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Diane Parry de fil(o) en aiguille

© Virginie Bouyer

« Chacun ses goûts. » Une réplique dont on use et abuse pour clôturer les joutes verbales entre adversaires armés de palabres bien plus longues que les lances des chevaliers du Moyen Âge. Parce que l’un peut trouver un film très réussi, une musique mélodieuse ou encore une œuvre jolie, et l’autre non. Mais le vrai chef-d’œuvre, le « beau », n’est-il pas celui qui met tout le monde d’accord ? Comme la féérie d’une aurore boréale. Existe-t-il en ce bas-monde un être – et les aveugles ne comptent pas, je vous vois venir, sans mauvais jeu de mots, évidemment – qui oserait lâcher un « C’est très moche » tout à fait sincère devant ce spectacle de la nature ? « Sans doute que oui », me répondrez-vous pour stopper net mes élans philosophiques dignes d’un Socrate avec un « o » à la place du « a ».

Au tennis, en compétition, l’esthétisme n’est pas le but recherché. Les meilleurs du monde sont à ce niveau parce qu’ils entrent sur le court avant tout pour gagner, pas pour la beauté du geste. Daniil Medvedev, par exemple, se contrefout de savoir si sa frappe a fière allure ou non, tant que la balle passe de l’autre côté du filet. De quoi se voir comparé, pour ses gestes tarabiscotés, à un bretzel par Iga Świątek lors d’un direct Instagram avec la Polonaise organisé par Tecnifibre en 2021. Personnellement, je suis assez friand de ce style unique, mais d’autres vont le juger disgracieux, pour faire dans l’euphémisme. Le Russe lui-même s’en bidonne. « Quand je me vois en photo ou vidéo, je me dis : “Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ?!”, a-t-il rigolé lors d’une interview pour l’ATP en août 2019. C’est une technique plus proche des amateurs, on peut dire, donc peut-être qu’elle peut plaire à plus de gens (sourire). »

Néanmoins, certains cupidons savent décocher des flèches qui poussent beauté et efficacité à se dire oui. Roger Federer est de ceux-là. Pour beaucoup, il incarne l’élégance sur le terrain, tel un danseur aux entrechats aériens donnant l’impression de voleter de nuage en nuage. Au point d’être décrit comme une « créature dont le corps est chair et, d’une certaine façon, lumière » dans Roger Federer as Religious Experience, un article signé David Foster Wallace, regretté génie de la plume, pour The New York Times en 2006. À un degré moindre, bien entendu, Diane Parry fait partie de cette caste. Celle dont la plupart trouve le style de jeu, les gestes, beaux à regarder.

En 2019, à 16 printemps, la Française se révèle aux yeux du grand public en gagnant un match dans le tableau principal de Roland-Garros. Elle est alors la plus jeune joueuse à réussir cet exploit depuis la Portugaise Michelle « Décibel » Larcher de Brito en 2009. Au deuxième tour, elle s’incline face à la Belge Elise Mertens, 20e mondiale à ce moment-là et demi-finaliste de l’Open d’Australie l’année précédente. Présent dans les tribunes d’un court 14 souvent transformé en cocotte-minute prête à exploser à chaque point quand un Tricolore y joue, j’entends des « Quelle technique ! », « Elle est vraiment belle à voir jouer ! », « J’aimerais trop avoir son revers ! » entre deux « ALLEZ DIANE ! ». Ce revers, justement, elle le frappe à une main. De quoi faire d’elle un oiseau rare, encore plus sur le circuit féminin.

© Ray Giubilo

Palette complète et tenue d’une main

À l’heure de l’écriture de ces lignes, fin février 2024, elles ne sont que trois dans le top 100 à jouer en mono-mano ; Tatjana Maria – qui a la particularité d’avoir fait la première partie de sa carrière à deux mains, avant de changer en revenant sur le circuit à 26 ans après avoir eu un enfant – et Viktorija Golubic étant les deux autres. Et 18 dans le top 1000, soit 1,8 %. Et si Parry préfère se passer de la main gauche depuis ses 12 ans, c’est aussi en raison de Federer, son idole, dont l’influence se perçoit également dans sa gestuelle au service. « Elle devait avoir un poster de lui dans sa chambre, a confié Cécile Palicot, sa coach au TC Boulogne-Billancourt entre 4 et 11 printemps, au Parisien en 2022. C’est son inspiration, encore aujourd’hui. Elle voulait avoir son revers à une main.»

Mais le Suisse aux 20 titres du Grand Chelem n’est pas le seul modèle de la championne du monde junior 2019. « J’ai regardé pas mal de vidéos de Justine Henin et Amélie Mauresmo, même si je n’ai pas pu les voir jouer en vrai, pour le revers à une main, a-t-elle expliqué dans le podcast Dip Impact d’Eurosport en novembre 2021. Chez les hommes, Federer et Dimitrov. Parce que (en plus du revers à une main) ça se rapproche de ce que j’ai envie de faire sur le terrain : varier, être offensive. » Car son revers magnifique est loin d’être le seul élément faisant la grâce de son tennis. D’ailleurs, le coup droit est davantage son point fort. Le revers à une main étant très exigeant physiquement, a fortiori au plus haut niveau, elle bosse sur ce plan depuis plusieurs saisons. Notamment pour ne plus subir face aux joueuses capables de desquamer la balle à coups de lift pour la faire gicler au rebond.

