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Être fan, ce n’est pas faire partie d’une secte

Roland-Garros, juin 2023

Si vous aimez Novak Djokovic, vous la connaissez forcément. Julie, nom de code « @NDjokofan », est devenue l’une des supportrices les plus identifiables du Serbe grâce aux nombreux contenus qu’elle poste sur ses réseaux, souvent au plus près des exploits de son joueur favori. Son fanatisme exacerbé l’a conduite à une vie d’aventures et de passion, qu’elle nous raconte ici avec beaucoup de gouaille.

 

Elle est à la fois dans l’ombre de Novak Djokovic tout en étant dans la lumière de ses plus grands succès. Partout où il passe et surtout partout où il gagne – pléonasme –, Julie est là. Ou pas loin. Vous ne pouvez pas la rater, ne serait-ce que par sa longue chevelure frisée et dorée qui la rend identifiable entre mille sur les clichés de liesse. 

À 33 ans, cette Poitevine aujourd’hui établie à Londres, où elle enseigne le français, est une figure éminente de la #NoleFam, ainsi que Novak Djokovic surnomme lui-même la communauté de ses fans à travers le monde. Aux manettes de la page « NDjokofan », depuis laquelle elle poste du contenu de son champion à ses plus de 60 000 followers (Instagram, X et Facebook confondus), Julie, qui préfère ne pas dire son nom, passe le plus clair de son temps à le suivre partout dans le monde, promouvoir son image tout en collaborant à la confection du « Novak Books », un livre publié chaque saison qu’il termine en qualité de n°1 mondial, et qui lui a valu de l’interviewer en personne à Monte-Carlo, en 2022.

Logo de Djoko tatoué sur le bras et passion chevillée au corps, elle s’est ainsi construit une vie de voyages et d’aventures qui méritera peut-être un jour un livre. En attendant, elle raconte.

Belgrade, novembre 2021

Courts : Comment a débuté votre histoire avec Novak Djokovic ?

Julie : La première fois que je l’ai remarqué, c’est lors de sa fameuse conférence de presse donnée à Roland-Garros en 2006 après sa défaite en quart de finale contre Rafael Nadal. Il avait abandonné après avoir perdu les deux premiers sets mais il avait déclaré qu’avant cela, il n’avait pas l’impression d’être spécialement dominé. Déjà, on voyait qu’il ne manquait pas d’ambition ! Je l’avais aussi remarqué parce qu’il portait le maillot de l’équipe de France de foot – c’était en pleine Coupe du Monde. Il avait vraiment attiré mon attention et je m’étais dit que ce joueur méritait d’être suivi. Je joue au tennis depuis l’âge de 7 ans et j’ai commencé à suivre ce sport bien avant Djokovic. Mais aucun autre joueur n’avait suscité en moi une telle passion.

 

C : Alors, pourquoi lui et pas un autre ?

J : C’est toujours difficile à dire. À ses débuts, Novak était le numéro 3, derrière Federer et Nadal. Un peu contre toute attente, il a fini par les détrôner, puis battre tous leurs records. En soi, c’est assez inspirant. Moi, en tout cas, cela m’a inspirée dans ma vie personnelle, en me prouvant que rien n’est jamais impossible. Aujourd’hui encore, je m’inspire au quotidien de ce qu’il est, de ce qu’il a accompli pour essayer de m’affranchir de mes propres barrières. Novak, à la base, c’est quelqu’un qui est parti de pas grand-chose, sa famille était loin de rouler sur l’or. Et il est arrivé tout en haut. Je suis extrêmement admirative de son parcours.

 

C : Que représente-il pour vous aujourd’hui ?

