Charles-Antoine Brézac : l’homme de cour(t) aux mille vies
Par Bastien Guy
Joueur professionnel, sparring-partner de luxe, entraîneur qualifié ou encore avocat dans le droit du sport… Son CV est aussi long que le palmarès de Roger Federer, avec qui il a eu l’honneur d’échanger, autant verbalement que sur le court. A seulement 36 ans, Charles-Antoine Brézac donne l’impression d’avoir déjà eu mille vies. Coup de projecteur sur ce fin observateur à la tête bien pleine qui a toujours fait en sorte d’aménager sa vie autour du tennis.
Si le concept de réussite est purement subjectif, le cheminement de vie de Charles-Antoine Brézac pourrait très bien en être une définition dans le dictionnaire. Même s’il ne le reconnaîtra jamais par l’humilité qui le caractérise, ce breton d’origine possède un parcours d’une rare richesse. Guidé par son leitmotiv de toujours, « faire pour ne pas regretter », le Nordiste a collectionné les aventures humaines depuis que son regard s’est posé sur cette obsédante balle jaune. Depuis, celle-ci ne l’a plus jamais quitté. Telle une amie intime, elle ne cesse de rythmer sa vie. Ou plutôt ses différentes vies.
Premier chapitre sur le circuit secondaire
13 ans plus tôt, c’est sur le circuit professionnel que sa première s’est dessinée. « J’ai connu une carrière entre 2009 et 2012. Je suis parti sur le Tour alors que j’étais classé -30. J’ai écumé bon nombre de tournois sur le sol français » se remérore t-il, un brin nostalgique. Mais avant de faire le grand saut dans l’inconnu, le pragmatique Charles-Antoine a privilégié ses études, par envie premièrement, mais aussi dans l’optique de s’assurer un filet de sécurité : « J’ai suivi un cursus en droit dans l’Université de droit de Rennes où je suis parvenu à décrocher mon diplôme en 2008 ». Une étape-clé qui lui sera bénéfique pour la suite, d’abord dans la découverte de l’immense jungle des Futures et des Challengers. « Comparé à des joueurs plus jeunes, je suis arrivé dans le grand bain avec plus de maturité personnelle. J’avais fait des études et passé des examens relativement difficiles. J’avais consenti beaucoup d’efforts pour décrocher ce diplôme. Cela m’a apporté énormément dans ma transition vers le haut niveau. J’étais prêt humainement et j’ai rapidement progressé au classement. »
A l’image de l’étudiant studieux qu’il était, bouquinant les lignes du Code civil, le joueur de tennis se sert également de son intellect sur le court pour lire le jeu de ses adversaires. « J’avais un style de jeu de contreur. J’étais une espèce de caméléon qui s’adaptait au joueur adverse. Je n’avais pas un énorme coup pour tuer l’échange mais de la régularité un peu partout et de la solidité dans les frappes. » Grâce à sa science tactique et son endurance, ce Gilles Simon 2.0 s’est hissé au 239e rang mondial à son top en 2010, écoeurant au passage de futures belles pointures du tennis mondial, encore jeunes et impétueuses. « Mes résultats et mes victoires ont été de bonnes surprises. J’ai participé à toutes les qualifs de Grand Chelem et j’ai réalisé de jolies perfs en battant des gars comme Steve Johnson, Filip Krajinović ou Pablo Carreño Busta. »
S’il a accompli de très belles choses en signant une carrière plus qu’honorable, Charles-Antoine a atteint son plafond de verre sur le circuit secondaire, pendant que les jeunes loups, qu’il dominait jusqu’alors, le dépassaient en se faisant une place au soleil dans le Top 100. Un phénomène frustrant mêlé d’incompréhension pour celui qui ne rechignait pourtant pas à l’entraînement : « C’est un métier difficile, on est dans l’antichambre du haut niveau, on se dit qu’il n’y a pas une réelle différence avec les tous meilleurs mais mois après mois, saison après saison, il y en a qui passent le cap et d’autres non. Je faisais partie de ceux-là. Parfois, on se demande pourquoi alors qu’on fait les choses sérieusement. J’étais consciencieux mais je ne suis pas parvenu à avoir le déclic pour aller plus haut. C’était un quotidien difficile avec une perpétuelle remise en question ».
