Constant Lestienne
un magicien dans le Top 100
Sur le circuit, il est connu pour son jeu atypique, ses services à la cuillère et… ses tours de magie qu’il distille dans le vestiaire aux autres joueurs. Constant Lestienne, 30 ans, a goûté pour la première fois à la lumière du top 100 l’été dernier après de longues années à batailler dans l’ombre du circuit secondaire. Une belle récompense pour le Français qui a raconté à Courts ses premiers pas dans l’élite, sa rencontre avec Roger Federer et sa passion pour la magie.
Courts : Comment as-tu vécu ton entrée dans le top 100, comme un soulagement, un aboutissement ou simplement une étape de franchie ?
Constant Lestienne : Oui, on peut le voir comme un aboutissement dans le sens où j’avais essayé toutes ces années de l’atteindre sans réussite. Je suis très content de pouvoir dire que j’ai été dans le top 100, c’est symbolique pour tout joueur de tennis. Mais maintenant que j’y suis, je le vois plus comme une étape et j’ai envie d’aller chercher bien plus haut, pourquoi pas jusqu’au top 30 par exemple. Je m’en sens capable.
C : Tu as joué pendant des années sur le circuit Challenger, est-ce vraiment l’univers impitoyable que l’on imagine ?
C.L. : Oui, c’est vraiment la guerre. Tout le monde a le couteau entre les dents, on ne gagne pas beaucoup d’argent. C’est vraiment une étape que tout le monde veut franchir avant le Graal, qui est de jouer les tournois ATP. Donc c’est une ambiance qui est assez dure. Tout le monde a envie d’être performant, les conditions de jeux sont plus difficiles, les matches ne sont pas télévisés. C’est compliqué, il faut faire son trou.
C : Maintenant que tu joues les tournois ATP, qu’est-ce qui change le plus par rapport au circuit Challenger ?
C.L. : C’est surtout l’organisation qui est bien meilleure. On joue dans de grandes villes qui sont faciles d’accès. On a des beaux hôtels, on vient nous chercher à la gare ou à l’aéroport. On mange mieux. Et puis forcément, on joue sur des courts centraux avec du monde. Mon entourage peut regarder mes matches à la télé. Tout est plus facile en fait, ce sont plein de petits détails qui font que la vie est plus agréable.
C : Financièrement aussi cette entrée dans le top 100 doit te permettre de voir venir, est-ce que tu sens moins de pression à ce niveau-là ?
C.L. : Contrairement à ce qu’on pourrait penser, on ne joue pas pour l’argent. Moi, en tout cas, je ne joue pas pour l’argent. Ce qui peut me faire stresser, c’est plutôt les points ATP. C’est le véritable enjeu. La question de l’argent ne m’a jamais paralysé dans mon jeu. Après, dans les tournois du Grand Chelem, on sait qu’il y a la possibilité de gagner énormément d’argent, mais tout ça vient avec le classement.
C : Est-ce que tu t’es fait un petit cadeau pour fêter ton entrée dans le top 100 ?
C.L. : Non, pas vraiment. J’ai voyagé un peu en business quand je suis allé à San Diego et puis ensuite pour aller à Tel Aviv. C’était la première fois de ma vie que je voyageais en business class donc je considère ça comme un petit cadeau. Mais je ne me suis rien acheté encore. J’essaie de garder la tête sur les épaules et de ne pas m’emballer.
C : Physiquement tu sembles enfin avoir trouvé une certaine stabilité alors que jusque-là, ta carrière avait toujours été freinée par les blessures.
C.L. : J’ai un kiné qui est basé à Paris que je vois régulièrement et qui prend soin de moi. Ça me permet de repartir « requinqué » pour le prochain tournoi. D’ailleurs, mon but pour l’année prochaine serait de voyager avec un kiné sur plusieurs semaines pour travailler plus en profondeur. L’objectif, c’est aussi de pouvoir jouer encore longtemps, jusqu’à 35 ou 36 ans. Ce serait vraiment génial parce que j’adore ça. Grâce à mon classement et au prize money des tournois ATP, maintenant je peux envisager de voyager avec un kiné. Sur le circuit Challenger, à moins d’avoir un sponsor, la question ne se posait pas.
C : Il semble aussi que tu aies trouvé de la stabilité dans ton entourage avec ton entraîneur Julien Varlet.
C.L. : Oui, ça se passe super bien avec lui à la « French Touch Academy » où je vais aller cet hiver pour préparer l’Australie. C’est vraiment une équipe de « mecs » adorables et compétents, je sens que je fais partie d’une famille, tout le monde est derrière moi. C’est important de savoir qu’on a des personnes derrière nous. Il y aussi ma copine Léa qui est pour beaucoup dans ma réussite. Elle m’a beaucoup aidé émotionnellement à franchir le cap. Elle m’a accompagné pendant un an sur les tournois. Tout cet environnement m’a beaucoup aidé à entrer dans le top 100.
