ellesse
L’étoffe des héros
Pour les fans de tennis, et même bien plus que ça, Wimbledon est le centre du monde le premier weekend de juillet. On y dispute alors les finales du plus prestigieux tournoi du monde. Une tradition qui s’est déplacée d’une semaine en 2015, afin d’élargir la parenthèse entre Roland-Garros et le rendez-vous londonien. Mais en cette année 1981, Chris Evert et Hana Mandlikova ont rendez-vous, ce samedi 4 juillet, pour une finale dames qui promet. Entre l’Américaine, 26 ans, no 1 mondiale et la Tchécoslovaque de 19 ans, c’est le septième épisode d’une rivalité qui en comptera 26.
Depuis quelques mois déjà, Mandlikova, attaquante racée, s’est invitée à la table des grandes, celle d’Evert et Martina Navratilova. Ces deux-là règnent sans partage ou presque sur les titres en Grand Chelem depuis le milieu des années 1970. Mais en 1980, Mandlikova se hisse en demi-finales à Roland-Garros, atteint la finale à l’US Open, les deux fois battue par Evert, puis remporte les Internationaux d’Australie, organisés à l’époque en fin de saison. Plus fort : elle s’impose à Roland-Garros en 1981, après avoir battu Evert en demi-finale. Cette finale de Wimbledon 1981 est donc bel et bien une revanche et un sommet entre la no 1 mondiale et une jeune ambitieuse qui rêve de tout bousculer.
Du côté de Pérouse, en Italie, ce duel est vécu comme une forme de consécration. Cette ville d’Ombrie, région trait d’union entre le sud et le nord du pays, est le siège d’ellesse. Le fabricant de vêtements de sport, créé en 1959, équipe les deux championnes qui se retrouvent donc en finale d’un tournoi du Grand Chelem : cela fait forcément date pour un équipementier. Leonardo Servadio, son fondateur, avait vu juste quand, en 1980, il jette son dévolu sur cette jeune Tchèque, première no 1 mondiale juniors de l’histoire en 1978, année de son titre à Roland-Garros. Et depuis quelques mois, ellesse habille aussi Chris Evert. Un événement pour l’Américaine qui, aussi étonnant que cela puisse paraitre, avait jusque-là toujours « joué en blanc ». Le style de la Tchèque face à l’élégance de l’Américaine dans le cadre feutré du Centre Court de Wimbledon, ellesse ne peut rêver meilleure publicité. Le match ne sera pas à la hauteur des attentes suscitées – Evert s’impose 6/2 6/2 – mais c’est le vrai point de départ d’une belle histoire entre l’Américaine et la griffe italienne. Une success-story de huit ans, jusqu’à ce que la championne ne raccroche ses raquettes. Evert et ellesse, comme une évidence. Le mariage est tellement réussi, imprègne si fortement les rétines, qu’on en oublierait presque que l’Américaine n’a pas écrit toute sa carrière ainsi vêtue. Il contraste aussi avec l’allure de Martina Navratilova. L’autre grande rivale d’Evert cherche son style, passe d’un partenaire à un autre, et malgré son immense carrière, ne sera jamais l’icône d’une même maison.
Née de l’imagination de Leonardo Servadio, ellesse a vu le jour 22 ans avant cette finale de Wimbledon 1981. Ce passionné de montagne a suivi les traces de ses parents, tailleurs et propriétaires d’un magasin à Pérouse. Le jeune Leonardo s’est mis en tête de créer des tenues de ski, des pantalons plus particulièrement, qui mêlent à la fois confort et style. Dans cette Italie qui se relève des traumas de la Deuxième Guerre mondiale et des années Mussolini, plane de nouveau une liberté et un besoin de créativité. Servadio, comme d’autres, s’inscrit dans ce mouvement. Aidé par des entrepreneurs locaux, il réussit en 1959 à lancer sa propre maison : LS, ses initiales donc, qui devient ellesse, avec le premier L et le premier S en gras. Les créations de Servadio, qui s’inspirent des pantalons de travail portés par les artisans, vont progressivement rencontrer le succès. Dix ans plus tard, le modèle Jet apparait pour la première fois sur les pentes du Val d’Aoste ou des Dolomites. Il allonge la jambe et flatte la silhouette. C’est un coup de maitre. La version rouge – couleur qui deviendra l’une des signatures de la marque – est le must have des skieurs en ce début des années 1970. La démarche de Servadio repose sur une réflexion de bon sens : « On est bien meilleur si on se sent bien dans ses vêtements », explique-t-il. En 1969, ellesse parraine l’équipe italienne de ski alpin dont l’un des membres, Gustav Thöni, remporte la Coupe du monde de slalom géant. CQFD. Cette notoriété internationale grandissante n’empêche pas Servadio de continuer à innover : son pantalon à lacets, avec genouillères et taille élastique, proposé en 1971, installe encore un peu plus ellesse sur le marché.
