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En attendant de jouer…

Carlo Carrá, La Muse métaphysique, 1917
Carlo Carrá, La Muse métaphysique, 1917

Lorsque je regarde les œuvres des peintres italiens Carlo Carrà ou Giorgio De Chirico, je ne peux m’empêcher de penser au cinéaste Dario  Argento (lui aussi italien) et à ses films emblématiques du giallo. Que ce soit dans Les Frissons de l’angoisse, Ténèbres ou Suspiria, le réalisateur avait toujours ce goût marqué pour l’ésotérisme, ce choix de faire vivre ses personnages dans la fantasmagorie, à la lisière du fantastique pour les rendre d’autant plus réels qu’ils ne le sont. Les faire évoluer dans un espace illogique et sans fond, dans sa propre esthétique qui semblait l’obséder, une obsession de la variation formelle et du ressassement de souvenirs indécryptables. Son œuvre transpire la métaphysique par tous les pores. Il puise indéniablement notamment son style esthétique dans la peinture de De Chirico, dont le premier cycle de sa carrière artistique sera consacré à la peinture métaphysique. Sa démarche est la même que celle du peintre, un rapport équivalent à la réalité onirique, et à la puissance d’évocation des formes, des couleurs, de l’architecture et de certains objets déplacés de leur contexte. Leurs œuvres témoignent d’une volonté de fixer l’étrangeté du réel, de révéler sa part énigmatique en rendant sensible sa profondeur. D’où, chez le cinéaste, cette importance accordée aux détails, et ce chromatisme opaque souvent en devant de l’image et ces espaces à la perspective divergente qui donnent le sentiment contradictoire d’un mouvement et d’une stagnation. 

Pour comprendre le symbolisme de la pittura metafisica (la peinture métaphysique), il faut remonter à son origine. En 1917, alors que l’Italie est en guerre, Carlo Carrà part se réfugier à l’hôpital de Ferrare, où sont déjà cantonnés depuis quelque temps déjà Giorgio De Chirico et son frère Alberto Savinio. Ils resteront là-bas pendant des mois et c’est ensemble qu’ils abandonneront le mouvement futuriste, sa célébration de la vitesse de la ville moderne et des mouvements de foule pour inventer une peinture de l’immobilité et de la solitude. Leurs œuvres sont la représentation de leur état d’âme du moment. La Muse métaphysique, La Fille de l’Ouest ou Le Fils du constructeur de Carlo Carrà en témoignent, il s’en dégage effectivement un sentiment d’inquiétante étrangeté. Les mannequins de tailleurs se tiennent debout, face à nous, figés, dans une pièce claustrophobique et font office de présence humaine, complètement dénués de personnalité et sans visage… Métaphore de l’avenir bancal engendré par la guerre ? Ces muses, dont l’existence est si incertaine qu’elle est tristement reléguée au même rang que les objets colorés posés ici et là, des non-identifiables pour certains, moules en plâtre, formes géométriques, et des petites peintures réalistes. Ils attendent tous que tout se termine pour pouvoir rejouer enfin au tennis, librement. 

Carlo Carrá, Le Fils du constructeur (1917-1921) et La fille de l'Ouest (1919)
Carlo Carrán, Le Fils du constructeur (1917-1921) et La fille de l'Ouest (1919)