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Du tennis au tenn-esport

Mis au placard pendant près de sept ans, le tennis a fait son grand retour sur consoles avec le jeu vidéo Tennis World Tour en 2018. Un renouveau attendu par les joueurs et que la Fédération française de tennis a décidé d’exploiter en organisant, via la marque Roland-Garros, sa première compétition esport Porte d’Auteuil. Un événement qui devrait faire son retour en 2020 pour la troisième année consécutive. L’occasion de se pencher sur cette nouvelle forme de pratique du tennis. 

 

Le 26 juillet dernier, un mois tout juste avant le début de l’US Open, dernière grand-messe majeure de l’année, les virtuoses du clavier-souris et de la manette ont pris possession, le temps d’un week-end, du stade Arthur-Ashe à l’occasion des championnats du monde de Fortnite. Dans la plus grande enceinte de tennis du monde, Epic Games, éditeur du jeu vidéo de type Battle Royale, a mis les petits plats dans les grands pour s’implanter un peu plus comme un acteur majeur de l’esport – entendez ici : « l’ensemble des pratiques permettant à des joueurs de confronter leur niveau par l’intermédiaire d’un support électronique, et essentiellement le jeu vidéo », comme le définit l’association France Esports qui assure le développement, la promotion, l’encadrement et la pratique des sports électroniques. 

 

Fortnite sur des courts de tennis

Scène gigantesque et majestueuse au milieu du court, habillage des tribunes aux tons et couleurs du jeu, tee-shirts et autres goodies… il n’y avait guère que les logos ATP et WTA incrustés ici et là dans le stade qui rappelaient que le stade Arthur-Ashe est initialement conçu pour accueillir du tennis. Une incroyable mise en scène qui a impressionné les joueurs, eux-mêmes désabusés face à un tel spectacle. Un sentiment que résume en un tweet Nicolas Frejavise dit « Nikof », participant français aux championnats du monde : « 2018 : Jouer à Fortnite seul dans sa chambre. 2019 : Jouer à Fortnite dans le Arthur Ashe Stadium, quelle vie ! »

À l’instar du Arthur-Ashe, le Margaret Court Arena, troisième plus grand stade du Melbourne Park qui accueille chaque année l’Open d’Australie, a lui aussi hébergé deux compétitions sur Fortnite à l’issue de la quinzaine australienne. Mais, alors que l’US Open n’a pas joué de rôle dans la tenue des championnats du monde, l’Open d’Australie a lui été jusqu’au bout de la démarche en organisant les compétitions en partenariat avec Epic Games. Un virage à 180° qui traduit l’envie et la volonté d’acteurs traditionnels du tennis – et du sport en général – d’exporter leur marque, leur savoir-faire, vers d’autres domaines au-delà même des frontières de leur sport.

 

Tennis World Tour comme porteur d’espoir

Faire rayonner sa marque à l’international et attirer de nouveaux publics en exploitant son expérience, Roland-Garros y pense aussi. Mais à une exception près. À l’inverse du Happy Slam qui s’est allié à un jeu vidéo non-affilié à un sport « traditionnel », le tournoi parisien souhaite uniquement mettre en avant des compétitions ayant un rapport direct avec le tennis et ainsi devenir un précurseur en la matière. Déjà, il y a tout juste dix ans, de 2009 à 2012, la Fédération française de tennis posait sa première pierre virtuelle en organisant le « Roland-Garros : The Virtual Tournament » sur le jeu vidéo Empire of Sports. Un temps dont se souvient Paul Arrivé, finaliste de l’édition 2011 et aujourd’hui journaliste esport pour le quotidien L’Équipe : « Le tournoi se déroulait en ligne avant et pendant Roland-Garros. » Et déjà, à l’époque, la notion de partenariat était omniprésente. « Le court Philippe-Chatrier avait été modélisé avec les sponsors titres. Et le vainqueur de la première édition se voyait offrir le droit de rencontrer Justine Hénin, alors partenaire d’Empire of Sports. » Mais le jeu n’est finalement jamais sorti de sa phase bêta – une version presque terminée – et a fini par disparaître.

Alors, sept ans après Top Spin 4, dernier opus de la série – considéré comme la meilleure simulation de tennis de l’histoire –, l’arrivée en 2018 du jeu vidéo Tennis World Tour, estampillé France avec l’éditeur BigBen, est venue raviver la petite flamme existante entre tennis et esport. Et les liens entre les différents acteurs ont vite été noués. « BigBen et la FFT ont souhaité travailler ensemble pour exploiter la licence Roland-Garros dans le jeu », indique Stéphane Morel, directeur général adjoint du marketing et du développement économique à la FFT, qui poursuit : « Parallèlement, nous avons voulu profiter du contexte de développement de l’esport pour nous positionner sur ce terrain. C’est pourquoi nous avons lancé les Roland-Garros eSeries by BNP Paribas juste avant la sortie du jeu pendant l’édition 2018 de Roland-Garros. »