Pourquoi, dès lors, ne pas s’ouvrir à d’autres disciplines ? Dans ce pays à la forte tradition textile, où l’industrie de la mode deviendra un acteur de poids dans l’économie, le secteur du sport, loin des sommets enneigés, est notamment porté par Fila (fondée en 1911), Lotto (1939), Diadora (1948) ou même le tout jeune Tacchini (1966). Servadio vient se mêler à la bataille et se lance dans le tennis en 1974. Le premier joueur équipé par l’enseigne de Pérouse est le jeune Corrado Barazzutti. Bonne pioche ! Vainqueur de Roland-Garros juniors et de l’Orange Bowl trois ans plus tôt, Barazzutti est un savoureux cocktail de talent et de caractère. Un vrai joueur à l’italienne, si l’on doit faire quelques généralités, dont la science du jeu s’exprime merveilleusement sur terre battue. Son premier coup d’éclat sur le grand circuit est une victoire contre Ilie Nastase, alors no 1 mondial, en quarts de finale du tournoi de Monte-Carlo. Barazzutti est lancé et ellesse avec lui. L’Italien montera jusqu’à la septième place mondiale, fort d’une demi-finale à l’US Open (1977), à Roland-Garros (1978) et de cinq titres remportés. Barazzutti porte également son pays à sa seule victoire en Coupe Davis, en 1976, avec Adriano Panatta et Paolo Bertolucci.
Pour Servadio, il est également important, d’un point de vue marketing, de souligner cette diversification. Il n’est de grande marque sans une identification visuelle forte. Ainsi nait, en 1975, le logo d’ellesse que l’on connait. Une création qui fera date, mariant les deux sports emblématiques de la firme : deux spatules de ski, rouges – évidemment –, entourant une demi-balle de tennis jaune. Côté court, les choses s’accélèrent en 1980. À Roland-Garros, Virginia Ruzici, gagnante du tournoi deux ans plus tôt, arbore cette fois son emblématique jupette rouge et ses tops rayés jusqu’en finale.
Derrière l’arrivée de la championne roumaine chez ellesse, « piquée » à la concurrence (Fila), on trouve Ion Tiriac. L’ancien joueur, en pleine reconversion dans le coaching et le business, a également pris en main la destinée de Guillermo Vilas au terme de la saison 1975. Approché par la toute jeune firme américaine Nike, qui souhaite se lier avec le charismatique argentin, Tiriac préfère se marier avec ellesse. La marque italienne veut poursuivre son développement et s’attacher les services d’une des plus grandes figures du moment. Björn Borg est chez Fila. John McEnroe s’habille en Tacchini. Jimmy Connors va bientôt représenter Cerruti 1881. Vilas sera donc l’égérie masculine d’ellesse. Les quatre joueurs les plus iconiques des années 1970-80 sont tous équipés par des entreprises de la Botte. Quelle empreinte, soit dit en passant, sur le tennis mondial. Une hégémonie qui ne s’est d’ailleurs jamais démentie. Aujourd’hui, l’Italie demeure le pays le plus représenté parmi le top 100 masculin (au classement ATP du 8 mars 2021) si l’on prend en compte les équipementiers : 25%. Devant les États-Unis, 17 % ; le Japon, 13 % ; la France et l’Allemagne, 10 %.