J : C’est l’idole de ma vie. Je suis également de fan de Tom Fletcher, que je considère aussi comme une idole. Mais Novak a largement surpassé tout ça. J’ai tellement de respect pour tout ce qu’il a accompli, quand on sait tout ce qu’il a pu endurer. C’est aussi quelqu’un qui a ranimé mon amour pour le tennis à une époque où, pour différentes raisons personnelles, je l’avais un peu perdu. Rien que pour cela, je lui en serai toujours reconnaissante. En fait, Novak est une source d’espoir infinie pour moi. Le mot « espoir » est vraiment celui qui le représente le mieux à mes yeux. Jamais je n’aurais cru pouvoir vivre toutes les expériences que j’ai vécues. Tout cela a été possible grâce à lui. 

 

C : Vous êtes tout de suite devenue une fan très assidue, prête à aller le voir jouer partout dans le monde ?

J : Non, puisqu’il s’est écoulé dix ans entre la première fois où je l’ai remarqué et la première fois où je l’ai vu jouer en vrai. C’était au Masters de Londres, en 2016. Cette semaine-là, c’est aussi la première fois où je l’ai rencontré. Un soir, j’étais allée l’attendre à son hôtel. Quand il est arrivé, il a eu la gentillesse de me saluer et ce qui m’a marquée, c’est qu’il avait enlevé sa casquette pour le faire. J’avais trouvé ça très respectueux. Le fait de le voir en vrai, ça a été une véritable révélation. À partir de là, je me suis mise à le suivre plus intensément sur les tournois, et aussi à être plus active sur les réseaux, jusqu’à créer en 2018 la page « NDjokofan ». 

Belgrade, novembre 2022 

C : Désormais, entre vos déplacements et votre activité sur les réseaux, c’est quasiment une activité à temps plein, non ?

J : Disons que c’est beaucoup de temps ! Aujourd’hui, par exemple, je suis d’ores et déjà en train d’organiser et de budgéter la saison 2024. Je planifie mes déplacements selon mes vacances, je regarde les bons plans pour les hôtels, etc. Être fan, c’est une forme de dévotion, quelque part.

 

C : Est-ce aussi une forme d’amour ? Plus directement : êtes-vous amoureuse de Novak Djokovic ?

J : Attention à ce que vous dites : j’aime Novak, mais comme mon frère ! Il n’y a aucune ambiguïté là-dessus. Je ne suis absolument pas amoureuse de lui. C’est le genre de « m… » que j’entends souvent. Mais Novak, pour moi, c’est la famille. D’ailleurs, j’aime beaucoup sa femme aussi, avec qui je m’entends très bien, ainsi que les membres de son équipe. Donc quelque part, oui, je l’aime, mais pas au sens où vous l’entendez. Mais c’est intéressant que vous me posiez la question. Poseriez-vous la même à un fan de Cristiano Ronaldo, par exemple ? Non ! Je suis désolée, mais c’est du sexisme. Une fille qui est fan d’un mec, c’est forcément de l’amour… 

 

C : Finalement, comment décririez-vous votre relation à lui ?

J : Je n’aime pas le terme de « groupie », qui a une connotation un peu péjorative. Pour moi, la groupie, c’est celle qui balance son soutif sur la scène d’un chanteur de rock. Je ne veux pas non plus qu’on dise que je suis sa fan numéro 1, parce que cela n’a pas de sens. Il n’y a aucune hiérarchie à faire entre les fans. Certains n’ont pas la chance de pouvoir voyager sur les tournois, ce n’est pas pour autant qu’ils sont « moins fans » que moi. Mais c’est vrai qu’au fil du temps et des moments passés avec lui, j’ai tissé avec Novak une relation, disons, unique.

 

C : Jusqu’à atteindre le Graal : jouer au tennis avec lui à Belgrade, en 2021. Comment cela a-t-il pu se faire ?

J : Cela faisait longtemps que je rêvais d’aller le voir à Belgrade, et j’ai fini par m’y rendre en octobre 2021. Pendant mon séjour, je suis allée assister à l’un de ses entraînements et à la fin, il est venu me parler et m’a interrogée sur son nombre de semaines passées à la place de numéro 1 mondial. Je lui ai dit : « Ok, mais si je réponds juste, tu me fais jouer cinq minutes ? » Banco. J’avais une pression pas possible. Quand j’ai donné ma réponse, je l’ai vu se « googliser » lui-même pour vérifier. Bon, il s’avère que je me suis trompée de deux semaines. Mais il m’a fait jouer quand même et ça a été un moment magnifique, l’un des plus beaux jours de ma vie. 

