fbpx

 

Challenger de Pau : halte obligatoire pour le rêve australien

Le prodige danois Holger Rune en action (© Alexis Atteret)

A plusieurs centaines de kilomètres de l’effervescence turinoise où tous les regards étaient braqués pour le rendez-vous des maîtres édition 2021, les seconds couteaux du circuit se livraient une lutte sans merci dans la ville de Pau. Co-directeur du Teréga Open pour la troisième édition, le local de l’étape Jérémy Chardy accueillait sur ses terres les ferrailleurs les plus acharnés. Dans l’immense jungle que sont les Challengers, champions en devenir et sur le déclin étaient animés par le même objectif. Gratter les ultimes points manquants pour se donner le droit d’intégrer le tableau final de l’Open d’Australie en 2022. Immersion dans le Béarn.

Loin des projecteurs du Masters de Turin et du sacre d’Alexander Zverev qui vient conclure ce magnifique cru 2021, la danse des Challengers, elle, ne s’arrête jamais. Avec un calendrier XXL de 148 tournois, répartis en six catégories différentes, allant de 50 à 125, le circuit secondaire entamait à peine son avant-dernier chapitre en ce mois de novembre.

Un fossé générationnel

En quête de précieux points au classement ATP ou simplement de repères tennistiques, les compétiteurs les plus obstinés posaient leurs valises dans le Béarn dans le chaleureux Palais des sports de Pau. S’ils ont dû pallier une vague importante de forfaits avec notamment ceux du tenant du titre Ernests Gulbis et de Benoît Paire, Jiří Veselý ou encore Pierre-Hugues Herbert, les organisateurs de l’événement sont tout de même parvenus à réunir un plateau de choix. En passant par les ténors du circuit comme l’élégant Feliciano López, tête de série numéro une du tournoi, ou le marathonien Gilles Simon, jusqu’à la relève de demain avec le prodige danois Holger Rune, suivi des promesses tricolores Harold Mayot et Gabriel Debru, le casting de cette troisième édition du Teréga Open faisait office de choc des générations. Une grande fierté pour l’enfant du pays, Jérémy Chardy, qui se félicite du rayonnement de son tournoi inauguré en 2019 : « On a voulu créer ce Challenger pour essayer d’emmener le haut niveau dans la région tout en faisant la promotion du tennis auprès des jeunes. Pour ceux qui y jouent déjà, l’événement a pour but de les faire rêver et de leur donner envie de s’entraîner encore plus dur. C’est aussi l’occasion pour n’importe quel fan de sport d’avoir la chance de regarder du tennis professionnel. J’avais à cœur de faire quelque chose pour ma ville et ma discipline étant donné qu’il n’y avait jamais eu de compétitions ici par le passé. »

Un écrin d’une très grande qualité

Solidement installé dans le calendrier depuis trois ans, le Teréga Open a réussi son pari en s’appuyant notamment sur son atout principal : le majestueux Palais des sports. « Il n’y a pas beaucoup de Challengers avec une enceinte aussi belle. Tous les joueurs qui ont eu la chance de pénétrer dedans, que ce soit ici ou en Coupe Davis, sont unanimes. Ils nous disent que c’est une des plus belles salles pour jouer au tennis. Cela rend le tournoi vraiment unique. » souligne le Palois. Célèbre pour avoir accueilli en 2006 l’explosif quart de finale de Coupe Davis opposant la France et la Russie (victorieuse 4-1), l’enceinte de 7700 places a marqué bon nombre de mémoires. Situé à côté du Zénith de Pau, l’édifice en impose avec sa forme octogonale et ses quatre tours. Métamorphosée le temps d’une semaine en configuration tennis, la salle est essentiellement consacrée au basket-ball le reste de l’année. En 2017, le journal L’Equipe qualifiait l’antre de l’Elan béarnais Pau-Lacq-Orthez de « stade mythique de la Pro A » dans l’un de ses articles.