Malgré la réalité cruelle du haut niveau, aucune once de regret ne vient ternir ce chapitre intense. Quatre longues années d’une vie à toute vitesse, où larmes, doutes mais surtout joies et fiertés s’entremêlent. « Les victoires en tournoi et les bons matches remplacent toutes les concessions et les sacrifices consentis. C’est une vie exaltante et grisante quand on joue bien et qu’on avance. A l’inverse, on peut aussi tomber très bas dans la déception quand on enchaîne les défaites » éclaire Charles-Antoine avant de marquer un petit temps d’arrêt et de prendre le temps de réaliser : « Si on m’avait dit que j’allais être 239e à mon top, que je disputerais des qualifs de Grand Chelem et que je voyagerais aux quatre coins du monde, j’aurai signé de suite. Je n’ai aucun regret. Le fait de l’avoir fait, de m’être lancé, c’était une très belle expérience et une formidable école de la vie. » A 27 ans, la première de ses multiples existences venait de s’achever.
Profession : sparring-partner de Roger Federer
Si chaque nouvelle année réserve son lot de surprises et d’émotions, 2022 est d’ores et déjà prévenue. Il lui faudra être particulièrement imaginative pour rivaliser avec 2013, cru inoubliable pour notre breton. Alors que celui-ci venait tout juste de raccrocher les raquettes, un petit coup de pouce du destin va lui permettre de faire une rencontre légendaire que n’importe quel fan de tennis normalement constitué rêverait.
Contexte : juin 2013. Lieu : Porte d’Auteuil. Alors qu’il travaille pour la Fédération française de tennis, Charles-Antoine, désireux de se prêter à une nouvelle expérience et de se rendre utile, s’inscrit auprès du bureau des entraînements à Roland-Garros « au player desk ». Mieux connus sous le nom de « sparring-partner », ces invisibles, qui ont pour mission de régler les champions, sont une petite dizaine à Roland. Ils arpentent les travées du tournoi ni vu ni connu et permettent aux stars de s’échauffer quelques minutes avant leurs matches ou d’effectuer des réglages lors de séances un peu plus poussées. En 2013, Charles-Antoine Brézac fait donc partie de cette shortlist d’heureux élus. « Je me souviens encore parfaitement de ce coup de téléphone. On m’avait demandé si j’étais disponible pour jouer le lendemain. A vrai dire, je n’étais pas super chaud puis on m’a dit que c’était pour taper avec Roger Federer. J’étais évidemment partant ! »
Hasard du tirage au sort, le Maestro affrontait au premier tour du Grand Chelem parisien le jeune Pablo Carreño Busta, issu des qualifications, droitier métronome doté d’un revers à deux mains. « Dès le vendredi, il voulait taper avec un sparring au profil similaire. C’est pour cela que j’ai été retenu » recontextualise celui qui a décroché le gros lot. Mais avant que le rêve devienne réalité, la malchance va frapper à plusieurs reprises. Menace récurrente et redoutée à chaque nouvelle édition des Internationaux de France, la pluie va jouer les troubles-fêtes dans un premier temps, perturbant le bon déroulement des sessions avec Roger. « Je me dis que je suis maudit et qu’on ne s’entraînera jamais ensemble » se souvient Charles-Antoine. S’il a beau être un dieu du tennis, le Suisse ne peut dompter les éléments. En revanche, grâce à sa malice, il peut faire en sorte de les esquiver. « Son entraîneur (ndlr : Paul Annacone) vient me voir en me disant que Roger est motivé et qu’il veut s’entraîner coûte que coûte malgré l’averse. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le maître et son apprenti rejoignent un terrain caché, méconnu de tous, situé sous le regretté court numéro 1. C’est dans ce contexte un peu spécial que la séance débute. « J’étais très tendu à l’idée de jouer avec Roger puis j’ai vu que dès les premières balles, il était en roue libre total. Il faisait même des revers à deux mains au début pour rire. Cela a détendu l’atmosphère directement. » raconte le natif de Quimperlé avant de poursuivre son récit : « C’était un peu déroutant mais très agréable. Il ne mettait pas de pression sur mon niveau, je ne sentais pas en lui quelqu’un d’humainement stressé comme cela avait pu être le cas avec d’autres joueurs par le passé. » La séance est tellement bon enfant que le facétieux Roger prend même le temps de s’intéresser à son nouvel ami. « Durant les pauses, on a eu des superbes discussions sur la vie de tous les jours autour du circuit. Sur lui bien évidemment mais également sur moi et mon actualité de l’époque. C’était des choses qui ne le concernaient pas du tout. On sentait qu’il s’y intéressait vraiment et que ce n’était pas juste par politesse. »
Le courant passe si bien entre les deux moulins à paroles que l’entraîneur du Suisse, Paul Annacone, doit même les rappeler à l’ordre gentiment : « Assez parlé, Il va falloir s’entraîner maintenant ! ». D’un point de vue tennistique, l’Helvète est ultra relâché, en quête de sensations et de micro-réglages. « C’était très accessible tennistiquement mais il nous arrivait de faire des points. Quand il accélèrait, j’étais vite débordé et complètement à la rue. Mais on faisait surtout un travail de gamme. C’était un régal. » narre l’ancien 239e mondial.
Et comme si l’histoire n’était déjà pas assez belle, l’expérience va se prolonger pendant dix jours. « Le hasard des choses a fait que Roger n’a joué que des droitiers avec des revers à deux mains. Son staff a continué à faire appel à moi » raconte celui qui a vécu un rêve de gosse. C’est finalement Jo-Wilfried Tsonga qui y mettra un terme en maîtrisant aisément le Maestro en trois sets en quart de finale de cette édition 2013 (7-5, 6-3, 6-3). « Je garderai l’image d’un mec détendu et accessible qui prend un plaisir de fou sur le court » conclut Charles-Antoine pour décrire sa parenthèse enchantée avec l’homme aux vingt Grands Chelems.
Des courts de tennis à la Cour de justice
A peine avait-il eu le temps de ranger ses raquettes dans son grenier, refermant ainsi le livre d’une belle carrière, que l’hyperactif Charles-Antoine s’en est lancée dans une nouvelle. Rangé dans son placard, le short de tennis s’est transformé en robe. Celle d’avocat dans le droit du sport. Laissée entre parenthèses jusque-là, le Nordiste a repris son aventure originelle, débutée en 2004 sur les bancs de l’amphithéâtre de l’Université de droit de Rennes. « J’ai terminé mes études dans la formation d’avocat et j’ai été diplômé au barreau de Paris en 2015 » explique-t-il avant de détailler le sens de sa démarche : « Je me suis engagé dans cette aventure d’avocat pour rester dans l’univers du sport. Je voulais garder un lien avec un sujet juridique sportif. »
Celui qui a pris part à deux reprises aux qualifs du Grand Chelem parisien (en 2010 et 2011) a renoué avec la capitale mais sur un tout autre terrain. En effet, les courts de tennis ont laissé place à la Cour de justice. Les coups droits sur la ligne remplacés par des lignes de droit. « J’ai trouvé une collaboration dans un cabinet à Paris qui s’appelle Joffe & Associés, qui possède un département du droit du sport. J’ai passé de très bons moments. C’était des dossiers juridiques sportifs, des dossiers autour des fédérations, des ligues, des joueurs… C’était une très belle formation. » synthétise maître Brézac. Si le quotidien d’un joueur de tennis professionnel et celui d’un homme de loi paraîssent complètement étrangers sur le papier, Charles-Antoine évoque pourtant des passerelles qui lui ont été bénéfiques. « J’ai développé des qualités différentes sur le circuit qui m’ont aidé dans cette aventure professionnelle. La mise en place d’objectifs et de feuilles de route sur plusieurs mois ou encore la résistance à la pression… Je retrouvais des similitudes entre les deux activités ».