Belgrade, avril 2022 (mon anniversaire)

C : Vous avez vécu d’autres anecdotes de ce genre avec lui ?

J : Toujours à Belgrade, il s’est mis une fois en pleine rue à chanter « Julie », une chanson qui avait été présentée par la Yougoslavie à l’Eurovision dans les années 80. Cela me rappelle aussi cet épisode à Monte-Carlo en 2022. Je marchais pour aller prendre mon bus quand tout à coup, j’entends quelqu’un crier : « Julie, Julie ! » C’était Novak, dans sa voiture, à un feu rouge. Et puis, cette année, il y a eu bien sûr cet épisode à Roland-Garros, quand il m’a tendu la coupe après sa victoire. 

J’entends parfois que mon but est uniquement de m’afficher avec lui, comme récemment quand j’ai posté une séquence où il me fait un gros câlin avant mon départ de l’US Open. Mais pas du tout. Moi ce que je veux, c’est montrer qui est Novak. Et parfois, cela passe par montrer la façon dont il se comporte avec moi. Désormais, je dois me protéger un peu car le fait de partager des séquences sur les réseaux me vaut aussi beaucoup de critiques, voire des insultes.

 

C : Par exemple ? 

J : Je vois un peu de tout. On me dit que je suis une « stalkeuse », que je voue un culte à Djoko, que je mens aussi parfois… Sans parler des critiques sur Djokovic lui-même, bien sûr. Il arrive même que cela parte en attaques personnelles, sur mon physique ou autres. La plupart du temps, tout cela me passe au-dessus. Un truc néanmoins qui me pose problème, c’est quand on dit que je suis payée par Djokovic. Tout simplement parce que ce n’est pas la vérité. Les gens qui font cette critique n’ont aucune idée des sacrifices que j’ai pu faire, financièrement ou personnellement, pour soutenir Novak. Je sais que les moments privilégiés que j’ai passés avec lui peuvent susciter de la jalousie. Mais je n’empêche personne de faire la même chose.

 

C : L’ère du Big Three a un peu été polluée par les guerres permanentes entre les fans de Djokovic, Federer et Nadal. Comment l’avez-vous vécu ?

J : Franchement, cela ne m’a pas gâché la vie. C’est vrai que cela peut être un peu pénible, parfois. Mais pour moi, il y a les réseaux sociaux d’un côté, et la vie de l’autre. En général, dans la vie, les gens sont plus honnêtes. Il arrive qu’on me dise : « moi, Novak, je n’aime pas son jeu », ou alors « je ne l’aime pas parce qu’il est en train de battre les records de mon favori. » Ça, les gens ont le droit. Et je préfère qu’on me dise cela directement. Le problème, sur les réseaux, c’est qu’on essaye toujours de se justifier et on peut vite tomber dans la mauvaise foi. Ce n’est pas la peine. Moi, je n’ai jamais essayé de convaincre qui que ce soit. Si des gens n’aiment pas Novak, c’est déjà foutu. 

 

C : Et vous, que pensez-vous de Nadal et de Federer ? Vous ne les aimez pas trop ?

J : Je ne les déteste pas du tout et je respecte ce qu’ils ont apporté au tennis, d’autant que c’est grâce à eux que Djokovic est devenu ce qu’il est devenu. Mais naturellement, je les aime moins que Novak. Rafa et Roger sont de grands champions à mes yeux mais j’avoue qu’il y a parfois eu des petits coups ou des petites déclarations par-ci par-là de leur part sur Novak que je n’ai pas trop appréciés. Par exemple, le commentaire fait par Rafa lorsque Novak a été exclu d’Australie en 2022, quand il avait dit que les règles étaient là pour être respectées. C’était un manque d’empathie assez flagrant. Cela m’a fait de la peine que Rafa s’exprime ainsi parce que je sais que Novak ne l’aurait jamais fait. Trouvez-moi des interviews où il a lancé de telles piques à ses rivaux ? Il va falloir aller chercher très loin…

Paris Bercy, novembre 2018

C : Djokovic reste aujourd’hui, d’une manière globale, le moins populaire des trois. Chacun a sa petite explication là-dessus, quelle est la vôtre ?