Une fois à l’intérieur, une ambiance très feutrée s’en dégage. Du haut des gradins, les joueurs donnent l’impression de produire un tennis sans effort avec beaucoup de légéreté. Si l’expérience est appréciable pour les spectateurs, elle fait surtout le bonheur des acteurs sur le court comme l’a souligné Calvin Hemery en conférence de presse en début de semaine : « C’est un Challenger où on se sent bien. Les conditions sont quasiment similaires à celle d’un ATP 250 ». Un ressenti qu’apprécieront Jérémy Chardy et Audrey Roustan, co-directeurs du tournoi, ainsi que leur équipe, qui s’efforcent de « proposer un événement et des services hauts de gamme aux joueurs ».

Le calme avant la tempête dans le majestueux Palais des sports de Pau (© Line Vergez-Couret)

Gilles Simon : « Je suis un joueur dans l’âme »

Nul doute que l’air palois lui a réussi puisque Calvin est sorti du piège des qualifications avant de tomber avec les honneurs au deuxième tour contre le futur finaliste : le cogneur Jiří Lehečka (7-6, 4-6, 7-5). Son compatriote Harold Mayot, qui a signé le plus beau parcours côté tricolore, a lui aussi subi la loi du Tchèque en quart de finale (6-4, 6-2). Tout comme Gilles Simon, la vitrine de cette troisième édition du Teréga Open, battu d’entrée par le même bourreau (6-1, 6-7, 6-2). Pas épargné par le tirage au sort et ses problèmes de dos récalcitrants, l’ancien 6e mondial avait fait preuve de lucidité autour de sa forme actuelle avant son entame de tournoi : « Mon dos ne va pas mieux. C’est de moins en moins bien et ça va aller de moins en moins bien. On lutte contre le temps sur plein d’aspects. Il y a des parties du corps qui lâchent et on n’a pas d’autres choix que de composer avec. » Du haut de ses 36 ans, le Niçois reconnaît « s’intéresser à plein de choses » pour son après-carrière mais il préfère se concentrer d’abord sur l’instant présent : « J’ai le temps pour la suite. Je suis un joueur dans l’âme. Je sais que je disputerai la saison prochaine. Si à un moment, je ne peux plus du tout, je m’arrêterais. Mais je n’ai pas besoin de faire en sorte que tout se chevauche. »

Objectif « essayer d’aller bien » donc pour notre Gillou national, retombé au 123e rang mondial. En délicatesse avec son physique, le valeureux guerrier s’est replongé depuis la saison dernière dans le bain des Challengers pour retrouver des sensations et de la confiance. Un milieu méconnu du grand public que décrit Gilles avec sa vision particulièrement aiguisée : « Le différentiel n’est pas si énorme avec le circuit principal. Je sais à quel point j’ai baissé donc je peux mesurer l’écart entre les deux. Il n’est pas colossal. Quand des joueurs habitués à disputer des Challengers se retrouvent tout d’un coup dans des grands tableaux, ça devient vite intéressant. Le dernier tournoi de Bercy l’illustre parfaitement. Harold Mayot joue Koepfer en qualifs, il se procure une balle de match et doit gagner 100 fois. Derrière, l’Allemand sort Murray en sauvant des balles de matches puis ça va loin jusqu’en huitièmes. Même chose pour Hugo Gaston. Il sauve des balles de match et l’emporte contre Kevin Anderson en qualifs au terme d’une partie improbable. Ensuite, ça va très loin aussi. Il y a également Pierre-Hugues, en détresse avant le tournoi, qui m’expliquait ne plus y arriver en Challenger. Au final, il est à deux doigts de s’offrir Alcaraz, un joueur qui va être top 15 ou top 10 rapidement. En résumé, c’est beaucoup plus proche que ce que les gens peuvent s’imaginer. C’est aussi pour cela que lorsqu’on a plus le niveau, on ne l’a plus du tout. Cela va très vite dans les deux sens. Personne ne se dit : « on va redescendre en Challenger, je vais jouer à 50% et ça va passer ». Pas du tout. En jouant à 100%, il y a de grandes chances que ça ne passe pas. C’est plutôt comme ça ».  