Les RG eSeries, fer de lance de l’esport 

Cette compétition « etennis » disputée sur Tennis World Tour, pendant Roland-Garros, réunit aujourd’hui les douze meilleurs joueurs du moment, préalablement qualifiés lors de tournois disputés dans dix pays différents. Et pour cette deuxième édition, c’est le Français Marvin « Rvp » Nonone qui a été sacré champion du monde. Le tout sur le court no 1, comme un symbole d’innovation avant que ce dernier ne retourne à l’état de poussière. « Il y a eu un gros travail de la part de la FFT. Pour moi, c’était une expérience incroyable tout au long du week-end. Voir Guy Forget et Amélie Mauresmo nous remettre les trophées, c’est quand même quelque chose », salue « Rvp ». Le soutien et la présence des acteurs du tennis traditionnel ? Un levier à exploiter pour Thibault « ThibKa » Karmaly, champion de France des RG eSeries, et vice-champion du monde : « On a besoin de ce genre de personnalité pour faire exister l’etennis. » 

Au total, ce sont près de 75 000 spectateurs uniques qui ont suivi la finale des RG eSeries sur la page Facebook de Roland-Garros. L’événement – commenté par Nelson Monfort et Norman Chatrier, petit-fils de Philippe mais également ambassadeur des RG eSeries du fait de sa qualité de joueur et animateur esport – a également été diffusé par les chaînes partenaires du tournoi comme France Tv Sport via son site internet. Un succès médiatique et populaire qui devrait conduire à une troisième édition. « Notre souhait avec la FFT est de pérenniser les eSeries et de les accompagner sur cet événement. On travaille avec les partenaires pour les mettre en place en 2020 », affirme Thomas Carpentier, chef de produit chez BigBen. Un travail main dans la main qui profite à tous. La FFT dans son but de promouvoir la marque Roland-Garros à l’international tout en se diversifiant et l’éditeur en ayant la plus belle vitrine possible afin de populariser son jeu. 

 

La FFT veut installer l’etennis dans les clubs 

Outre les RG eSeries, la Fédération française de tennis souhaite développer l’esport à partir de 2020 d’un point de vue purement fédéral en réalisant une année test. « Notre projet est de lancer les championnats de France d’etennis », expose Lionel Maltese, en charge du développement économique et du département recherche et développement de la FFT, qui ajoute : « Les clubs, sur base de volontariat, organiseront des compétitions sur consoles. Il y aura ainsi des champions régionaux et enfin un titre officiel de champion de France d’etennis. » Une compétition à laquelle seuls les licenciés pourront participer et qui ne fera pas écho à celle des RG eSeries puisque chacune sacrera ses champions. 

À l’instar du padel ou du beach tennis, la Fédération française de tennis souhaite continuer à diversifier son offre avec l’esport – dans une moindre mesure – pour attirer de nouveaux publics. « L’idée, c’est de travailler sur une population hésitante, qui a du mal à être fidélisée, comme les jeunes adultes. » Et l’esport est une discipline qui épouse bien les valeurs de compétitions et de « match » que la FFT souhaite promouvoir. 

 

Les joueurs, moins enthousiastes 

Mais alors que l’esport s’installe petit à petit et en toute modestie dans le paysage du tennis, les joueurs s’interrogent sur l’évolution du jeu Tennis World Tour. Les plus chevronnés le délaissent au fur et à mesure au profit d’autres horizons. La faute, selon eux, à des bugs permanents et à un manque de suivi de la part de l’éditeur BigBen et du studio de développement BreakPoint. « Il n’y a pas de gestion en temps réel, de correctifs. Le mode en ligne – qui permet aux joueurs de s’affronter à distance, ndlr – n’est pas abouti. Lorsque tu joues dessus, ta balle peut par exemple finir sa course sur la ligne et être annoncée faute. Un autre bug consiste à faire des lets sur le service extérieur car cela te permet de gagner le point sans que le relanceur ne puisse réagir », relève Thibault « ThibKa » Karmaly. Un constat partagé par Marvin « Rvp » Nonone : « On aimerait être optimiste car on sent que nous sommes à un tournant du tennis et de l’esport, mais on a l’impression que les développeurs de Tennis World Tour ne s’intéressent pas à leur jeu, qu’il est laissé à l’abandon. » De quoi faire resurgir de vieux démons. «Empire of Sports est tombé aux oubliettes car ils développaient leur jeu sans corriger ce qui ne marchait pas au préalable », se souvient Paul Arrivé, sans toutefois faire de liens avec Tennis World Tour. 

Des mots et des maux qui ne laissent pas BigBen insensible. L’éditeur a annoncé avoir réalisé une dizaine de mises à jour entre 2018 et 2019, et rappelle que le jeu n’a, à la base, pas été pensé selon le prisme de l’esport. « On n’a jamais eu la prétention de vouloir être les League of Legends du tennis et il ne faut pas oublier que nous ne possédons pas les mêmes budgets et ressources qu’un éditeur comme Electronic Arts ou Ubisoft », précise Thomas Carpentier qui ajoute : « Parce que il n’y avait plus de marché pour les jeux de tennis, il fallait d’abord remettre un pied dans le salon des joueurs avec un jeu qui soit accessible et fun à la fois. » Un premier accroc qui n’empêchera pas les joueurs de continuer à s’entraîner sur le jeu si ce dernier est utilisé dans les compétitions. Le tout, en attendant des jours meilleurs, qu’ils soient sur Tennis World Tour ou ailleurs. L’éditeur se tourne lui aussi vers l’avenir, conscient du chemin qui reste à parcourir : « On sait qu’on a été en dessous en termes de qualité par rapport à ce que la presse et les joueurs attendaient, mais ça nous donne des billes pour un éventuel Tennis World Tour 2 ou de futures améliorations du jeu. » Le rendez-vous est pris.

 

Article publié dans COURTS n° 6, automne 2019.