J : La première raison, ce sont les médias, qui ont créé cette « bromance » entre Roger et Rafa en dépeignant Novak comme le Serbe de service qui vient un peu gâcher la fête. Quand on rabâche pendant des années que Djokovic est moins aimé, les gens finissent par le croire. Mais il me semble que les choses ont changé. Quand Lacoste a signé Djokovic, en 2017, ses tenues ne se vendaient pas énormément au début. Maintenant, c’est « sold-out » tout le temps. Beaucoup de gens, des sponsors ou autres, qui ont fermé des portes hier vont peut-être le regretter demain. 

Je pense sincèrement que de nombreuses personnes ont acquis un nouveau respect pour Novak avec le fait qu’il ne se soit pas fait vacciner, qu’il soit resté fidèle à lui-même contrairement à d’autres joueurs qui – ne nous leurrons pas – ont fait croire qu’ils étaient vaccinés alors qu’ils ne l’étaient pas. Novak aurait pu tricher pour battre ses records. Il les a finalement battus sans trahir ses valeurs. Peu d’athlètes peuvent se prévaloir d’une telle intégrité.

 

C : Ce que certains ont craint dans cette histoire, c’est plutôt qu’il devienne un leader d’opinion et que ses fans le suivent dans son choix de ne pas se faire vacciner…

J : On prête aux athlètes un pouvoir qu’ils n’ont pas. Comme s’ils étaient des gourous. Est-ce que les gens ne sont pas suffisamment intelligents pour se faire leur propre opinion ? Moi, je me suis fait vacciner, trois fois. Novak aurait pu dire n’importe quoi, c’était ma décision personnelle. Être fan, ce n’est pas faire partie d’une secte. Et Novak, comme n’importe quel athlète, n’a pas à supporter le poids d’être un exemple pour le monde entier. Que l’on ne soit pas d’accord avec ce qu’il dit ou ce qu’il fait, aucun problème. Mais Novak n’a jamais dit : « faites comme moi ». Il n’a jamais essayé d’influencer qui que ce soit. Il n’a jamais été antivaccin, il a toujours été pro-choix. 

 

C : Le jour où Novak arrête, vous arrêtez aussi ?

J : Le jour où il arrête, une chose est sûre : je serai plus riche ! Quoi qu’il en soit, j’aimerais toujours le tennis, qui reste le sport de ma vie. Mais je ne suivrai pas quelqu’un autant, sans aucun doute. Je vous l’ai dit : Novak a ranimé mon amour pour le tennis, en ce sens il est seul et unique à mes yeux. Ce lien perdurera toujours.

 

C : Au bout du compte, quel « bilan » tirez-vous de ces années de fanatisme, et qu’est-ce que cela vous a apporté ?

J : Cela m’a ouvert énormément de portes. J’ai rencontré des gens géniaux, je me suis fait des amis pour la vie. J’aurais pu arrêter « NDjokofan », mais si je ne l’ai pas fait, c’est parce que je sais aussi que beaucoup de gens n’ont pas la possibilité d’aller encourager Novak en tournoi et sont donc heureux de découvrir mes contenus. Au bout du compte, Novak a fait de moi une meilleure personne, plus patiente, plus empathique et plus confiante aussi alors qu’à la base, je n’ai pas du tout confiance en moi. Avec son exemple, j’ai aussi compris au fil du temps que l’on peut sans cesse changer et essayer de s’améliorer. J’aurais vécu grâce à lui un magnifique voyage personnel. 

 

Article publié dans COURTS n° 15, automne 2023.