Nouveau challenge réussi pour ce couteau suisse proactif. Les années passent et la soif d’apprendre est toujours aussi intacte. Malgré tout, personne n’échappe à sa nature profonde. Charles-Antoine a des fourmis dans les jambes. La transition est brutale pour l’ancien joueur habitué aux voyages et aux semaines mouvementées. « J’ai eu du mal avec le fait d’être assis continuellement derrière un ordinateur et un bureau, cela m’a pesé énormément. C’était un changement de vie absolu par rapport à tout ce que j’avais fait avant. » Durant un peu plus de deux ans, de janvier 2016 à février 2018, Charles-Antoine a défendu. Non pas sur le terrain comme il avait l’habitude de le faire sur le circuit mais en étant à l’écoute de ses clients. « C’était une très belle expérience avec d’inoubliables rencontres à la clé » conclue-t-il avec sa verve habituelle.
De joueur à entraîneur
Sa robe d’avocat à peine rangée, Charles-Antoine ne tarde pas à se lancer dans un énième défi personnel. Rattrapé par son hyperactivité et sa curiosité dévorante, il se replonge à fond dans le tennis. Lui, qui a toujours été un joueur dans l’âme, décide de passer de l’autre côté du miroir, en enfilant la casquette d’entraîneur. Et c’est au sein de la All In Academy, centre de formation tennistique haut de gamme, fondé par Jo-Wilfried Tsonga et Thierry Ascione, que le Quimperlois va faire ses armes. « J’ai embarqué dans le navire à Paris en février 2018. La structure se développait et de plus en plus de jeunes talents la rejoignaient. Cela m’a permis de retrouver un aspect purement sportif et terrain. »
Grâce à sa vision aiguisée et son expérience d’ancien pro, coach Brézac découvre les nombreuses facettes de son nouveau métier. « J’ai pu voyager pas mal en accompagnant trois joueurs aux profils différents : un junior qui avait 17 ans, une joueuse 300e mondiale et un joueur qui était 180e mondial. C’était très intéressant dans la transmission d’expérience sans pour autant imposer son point de vue. Je prône l’adaptation plus que jamais. » Là aussi, Charles-Antoine a tiré de précieux enseignements de cette formation. « L’accompagnement sportif et humain me plait énormément. C’est un point de vue différent que celui de joueur où l’on a tendance à être autocentré sur soi-même. Là, on s’ouvre beaucoup plus l’esprit. Il faut s’adapter sans cesse. A la situation, aux émotions du moment, au sportif… Je retiens de belles années de partage ».
Celui qui a entraîné par le passé Mathias Bourgue lève également le voile sur le caractère imprévisible du quotidien de coach sur le circuit. « C’est difficile d’un point de vue humain. Partir en tournoi une bonne partie de l’année, être rarement chez soi, avoir un planning assez aléatoire… Ce sont des réalités qui ont tendance à passer trop souvent sous silence selon moi. On sait quand on part mais jamais quand on rentre. Quand on a une vie de famille avec des enfants en bas-âge, c’est très complexe de composer avec le métier d’entraîneur. » Ce sont d’ailleurs en partie pour ces raisons, et d’autres plus logistiques, que ce papa épanoui a stoppé ses activités à la All In Academy après trois ans de bons et loyaux services.
Même s’il a un peu relâché l’accélérateur depuis que sa famille s’est agrandie, Charles-Antoine a toujours un emploi du temps bien chargé. Consultant à l’UNJPT (l’Union Nationale des Joueurs Professionnels de Tennis) qui vise à promouvoir les joueurs français et le tennis de haut niveau à travers les clubs, mais aussi dans l’agence sportive « 186 | SPORT » qui accompagne des athlètes dans l’évolution de leurs carrières, le Breton est également en charge des relations joueurs à l’Open de Brest, Challenger apprécié du contingent tricolore, organisé fin octobre. Et quand son planning de ministre lui permet, il dispense aussi des cours de droit à des étudiants dans une école de commerce de sport business à Nantes. 18 ans plus tôt, Charles-Antoine était à leur place sur les bancs de la fac de l’Université de Rennes. « Faire les choses pour ne pas regretter » se répétait-il. Il ne le savait pas encore mais grâce à sa devise fétiche, son parcours s’apprêtait à devenir l’un des plus riches du tennis français.