« Sa balle est difficile, elle remonte beaucoup, même en reculant pour me donner plus de temps je devais la jouer au-dessus de l’épaule en revers, c’était compliqué », avait-elle analysé en conférence de presse après sa défaite contre Sloane Stephens au troisième tour de Roland-Garros en 2022. « Je progresse bien, mais j’ai encore beaucoup de travail à faire, avait-t-elle déclaré quatre jours plus tôt, lors de son entrée en lice, après avoir contraint Barbora Krejčíková, tenante du titre et numéro 2 mondiale, à mettre genou à terre. Notamment physiquement et en revers, pour être plus forte dans les rallyes. Je veux aussi améliorer encore mon agressivité avec mon coup droit, qui est une bonne arme dans mon jeu. » Et pas l’unique.

Si certaines jouent en monochrome, l’artiste Diane Parry a toutes les couleurs sur sa palette. Slicer, lifter, faire service-volée, amortir, accélérer… la native de Nice sait tout faire. « Je dirais que j’ai plutôt un jeu varié, aussi grâce à mon revers à une main, s’est-elle exprimée, toujours dans Dip Impact. Et plutôt agressive, j’aime beaucoup monter au filet, créer. » Une richesse rare sur le circuit – même si « de plus en plus de filles commencent à être meilleures dans tous les compartiments », comme elle l’a souligné –, qui en fait un atout majeur. « C’est sa plus grande force, avait déclaré son ancien entraîneur, Gonzalo López Sanchis, pour le site de Roland-Garros en 2019. Avant, elle pensait qu’être agressive voulait dire frapper fort près des lignes. Je comprends qu’une fille solide physiquement qui ne sent pas la balle fasse ça, mais pas une fille comme Diane, qui sait tout faire. »

© Antoine Couvercelle

« Il faut lui laisser du temps, elle doit apprendre à utiliser toute sa panoplie »

Une force qui peut aussi, parfois, être une faiblesse. « Diane, elle aime jouer “joli”, a expliqué « GLS » à 20 Minutes en 2022. Nous, en Espagne, on dit que si tu veux voir quelque chose de joli, tu vas au théâtre. Ici, il faut gagner. Elle doit apprendre à faire “la cuisine”, savoir utiliser toute sa panoplie, quand elle doit slicer, prendre un risque, remettre la balle de l’autre côté. Parfois, elle se frustre, mais elle a le jeu pour déstabiliser ses adversaires. […] Elle a quelque chose. » « Savoir faire beaucoup de choses, c’est un style de jeu qui demande plus de temps [pour être maîtrisé], avait-il déjà expliqué en 2021 pour la FFT. Il ne faut pas être pressé avec elle. Le jour où Diane trouvera comment jouer juste, elle peut devenir très forte. »

Un apprentissage vécu par Federer lui-même. « J’ai dû apprendre à utiliser tous mes coups, savoir choisir celui qu’il faut au bon moment, s’était-il exprimé, avec du recul, une fois devenu un monument de son sport, pour expliquer son éclosion plus tardive que certains rivaux de sa génération titrés en Majeur et numéros 1 mondiaux avant lui. L’avantage de Marat (Safin), Lleyton (Hewitt) ou Andy (Roddick), c’est qu’ils avaient déjà leurs jeux en place. » Ons Jabeur, sans doute la joueuse la plus complète du circuit WTA depuis la retraite d’Ashleigh Barty, n’est entrée dans le top 50 « qu’à » 25 ans, en février 2020. Une élite dont Diane Parry s’est de nouveau rapprochée. 58e fin octobre 2022, elle a amélioré son meilleur classement en atteignant le 54e rang mi-mars 2024 suite à son premier huitième de finale en WTA 1000, à Indian Wells. Cinq mois après être descendue à la 109e place.

« Diane est une fille qui essaie de faire du beau jeu parce qu’elle joue très, très bien, a répondu l’Argentin Martin Vilar, son coach depuis l’été 2023, à L’Équipe en janvier 2024. C’est un plaisir de la regarder, mais il y a des moments où elle perd un peu sa concentration parce qu’elle essaie d’en faire trop. Parfois, il faut jouer juste pour gagner. Beaucoup de gens me font des blagues parce que je la fais jouer d’une façon un peu moins jolie en me disant : “On va pouvoir lui donner un passeport espagnol.” Oui, privilégier le beau jeu, c’est très français. En France, il faut être perfectionniste. […] Et je pense qu’on a pris la bonne direction. Maintenant, je crois qu’elle s’amuse à s’accrocher. » En voyant un avenir radieux à sa protégée. 

« Elle est très, très, très douée, et très intelligente, a-t-il appuyé pour Tennis Legend Podcast en janvier 2024. Souvent, on ne sent pas la balle, il y a du vent, etc. donc il faut savoir gagner en jouant mal. […] Elle est forte mentalement. Je pense qu’elle sera top 20 sans problème. Mais c’est une question de maturité, elle n’a que 21 ans, il ne faut pas lui demander d’y arriver demain. Il faut respecter sa personnalité. À son rythme, je suis sûr qu’elle va très, très bien jouer. […]Certains se posent moins de questions, parce qu’il n’ont que deux options : jouer croisé ou long de ligne. Diane a 10 000 possibilités, alors ça joue parfois contre elle. Il faut rester simple, surtout quand le match est serré (pour ne pas s’embrouiller l’esprit). […] Je crois vraiment qu’elle est capable de battre n’importe qui. » En quête d’équilibre entre beau tennis, simplicité et efficacité, Diane Parry doit trouver sa philosophie de jeu. À l’opposé de celle du doute. Bref, Parry doit devenir l’anti-Pyrrhon. 

 

Article publié dans COURTS n° 16printemps 2024.

© Virginie Bouyer