A 36 ans, la couverture de terrain du marathonien Gilles Simon est toujours aussi impressionnante (© Alexis Atteret)

Melbourne en ligne de mire

Si les belles années de l’inusable Gilles Simon sont désormais derrière lui, un horizon radieux attend la jeune garde qui pointe aux portes du top 100. Véritable attraction du tournoi, l’étoile montante du tennis, Holger Rune, était en mission à Pau. 108e au classement avant le début de la compétition, le prodige de 18 ans se devait d’atteindre ou plutôt de dépasser le 104e rang, synonyme de dernière place qualificative directe pour le tableau final de l’Open d’Australie. En mode rouleau compresseur, le Danois n’a laissé que des miettes à ses adversaires en début de semaine en s’appuyant sur son coup droit destructeur. Mais un autre joueur ultra agressif, Jiří Lehečka, la révélation de ce Teréga Open 2021, est parvenu à trouver la faille en demi-finale au terme d’une belle bataille (3-6, 6-3, 6-4). Une défaite qui est venue contrarier les plans de Rune qui s’imaginait aller au bout de la compétition. En effet, si ses 35 points ATP glanés lors de son séjour palois lui permettent de se retrouver 103e au live ranking, la marge est trop infime pour assurer le « cut » pour l’Open d’Australie 2022. C’est donc en Italie au Challenger de Bari que le futur crack tentera de décrocher sa qualification directe pour Melbourne. Une récompense qui serait plus que méritée pour celui qui avait poussé un énorme coup de gueule il y a quelques semaines au sujet de l’injustice du gel du classement.

Auteur d’une très belle saison en Challenger avec trois titres, le Danois ne cesse de progresser à vitesse grand V. Fin observateur, Gilles Simon avait été épaté par le jeune scandinave lors du Challenger de San Marin sur terre battue en août dernier : « Je trouvais qu’il jouait super bien. Il avait gagné le tournoi et le suivant et c’est là où c’est parti véritablement pour lui. Il est impressionnant sur terre. Il frappe vraiment bien la balle avec énormément d’énergie, ça sort bien de la raquette avec beaucoup de volume. Sur dur, j’avais l’impression qu’il gagnait avec la confiance de ses victoires sur terre battue, il surfait sur cette excellente dynamique. Mais quand tu vois la vitesse de progression du joueur, si l’on compare l’an dernier à maintenant, la trajectoire est belle. Cela signifie qu’il comprend vite et qu’il progresse vite. Il ne faut pas trop s’inquiéter pour lui dans les années à venir. »

Dans son sillage, le Franco-américain Maxime Cressy est également dans la forme de sa vie. Stoppé par la tornade scandinave Rune (6-2, 6-2), le 124e mondial a grappillé des points précieux dans sa quête australienne en se hissant en quart de finale. « Mon objectif est de me retrouver dans les 80 dans les prochains mois. J’ai fait des gros résultats récemment. Je suis très focus et ultra motivé à l’idée d’intégrer directement le tableau à Melbourne. » Ne lui parlez pas de vacances, le géant de 2m01 compte encore cravacher dans les semaines à venir pour arriver à ses fins. « Je vais enchaîner en Italie avec Bari et les deux tournois de Forli pour conclure la saison. Je pense que c’est largement suffisant pour pouvoir gagner 200 points et plus. J’ai perdu en finale deux fois récemment en Challenger donc je suis d’humeur revancharde, j’ai envie de prendre un titre. Je sais que je peux encore faire de gros dégâts ». Sûr de ses forces, Maxime puise cette confiance en soi inébranlable de son parcours atypique. Né à Paris, il fréquente le CREPS de Boulouris à l’adolescence mais les résultats ne suivent malheureusement pas. « Je n’étais pas en grande confiance. J’ai donc décidé de faire valoir ma nationalité américaine (ndlr : sa maman est originaire de Chicago) et de m’envoler aux Etats-Unis pour me recréer une identité. » Pensionnaire de l’UCLA à Los Angeles, l’une des académies les plus prestigieuses du pays, Maxime va prendre conscience de son énorme potentiel. « Mon ascension a vraiment débuté lors de ma deuxième année à l’école. J’ai décroché mon tout premier point ATP sur terre battue et j’ai commencé à disputer des Futures. Cela m’a donné une belle dose de confiance de pouvoir rivaliser sur le circuit. »