Jusqu’à la fin de sa carrière, Guillermo Vilas incarnera pleinement ellesse, allant jusqu’à permettre à la marque de se retrouver en couverture des magazines people du monde entier. Il file alors le parfait amour avec la princesse Caroline de Monaco, l’une des cibles de prédilection de la presse à scandale. Le gaucher argentin, marathonien des courts, est aussi pudique et secret qu’il est combattif et avide de victoires. Vilas est de ces icônes qui vont alors donner au tennis une nouvelle dimension et ellesse lui colle à la peau. La marque brille par son style souvent plus libre et coloré que les créations de ses concurrents. Autre démarche forte : casser les stéréotypes, en donnant par exemple carte blanche à des créateurs extérieurs de renom comme Jean-Charles de Castelbajac. Au milieu des années 80, c’est du jamais-vu. Ainsi, ellesse innove et construit sa légende mais conservera toujours une même philosophie. Simon Breckon, qui dirige l’entreprise depuis septembre 2018, en rappelle les grandes lignes : « Le sport, c’est du flair et de l’allure. Chez ellesse, nos athlètes portent des vêtements qui “fonctionnent” bien mais qui ont également du caractère et un look. »
Avec les produits de la firme de Pérouse, Vilas remporte seize titres et dispute vingt finales, dont celle de Roland-Garros 1982. À bientôt 30 ans, il doit céder en quatre sets mais 4 h 42 face à un jeune suédois de 17 ans, Mats Wilander. Vilas soulève son 62e et dernier trophée sur la terre battue de Kitzbühel en juillet 1983, lors d’une finale 100 % ellesse face à Henri Leconte. Un joli symbole ! Le jeune Français a rejoint l’équipementier l’année précédente et défendra ses couleurs trois saisons durant. C’est en ellesse qu’il a d’ailleurs ouvert son palmarès professionnel, à Stockholm, en 1982.
Mais la fabrique italienne n’a pas fini de faire des étincelles. Son nouveau poulain se nomme Boris Becker. Un jeune Allemand très pressé qui bouscule tout sur son passage et va faire basculer le tennis dans une nouvelle ère, tout en puissance, notamment au service. En 1985, à 17 ans, le protégé de Günther Bosch s’adjuge son premier titre à Wimbledon et stupéfie la planète tennis. La veille, Chris Evert a disputé la finale face Navratilova. Autant dire qu’ellesse est au sommet. Becker, dans la même tunique, remettra ça l’année suivante.
Parallèlement à l’émergence de « Boum Boum » Becker, le chic et la détermination d’Evert continuent de faire des ravages et d’inscrire la marque dans l’inconscient collectif. Sous la bannière de la firme italienne, l’Américaine ajoute sept trophées en Grand Chelem à son palmarès, portant son total à 18. Son nombre de titres sur le circuit WTA dépasse l’entendement : 154. Elle remporte le dernier en octobre 1988, à la Nouvelle-Orléans, à quelques mois de sa retraite. Une marque pouvait-elle rêver meilleure porte-drapeau ? C’est lors des années Vilas et Evert qu’ellesse aura connu sa période la plus florissante. En 1983, le chiffre d’affaires atteint un record, 139 milliards de lires (environ 71 millions d’euros), porté aussi par le succès de la Squadra Azzura à la Coupe du monde de football 1982, dans des shorts et des maillots ellesse.
En 1987, ellesse vend à Reebok ses activités aux États-Unis puis fait de même en 1990, au Japon, avec Goldwin et Toyo & Tire. La holding britannique Pentland Group reprend ensuite la main en 1993 et, côté tennis, le logo ellesse retrouve des couleurs. Anna Kournikova, Arantxa Sanchez, Elina Svitolina, Tommy Haas ou Feliciano Lopez entrent dans la famille. Pat Cash, vainqueur en 1982 des titres juniors à l’US Open et à Wimbledon, en ellesse, effectue son retour en 2014. La Portoricaine Monica Puig écrit l’histoire, elle aussi, en remportant l’or aux JO de Rio en 2016 et devient ainsi la première championne olympique de son pays, tous sports et tous sexes confondus. Ces dernières années, les Britanniques Johanna Konta, trois fois demi-finaliste en Grand Chelem, 4e mondiale en 2017, et Alfie Hewett, no 1 mondial du tennis en fauteuil, ont repris le flambeau. Et puis comme Leonardo Servadio l’avait fait avec Mandlikova dans les années 80, ellesse accompagne de jeunes pépites, tel Paul Jubb, premier Britannique sacré l’an passé lors du championnat universitaire américain, la fameuse NCAA. La marque s’est également engagée dans un partenariat avec Londres afin d’entretenir et de moderniser ses installations de tennis urbain. Ouvrir ce sport à un public plus large et plus diversifié, c’est aussi ça la philosophie ellesse.