C : Avec ces bons résultats, tu as été un peu plus médiatisé, est-ce que tu sens plus d’attention et de reconnaissance ?
C.L. : Oui un petit peu. Bon, c’est sûr que si je marche dans la rue, personne ne va me reconnaître (rires). Ce qui pourrait me faire connaître c’est de gagner des matches à Roland-Garros ou à Bercy. Mais pour l’instant, je ne suis pas encore connu du grand public.
C : Quel joueur du top 10 aimerais-tu affronter ?
C.L. : J’aimerais bien jouer contre Nadal parce que c’est mon idole. Mais bon, je préfère faire des matches contre des adversaires moins bien classés et les gagner, plutôt que de tomber au premier tour contre un membre du top 10, même si ce serait une bonne expérience.
C : Tu as eu l’opportunité de servir de sparringpartner à Roger Federer en 2018 à Dubaï. Peux-tu nous raconter cette expérience ?
C.L. : C’était un super souvenir, que je garde précieusement. Roger avait demandé deux Français pour s’entraîner pendant 3 semaines à Dubaï et la FFT nous avait fait ce cadeau avec Corentin Moutet car on avait fait une bonne saison. C’était incroyable de partager ses entraînements pendant presque trois semaines. J’ai appris à le connaître et c’est vraiment un mec en or, trop sympa. Il m’avait donné quelques conseils.
C : Dans ta façon de jouer, assez créative, on sent que tu as besoin de t’amuser sur le court. Est-ce que quand on est joueur professionnel on arrive encore à voir le tennis comme un jeu ?
C.L. : Pas trop, je le prends vraiment comme mon métier. Parfois, il est bon de se rappeler qu’on joue à un jeu. Mais on arrive à un niveau où il faut vraiment être sérieux, où tout le monde a envie de gagner avant de s’amuser, avant de jouer.
C : Tu es un adepte du service à la cuillère, quel est le secret pour réussir ce coup ?
C.L. : Le service à la cuillère, j’ai commencé à l’utiliser il y a 4 ans. C’est parti d’une blessure à l’épaule qui m’a empêché de servir à plus de 160 km/h pendant trois ans. Il y a des moments où ce coup m’a sauvé. C’est un coup qu’il faut garder pour des moments précieux, il ne faut pas en abuser. D’abord, il faut s’assurer avant de le faire que son adversaire est bien en position, sinon il peut prétendre qu’il n’était pas prêt et le point doit être rejoué. Il est plus facile de le tenter côté avantage. Il doit être le plus court et rasant possible pour que l’adversaire soit en bout de raquette obligé d’aller au filet, puis on tire un passing ou un lob.
C : En dehors du court tu as une passion peu commune, la magie, d’où vient-elle ?
C.L. : J’ai toujours aimé la magie. À l’âge de 24 ans, j’ai eu une blessure et donc je suis resté à Paris pendant plusieurs mois. Je suis entré dans un magasin de magie et j’ai rencontré des magiciens qui m’ont dit : « Vas-y, montre-nous ce que tu sais faire. » Je tremblais, mais j’ai essayé de faire un tour (rires). Ensuite les mecs m’ont emmené dans un café et m’ont montré plein de trucs. Là, j’avais des étoiles dans les yeux, je suis tombé amoureux de la magie. Depuis ce jour, je n’ai jamais arrêté.
C : Est-ce que tu trouves le temps de pratiquer ?
C.L. : Avec une vie de joueur de tennis on a beaucoup de temps morts, dans les hôtels, dans les transports, les aéroports. Je trouve ça bien d’avoir un paquet de cartes dans la poche. On a le temps de s’exercer ou bien d’amuser la galerie, de faire plaisir aux copains. Je trouve ça très agréable. Ça me permet de me changer un peu les idées pendant les tournois. J’en ai fait un peu moins cette année car j’ai été plus concentré sur mon tennis, mais je garde cette passion ; et pourquoi pas l’utiliser plus tard ?
C : D’ailleurs, est-ce que tu as parfois recours à la magie pour jouer des mauvais tours à tes adversaires ?
C.L. : J’ai étudié le mentalisme qui est une partie de la magie et ça m’a un peu aidé à lire mes adversaires au retour de service. Oui, il y a deux ou trois trucs qui m’ont aidé pour essayer de lire les zones.
Est-ce que les autres joueurs connaissent ta passion pour la magie ?
C.L. : Oui, je suis connu dans le vestiaire pour mes tours de magie. Quasiment tous les joueurs le savent, j’ai fait pas mal de tours pendant les tournois. On m’appelle le magicien !
Article publié dans COURTS n° 13, automne 2022.