Le canonnier franco-américain Maxime Cressy quelques secondes avant l'impact (© Alexis Atteret)

La suite de l’aventure est aussi fulgurante que son service titanesque. Naturalisé américain en 2019, Cressy remporte la même année son premier Challenger en simple et en double à Cleveland. « C’était « unexpected » commente celui qui parle français avec des touches d’américanismes. La saison suivante, Maxime truste son deuxième trophée en simple dans la même catégorie au Canada avant de se payer le luxe de se procurer une balle de set contre Stefanos Tsitsipas à l’US Open pour son tout premier tournoi sur le circuit principal.  « Malheureusement, je n’avais pas encore la confiance en moi pour me dire que je pouvais le battre. Mais je pense que j’ai le niveau tennistique pour pouvoir rivaliser avec ces joueurs. D’autant plus avec mon style de jeu » analyse-t-il.

Adepte du service-volée, le Franco-américain inflige une pression d’enfer à ses adversaires en prenant d’assaut le filet en permanence. Une identité de jeu spectaculaire adoptée à 14 ans de manière accidentelle. « J’avais une blessure au niveau du coude et du poignet et je n’arrivais pas à faire des coups droits et des revers. Il fallait que je trouve un autre moyen pour gagner des matches. J’ai donc décidé de faire service-volée. C’était la première fois que je ressentais cette sensation spectaculaire de finir les points au filet. J’ai adoré et c’est resté depuis (rires) ». De l’autre côté du filet, ses adversaires apprécient un peu moins. Et ce n’est pas Pablo Carreño Busta qui dira le contraire. Lors du dernier US Open, l’Espagnol a subi la foudre du géant américain sur un court annexe transformé en chaudron vivant. « C’était un match très émotionnel. J’étais mené deux sets à rien, le public commençait à partir. C’était terrible. Puis je prends le troisième set et je vois les gens qui commencent à revenir. Après le gain du quatrième, le stade était entièrement full et le match a basculé dans une autre dimension. Je me suis senti presque invincible. J’étais dans la zone total. » S’il continue à progresser de manière aussi linéaire, Maxime Cressy devrait goûter de nouveau à l’atmosphère si particulière des Grands Chelems dès janvier prochain pour l’Open d’Australie.

Avec les obstacles du lancement des interclubs en France, de la Coupe Davis et des organismes fatigués en cette fin de saison, l’équation n’était pas simple à résoudre pour rendre attractive cette troisième édition du Teréga Open, reportée exceptionnellement au mois de novembre. Mais une nouvelle fois, Jérémy Chardy et son équipe ont relevé le défi avec brio. Le Palais des sports a été le théâtre de belles histoires avec notamment le retour au premier plan de l’exemplaire Radu Albot. Avec ses faux airs de Chris Hemsworth, l’interprète de Thor dans l’univers cinématographique Marvel, l’ancien 39e mondial a réalisé un parcours héroïque en terres paloises. S’il n’est pas descendu d’Asgard, la cité imaginaire du dieu nordique, le Moldave est devenu le nouveau roi du Béarn.

En prenant le meilleur sur le Tchèque Jiří Lehečka en finale (6-2, 7-6), Radu Albot est devenu le troisième vainqueur de l'histoire du Teréga Open de Pau (© Alexis Atteret)