Fun avec un col boutonné, des manches contrastées, et un corps design de couleur. La collection FILA x Brandon Maxwell a croisé les couleurs classiques de FILA, le bleu marine et le rouge, et celles plus vives de Maxwell, le rose et le rouge, pour un ensemble formé d’une jupe évasée et d’un haut deux pièces avec fermeture boutonnée ne s’étendant que sur un quart du polo en descendant du col.

Loin de se contenter de partenariats avec des joueurs de tennis, FILA s’est lancée dans le soutien de grands tournois tout autour de la planète, comme Indian Wells, Newport, Cincinnati, Tokyo, Pékin, l’Open du Canada ou encore Buenos Aires. Lors de l’édition 2023 d’Indian Wells, FILA a exposé des pièces de sa riche histoire, y compris des tenues issues de la Fondazione FILA Museum de Bielle, à la boutique de la société sur le site de la compétition. FILA y a également présenté la collection « Tie Breaker » donnant un nouveau look de printemps à ses joueurs : Barbora Krejčíková, Karolína Plíšková, Reilly Opelka ou encore Diego Schwartzman.

Une liste dont a fait partie le monument Ashleigh Barty, qui a pris sa retraite début 2022 alors qu’elle trônait encore sur la WTA. En étant sacrée reine de Wimbledon en 2021, la surnommée « Ash » avait rendu hommage à sa compatriote Evonne Goolagong-Cawley, première femme aborigène australienne couronnée sur le gazon londonien. Tout au long de son parcours, Barty a porté une jupe à motifs floraux faisant référence aux fleurs brodées et aux ourlets festonnés qui ornaient celle de Goolagong en 1971. Quand Leo Borg, fils de Björn, a choisi de rejoindre le giron FILA, il a opté pour une nouvelle version des rayures vintage – cette fois horizontales – comme pour s’inscrire dans la lignée paternelle tout en marquant sa différence. 

Alors que FILA fête ses 50 ans dans le tennis, la société continue de jeter un œil vers le passé pour construire le futur et lancer, au fil des saisons, de nouveaux produits repoussant toujours les limites de la performance et du style. « FILA est une marque qui est restée fidèle à elle-même, et ce sont toujours ces marques qui perdurent le mieux, estime Reilly Opelka, joueur membre de l’écurie FILA. J’adore le survêtement, je pense qu’il est iconique. Quand je vais à Milan pour la Fashion Week, c’est la seule pièce de tennis que je mets dans ma valise. J’aime son héritage. » 

 

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.

© Ray Giubilo